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mardi 28 juin 2011

La timidité selon Voltaire, 1756.


 [Orthographe modernisée]

La timidité est la crainte du blâme. Elle vient souvent du peu de connaissance que nous avons des usages du monde.

Quoiqu'elle ait l'amour-propre pour principe, elle est cependant toujours la marque de la modestie, et suppose la connaissance de nos défauts.

C'est l'ignorance, dit M. de la Rochefoucault, qui donne de la faiblesse ou de la crainte ; les connaissances donnent de la hardiesse et de la confiance. Rien n'étonne une âme qui connaît toutes choses avec distinction.

La timidité fait souvent un sot d'un homme de mérite, en lui ôtant la présence d'esprit, et la confiance nécessaire dans le commerce du monde.

Voici comme Théophraste peint la timidité ou plutôt la crainte. 

C'est un mouvement de l'âme qui s'ébranle et qui cède à la vue du péril, vrai ou imaginaire. S'il arrive à un homme timide d'être sur la mer, s'il aperçoit de loin des dunes ou des promontoires, la peur lui fait croire que c'est le débris de quelques vaisseaux qui ont fait naufrage sur cette côte : aussi tremble-t-il au moindre flot qui s'élève ; et ses frayeurs venant à s'accroître, il se déshabille, ôte jusqu'à sa chemise pour pouvoir mieux se sauver à la nage, et après cette précaution, il ne laisse pas de prier les lui, le console & les Nautonniers de le mettre à terre. Que si cet homme faible dans une expédition militaire où il s'est engagé, entend dire que les ennemis sont proches, il appelle ses compagnons de guerre, observe leur contenance sur ce bruit qui court, leur dit qu'il est sans fondement, et que les coureurs n'ont pu discerner ce qu'ils ont découvert : mais si l'on n'en peut plus douter par les clameurs que l'on entend, et s'il a vu lui-même de loin le commencement du combat, et que quelques hommes aient paru tomber à ses pieds ; alors feignant que la précipitation & le tumulte lui ont fait oublier ses armes, il court les quérir dans sa tente, où il cache son épée sous le chevet de son lit, et emploie beaucoup son temps à la chercher. Dès qu’il voit apporter au camp quelqu’un tout sanglant d’une blessure qu’il a reçue, il accourt vers lui, le console et l’encourage, étanche le sang qui coule de sa plaie, chasse les mouches qui l’importunent, ne lui refuse aucun secours, et se mêle de tout, excepté de combattre.

Voltaire, Dictionnaire philosophique portatif ou introduction à la connaissance de l'homme, seconde édition, revue, corrigée et augmentée considérablement, Jean-Marie Bruyset, Lyon, 1756, p. 257-259.

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