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dimanche 2 juin 2019

Le mystère de la Rédemption, par le R. P. Christian Pesch (1853-1925)

 
« Né à Cologne-Mülheim le 25 mai 1853, entré dans la Compagnie de Jésus en 1869, Christian Pesch fut professeur de théologie dogmatique à Ditton-Hall (Angleterre) de 1884 à 1895, puis à Valkenburg (Pays-Bas) jusqu'en 1912 ; à partir de 1909, il s'attacha surtout à ses publications. Il mourut à Valkenburg le 26 avril 1925.

Pesch introduisit la méthode positive dans la théologie néo-scolastique (Praelectiones dogmaticae, 9 vol., Fribourg/Brisgau, 1894-99 ; 6e éd., 1925 ; condensé dans Compendium theologiae dogmaticae, 4 vol., 1913-14 ; 6e éd., 1940). S'inspirant de [S.] Thomas d'Aquin, de Fr[ancisco] Suárez et de [Juan de] Lugo [y de Quiroga], il est un théologien important de son temps ; il contribua à limiter en Allemagne l'influence du modernisme (cf. Theologische Zeitfragen, 6 séries, 1900-16). (...) »

Source : Constantin Bescker, « PESCH (CHRISTIAN), jésuite, 1853-1925) ». Disponible sur <http://beauchesne.immanens.com/appli/article.php?id=7823>, consulté le 1er juin 2019.

Le Christ à Gethsémani, par Carl Heinrich Bloch, 1873




De la satisfaction du Christ Médiateur


Prop. 16. Le Christ homme en tant que médiateur entre Dieu et les hommes a satisfait à Dieu pour les péchés des hommes, par sa passion et par sa mort. De foi ([S. Thomas d’Aquin], Somme théologique, 3e partie, question 48, articles 2-4 ; question 50, article 1).

134. État de la question. Toute cette proposition est définie de foi [de fide], comme il apparaît dans le Concile de Trente, session 5, canon 3; session 6, canon 2 et 7 (Denzinger, n°1513/790, 1522/794, 1529/799).

a) Le Christ homme est dit médiateur, dans la mesure où, [en tant qu’] intermédiaire entre Dieu et les hommes qui, par le péché, étaient devenus des ennemis, Il a réconcilié Dieu avec les hommes. En effet, parce qu’Il était ami de Dieu à cause de l’union hypostatique et à cause de la charité, et ami des hommes, de la race desquels Il est né et dont Il a été constitué la Tête, Il était tout à fait propre à être « l’homme Christ Jésus, médiateur entre Dieu et les hommes » (1 Timothée 2, 5). C’est cela que souligne S. Augustin : « [Il est ] médiateur entre Dieu et les hommes parce qu’[Il est] Dieu avec le Père, homme avec les hommes. Le médiateur [n’est] pas homme sans la nature divine, le médiateur [n’est] pas Dieu sans l’humanité. [Il en est] ainsi du médiateur : la divinité n’est pas médiatrice sans l’humanité, l’humanité n’est pas médiatrice sans la divinité, mais la divinité humaine et l’humanité divine est médiatrice entre la divinité seule et l’humanité seule » (Sermon 47, chap. 12, §. 21 ; S. Thomas, op. cit., 3e partie, question 26, article 1 et suiv.). Le Christ exécuta l’œuvre satisfactoire selon l’humanité [et] il rendit digne [= donna sa valeur à] cette œuvre selon la divinité, afin que la satisfaction pour les péchés soit suffisante.

b) La satisfaction est la réparation d’une offense personnelle. Le péché est une offense commise contre Dieu, celle-ci [étant] d’une malignité infinie. Dieu pouvait remettre cette offense de plusieurs façons (supra n. 112) ; mais Il a voulu que, pour elle, la satisfaction condigne [=exactement proportionné à la faute ou à la récompense] fût procurée par le fait de prendre sur soi la peine due pour le péché. Parce qu’une pure créature ne pouvait la procurer, le Christ, selon la volonté du Père, de par sa libre obéissance et sa charité, a pris sur Lui cette satisfaction qu’il fallait procurer aux hommes, (supra n. 101 et suiv.). Les actes intérieurs d’obéissance et de charité constituent ce qui, par soi, est moral et plaît à Dieu, et [c’est] de ceux-ci [que proviennent] toute la bonté et la dignité morales [qui] rejaillissent sur les actes extérieurs. Néanmoins, le Christ n’a pas seulement satisfait par [ses] seuls actes intérieurs mais également par [ses] actions et souffrances extérieures, parce que Dieu avait disposé les choses de telle sorte que le Christ procurât la satisfaction proprement dite. Or la satisfaction proprement dite est le fait de prendre librement sur soi la peine imposée pour les péchés (cf. Concile de Trente, session 14, chap. 8). « [C’est] pour cela [que] le Fils de Dieu vint dans le monde en assumant la chair, à savoir pour qu’il satisfît pour le péché du genre humain. En effet, quelqu’un satisfait pour le péché d’un autre lorsqu’il prend sur lui la peine due par l’autre pour [son] péché » (S. Thomas, op. cit., 3e partie, question 14, article 1). Et « parce que le Tête et les membres constituent pour ainsi dire une [seule] personne mystique, par conséquent, la satisfaction du Christ appartient à tous les croyants comme à ses membres » (3e partie, question 48, article 2, ad 1). Bien mieux, « la passion du Christ fut une satisfaction suffisante et surabondante pour les péchés de tout le genre humain ; lorsqu’une satisfaction suffisante a été procurée, l’obligation de peine est effacée » (3e partie, question 49, article 3, [conclusion]). Il est certain que Dieu n’avait pas purement et simplement cessé d’estimer les hommes à cause du péché ; en effet, pour les hommes, Il a envoyé son Fils afin qu’ils fussent sauvés par Lui. Il les aimait donc eu égard à la nature qu’Il a faite Lui-même, mais il avait de l’aversion pour eux eu égard à la faute que les hommes avaient commise contre Lui ; et le Christ nous a racheté de cette faute et de la peine due par sa passion (3e partie, question 49, article 4, ad 1), laquelle passion tirait sa valeur non pas de ce qu’elle était imposée au Christ par d’autres, mais de ce que, par charité, elle était librement assumée par le Christ.

c) La Rédemption est, en fait, la même chose que la satisfaction du Christ, mais elle est appelée ainsi sous un autre rapport. Par le péché, l’homme, d’une certaine façon, s’était vendu pour devenir l’esclave de la faute et de la peine (Jean 8, 34 ; 2 Pierre 2, 19), mais également l’esclave du diable, dans la mesure où, en agissant ainsi, il avait fait ce que voulait le diable. Le Christ a donc racheté les hommes de cet esclavage que Dieu avait permis en raison de la faute et qu’il avait décrété en raison de la peine pour la faute, dans la mesure où Il a donné son sang et sa vie comme rançon, par laquelle, une fois acceptée, Dieu nous a libéré des deux esclavages (S. Thomas, op. cit., 3e partie, question 48, article 4). [Ce n’est] pas au diable que cette rançon a été versée (ibid., ad 3). S’ils semble que certains anciens maîtres [=théologiens] l’affirmèrent, il faut interpréter les choses correctement en prenant en compte ce qu’ils expliquent en d’autres endroits, à savoir que la rançon a été versée à Dieu par mode de sacrifice et de culte, et qu’au diable a seulement été donnée la permission d’assouvir sa malignité sur le Christ et de le mettre à mort par ses serviteurs. Par cette mort, la satisfaction [correspondant à] la malignité ayant été accomplie, le diable se vit privé du domaine qu’il avait établi sur les hommes (3e partie, question 49, article 2).

C’est pourquoi il faut reconnaître que le Christ, en tant que Tête du genre humain, a pris sur Lui, pour les hommes, la peine due pour le péché, qu’Il s’est offert à Dieu, qu’Il a ainsi satisfait pour le péché et qu’Il a racheté les hommes.

d) Cette doctrine est niée par les manichéens et par tous ceux qui nient que Dieu se soit vraiment incarné. Pareillement pour les pélagiens qui nient le péché originel et enseignent que les hommes peuvent parvenir au salut par leurs propres forces naturelles. De même pour les sociniens qui disent que le Christ nous a montré la voie du salut seulement par la doctrine et l’exemple. Les anciens protestants admettaient cette doctrine, mais les rationalistes modernes la combattent vivement, et surtout Ritschl, et ses disciples, et parmi eux, le français E. (sic) Sabatier. Du reste, parce qu’ils déforment d’abord la doctrine, en vue de la combattre, [et] qu’ils l’attaquent ensuite, une fois qu’elle est travestie, il est à peine besoin de considérer leurs bruyantes protestations. En cela, il est plus étonnant que même certains théologiens catholiques, par crainte de ces protestations, s’appliquent à modifier tout du moins leur façon de parler et conseillent qu’il faut dire : Le Christ souffrant nous a racheté, [et] non pas : le Christ nous a racheté par sa passion. Mais il faut tenir fermement à la façon de parler que les Écriture, les Pères, les théologiens, les conciles ont sanctionnée : le Christ nous a racheté par sa passion, son sang, sa mort.

135. Preuve 1. Tirée des Écritures.

a) En Isaïe, au chapitre 53, se trouve une prophétie sur le Christ souffrant, comme on le constate dans le Nouveau Testament (Matthieu 8, 17 ; Marc 15, 28 ; Luc 22, 37 ; Actes 8, 32 et suiv. ; 1 Pierre, 2, 22 et suiv.). Or, dans cette prophétie, il est dit que le Christ a pris sur Lui les peines des pécheurs, et qu’Il nous a ainsi réconciliés avec Dieu. « Il a vraiment lui-même supporté nos maladies, et il a lui-même porté nos douleurs. (…) Et il a lui-même été blessé à cause de nos iniquités, il a été brisé à cause de nos fautes, le châtiment [qui conduit à] notre paix est sur lui, et par ses blessures, nous sommes guéris. (…) Et le Seigneur a fait reposer sur lui l’iniquité de nous tous. (…) S’il abandonne sa vie pour le péché, il verra une longue descendance. (…) Par sa science, le juste, mon serviteur en justifiera lui-même beaucoup, et il portera leurs iniquités. C’est pourquoi Je lui donnerai une grande multitude pour partage, et il distribuera les dépouilles des forts. » On ne peut exprimer plus clairement l’idée de satisfaction vicaire.

b) Dans le Nouveau Testament le Christ dit de Lui-même : « Le Fils de l’homme vient (…) donner sa vie en rachat pour la multitude (Matthieu 20, 28 ; Marc 10, 45). « Le rachat, λυτρον [lutron] est la rançon par laquelle quelqu’un achète sa liberté ou sa vie (cf. Exode 21, 29 et suiv. ; 30, 12 ; Nombres 35, 30 et suiv., etc.). Donc le Christ dit qu’Il donnera sa vie, ce par quoi l’homme serait racheté de l’esclavage et de la mort spirituelle. Et cela, Il le fait par obéissance au commandement du Père. « Moi, je suis le bon pasteur. Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis (…) À cause de cela, le Père M’aime, parce que Moi, je dépose ma vie, pour la reprendre à nouveau (…) Ce commandement, je l’ai reçu de Mon Père » (Jean 10, 11 et suiv. ; 17 et suiv.). Et au sujet de Son sang, il dit : « Ceci est mon sang, celui de la nouvelle alliance, qui sera versé pour la multitude en rémission des péchés « (Matthieu 26, 28 ; Marc 12, 24 ; Luc 22, 20). Par conséquent, le Christ est désigné [comme] l’ « agneau de Dieu qui porte/enlève le péché du monde » (Jean 1, 29) ; « Il est Lui-même propitiation [=moyen d’apaisement : ἱλασμός (hilasmos) ; propitiatio] pour nos péchés, non pas les nôtres seulement, mais également pour [ceux] du monde entier » (1 Jean 2, 2). Il s’est donné lui-même comme ἀντίλυτρον [antilutron : prix, rançon] pour tous (1 Timothée 2, 5 et suiv.]. D’autre part, on dit des croyants qu’ils sont achetés au prix du sang du Christ. « Vous avez été achetés à grand prix » (1 Corinthiens 6, 20 ; cf. 7, 23). « Vous n’avez pas été rachetés par des choses corruptibles, par de l’or ou de l’argent (…) mais par le sang précieux du Christ comme celui d’un agneau sans tâche » (1 Pierre 1, 18 et suiv.). C’est pourquoi « nous avons le rachat par Son sang » (Colossiens 1, 14 ; cf. 1, 20-22). « Nous sommes réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils » (Romains 5, 10). Par ces attestations, et par de nombreuses autres, il est clairement enseigné que le Christ a pris sur lui la peine due pour les péchés, et qu’il nous a réconcilié avec Dieu par sa passion et sa mort.

136. Preuve 2. Tirée de la tradition.

S. Clément de Rome : « Considérons d’un regard attentif le sang du Christ, et reconnaissons combien est Il précieux pour son Dieu et Père, [ce sang] qui, répandu pour notre notre salut, a obtenu la grâce du repentir pour le monde entier » (Première épître aux Corinthiens 7, 4 ; cf. 12, 7 ; 49, 6).

S. Basile : « L’on a trouvé quelque chose de très adéquat, dans le même temps, pour tous les hommes car il est donné comme prix du rachat de notre âme, c’est le sang saint et précieux de notre Seigneur Jésus Christ qu’Il a versé pour nous tous. ([Homilia n. 10] In Psalmum 48, n. 4)

S. Jean Chrysostome : Le Christ « agissant de même qu’un innocent s’il délivrait quelque individu soumis à la mort, en voulant mourir volontairement à la place de ce condamné ; ainsi a fait le Christ. En effet, alors que le Christ n’était pas assujetti à la malédiction, Il la prise sur lui pour tous afin que tous soient libérés par Lui. » (Commentarius in epistolam ad Galatas 3, 13)

S. Ambroise [de Milan] : Le Christ, « parce qu’Il a pris sur Lui nos péchés, a été nommé péché, (…) parce qu’Il a pris sur Lui-même notre malédiction. [(…) ; quand, pour ce qui est du péché qu’Il n’avait pas, il est écrit qu’Il a été fait péché, ce n’est pas [qu’Il a été fait] péché en essence et en acte, vu qu’Il a été fait à l’image de la chair du péché : mais [c’est que], afin de crucifier notre péché dans sa chair, dès lors, Il a pris sur Lui de porter, pour nous, le corps charnel du péché, assujetti aux infirmités » (De Incarnatione Domini sacramento, chap. 6, n. 60).

S. Jérôme : « Ce que [nous, en effet], devions supporter pour nos crimes, Lui l’a souffert pour nous, apaisant, par le sang de sa croix, les choses qui sont et sur terre, et dans les cieux. [Il est lui-même, en effet, notre paix, qui a fait des deux un seul.] (Commentarius In Isaiam 53, 5 et suiv.)

S. Augustin : « Le Christ, [étant] sans péché, a porté notre peine/punition/châtiment, pour nous délivrer, par là, de notre péché et, en plus, mettre un terme à notre peine. » (Contra Faustum, livre 14, chap. 4)

Et ainsi de suite, de nombreux autres Pères. Semblable est la doctrine unanime des théologiens (cf. supra n. 134 b et Suarez, De incarnatione, dispute 4, section 3).

S. Thomas ajoute que cette manière de délivrer l’homme a été convenable au plus haut point. En effet, de cette façon, a) l’homme a pris connaissance, de la meilleure manière, de l’amour de Dieu qui a souffert tant de choses pour lui ; b) il reçoit l’exemple des plus grandes vertus que l’on peut clairement distinguer dans la passion du Christ ; c) il est détourné avec crainte du péché qu’une telle peine devait acquitter/expier ; d) il a pris conscience de sa propre dignité parce qu’il a été racheté à si grand prix (Somme théologique, 3e partie, question 46, article 3). En outre, il faut remarquer que la passion et la mort du Christ sont la cause de notre salut non seulement par mode de satisfaction et de rachat mais également par mode de mérite et de sacrifice (S. Thomas, ibid., 3e partie, question 48, article 1 et suiv.). Nous avons évoqué la satisfaction et la rédemption ; nous parlerons par la suite du mérite et du sacrifice.

Le Concile d’Éphèse, au canon 10, a défini que le Christ a offert lui-même le sacrifice pour nos péchés, et il ajoute : Si quelqu’un dit « qu’Il a lui-même offert l’offrande pour Lui et non pas plutôt pour nous seuls (en effet Il n’avait pas besoin d’offrande celui qui ne connaissait pas du tout le péché), qu’il soit anathème. » (Denzinger n. 261/122).

Concile de Latran IV : Le Christ «  a souffert et mort sur le bois de la croix pour le salut du genre humain. » (Denzinger n. 801/429)

Concile de Florence, dans le Décret pour les Jacobites : le Christ « a terrassé à Lui seul l’ennemi du genre humain en détruisant, par Sa mort, nos péchés. » (Denzinger n. 1347/711)

Le Concile de Trente, dans la session 5, au canon 3, enseigne que le péché n’est enlevé par un autre remède « que celui du mérite d’un seul médiateur, notre Seigneur Jésus-Christ qui nous a réconcilié avec Dieu en son sang » ; dans la session 6, au chapitre 2, il enseigne que le Christ est, en son sang, le propitiateur pour nos péchés (citation de Romains 3, 25) ; dans la session 6, au chapitre 7 : la cause méritoire de notre justification est « Jésus-Christ qui, alors que nous étions ennemis” [cf. Romains 5, 10] , à cause de l’excessive charité par laquelle il nous a aimé” [cf. Éphésiens 2, 4], nous a mérité la justification par sa très sainte passion sur le bois de la croix, et a satisfait [= a donné satisfaction en expiant] pour nous à Dieu le Père » (Denzinger n. 1513/790, 1522/794, 1529/799)

Par conséquent, il n’est pas possible de douter que, selon la doctrine catholique, le Christ a satisfait pour les péchés des hommes en souffrant et en mourant.

137. Objection I.

[Majeure] Personne ne peut satisfaire lui-même à soi-même.

[Mineure] Or il fallait satisfaire aussi à la seconde personne de la sacro-sainte Trinité.

[Conséquence] Donc cette personne ne pouvait satisfaire pour les péchés.

Réponse : Je distingue la majeure : Quelqu’un, en qualité de personne, et possédant une seule nature, ne peut satisfaire à lui-même, je concède la majeure ; et celui qui, certes, est une personne, mais possède deux natures rationnelles, ne peut satisfaire à lui-même selon une [des deux ] natures, en ayant été offensé selon l’autre, je nie la majeure.

Je concède la mineure.

Je distingue la conséquence : Le Christ n’a pas pu faire d’actes satisfactoires selon la divinité, je concède la conséquence ; ni selon l’humanité, je nie la conséquence.

[En effet], la satisfaction, en termes propres, est procurée à Dieu par la volonté, et par d’autres actes dans la mesure où ils procèdent de la volonté. Or la volonté humaine du Christ est autre que la volonté divine. Par conséquent, cette volonté a pu se soumettre à Dieu afin de satisfaire pour les péchés et, à cette fin, subir la passion et la mort.

La personnalité du Verbe, en ce qui concerne les actions humaines qui sont les siennes et qu’elle doit engager, a seulement pour condition de ne pas tirer la diversité de ces actions des actions divines. Par conséquent, la distinction requise pour satisfaire est préservée.

En outre, le Christ est une double personne morale, en tant que Dieu et en tant que Représentant du genre humain. Or il peut se faire que quelqu’un s’achète, en tant que personne publique quelque chose à lui-même, en tant que personne privée ; ou qu’il reçoive de lui-même, en tant que personne privée, des revenus qu’il a réunis en tant que personne publique. Ce qui s’est fait dans le Christ est analogue, Lui qui, en tant que Tête du genre humain, s’est acquitté envers Dieu, et également envers Lui-même, en tant que Dieu, de ce que les hommes devaient à Dieu. Cela, de toute façon, n’aurait pu se faire si le Christ n’avait pas été en même temps homme ; en effet, en tant que Dieu, Il ne satisfaisait pas, mais Il rendait moralement dignes les actes faits selon sa nature humaine.

138. Objection II.

[Majeure] Il est injuste et cruel de punir un innocent à la place (pro) d’un coupable.

[Mineure] Or le Christ était innocent.

[Conséquence] Par conséquent, Il ne devait pas être puni à la place (pro) des hommes coupables.

Réponse. Passe le tout, parce que le Christ, à proprement parler, n’a pas été puni, bien que, quelquefois, certains Pères parlent ainsi avec un sens moins précis. En effet, la peine proprement dite n’est infligée qu’à un homme coupable. Or les souffrances et les autres maux physiques peuvent également être supportés par un innocent pour une autre fin, comme cela arrive fréquemment parmi les hommes. Mais si « peine » est prise au sens large pour « pénalité », il faut ainsi distinguer l’objection.

Je distingue la majeure : Il est injuste et cruel de contraindre un innocent à satisfaire pour un coupable contre sa volonté, je concède la majeure ; un innocent ne peut pas volontairement procurer une satisfaction pour un coupable, je nie la majeure.

Je concède la mineure.

Je distingue la conséquence : Le Christ ne devait pas être contraint contre sa volonté à satisfaire pour les hommes, je concède la conséquence ; le Christ ne devait pas volontairement satisfaire pour les hommes, je nie la conséquence.

Et par cette volonté soumise du Christ, Dieu a pu donner au Christ homme le commandement de satisfaire pour les hommes. Ensuite, il faut vraiment relever la chose suivante : Dieu n’a pas tué le Christ, et le Christ ne s’est pas tué Lui-même, mais ce sont ses ennemis qui L’ont tué ; or Dieu a permis cela et le Christ a accepté la mort, afin que, de cette façon, Il satisfît pour les péchés des hommes, et ainsi, par la Providence divine, d’un mal permis, Il a fait un plus grand bien (cf. S. Thomas, op. cit., 3e partie, question 47, articles 1-3).

139. Objection III.

[Majeure] Si le Christ a satisfait pour les hommes, il ne fallait pas imposer aux hommes eux-mêmes les maux qui constituent la peine du péché originel, parce que le droit d’exiger la peine est suspendu lorsque la satisfaction a été procurée et acceptée.

[Mineure] Or on a imposé aux hommes les maux qui constituent la peine du péché originel.

[Conséquence] Par conséquent, le Christ n’a pas satisfait pour le péché originel.

Réponse. Je distingue la majeure : Si le Christ a satisfait, les hommes qui ne sont pas nés de nouveau du Christ, ne sont pas davantage soumis à la peine due pour le péché original, je nie la majeure ; ceux qui sont nés de nouveau du Christ [ne sont pas davantage soumis à la peine due pour le péché original], je concède la majeure.

Je distingue la mineure : Ceux qui ne sont pas nés de nouveau sont punis pour le péché originel, je concède la mineure ; ceux qui sont nés de nouveau [sont punis pour le péché originel], je nie la mineure.

Et je nie la conséquence : Il est évident que le Christ a, certes, satisfait pour tous de manière suffisante. Mais cette satisfaction est appliquée à tout un chacun dans la mesure où ils deviennent, par le baptême, les membres du Christ (Marc 16, 16 ; Jean 3, 5). En effet, « l’effet de ce sacrement est la remise de toute faute originelle et actuelle, et également de toute peine due pour la faute elle-même » (Concile de Florence, Décret pour les Arméniens ; Denzinger n. 1316/696). Les malheurs de la vie, comme les souffrances et la mort, sont conservés chez les justes, non comme peine des péchés remis par le baptême, mais afin que les membres soient formés sur le modèle du Christ Tête, et afin, qu’avec Lui, par leur endurance, ils méritent une couronne plus éminente dans le Ciel. Ceux qui, de fait, pèchent de nouveau gravement après le première justification, doivent, selon le juste jugement de Dieu, supporter d’autres peines qui, cependant, ne tire leur force de satisfaire pour les péchés que de la satisfaction du Christ (Denzinger, 1691/904 ; S. Thomas, op. cit., 3e partie, question 49, article 3 ; Ferdinand Aloys Stentrup, Praelectiones dogmaticae de Verbo Incarnato. Pars altera : Soteriologia, Innsbrück, Rauch, 1884, thèse 8).

De fait, les objections que A. Sabatier et les autres rationalistes soulèvent, sont si déplorables qu’ils n’est pas besoin de répondre, comme quand ils disent que, selon la doctrine catholique, Dieu ne pouvait remettre le péché par pure charité, mais que [sa] colère devait nécessairement être apaisée par le sang et la mort, que Dieu est considéré comme un noble qui ne veut pas tolérer que son honneur outragé reste sans vengeance ; beaucoup d’autres choses semblables non moins sottes qui, si elles sont, de fait, jugées valables par cet homme savant, ne méritent pas tant la réfutation que la pitié. Voyez cela, si vous voulez, chez Labauche, Leçons de théologie dogmatique, t. I, p. 340 et suiv.


Scholastique [partie de la théologie qui discute des questions de théologie par la raison et les arguments]. De l’acceptation et de la valeur de la satisfaction du Christ.

140. a) La satisfaction du Christ, pour qu’elle soit efficace pour les hommes en acte second, doit être acceptée par Dieu. En effet, la peine pour le péché grave établie par Dieu est la damnation éternelle. Or, personne sinon Dieu ne peut changer cette peine en une autre. En outre, la satisfaction procurée par le Christ est quelque chose d’extérieur au péché, qui ne le rend pas juste d’une façon immédiate mais constitue une raison pour Dieu de justifier Lui-même l’homme intérieurement ; par conséquent, cela requérait l’acceptation de la part de Dieu. Or Dieu a établi le mode par lequel Il veut accepter la satisfaction et l’appliquer aux hommes. À ce mode appartient le fait que les actions satisfactoires, quoique n’importe laquelle d’entre elle fût suffisante pour racheter le genre humain, devaient être cependant accomplies par la mort du Christ. Par conséquent, on dit que nous sommes rachetés par la mort du Christ (Romains 5, 10 ; Hébreux 2, 14). Or l’acceptation, de la part de Dieu, n’est rien d’autre que la décision de l’Incarnation et de la mort du Christ ; en effet, par cela même que Dieu a envoyé le Christ dans ce but, Il a accepté sa satisfaction. Mais parce que l’acceptation n’ajoute rien à la valeur interne de la satisfaction, les nominalistes, comme [Gabriel] Biel (Résumé et commentaire des quatre Livres des sentences, in 3, distinction, 19, question 1, conclusion 3), et la plupart des scotistes [disciple de Jean Duns Scot], concluent injustement de cette nécessité que la satisfaction du Christ n’était pas en soi condigne pour effacer les péchés de tous les hommes.

b) C’est une opinion très commune aux théologiens que de dire que la satisfaction du Christ est condigne et surabondante (cf. S Thomas, op. cit., 3e partie, question 48, article 2 ; Suarez, De Incarnatione, dispute 4, section 4, numero 11 et suiv.). Dans les Saintes Écritures, le sang du Christ est appelé τιμή [timè] (1 Corinthiens 6, 20 ; 1 Pierre 1, 18 et suiv.). Or τιμή est un prix condigne. C’est pourquoi au chap. 10 de l’épître aux Hébreux, on montre que les hommes ont pu être sanctifiés par le seul sacrifice que le Christ a offert sur la croix, et non par les sacrifices de l’Ancien Testament. J’ajoute que Dieu a pu même accepter ces sacrifices pour remettre les péchés ; par conséquent, la différence essentielle entre les sacrifices de l’Ancien Testament et le sacrifice du Christ n’est pas dans l’acceptation mais dans la valeur interne, ce qui est également évident dans l’exposé de S. Paul.

Bien mieux, la S[ainte] Écriture enseigne que la satisfaction du Christ est surabondante. « Le don n’est pas comme la faute ; si, en effet, beaucoup sont morts par la faute d’un seul, la grâce de Dieu et le don [fait] dans la grâce d’un seul homme, Jésus-Christ, ont abondé plus encore chez une multitude. Et le don n’est pas comme le péché [advenu] par un seul ; en effet, le jugement [prononcé sur] un seul [péché] [aboutit], certes, à la condamnation, mais la grâce [appliquée à] une multitude de fautes [aboutit] à la justification. Si, en effet, par la faute d’un seul, la mort a régné par ce seul [homme], ceux qui reçoivent l’abondance de la grâce, du don et de la justice, régneront plus encore dans la vie par un seul, Jésus-Christ » (Romains 5, 15 et suiv.). Telle est donc l’excellence de l’action du Christ, car, dans la satisfaction du Christ, la puissance pour sauver était beaucoup plus grande que celle pour perdre dans le péché d’Adam.

Semblable est la doctrine des saints Pères.

S. Prosper [d’Aquitaine] : « Contre la blessure du péché originel (…) la mort du Fils de Dieu est un remède vrai, puissant et unique (…). Parce que, pour ce qui est de l’importance et de la puissance du prix [payé], pour ce qui est de la seule excuse du genre humain, le sang du Christ vaut le rachat du monde entier (Responsiones ad capitula objectionum Vincentianarum, livre 1, chapitre 1)

S. Cyrille de Jérusalem : « L’iniquité des péchés n’était pas aussi grande que la justice de Celui qui mourrait pour notre grâce » (Catechesis 13, De Christo crucifixo et sepulto, n. 33).

S. Jean Chrysosotome : « Le Christ a payé bien davantage que ce que nous devions, combien la mer a-t-elle prodigieusement dépassé la petite goutte ! » (Commentarius in epistolam ad Romanos, homélie 10, n. 2).

Bien mieux, selon l’opinion de nombreux théologiens (contredisant les scotistes), la satisfaction du Christ est infinie en raison de sa dignité morale, parce que la dignité de la satisfaction est d’autant plus grande que l’est la dignité de la personne qui satisfait. Or, la personne du Christ est d’une dignité infinie ; donc sa satisfaction l’est également. En effet, bien que les actions humaines du Christ soient en elles-mêmes finies, elles reçoivent une dignité morale de la personne du Christ et sont déifiées par Lui ; certes, cette dignité se trouve en ses actions humaines par mode de participation, et elle s’ajoute à elles de l’extérieur, elle ne les constitue pas intérieurement. Par suite, une seule action du Christ a autant de valeur pour satisfaire que toutes [ensemble], bien que [ce soit] seulement toutes en même temps qui, rendues parfaites par la mort, ont été offertes et acceptées en vue de la satisfaction. Pour ce qui touche aux actions elles-mêmes, elles se rapportent à bien d’autres vertus morales et, en ce sens, leur bonté morale est variée.

Lorsque le Christ s’offrait Lui-même, une personne infinie offrait une chose infiniment digne. Néanmoins, la raison de dignité se trouve davantage du côté de la personne offrante ; en effet, si la personne offrante était finie, la satisfaction ne serait pas purement et simplement infinie en raison de la chose offerte infinie. Ainsi le sacrifice de la messe, dans la mesure où il est offert par un prêtre humain, ne possède pas une valeur infinie (cf. Suarez, op. cit., dispute 4, section 4, n. 29). Et par conséquent, ce n’est pas parce que le prix offert est infini que la satisfaction est infinie, parce que la satisfaction est évaluée en fonction de la dignité de celui qui satisfait ; « et on dit de la satisfaction elle-même par laquelle quelqu’un satisfait soit pour lui-même, soit pour un autre, [qu’elle est] un certain prix par lequel [cette personne] se rachète elle-même ou bien l’autre, du péché et de la peine » (S. Thomas, op. cit., 3e partie, question 48, article 4).

Clément VI disait à ce propos : le Christ a répandu pour nous tous Son sang. « [En effet, Il nous a rachetés, non avec l'or et l'argent périssables, mais avec Son propre sang, [le sang] précieux d'un agneau pur et sans tache (1 Pierre 1, 18) ; [ce sang], on sait que l’Innocent immolé sur l'autel du sacrifice, n’en a pas versé qu’une petite goutte qui, cependant, à cause de l’union au Verbe aurait suffi pour le rachat de tout le genre humain, mais [Il l’a versé] abondamment comme par écoulement, de telle façon que « de la plante du pied jusqu’au sommet de la tête, on ne trouvait en Lui plus rien de sain » (cf. Isaïe 1, 6).] Par suite, donc, afin que la miséricorde d’un tel épanchement ne soit pas rendu inutile, vaine ou superflue, quel grand trésor a-t-Il acquis à l’Église militante, car le tendre Père voulait le rassembler pour Ses fils, afin qu’ainsi “appartiennent aux hommes un trésor infini par lequel ceux qui en font usage ont part à l’amitié de Dieu” (Sagesse 7, 14) » (Denzinger n. 1025/550).

d) Pareillement, de nombreux théologiens enseignent que le Christ, en un certain sens, a vraiment satisfait en rigueur de justice, de telle sorte que Dieu, au titre de la justice, devait accepter cette satisfaction et, à cause d’elle, libérer les hommes du péché. Certes, il ne s’agit pas de justice commutative proprement dite [=justice qui règle l'équité des échanges], comme si Dieu avait reçu quelque chose et devait rendre une chose équivalente, mais il s’agit de justice distributive [=justice qui répartit les biens et les peines selon les mérites] selon laquelle Dieu, à cause de la satisfaction et du mérite du seul Christ, a distribué les biens surnaturels (cf. Suarez, op. cit., dispute 4, section 4, n. 62 et suiv.). En effet, étant supposée la promesse d’accepter la satisfaction et les mérites du Christ à cette fin, Dieu se devait [de faire en sorte] que cette disposition soit mise à exécution. Et parce que Dieu n’a pas simplement promis quelque chose mais, dans la mesure où Il a d’abord demandé une satisfaction condigne, [la satisfaction] est considérée, au-delà du seul titre de la parole donnée, comme une vraie raison de justice.

Or, on dit que la satisfaction du Christ est [faite] en rigueur de justice dans la mesure où le Christ a offert à Dieu une satisfaction sur ses biens propres, [biens] dont il avait la parfaite possession. Certes, l’Incarnation elle-même était l’œuvre de la pure miséricorde de Dieu, que personne n’a pu mériter, mais le Verbe incarné a eu la pleine propriété de ses actes humains et, par ses actes, Il n’a pas moins satisfait que s’ils étaient les actes d’une personne infinie distincte de Dieu. Un autre homme juste satisfait par des actions faites [sous l’influence ] de la grâce et, par conséquent, non par rigueur de justice ; mais le Christ a satisfait par des actions qui étaient de valeur infinie non [sous l’influence] de quelque grâce mais par la dignité naturelle de la personne. Même si ces actes étaient dus à Dieu à d’autres titres, ces titres laissaient intacte la parfaite propriété du Christ. Or, c’est de cette parfaite propriété que dépend la raison de justice, étant supposée l’acceptation de Dieu. Dieu a dit en quelque sorte : Si Tu procures une satisfaction condigne, Moi, Je remettrai les péchés. Le Christ a procuré une satisfaction condigne ; donc Dieu, par rigueur de justice, remet les péchés. Il existe certaines théologiens qui nient cela. Mais ceux-ci, quant à la rigueur de justice, demandent quelque chose qui n’est pas nécessaire. Par suite, toute la discussion se situe plus au niveau de la façon de parler (cf. [Johannes Baptist] Franzelin, [Tractatus] de Verbo Incarnato, thèse 47 ; Stentrup, op. cit., thèse 12).


Référence

Christian Pesch, s.j. [de la Compagnie de Jésus c’est-à-dire jésuite], Compendium theologiae dogmaticae, t. III : De Verbo Incarnato ; de Beata Virgine Maria et de cultu sanctorum ; de gratia ; de virtutibus theologicis, 5e édition, Herder & Co., Fribourg-en-Brisgau, 1935, p. 73-81. 


La traduction, à partir du texte latin, est le fait de l'auteur de ce blogue.