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dimanche 19 juin 2011

La timidité selon E. Hamilton, 1804.

[L'orthographe ancienne est conservée.]

La timidité, considérée purement comme s'opposant à tout effort vigoureux, est un obstacle à toute espèce de supériorité, parce qu'en entravant l'esprit, elle est particulièrement amie des préjugés et ennemie de la vérité. Cet empire sur soi-même, qui paraît le patrimoine des esprits élevés, n'est dans le fait que le triomphe de la raison sur les passions de la surprise et de la crainte, qui dans l'occasion ne peuvent être surmontées promptement par ceux qui ont été accoutumés de bonne heure à être dominés par la terreur. Il nous importe donc de nous mettre en garde, autant qu'il est possible, contre les premières atteintes d'une passion dont les excès sont également nuisibles au bonheur et à la vertu.

Toutes vos observations peuvent être très vraies, me direz-vous peut-être, à l'égard de petits garçons; mais la timidité dans les filles est si gracieuse et si engageante, qu'on doit l'encourager en elles par tous les moyens. Je vous demande pardon. Je croyois que nous parlions de la meilleure méthode de cultiver les facultés de l'espèce humaine, afin de les élever à la plus grande perfection dont elles sont susceptibles, et de veiller sur les impressions et associations de l'enfance, afin de la préserver de l'influence des erreurs dominantes (1); en cela je ne peux faire aucune distinction de sexe, car je crois que l'esprit qu'on met le plus de soin à préserver de l'influence des préjugés, sera le mieux préparé à tenir la conduite la plus conforme à sa situation et aux circonstances où il se trouvera. (...)

Mais quand on a une fois privé l'esprit de force et d'énergie, il faut se résoudre à toutes les conséquences qui en résultent. L'incapacité de supporter la douleur avec quelque fermeté, n'est peut--être pas la plus funeste. L'égoïsme, presque toujours uni avec l'extrême timidité, en est une conséquence encore plus dangereuse. L'active bienveillance exige un degré de résolution et un abandon de soi-même auxquels le caractère timide ne peut jamais atteindre. Comparons l'un et l'autre par des exemples pris dans le cours de la vie. (...)

Il est de l'essence de la lâcheté et de la pusillanimité de diriger l'esprit exclusivement sur soi-même. Les souffrances des autres ne peuvent faire impression sur un esprit ainsi préoccupé, ni les affections sociales ou sympathiques exercer leur influence sur le cœur. Combien on se trompe alors en confondant l'idée de douceur, dont la bienveillance et la complaisance sont les principes constitutifs, avec cette timidité qui est la conséquence d'une attention exclusive sur soi-même. (…)

Quelques personnes regardent la timidité non seulement comme un ornement plein de grace chez les femmes, mais encore comme une vertu nécessaire pour prévenir les suites de l'imprudence à laquelle l'inexpérience du monde peut exposer les jeunes filles. Il nie semble que l'humilité, et la défiance sa compagne, auraient infiniment plus de succès. En général, la timidité, autant que j'ai pu l'observer, produit plutôt l'imprudence. Quand le cœur est engagé, il ne faut pas une médiocre portion de courage pour être en état d'examiner toutes les conséquences possibles d'une démarche importante; l'homme timide n'ose les envisager; il ferme obstinément les yeux, il se précipite aveuglément dans le gouffre; et souvent, hélas ! il s'apperçoit trop tard que c'est la lâcheté qui a causé sa perte.

Un autre effet de l'extrême timidité de caractère est, sous le point de vue moral, bien digne de notre sérieuse attention. L'homme timide est rarement sincère; la ruse est le refuge constant de la lâcheté; c'est l'arme vile dont les esprits pusillanimes se servent pour contrecarrer ce à quoi ils n'osent ouvertement s'opposer. Combien est méprisable la fausseté qu'on découvre si souvent dans ceux qui par timidité applaudissent ce qu'ils condamnent dans le fond de leur cœur! Dans quels déplorables dilemmes se trouvent souvent engagés les hommes imprudens et timides ! Le caractère de Saint-Pierre, tel qu'il est représenté dans l'évangile, en est un bel exemple. Hélas! il n'est pas le seul que la timidité ait entraîné à des actions dont on a eu par la suite à pleurer amèrement. 
 
Je ne puis nier que cette faiblesse ne soit quelquefois un défaut de la constitution individuelle; mais je pense qu'on peut assurer qu'elle est souvent accidentelle et acquise; et comme elle est fréquemment produite par de fortes impressions faites sur l'esprit de l'enfant, et qui donnent lieu à des associations permanentes et ineffaçables, nous devons convenir que c'en est assez pour mériter notre attention.

Mais comment est-il possible, me direz-vous, de se mettre en garde contre la conduite insensée des nourrices et des gouvernantes? On ne peut pas toujours être avec ses enfans.

L'œil vigilant d'une mère prudente peut beaucoup. Convainquez vos gouvernantes que vous regardez comme un objet de grande importance de préserver vos enfans de l'influence de la terreur. Observez attentivement les premiers symptômes; ne les laissez point passer sans en examiner la cause; faites sentir par expérience à vos gouvernantes qu'on peut empêcher les enfans de toucher à ce qui est dangereux par d'autres moyens qu'en leur disant, ça mord. Ayez pour règle constante de leur refuser ce qu'ils demandent obstinément à grands cris. Cette règle sera beaucoup plus efficace que de les menacer du vieux bonhomme et du chien noir, qui vont descendre par la cheminée pour enlever les enfans méchans. Il est peut-être bon de remarquer ici combien l'éducation ordinaire des nourrices peut nuire aux facultés morales et physiques. Pour les engager de gré ou de force à céder à notre volonté, nous employons également un système de fausseté, et nous voulons ensuite qu'ils disent la vérité. Si des symptômes d'une disposition contraire se manifestent dès l'enfance, c'est que nous ne faisons jamais attention aux mille et un mensonges, évidens pour échapper à la sagacité même de l'enfance; c'est que nous ne considérons jamais les associations que nous excitons ainsi, et que nous en rejetons aussitôt tout le blâme sur la pauvre nature humaine. Sans vouloir entamer aucune controverse sur la dépravation originelle, je puis assurer, je crois, que l'usage de la tromperie et de la fausseté à l'égard des enfans est un mauvais préparatif pour les leçons qu'on doit prendre tant de peine à leur donner par la suite sur l'amour de la vérité. Mais ce n'est pas ici le lieu de traiter cette matière. Revenons au sujet de la terreur qui me paraît beaucoup trop important pour l'abandonner si vite.

(1) Voyez la lettre première.

Elizabeth Hamilton, Louis Claude Chéron de La Bruyère (trad., 2e édition), Lettres sur les principes élémentaires d'éducation, t. 1, Demonville, Paris, 1804, p. 49.

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