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samedi 6 août 2011

L'estime, selon l'Encyclopédie méthodique, 1784.


[Orthographe modernisée.]


ESTIME, f. f. (Droit naturel)  


Degré de considération que chacun a dans la vie commune, en vertu duquel il peut être comparé, égalé, préféré, etc. à d'autres.

Le soin de son honneur et de sa réputation est une sorte de problème dans la philosophie et le christianisme. La philosophie qui tend à nous rendre tranquilles, tend aussi à nous rendre indépendants des jugements que les hommes peuvent porter de nous, et l'estime qu'ils en ont n'est qu'un de ces jugements, en tant qu'il nous est avantageux. Cependant la philosophie la plus épurée, loin de reprouver en nous le soin d'être gens d'honneur, non seulement l'autorise, mais l'excite et l'entretient.

Le christianisme, de son côté, ne nous recommande rien davantage, que le mépris de l'opinion des hommes, et de l'estime qu'ils peuvent, à leur fantaisie, nous accorder ou nous refuser. L'évangile porte même les saints à désirer et à rechercher le mépris : cependant le S. Esprit nous ordonne d'avoir soin de notre réputation : curam habe de bono nomine. 
 
La contrariété de ces maximes n'est qu'apparente, elles s'accordent dans le fond, et le point qui en concilie le sens, est celui qui doit servir de régie au bien de la société, et au nôtre particulier.

Nous ne devons pas être insensibles à l'estime des hommes, à notre honneur, à notre réputation. Ce serait contrarier la raison qui nous oblige à avoir égard à ce qu'approuvent les hommes, ou à ce qu’ils improuvent le plus universellement et le plus constamment ; car ce qu'ils approuvent de la sorte par un consentement presque unanime, est la vertu ; et ce qu'ils improuvent ainsi, est le vice.

Les hommes, malgré leur perversité, font justice à l'un et à l'autre, ils méconnaissent quelquefois la vertu, mais ils sont obligés souvent de la reconnaître, et alors ils ne manquent pas de l’honorer : être donc par cet endroit insensible à l’honneur, c'est-à dire, à l'estime, à l'approbation, et au témoignage que la confiance des hommes rend à la vertu, ce serait l'être en quelque sorte à la vertu même qui y serait intéressée.

Cette sensibilité naturelle est comme une impression mise dans nos âmes par l'auteur de notre être, mais, elle regarde seulement le tribut que les hommes rendent en général à la vertu, pour nous attacher plus fortement à elle. Nous n'en devons pas moins être indifférents à l'honneur que chaque particulier, conduit souvent par la passion ou la bizarrerie, accorde ou refuse dans des occasions singulières à la vertu de quelques-uns, ou à la nôtre en particulier. 
 
L'estime des hommes en général ne saurait être légitimement méprisée, parce qu'elle s'accorde avec celle de Dieu même, qui nous en a donné le goût, et qu'elle suppose un mérite de vertu que nous devons rechercher ; mais l'estime des hommes en particulier, étant plus subordonnée à leur imagination qu'à la providence, nous la devons compter pour peu de chose ou pour rien, c'est-à-dire que nous devons toujours la mériter, sans jamais nous mettre en peine de l'obtenir ; la mériter par notre vertu, qui contribue à notre bonheur et à celui des autres ; nous soucier peu de l'obtenir, par une noble égalité d'âme, qui nous mette au-dessus de l'inconstance, et. de la vanité des opinions particulières des hommes.

La sagesse, même profane, réprouve le désir immodéré de l'estime humaine ; car dès que nous abusons de celle que nous pourrions mériter, nous la perdons et nous méritons de la perdre. C'est donc au soin de la mériter que nous devons nous arrêter, sans penser au soin de l'obtenir, puisque l'un est entre nos mains, et que l'autre n'étant point en notre pouvoir, ne contribue en rien à notre mérite. Suivons exactement les sentiers de l'honneur et de la vertu, afin de mériter l'estime des hommes, qu'ils nous accorderont ou plutôt, ou plus tard ; mais soyons en même temps persuadés que notre conduite serait digne de mépris, et qu'elle cesserait de contribuer au bonheur de la1 société, si nous pensions plus à nous faire applaudir, qu'à nous bien conduire, et qu'il n'y a point de repos et de tranquillité véritable pour celui qui met la sienne à la merci des vents de l'opinion, et de la fantaisie particulière des hommes.

On divise l’estime en estime simple, et en estime de distinction.

L’estime simple est ainsi nommée, parce qu'on est tenu généralement de regarder pour d'honnêtes gens tous ceux, qui, par leur conduite, ne se sont point rendus indignes de cette opinion favorable. Hobbes pense différemment sur cet article ; il prétend qu'il' faudrait présumer la méchanceté des hommes jusqu'à ce qu'ils eussent prouvé le contraire. Il est vrai, suivant la remarque de la Bruyère, qu'il serait imprudent de juger des hommes comme d'un tableau, ou d'une figure, sur une première vue ; il y a un intérieur en eux qu'il faut approfondir : le voile de la modestie couvre le mérite, et le masque de l'hypocrisie cache la malignité. Il n'y a qu'un très petit nombre de gens qui discernent, et qui soient en droit de prononcer définitivement. Ce n'est que peu-à-peu, et forcés même par le temps et les occasions, que la vertu parfaite et le vice consommé, viennent à se déclarer. Je conviens encore que les hommes peuvent avoir la volonté de se faire du mal les uns aux autres ; mais j'en conclurais seulement, qu'en estimant gens de bien tous ceux qui n'ont point donné atteinte à leur probité, il est sage et sensé de ne pas se confier à eux sans réserve.

un tel n'est pas méchant homme: puisqu'il y a des degrés de véritable probité, il s'en trouve aussi plusieurs de cette probité qu'on peut appelle imparfaite, et qui est si commune.

L'estime simple peut être considérée ou dans l'état de nature, ou dans l'état des sociétés civiles.

Le fondement de l'estime simple, parmi ceux qui vivent dans l'état dénature, consiste principalement en ce qu'une personne se conduit de telle manière, qu'on a lieu de la croire disposée à pratiquer envers autrui, autant qu'il lui est possible, les devoirs de la loi naturelle.

L'estime simple peut être considérée dans l'état de nature, ou comme intacte, ou comme ayant reçu quelque atteinte, ou comme entièrement perdue.

Elle demeure intacte, tant qu'on n'a point violé envers les autres, de propos délibéré, les maximes de la loi naturelle par quelque action odieuse ou quelque crime énorme.

Une action odieuse, par laquelle on viole envers autrui le droit naturel, porte un si grand coup à l'estime, qu'il n'est plus sûr désormais de contracter avec un tel homme sans de bonnes cautions : je ne sais cependant s'il est permis de juger des hommes par une faute qui serait unique ; et si un besoin extrême, une violente passion, un premier mouvement, tirent à conséquence. Quoiqu'il en soit, cette tâche doit être effacée par la réparation du dommage, et par des marques sincères de repentir.

Mais on perd entièrement l'estime simple par une profession, ou un genre de vie qui tend directement à insulter tout le monde, et à s'enrichir par des injustices manifestes. Tels sont les voleurs, les brigands, les corsaires, les assassins, etc. Cependant si ces sortes de gens, et même des sociétés entières de pirates, renoncent à leur indigne métier, réparent de leur mieux les torts qu'ils ont faits, et viennent à mener une bonne vie, ils doivent alors recouvrer l'estime qu'ils avaient perdue. Mais aussi longtemps qu'ils demeurent dans cette habitude du crime, on ne doit pas plus les ménager qu'on n'épargne les loups et les autres bêtes féroces ; lorsqu'on peut s'en saisir, on les traite d'ordinaire avec beaucoup plus de rigueur que les autres ennemis.

On perd également l'estime simple, lorsque l'on mène une vie infâme, tels que les courtisanes, et ceux qui trafiquent des débauches de la jeunesse ; mais comme ces vices n'offensent pas directement les autres hommes, ceux qui y sont adonnés ne sont pas traités comme des ennemis communs du genre humain, on se contente de les punir par avilissement et le mépris.

Dans une société civile, l'estime simple consiste à être réputé membre sain de l'état, en sorte que, selon les lois et les coutumes du pays, on tienne rang de citoyen, et que l'on n'ait pas été déclaré infâme.

L'estime simple naturelle a aussi lieu dans les sociétés civiles où chaque particulier peut l'exiger, tant qu'il n'a rien fait qui le rende indigne de la réputation d'homme de probité. Mais il faut observer que comme elle se confond avec l'estime civile, qui n'est pas toujours conforme aux idées de l'équité naturelle, on n'en est pas moins réputé civilement honnête homme, quoiqu'on fasse des choses qui, dans l'indépendance de l'état de nature, diminueraient ou détruiraient l'estime simple, comme étant opposées à la justice : au contraire on peut perdra l'estime civile pour des choses qui ne sont mauvaises que parce qu'elles se trouvent défendues par les lois. 
 
On est privé de cette estime civile, ou simplement à cause d'une certaine profession qu'on exerce, ou en conséquence de quelque crime. Toute profession dont le but et le caractère renferment quelque chose de déshonnête, ou qui du moins passe pour tel dans l'esprit des citoyens, prive de l'estime civile : tel est le métier d'exécuteur de la haute-justice, parce qu'on suppose qu'il n'y a que des âmes de boue qui puissent le prendre, quoique ce métier soit nécessaire dans la société.

L'on est surtout privé de l'estime civile par des crimes qui intéressent la société : un seul de ces crimes peut faire perdre entièrement l’estime civile, lors, par exemple, que l'on est noté d'infamie pour quelque action honteuse contraire aux lois, ou qu'on est banni de l'État d'une façon ignominieuse, ou qu'on est condamné à la mort avec flétrissure de sa mémoire.

Dans quelques sociétés civiles deux sortes de conditions qui n'ont naturellement rien de déshonnête, l'esclavage et la bâtardise privent de l'estime simple. Mais cette privation de l'estime n'est fondée que sur la disposition de la loi civile. En effet, la violence et les besoins des sociétés, ayant établi la distinction de la liberté et de l'esclavage, les esclaves ne sont coupables de rien en tant que tels : et on ne peut imputer aux bâtards, quoique nés d'un commerce condamné par les lois, qu'un vice de la fortune, et non celui de la personne.

Remarquons ici que les lois ne peuvent pas spécifier toutes les actions qui donnent atteinte civilement à la réputation d'honnête homme ; c'est pour cela qu'autrefois chez les Romains il y avait des censeurs dont l’emploi consistait à s'informer des mœurs de chacun, pour noter d'infamie ceux qu'ils croyaient le mériter.

Au reste il est certain que l'estime simple, c’est-à-dire la réputation d'honnête homme, ne dépend pas de la volonté des souverains, en sorte qu'ils puissent l'ôter à qui bon leur semble, sans qu'on l'ait mérité, par quelque crime qui emporte l'infamie, soit de sa nature, soit en vertu de la détermination expresse des lois. En effet, comme le bien et l'avantage de l'État rejettent tout pouvoir arbitraire sur l'honneur des citoyens, on n'a jamais pu prétendre conférer un tel pouvoir à personne : j'avoue que le souverain est maître, par un abus manifeste de son autorité, de bannir un sujet innocent ; il est maître aussi de le priver injustement des avantages attachés à la conservation de l'honneur civil : mais pour ce qui est de l'estime naturellement et inséparablement attachée à la probité, il n'est pas plus en son pouvoir de la ravir à un honnête homme, que d'étouffer dans le cœur de celui-ci les sentiments de vertu. Il implique contradiction d'avancer qu'un homme soit déclaré infâme par le pur caprice d'un autre, c’est-à-dire, qu'il soit convaincu de crimes qu'il n'a point commis.

Un citoyen n'est jamais tenu de sacrifier son honneur et sa vertu pour-personne au monde. Les actions criminelles qui sont accompagnées d'une véritable ignominie, ne peuvent être ni légitimement ordonnées par le souverain, ni innocemment exécutées par les sujets. Tout citoyen qui connaît l'injustice, l'horreur des ordres qu'on lui donne, et qui ne s'en dispense pas, se rend complice de l'injustice ou du crime, et conséquemment est coupable d'infamie. Crillon refusa d'assassiner le duc de Guise. Après la S. Barthélemy, Charles IX ayant mandé à tous les gouverneurs des provinces de faire massacrer les huguenots, le vicomte Dorté, qui commandait dans Bayonne, écrivit au roi : 
 
« Sire, je n'ai trouvé parmi les habitants et les gens de guerre, que de bons citoyens, de braves soldats, et pas un bourreau ; ainsi eux et moi supplions votre majesté d'employer nos bras et nos vies à choses faisables ». Hist. de l'Aubigné. 
 
Il faut donc conserver très-précieusement l'estime simple, c'est-à-dire, la réputation d'honnête homme ; il le faut non seulement pour son propre intérêt, nuis encore parce qu'en négligeant cette réputation, on donne lieu de croire qu'on ne fait pas assez de cas de la probité. Mais le vrai moyen de mériter et de conserver l'estime simple des autres, c'est d'être réellement estimable, et non pas de se couvrir du masque de la probité, qui ne manque guère de tomber tôt ou tard : alors si malgré ses soins on ne peut imposer silence à la calomnie, on doit se consoler par le témoignage irréprochable de sa conscience.

Voilà pour l'estime simple, considérée dans l’état de nature et dans la société civile : lisez sur ce fujei la dissertation de Thomasius, de existimatione, fama et infamiá. Passons à l’estime de distinction.

L'estime de distinction est celle qui fait qu'entre plusieurs personnes, d'ailleurs égales par rapport à l'estime simple, on met l'une au-dessus de l'autre, à cause qu'elle est plus avantageusement pourvue des qualités qui attirent pour l'ordinaire quelque honneur, ou qui donnent quelque prééminence à ceux en qui ces qualités se trouvent. On entend ici par le mot d'honneur, les marques extérieures de l'opinion avantageuse que les autres ont de l'excellence de quelqu'un à certains égards.

L'estime de distinction, aussi bien que l'estime simple, doit être considérée ou par rapport à ceux qui vivent ensemble dans l'indépendance de l'état de nature ; ou par rapport aux membres d'une même société civile.

Pour donner une juste idée de l'estime de distinction, nous en examinerons les fondements, et cela, ou en tant qu'ils produisent simplement un mérite, en vertu duquel on peut prétendre à l'honneur, ou en tant qu'ils donnent un droit, proprement ainsi nommé, d'exiger d'autrui des témoignages d'une estime de distinction, comme étant dues à la rigueur.

On tient en général pour des fondements de l'estime de distinction, tout ce qui renferme ou ce qui marque quelque perfection, ou quelque avantage considérable dont l'usage et les effets sont conformes au but de la loi naturelle et à celui des sociétés civiles. Telles sont les vertus éminentes, les talents supérieurs, le génie tourné aux grandes et belles choses, la droiture et la solidité du jugement propre à manier les affaires, la supériorité dans les sciences et les arts recommandables et utiles, la production des beaux ouvrages, les découvertes importantes, la force, l'adresse et la beauté du corps, en tant que ces dons de la nature font accompagnés d'une belle âme, les biens de la fortune, en tant que leur acquisition a été l’effet du travail ou de l'industrie de celui qui les possédé, et qu'ils lui ont fourni le moyen de faire des choses dignes de louange.

Mais ce sont les bonnes et belles actions qui produisent par elles-mêmes le plus avantageusement l'estime de distinction, parce qu'elles supposent un mérite réel, et parce qu'elles prouvent qu'on a rapporté ses talents à une fin légitime. L'honneur, disait Aristote, est un témoignage d'estime qu'on rend à ceux qui sont bienfaisants ; et quoiqu'il fût juste de ne porter de l'honneur qu'à ces sortes de-gens, on ne laisse pas d'honorer encore ceux qui sont en puissance de les imiter.

Du reste il y a des fondements d'estime de distinction qui sont communs aux deux sexes, d'autres qui sont particuliers à chacun, d'autres enfin que le beau sexe emprunte d'ailleurs.
Toutes le qualités qui sont de légitimes fondement de l'estime de distinction, ne produisent néanmoins par elles-mêmes qu'un droit imparfait, c'est-à-dire, une simple aptitude à recevoir des marques de respect extérieur ; de sorte que si on les refuse à ceux qui le méritent le mieux, on ne leur fait par là aucun tort proprement dit, c'est seulement leur manquer.

Comme les hommes sont naturellement égaux dans l'état de nature, aucun d'eux ne peut exiger des autres, de plein droit, de l'honneur et du respect. L'honneur que l'on rend à quelqu'un, consiste à lui reconnaître des qualités qui le mettent au-dessus de nous, et à s'abaisser volontairement devant lui par cette raison : or il serait absurde d'attribuer à ces qualités le droit d'imposer par elles-mêmes une obligation parfaite, qui autorisât ceux en qui ces qualités se trouvent, à se faire rendre par force les respects qu'ils méritent. C'est sur ce fondement de la liberté naturelle à cet égard, que les Scythes répondirent autrefois à Alexandre: 
 
« N'est-il pas permis à ceux qui vivent dans les bois, d'ignorer qui tu es, et d'où tu viens? Nous ne voulons ni obéir ni commander à personne ». Q. Curce, liv. VII, c. VIII. 
 
Aussi les sages mettent au rang des sottes opinions du vulgaire, d'estimer les hommes par la noblesse, les biens, les dignités, les honneurs, en un mot toutes les choses qui sont hors de nous. 
 
« C'est merveille, dit si bien Montaigne dans son aimable langage, que sauf nous, aucune chose ne s'apprécie que par ses propres qualités..... Pourquoi estimez-vous un homme tout enveloppé et empaqueté ? Il ne nous fait montre que des parties qui ne sent aucunement siennes, et nous cache celles par lesquelles seules on peut réellement juger de son estimation. C'est le prix de l'épée que vous cherchez, non de la gaine : vous n'en donneriez à l'aventure pas un quatrain, si vous ne l'aviez dépouillée. Il le faut juger par lui-même, non par ses atours ; et comme le remarque très plaisamment un ancien, savez-vous pourquoi vous l'estimez grand ? vous y comptez la hauteur de ses patins ; la base n'est pas de la statue. Mesurez-le sans ses échasses : qu'il mette à part ses richesses et honneurs, qu'il se présente en chemise. A-t-il le corps propre à ses fonctions, sain et allègre ? Quelle âme a-t-il ? est-elle belle, capable, et heureusement pourvue de toutes ses pièces ? est elle riche du sien ou de l'autrui ? la fortune n'y a elle que voir ? si les yeux ouverts, elle attend les épées traites ; s'il ne lui chaut par où lui sorte la vie, par la bouche ou par le gosier ? si elle est rassise, équable, et contente ? c'est ce qu'il saut voir ». Liv. 1, ch. XLII.

Les enfants raisonnent plus sensément sur cette matière : faites bien, disent-ils, et vous serez roi.

Reconnaissons donc que les alentours n'ont aucune valeur réelle ; concluons ensuite que, quoiqu'il soit conforme à la raison d'honorer ceux qui ont intrinsèquement une venu éminente, et qu'on devrait en faire une maxime de droit naturel, cependant ce devoir considéré en lui-même, doit être mis au rang de ceux dont la pratique est d'autant plus louable, qu'elle est entièrement libre. En un mot, pour avoir un plein droit d'exiger des autres du respect, ou des marques d'estime de distinction, il faut, ou que celui de qui on l'exigeait soit sous notre puissance et dépende de nous ; ou qu'on ait acquis ce droit par quelque convention avec lui ; ou bien en vertu d'une loi faite ou approuvée par un souverain commun.

C'est à lui qu'il appartient de régler entre les citoyens les degrés de distinction, et à distribuer les honneurs et les dignités ; en quoi il doit avoir toujours égard au mérite et aux services qu'on peut rendre, ou qu'on a déjà rendus à l'État : chacun après cela est en droit de maintenir le rang qui lui a été assigné, et les autres citoyens ne doivent pas le lui contester.

L'estime de distinction ne devrait être ambitionnée qu'autant qu'elle suivrait les belles actions qui tendent à l'avantage de la société, ou autant qu'elle nous mettrait plus en état d'en faire. Il faut être bien malheureux pour rechercher les honneurs par de mauvaises voies, ou pour y aspirer seulement, afin de satisfaire plus commodément ses passions. La véritable gloire consiste dans l’estime des personnes qui sont elles-mêmes dignes d'estime, et cette estime ne s'accorde qu'au mérite. 
 
« Mais (dit la Bruyère) comme, après le mérite personnel, ce sont les éminentes dignités et les grands titres, dont les hommes tirent le plus de distinction et le plus d'éclat, qui ne fait être un Érasme, peut penser à être évêque ».

Concluons de tout ceci, que rien n'est plus intéressant pour l'homme que de mériter l’estime de ses semblables ; que ce désir, inné avec nous, le porte à consacrer ses talents, ses lumières et ses forces au bonheur général ; que le grand, le magistrat, le citoyen, qui a obtenu l’estime du public, qui désire de la conserver et de l’augmenter, croit ses devoirs trop importants, ses obligations trop étendues, pour chercher son bonheur dans les amusements, les distinctions, l'éclat que procurent le luxe et les richesses ; que l'amour de l’estime est en même temps, et un principe de vertu, et un préservatif contre la cupidité, contre les passions et contre le luxe, qui rendent les hommes ennemis du bonheur général et injustes.

Le désir d'acquérir de l’estime et de la conserver empêche les hommes puissants d'abuser de leur autorité, dans la crainte d'en être dépouillés par l'avilissement et le mépris. Il n'est point de nations dont l'histoire n'offre des citoyens, des magistrats, des grands, des souverains même, que l'avilissement a dépouillés de leur puissance, et fait rester dans le néant.

Malgré le respect des anciens Assyriens pour leurs rois, ils méprisèrent Sardanapale. Il tomba dans l'avilissement, parce qu'il n'employait sa puissance qu'à satisfaire sa sensualité, son luxe et sa passion pour la débauche : il perdit l'empire et la vie. Le mépris des peuples arma les conjurés contre Astyages, Xerxès, Vitellius, Héliogabale et tant d'autres. Le mépris et l'avilissement précipitèrent de leur trône Childeric, Venceslas, Sanche de Portugal, Édouard, Richard II, Henri VI, etc.

Le mépris et l'avilissement ont des effets effrayants pour tous les hommes puissants, et ils peuvent devenir un principe réprimant pour les méchants et les vicieux. La corruption ne peut aller jusqu'à les rendre indifférents sur cet état : les supplices et les tortures font plus effrayants pour l'imagination, mais ils sont en effet moins terribles.

La politique a donc, dans le désir de l'estime, et dans la crainte du mépris, deux moyens puissants de rendre les hommes utiles à la société, pour arrêter les vices dangereux. Elle peut, avec ces deux ressorts, créer les talents et les vertus, corriger ou contenir les vices et les crimes. Elle a dans l’estime une source inépuisable de récompenses qui n'appauvriront jamais l'État ; dans le mépris et l'ignominie, des punitions plus terribles que les supplices, mais qui conservent les citoyens, et qui les portent à faire de grands efforts pour effacer leur honte.

C'est ce qu'avait très bien conçu le sage législateur Charondas. Au lieu de décerner, comme bien d'autres, la peine de mort contre ceux qui quittaient leur rang à l'armée, ou qui refusaient de prendre les armes pour le service de la patrie, il les condamnait à être exposés trois jours de suite dans la place publique en habits de femme. Une de ses lois ordonnent que tous ceux qui seraient convaincus de calomnie, seraient conduits par les rues, portant sur la tête une couronne de romarin, comme pour faire voir à tout le monde qu'ils étaient au premier rang de la méchanceté. Plusieurs de ceux qui furent condamnés à cette fâcheuse espèce de triomphe, se donnèrent la mort pour prévenir l'ignominie. Voyez Mépris.

Référence.

Encyclopédie méthodique. Jurisprudence dédiée et présentée à Mgr. Hue de Miromesnil, tome IV, Panckoucke, Paris ; Plomteux, Liège, 1784, p. 341-345.

mardi 2 août 2011

Réorganisation des paroisses de Besançon, avril 1791.


Loi relative à la circonscription des paroisses dépendant des départemens du Doubs et de l'Eure 

Du 25 avril 1791
 (...).


DÉPARTEMENT DU DOUBS.

Ville de Besançon.

Article Premier. Il y aura huit paroisses pour la ville de Besançon intrà muros, et pour les campagnes environnantes ; savoir, la paroisse cathédrale, celles de Saint-Pierre, de Sainte-Madeleine, de Saint-Marcellin, de Saint-Donat, de Brégille, de Saint-Fergeux et de la Veze. Les paroisses de Saint-Jean-Baptiste, de Saint-Maurice, de Notre-Dame-de-Jussan-Montier et de Velotte, sont supprimées.

II. La paroisse épiscopale, desservie dans l'église métropolitaine et sous l'invocation de Saint-Jean-l'Évangéliste, comprendra dans son arrondissement le faubourg de Rivolte, les rues des Jacobins, du moulin de Rivolte et du Chambrier, la place aux vaux, les rues de Mont-Sainte-Marie, du Roudot, de Saint-Quentin, des Martelots, de la Lue, la rue des Patiens du côté droit en descendant le long du jardin de la Visitation, la place Dauphine, le côté gauche de la rue du Chanteur en descendant de la rue Saint-Maurice jusques et compris la maison qui saillit au joignant de celle des héritiers du sieur France, vis-à-vis la rue Saint-Paul, les deux côtés de la grande rue en montant jusqu'à l'église épiscopale, depuis et compris le n° 426 à droite, et le n° 573 à gauche ; la rue des Cannes du côté du jardin de Granvelle, sauf les bâtimens situés au fond dudit jardin ; l'autre côté de la rue des Carmes au joignant du jardin des Carmes jusqu'au milieu dudit jardin ; et une ligne qui du levant au couchant traverseroit par le milieu le jardin des Carmes, fera la séparation entre la paroisse épiscopale et celle de Saint-Marcellin. La paroisse épiscopale comprendra en outre les rues de Saint-Maurice et de Ronchaux, la place Saint-Quentin, les rues Saint-Jean-Baptiste, du Clos, du Casenat, de la Vieille-Monnoie, de Billon, avec toutes les rues, ruelles et places composant le quartier nommé le Chapitre, et la citadelle pour laquelle il ne sera rien innové quant-à-présent.

III. La paroisse de Saint-Pierre, desservie dans l'église et sous l'invocation de Saint-Pierre, comprendra les deux côtés de la grande rue depuis l'angle de la rue Baron, à droite et à gauche en descendant, depuis et compris la maison n° 428 jusqu'au pont; les deux quais, les rues des Clarisses, de l'Arbalète, de Saint-Pierre, d'Anvers et de la Bouteille, la place neuve, les rues basses du Saint-Esprit, de l'Abreuvoir, des Noyers, des Gleres grande et petite ; les rues des Ursules, des Chambrettes, du Collège, de Saint-Antoine, Baud, du Loup, des Béguines, des Cordeliers et la rue Poitime ; la rue des Granges, depuis la rue Baron d'une part, et la maison de la ci-devant abbaye de Battant d'autre part, en descendant jusqu'à la place neuve.

IV. La paroisse de Sainte-Madeleine, desservie dans l'église de ce nom, comprendra les quartiers de Battant, Charmont et Arènes, ainsi que le Fort-Griffon, au régime duquel il ne sera rien innové quant-à-présent pour l'exercice du culte ; cette paroisse aura la rivière du Doubs et le pont pour limites. 
 
V. La paroisse sons l'invocation de Saint-Marcellin, continuera d'être desservie dans l'église du ci-devant monastère de Saint-Vincent, et comprendra les deux côtés de la rue Saint-Vincent, depuis la rue du Perron d’une part, jusques et compris l’arsenal et la rue de l'Orme de Chamart ; elle comprendra cette dernière rue dès la maison n° 650 inclusivement, les Chamars, les moulins de la ville de l'Archevêque, les moulins et le faubourg de Tarragnoz, et tout ce qui est entre les portes Notre-Dame et de Malpas ; la rue Neuve, celle du Porteau, de l’Intendance, des Minimes, de Sainte-Anne et du Perron, y compris la maison n° 245 et les bâtimens situés au fond du jardin de Granvelle, et la moitié du jardin des Carmes, conformément à la ligne indiquée ci-dessus.

VI. La paroisse sous l'invocation de Saint-Donat continuera d'être desservie dans l'église de la ci-devant abbaye de Saint-Paul, et comprendra les deux côtés de la rue Saint-Paul, le côté à gauche de la rue des Granges en descendant, depuis et compris la maison des héritiers France, qui fait face à la rue Saint-Paul jusqu’à la rue Baron exclusivement ; la partie à droite de ladite rue des Granges, dès la rue Saint-Paul jusqu'à la maison appartenant à la ci-devant abbaye de Battant dans la rue des Granges exclusivement ; le côté à gauche de la rue du Chanteur en montant dès la rue Saint-Paul jusqu'à la rue des Patiens, et tout l'enclos des Bénédictines jusqu'à la place des Carmes ; les rues Henri et du clos Saint-Paul, le moulin de Saint-Paul, la place des Casernes, les casernes d'infanterie, de cavalerie et de maréchaussée, et l'hôpital de Saint-Louis, avec leurs adjacences et dépendances.

VII. L'église de Saint-Maurice sera conservée comme oratoire de la paroisse épiscopale, et il n'y sera point exercé de fonctions curiales.

Faubourgs et banlieue de la ville de Besançon. 
 
VIII. La paroisse de Brégille sera circonscrite ainsi qu'il est expliqué par l'arrêté susdaté

IX. La paroisse de Saint-Ferjeux et celle de la Veze, seront circonscrites ainsi qu'il est expliqué par l'arrêté susdaté du directoire du département. La paroisse de Saint-Ferjeux aura pour oratoire l'église de Valotte, où il ne pourra être exercé de fonctions curiales.

Référence.

Nouvelle législation ou collection complète et par ordre de matières de tous les décrets rendus par l’Assemblée Nationale Constituante, aux années 1789, 1790 et 1791, IIIe partie, Code ecclésiastique, tome 2, Devaux, Paris, 1792, p. 70-74.

lundi 1 août 2011

Les pratiques homosexuelles, selon P.-J. Dubreyne, 1846.

Ce texte, traduit du latin par l'auteur de ce blog, développe le point de vue de la théologie morale catholique romaine (du XVIIIe siècle) sur les pratiques homosexuelles. L'auteur de l'ouvrage source rappelle qu'il s'agit d'un « livre exclusivement destiné au clergé. » Le texte latin est en noir, la version française est en bleu.

 

§ II.

DE SODOMIA.

« Hoc peccatum esse execrandum, patet : 1° ex ejus notione, quôd ita sit contra naturam, ut ipsamet bruta illud regulariter abhorreant ; 2° ex igne quem Deus pluit in Sodomam et Gomorrham ; 3° ex Epist. ad Rom., l, ubi apostolus dicit : Gentilium sapientes propter suam idolatriam esse traditos in reprobum sensum et in hanc passionem ignominiosam, ut feminœ mutarent naturalem usum et masculi in masculos exarserint ; 4° ex pœnis in illud statutis : jure civili plectitur pœnâ ignis, C., lib. IX, tit. 7 ; jure canonico antiquo, clericus sodomita, depositus, detrudebatur in monasterium ad pœnitentiam agendam, etc. (Billuart, dissert. VI, art. 10.)

§ II.

DE LA SODOMIE.

Et donc, il est clair que ce péché doit être maudit, 1° à cause de son concept [même], qui est d’être contre nature, à tel point que les bêtes éprouvent régulièrement de la répugnance pour lui ; 2° à cause du feu que Dieu fit pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe ; 3° à cause de l’Épître aux Romains, chapitre 1, où l’Apôtre dit que les sages des nations, du fait de leur idolâtrie, ont été livrés à leur sens réprouvé et à cette passion honteuse, telle que les femmes ont changé l’usage naturel et que les hommes se sont enflammés pour des hommes ; 4°à cause des peines établies contre lui [ce péché] : la peine du feu est infligée par le droit civil, [selon] le Code de Justinien, livre 9, titre 7 ; selon le droit canonique antique, le clerc sodomite, déposé, est retranché dans un monastère, pour y faire pénitence ; etc. (Billuart, dissertation VI, article 10).

Horrendum illud scelus à S. Thomâ definitur : Concubitus ad non debitum sexum, putà masculi ad masculum, vel feminœ ad feminam.

Ce crime horrible est défini par S. Thomas : le coït avec le sexe non dû, par exemple d’un homme avec un homme, ou d’une femme avec une femme.

Ex quo inferendum masculum cœuntem cum feminà in vase indebito, nullatenùs esse sodomiam, quia est debitus sexus; et è contra feminam cœuntem cum feminâ in vase naturali esse veram sodomiam, quia est indebitus sexus. Undè concludendum S. Thomam totam malitiam sodomiæ deducere à sexu indebito, et non à vase indebito sexûs debiti. Hoc ultimum crimen, secundùm S. Doctôrem, non verô est sodomia, sed tantùm modus innaturalis concumbendi.

De là, il faut inférer qu’un homme couchant avec une femme dans le vase indu, n’est nullement sodomite, parce qu’[il s’agit] du sexe dû ; et, au contraire, qu’une femme couchant avec une femme dans le vase naturel, est une sodomite vraie, parce qu’[il s’agit] du sexe indu. De là, il faut conclure que S. Thomas déduit la totalité du mal de sodomie du sexe indu, et non du vase indu du sexe dû. Cette dernière faute, selon le saint Docteur, n’est pas vraiment de la sodomie, mais seulement une manière non-naturelle d’avoir des relations sexuelles.

At quia apud majorem theologorum partem usus prœvaluit ut concubitus in vase indebito sexûs debiti existimetur sodomia imperfecta, in hoc et in aliis multis morem usui simpliciter geremus.

Mais parce que, selon la majeure partie des théologiens, l’usage a prévalu que le coït dans le vase indu du sexe dû est estimé [être] sodomie imparfaite, nous serons tout bonnement complaisants pour l’usage, [exprimé] en cet endroit et en beaucoup d’autres.

Idcircô coitus viri cum muliere in vase indebito est sodomia imperfecta, distincta à perfectâ, quæ est concubitus masculi cum masculo, vel feminæ cum feminâ.

Pour cette raison, le coït d’un homme avec un femme dans le vase indu est de la sodomie imparfaite, distincte de la [sodomie] parfaite, qui est la relation sexuelle d’un homme avec un homme ou d’une femme avec une femme.

Non refert in quo vase vel quâ corporis parte cœant masculi aut feminæ inter se, cùm malitia sodomiæ in affectu ad sexum indebitum consistat et completa vel perfecta sit in genere suo, dùm applicatur corpus ad quodvis vas vel quamlibet corporis partem ejusdem sexûs per modum concubitûs; si autem fieret tantùm applicatio manûs, pedis, etc., ad alterius organa, etiamsi ex utrâque parte pollutio sequeretur, non reputaretur sodomia, quia non esset verus concubitus, nec physicus aut materialis, nec moralis vel effectivus.

Peu importe dans quel vase ou quelle partie du corps les hommes ou les femmes coïtent ensemble, puisque le mal de sodomie consiste dans le désir du sexe indu et que [la sodomie] complète ou parfaite a lieu avec [une personne] de son [propre] genre, en joignant le corps, selon le mode du coït, à quelque vase que ce soit et à quelque partie du corps que ce soit, [mais d’une personne] de même sexe ; or si une telle application de la main, du pied, etc., était faite sur d’autres organes, même s’il était suivi de part et d’autre d’une éjaculation, cela ne serait pas réputé être de la sodomie, parce qu’il ne s’agit pas d’un vrai coït, ni physique ou matériel, ni moral ou effectif.

Ad imperfectam sodomiam sufficit ut masculus et femina cœant non servatis instrumentis naturalibus vel organis debitis, cum affectu ad præposteras partes vel malum concubitûs finem.

Pour [qu’il y ait] une sodomie imparfaite, il suffit qu’un homme et une femme coïtent, en ne se servant pas des outils naturels ou des organes dus, [mais] selon un désir orienté vers les parties contre nature et vers le mauvais but  du coït.

In confessione aperiendum est cujus naturæ fuerit sodomia, an fuerit perpetrata cum personâ conjugatâ, Deo dicatâ vel consanguineâ ; tunc enim additur malitia adulterii, sacrilegii vel incestûs.

En confession, on doit s’ouvrir de la nature de la sodomie qui a eu lieu, si elle a été perpétrée avec une personne mariée, consacrée à Dieu ou consanguine ; alors, en effet, s’y ajoute le mal d’adultère, de sacrilège ou d’inceste.

Multis theologis videtur declarandas esse in confessione circumstantias agentis vel patientis. Attamen, secundùm Billuart, Loth et alios, « circumstantia agentis non mutât speciem, nec videtur notabiliter aggravare. » Multô tutior videtur priorum sententia, et non dubitandum quin, si uterque vicissim agens et patiens fuerit, scelus longè gravius sit.

À de nombreux théologiens, il semble, qu’en confession, doivent être déclarées les positions de passif ou d’actif. Mais cependant, selon Billuart, Loth et alii, « la position d’actif ne change pas la classe [morale], et ne semble pas l’aggraver nettement. » La sentence des premiers semble beaucoup plus prudente, et, bien mieux, on ne doit pas en douter, si chacun des deux, à son tour a été actif et passif, et que le crime soit plus grave par sa longévité.

« Dicunt Spor., Holz., et Tam., n. 77, cum Angel., ait S. Alphonse de Ligori, quôd confessarius, intelligens mulierem cognitam fuisse extra vas naturale, vel præposterum, non debet quærere in quo loco et quomodô. » (S. Ligorio, lib. III, n. 466.) DD. Gousset idem affirmât juxta B. Ligorio.

« Patrice Sporer, Appolonio Holzmann, et Thomas Tamburini, au numéro 77, disent, avec Thomas de Angelo, dit S. Alphonse de Ligori, que le confesseur, comprenant qu’une femme a été connue hors du vase naturel, et contre nature, ne doit pas rechercher dans quel lieu et comment. » (S. Alphonse de Ligori, livre III, n° 466.) DD. Gousset affirme la même chose, d’une façon proche de S. Alphonse de Ligori.

Apud eumdem S. Ligorio dicunt Ronc., Tamb. et Salm., contra Graff. : « Non esse necessariô in confessione explicandum si pollutio fuerit intra vel extra vas ; sufficit enim confiteri : peccavi cum puero, ut confessarius judicet admisse sodomiam cum pollutione. Si verô non fuerit pollutio deberet explicari. » Istud peccavi cum puero nobis nimis vagum et generale videtur. Intelligibiliùs diceretur : concubui cum puero, cum additione circumstantiæ pollutionis vel non pollutionis. Si seminatio intra vas possibilis esset, tunc foret sodomia perfecta, consummata et completa ; et tantùm perfecta et non completa, si extra vas, ut dicunt nonnulli.

Selon le même S. Alphonse de Ligori, Constantin Roncaglia, Thomas Tamburini et les Salmenticenses, disent contre Giacomo Graffi : « Il n’est pas nécessaire en confession de préciser si l’éjaculation a eu lieu dans ou hors le vase ; il suffit en effet de confesser : j’ai péché avec un garçon/jeune homme [Voyez la remarque 9], de telle façon que le confesseur juge que la sodomie a été perpétrée avec éjaculation. Si, vraiment, il n’y a pas eu d’éjaculation, cela devrait être précisé. » Ce j’ai péché avec un garçon/jeune homme, nous semble trop vague et général. On dirait de façon plus intelligible : j’ai couché avec un garçon/jeune homme, avec l’ajout des circonstances de l’éjaculation ou de la non-éjaculation. Si l’éjaculation a été possible dans le vase, alors il s’agira d’une sodomie parfaite, consommée et complète ; et seulement parfaite et non pas complète, si [elle a eu lieu] hors du vase, comme le disent quelques uns.

Quod ad pueros attinet, quoniam de pueris loquimur, hodierno infelici tempore istud scelus nefandum sæpissimè in pueros furens irruit : undè nunc generaliter pederastia nuncupatur.

Pour ce qui touche les garçons/jeunes gens, puisque nous parlons des garçons/jeunes gens, en ce malheureux temps présent, ce crime abominable [et] délirant fond très souvent sur les garçons/jeunes gens : de là, il est désigné maintenant généralement par [le terme de] pédérastie.

Nous terminons ce triste paragraphe en avertissant que l'on doit toujours s'enquérir auprès de l'autorité supérieure si le crime dont il s'agit est réservé à l'évêque, et dans quel cas il est réservé. Il paraît que, dans beaucoup de diocèses, les deux espèces, la parfaite et l'imparfaite, sont réservées.

Référence.

Pierre Jean Corneille Debreyne, chialogie: traité des péchés contre les sixième et neuvième commandements du décalogue, 4e édition, revue, corrigée et augmentée, Poussielgue Frères, 1868, p. 84-87


Remarques.

1. Pierre Jean-Corneille Debreyne, médecin français, trappiste, né à Quœdypre, près Dunkerque, le 7 novembre 1786, fit ses études médicales à Paris et y fut reçu docteur en 1814. Après quelques années de pratique et d'enseignement à la Faculté, il fut attaché comme médecin au couvent de la Trappe, près Mortagne, dans le département de l'Orne, et prit lui-même, vers 1840, l'habit de l'ordre. Les nombreux ouvrages qu'il y a composés, surtout depuis cette époque, au milieu d'une solitude et d'une concentration favorables à l'étude, tiennent à la fois de la science, de la théologie et du mysticisme.

Nous nous bornerons à indiquer, parmi ses ouvrages de médecine pure : Considérations philosophiques, morales et religieuses sur le matérialisme moderne (1829) : Thérapeutique appliquée aux traitements spéciaux des maladies chroniques (1840) ; Précis sur la physiologie humaine; Des vertus thérapeutiques de la belladone (1851), couronné en Belgique.

Quelques-uns de ses écrits ont un caractère plus spécial : Pensées d'un croyant catholique ; du Suicide et du duel ; Précis de physiologie catholique et philosophique ; le Prêtre et le médecin devant la société ; Étude de la mort ; Essai sur la théologie morale; le Dimanche, ou Nécessité physiologique, hygiénique, politique, sociale, morale et religieuse du repos heptamérique ; Colonie agricole fondée à la GrandeTrappe, Agriculture monastique (1845-1853) ; Mœchialogie, ou Traité des péchés contre les VIe et IXe commandements, avec un abrégé pratique d'Embryologie sacrée (1846. in-8; 2e édition, 1856, in-4) « livre exclusivement destiné au clergé, » et dont l'auteur rappelle tous ses titres de médecin, professeur, prêtre et religieux de la Trappe.

2. Les Salmaticenses désigne les théologiens de l’école de Salamanque en Espagne.

3. Constantin Roncaglia, ( mort en 1737) de la Congrégation de la Mère de Dieu, était né à Lucques et y mourut. Il donna une édition de l'Histoire Ecclésiastique de l'ancien et du nouveau Testament, de Noël Alexandre, avec des remarques, édition augmentée depuis par Manzi, et formellement autorisée par un décret de l''Index ; Théologie Morale, Lucques, 1730, 2 vol. in-fol. ; —Effets de la prétendue réforme de Luther, de Calvin et du Jansénisme ;Histoire des Variations des églises protestantes,— et la Famille Chrétienne instruite de ses obligations.

4. Patritius Sporer (mort en 1683) était un théologien moraliste franciscain allemand. Sporer naquit et mourut à Passau, en Bavière. En 1637, il entra dans l’ordre des Frères Mineurs, dans le couvent de sa ville natale, qui appartenait à la province de Strasbourg. Il enseigna la théologie de nombreuses années, et obtint le titre de Lector Jubilatus. Il fut le théologien de l’évêque de Passau. Il est l’auteur de Amor Dei super omnia (Würzbourg, 1662); Actionum humanarum immediata regula conscientia moraliter explicata atque ad disputationem publicam exposita (Würzburg, 1660); Theologia moralis, decalogalis et sacramentalis (3 folio vols., 1681 ; réédition, Salzbourg, 1692 ; Venise, 1724, 1726, 1755, 1756) ; Tyrocinium theologiæ moralis, conscientiam, actvm humanvm et peccatvm in genere (Würtzbourg, 1660) ; Theologiæ moralis super Decalogum (Salzbourg, 1685).

5. Tommaso Tamburini (1591 – 1675, Palerme, Sicile) était un théologien jésuite italien. Il naquit à Caltanisetta en Sicile et entra dans la Compagnie de Jésus à quinze ans. Il se distingua alors par ses talents d’enseignant. Après un parcours d’études réussi, il obtint une chaire de philosophie pendant quatre ans, de théologie dogmatique, pendant sept ans et de théologie morale pendant dix-sept ans. Pendant treize ans, il fut recteur de nombreuses universités. Pour ses œuvres voir l’article de Wikipedia en anglais.

6. Giacomo Graffi/de Graffiis est né à Capoue en 1548. Il se fit Religieux bénédictin du Monastère de saint Séverin de Naples, de la Congrégation du Mont-Cassìn, et fut docteur en droit, et grand Pénitencier de Naples. Il nous a laissé un ouvrage de morale intitulé: Decisiones aurea, in-4 dont la première partie est divisée en quatre livres, et la seconde ajoutée à la première en 1593. aussi en quatre Livres. La première édition est de Naples en 1590 et l’ouvrage entier fut réimprimé trois fois à Venise, deux fois à Turin; puis à Lyon et à Anvers.

7. Appolonius Holzmann était un théologien franciscain, né à Rieden en Souabe en 1681. Il entra en 1699 à Bamberg, dans l’ordre franciscain et résida en plusieurs couvents de la province d’Allemagne méridionale. Il fut lector de philosophie et de théologie (en 1737, il se décrivait comme Lector Theologiæ Emeritus) à Vorchheim, puis vécut à Bamberg où il fut actif en tant que confesseur de la cathédrale et président des conférences morales du clergé. Il publia une Theologia moralis, en deux volume in-folio (Kempten, 1737 et 1740) et un Jus canonicum en un volume in-folio (Kempten et Augsbourg, 1749). Benoît XIV aurait dit de sa théologie morale : « Ebel écrit pour Ebel, Sporer pour les jeunes gens, Hozman pour les érudits. »

8. Alphonse de Liguori naquit au manoir de son père, à Marianella, quartier de Naples, en septembre 1696 et mourut à Nocera de Pagani, en août 1787. Il embrassa l'état ecclésiastique à 27 ans et évangélisa les pauvres des campagnes. Issu de la haute société napolitaine, orateur doué, il fonda la congrégation du Très Saint Rédempteur, dont les membres sont appelés Rédemptoristes. Il représente une référence en matière de théologie morale.

9. Pueritia, dans son acception la plus large, s'étend depuis la naissance jusqu'à la vingtième année, et même au delà. Elle embrasse :

1° l’infantia (de in négatif et fari), ou prima pueritia, depuis la naissance jusqu'à sept ans ;

2° la pueritia proprement dite (sens restreint), depuis sept ans jusqu'à dix-sept ;

3° une période peu définie qui commence à dix-sept ans et se prolonge dans l'adolescence ou prima juventus. Ainsi Auguste est encore appelé puer à l'âge de dix-neuf ans, et Scipion à l'âge de vingt ans.

[La source de chaque remarque est indiquée par le moyen de l’hyperlien.]

De la sodomie, de la bestialité et de la nécrophilie, selon Ch. R. Billuart, 1746-1751.


Ce texte, traduit du latin par l'auteur de ce blog, développe le point de vue de la théologie morale catholique romaine (du XVIIIe siècle) sur les pratiques sexuelles considérées comme contre nature : pratiques homosexuelles, zoophiles, et nécrophiles rassemblées dans un même article. On s'y intéresse même aux relations sexuelles avec un démon. Charles René Billuart (1685-1747) était un théologien français, provincial dominicain, qui publia un Cours de théologie d'après S. Thomas d'Aquin en 19 volumes. Le texte latin est en noir, la version française est en bleu.



ARTICULUS X. De bestialitate et sodomia.

Circa bestialitatem et sodomiam pauca occurrunt dicenda quæ breviter perstringam.

Quantum ad bestialitatem.

Imprimis hujus sceleris atrocitatem probant pœnæ in illud latæ. Levit. 20, jubetur ut bestia et bestialitatem committens simul interficiantur; apud christianos flammis addicuntur.


Article X. De la bestialité et de la sodomie.

Autour de la bestialité et de la sodomie, il y a peu de choses à dire, [choses] que j’effleurerai brièvement.

En ce qui concerne la bestialité.

Avant tout, les peines en vigueur [qui] lui [sont] liées, prouvent la monstruosité de ce crime. Au Lévitique 20, il est ordonné que l’animal et celui qui commet [l’acte de] bestialité soient tués ensemble ; chez les chrétiens, ils sont voués aux flammes.

Quando concubitus fit cum dæmone, præter malitiam bestialitatis, habet etiam malitiam superstitionis, quatenus includit societatem cum dæmone, Dei et nostri hoste infensissimo, quod ideo debet explicari in confessione. Item attendendum sub qua forma appareat dæmon: si sub forma bruti, nihil addit; si sub forma humana, vel sub forma viri ad virum, vel mulieris ad mulierem, et sic contrahit secundum affectum malitiam sodomiæ si sub forma alterius conjugis diversi sexus, malitiam adulterii; si sub forma monialis, malitiam sacrilegii; et sic de cæteris. Et hæc sunt in confessione explicanda.

Quand le coït se fait avec le démon, outre le mal de bestialité, il y a aussi le mal de superstition, puisqu’il inclut l’association avec le démon, l’ennemi très hostile de notre Dieu, ce qui doit, pour cette raison, être précisé en confession. De même, il faut prendre garde à la forme sous laquelle le démon apparaît : si c’est sous la forme d’une bête, cela n’ajoute rien ; si c’est sous forme humaine, soit sous la forme d’un homme pour un homme, soit d’une femme pour un femme, alors il s’y joint suivant la situation, le mal de sodomie, si [c’est] sous la forme d’un [partenaire] autre que le conjoint [et] de l’autre sexe, [il s’y joint] le mal d’adultère ; si [c’est] sous la forme d’une religieuse, [il s’y joint] le mal de sacrilège ; et ainsi de suite. Et cela doit être précisé en confession.

Petes 1° utrum in confessione debeat explicari utrum dæmon fuerit incubus aut succubus ?

Question 1. Est-ce que, en confession, doit être précisé [le fait de savoir] si le démon était incube ou succube [= a eu une relation sexuelle en étant dessus ou dessous] ?

R. negative. Hæc enim circumstantia non est mutans speciem, neque multum aggravans; non enim peccatum viri incumbentis est diversæ speciei a peccato mulieris succubæ, nec multum gravius. 

Non: En effet, cette position ne change pas la classe [morale], ni ne l’aggrave de beaucoup ; en effet, le péché d’un homme incube n’est pas d’une espèce différente de celui d’une femme succube, ni beaucoup plus grave.

Petes 2° utrum sit necesse explicare speciem bestiæ ?

Question 2. Est-ce qu’il est nécessaire de préciser l’espèce de l’animal ?

R. negalive. Quia id non mutat speciem in genere moris nec multum aggravat. Ita Sylvius, Chapeauville, Bonac. et alii.

Non. Parce que cela ne change pas la classe en matière de morale, ni ne l’aggrave de beaucoup. Ainsi, [vois] Sylvius, Chapeauville, Bonac, et alii.

Petes 3° utrum si non sit seminatio intra vas, bestialitas sit casus reservatus, ubi reservatur ?

Question 3. Est-ce que, si l’éjaculation n’a pas lieu dans le vase [et que] la bestialité est un cas réservé, dans quel cas est-il réservé ?

R. negative. Quia cum reservatio sit odiosa, non cadit nisi supra actum consummatum, ut iterum dicam de sodomia.

Non. Parce que, étant donné que la réserve est odieuse, elle se rapporte seulement à un acte consommé, comme je le dirai de nouveau au sujet de la sodomie.

Petes 4°ad quam speciem vitii contra naturam pertinet coitus viri cum fœmina mortua ?

Question 4. À quelle espèce de vice contre nature appartient le coït avec une femme morte ?

R. Quidam reducunt ad bestialitatem, quia fœmina mortua non est amplius fœmina et specie differt a viro vivente. Non est tamen, inquiunt, proprie bestialitas; quia bestialitas stricte intelligitur de concubitu viventium diversæ speciei: alii reducunt ad fornicationem, quia fœmina mortua dicitur adhuc licet æquivoce fœmina, sicut oculus mortuus dicitur æquivoce oculus : nec tamen inquiunt, est proprie fornicatio, quia fornicatio proprie est inter personas ejusdem speciei. Alii tandem reducunt ad pollutionem, sicut qui coiret cum pictura aut statua. Forte participat aliquid de istis omnibus secundum rem : secundum autem affectum multiplicatur malitia secundum diversas conditiones quas concumbens apprehendit in illa muliere et quas habebat dum viveret, scilicet adulterii si fuerit conjugata, incestus si fuerit consanguinea, et sic de cæteris, quia ista copula procedit ex affectu quem habebat ad illam viventem.

Réponse. Certains le réduisent à la bestialité, parce qu’une femme morte n’est pas une femme de plus et diffère par l’espèce d’un homme vivant. Ce n’est pas, cependant, disent-ils, proprement de la bestialité ; parce que la bestialité s’entend strictement du coït d’[êtres] vivants d’espèces différentes : les autres le réduisent à la fornication, parce qu’une femme morte est encore appelée jusqu’à présent femme avec équivoque, tout comme un œil mort est appelé œil avec équivoque : et cependant, il ne disent pas qu’[il s’agit] proprement de fornication, parce que la fornication a lieu proprement entre personnes de même espèce. Les autres, enfin, la réduisent à la masturbation, comme [dans le cas de] celui qui aurait un coït avec une image ou une statue. D’aventure, il fait participer quelque autre [mal], selon la chose, à tout cela : et [c'est] selon la situation] que le mal est augmenté, et suivant les diverses conditions dans lesquelles se trouve celui qui a une relation sexuelle, vis-à-vis de cette femme et dans lesquelles elle se trouvait lorsqu'elle vivait [encore], à savoir, [le mal] d’adultère, si elle était mariée, le [mal] d’inceste, si elle était consanguine, et ainsi de suite, parce que ce coït procède de la situation dans lequel il était vis-à-vis de celle-ci quand elle vivait [encore].

Q. 154. a. 11. o.—Quantum ad sodomiam, est, ut jam dixi, concubitus ad indebitum sexum. Ubi vides S. Thomam totam malitiam sodomiæ repetere a sexu indebito, nullatenus a vase indebito sexus debiti, ut quidam ipsi perperam tribuunt, indeque volunt id ultimum esse sodomiam saltem imperfectam; cum e contra S. Doctor hoc ultimum expresse — Ibid. — reponat in altera specie, nimirum, modi innaturalis concumbendi.

S. Thomas d’Aquin, Somme théologique, deuxième partie de la deuxième partie, question 154, article 11, Objections. — Quant à la sodomie, il s’agit, comme je l’ai déjà dit, du coït avec le sexe indu [ = avec lequel on doit pas coïter]. Dans [cet article], tu peux voir que S. Thomas ramène tout le mal de sodomie au sexe indu, [et] nullement au vase indu du sexe dû [=l’anus et le rectum d’une personne de sexe opposé], comme certains même l’impute de travers, et de là, ils veulent que ce dernier point soit au moins [appelé] sodomie imparfaite ; lorsque, au contraire, le S. docteur replace clairement ce dernier point— au même article — assurément, dans une autre classe de manières non-naturelles d’avoir des relations sexuelles.

Ex quo inferes, virum cœuntem cum muliere in vase præpostero, nullatenus secundum S. Thomam esse sodomitam; et e contra mulieres cœuntes in vase naturali esse vere sodomitas, quia est indebitus sexus. Ita Cajetanus, Sylvester, Bonac, et alii. Quia tamen usus invaluit apud majorem partem theologorum, ut coitus in vase indebito sexus debiti dicatur sodomia imperfecta, morem usui gerentes, loquemur cum multis, censebimus cum paucis.

De cela tu infères, qu’un homme qui couche avec une femme dans le vase contre nature n’est nullement sodomite, selon S. Thomas ; et au contraire, que des femmes couchant ensemble dans le vase naturel [= la vulve et le vagin] sont vraiment sodomites, parce qu’il s’agit du sexe indû. Ainsi, [vois] Cajetan, Sylvester, Bonac, et alli. Parce que, cependant, l’usage a prévalu chez la majeure partie des théologiens, [de dire] que le coït dans le vase indu du sexe dû est appelé sodomie imparfaite, [et] complaisant à l’usage, nous parlerons avec les plus nombreux, nous seront de l’avis des plus rares.

Hoc autem peccatum esse execrandum, patet 1° ex ejus notione, quod ita sit contra naturam, ut ipsam et bruta illud regulariter abhorreant; 2° ex igne quem Deus pluit in Sodomam et Gomorrham; 3° ex Epist. Rom. 1, ubi Apostolus dicit, gentilium sapientes propter suam idolatriam esse traditos in reprobum sensum et in hanc passionem ignominiosam, ut fœminæ mutarent naturalem usum et masculi in masculos exarserint; 4° ex pœnis in illud statutis: jure civili plectitur pœna ignis, C. lib. 9, tit. 7; jure canonico antiquo, clericus sodomita, depositus, detrudebatur in monasterium ad pœnitentiam agendam; jure novo Pii V, bulla Horrendum illud scelus, clericus exercens sodomiam, privatus omni privilegio clericali, officio, beneficio, dignitate et gradu dejectus, sæculari potestati traditur.

Et donc, il est clair que ce péché doit être maudit, 1° à cause de son concept [même], qui est d’être contre nature, à tel point que les bêtes éprouvent régulièrement de la répugnance pour lui ; 2° à cause du feu que Dieu fit pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe ; 3° à cause de l’Épître aux Romains, chapitre 1, où l’Apôtre dit que les sages des nations, du fait de leur idolâtrie, ont été livrés à leur sens réprouvé et à cette passion honteuse, telle que les femmes ont changé l’usage naturel et que les hommes se sont enflammés pour des hommes ; 4°à cause des peines établies contre lui [ce péché] : la peine du feu est infligée par le droit civil, [selon] le Code de Justinien, livre 9 , titre 7 ; selon le droit canonique antique, le clerc sodomite, déposé, est retranché dans un monastère, pour y faire pénitence ; selon le droit moderne de Pie V, la bulle Horrendum illud scelus, le clerc pratiquant la sodomie, privé de tout privilège clérical, de tout office, bénéfice, dignité et dégradé, est livré au pouvoir séculier.

Sed hæ pœnæ requirunt sententiam judicis. Advertunt etiam auctores, eum qui semel aut iterum committit sodomiam, his pœnis constitutionis Pianæ non esse subjiciendum, quia loquitur de clerico qui exercet sodomiam; aliquis autem dicitur aliquid exercere quod illud non semel aut bis, sed frequenter facit, sicut dicitur mercaturam exercere qui illi frequenter addicitur.

Mais ces peines requièrent une sentence du juge. Les auteurs remarquent aussi que celui qui commet la sodomie une fois et une seconde fois, ne doit pas être soumis à ces peines de la constitution de Pie [V], parce qu’on y parle [seulement] du clerc qui pratique la sodomie ; Or quelqu’un est dit pratiquer quelque chose parce qu’il le fait non pas un fois, ni deux, mais fréquemment, comme il est dit qu’il exerce le métier de marchand, celui qui s’y adonne fréquemment.

Petes 1° utrum sodomita seminans extra vas, sive tentaverit illud penetrare , aut etiam penetraverit et se retraxerit, sive non, incurrat pœnas latas et reservationem, ubi sodomia est reservata ?

Question 1. Est-ce que le sodomite éjaculant en dehors du vase, soit qu’il ait essayé de le pénétrer, et même qu’il l’ait pénétré et s’en soit retiré, soit [qu’il n’ait] pas [essayé], encourt les peines en vigueur et la réserve, dans le cas où la sodomie a été réservée ?

R. negative. Ita communiter; quia cum pœna et reservatio sint odiosa, non intelliguntur afficere nisi peccatum consummatum; consummatur autem sodomia per seminationem intra vas.

Non. [C’est] ainsi en général ; parce que, étant donné que la peine et la réserve sont odieuses, elles ne sont pas censées s’appliquer si le péché n’est pas consommé ; or la sodomie est consommée par l’éjaculation dans le vase.

Petes 2° utrum sodomita debeat explicare in confessione an fuerit agens aut patiens?

Question 2. Est-ce que le sodomite doit préciser en confession s’il a été actif ou passif ?

R. Mihi probabile est quod non. Ita Loth et alii quos citat; quia hæc circumstantia non mutat speciem, nec videtur notabiliter aggravare; sicut in fornicatione peccatum masculi agentis non est alterius speciei nec multum gravius peccato fœminæ patientis. Si dicas in sodomia agentem seminare, non patientem : respondeo etiam in fornicatione fœminam non semper seminare, nec tamen inde videtur multum minui ejus peccatum, neque aggravari peccatum masculi, sic, ut talis circumstantia sit explicanda. Insuper, raro, ut puto, contingit patientem in his immunditiis non seminare. Si iterum opponas peccatum agentis esse gravius et gravius puniri: esto, sed id non probat esse notabiliter gravius, sic, ut oporteat confiteri.

R. Selon moi, il est probable que non. Ainsi, [vois] Loth et alii, qu’il cite ; parce que cette position ne change pas la classe [morale], et n’est pas perçue comme l’aggravant nettement ; comme dans la fornication, le péché de l’homme actif n’est pas d’une autre espèce ni beaucoup plus grave que le péché de la femme passive. Si tu dis, que dans la sodomie, l’actif a éjaculé, et non le passif : je réponds que, même dans la fornication, la femme ne procrée [seminatio : éjaculation ; seminare : éjaculer, procréer] pas toujours, et cependant, à partir de là, on ne considère pas son péché comme beaucoup moins grave, ni que le péché de l’homme [en] est aggravé, et ainsi, cela ne nécessite pas qu'une telle position soit précisée. En outre, c’est rarement, je pense, que le patient n’éjacule pas, en [pratiquant] ses impuretés. Si une seconde fois, tu opposes que le péché de l’actif est plus grave et est puni plus gravement, soit !, mais cela ne prouve pas qu’il soit clairement plus grave, de façon telle qu’il convienne d’être confessé.

Petes 3° utrum, dum sodomia exercetur inter consanguineos aut affines, conjugatos, voto adstrictos, etc, contrahat malitiam incestus, adulterii, sacrilegii, etc.

Question 3. Est-ce que, lorsque la sodomie est pratiquée entre consanguins ou entre parents par alliance, conjoints, personnes liées par un vœu, etc., s’y ajoute le mal d’inceste, d’adultère, de sacrilège, etc. ?

R. affirmative; eo tamen sensu quo dixi supra, art. præcedenti, prima conclusione, sub finem. Scio quosdam id negare de consanguineis aut affinibus in gradibus solo jure positivo prohibitis. Sed vide quæ ad hoc respondi art. hujus dissert. in fine.

Oui ; cependant en ce sens que j’ai dit ci-dessus, à l’article précédent, dans la première conclusion avant la fin. Je sais que certains le nie, seul le droit positif prohibant les degrés de consanguinité ou d’affinité [parenté par alliance]. Mais vois les choses que j’ai répondues à l’article final de cette dissertation.

Référence.

F. Charles René Billuart, Summa Sancti Thomæ hodiernis academiarum moribus accomodata, sive cursus theologiæ juxta mentem Divi Thomæ [Somme de Saint Thomas, accommodée aux usages actuels des académies, ou cours de théologie selon l’esprit de Saint Thomas], nouvelle édition augmentée, tome VII, Tractatus de temperantia, Pelagaud et Lesne, Lyon, 1839, p. 168-169.