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jeudi 6 décembre 2012

L'erreur du catholicisme libéral, selon l'abbé Leclerc, 1874


Le texte suivant permet de donner une idée des débats qui eurent lieu au XIXe entre la hiérarchie de l'Église catholique romaine et les représentants du catholicisme libéral, puis après 1965, entre les représentants du traditionalisme catholique romain et les défenseurs du deuxième concile des évêques catholiques romains du Vatican (1962-1965).

Dans le contexte actuel de remise en cause partielle du système français de la laïcité de l'État, il est bon de se rappeler d'où nous venons...



Les catholiques libéraux se rallient comme d'instinct à ces deux mots d'ordre : « Il n'y a pas de catholiques libéraux. — J'explique le Syllabus comme Mgr Dupanloup et je suis catholique comme Montalembert. »

C'est un des caractères de l'erreur libérale de fuir le terrain de la discussion sur les principes, pour se réfugier dans l'appréciation des faits. Il importe de miner ce dernier retranchement, bien connu, de toute erreur, en attendant que l'autorité suprême le renverse de fond en comble.

I. Et d'abord, il y a un catholicisme libéral : car on peut le définir, on peut le saisir, bien qu'il essaye de s'échapper par des voies tortueuses. Le catholicisme libéral est « la maxime fausse et absurde, ou plutôt extravagante, qu'on doit procurer à chacun la liberté de conscience.» (Encyclique Mirari Vos). Si l'on veut une définition plus explicite encore, après avoir entendu Grégoire XVI, qu'on écoute Pie IX : « Le libéralisme prétend « qu'il est faux que la liberté de tous les cultes et le plein pouvoir laissé à tous de manifester ouvertement et publiquement toutes leurs pensées, toutes leurs opinions, jettent plus facilement les peuples dans la corruption des mœurs et de l'esprit, et propage la » peste de l'indifférence. » (Encyclique Quanta Cura, proposition 79e).

Ajoutons deux autres définitions. Le libéralisme est l'erreur de ceux qui affirment « qu'à notre époque, il n'est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l'unique religion de l’État, à l'exclusion de toutes les autres. » (Syllabus, proposition 77e) ou, encore, c'est l'erreur de ceux qui disent : « C'est avec raison que, dans certains pays catholiques, la loi a pourvu à ce que les étrangers qui s'y rendent y jouissent de l'exercice public de leurs cultes particuliers. » (Syllabus, proposition 78e).

Voilà la thèse.

Considérons, maintenant, l'hypothèse.

« Dans certaines circonstances, écrivait, au nom de Grégoire XVI, le cardinal Pacca à Lamennais, en lui envoyant un, exemplaire de l'Encyclique Mirari vos, la prudence exige de tolérer ces libertés (c'est-à-dire la liberté de conscience, etc.) afin d'éviter un plus grand mal ; mais elles ne peuvent jamais être présentées comme un bien, comme une chose désirable. »

II. Cette erreur étant ainsi définie, peut-on expliquer le Syllabus comme Mgr l'évêque d'Orléans ? Oui et non.

Quand on s'adresse, comme l'a fait l'illustre évêque, aux journalistes de la mauvaise presse, aux libres penseurs et aux impies de notre époque, à ceux qui ne voient pas de différence entre Jésus-Christ et Mahomet, entre la vérité et l'erreur, ni même entre le bien et le mal, et qu'on essaye de débarrasser l'Encyclique de tous les préjugés et de toutes les calomnies amoncelées sur elle, on peut expliquer ainsi négativement le Syllabus, et bien mériter de l'Église et de la patrie; mais si l'on s'adresse à des catholiques et si l'on veut parler d'une explication positive du Syllabus, on ne peut pas s'en tenir à celle de Mgr Dupanloup, car il n'a jamais donné une semblable explication, et, quoiqu'il ait fait la distinction de la thèse et de l'hypothèse pour faire entendre aux ignorants combien il fallait étudier et réfléchir avant de juger un document comme le Syllabus, il n'est jamais véritablement entré dans la thèse ni dans l'hypothèse. Que ceux qui veulent s'en convaincre relisent la Convention du 15 septembre et l'Encyclique, ou le bref de félicitations adressé à l'auteur : « Nous vous félicitons d'avoir relevé et justement livré au mépris les calomnies et les erreurs des journaux qui avaient si misérablement défiguré le sens de la doctrine proposée par Nous, certain d'ailleurs, que vous enseignerez et ferez comprendre à votre peuple le vrai sens de Nos lettres avec d'autant plus de zèle et de soin que vous avez réfuté plus vigoureusement les calomnieuses interprétations qu'on leur infligeait. »

III. Arrivons maintenant à la dernière question : Peut on être « catholique comme Montalembert? » Il ne s'agit pas de savoir si l'orateur de Malines était de bonne foi ; nous ne contesterons même pas qu'il ait été en son temps le plus ardent champion de l'Église catholique et qu'il lui ait rendu d'éminents services. La question est de savoir si les propositions condamnées du Syllabus sont contenues dans les écrits de Montalembert et spécialement dans ses deux discours au Congrès de Malines, en 1863, et si, après la publication du document pontifical, il est permis de tenir les propositions que l'orateur catholique a pu émettre de bonne foi. Je sais bien qu'on m'objectera que l'illustre défenseur de l’Église s'est placé dans l'hypothèse et non dans la thèse ; mais il sera facile de prouver que, malgré son intention de faire non de la politique, mais de la théologie (ce qui est déjà une distinction libérale, il a affirmé des principes et fait un symbole, comme il n'a pas craint de le dire lui-même dans son explication de la fameuse maxime : l’Église libre dans l’État libre. « Voyons, dit- il, si le symbole que nous avons formulé il y a trois ans prête réellement le flanc aux critiques qu'il rencontre. » À notre tour, examinons les articles de ce symbole, puisque symbole il y a, et mettons en regard la doctrine romaine et les propositions erronées que censure le Syllabus.


1° « Respecter la liberté de l'âme chez celui qui ignore ou abandonne la vérité, voilà ce qui semble n'être qu'un acte naturel de justice. » (Discours de Malines, p. 149)
1° (Maxime fausse et absurde qu') il faut procurer à chacun la liberté de conscience (Mirari Vos).
2° Le principe de la liberté religieuse consiste à reconnaître le droit de la conscience humaine à n'être pas gouvernée dans ses rapports avec Dieu par des châtiments humains. » (Ibid., p. 90)
2° L'Église n' a pas le droit d'employer la force (Syllabus, proposition 24e). L'Église n'a pas le droit de réprimer par des peines temporelles la violation de ses lois (Encyclique Quanta Cura).
3° « La société que représente le gouvernement n'a pas pour mission de me contraindre à remplir mes devoirs religieux. » (Ibid., p. 142)
3° « (Ne négligez pas d'enseigner que la puissance royale n') est (pas) uniquement conférée pour le gouvernement de ce monde (mais par-dessus tout pour le gouvernement de l'Église). » (Encyclique Quanta Cura)
4° « Rêver ou réclamer pour la religion catholique une liberté privilégiée comme un patrimoine inviolable au milieu de la soumission générale, ce n'est pas seulement le comble de l'illusion, c'est lui créer le plus redoutable des dangers. » (p.25)
4° « À notre époque, il n'est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l'unique religion de l'État, à l'exclusion de tous les autres. » (Syllabus, proposition 77e)
5° « L'État est tenu de le protéger dans la pratique de la vérité que j'ai choisie, parce que je l'ai trouvée seule vraie et seule supérieure à toutes les autres. » (Ibid., p. 92)
5° Il est libre à chacun d'embrasser et de professer la religion qu'il aura réputée vraie dans la lumière de la raison (Syllabus, proposition 15e).
6° « Réclamer la liberté pour la vérité, c'est la réclamer pour soi ; car chacun, s'il est de bonne foi se croit dans le vrai. » (Ibid.)
6° L'Église n'a pas le droit de définir dogmatiquement que le religion de l'Église catholique est uniquement la vraie religion (Ibid., proposition 21e).
7° « De tous les abus que permet la liberté, il n'en est peut-être pas un seul qui résiste à la longue aux contradictions du sens moral que la liberté suscite et qu'elle arme de son inépuisable vigueur . » (Ibid.., p. 151)
7° Il est faux que la liberté civile de tous les cultes, et que le plein pouvoir laissé à tous de manifester ouvertement et publiquement toutes leurs pensées, jettent plus facilement les peuples dans la corruption des mœurs et de l'esprit, et propagent la peste de l'indifférentisme (Ibid., proposition 79e).
8° L'Église ne doit rien à l'alliance du trône et de l'autel (Ibid., p. 149).
8° « Cette concorde (entre l'Église et l'État) a toujours été aussi salutaire et aussi heureuse pour l'Église que pour l'État. » (Encyclique Mirari Vos)
9° Jamais la religion n'a été plus sainte, plus forte, plus féconde que dans les conditions de combat auxquelles la Providence a ramené le XIXe siècle (p.152). La lutte sera aussi rude pour le moins qu'avec les anciens adversaires de l'âme et de l'Église ; mais elle sera pour le moins aussi méritoire, aussi féconde et aussi glorieuse (p.155).
9° « Il n'est jamais permis de considérer la liberté comme un bien, comme une chose désirable. » (Explication officielle de l'Encyclique Mirari Vos, par le cardinal Pacca).
10° L'avenir de la société dépend de deux problèmes : corriger la démocratie par la liberté, – concilier le catholicisme avec la démocratie (p.18).
10° Le Pontife romain peut et doit se réconcilier avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne (Syllabus, proposition 80e).


Maintenant, nous le demandons à tout homme de bonne foi, toutes ces propositions indiquent-elles une thèse ou une hypothèse ? À ceux qui en douteraient encore, nous ferions remarquer que la liberté des cultes est donnée par M. de Montalembert comme un principe, comme un droit, comme un état auquel la Providence nous a ramenés, comme un progrès réel.

Dans l'hypothèse de certaines circonstances, la liberté des cultes est tolérée comme un moindre mal, avons-nous avec le cardinal Pacca ; mais, avec M. de Montalembert, l'hypothèse devient la thèse, la liberté, c'est le droit, c'est l'état normal, l'idéal, le progrès, c'est l'ère de liberté qui va enfanter des merveilles. L'autorité, l'alliance du trône et de l'autel n'ont rien fait. Qu'on l'écoute : 

« Dans l'ancien régime nous n'avons rien à regretter. » (p.15.) — « Si j'avais le temps de vous faire un cours d'histoire, moi qui ne suis pas tout à fait étranger à l'histoire du moyen âge, des siècles de foi exclusive et prépondérante, j'entreprendrais volontiers de vous montrer que, sauf quelques rares exceptions, la contrainte en matière religieuse n'y a joué qu'un rôle insignifiant, et que la foi catholique n'a rien dû ou presque rien à l'emploi de la force, de la contrainte matérielle contre les infidèles et contre les hérétiques, même aux époques les plus florissantes du moyen âge. En admettant même que le système de la force au service de la foi, de la contrainte en matière religieuse ait produit de grands résultats dans le passé, il est impossible de nier qu'il ne soit voué à une incurable impuissance dans le siècle où nous sommes.» (p.105.) — «Désormais il ne sera plus possible à personne d'employer la contrainte dans l'ordre religieux ; avant un demi-siècle, non-seulement nul ne songera à y recourir, mais nul ne comprendra qu'elle ait jamais pu être nécessaire.» (P.150.) – « J'affirme que la société nouvelle, si fertile qu'elle soit en dangers et en scandales, n'offre rien de plus répugnant que les scandales et les abus que la conscience de nos aïeux subissait patiemment, crainte de pire, sous l'ancien régime. » (p.148.)

N'avais-je pas raison de dire que, pour M. de Montalembert, l'autorité était la cause de tous les maux, la liberté le principe de tous les biens, la source de toute sorte d'avantages, et qu'il renversait ainsi la thèse. Entendons le encore nous exposer les avantages de la liberté : 

« N'est-il pas permis de croire que nous entrons dans une ère nouvelle, celle que l'on pourra appeler l'ère de la liberté de l'Église ; la lutte sera aussi rude pour le moins qu'avec les anciens adversaires de l'âme et de l'Église aux temps barbares, sous la féodalité, sous la monarchie absolue ; mais elle sera pour le moins aussi méritoire, aussi féconde, aussi glorieuse. Pour l'aborder. Dieu nous fournit de nouvelles armes, de nouveaux moyens d'action, et c'est dans les grandes innovations modernes, dans la publicité, l'égalité, la liberté politique, l'émancipation des masses démocratiques, c'est de là que peut sortir, pour celle que nous avons le bonheur d'appeler notre Mère, une ère de liberté complète, c'est-à-dire inconnue jusqu'à présent dans ses annales. » (p.153-155.)

Enfin, il dit lui-même en propres termes que la liberté est l'idéal des rapports entre l'Église et l'État. 

« Je tiens également et plus encore à n'être pas soupçonné de complicité avec ceux qui n'accepteraient la liberté nouvelle que comme un pis-aller temporaire. » (p.132.)

Si Montalembert s'était placé dans l'hypothèse, il eût accepté, ou plutôt toléré la liberté, et il se fût fait un devoir de regretter l'état normal et d'y tendre par tous les moyens que permet la prudence ; mais ses idées sont tout autres ; il voit dans la liberté des cultes un progrès réel et il se regimbe contre ceux qui se feraient un devoir de conscience de regretter l'ancien état de choses. 

« J'avoue franchement. dit-il, que, dans cette solidarité de la liberté du catholicisme avec la liberté publique, je vois un progrès réel ; je conçois très bien qu'on en juge autrement et que l'on regrette ce qui n'est plus avec une respectueuse sympathie ; mais je me redresse et je regimbe dès qu'on prétend ériger ces regrets en règle de conscience, diriger l'action catholique dons le sens de ce passé, dénoncer et condamner ceux qui repoussent cette utopie. » (p.25.) — « Il faut renoncer au vain espoir de voir renaître un régime de privilège ou une monarchie favorable au catholicisme, et il ne suffit pas que cette renonciation soit facile et sincère, il faut qu'elle devienne un lieu commun de la publicité. Il faut nettement, hardiment, publiquement, protester, à tout propos, contre toute pensée de retour à ce qui irrite ou inquiète la société moderne. » (p.19.) — « Il nous faut renoncer une fois pour toute à la prétention d'appeler la force matérielle au secours de la vérité, prétention qui a été partout essayée, qui a partout échoué, prétention désavouée ou ajournée dans la pratique par ceux mêmes qui l'affichent à l'état de théorie, mais prétention qui n'en est pas moins un de ces fantômes qui épouvantent la société moderne, et qui, follement invoqués par des esprits entêtés et rétrogrades, sont aussitôt retournés contre la religion. » (p.141.)

Nous le demandons encore une fois, si Montalembert avait admis la thèse de l'autorité, aurait-il traité de la sorte ses partisans, et si le libéralisme n'est pas formulé dans les pages que nous venons de citer, où est-il ?

Nota. — Nous aurions pu relever certaines appréciations historiques où l'esprit de parti se manifeste trop souvent au grand bénéfice de la thèse soutenue, mais aussi au préjudice de l'exacte vérité.

M. de Montalembert se trompe également et peut induire en erreur un lecteur trop confiant quand il interprète le concours matériel et moral que l’Église réclame des gouvernements civils dans le sens de mesures toujours extrêmes, comme la confiscation des biens, les châtiments corporels, les emprisonnements et les supplices violents. Telle n'est pas l'idée que nous faisons des service que l’État peut rendre à l’Église, et que l’Église est en droit d'attendre de l’État. Avant d'en venir aux extrêmes, on pourra et l'on devra faire usage de tous les moyens d'instruction et de persuasion ; on épuisera les expédients de la mansuétude chrétienne avant de passer aux décrets comminatoires et aux peines progressives qu'une justice prudente saura proportionner à la culpabilité des hérétiques, des libres penseurs, des impies, des méchants de toute sorte, et que l’Église, dans sa charité maternelle, voudra toujours adoucir.


Référence

Abbé LECLERC, « Le symbole de Malines ou M. de Montalembert devant le Syllabus », in Semaine du clergé, tome IV, n° 41, 2e année, 5 août 1874, p. 415-418.

mercredi 5 décembre 2012

Des titres et qualités des gens de lettres, sous l'Ancien Régime, selon G. A. de La Roque, 1678


L'homme de lettres s'intitule Maître.

Le titre de Maître s'appliquait anciennement aux seuls gradués ; et c'est par usurpation que les non-gradués se l'attribuent. Car les procureurs, aussi bien que les avocats, tant en Cour laie [laïque] qu'en Cour ecclésiastique, devaient prendre leurs degrés, au moins de Maître aux Arts, pour s'attribuer la qualité de Maîtres.

Le docteur en théologie se disait Maître en Divinité ; et tout docteur en cette faculté était dit Notre Maître par Excellence.

Les apothicaires [pharmaciens] prenaient leurs degrés, de même que les médecins, et quelques chirurgiens de longue robe ; et ils étaient Maîtres aux Arts.

Mais les gens de lettres se qualifiaient Maîtres à parte antè, les gens de métier, à parte post, mettant le mot de Maître après leur nom et le référant au titre de leur profession.

Le titre de Messire était inférieur à celui de Maître au regard des ecclésiastiques. Car on appelait un curé non gradué, Messire Jean, Messire Martin ; et si un curé voulait s'acquérir le titre de Maître, il fallait qu'il prît ses degrés en l'une des cinq facultés.

Mais insensiblement le titre de Messire s'est rendu plus illustre, depuis que les rois ont quitté celui de Monseigneur ou de Monsieur, pour retenir absolument celui de Sire, celui de Messire en étant le diminutif, comme qui voudrait dire mi-Sire, ou demi-Sire.

Les prélats et les grands magistrats qui sont tous gradués, en quittant le titre de Maître, ont pris celui de Messire, comme ont fait les principaux officiers de finance, en quittant la qualité de Sire qui leur était ordinaire.

Le titre de Maître s'appliquait aussi aux grandes dignités du Royaume, et souvent on y ajoutait le titre de Grand et de Souverain ; ainsi Pierre de Villers, seigneur de l'Île-Adam, s'appelait Souverain Maître d'Hôtel du Roi ; le Comte de Tancarville, Souverain et Maître Général Réformateur des Eaux et Forêts.

Les présidents de la Chambre des Comptes, comme le sire de Sully, et Louis de Beauvau, étaient appelés Souverains. Cette charge était jointe à celle de Grand Bouteiller. Les autres officiers des Comptes assistants du Président, sont appelés Maîtres, et autrefois Clercs. On disait les Clercs du Trésor, et le Clerc du Grand Maître des Arbalestriers.

Le titre de Grand a été joint seul à plusieurs charges, comme à celles de Chambrier, de Chambellan, d'Aumônier, de Panetier, de Queux, d'Écuyer, et de Maître de l'Artillerie.

Référence

Gilles André de La Roque, Traité de la Noblesse, Étienne Michallet, Paris, 1678, p. 313 et suiv. L'orthographe et la ponctuation ont été modernisées par l'auteur de ce blog. Ce dernier a également ajouté ce qui se situe entre crochets ([...]).

Des dignités ecclésiastiques, et de la qualité de vidame, attachée à l'Église, selon G. A. de La Roque, 1678


Entre les titres de l'Église, celui de pontife et d'évêque est le plus grand. Aussi Saint Paul l'attribue à Notre-Seigneur : «  Jesus secundum ordinem Melchisedech Pontifex factus in Éternum [Jésus fut fait pontife pour toujours, selon l'ordre de Melchisédech] ( Ep. Ad Heb. [Épître aux Hébreux]). Le mot d'évêque signifie « intendant », ou « ayant l'œil sur quelque chose ».

Le prêtre s'interprète « vieillard », parce que l'on n’appelait à cette fonction que les anciens.

Le diacre est celui qui administrait aux veuves et aux orphelins ce qui leur était nécessaire, et il gardait les trésors de l'Église.

Il y avait anciennement des chorévêques qui avaient soin de veiller sur les paroisses de la campagne, auxquels ont succédé les archiprêtres et les doyens ruraux. Les archidiacres qui sont comme l'œil de l'évêque, ont aussi droit de juridiction. Leur soin s'étend sur les peuples et sur les curés dans l'étendue de leur territoire, où ils sont appelés in partem solicitudinis episcopalis [dans le cadre du souci épiscopal]. De tout cela, Monsieur le prieur a fait un ouvrage très docte [savant, informé, érudit] qu'il donnera au public.

Depuis le second âge de l'Église, on commença d'introduire le nom de père pour signifier ceux qui avaient les premières dignités.

Ainsi le mot d'abbé ne veut dire autre chose que « père », d'autant que les religieux, moines et solitaires sont enfants spirituels de l'abbé.

Tout de même, fut introduit dans le christianisme le mot de pape, qui n'a autre signification que « père ». Cependant les Souverains Pontifes de Rome, pour témoigner qu'ils n'affectaient point ces grands titres de Paternité, de Béatitude, et de Sainteté, mais qu'ils faisaient profession d'humilité chrétienne plus que personne, choisirent des termes éloignés de la grandeur, et se qualifièrent Serviteurs des serviteurs de Dieu. S. Grégoire Ier qui vivait l'an 590, fut le premier qui en usa, quoique d'autres disent que ce fut Saint Damase dés l'an 567.

Parce que Notre-Seigneur promit à S. Pierre de bâtir sur lui son Église, et que ce Prince des apôtres a présidé en deux sièges, Antioche, et ensuite à Rome; et qu'il envoya son disciple S. Marc présider en son nom à Alexandrie, ces trois sièges furent érigés en patriarcats. Pour celui de Jérusalem, ce fut en mémoire des miracles et de la passion de Notre-Seigneur. Celui de Constantinople a été érigé en considération de la demeure des empereurs, dont le grand Constantin fut le premier qui s'établit à Byzance.

Les archevêques ont été établis pour la distinction des provinces ; et les évêques qui leur sont fournis, s'appellent suffragants ; parce qu'aux assemblées où ils président, ils prennent leurs suffrages.

Les doyens, primiciers et prévôts, ont été érigés au-dessus des chanoines. Les archidiacres au dessus des diacres, et les archiprêtres au-dessus des prêtres.

Les curés s'appellent ainsi à cause du soin qu'ils prennent de leurs ouailles. En Bretagne, ils se nomment recteurs, comme régissant leur troupeau; et les réguliers qui gouvernent une paroisse, s'intitulent prieurs, aussi bien que ceux qui sont supérieurs d'un monastère.

Les cardinaux qui sont maintenant seuls capables d'être légats du S. Siège Apostolique, et d'élire le Pape, sont de très éclatantes dignités dans l'Église, et ont le titre d’Éminentissime.

Les chanoines sont les assistants des évêques. Ceux de Ravenne et de Compostelle sont appeliez cardinaux, au rapport de Duarin. Et l'abbé de la Trinité de Vendôme est aussi appelé cardinal. 

Vidame est une dignité féodale tenue de l'Église lorsque les évêques n'avaient soin que du spirituel, et ces vidames étaient défenseurs du temporel de l'Église. Ce sont seigneuries extraordinaires et hors le rang des autres, parce qu'elles relèvent de l'Église, et que leur tenure féodale est amortie. Ces vidames étaient les vicaires des évêques en la temporalité de leurs évêchés ; mais ils étaient seigneurs de la terre, et exerçaient la justice temporelle à la place de l'évêque.Du nombre de ces vidames étaient ceux de Reims, de Châlons, de Gerberoy, du Mans, de Chartres, d'Amiens, de Laonnois, ou de Laon, d'Esneval. On y ajoute Meaux et Tulles. Ceux qui avaient soin du temporel de quelques abbayes, comme d'Arras, de Saint-Omer, et autres en grand nombre, étaient appelés avoués ou advocati. Il en est parlé dans le livre second des Lois faites par Louis le Débonnaire, chapitre 18, et dans le concile de Mayence de l'an 813, art. 10 : « Omnibus episcopis abbatibus cunctoque clero omnino præcipimus vicedominos, prepositos, advocatos sive deffensores bonos habere. [Nous recommandons aux évêques, aux abbés, et à tout le clergé en général d'avoir de bons vidames, de bons prévôts et de bons avoués ou défenseurs] »

Flodoard, au second livre de son Histoire [de l'Église de Reims] décrivant le devoir des évêques, des abbés, et des abbesses, se sert de ces termes, au sujet de ces vidames et avoués : « Ut bonos et idoneos vicedominos et advocatos haberent, et undecumque fuisset justitias perficerent. [Afin qu'ils aient de bons et convenables vidames et avoués, et que, où que ce soit, ils rendent parfaitement la justice] » Ainsi comme nos rois firent leurs comtes juges de leurs vassaux, les comtes firent le semblable, en créant des vicomtes, et les ecclésiastiques firent des vidames et des avoués.

Ces avoués sont qualifiés œconomi Ecclesiæ [économes de l'Église], advocati [avoués], patroni [patrons] et custodes [gardiens], dans le canon Volumus, et dans le canon Diaconum, distinction 89, chapitre Consulere de Simonia. 

Pasquier donne rang aux vidames après les comtes, et dit qu'ils doivent précéder les vicomtes, parce qu'ils représentent les évêques.

Je dirai à ce sujet qu'il y a des personnes si grossières d'alléguer que les vidames accouchaient les reines et les princesses souveraines, et quasi obstetrices dicebant eos esse [ et ils disaient qu'ils étaient pour ainsi dire des accoucheurs].

Il est à remarquer que lorsque le diacre commençait la lecture de l'Évangile, les seigneurs feudataires de chaque évêché, tiraient l'épée du fourreau pour témoigner le zèle qu'ils avaient pour la défense des vérités de l'Église, ce qui s'érigea en office dépendant des Églises, dans plusieurs diocèses. Cette cérémonie fut instituée au Xe siècle par Wenceslas, premier roi de Pologne chrétien, selon Monsieur le Cardinal Bona, en son ouvrage Rerum Liturgicarum (I. Bona, S. R. E. [Sanctæ Romanæ Ecclesiæ] Cardinalis [Cardinal de la Sainte Église Romaine], livre 2, chapitre 7.)

Finalement le titre de patron d'église procède de la fondation. Il y a trois sortes de patronages. Le premier est de celui qui donne le fonds ; le second de celui qui fait le bâtiment ; et le troisième de celui qui fait la dot. Mais nul n'est absolument patron, s'il n'a droit de présenter au bénéfice : car il y a souvent de l'abus aux patronages qu'on appelle honoraires.

Pour ceux qui ont le titre de trésorier, de marguillier, de gager, ou de fabricier, c'est pour administrer le revenu d'une église érigée en paroisse, avoir soin du temporel et des meubles du revestiaire ou sacristie : à quoi ils commettent du consentement du curé, tantôt un clerc, tantôt un laïque, selon les occurrences, ou ils partagent l'office en deux.

Référence

Gilles André de La Roque, Traité de la Noblesse, Étienne Michallet, Paris, 1678, p. 306 et suiv. L'orthographe et la ponctuation ont été modernisées par l'auteur de ce blog.

Des titres et qualités des ecclésiastiques, selon G. A. de La Roque, 1678


Les ecclésiastiques ainsi que les laïques, ont leurs titres particuliers.

On donne au pape le plus auguste de tous les titres, qui est celui de Très-Saint, de Sainteté et de Béatitude. Ils se sont, par humilité, intitulés Serviteurs des Serviteurs de Dieu (Servus Servorum Dei), depuis Saint Grégoire qui l'avait pris de Saint Augustin, lequel s'appelle ainsi dans plusieurs de ses épîtres.

Les cardinaux de la Sainte Église Romaine ont eu le titre d'Illustrissimes. Celui d'Éminentissime lui fut subrogé par un décret que fit le pape Urbain VIII, le 10 juin 1630.

Le Grand Maître de Malte a aussi le titre d'Éminentissime, et celui d'Éminence, au lieu d'Altesse.

Les cardinaux de maison souveraine retiennent plutôt le titre d'Altesse, que d'Éminence.

Les Archevêques-Électeurs du S. Empire, les autres prélats souverains le prennent aussi.

Les prélats en général s'appellent Pères ; et depuis le règne du roi Louis XIII, ils se donnent entre eux, en France, le titre de Monseigneur.

On remarque dans les registres de la Chambre des Comptes, qu' Odo Rigaut, archevêque de Rouen, qui avait été religieux de l'ordre de S. François, prenait la qualité de Frère Odo, par permission divine archevêque de l'Église de Rouen, Très Indigne Ministre, en un acte donné à Paris l'an 1266, le dimanche après la fête de S. Barnabé Apôtre, qui contient qu'il avait créé un doyen en l'église S. Melon de Pontoise.

Au temps passé, environ le siècle de Charlemagne, les patriarches et les archevêques qui sont révérés dans leurs provinces, ont eu le titre de Révérendissimes, et Pères, comme Monseigneur Jean, par la grâce de Dieu archevêque de Milan, dans une charte du 18 novembre 1354, indiction 8 ; les évêques, celui de Révérends, qualité que prenait aussi Monsieur Gerbace, archevêque de Mayence, vice-chancelier-du saint Empire, dans une charte de Charles IV Empereur, de l'an 1366, indiction 4, aux calendes de mai. Il y a eu aussi des évêques qui ont eu la qualité de Vénérables, ainsi qu'Ernest, archevêque de Prague, en une charte de cet empereur de l'an 1358, indiction 11 et Gérard et Lampert, évêques de Wirsbourg et de Bamberg, en une charte de l'an 1378, indiction 1., 13e calendes d'avril.

Les abbés étaient aussi qualifiés Vénérables ou Révérends. Guillaume, doyen d'Autun, écrivant en 1147 à l'abbé Suger au sujet de l'élection que les chanoines d'Autun voulaient faire de l'archidiacre Henri, frère du duc de Bourgogne, pour leur évêque, appelle Suger, par la grâce de Dieu Révérend Abbé, Père et Seigneur de Saint Denis.

Les prieurs & les moines, qui tiennent la Règle de Saint Benoît, et ceux qui suivent les Constitutions de Saint Bernard et de Saint Bruno, prennent le titre de Dom.

Les abbesses, les prieures, les religieuses ou nonnes avaient le titre d'Honnêtes ; et celui de Discrète Personne s'attribuait aux chanoines.

Le terme de Grandeur est nouveau [en 1678]. En latin, toutes ces qualités d'Altesse, d'Éminence, d'Excellence et de Grandeur, se confondent ordinairement dans le mot de Celsitudo ; mais elles se distinguent en français.

Les religieux prennent, à présent, le titre de Pères, qui est propre aux évêques et aux abbés : car le mot d'abbé signifie « père ». Néanmoins, les anciens abbés en parlant d'eux-mêmes, se disaient Frères, comme il se voit en un titre de l'an 1381 que Guillaume, abbé de Cîteaux, s'appelle Frère : «  Venerabilibus in Christo coabbatibus suis in regno Franciæ constitutis, et eorum majoribus officialibus frater Guillelmus [Guillaume IV de Vaucelles, abbé de 1316 à 1335], abbas Cisterciensis [À ses Vénérables co-abbés en Christ, établis dans le royaume de France, et à leurs plus important ministres, le Frère Guillaume, etc., 21 décembre 1333, « État des abbayes de l'ordre de Cîteaux qui payent la dîme au roi. » (Ex libro Cameræ compotorum signato, NOSTER, fol. 381.]. Mais le plus souvent ils prennent le titre de Dominus, comme Thibaud, abbé de Listeaux, et Robert, abbé de Pontigny ; ce qui a du rapport avec le terme de Dom.

Le mot de prieur a beaucoup de rapport à celui de père, car le prieur fait la charge de père envers ses inférieurs. Il y en a qui prennent, par surabondance, le titre de Révérend Père, et quelques-uns en commettant un barbarisme, ont appelé leurs supérieurs Très Révérendissimes, ne se contentant pas du superlatif.

Le titre de Gardien et de Custode est commun dans l'ordre des Mineurs. Celui de Correcteur, en celui de Minimes et les Trinitaires dits Mathurins, appellent Ministres tous leurs supérieurs. 

Référence

Gilles André de La Roque, Traité de la Noblesse, Étienne Michallet, Paris, 1678, p. 311 et suiv. L'orthographe et la ponctuation ont été modernisées par l'auteur de ce blog. Ce dernier a également ajouté ce qui se situe entre crochets ([...]).

Des titres et qualités personnelles sous l'Ancien Régime, selon G. A. de la Roque, 1678


Ceux qui ont parlé des épithètes, demeurent d'accord que les rois s'appelaient anciennement Monseigneur ou Monsieur. Cela se justifie par un titre du roi Philippe III, dit le Hardi, de l'an 1271 qui est à la Chambre des Comptes, et par deux autres des années 1329 et 1330, du roi Philippe VI, dit de Valois, dans l'un desquels il traite le roi Charles IV, dit le Bel, son prédécesseur, de Monseigneur le roi, et dans l'autre de Monsieur.

Le mot de Sire dont on se sert pour parler ou pour écrire aux rois, est ancien : il en est fait mention dans le Roman de la Rose de Jean Chapinel, lequel parlant des amours de Thibaut, roi de Navarre, comte de Champagne et de Brie, l'appelle Grand Sire.
Ce terme de sire est pris pour « seigneur », comme il se voit par ce proverbe qui est commun en Picardie pour la maison des barons de Coucy, comtes de Soissons.

Je ne suis Roy ny Prince aussi,
Je suis le Sire de Coucy.

Les grands seigneurs de fief s'intitulaient Sires, comme les barons de Montmorency, de Pons, de Ferrières, et tous les autres Grands du Royaume.
Le mot de sire, en fait de seigneurie, surpassait celui de seigneur, et de sieur, le mettant immédiatement après le nom et le surnom, devant la seigneurie.
Quelques-uns dérivent le mot de sire de herus [maître, maître de maison, époux, propriétaire, souverain], en latin, ou de Herr [monsieur, seigneur, maître] en allemand.
Christophe Butkens, prieur de Saint Sauveur d'Anvers, en ses Trophées de Brabant, parle de Geofroy de Brabant Sire de Vierson en Berry, de Henry de Louvain Sire de Herstal, de Vautier de Berthout Sire de Malines, de Girard Sire de Marbais, d'Arnoul Sire de Diest.

Loiseau croit que Messire se dit pour mon sire. Robert Estienne l'explique demi-sire, comme s'il se disait pour Missire.
Le titre de Messire convient aux chevaliers, suivant l'édit de Philippe II, roi d'Espagne, de l'an 1595 pour les provinces des Pays-Bas.
Vassal qu'on oppose à seigneur et à sire, vient de vassus [lat. médiéval : jeune homme, adolescent, esclave, serviteur]. Vassi étaient des hommes de grande valeur, et vasselage signifie vaillance ; de forte que vassal est pris pour un vaillant homme.

Les rois n'ont pas seulement le nom de Sire, dont les Anglais et les Italiens ont fait leur Sir ; mais ils ont encore le titre de Majesté, qui est fort ancien dans les écrits. Le roi Philippe le Bel se qualifie Notre Majesté Royale, parlant des forfaitures dans une commission datée de Compiègne, le vendredi après la [fête de S.] Madeleine l'an 1314 donnée au bailli de Caen pour la garde des passages de Flandres.
Néanmoins, cette qualité de Majesté n'a été particulièrement en usage en parlant aux rois, qu'au retour du traité de paix que la France fit avec l'Espagne l'an 1559 dans l'abbaye d'Orcam, sous le règne de Henri II. Voici ce qu'en dit Guy du Faur de Pibrac :

On ne parle à la Cour qui de Sa Majesté,
Elle va, elle vient, elle est, elle a esté

Les rois ont pris anciennement le titre d'Excellence. Thibaut, roi de Navarre, comte de Champagne, le prenait l'an 1239.

Le mot de King est la qualité que les Anglais donnent à leur roi. Il vient du terme saxon Koning, qui signifie pouvoir et connaissance.

Rotrou de Warvich, archevêque de Rouen, donne le titre d'Excellence à Henry dit le Jeune, couronné roi d'Angleterre, soulevé contre Henry II, dit le Vieil, son père, roi du même Royaume, lui écrivant en ces termes : « Excellentiæ tuæ, quæsumus, non sit oneri si te deprecamur ut dominum, hortamur ut regem, docemus ut filium ; nec enim alligatum est in ore nostro verbum Dei[Que cela, nous le demandons, ne soit pas un fardeau pour ton Excellence, si, en tant que seigneur, nous te demandons avec insistance, en tant que roi, nous t' encourageons, en tant que fils, nous t' enseignons ; et qu'en effet, la parole de Dieu n'est pas liée à notre bouche.] »

Les Anglais ont aussi donné à Henry IV, leur roi, et autres ses prédécesseurs, le titre de Votre Grâce ; à Henry VI la qualité d'Excellente Grâce, puis celle de Sir ; et enfin celle de Majesté, et de Majesté Sacrée. Les Allemands s'adressant aux empereurs, disent Sacrée Majesté ; et les Espagnols de même, Sacra Catholica et Real Majestad [Majesté Sacrée, Catholique et Royale].

J'ai vu une charte donnée à Crémone, l'an 1226, en juillet, 14e indiction, dans laquelle Fréderic II, empereur des Romains, roi de Jérusalem et de Sicile, est qualifié d'Excellence Impériale.

Le nom d'Altesse a été pris par quelques rois, et depuis par les ducs souverains ; et enfin par tous ceux qui viennent de maison souveraine. Quelques-uns même qui n'en viennent que de bien loin par les femmes, l'ont reçu de ceux qui leur voulaient applaudir.

La qualité de Prince ne se prenait que par des souverains ; et par les plus proches du sang des rois.

Les princes qui ont pris autrefois le titre d'Excellence, l'ont quitté, et depuis qu'on l'a donné à ceux qui ont de grands emplois, et que les Italiens l'ont profané en l'attribuant indifféremment à toute forte de conditions.

Le pape Benoît XII par la bulle de l'an 1340, indiction 8, en avril, qualifie Seigneur de Grande Noblesse Manfroy, marquis de Malespina ; et il parle de Magnifiques et Excellents Seigneurs Albert et Mastin de Lescalle, frères.

L'épithète de Sérénissime est ancienne, et en usage dans plusieurs États. Les empereurs, et les rois d'Angleterre l'ont prise des premiers. On voit une charte de Henri IV, empereur des Romains, roi de Bohême, de l'an 1350, dans laquelle il est qualifié Sérenissime Prince ; et Rodolphe, duc de Saxe y est traité d'Illustre et Archi-Maréchal du S. Empire.

Le titre de Monsieur ou de Monseigneur, que l'on mettait tantôt devant le nom et le surnom, tantôt aussi entre les deux, était plus honorable mis devant, que non pas au milieu. Car au milieu, ce titre se donnait quelquefois à des princes, qui n'étaient pas encore apanagés, et auxquels, par conséquent, on n'attribuait point aucune seigneurie.
Les seuls bannerets, bacheliers et chevaliers, prenaient le nom de Monsieur et de Monseigneur, et non les écuyers qui n'étaient nommés que par leurs noms, sans autre qualité ; de quoi étaient exceptés les écuyers de très grande et très ancienne maison, qui avaient ce privilège avant qu'ils fussent faits chevaliers.

Comme les rois ont pris les qualités de Très Hauts, de Très Puissants, et de Très Excellents Princes, leurs sujets ont pris les;titres de Nobles et Puissants Seigneurs, de Hauts et puissants Seigneurs, quelques-uns y ajoutant le superlatif. Quelques inférieurs s'attribuent simplement le titre de Noble Seigneur. D'autres se contentent du titre de Messire, qui est commun à tous les chevaliers.

En Angleterre, les seigneurs s'appellent Lord ou Milord, qualité qui équipolle à Dominus, ou « Seigneur ».

Quant aux anciens officiers qui rendaient la justice, et qui assemblaient les nobles, Turnèbe au livre vingt-huitième de ses Observations, dérive le terme de sénéchal de senex et de caballus : « Senescalli, quasi senes caballi. »

Bailli veut dire « gardien » ou « légitime administrateur, car les baillis étaient baillés ou envoyés comme conservateurs ou gardiens du peuple, quasi missi Dominici [pour ainsi dire, les envoyés du Seigneur]. D'autres veulent que ballivus soit dit de bajulus [porteur, messager, celui qu porte les morts] qui est pris pour « un nourricier ».

II y a d'autres officiers qui ont un degré de juridiction inférieure, appelés vicomtes, parce qu'ils sont comitum vicem gerentes [se comportant à la manière des comtes] ; prévôts, quasi, præpositi juri dicundo [en quelque sorte, préposés devant dire le droit]; viguiers, quasi, vicarii [en quelque sorte, remplaçants] ; châtelains, quasi, castrorum custides [en quelque sorte, gardiens des châteaux]. Ces officiers sont appelés aux affaires de la justice, et du domaine dont ils étaient receveurs avec les baillis. On les appelle vicomtes en Normandie ; prévôts en France, Picardie, Anjou, Champagne et Bourgogne ; viguiers en Languedoc, Provence et Dauphiné ; et châtelains en Poitou.

Ces officiers avaient sous eux des sergents, dont le nom vient de serviens [servant].

Le nom de maire vient de major [plus grand], qui a été retenu par ceux qui gouvernent les villes et communautés. Le maire du Palais était autrefois le premier officier de France.

Tous ces officiers prenaient souvent le titre de Sage et d'Honorable, comme il se lit du bailli de Cotentin dans un titre du vingt-deuxième juillet 1340.

Référence

Gilles André de La Roque, Traité de la Noblesse, Étienne Michallet, Paris, 1678, p. 308 et suiv. L'orthographe et la ponctuation ont été modernisées par l'auteur de ce blog. Ce dernier a également ajouté ce qui se situe entre crochets ([...]).

samedi 1 décembre 2012

La folie des titres honorifiques, selon F. de Callières, 1693


Ce ne sont pas d'ordinaire, dit le duc, les gens d'une qualité reconnue qui tombent dans ces sortes de défauts. J'ai remarqué que les plus empressés à vanter leur naissance sont ceux qui tâchent à s'élever à des rangs qui ne leur sont pas dus, et à s’attribuer des noms et des armes qui ne leur appartiennent pas. La Cour est pleine de ces usurpateurs de noms illustres. Nous en voyons qui ont ressuscité des maisons éteintes depuis longtemps et qui s'en font descendre sur des ressemblances de noms ou par d'autres accrochements visionnaires. Il y en a même qui tâchent à s'ériger en Princes sur de pareilles chimères et qui les font passer avec soin à leur descendants. Et ces beaux noms répandent insensiblement sur ceux qui les ont volés une considération qui les fait souvent préférer à des gens dont la naissance est beaucoup meilleure que celle qu'ils ont effectivement.

Il est vrai, dit la marquise, qu'il y a des gens fort entêtés de certaines chimères qu'ils ne pourraient jamais soutenir, si on les obligeait, à prouver leurs prétentions ; et quand j'en vois qui se donnent d'un air de princes, sans l'être, en disant Monsieur mon père et Madame ma mère, je dirais volontiers, comme fit feu Monsieur le Prince, devant un de ces faux Princes, qui fut assez vain pour user de ces termes en sa présence : « Monsieur mon écuyer, allez dire à Monsieur mon cocher qu'il  mette Messieurs mes chevaux à mon carosse.»

Il y a des gens de qualité, reprit le duc, qui dédaignent les titres de comte et de marquis, parce qu'ils aspirent à de plus grands ; ceux-ci, par un raffinement d'orgueil, se font appeler simplement par leur nom. 

C'est, dit le commandeur, une pierre  d'attente pour le duché.

Justement, répondit le duc ; mais en récompense, les nouveaux comtes sont si empressés de leur nouvelle dignité qu'on ne peut les obliger plus sensiblement que de les appeler toujours par ces titres. Ce qui a fait dire assez plaisamment que, parmi les courtisans, il y en a qui sont au désespoir quand on les appelle marquis ou comte, et d'autres quand on ne les y appelle pas.

J'ai trouvé depuis mon retour, ajouta le commandeur, une foule de comtes et de marquis de noms obscurs et inconnus qui me ferait croire qu'il en est venu une recrue d'Italie, où tout le monde porte ces titres, si je n'apprenais que la mode en est présentement en France, et qu'il s'en fait tous les jours avec tant de licence, et si peu de retenue, que les uns sont à peine gentilshommes et les autres même ne le sont pas. Et je vois qu'il suffit d'aller en carosse et de se faire suivre par quelques laquais pour s'ériger en Monsieur le marquis, ou en Monsieur le comte, et pour dire comme les autres d'un air présomptueux et insolent, un homme de qualité.

Il est vrai, poursuivit le  commandeur, que ces titres ont cela de commode qu'ils ne donnent en France ni rang, ni crédit, et n'oblige pas un gentilhomme à céder en rien à ce marquis et à ces comtes imaginaires. Cependant, cette licence et cette facilité qu'il y a aujourd'hui à s'attribuer ces vains titres sans la grâce du Prince, est un abus qui devrait être réprimé. Et je serais d'avis qu'on obligeât au moins ces comtes et ces marquis, faits par eux-mêmes, à secourir l'État de quelque somme pour prix de leur dignité. (...) 

Pour ceux-là, Monsieur le commandeur, répondit la dame, laissez-les jouir paisiblement de leurs nouvelles dignités ; ils ne feront pas tant de mal avec ces vains titres, que s'ils faisaient le métier de leurs pères.

J'en demeure d'accord, répliqua le commandeur, et je consens puisque vous le voulez qu'il y ait de faux comtes et de faux marquis, de même qu'il y a de faux Princes et de faux nobles. Et pour vous montrer que je suis de bonne composition, ajouta-t-il en souriant, je consens encore à une autre nouveauté que j'ai trouvée en France depuis mon retour, qui est que plusieurs bourgeois mettent devant leur nom un de qui n'y avait jamais été et qui y sonne fort mal, croyant l'ennoblir par l'allongement de cette syllabe. Je dirai donc désormais Monsieur de Jourdain,  et Monsieur de Tibaudier, et ainsi des autres noms de cette espèce.

Il est vrai, reprit la dame qui en voulait fort à la bourgeoisie, qu'il n'y a rien de plus plaisant que ces bourgeois révoltés et ces gens à manteau qui veulent à toute force contrefaire les gens de qualité. J'en connais qui se renversent comme eux dans nos fauteuils, qui mettent leurs pieds sur d'autres sièges, qui font les beaux et les gracieux, qui prennent les airs panchés et dédaigneux des jeunes courtisans, qui se familiarisent avec eux, jusqu'à les appeler par leur nom, sans leur donner de Monsieur. Et ils me réjouissent fort, quand je les entends dire comme eux, le bon homme maréchal, le bon duc et la bonne duchesse.

(...) Et que dites-vous Monsieur le commandeur, dit la dame, de ces hommes nouveaux qui n'ont pas plutôt acheté une charge dans l'épée ou dans la robe, ou quelque belle terre, qu'ils prennent le titre fastueux de haut et puissant Seigneur dans tous les actes qu'on fait en leur nom.

Je dis, Madame, répliqua le commandeur, que la folie des titres est parvenue à un tel point, qu'il serait inutile de vouloir s'opposer à ce torrent, à mesure que le monde vieillit, la vanité augmente dans le cœur des hommes ; si l'on compare notre siècle avec les précédents, on verra que les titres y étaient fort rares, que personne n'était assez effronté pour prendre ceux qui ne lui appartenaient pas, et que de nôtre temps, chacun se les attribue tels qu'il lui plaît.

On ne s'est pas même contenté des anciens, on en a créé de nouveaux. L'Italie fertile en ces sortes de productions, nous a donné l'Altesse qui était inconnue en France il n'y a pas cent ans. Les gens d’Église même, nonobstant la profession particulière qu'ils sont obligés de faire de l'humilité chrétienne, si opposée à tous les vains titres du monde, s'en sont laissés éblouir. Les cardinaux qui, après de faibles commencements fort connus dans l'histoire [ce fut par un décret du Pape Urbain VIII du 10 juin de l'année 1630], se voyant aujourd'hui si élevés, ont quitté, il n'y a que soixante ans,  les titres d'Illustrissimes et Révérendissimes pour prendre le titre pompeux d'Éminence. Leur ambition est montée jusqu'à se dire égaux aux Rois et à prétendre la préséance partout sur les autres Souverains. Et il prennent le pas en Italie dans leur propre maison sur les Princes donc ils sont nés sujets.
 
Cet amour des titres a passé comme une maladie contagieuse du clergé de Rome à celui des autres pays. Les évêques se traitent réciproquement de Monseigneur. Cela me fait souvenir, qu'étant allé voir un évêque de mes amis et ayant appris qu'il y avait d'autres évêques avec lui, je demandai ce qu'ils faisaient. « Ils se monseigneurisent », me répondit assez plaisamment un de leur laquais.

Ils ne se contentent pas du titre de Monseigneur, poursuivit le commandeur, ils trouvent très bon que leurs ecclésiastiques et tous ceux qui sont dans leur dépendance, y ajoutent le titre fastueux de Votre Grandeur, et que ceux qui leur dédient des thèses leur donnent la qualité de Princes de l'Église, au lieu de celle de Pères qui est la seule qu'ils doivent recevoir, s'ils veulent se conformer à l'exemple de leurs saints prédécesseurs. Il n'y a pas même jusqu'aux religieux qui, nonobstant les continuelles humiliations auxquelles leurs règles et leur profession les obligent, ne se traitent entre eux de Votre Révérence.

Et vous ne dites rien de vos frères les chevaliers, reprit la dame. Sont-ils plus humbles que les autres, et ne se sont-ils point aussi attribués quelque titre nouveau.

Depuis que l'Éminence a été distribuée aux cardinaux, répliqua le commandeur, elle a aussi été libéralement accordée à notre Grand Maître, comme dernier cardinal, et nous nous en sommes contentés. Nous prétendons encore le titre d'Excellence pour nos ambassadeurs que quelques-uns leur accordent et que d'autres leur refusent. Vous savez sans doute que l'Excellence est encore une production de l'Italie, qui n'a pas été reçue en France, comme en Espagne, où les Grands se la sont appropriée, au lieu du titre de Seigneurie qu'ils prenaient auparavant. Cela me fait souvenir de ce qu'un chevalier espagnol m'a raconté, qu'étant à Milan, il demanda quels titres il fallait donner aux principaux du pays, où il se trouvait. L’Excellence est due au Gouverneur de l'État, lui dit un officier. On la donne au Maître de Camp général per Cortesia. Pour le Gouverneur du Château, il n'y a que les domestiques qui le traitent d'Excellence. De manera, répondit assez plaisamment le chevalier en parlant de ce dernier, che su excellentia tienne su casa por prison. 

On en peut dire autant de l'Altesse en France, elle est due aux Princes du sang. On la donne per Cortesia aux Princes étrangers sortis de maisons souveraines quand on leur écrit, et elle demeure enfermée dans les maisons de certains Princes prétendus qui ne la reçoivent que de leurs domestiques.
Cette application me paraît juste, dit la dame, et je m'étonne comment certaines gens peuvent entendre sans rougir, qu'on leur donne des titres qu'ils savent en leur conscience qui ne leur appartiennent pas.

Il y en a, reprit le commandeur, qui n'ont pas la conscience délicate là-dessus.

Mais pour revenir à l'Excellence, poursuivit-il, vous savez qu'on ne la donne en France qu'aux ambassadeurs et que les officiers de la Couronne et les ministres ne l'y reçoivent que des étrangers qui ne sont pas instruits de notre cérémonial. 

Elle a été reçue agréablement dans tous les pays du Nord qui imitent d'ordinaire les nations plus méridionales, mais les Italiens, sur tous les autres, en sont fort friands et la donnent volontiers afin de la recevoir. Il n'y a point de pays au monde où il y ait tant de vains titres que chez eux, ce qui vient non seulement de ce qu'ils les aiment, mais encore de la facilité qu'ils ont à se les approprier. On devient Prince dans le royaume de Naples pour mille écus et on fait ériger, moyennant cette somme, un fort petit fief en titre de principauté.

Puisqu'on est Prince à ce prix, dit la dame, il est aisé de juger que les autres moindres titres y doivent être fort communs et à grand marché.

Il n y a presque point de fief en Italie, reprit le commandeur, qui n'ait au moins le titre de comté ou de marquisat et celui qui l'acquiert devient comte ou marquis, fut-il marchand ou artisan. J'y ai vu un maçon exerçant son métier qu'on y appelait Monsieurle comte, parce qu'il avait acheté une portion de fief. Il n'y a pas longtemps qu'il y avait à Naples un riche boucher, qui était duc, prince, marquis, comte et baron par les terres qu'il avait acquises et qui continuait à y exercer son métier avec tous ces titres. Ils passent à leurs enfants, fussent-ils cent ; ils se font appeler le comte Jacques, le comte Charles, le comte Pierre, et ainsi de leurs autres noms de baptême, pour se distinguer.

Cela me fait souvenir d'une raillerie que fit un homme de qualité de la Cour de France [Le marquis de Vardes], étant à la Cour de Turin, sur la facilité qu'on y a de prendre le titre de comte ; quelqu'un de cette Cour lui ayant fait une mauvaise plaisanterie sur ce qu'il n'était pas parti le jour qu'il avait dit pour s'en retourner en France.  « J'attends, dit-il six de vos comtes pour me porter en chaise de l'autre côté de la montagne »,  voulant dire qu'ils étaient tous comtes en ce pays-là , sans en excepter même les porteurs de chaise.

L’Empereur Charles Quint étant en Italie, accordait libéralement ces vains titres à tous les Italiens qui les lui demandaient. Un jour sortant de Vicenze, et étant suivi de quantité de bourgeois de cette ville-là, qui le suppliaient de les faire comtes, il leur cria pour se délivrer de leurs importunités : « Todos condés», qu'il les faisait tous comtes, ce qui a servi de titre suffisant à tous les bourgeois de Vicenze, pour prendre encore aujourd'hui cette qualité ; et ils ne manquent jamais de se dire comte Vicentino dans tous les actes qui se font en leur nom.

Nous voyons aussi quantité de cadets, tant gentilshommes que soi-disant, qui portent le titre de chevaliers, comme s'ils étaient de notre Ordre, sans faire ni preuves, ni vœux, ni caravanes. De même que nous voyons plusieurs ecclésiastiques sans bénéfices qui se font appeler Monsieur l' Abbé.

 Référence

François de Callières, Des mots à la mode et des nouvelles façons de parler, troisième édition, Thomas Amaulry, Lyon, 1693, p. 125-162.

L'orthographe et le ponctuation ont été modernisées par l'auteur de ce blog.