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lundi 25 juillet 2011

La moquerie, selon La Bruyère, 1697.


«  Ceux qui nous ravissent les biens par la violence, ou par l’injustice, et qui nous ôtent l’honneur par la calomnie, nous marquent assez de leur haine pour nous ; mais ils ne nous prouvent pas également qu’ils aient perdu à notre égard toute sorte d’estime ; aussi ne sommes-nous pas incapables de quelque retour pour eux, et de leur rendre un jour notre amitié. La moquerie, au contraire, est de toutes les injures celle qui se pardonne le moins ; elle est le langage du mépris, et l’une des manières dont il se fait le mieux entendre ; elle attaque l’homme dans son dernier retranchement, qui est l’opinion qu’il a de soi-même ; elle veut le rendre ridicule à ses propres yeux, et ainsi elle le convainc de la plus mauvaise disposition où l’on puisse être pour lui, et le rend irréconciliable. »

Source.

La Bruyère, Caractères et mœurs de ce siècle, Chap. De l’homme, p. 376, Édition de Bruxelles, 1697.

samedi 23 juillet 2011

De certaines moeurs homosexuelles dans l'Église catholique romaine, selon Philippe de Mornay, 1612.

  
[Orthographe modernisée. Version française des extraits en latin par l'auteur de ce blog.]


p. 498-499. 

Et ceci nous mène jusques à l’an mil soixante. Mais comme en tyrannie sur l’Église, non moins s’avançaient-ils en corruption, et de mœurs et de doctrine. De mœurs ; car la Sodomie par ces lois de célibat, prend un tel pied dans le clergé romain, que Pierre Damien (1) lors retiré en son ermitage est contraint d’en faire un livre, intitulé Gomorreus, où il en déchiffre toutes les espèces ; et le dédie à Léon IX, l’adjurant d’y mettre ordre. Et Baronius (2) même l’avoue en ces mots : 

« Les ronces et les orties avaient rempli le champ du père de famille ; toute chair avait corrompu sa voie, et n’était pas besoin seulement d’un déluge pour laver, mais d’un feu du ciel pour foudroyer comme à Gomorrhe. »

Et là dessus Léon avait fait quelques règlements, et ordonné quelques peines. Mais tôt après on le vit en la mal grâce de Léon. Et depuis venant Alexandre II au papat, il lui déroba son livre sous ombre de le bailler à l’Abbé de S. Sauveur à transcrire, prenant prétexte de ce qu’il en avait parlé trop salement, comme si telles ordures se pouvaient remuer sans puanteur ; dont le bon homme se plaint aigrement en une sienne épître au cardinaux Hildebrand et Estienne, et non sans évidente ironie leur dit : « Et c’est de vrai un indice de la netteté sacerdotale, ou plutôt un argument de la pureté papale ? » (…).

p. 1245

« Entre les maquereaux de ces derniers temps, dit Agrippa (3), fut remarquable Sixte IV qui construit à Rome un noble bordeau. Ainsi fut cet empereur Héliogabele qui chez lui nourrissait bandes de putains dont il fournissait à ses amis et serviteurs, etc. Et les courtisanes de Rome payent par chaque semaine un jule au pape duquel le revenu annuel passe quelquefois vingt mille ducats, et est tellement cet office affecté aux principaux de l’Église, que le loyer des maquerellages est conté avec les revenus des Églises. Car, dit-il, j'ai ouï autrefois faire le compte en cette sorte : il a deux bénéfices, une cure de 20 ducats, un prieuré de quarante, et trois putains au bordeau, qui lui rendent chaque semaine 20 jules. »

En quoi mieux pouvait-il avancer le règne de la Paillarde ? Ajoutons toutefois ce que dit de lui Wesselus de Groningue (4), docteur en théologie, en son livre des Indulgences papales, homme en ce temps recommandé de la connaissance des trois langues dont il était appelé Lux mundi, la lumière du monde, lequel vivait nommément sous ce Sixte : 

« À la requête de Pierre Rière cardinal de S. Sixte et patriarche de Constantinople, et de Hiérôme son frère, et du cardinal de sainte Luce, qui avait été chef de la vénerie de Paul II, il permit d’exercer la sodomie, les trois plus chauds mois de l’année, juin, juillet et août, avec cette clause, fiat petitur, soit fait comme il est requis. » 

Et pource disait son épitaphe par Johannes Sapuis,

« …............ deflent sua busta Cinædi
Scortaque, lenones, alea, vina, Venus.
Item,
Pædico insignis, prædo, fucosus adulter
Gaude Prisce Nero, etc. [Voir remarque 1]»

Dont la conséquence suit très à propos selon saint Paul, Romains 1 :

« Riserat ut vivens cœlestia numina Sixtùs
Sic moriens nullos credidit esse Deos [Voir remarque 2]»,

que vivant et mourant, il avait testifié qu’il ne croyait point de Dieu. (…).


Notes.

(1) Petri Damiani liber, qui inseribitur Gomorrheus cui præfixa epistola Leonis papæ.
(2) Baronius, volumen II, annus 1049, articulum 10 et seqq.
(3) Agrippa, De vanitate scientiarum, c. 64, de Lenoniæ.
(4) Wesselus seu Basilius Grœningensis in Tractatus de indulgentiis papalib.


Remarques.

1. Concernant l’épitaphe du pape Sixte, la citation complète est la suivante :

« Pasquin au pape mort :

Sixte, jaces tandem, fidei contemptor et æqui :
Pacis ut hostis eras, pace peremptus obis.
Sixte, jaces tandem, lætatur Roma tuo quæ
Passa sub imperio est funera, bella, famem !
Sixte, jaces tandem nostri discordia secli :
Sævisti in superos, nunc Acheronta move !
Sixte, jaces tandem, fraudisque, dolique minister.
Et sola tantum proditione potens.
Sixte, jaces tandem, deflent tua busta cinædi,
Scortaque, lenones, alea, vina, Venus !
Sixte, jaces tandem, summorum infamia, fexque,
Pontificum, tandem perfide Sixte jaces !
Sixte, jaces tandem, vos hunc lacerate, Quirites,
Dentur et impastis membra scelesta feris ! »

Ce que l’on pourrait rendre par :

« Sixte, tu gis enfin, toi qui méprisais la foi et l’équité.
Tout comme tu étais l’ennemi de la paix, tu t’en vas, détruit par la paix.
Sixte, tu gis enfin, [et] Rome est en joie, [elle] qui souffrit sous ton empire, funérailles, guerre, faim !
Sixte, tu gis enfin, toi la discorde de notre siècle.
Tu t’acharnas sur les dieux d’en haut, va maintenant aux enfers !
Sixte, tu gis enfin, serviteur de la fraude et de la ruse
et si puissant par la trahison seule !
Sixte, tu gis enfin ; qu’ils pleurent tes cendres, les mignons, et les prostitué(e)s, les proxénètes, les jeux de hasard, les vins, les plaisirs de l’amour.
Sixte, tu gis enfin, [toi], l’infamie et la lie des saints pontifes, tu gis enfin, Sixte trompeur !
Sixte, tu gis enfin ; citoyens romains, déchirez les membres [de ce corps] et qu’il soient donnés aux bêtes affamées !

Et enfin :

« Quid pia functo fuerunt solemnia Sixto ?
Tradita sunt sceleri vota precesque note.
Riserat ut vivens cœlestia numina Sixtus,
Sic moriens nullos credidit esse Deos.
Sixte, jaces tandem superis invisus et imis,
Inclusus gravido ventre necandus eras ! »

Que l’on pourrait rendre par :

« Pourquoi y eut-il pour Sixte de pieuses solennités ?
Les vœux et les prières ont été délivrées pour un criminel notoire.
Vivant, Sixte s’est moqué des volontés célestes,
Ainsi, en mourant, il a cru qu’il n’existe aucuns dieux
Sixte, tu gis enfin, haï par ceux d’en haut et ceux d’en bas ;
On aurais dû te tuer [encore] enfouis dans le ventre maternel. »

Source : Pasquino et Marforio, Les bouches de marbre de Rome, traduits et publiés pour la première fois par Mary Lafon deuxième édition, A. Lacroix et Cie, Paris, 1876, p. 20 et 21.

2. Concernant la deuxième citation, le texte complet en est le suivant :

« Leno vorax, pathicus, meretrix, delator, adulter,
Si Romam veniet illico cretus erit.
Pædico insignis, prædo furiosus, adulter,
Exitiumque urbis, perniciesque Dei, Gaude prisce Nero, superat te crimine Sixtus,
Hic scelus omne simul clauditur et vitium. »

Que l’on pourrait rendre par :

« Le proxénète vorace, l’homosexuel passif, la prostituée, le délateur, l’adultère,
s’il vient à Rome, aussitôt sera distingué.
Enculeur remarquable, pilleur délirant, adultère,
et [toi], la ruine de la Ville, et le fléau de Dieu, réjouis-toi, antique Néron, par la faute, Sixte l’emporte sur toi,
Ici, est enfermé tout crime aussi bien que [tout] vice. »

Ce texte latin est donné par Louis Joseph de Potter qui avait précisé auparavant au sujet de Sixte :

« Il vendit aussi les bénéfices ecclésiastiques et quelques chapeaux de cardinal ; il en accorda d'autres par protection ou par des motifs moins louables encore, comme lorsqu'il combla de biens et décora de la pourpre Jacques de Parme, beau mais ignorant jeune homme de vingt ans, qui, de page (Ragaccius) du comte Jérôme, était devenu camérier du cardinal de saint Vitale, puis chambellan du commandant du château Saint-Ange, et enfin, favori du pape. ».

Source : Louis Joseph Antoine De Potter, L'esprit de l'église ou considérations philosophiques sur l’histoire des conciles, tome 2, E. Babeuf, Parmentier, Paris, 1821, p. 181-182, note 2.

3. On trouve le texte suivant à propos du pape Sixte chez les annalistes Jacobus Volaterrani ou Stephanus Infessura : 

[Jacobi Volaterrani Diarium Rom. [Annales de Rome, par Jacobus Volaterrani] in Muratorii XXIII,  p. 198, ou Stephani Infessurae Diarium urbis Romae [Annales de la ville de rome, par Stephanus Infessura] in Eccardi Corpus histor. medii aevi [Corpus historique du moyen-âge, par Eccard]  II, p. 1938.]

« (…) et—XII. d. Aug.—mortuus sit Sixtus IV. In quo felicissimo die Deus ipse omnipotens ostendit potentiam suam super terram, liberavitque populum suum Christianum de manu talis impiisimi et iniquissimi regis, cui nullus Dei timor, nullus regendi populi Christiani amor, nulla caritatis et dilectionis affectio ; sed solum voluptas inhonesta, avaritia, pompa, seu vana gloria semper et continue praecipue viguit, et in consideratione fuit. Hic, ut fertur vulgo, et experientia demonstravit, puerorum amator et Sodomita fuit. Nam quid fecerit pro pueris, qui serviebant ei in cubiculo, experientia docet, quibus non solum multorum millium ducatorum donavit reditus, verum Cardinalatum. et magnos Episcopatus largiri ausus est. Nam et non propter aliud, ut dicunt quidam, dilexit Comitem Hieronymum, et fratrem Petrum, ejus germanum, ac post Cardinalem s. Sixti, nisi propter Sodomiam. (...) »

Que l’on pourrait rendre par :

« Et le 12 août, mourut Sixte IV. En ce jour heureux au plus haut point, Dieu tout-puissant lui-même manifesta sa puissance sur la terre, et libéra son peuple chrétien de la main d’un roi tel, impie et injuste au plus haut point, qui n’avait aucune crainte de Dieu, aucun amour pour régir le peuple chrétien, aucun sentiment de charité et d’amour réfléchi ; mais seules la volupté déshonnête, l’avarice, la pompe, ou la vaine gloire furent en vogue et considérées avant toutes choses, toujours et continuement. Celui-ci, comme il est rapporté par le commun, et comme l’expérience l’a montré, fut amateur de garçon et Sodomite. En effet qu’a-t-il fait en faveur des garçons qui le servaient dans [sa] chambre à coucher, l’expérience l’enseigne, il [leur] a non seulement donné le revenu de plusieurs milliers de ducats, mais il a osé [leur] donner largement le cardinalat et les grands épiscopats. En effet, ce n’est pas pour autre chose, comme certains [le] disent, que pour la sodomie, qu’ils a distingué le comte Jérôme et son frère germain Pierre, ensuite [devenu] cardinal de S. Sixte. »

Source : Dr. Johann Karl Ludwig Gieseler, A compendium of ecclesiastical history, 4e édition révisée et augmentée, traduite depuis l’allemand par le révérend John Wistanley Hull, vol. 4, T. et T. Clark, Édimbourg, 1853, p. 385.


Source générale.

Philippe de Mornay, Le Mystère d'iniquité, c’est-à-dire l’histoire de la papauté, Philippe Albert, Genève, 1612.

Du péché de sodomie, selon Henri Estienne, 1566.


 [Orthographe modernisée. Version française des extraits en latin par l'auteur de ce blog.]


p. 50-51.

CHAP. VI.
Comment le siècle prochain au nôtre a été repris par les susdits prêcheurs de vices quasi de toutes sortes.

(…)

V. Venons aux autres méchancetés, à savoir aux incestes, sodomies, et autres péchés de paillardise contre nature.

De celles-ci je n’ai souvenance d’avoir guère lu en Menot : mais Maillard dit généralement, au feuil. 278, col. 3 :

« Taceo de adulteriis, stupris et incestibus, et peccatis contra naturam. » 
 
[« Je me tais, en ce qui concerne les adultères, les stupres, incestes, et péchés contre nature. »]

Et au feuil. 300, col. 1 :

« Si credant fures, falfarii, fallaces, adulteri et incestuosi, etc. »

[« Même s’ils croient les voleurs, les faussaires, les trompeurs, les adultères et les incestueux, etc.»].

Quant à la sodomie particulièrement, ce même prêcheur en parle bien au feuillet 262, col. 2, mais il n’en parle point comme d’une chose de laquelle on fît métier et marchandise : ains seulement (après avoir parlé de ce qui est récité en la Bible touchant cette méchancetés,) vient à dire qu’il se trouve beaucoup de chrétiens si aveuglés qu’ils soutiennent telles méchancetés comme licites. Mais Barlette, ayant à faire aux Italiens, crie souvent contre ce vice : comme au feuil. 58, col. 2 :

« O quot sodomitæ, ô quot ribaldi ».

[« Ô combien de sodomites, combien de débauchés ».]

Aussi au feuil. 72, col. 1, il ajoute à cette malheurté encore l’autre :

« Hoc impedimento impedit diabolus lingam sodomitæ, qui cum pueris rem turpem agit. O naturæ destructor. Impeditur ille qui cum uxore non agit per rectam lineam. Impeditur qui cum bestis rem agit turpem. O bestia deterior. »

[« Par cet empêchement, le diable entrave la langue du sodomite, qui fait chose honteuse avec les garçons. Ô destructeur de la nature. Il est entravé celui qui n’agit pas avec [son] épouse selon la droite ligne. Il est entravé, celui qui fait chose honteuse avec les bêtes. Ô bête plus mauvaise [encore]. »]

Il y a aussi un passage au feuill. 24, col. 1, auquel il conjoint sodomias avec cardinalitates : (1) sous lequel mot je ne doute point qu’il n’y ait quelque grand mystère caché : mais je le laisserai découvrit aux autres. Le passage est tel :

« Quis te conducit ad inbonestates, et ad libidines, et cardinalitates, et ad sodomias ? »

[« Qui te mène vers les malhonnêtetés, les désirs [déréglés], et les principales, vers les sodomies ? »]

Quoiqu’il en soit, il est certain qu’il a voulu signifier quelques grandes vertus cardinaliques, par ce mot cardinalités, en le mettant entre paillardises et sodomies.


p. 114-117.

Car au reste j’accorde que combien que Dieu ait voulu notamment telles prodigieuses vilenies des hommes être enregistrées en sa Bible, toutefois le moins en parler, voire le moins y penser, est le meilleur. Et de fait, quant à la sodomie, je croirais aisément que ces prêcheurs se gardaient d’en parler pour ne faire ouverture à la curiosité des hommes, laquelle est naturellement grande en telles choses. Et d’autant plus méchants sont les prêtres, qui ne la confession auriculaire, qu’ils appellent, par leurs interrogats éveillent les esprits, et les avisent de plusieurs vilenies. Quant à moi je confesserai que pour ce même égard, lequel je dis que ces prêcheurs pourraient avoir eu, j’ai autrefois eu grand peine à me persuader que les sodomites, et ceux qui se sont pollués avec les bêtes, dussent être exécutés publiquement et devant tout le peuple : et n’y a point de doute qu’on ne puisse amener plusieurs grandes considérations aussi bien d’une part que d’autre : mais cependant je m’arrête à ce que je vois faire ès [en les] villes bien policées. Au demeurant la raison pour laquelle il est vraisemblable que la sodomie n’était si commune alors que maintenant, c’est qu’on ne fréquentait pas tant les pays qui en font métier et marchandise, que pour le jourd’hui. Et qu’ainsi soit, si on regarde qui sont les Français qui s’adonnent à telles malheurté, on trouvera que quasi tous ont été en Italie ou en Turquie, ou sans bouger de France ont fréquenté avec ceux de ces pays là, ou pour le moins ont conversé avec ceux qui avaient été en leur école. Car combien que nous lisions au XIII[e] livre d’Athénée que de son temps les Celtes, nonobstant qu’ils eussent plus belles femmes qu’aucuns autres barbares, étaient adonnés à la sodomie (lequel propos il me semble que j’ai lu autre part sous le nom d’Hermippus) si est-ce néanmoins que grâce à Dieu auparavant qu’on sût si bien parler italien en France, on n’oyait quasi point parler de cette vilenie, ainsi que j’ai entendu de plusieurs vieilles personnes. Et de vrai ce péché serait plus pardonnable (si pardonner se pouvait) aux Italiens qu’aux Français : d’autant que les Italiens (entre lesquels plusieurs n’appellent cela qu’un peccatillo) sont plus voisins de la sainteté de ceux qui non seulement en donnent dispense, mais aussi exemple, comme il sera déclaré ci-après. Mais comment qu’il en soit, les mots desquels nous usons pour exprimer telle méchanceté, empruntés du langage italien, servent de preuve suffisante que la France tient d’eux ce qu’elle en a. Il serait difficile toutefois de dire particulièrement de quelle ville : car en Italie même ce proverbe court :

« Siena si vanta di quattro cose,
Di torri et di campane,
Di bardasse et di puttane. »

[« Sienne se vante de quatre choses,
de [ses] tours et de [ses] cloches,
de [ses] harnais et de [ses] putains »]

Ou « Siena di quattro cose e piena, Di torri » etc. Mais le seigneur Pasquin en plusieurs passages montre bien que sauf l’honneur de ce proverbe Rome doit aller devant Sienne, quant au troisième point : et principalement où il dit :

« Sed Romæ puero (2) non licet esse mihi.

[« Mais à Rome, je ne peux pas jouir d’un garçon »]

Et de fait, quand ce ne serait que pour la raison que je viens d’alléguer, il semble qu’à bon droit il ne veuille endurer que Rome soit frustrée de cet honneur.


p. 156-164.

CHAP. XIII

Du péché de sodomie, et du péché contre nature en notre temps.

Et quand il n’y aurait autre chose que la sodomie telle qu’on la voit pour le jourd’hui, ne pourrait-on pas à bon droit nommer notre siècle le parangon de méchanceté, voire de méchanceté détestable et exécrable ? Je confesse que les païens (au moins la plupart) ont été adonnés à ce vice : mais se trouvera-t-il qu’entre ceux qui ont porté le nom de chrétiens, jamais un tel vice ait été réputé vertu ? Il est certain que non. Mais en notre temps on ne l’a pas seulement réputé pour vertu, mais on est venu jusques à en écrire les louanges, et puis les faire imprimer, pur être lues par tout le monde. Car ceci ne se doit taire, que Jean de la Case, Florentin, archevêque de Bénévent, a composé un livre en rythme italienne, ou il dit mille louanges de ce péché auquel les vrais chrétiens ne peuvent seulement penser sans horreur : et entre autres choses l’appelle œuvre divine. Ce livre a été imprimé à Venise, chez un nommé Trojan Nanus, selon le témoignage (3) de quelques uns, lequel ils ont mis par écrit. Or est l’auteur de ce tant abominable livre celui même auquel j’ai dédié quelques miens vers latins, pendant que j’étais à Venise : mais je proteste que je commis telle faute avant que le connaître tel : et qu’après en avoir été averti, la faute était jà irréparable. Mais pour retourner à ce péché si infâme, n’est-ce point grand’pitié qu’aucuns qui auparavant que mettre le pied en Italie, abhorrissaient les propos mêmement qui se tenaient de cela, après y avoir démouré, ne prennent plaisir aux paroles seulement, mais viennent jusques aux effets, et en font profession entre eux, comme d’une chose qu’ils ont apprise en une bonne école ? Car quant à ceux qui par une mauvaise accoutumance ont seulement retenu des façons de parler italiennes, qui se disent là ordinairement et coutumièrement, étant toutefois prises de telle méchanceté, ils ont bien quelque apparence d’excuse : mais que peuvent alléguer les autres ? Or ne veux-je pas dire toutefois que tous ceux qui se trouvent entaché de ce péché, l’aient appris ou en Italie ou en Turquie : car notre maître Maillard (4) en faisait bien profession, et toutefois il n’y avait jamais été : mais celui qui comme docteur de la Sorbonne, tous les jours faisait brûler tant de poures gens à tort et sans cause, était celui que messieurs de la justice pouvaient faire brûler à bon droit, non pas comme luthérien (qu’on appelait alors) ou trop obstiné évangélique, mais comme bougre sodomitique.

II. Mais j’aurais grand tort si étant sur ce propos j’oubliais Pierre Louis, plutôt Aloïs (car son nom était en langage italien Piedro Aloïsio) fils du pape Paul troisième de ce nom. Ce Louis duc de Parme et de Plaisance, pour ne pas dégénérer la race papale, de laquelle il était issu, fut si adonnée à cet horrible et détestable péché, voire si transporté de la rage d’icelui, que non seulement il oublia totalement le jugement de Dieu, non seulement il oublia la recommandation en laquelle il devait avoir son honneur, (pour le moins à l’endroit de ceux qui naturellement ne font pas grand’conscience de s’abandonner à telle méchanceté) non seulement il oublia qu’il était homme : mais aussi oublia le danger de la mort (que les bêtes mêmes appréhendent) lequel se prétendait journellement à lui. Car ne se contentant d’avoir exercé ses infâmes concupiscences en une infinité de personnes de diverses qualités, en la fin s’adressa à un jeune évêque, nommé Cosmo Cherio (5) ayant l’évêché de Fano : et n’en pouvant venir à bout autrement le fit tenir, par ses gens. Après lequel acte il n’arrêta pas longtemps à recevoir le salaire dû à de tels monstres : et comme il avait mené une vie infâme, aussi lui fut fait un épitaphe si infâme qu’il requérait des lecteurs qui eussent pris quelque préservatif de peur d’avoir mal au cœur.

III. Quant au péché contre nature (lequel de tout temps a été plus ordinaire aux bergers qu’à autres) qui voudrait faire la recherche d’exemples de notre temps, il en trouverait grande abondance, aussi bien que des autres méchancetés. Mais pour en trouver beaucoup et en même temps et de fraîche mémoire, il faudrait s’adresser aux soldats italiens du camp qui voulait tenir la ville de Lyon assiégée pendant les troubles, et leur demander qu’ils faisaient de leurs chèvres. Toutefois il est advenu une chose de notre temps, qui sert d’un exemple beaucoup plus étrange que tous autres qu’on pourrait alléguer : c’est d’une femme qui fut brûlée à Toulouse (comme on m’a assuré), il y a environs vingt-sept ans, pour s’être prostituée à un chien, lequel aussi fut brûlé avec elle. Je tiens cet acte pour plus étrange, ayant égard au sexe. Or ai-je nommé cette sorte de péché, le péché contre nature, m’accommodant à la façon de parler ordinaire, non pas ayant égard à ce qu’emporte ce mot. Car fuyant cela, il est certain que la sodomie doit être comprise sous ce titre : et sans autrement en disputer, les bêtes brutes nous en rendent convaincus.

IV. Je viens de réciter un forfait merveilleusement étrange : mais j’en vais réciter un autre qui l’est encore davantage, (non pas toutefois si vilain) advenu aussi de notre temps, il y a environs trente ans. C’est qu’une fille native de Fontaines, qui est entre Blois et Romorantin, s’étant déguisée en homme, servit de valet d’étable environ sept ans en une hôtellerie du faubourg de Foye, puis de se maria à une fille du lieu, avec laquelle elle fut environs deux ans, exerçant le métier de vigneron. Après lequel temps étant découverte la méchanceté de laquelle elle usait pour contrefaire l’office de mari, fut prise, et ayant confessé fut là brûlée toute vive. Voici comment notre siècle se peut vanter qu’outre toutes les méchancetés des précédents, il en a qui lui sont propres et péculières. Car cet acte n’a rien de commun avec celui de quelques vilaines qu’on appelait anciennement tribades (6).


Notes.

(1) Et cardinalitates etc. Peut-être carnalitates [inclinations charnelles]. Isti Cardinales vere sunt carnales, a dit Guy Patin.

(2) Sed Romæ puero etc.) Tiré de l’Épigr. Esse putas du Fratres Fraterrimi de Buchanann où, soit dit en passant, l’édition de 1628 lit : « Sed puero Romæ. »

(3) Selon le témoignage etc.) H. Étienne n’avait donc pas vu ce prétendu livre, duquel d’ailleurs, il nomme l’Imprimeur Trojan Nanus, au lieu de Trojan Navus, comme il aurait dû l’appeler. Aussi n’est-ce point un livre, mais un simple capitole italien, imprimé avec ceux du Bernia, comme le reconnaît Bèze pag.12 de l’Épître Dédicatoire qui précède l’édition qui se fit de ses poésies en 1576.
Extat excusum Sodomiæ encomiura Joannis à Casa Florentini, rhythmis Italicis (ut idonei testes scribunt) unà cum Berniæ Capitulis quæ vocant. Ce sont les propres termes de cette Épître.

(4) Notre maître Maillard.) JEAN MAILLARD. Docteur de Sorbonne, mort environ l’année 1567. Voyez l’Épître Déclaratoire des Poésies de Bèze in 8, 1576. Entre plusieurs Sorbonistes de ce temps-là, qui étaient soupçonnés de pédérastie, cet homme était des plus décriés, depuis certaine aventure qui, sous le règne de Henri II lui était arrivée avec un jeune clerc du Palais. Maillard avait voulu le forcer, mais le jeune clerc échappa de ses mains, ce qui donna lieu à cette épitaphe, quoique notre docteur ne soit mort qu’à plusieurs années de là :

Ici gît maître Jean Maillard,
Beaucoup plus bougre que paillard :
Soutenant, si la chair irrite
Un de nos maîtres de Sorbonne,
Qu’il ne pèche étant Sodomite :
Trouvant cette voie fort bonne :
De peur qu’une femme fragile
Son secret ne pouvant celer,
Ne scandalisât l’Évangile,
Notre maître allant déceler,
Qui par simple et bonne équité
Se serait à elle prêté.

Voyez une ancienne Anatomie de la Messe, traduite de l’Italien pag. 544 de l’édit. de 1562. Maillard s’était vanté qu’il se trouverait au Colloque de Poissy, pour y confondre les ministres : n’y ayant point paru, quelque Huguenot en marque le raison dans le sonnet qui suit, imprimé au devant de la comédie du Pape malade, pièce ingénieuse qui est de la même année que ce colloque.

Notre maître Maillard tout partout met le nez :
Tantôt va chez le Roi, tantôt va chez la Reine :
Il fait tout, il fait tout, et à rien n’est idoine.
Il est grand orateur, poète des mieux nés :
Juge si bon, qu’au feu mille en a condamnés.
Sophiste aussi aigu que les fesses d’un moine.
Mais il est si méchant, pour n’être qu’un chanoine,
Qu’auprès de lui sont saints le Diable et les damnés,
Si se fourrer partout, à gloire il se repose,
Pourquoi dedans Poissy n’est-il à la dispute ?
Il dit qu’à grand regret il en est éloigné,
Car Bèze il eut vaincu, tant il est habile homme.
Pourquoi donc n’y est-il ? Il est embesogné
Après les fondements, pour rebâtir Sodome.

Il faut, au reste, que Maillard passât pour un grand maître dans ce métier, puisque, suivant la même Épître Dédicatoire, le sobriquet de Docteur Gomorrhéen lui avait été donné par de bons catholiques.

(5) Cosmo Cherio etc.) Dans plusieurs lettres latines, insérées parmi les Epistolæ clarorum virorum selectæ, de l’édition de Venise, chez Paul Manuce in 16, 1556, il se nomme Cosmus Gherius, en italien Cosmo Gheri, selon l’index Thuani. M. de Thou, d’après Sleïdan, le qualifie mal episcopus Faventinus, évêque de Faenca dans la Romagne. Son évêché était Fano petite ville située sur le Golfe de Venise, et il y avait succédé à Goro Gheri son oncle, àqui l’éditeur des Cento Novelle antiche les dédia en 1525. Du reste, ce fut en 1537, et non pas en 1538, que Pierre Louis commit cette énormité en la personne de l’évêque de Fano. Benoît Varchi, sous l’année 1538, raconte la chose avec les circonstances les plus odieuses, dans son Histoire de Florence imprimée seulement en 1725, et d’abord supprimée, comme écrite avec trop de liberté, et d’ailleurs injurieuse à la maison Farnèse. Mais cet historien s’est trompé quant à l’année de l’événement, une lettre de Benedict. Rhambertus, datée de Venise, du 7 octobre 1537, parlant d’une autre lettre, par laquelle la nouvelle de la mort de Côme Ghéri avait été mandée à Pierre Bembe, par Louis Beccatelli. C’est la 28 des mêmes Épîtres Claror. Viror.

(6) Tribades.) Femmes amoureuses d’autres femmes. Tertullien les désigne par le mot de frictrices : et Brantômes dans ses Dam. Gal. exprime sous le nom de friquerelle, le joli métier de ces femmes.

Remarques.

- Henri Estienne, deuxième du nom est né à Paris en 1528 et mort à Lyon en 1598. Il est le fils de l'imprimeur Robert Estienne et le petit-fils de l'imprimeur Henri Estienne, premier du nom. Il fut lui-même imprimeur, philologue et humaniste français, et un helléniste hors pair.

- Michel Menot (mort en 1518) est un fameux prédicateur franciscains (cordelier), qui vécut sous les règnes de Louis XI, Charles VIII, Louis XII et François Ier. Il prêcha vraisemblablement devant ces monarques. « ses sermons étaient remplis de traits burlesques et bouffons, de mauvaises plaisanteries et d'allusions indécentes ; mais ces défauts tenaient au goût corrompu de son siècle, tandis que ses qualités, qu'on ne remarquait dans aucun autre prédicateur de l'époque, lui appartenaient en propre ».

- Olivier Maillard (vers 1440-1502) est, également un prédicateur franciscain (cordelier), docteur en théologie. « Il partagea le sceptre de la chaire avec les Barlette, les Menot, les Raulin, ses contemporains et ses dignes confrères ; mais il faut convenir que ce sceptre, entre leurs mains, ressemble souvent à celui que porte l'héroïne dont Érasme a fait l'éloge, et qui, par sa tournure et ses grelots, inspire plus la gaîté que le recueillement et le respect. »

- Nicolas ou Nicole Maillard (?-1565), qu'Estienne nomme ici Jean,  docteur de Sorbonne, doyen de la faculté de théologie, fut défenseur des études grecques et par ce fait sympathisa avec Érasme. Théodore de Bèze le surnommait le «docteur gomorrhéen ». Voir la note 4.

 - Gabriel Barlette ou Barletta, est un prédicateur du XVe siècle, fameux par son éloquence (d'où le proverbe : nescit prædicare,  qui nescit Barlettare, il ne sait pas précher celui qui ne sait Barletter).

Source.

Henri Estienne, Apologie pour Hérodote ou traité de la conformité des merveilles anciennes avec les nouvelles, nouvelle édition, remarques par Jacob Le Duchat, tome 1, Henri Scheurleer, La Haye, 1735.

vendredi 22 juillet 2011

Observations d'un chirurgien, M. Coste, sur les pratiques sodomites, 1769.

 
Ce texte est celui du chirurgien ordinaire du roi de Prusse, correspondant de l'Académie Royale de Chirurgie de Paris. Il considère l'homosexualité en mauvaise part, mais montre que « rien n'est nouveau sous le soleil ». Le vocabulaire de ce texte est fleuri et parfois cru. Les âmes les plus sensibles et les plus pudiques seront prévenues ! (L'orthographe est modernisée.)
 

VINGT-CINQUIÈME OBSERVATION.

Un coureur fut tenté d'éprouver la différence qu'il y avait entre le plaisir que procure la jouissance d'une fille et celui que l'on goûte avec un giton. Il s'adressa pour son coup d'essai à un joli garçon, qui avait déjà servi à beaucoup d'autres. Notre novice fut bien surpris quelques jours après cette belle expédition de se voir toute l'étendue du prépuce couverte de petits chancres véroliques qui augmentèrent, avec une rapidité extraordinaire. Ayant demandé à son compagnon ce que cela signifiait, on se moqua de lui, et on lui dit de bassiner ces ulcères avec de l'eau et de l'eau de vie parties égales, ou même avec de l'urine. La verge bientôt s'enflamma, et la fièvre fut violente. Ce garçon honteux de sa sottise, rougit cent fois en avouant à son maître ce dont il était question ; et l'on me chargea de le guérir, jamais vérole ne m'a donné plus de peine.

Comme la plus part de ceux qui commencent par être agents passifs en prêtant le derrière, sont des jeunes gens sans expérience sur la perversité des mœurs et sur les funestes dangers qu'elles entraînent, j'ai cru devoir m'expliquer nettement dans ce chapitre, et montrer les inconvénients auxquels on s'expose par trop de complaisance ou par trop d'indifférence envers un objet si important.

J'assure donc que l'on prend dans l'anus d'un giron, la vérole et tous les symptômes qui la caractérisent, comme on la prend dans le vagin d'une femme galante, et dans celui d'une prostituée. Il importe peu que l'on soit l'agent actif ou l'agent passif ; l'un et l'autre peuvent s'infecter réciproquement.

Une semence vérolique éjaculée dans le boyau rectum, y cause des ulcères, et des chancres vénériens ; et celui qui après cela va se servir du même giton y peut gagner tous les maux que l'on puise chez les femmes vérolées.

La destruction de Sodome n'a pas empêché que depuis ce temps là jusqu'aujourd'hui, toutes les nations de la terre n'aient eu des sujets livrés au sale amusement dont je parle ici. L’Italie qui depuis la ruine de l'empire romain, a tant changé de face à tous égards, n'a cependant jamais pu se défaire de l'amour des gitons. L'ordonnance toute récente que le Roi de Naples vient d'exposer aux yeux de l'Europe, dans laquelle il dit que l'amour anti-physique, devenu presque universel dans ses états, doit être puni de mort, est une preuve que les habitudes qui tiennent à la nature du climat, ne se perdent que très rarement ; il n'en est pas de même quand elles ne sont que de fantaisie, elles ne tiennent pas longtemps contre la répugnance du terrain qui n'est pas propre à les favoriser : la Hollande nous en fournit un exemple frappant. Il y a 30 ans que ce petit état marécageux et malsain, manqua d'être bouleversé par l’opiniâtreté de ses habitants, qui pour la plus part s'étaient livrés à l'amour anti-physique ; magistrats, négociants, sénateurs, soldats, matelots, ecclésiastiques, artisans, tous étaient devenu Sodomites ; c'était une fureur. Les bourreaux en exécutèrent un grand nombre en place public, et cela mit un frein à ce désordre. II y a douze ans qu'un acte du parlement de Londres, fut passé pour désormais condamner aux galères quiconque serait convaincu de Sodomie. 

Que l'on n'aille pas s'aviser de croire que la Sodomie ne soit que le goût de quelques particuliers qui n'ont point assez d'odorat pour être rebutés de cette saloperie contre nature ; toutes les grandes villes de l'Europe, des provinces entières, des royaumes, de fort grandes parties de la terre, telles que l'Asie, sont encore entichées de ce vice avec fureur.

La sagacité qui semble être le partage des gens d'esprit, a bien éclairé les hommes sur les moyens de se procurer les commodités de la vie, elle les a guidés dans le raffinement du plaisir ; mais il s’agissait de leur suggérer aussi les moyens de débarrasser la volupté des craintes du repentir, surtout depuis la découverte de l'Amérique qui nous a valu les trésors et la vérole ; et c'est ce que la plus recherchée de toutes les ruses n'a pas encore pu effectuer. Depuis la fatale époque que je viens. de citer, les hommes ayant trouvé que le commerce des femmes les exposait à des maladies dangereuses et souvent funestes ils ont cru pouvoir se procure des plaisirs sans dangers, et ils ont cherché à éviter le mortel poison du Vagin des femmes vérolées, en se plongeant dans l'anus de ceux qui le prêtent ou le louent : mais avec cette confiance ils ont donné sur un écueil plus redoutable encore que celui qu'ils voulaient éviter. Ils prennent donc et se rendent réciproquement dans cet autre cloaque, une vérole très mordante qui cause à l'agent passif des ulcères et des abcès dans le rectum, et à l'agent actif, des chancres, des phimosis, des paraphimosis, suivis de pourriture, des gonorrhées, des poulains, enfin toutes les sortes de véroles possibles et très difficiles à guérir. Ceci peut-être paraîtra singulier à ceux qui ne font pas trop versés dans la pratique des maux vénériens ; ils pourront croire que l'anus n'étant pas un vagin féminin, il n'a pas toutes les mêmes propriétés pour donner la vérole ; mais ils se tromperaient très lourdement.
 
Cet intestin puant qu'on nomme le rectum, à la garde duquel on fait veiller les dieux jaloux de son innocence, et qui n'est aux yeux d'un anatomiste que le vil objet d'une dissection dégoûtante, cet égout, dis-je est sujet à s'enflammer souvent par l’âcreté d'une semence vérolique que l'on y éjacule, et qui a coutume d'y séjourner parce que le sphincter l’empêche de sortir. On doit naturellement comprendre que les véroles données ou prises dans cet endroit, sont d'une espèce beaucoup plus malignes, parce qu'on les portes longtemps sans le soupçonner, et que ceux qui en sont attaqués, le sachant, dissimulent jusqu'à ce qu'il n'y ait plus moyen d'en supporter les incommodités.. Je n'ai trouvé, dans le cours de ma pratique depuis trente ans, qu'une seule femme à qui j'ai fait l'opération d'une fistule vérolique, qui ait voulu m'avouer sincèrement que la cause de son mal était le fruit d'un goût décidé que son époux avait pour ce trou postérieur. Mille exemples semblables nous sont fournis par les filles publiques, qui ne refusent jamais cette complaisance à ceux qui la payent, c'est même aujourd'hui le goût dominant de Paris, de Londres, aussi bien que de Rome et de Florence, où il règne d'un temps immémorial. Tous ceux qui prêtent le derrière facilement, et qui croient qu'on ne risque rien pour avoir cette urbanité, reviendront de leur erreur en lisant quelques unes de mes observations.

Parmi un très grand nombre de gitons que j'ai connus, j'en ai peu trouvés qui n'eussent le bord des paupières rouge, et dégarni de poils ; ils sont ordinairement sujets aux inflammations des yeux qu'ils ont chassieux, ils ont même souvent des tâches de différentes couleurs sur la peau ; telles que sont des dartres véroliques, des pustules, des croûtes humides, des chancres dans le gosier ou dans la bouche, autour de l’anus, et dans le fondement. II faut pour guérir ces sortes de véroles, faire longtemps usage des bains domestiques, des boissons de guayac, et insister absolument sur une longue et constante administration des frictions mercurielles, suivre un régime humectant, délayant, et peu nourrissant. Il faut toutes les fois qu'on traite un giton le purger une ou deux fois par semaine, tant qu'il reste dans l'usage des frictions mercurielles, et lui donner souvent quelques doses d'extrait de quinquina, afin d'arrêter la pourriture des ulcères qu'ils ont ordinairement dans le bas ventre ; les lavements d'eau de son, auxquels on ajoute le miel blanc, sont d'un usage essentiel pour leur faire rendre des pelotons de glaires suppurées, semblables à ceux que rendent les femmes attaquées de fleurs blanches ; ces lavements d'ailleurs par leur fréquence, amollissent et font suppurer doucement les glandes engorgées du virus vérolique dans les intestins.

Suivant ce que je viens de dire, . les médecins et les chirurgiens sentiront la nécessité qu'il y a de rechercher soigneusement la cause du mal de ceux qui les consultent pour des maladies, du fondement, du bas ventre ou pour des signes de véroles extérieures : car quoiqu'un homme n'eût jamais vu ni femme ni fille, il pourrait se trouver tout couvert de vérole, et il ne s'agirait plus que de savoir s'il a tourné le dos à quelqu'un. Ces malades sont honteux d'avouer, ils dissimulent à leur détriment ; mais il faut faire l'éloge du vice dont on les soupçonne capables, pour les mettre à leur aise, et les engager à dire sincèrement la cause de leur mal. C'est un moyen sûr d'attirer leur confiance, après quoi il ne sera pas difficile de les soumettre à l’usage des remèdes que demandent leurs maux.


VINGT-SIXIÈME OBSERVATION.
 
Un homme à qui la naissance, les talents acquis, et les biens de la fortune ont donné l'entrée dans les compagnies les plus distinguées, fut attaqué, à l’âge de 20 ans, d'une galanterie qui eut des suites assez fâcheuses. Cet aimable homme que tout le monde choisi voulait avoir à table, n'avait pas le loisir de prendre les remèdes nécessaires à sa guérison. D'ailleurs les avantages d'une figure gracieuse, joints à ceux d'un esprit vif et orné, lui procuraient plus de bonnes fortunes qu'il ne pouvait en satisfaire ; il était forcé malgré lui de rendre à quantité de jolies femmes, ce que des catins du premier ordre lui avaient donné à très haut prix. Ce commerce galant, joint à toutes sortes d'autres excès, fit enfin disparaître la gonorrhée ; mais elle ne tarda pas à se représenter sous une forme nouvelle, ou effectivement personne ne la reconnut. Le virus vérolique de la chaude-pisse qui avait reflué dans le sang, et l'avait infecté, vint former un abcès dans les graisses du fondement, où il perça le boyau et y laissa une fistule complète dont un célèbre chirurgien fit l’opération sans succès, parce qu'on avait négligé de détruire la cause interne vérolique. Quelques temps après, le malade ressentit des douleurs plus vives qu'auparavant, il fallut refaire encore une fois l'opération et en venir à un traitement complet pour détruire le virus vénérien et cicatriser la fistule : c'était une grande faute que de n'avoir pas commencé par là, et de s'être mis dans la nécessité de faire deux opérations pour une.

Ce gentilhomme totalement guéri pensa bientôt à retourner dans sa patrie, bien résolu de n’avoir désormais aucune fréquentation avec le beau sexe. Il prit en conséquence une couple, de jolis garçons dont il fit ses mignons, et depuis plus de vingt cinq ans, il n'a pas changé de goût. Il ne doit plus paraître surprenant suivant ce que j'ai dit dans les pages précédentes, que malgré un commercé de cette nature, on soit cependant toujours exposé aux maladies vénériennes, et c'est vraiment le cas où se trouve encore actuellement notre voluptueux, qui se trouve infecté jusqu'aux os : il en est des mignons que l'on entretient, comme il en est des maîtresses ; une fois prostitués par vénalité beaucoup plus que par amour, on peut être assuré qu'on n'a point à soi une jouissance particulière ; et l'on est tout aussi souvent dupé par l'un que par l'autre de ces amis mercenaires. Les médecins et les chirurgiens que consulta notre débauché, pour de nouvelles maladies véroliques que lui donnèrent ses gitons, l'assurèrent que ce ne pouvait rien être qui mérita attention, et ils crurent sérieusement qu'avec des remèdes superficielles ils guériraient ce malade en fort peu de temps. La vérole a cela de particulier, qu'après s'être montrée avec tous ses attributs, elle disparaît quelque fois presque subitement, et semble avoir cédé à l'usage de quelques palliatifs. Toutes les marques extérieures dont notre malade était affecté, s'étant éclipsées, on la crut partie tout de bon en effet ; mais c'est précisément cette erreur, qui a été cause qu'il l'a gardée jusqu'aujourd'hui. Une variété de maux et d'incommodités successives l'ont obligé de faire usage de temps à autres de quelques remèdes plus ou moins bien entendus ; mais ces secours ne pouvant jamais déraciner une vérole qui subsiste depuis tant d'années, le malade est continuellement sujet à de grandes douleurs de sciatique, de rhumatismes, de fluxions, de rhumes ; et les symptômes apparents de vérole que le malade porte aujourd'hui, sont des excroissances au fondement et aux parties génitales, des pustules, des ulcères fistuleux, des yeux suppurants et dégarnis de poils. La discrétion m'empêche d'en détailler davantage actuellement, quoique le portrait de l'homme dont il s'agit ici, puisse faire heureusement pendant avec celui de Job.


VINGT-SEPTIÈME OBSERVATION. 

Un jeune Hongrois d'une beauté singulière, ayant de bonne heure pris le parti des armes, tomba entre les mains d'un Capitaine qui ne tarda guère à le corrompre ; l'argent et les promesses furent plus que suffisants pour le disposer à une complaisance d'ailleurs assez commune aux gens de sa nation. L'attachement qu'avait pour lui ce brave protecteur allait jusqu'à la jalousie la plus outrée. Cet exemple d'amour effréné fut bientôt suivi par d'autres officiers du même régiment, et notre jeune hongrois devint en peu de temps le mignon de tout l'état major, ou plutôt de toute la garnison. 

Cette prostitution lui valut une inflammation de bas ventre, qui fut suivie d'une suppuration des intestins ; et l'on fut plus de six mois à le guérir. Peu de temps après avoir repris le même train de vie, ce prostitué eut tout le tour de l'anus couvert d’excroissances, qui caractérisent une vérole complète et violente. Cet homme avait 40 ans lorsque je fus mandé pour l’examiner, et c'est de lui que j'ai appris ce que je viens d'exposer. L'ayant visité avec toute l'attention possible, je lui trouvai une fistule complète, de grands ulcères dans l’intestin rectum, des crêtes autour de l'anus ; il était d'ailleurs incliné vers une phtisie universelle ; il sentait des épreintes très fortes et fréquentes, de quatre en quatre heures, il rendait par le fondement plus d'une demie tasse de suppuration verte et d'une odeur si fétide qu'on ne pouvait plus douter que toutes les parties environnantes ne fussent dans un état de pourriture désespérée.

Ceux qui sont expérimentés dans notre art, voient d'abord combien il était impossible de guérir un tel homme ; son état de faiblesse, l'espèce de consomption où l'avait conduit la suppuration des intestins, l'affreuse et ancienne vérole dont tous les fluides et les solides de son corps étaient pénétrés, n'offraient pas la moindre espérance de succès, ni ne paraissaient pas pouvoir admettre un traitement même le plus doux et le plus prudent. En effet le pronostique que je portai sur son état fut bientôt confirmé: Le malade mourut quinze jours après que je l’eus visité.


REMARQUE

Ce que l'on vient de lire au sujet de ce malade, prouve qu'on peut donner et recevoir la vérole par l'anus ; une semence infectée que l'on éjacule dans le vagin, dans l'intestin rectum, dans la bouche, donne la vérole à celui qui est assez dépravé pour la recevoir. Il y a bien des maladies singulières par rapport à leur origine ! Ceux qui ont reçu la vérole par la bouche ou par l'anus, ne se persuadent pas aisément de l'avoir ; ils négligent conséquemment de s'en faire traiter ; moyennant quoi ils gardent leur mal jusqu'à ce qu'il soit devenu incurable.


Source.

M. Coste (junior), Traité de la vérole et de toutes les maladies vénériennes: où l'on publie le moyen de guérir tous ceux qui en sont attaqués, nouvelle édition corrigée et beaucoup augmentée, George Jacques Decker, Berlin, 1769, p. 145-162.