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dimanche 19 juin 2011

La timidité, selon Le Spiritualiste, 1857


« (...) Combattez donc, chacun en vous-même, la timidité, comme vous combattez le respect humain; car tous deux sont fils de l'orgueil.

O vous, gens timides, répondez : D'où vous vient ce pénible sentiment de gêne, de malaise, que vous éprouvez invariablement chaque foi s que vous vous trouvez en présence d'étrangers que vous voulez bien considérer comme vos supérieurs ? Vous me répondrez, et je vous entends déjà, que ce malaise et cette gêne vous viennent de ce que vous avez une trop faible opinion de votre mérite.

Mensonge, ou erreur! car, si vous aviez de vous-mêmes une opinion si désavantageuse, vous seriez ce que sont les humbles; peu soucieux de l'opinion des autres, et heureux (car vous sentiriez que c'est juste) d'être considérés comme peu, et mal regardés.

Au contraire, c'est la très bonne opinion que vous avez de vous-mêmes qui vous fait craindre de n'être pas appréciés à votre valeur imaginaire : d'être mal jugés. Pourquoi n'attachez-vous pas le même prix au jugement de ceux que vous considérez comme vos inférieurs, à l'effet que vous produisez sur eux, si ce n'est pas l'orgueil qui vous inspire ? Vous ne vous intimidez pas devant ceux que vous considérez comme vos inférieurs...

Persuadez-vous donc de la grandeur de votre cause et de votre petitesse individuelle, et alors, sans crainte, sans timidité, sans penser à l'effet que vous allez produire, à ce qui peut en résulter pour vous de blâme ou de considération, vous parierez comme vous sentez, et ce que vous direz sera bien dit, parce que la vérité porte en elle son éloquence. »

Référence.

Le Spiritualiste, t. 1, Nouvelle-Orléans, 1857, p. 12.

La timidité vue par H. de Balzac, 1843.

 
Il y a deux timidités — la timidité d'esprit, la timidité de nerfs : l'une est indépendante de l'autre. Le corps peut avoir peur et trembler pendant que l'esprit reste calme et courageux, et vice versa. Ceci donne la clef de bien des bizarreries morales. Quand deux timidités se réunissent chez un homme, il sera nul toute sa vie. Cette timidité complète est celle dont nous disons en parlant d'un homme: « C'est un imbécile. » Il se cache souvent dans cet imbécile bien des qualités comprimées. Peut-être devons-nous à cette double infirmité quelques moines qui ont vécu dans l'extase. Cette malheureuse disposition physique et morale est produite aussi bien par la perfection des organes et par celle de l'âme que par des défauts encore inobservés.

La timidité de Jean-Jacques venait d'un certain engourdissement de ses facultés, qu'un grand instituteur, ou un chirurgien comme Desplein, eussent réveillées. Chez lui, comme chez les crétins, le sens de l'amour avait hérité de la force et de l'agilité qui manquait à l'intelligence, quoiqu'il lui restât encore assez de sens pour se conduire dans la vie. La violence de sa passion, dénuée de l'idéal où elle s'épanche chez tous les jeunes gens, augmentait encore sa timidité, Jamais il ne put se décider, selon l'expression familière, à faire la cour à une femme à Issoudun. Or, ni les jeunes filles, ni les bourgeoises ne pouvaient faire les avances à un jeune homme de moyenne taille, d'attitude pleine de honte et de mauvaise grâce, à figure commune, que doux gros yeux d'un vert pâle et saillants eussent rendue assez laide, si déjà les traits écrasés et un teint blafard ne la vieillissaient avant le temps. La compagnie d'une femme annulait, en effet, ce pauvre garçon, qui se sentait poussé par la passion aussi violemment qu'il était retenu par le peu d'idées dues à son éducation. Immobile, entre deux forces égales, il ne savait alors que dire, et tremblant d'être. interrogé, tant il avait peur d'être obligé de répondre ! Le désir, qui délie si promptement la langue, lui glaçait la tienne, Jean-Jacques resta donc solitaire, et rechercha la solitude en ne s'y trouvant pas gêné.

Honoré de Balzac, Un ménage de garçon en province, Melines, Cans et Cie, Bruxelles, 1843, p. 83-84.

La timidité selon E. Hamilton, 1804.

[L'orthographe ancienne est conservée.]

La timidité, considérée purement comme s'opposant à tout effort vigoureux, est un obstacle à toute espèce de supériorité, parce qu'en entravant l'esprit, elle est particulièrement amie des préjugés et ennemie de la vérité. Cet empire sur soi-même, qui paraît le patrimoine des esprits élevés, n'est dans le fait que le triomphe de la raison sur les passions de la surprise et de la crainte, qui dans l'occasion ne peuvent être surmontées promptement par ceux qui ont été accoutumés de bonne heure à être dominés par la terreur. Il nous importe donc de nous mettre en garde, autant qu'il est possible, contre les premières atteintes d'une passion dont les excès sont également nuisibles au bonheur et à la vertu.

Toutes vos observations peuvent être très vraies, me direz-vous peut-être, à l'égard de petits garçons; mais la timidité dans les filles est si gracieuse et si engageante, qu'on doit l'encourager en elles par tous les moyens. Je vous demande pardon. Je croyois que nous parlions de la meilleure méthode de cultiver les facultés de l'espèce humaine, afin de les élever à la plus grande perfection dont elles sont susceptibles, et de veiller sur les impressions et associations de l'enfance, afin de la préserver de l'influence des erreurs dominantes (1); en cela je ne peux faire aucune distinction de sexe, car je crois que l'esprit qu'on met le plus de soin à préserver de l'influence des préjugés, sera le mieux préparé à tenir la conduite la plus conforme à sa situation et aux circonstances où il se trouvera. (...)

Mais quand on a une fois privé l'esprit de force et d'énergie, il faut se résoudre à toutes les conséquences qui en résultent. L'incapacité de supporter la douleur avec quelque fermeté, n'est peut--être pas la plus funeste. L'égoïsme, presque toujours uni avec l'extrême timidité, en est une conséquence encore plus dangereuse. L'active bienveillance exige un degré de résolution et un abandon de soi-même auxquels le caractère timide ne peut jamais atteindre. Comparons l'un et l'autre par des exemples pris dans le cours de la vie. (...)

Il est de l'essence de la lâcheté et de la pusillanimité de diriger l'esprit exclusivement sur soi-même. Les souffrances des autres ne peuvent faire impression sur un esprit ainsi préoccupé, ni les affections sociales ou sympathiques exercer leur influence sur le cœur. Combien on se trompe alors en confondant l'idée de douceur, dont la bienveillance et la complaisance sont les principes constitutifs, avec cette timidité qui est la conséquence d'une attention exclusive sur soi-même. (…)

Quelques personnes regardent la timidité non seulement comme un ornement plein de grace chez les femmes, mais encore comme une vertu nécessaire pour prévenir les suites de l'imprudence à laquelle l'inexpérience du monde peut exposer les jeunes filles. Il nie semble que l'humilité, et la défiance sa compagne, auraient infiniment plus de succès. En général, la timidité, autant que j'ai pu l'observer, produit plutôt l'imprudence. Quand le cœur est engagé, il ne faut pas une médiocre portion de courage pour être en état d'examiner toutes les conséquences possibles d'une démarche importante; l'homme timide n'ose les envisager; il ferme obstinément les yeux, il se précipite aveuglément dans le gouffre; et souvent, hélas ! il s'apperçoit trop tard que c'est la lâcheté qui a causé sa perte.

Un autre effet de l'extrême timidité de caractère est, sous le point de vue moral, bien digne de notre sérieuse attention. L'homme timide est rarement sincère; la ruse est le refuge constant de la lâcheté; c'est l'arme vile dont les esprits pusillanimes se servent pour contrecarrer ce à quoi ils n'osent ouvertement s'opposer. Combien est méprisable la fausseté qu'on découvre si souvent dans ceux qui par timidité applaudissent ce qu'ils condamnent dans le fond de leur cœur! Dans quels déplorables dilemmes se trouvent souvent engagés les hommes imprudens et timides ! Le caractère de Saint-Pierre, tel qu'il est représenté dans l'évangile, en est un bel exemple. Hélas! il n'est pas le seul que la timidité ait entraîné à des actions dont on a eu par la suite à pleurer amèrement. 
 
Je ne puis nier que cette faiblesse ne soit quelquefois un défaut de la constitution individuelle; mais je pense qu'on peut assurer qu'elle est souvent accidentelle et acquise; et comme elle est fréquemment produite par de fortes impressions faites sur l'esprit de l'enfant, et qui donnent lieu à des associations permanentes et ineffaçables, nous devons convenir que c'en est assez pour mériter notre attention.

Mais comment est-il possible, me direz-vous, de se mettre en garde contre la conduite insensée des nourrices et des gouvernantes? On ne peut pas toujours être avec ses enfans.

L'œil vigilant d'une mère prudente peut beaucoup. Convainquez vos gouvernantes que vous regardez comme un objet de grande importance de préserver vos enfans de l'influence de la terreur. Observez attentivement les premiers symptômes; ne les laissez point passer sans en examiner la cause; faites sentir par expérience à vos gouvernantes qu'on peut empêcher les enfans de toucher à ce qui est dangereux par d'autres moyens qu'en leur disant, ça mord. Ayez pour règle constante de leur refuser ce qu'ils demandent obstinément à grands cris. Cette règle sera beaucoup plus efficace que de les menacer du vieux bonhomme et du chien noir, qui vont descendre par la cheminée pour enlever les enfans méchans. Il est peut-être bon de remarquer ici combien l'éducation ordinaire des nourrices peut nuire aux facultés morales et physiques. Pour les engager de gré ou de force à céder à notre volonté, nous employons également un système de fausseté, et nous voulons ensuite qu'ils disent la vérité. Si des symptômes d'une disposition contraire se manifestent dès l'enfance, c'est que nous ne faisons jamais attention aux mille et un mensonges, évidens pour échapper à la sagacité même de l'enfance; c'est que nous ne considérons jamais les associations que nous excitons ainsi, et que nous en rejetons aussitôt tout le blâme sur la pauvre nature humaine. Sans vouloir entamer aucune controverse sur la dépravation originelle, je puis assurer, je crois, que l'usage de la tromperie et de la fausseté à l'égard des enfans est un mauvais préparatif pour les leçons qu'on doit prendre tant de peine à leur donner par la suite sur l'amour de la vérité. Mais ce n'est pas ici le lieu de traiter cette matière. Revenons au sujet de la terreur qui me paraît beaucoup trop important pour l'abandonner si vite.

(1) Voyez la lettre première.

Elizabeth Hamilton, Louis Claude Chéron de La Bruyère (trad., 2e édition), Lettres sur les principes élémentaires d'éducation, t. 1, Demonville, Paris, 1804, p. 49.

La timidité selon Th. Ribot, 1904.


J'entends par passion une émotion devenue fixe et ayant, de ce fait, subi une métamorphose. Son caractère propre est l'obsession permanente ou intermittente et le travail d'imagination qui s'ensuit. Ainsi la timidité est une passion issue de la peur; l'ambition et l'avarice, des passions issues du self-feeling. (…)

Pour cela, le mieux est de le voir à l'œuvre dans quelques passions. J'en choisis trois; l'une dépressive, la timidité; une autre expansive, l'amour; une autre mixte, la jalousie. (...)

I. J'appelle la timidité une passion puisque, conformément à la définition précédente, elle est une émotion persistante et obsédante. Nous avons à considérer d'abord la disposition innée, c'est-à- dire le tempérament ou caractère du timide; puis la série des jugements affectifs qui en sont issus; enfin les résultats ou conclusions.

Je résume d'après deux auteurs contemporains les caractères principaux de la timidité (1).

Symptômes physiques : troubles sensoriels, moteurs, vasculaires viscéraux, sécrétoires.

Symptômes psychiques : la peur, la honte, l'aboulie et l'inhibition des actes, le défaut de présence d'esprit et ce caractère propre, qu'elle ne se manifeste que d'homme à homme et par conséquent sous une forme sociale. 

D'un mot, elle est une « hyperesthésie affective » (Hartenberg). Tel est le point de départ, équivalent à la prémisse majeure ou à la proposition générale dans la logique rationnelle. Sur ce fondement, le raisonnement s'édifie. Cette disposition primaire, cette matière affective est transformée par une accumulation de jugements de valeur, par une appréciation subjective des hommes et des événements. C'est la transformation de la « timidité brute et spontanée en une timidité réfléchie et systématique ». 

La démarche de l'esprit, plutôt irrationnelle, procède surtout par intuition. J'emprunte à Dugas (ouv. cité, p. 56 et suiv.) une fine analyse de cette intuition des timides, propre à nous faire comprendre la nature de leurs raisonnements. 

« L'excès de sensibilité développe en lui [le timide] une clairvoyance aiguë. Sa perspicacité est d'ailleurs très spéciale. Elle se fonde sur des indices, non sur des preuves ; elle est faite d'impression, non de jugements; elle est sûre d'elle-même, mais ne se discute point, ne se justifie point. Elle est l'intuition ou plutôt l'interprétation rapide des mouvements spontanés, des paroles, du ton de la voix, de la physionomie et des gestes... Impression faite de détails saisis au vol et subtilement analysés; elle s'oppose au jugement réfléchi que nous porterions sur les personnes d'après leur caractère et leurs actes observés de sang-froid. Bien des esprits se fient plus à leur impression qu'à leur jugement. Mais en fait, la pénétration du timide n'est pas sûre; la passion la guide mais aussi l'égare. Sa lucidité a toutes les ressources, mais aussi toutes les imperfections de l'instinct ». 

En lisant cette analyse avec attention, surtout les passages que j'ai soulignés à dessein (ils ne le sont pas dans le texte), on verra facilement que ces intuitions, impressions que Dugas oppose au jugement (sans épithète), c'est-à-dire au jugement rationnel, sont identiques aux jugements affectifs ou jugements de valeur que nous avons étudiés dans un précédent article et sans lesquels il n'y a point de logique des sentiments.

Enfin ce travail a son terme : misanthropie, pessimisme, égotisme, maladie de l'idéal, mysticisme. Le résultat varie suivant le tempérament, le caractère, le milieu, le degré de culture c'est une conception morale, sociale ou religieuse du monde, mais toujours subjective, personnelle.

Ainsi d'une prémisse – l'état affectif du timide, – d'une série de moyens termes – les jugements de valeur – sort une conclusion qui systématise et résume le travail de l'esprit.

1. Consulter sur ce sujet les deux excellentes monographies de Dugas : La timidité; étude psychologique et morale, Paris, Alcan, 1898; et du D' Hartenberg : Les timides et la timidité. In-8°, Paris, Alcan, 1901. 

Th. Ribot, « La logique des sentiments », Revue philosophique de la France et de l'étranger, 29e année, n°58, juil-déc. 1904, p. 39-40.

La timidité selon J.M. Baldwin, 1897.


Timidité. Je puis d'abord livrer mes observations sur ce fait intéressant de la vie enfantine, en le considérant comme une simple illustration de cette sorte de suggestion par inhibition, et n'aborder qu'ensuite l'analyse des côtes originaux de ce sujet.

Le caractère gênera! de la timidité dans l'enfance est assez connu pour qu'on n'ait pas besoin d'y insister. Elle commence d'apparaître avec lit première année de l'enfant sons forme d'inhibition de ses activités normales. Ses signes expressifs les plus nets sont les suivants l'enfant tord ses doigts, ses mains, froisse nerveusement ses vêtements ou ceux des autres se détourne entièrement et se cache le visage remue le torse et agite les jambes d'une façon embarrassée. Dans les cas extrêmes, il rougit, contracte les lèvres et les paupières, et finalement crie et pleure. Cependant ces signes extérieurs varient, suivant que l'enfant se trouve abandonné avec des étrangers, ou qu'il est accompagné par sa bonne, sa nourrice ou sa mère. Dans ce dernier cas, il se colle dans le tablier ou les vêtements de celle-ci, s'en fait comme une sorte d'abri contre le regard des gens qu'il ne connaît pas, ou bien encore il enfouit sa tête dans la poitrine ou dans le cou de celle qui le porte. En l'absence de ces refuges, l'enfant, ainsi perdu au milieu de ces visages inconnus, tombe dans une sorte de paralysie fréquemment associée à une violente frayeur.

Cette analogie de l'expression physique de la timidité avec celle de la peur est, je crois, significative de l'origine phylogénétique de la première. La timidité n'est probablement, en effet, qu'une atténuation de la crainte. Sans vouloir m'arrêter à cette question, je tiens à noter, en passant, que la timidité est une réaction née de la crainte d'autrui et proportionnée à la faiblesse de celui qui craint. La tendance à s'abriter, à se serrer auprès de ceux dont on attend la protection et le secours, fournit des indications parallèles sur certaines conditions primitives de l'instinct social.

Mes observations sur,la timidité, dans ce qu'elles ont de général, servent à caractériser les diverses phases de son développement expressif. Je vais m'efforcer de les indiquer brièvement :

I. L'enfant est d'abord victime de ce qu'on peut appeler la timidité primaire ou organique. Cette phase de la timidité ressemble beaucoup aux phases organiques des émotions instinctives, d'ailleurs bien connues, telles que la crainte, la colère, la sympathie, etc. Elle apparaît dans le courant de la première année, spécialement dans les rencontres de l'enfant avec des étrangers. Dans cette première phase, la timidité n'est pas aussi paralysante que dans la suite et se manifeste, & peu près comme la peur, avec des protestations, des agitations, des cris, etc. C'est bien, je crois, une véritable réaction sensori-motrice, comme la plupart des réflexes nerveux que l'on remarque à cet âge. 

La durée de cette phase dépend en grande partie du milieu social dans lequel l'enfant grandit. Les relations sociales de l'enfant se multiplient il apprend peu à peu à distinguer parmi les personnes qui ne sont pas de la maison et discerne bientôt avec un sens très juste entre les amis éprouvés et les étrangers sans garantie. La condition la plus importante de ce progrès, qui va transformer sa vie sociale organique, c'est le nombre de ses rapports avec d'autres personnes, mais tout spécialement avec des enfants. Les bébés que l'on emmène dans le monde pendant un séjour annuel dans les villes d'été, ou que l'on mène de temps a autre au salon pour les visites de leur mère, non seulement perdent bientôt la peur de l'étranger, mais prennent, rapidement le goût de la société, et cela dès l'âge de dix-huit mois environ. Au contraire, les enfants isolés de toute relation;, qu'on ne laisse pas jouer avec les autres enfants et qui ne voient, guère d'autres gens que ceux de la maison, gardent jusqu'à deux ou trois ans une répulsion très vive pour toute personne étrangère, et leur développement, dans ce sens se fait avec une extraordinaire lenteur.

Nous avons déjà dit que ce développement de l'instinct social dépendait largement des relations de l'enfant avec des enfants plus âgés. Là l'imitation joue un rôle notable: l'enfant devient pour l'enfant un modèle à imiter, et l'aide à définir les mouvements que l'évolution purement organique avait laissés incertains. Cette imitation abrège considérablement les phases du développement social, tel qu'il résulterait des acquisitions accidentelles.


II. La seconde phase contraste vivement avec la précédente. Toutes les attitudes de défiance ou de sympathie que nous avons signalées ont été remplacées par une confiance générale en autrui,

III. – Finalement la timidité réapparaît vers la fin de la seconde année de l'enfant, et cette fois il faut l'entendre au sens propre du terme. La timidité n'est plus alors ce mélange organique de peur et d'instinct qu'elle était tout d'abord L'enfant de trois ans sourit dans ses hésitations et finit par s'approcher de l'objet qui excite sa curiosité. Ce qui le retient et le fait hésiter n'est point la crainte de l'objet dont il s'approche, mais c'est la crainte de se mettre en avant, bien qu'il soit heureux de sentir qu'il devient lui-même un objet de curiosité. La réalité de ce groupe d'attitudes sociales ne saurait être mise en doute, et cela en raison même de son contraste frappant avec le groupe d'attitudes de la période organique. C'est là une des phases les plus saillantes du développement de l'instinct social chez l'enfant. 

Dans cette sorte d'exhibition de sa personne, il apporte déjà une certaine coquetterie qui se trahit dans la grâce de son maintien. On y peut distinguer très nettement un mélange de la crainte organique primitive avec le désir de l'approbation sociale, dont l'influence va grandir de plus en plus, avec les idées de mérite et de démérite. La netteté même de cette période contrastante la rend précieuse pour l'étude de l'évolution du sens social. L'enfant présente alors un cas de conscience de soi déjà fort complexe, une sorte de représentation compliquée dont les suggestions, très effectives, rendent fort bien compte de ses progrès extraordinaires dans l'intelligence du moi et la compréhension du monde. Il commence dès lors à montrer le germe de la modestie ainsi que de toutes les émotions analogues ou contradictoires. 


J'abandonnerai maintenant, l'étude du développement social de l'enfant, remettant à un autre ouvrage l'analyse de la formation de la vraie modestie, dans les conditions d'ampleur et de complexité que présente l'adolescent. Cependant il me reste à indiquer les relations des différentes phases que nous venons de caractériser avec les différentes suggestions que l'enfant reçoit de ceux qui l'entourent. 

Nous avons déjà vu combien les personnes qui approchent l'enfant contribuent a son développement. et à son progrès. Nous avons cru pouvoir admettre que les personnes lui apparaissent, tout d'abord comme de simples objets faisant, partie du monde des choses qu'il perçoit et objective, et cela avant d'avoir aucune conscience de son moi comme être spirituel ou comme sujet de ses processus mentaux bien plus, il nous a semblé que l'activité de son appareil nerveux pouvait suffire – ou presque – à l'acquisition de la connaissance des choses extérieures et à leur objectivation, en admettant toutefois que les personnes qui se meuvent, autour de lui se distingueront bientôt des objets ordinaires par des signes très importants. Elles ont déjà été nommées « personnes projectives ». L'étude de la timidité organique tend à confirmer cette hypothèse et peut nous aider la développer. Pour étrange que cela puisse sembler, nous nous trouvons en face d'une sorte de sens organique de la perception et de l'objectivation des personnes L'enfant a toute une série d'attitudes spéciales aux objets personnes et qu'on ne lui voit jamais prendre en face des objets choses. Et de ces manières de réagir nous retrouvons des traces organiques et nerveuses dans une phase bien plus avancée de sa croissance, alors qu'apparaissent les signes extérieurs de la modestie, telles que la rougeur, l'hésitation, etc. Dans une certaine mesure, ces façons de faire de l'enfant s'étendent aussi aux animaux et ce fait est d'autant, plus remarquable qu'il nous montre très clairement comment un enfant d'environ un an envisage le « projet » personne c'est-à-dire commet source possible de jouissance ou de douleur physique, vis-à-vis de laquelle il prend toutes les prudences que lui suggère l'instinct de la conservation. 

Nous pouvons donc dire que l'enfant a un sens social qui lui a été donne pour vivre en société, de même que les yeux lui ont été donnés pour voir les mouvements, les oreilles pour entendre les bruits du monde et le toucher pour percevoir l'étendue. Aussi bien toutes les psychologies, qui considèrent l'homme dans son intégrité, doivent admettre que ce n'est pas simplement une âme isolée enfermée dans un corps unique et que l'humanité n'est, pas une simple collection de ces systèmes; car l'âme d'un homme déborde son corps et vit, pour ainsi dire, dans le corps des autres. C'est qu'en effet tout homme emprunte les intentions et les projets d'autrui et subit les suggestions d'innombrables pensées qui furent en d'autres cerveaux avant d'être dans le sien. Bien plus, son corps même, en tant que simple organe et avant que d'être l'instrument de sa pensée et de son âme, subit déjà l'action des esprits et des âmes qui l'entourent. 

Dans la seconde phase du développement social de l'enfant, c'est-à-dire durant sa seconde année, nous trouvons encore la même confirmation. D'une part l'enfant tolère enfin les étrangers, les accepte et finit par se plaire en leur compagnie. D'autre part, c'est bien alors sous l'influence de ce que nous avons appelé la suggestion de la personnalité due d'ailleurs au nombre croissant de ses rapports avec les personnes diverses, que se développe chez lui la distinction, de plus en plus précise, entre les objets personnes et les objets choses. Son expérience d'autrui lui permet enfin d'agir vis-à-vis des personnes, non plus d'après les seules impulsions de l'instinct, primitif et héréditaire, mais d'après les nouvelles associations qu'ont fait naître ses premiers rapports avec ses parents et avec les étrangers. Il apprend que les grandes personnes font tout ce qu'elles peuvent pour lui plaisir ou pour écarter ses souffrances aussi cette conviction va détruire la timidité organique. Un morceau de sucre a bien vite raison alors de la sauvagerie de l'enfant. Celui-ci apprend non seulement à considérer les personnes comme agents, mais à définir leurs caractères, leurs manières d'agir, leurs humeurs, leurs sentiments, en un mot leur équation personnelle, du moins pour celles qui t'approchent habituellement. Grâce ces nouvelles connaissances, il va chercher à plaire par des procédés très personnels et adaptés à chacun, s'efforçant de faire naître leur sourire ou leur approbation et d'échapper à leurs reproches, même à ceux que lui occasionnent ordinairement sa timidité. Il substitue bientôt ces méthodes nouvelles aux impulsions de crainte organique, qui le poussaient à cacher son corps et son visage. Il est même amusant d'observer l'enfant en présence d'un nouveau venu, de voir comment il l'examine, interprète les expressions de sa physionomie, juge ses gestes et le jauge tout entier, de voir ensuite comment il approprie ses manières et ses attitudes au caractère qu'il a ainsi analysé. Sous l'influence de cette confiance sociale, la timidité instinctive de l'enfant disparaît. Ce progrès, cette transformation, résultent presque uniquement de son expérience sociale, de la multiplication de ses rapports avec des gens de toutes sottes, de tout un ensemble de situations antérieures difficiles ou faciles mais toutes également vécues. 

Comment le caractère de l'enfant va-t-il se développer s'il ne rencontre que plaisir et facilité dans ses relations sociales Comment apprendra-t-il à vivre s'il ne lui survient pas de difficultés, d'embarras, s'il ne se trouve jamais en des situations embrouillées et difficiles? Comment deviendra-t-il énergique et fort s'il n'a jamais de victoire à remporter ? 

Mais alors va apparaître la vraie timidité et, avec elle, la toute première réflexion de l'enfant sur soi, sur ses actes, sur sa personne. Il commence enfin à s'appliquer à lui-même les notions qu'il acquises au sujet des personnes. C'est la phase de timidité qui correspond à la suggestion de sa propre personnalité « subjective » (1). Durant cette phase, comme nous allons le voir ensuite, l'enfant se développe rapidement, mais par une induction contraire à celle dont nous venons de parler, attribuant aux autres personnes tout ce que lui révèle enfin sa propre expérience psychique. Si l'enfant s'aperçoit qu'il peut dessiner une figure, ce n'est pas seulement, par le rapprochement de la copie et du modèle, mais c'est encore et surtout par l'imitation des mouvements du maître ou par la comparaison de sa copie avec la sienne. Aussi bien il s'en rapporte au professeur, accepte qu'il révise son œuvre, en attend l'approbation et la louange. Il travaille toujours avec la pensée de l'œil du maître, et ce sentiment même, comme nous le verrons plus loin, devient un facteur important de ses progrès. Il suffit de remarquer ici que cette période ou l'enfant, sachant déjà réfléchir sur soi, juge encore les autres semblables à soi elles considère comme des sources d'action et de spontanéité; il suffit, dis-je, de remarquer que cette période est le temps même de la dernière évolution de la timidité. 

Quand je faisais travailler mes enfants, ils spéculaient sur mon indulgence et négligeaient leurs devoirs; et l'aînée prenait des airs de grande personne pour me dire, en me parlant de sa sœur : « Elle est. si petite, vois-tu ! » Mais, en présence d'un étranger, c'était tout autre chose elles se défiaient, de sa fermeté et de sa rigueur possibles, et redevenaient, appliquées et timides. 

C'était, bien là de la timidité vraie, un commencement, de modestie et d'émotion morale. L'ensemble de cette phase évolutive est extrêmement, suggestive et, éclaire singulièrement l'origine du sens individuel et du sens social. Et nous pouvons apporter en preuve de cette assertion : tout le développement de l'instinct social dû aux expériences de l'enfant ou, – en termes biologiques, la persistance sociale des variations acquises sons l'influence de la société – et encore les phases très nettes de progrès amenées par ces expériences et ces variations. Au reste, l'entant est un embryon de personne et d'unité sociale, et les phases de son développement social résument les phases de l'histoire sociale de la race. L'ensemble de l'évolution sociale de l'enfant, peut être considéré comme une remarquable illustration de la récapitulation des phases du développement, de la race par l'évolution de l'individu. C'est qu'en effet la vie sociale est l'épanouissement suprême de l'homme et, de l'humanité: or chaque enfant, recommence cette vie pour son propre compte et pour le compte de l'humanité, et. cela sons nos propres yeux. Et, il faut, bien le savoir, c'est désormais dans la nursery qu'on ira étudier l'embryologie sociale.

L'étude que nous avons faite de la timidité peut déjà fournir quelques indications à l'histoire des communautés humaines et des sociétés animales. La timidité organique semblerait représenter la crainte des animaux supérieurs qui vivent instinctivement en famille et en troupes. La phase de confiance, qui lui succède, se remarque surtout chez les espèces paisibles et pacifiques qui se prêtent volontiers à la domestication. Or il est a remarquer que ces espèces vivent on troupes et sont surtout protégées par le milieu géographique ainsi que par la vie sociale qui est pour cela bien supérieure à la vie individuelle, même puissamment armée. Quant, à la troisième phase de la timidité, comme elle comporte la pensée réfléchie, il ne faut pas nous étonner de ne la trouver que chez l'homme, et pas avant la fin de sa troisième année.

Le parallèle de l'enfant et de la race humaine ne semble pas devoir être moins intéressant pour l'anthropologie. L'histoire de la timidité semble confirmer les vues de Westermark sur l'histoire de la société humaine. La période de timidité organique n'indique-t-elle pas une période purement familiale et monogame ou, par instinct de défense et de défiance, on ne cherchait de protection que vers les siens ? L'époque de la confiance altruiste de l'enfant ne correspond-elle pas à l'adoucissement que suppose la vie nomade de la tribu, & l'esprit de paix et d'amitié que ce groupement établissait entre les familles ? Et enfin la vie proprement sociale, qui suppose toute une organisation de l'industrie, du commerce et des arts, toute une balance des intérêts économiques, des besoins nationaux et internationaux, cette vie ne rappelle-t-elle pas l'époque ou la réflexion pénètre enfin dans la vie de l'enfant? On ne peut nier que les écrivains modernes ont raison lorsqu'ils trouvent que l'égoïsme le plus raffiné n'est possible que grâce aux développements et aux progrès de l'organisation sociale. Cette thèse, que l'on déduit très clairement des analyses des Balzac et des Bourget, des Tarde et des Durkheim, me semble d'ailleurs plus intéressante par les méthodes d'étude qu'elle suppose que par son affirmation même.


1. Cf. Mind, janvier 1894, et infra, chap. XI, §3.

James Mark Baldwin, M. Nourry (trad.), Le développement mental chez l'enfant et dans la race, F. Alcan, Paris, 1897, p. 133.





samedi 18 juin 2011

Timidité et pédagogie, selon B. Perez, 1880.


Dans sa note sur le développement des facultés enfantines, Darwin a inséré un passage relatif à la timidité, que Fénelon aurait volontiers signé, et que les amis de l'éducation feront bien de méditer. 

« Il est impossible, dit-il, de s'être occupé de très jeunes enfants sans avoir été frappé de l'audace avec laquelle ils regardent les visages qui leur sont nouveaux, fixement et sans jamais baisser les yeux ; une grande personne ne regarde ainsi qu'un animal ou un objet inanimé. Cela vient, je crois, de ce que les jeunes enfants ne pensent nullement à eux-mêmes, et par conséquent ne sont pas du tout timides, bien qu'ils aient quelquefois peur des étrangers. J'ai vu le premier symptôme de timidité se manifester chez mon enfant lorsqu'il avait près de deux ans et trois mois ; j'étais rentré chez moi après dix jours d'absence, et la timidité de l'enfant se montra par une sorte d'affectation à ne pas rencontrer mon regard; mais bientôt il vint se mettre sur mes genoux, et quand il m'eut embrassé, toute trace de timidité disparut. »

Ce phénomène est bien décrit. Je crois cependant devoir ajouter que la timidité est plus fréquente dans le petit enfant que le naturaliste anglais ne l'a pensé. J'ai cru remarquer l'analogue de cet état mental chez des chiens et des chats qui me revoyaient après une longue absence : les uns jappaient en élevant jusqu'à moi leurs pattes, les autres rôdaient et ronronnaient autour de moi, avec une joie mêlée de je ne sais quel embarras, soit qu'il y eût pour eux quelque chose d'étranger dans l'ami reconnu, soit qu'en sa présence le flot de leurs souvenirs jaillit avec une violence qui jetait un certain trouble dans leur organisme. Je recommande cette observation à ceux qui voudraient la vérifier, et peut-être sera-t-elle la clef d'indications utiles sur la nature de la timidité enfantine.

On ne peut, en tout cas, s'empêcher de reconnaître qu'un enfant de deux ans est capable de montrer des marques non équivoques de timidité. Rien de pénible à voir comme ces yeux innocents qui se baissent devant les vôtres, et ce tremblement qui saisit tout à coup un petit enfant de cet âge, et surtout d'un peu plus âgé, sur un simple froncement des sourcils d'un Jupiter ou d'une Junon bourgeoise. Trop souvent aussi la timidité, jointe à la terreur, font trembler le petit enfant du peuple, devant le geste redouté du père ou de la mère. Est-il étonnant que les enfants durement élevés montrent de bonne heure une appréhension significative, bien différente de l'étonnement naïf que cause la nouveauté, en présence des visages nouveaux ? Mme Necker de Saussure n'a pas laissé échapper celte observation : 

« D'où vient qu'une timidité farouche se manifeste si souvent chez nos enfants ? Pourquoi ont-ils tant de répugnance à entrer en rapport avec les personnes qu'ils connaissent peu, et éprouvent-ils du moins une extrême contrainte en leur présence ? L'éducation a bien quelque chose à se reprocher à cet égard. » 

On ne peut le nier, quand on songe avec quelle rapidité les oiseaux si familiers d'une île inconnue aux voyageurs perdent à leur contact leur première confiance, et quelles différences mettent en quelques mois entre deux frères bien ressemblants de caractères et d'habitudes l'éducation laïque et claustrale auxquelles on les soumet.

Il y a quelque affinité entre la timidité proprement dite et cette sorte de crainte vague et de manque d'assurance que montre l'enfant en présence d'actes connus ou supposés difficiles. Par exemple, une bonne ayant eu la fantaisie d'élever tout à coup, et puis de rabaisser avec rapidité un petit enfant de deux ans, il s'efforçait de se tenir ferme avec les mains, soit qu'il eût l'idée instinctive de la chute, soit que sa bonne l'eût déjà laissé tomber : et pendant qu'il se retenait avec ses mains, son visage contracté et ses yeux hagards exprimaient tous les caractères de la timidité. L'enfant qui s'essaie à la marche, même avant que d'être sérieusement tombé, montre la même incertitude à l'égard de ses mouvements et la même timidité relativement à leurs conséquences.

Ce genre de timidité peut même aller jusqu'à la frayeur. Lorsque j'avais de deux à quatre ans, ma bonne me tint une fois en dehors de la fenêtre, les deux bras tendus, et faisant mine de vouloir me jeter en bas à une autre personne : la terreur que j'éprouvai a si profondément gravé ce souvenir en moi, que je lui attribue l'impression de vertige qui me saisit, non-seulement sur un escarpement, sur un clocher, ou sur un pont élevé, mais même sur le balcon d'un troisième étage. Ce qui me confirme dans la croyance que ce genre de frayeur ou de timidité n'est pas toujours le fait de l'hérédité, c'est que je l'ai observé chez beaucoup d'enfants de nos montagnes, dont l'éducation n'a pas assez contrebalancé les premières expériences : j'ai vu aussi quelques enfants de nos côtes, pied et estomac marins de naissance, qui, par suite de circonstances, ont perdu à un certain moment ces qualités natives. J'ai vu aussi plusieurs petits enfants de dix mois ou d'un an, dont les idées sur le vide et le plein, sur les distances et sur les chutes, étaient encore fort imparfaites, s'élancer en avant de toutes hauteurs, comme un oiseau qui n'a pas encore ses ailes aptes au vol, ou un petit chat qui cherche à prendre son élan sur ses jambes encore débiles; mais ces enfants, après quelques expériences infructueuses ou douloureuses, et quelquefois après une seule, se montraient fort irrésolus, et l'on peut dire fort timides, relativement à ces tentatives. Ce genre de timidité plus ou moins naturelle est une sauvegarde pour l'enfant : il faut l'éveiller modérément chez celui qui en paraîtrait dépourvu, et l'atténuer, la supprimer insensiblement, par des épreuves inoffensives et des encouragements répétés, chez celui qui en donnerait des marques excessives.


La plupart du temps, cette sorte de timidité relative au déploiement des forces physiques, vient de ce que nous n'accordons pas assez d'attention ou de bienveillance aux actions du petit enfant. Le plaisir d'exercer ses forces est de tous les instants ; il intéresse à tel point sa personnalité, qu'il n'en jouit ordinairement tout seul que d'une façon incomplète. Il veut qu'on s'y associe, qu'on l'en félicite, qu'on lui soit reconnaissant du plaisir qu'il procure en le faisant partager. C'est à nous de le prendre au sérieux, soit dans ses jeux, soit dans ses essais d'action, soit dans ses démonstrations affectives. S'il raconte une histoire, s'il représente quelque scène dramatique, s'il crayonne, jardine, pousse une brouette, tire un râteau, fait des cocottes de papier, bâtit des châteaux de sable, à chaque instant son œil guette sur les visages les impressions de son récit ou de son acte. Notre approbation, signe de notre plaisir, qu'il sollicite avec tant d'insistance, il faut la lui accorder le plus souvent possible, avec justice, mais avec indulgence; il faut favoriser en lui l'amour du succès, et l'expansion de la bienveillance, mais sans exalter son amour-propre. Quelquefois un simple sourire est la récompense suffisante de ses efforts. Mêlons-nous aussi à ses jeux, comme si nous y prenions personnellement du plaisir; notre amusement le ravit, nous rend pour lui plus aimables, et nous ouvre davantage son cœur. Mais ne le louons que de ses efforts, jamais de sa gentillesse, à moins qu'il ne s'y joigne quelque service rendu ; ainsi se développera cette heureuse confiance, qui est égale à distance de la timidité maladive et de l'affectation présomptueuse. 

Locke, estimant que la crainte est le fondement du respect, jugeait que la timidité ne tire pas à conséquence dans l'âge tendre. 

« Je ne vois pas, dit-il, qu'on trouve ni qu'on soupçonne en aucune manière que la retraite et la timidité où l'on élève les filles les rendent moins habiles femmes. La conversation, le commerce du monde, leur donnent bientôt une modeste assurance. » Il en sera de même pour le jeune homme, et « s'il faut prendre de la peine pour lui donner de bonne heure un air libre et une contenance assurée, c'est surtout afin que cela serve de rempart à sa vertu lorsqu'il sera abandonné à sa propre conduite au milieu du grand monde (1). »

Je crois que, chez les enfants des deux sexes, il est possible de mener de front l'endurcissement physique et la culture morale : hardiesse et modestie peuvent très bien s'allier, dès un âge assez tendre. C'était l'avis de Montaigne et de Rousseau, du moins en ce qui concerne les garçons. C'est l'opinion d'un philosophe anglais, qui a bien plaidé la cause de l'éducation physique des filles.

« Ainsi, dit Herbert Spencer après avoir démontré la nécessité de leur accorder un exercice physique approprié à leur sexe, il faudrait donc laisser les jeunes filles s'émanciper et devenir aussi tapageuses que des garçons! » 

s'écriera quelque zélateur des convenances. Ceci est, pensons-nous, la crainte toujours présente à l'esprit des maîtresses de pension. Il résulte d'informations prises que, dans les « Instituts de jeunes demoiselles », les jeux bruyants, tels que ceux auxquels se livrent journellement les garçons, sont considérés comme une transgression punissable, et nous en inférons qu'on les défend, de peur que les petites filles ne prennent des habitudes qui ne conviennent point à des femmes du monde. Cette crainte est cependant tout à fait sans fondement. Car, si les jeux actifs permis aux garçons n'empêchent point ceux-ci de devenir plus tard des hommes de bonnes manières, pourquoi ces mêmes jeux empêcheraient-ils les filles de devenir aussi des femmes du monde ? Si rudes qu'aient pu être leurs récréations d'écoliers, les jeunes gens qui ont quitté l'école ne s'amuseront pas à faire des culbutes dans la rue ou à sauter à cloche-pied dans un salon. En quittant leurs jaquettes, ils quittent du même coup les jeux des garçons, et ils montrent un soin extrême, souvent même un soin lisible, à éviter tout ce qui leur semble ne pas convenir à un homme fait. Si, en arrivant à un certain âge, le sentiment de la dignité de l'homme met fin aux jeux des garçons, le sentiment de la modestie féminine ne mettra-t-il pas fin, de même, lorsqu'il se fortifiera par degrés avec l'âge, aux jeux des petites filles ? Les femmes n'ont-elles pas, plus encore que les hommes, le respect des apparences ? Et, par conséquent, ne seront-elles pas plus portées qu'eux encore à éviter les manières rudes et bruyantes ? Combien il est absurde de supposer que les instincts de la femme ne s'affirmeraient pas d'eux-mêmes, et sans qu'il fût besoin de recourir à la discipline rigoureuse des maîtresses d'école ! » Il est donc entendu que la candeur et la modestie peuvent faire bon ménage avec la franchise d'esprit et d'allures, avec la libre expansion et l'affectueuse confiance qu'on doit s'attacher à
développer dans l'enfant.

La timidité morale n'est pas elle-même un vice, mais elle mène à l'hypocrisie et à la lâcheté, deux imperfections aussi haïssables chez les femmes que chez les hommes. Elle est, par elle-même, un défaut qui enraie des vertus ou des qualités du plus haut prix. Elle peut faire le tourment des natures d'élite, et peut-être aurait-on le secret de bien des travers ou bizarreries de caractère chez quelques hommes illustres, en se rappelant que leurs biographes ont accolé à leurs noms l'épithète de timides. 

Virgile, qui se montra si indépendant, même vis-à-vis d'Auguste qu'il admirait, avait cependant la rougeur prompte et la tendresse du front (frontis mollities), ce qui ne doit pas surprendre chez un poète ami de l'ombre et de la solitude. Mais Perse, le mordant satirique, le courageux disciple de Cornutus, l'ami du stoïcien Thraséas, était encore, à l'âge de vingt-huit ans, époque de sa mort, timide et rougissant comme une jeune fille. La fière gaucherie de Corneille n'était sans doute pas aussi, comme l'enfantine étourderie de La Fontaine, sans cacher quelque fond obscur de timidité.

Pope, tout bel esprit et maniéré qu'il fut, a dit de lui-même : 

« Pour moi, j'appartiens à cette classe dont Sénèque a dit : ils sont si amis de l'ombre, qu'ils considèrent comme étant dans le tourbillon tout ce qui est dans la lumière. » 

On sait à quel degré de balourdise ou d'étrangeté, la timidité, dont souffrait Jean-Jacques [Rousseau] l'a souvent perte. Qui supposerait, s'il n'en avait été informé par les biographes, que ce terrible abbé breton, qui a fait trembler les rois sur leurs trônes et les papes sur leur siège, La Mennais, fut timide à ce point que, lorsqu'il recevait un visiteur, il s'agitait nerveusement sur sa chaise, et rattachait instinctivement et sans nécessité, pour se donner une contenance, les cordons de sa chaussure ? 

On pourrait citer aussi le nom de maint brave,qui tremblait devant son roi ou devant sa belle, mais aucunement devant l'ennemi. C'est à l'un de ces derniers que s'applique cette citation de Molière

« Est-il possible, dis-je, qu'un homme si assuré dans la guerre soit si timide en amour ? »

Il est donc bien entendu que timidité n'est pas synonyme de lâcheté et de couardise. Je crois cependant qu'on aurait tort de voir toujours dans la timidité une marque absolue de rare modestie. Dans une lettre à Lucilius, Sénèque parle d'un jeune homme bon et ingénu, qui, dès l'abord, lui donna une haute idée, mais une idée seulement de son caractère, car il était pris à l'improviste, et il avait à vaincre sa timidité; et, même en se recueillant, il pouvait à peine triompher de cette pudeur, excellent signe dans un jeune homme, tant la rougeur lui sortait du fond de l'âme; et je crois même, dit-il, que lorsqu'il sera le plus aguerri, il lui en restera toujours. Un des amis de Lamartine lui avait recommandé un jeune homme, à propos duquel le grand poète divinateur écrivit à cet ami : 

« Je n'ai pas une très bonne idée de ce garçon : il n'a pas paru ému devant moi. » 

La timidité peut donc être quelquefois un très bon signe, la marque d'une nature franche, sensible, d'un jugement sain, qui met chacun et soi-même à sa vraie place. Mais l'exemple ne fait pas la règle.

Alors même qu'il s'agit des natures d'élite, ou même seulement des natures honnêtes et sensibles, la timidité est un défaut grave, en ce que, dans l'universel combat pour l'existence, elle laisse l'individu le mieux doué par ailleurs comme désarmé en face de l'audace qui n'a pas besoin d'armure. L'exemple suivant va nous montrer qu'elle met même une barrière entre les épanchements des affections les plus naturelles.

« Les lettres de mon père, dit l'auteur d'Adolphe [Benjamin Constant], étaient affectueuses, pleines de conseils raisonnables; mais à peine étions-nous en présence l'un de l'autre, qu'il y avait quelque chose de contraint que je ne pouvais m'expliquer, et qui réagissait sur moi d'une manière pénible. Je ne savais pas que, même avec son fils, mon père était timide, et que souvent, après avoir longtemps attendu quelque témoignage d'affection que sa froideur apparente semblait m'interdire, il me quittait les yeux mouillés de larmes, et se plaignait à d'autres de ce que je ne l'aimais pas. Ma contrainte avec lui eut une grande influence sur mon caractère : aussi timide que lui, mais plus agité, parce que j'étais plus jeune, je m'accoutumai à enfermer en moi-même tout ce que j'éprouvais, à considérer les avis, l'intérêt, l'assistance, la présence des autres, comme une gêne et comme un obstacle; à ne me soumettre à la conversation que comme à une nécessité importune, et à l'animer alors par une plaisanterie perpétuelle, qui me la rendait moins fatigante, et m'aidait à cacher mes véritables pensées. De là une certaine absence d'abandon qu'aujourd'hui encore mes amis me reprochent, et une difficulté de causer sérieusement que j'ai toujours peine à surmonter. »

Cet exemple nous montre la timidité engendrant la timidité, ou du moins empêchant un père et un fils de se comprendre et de sympathiser entre eux comme ils l'auraient voulu l'un et l'autre. Le père de Benjamin Constant rendit son fils victime, après l'avoir peut-être été lui-même, d'une ignorance complète de la pédagogie psychologique. Cette sorte de contrainte, imposée dès le jeune âge, doit avoir un retentissement d'autant plus grave sur l'évolution future des facultés, qu'elle pèse sur des organisations plus sensibles. La timidité a, dans ces cas-là, pour contre-coup fatal, des vicissitudes de confiance en soi-même et de défiance extrême.

L'extrême susceptibilité et le culte du moi, qu'on a tant reprochés à Chateaubriand, et qui, au temps de sa plus grande renommée, le faisaient douter de la sincérité des éloges qu'on lui prodiguait, avait pour principe une sensibilité effarouchée et refoulée parla taciturnité d'un père égoïste et cruel. Dans une nature comme la sienne, la timidité prit la forme d'une sauvagerie ombrageuse et personnelle.

Ces exemples frappants des divers effets de la timidité morale, quoique se rapportant à des personnages à part, n'en offrent pas moins des renseignements applicables au grand nombre. Combien de personnes de toute condition ont eu à souffrir, sans l'oser dire, de celle maladie morale qui est la timidité, et qui se complique trop souvent d'un violent désir de plaire et d'un manque de confiance en soi-même ! Son influence oppressive se fait ressentir dans les moindres circonstances où elle met sa victime au-dessous de ses vrais mérites, et dans les circonstances décisives où elle la met au-dessous de personnes beaucoup moins bien douées. Elle comprime l'expansion des affections les plus légitimes et l'élan des passions les plus utiles. Elle relâche ou tend outre mesure le ressort de la personnalité. Elle prend ses dehors à la dissimulation et elle incline à s'identifier avec elle. On peut la considérer comme une névrose, et souvent des plus sérieuses (2). Le malheur est que le plus souvent les personnes qui en sont atteintes, trouvent, pour lui échapper, des remèdes pires que le mal, demandant un oubli passager de leurs ennuis aux énervantes excitations de l'amour, de l'ivresse, de l'ambition ou de la dévotion, c'est-à-dire noyant une petite folie dans une plus grande. Et dire que tous ces maux et tant d'autres, qu'il faut avoir éprouvés pour s'en faire une idée, auraient primitivement cédé devant les encouragements d'une bonté éclairée, qui auraient enlevé à cette timidité l'occasion de naître, ou, si elle était native, lui auraient enlevé son exagération, et l'auraient fait tourner à la modestie prudente, à l'habitude de s'observer et de se juger soi-même !

C'est ce genre de crainte respectueuse, bien différent de la timidité, qui supplée quelquefois le sens moral proprement dit chez l'enfant, en ce qu'il objective pour lui la loi morale dans ses parents ou ses éducateurs. Voici un exemple montrant un singulier mélange de celle crainte précieuse et d'une obstination naïve à faire le mal sans vouloir déplaire.

Fernand (deux ans) fait un affreux tripotage de salive et de cendre. Son père s'en aperçoit, le gronde et lui défend de continuer ce jeu. Sa mine devient triste, du regret de ne plus continuer un amusement très attachant, mais non du remords d'avoir mal fait. Il regarde son père dans les yeux et lui dit: « Quand tu t'en iras, dis, papa ? (Le papa avait le chapeau sur la tête, le parapluie sous le bras, prêt à sortir). Pourquoi me demandes-tu quand je vais sortir ? C'est pour recommencer, n'est-ce pas ? — Oui, papa. » Un autre enfant du même âge fait souvent la même question à son père : « Quand tu t'en iras ? » ou bien lui dit : « Ne me regarde pas ; il ne faut pas me regarder », et cela pour continuer la chose défendue. La présence de celui qui défend est un obstacle, et l'enfant ne voit guère que cela, au plaisir qu'il prend. 

1. Pensées sur l'éducation, p. 183.  
2. Je n'apprends rien aux médecins en rappelant la concordance fréquente de certains états pathologiques graves, et particulièrement de l'irrégularité des fonctions digestives, avec la timidité naturelle ou d'habitude. Virgile était crudus; Cicéron, l'orateur le plus timide, l'homme d'État le plus irrésolu qui fut jamais, a répété souvent dans ses lettres à quel point - le préoccupaient ses tristes digestions. 

Bernard Perez, L'éducation dès le berceau : essai de pédagogie expérimentale, C. Baillière, Paris, 1880, p. 235 

La timidité selon Ernst, 1875


TIMIDITÉ. — Qualité ou défaut suivant sa modération ou son excès. La timidité qui est le résultat d'une faiblesse de caractère, est une infirmité qui ne diminue qu'avec l'âge et l'expérience du monde, elle paralyse toutes les facultés de l'esprit et du cœur, rend gauches ou raides tous les mouvements et cause parfois de vives souffrances; la timidité qui, au contraire, est l'expression d'un cœur simple et modeste, s'effaçant par déférence ou estime pour les autres, est une charmante qualité qui embellit la jeunesse et fait encore mieux apprécier les mérites d'un savoir distingué et d'une haute position.

Quelle humiliation est celle que l'ignorance du monde et la timidité infligent aux grands enfants de vingt à trente ans, si gauches dans un salon, si étonnés de tout, si empruntés en tant de choses ! 

Le sentiment qu'on a de sa valeur atténue heureusement cette timidité excessive qui a par trop l'apparence de l'humilité et même de la niaiserie...

Entrer dans le monde avec trop de timidité et de défiance de soi-même, c'est accepter une partie inégale et s'exposer à des échecs. Ces travers entraînent presque toujours un jeune homme dans des relations au-dessous de lui, et c'est là un grand écueil ! Lorsqu'on craint de ne pas plaire on peut être à peu près certain que cette crainte sera justifiée, tandis qu'avec plus de confiance en soi. on sera presque sûr de réussir et de dominer.

La timidité est un ennemi intraitable et secret, paralysant toutes nos facultés, étouffant notre intelligence et nous faisant dire et faire le contraire de ce que nous voulions faire et dire. La timidité transforme et amortit l'homme, elle a cependant cela de particulier qu'elle est souvent un charme de plus dans la femme lorsqu'elle se maintient dans des bornes raisonnables.

Rien n'est si craintif et si facilement intimidable qu'une jeune fille : un regard la trouble, un rien la déroute, un mot la bouleverse, un geste l'effraie ! C'est surtout à l'âge heureux de l'amour que son cœur est impressionnable, tremblant et faible.

Ce qui nuit à beaucoup de jeunes gens c'est la timidité; ce qui leur manque c'est plus d'assurance et de confiance dans leurs propres moyens; tout cela est indispensable pour constituer l'homme sérieux et résolu, pouvant causer sans embarras et sans se laisser intimider, et troubler; toutes les carrières commandent plus ou moins d'assurance et nous ne connaissons pas de meilleur moyen que les lectures publiques d'abord, puis les exercices du théâtre en petit comité. Ces exercices qui sont des jeux ou des amusements, débarrasseront les jeunes gens de cette timidité qui paralyse leurs mouvements, rend gauche leur maintien, les fait balbutier et obscurcit leur intelligence; mais il faut en même temps les prémunir contre une assurance excessive et ridicule, car l'excès contraire à la timidité serait l'audace ou cet aplomb provoquant qui aliène au lieu d'attirer et de séduire.

Un examen curieux et persistant est toujours une souffrance pour celui qui le subit, c'est un martyr pour une personne timide.

La timidité et la modestie sont de nos jours choses très-rares chez les jeunes filles du monde dont l'assurance et l'aplomb sont parfois poussés trop loin; c'est là un grand défaut de nos éducations modernes et imprévoyantes !

Il ne faut pas être trop timide et trop modeste, ni chercher à se faire petit, à échapper aux regards, à se faire oublier; on serait bien vite pris au mot, et ce jeu naïf et enfantin conduirait sûrement au ridicule.

Poussée dans ses derniers retranchements la timidité la plus grande peut s'élever jusqu'à la plus grande assurance et même jusqu'à l'audace !

La timidité peut être la crainte du blâme, la honte en est la conviction.

La timidité est un défaut qu'on pourrait augmenter en voulant le guérir.

Il ne faut pas fuir la société par timidité de peur de faire des fautes ou des balourdises ! La plus grande de toutes est de se priver de l'assurance et de l'expérience qu'on ne trouve et qu'on n'acquiert que dans le monde.

Les esprits pacifiques sont timides et évitent d'émettre des opinions contraires à celles des autres, pour ne pas être obligés à les soutenir; certains qu'ils sont de faiblir ou de céder dans une discussion, ils. croient sage de ne pas l'engager et ils ont raison !

Le plus grand ennemi des personnes timides est leur propre timidité, car elles s'embarrassent dans les efforts qu'elles font pour la vaincre et la dominer et arrivent ainsi à une confusion humiliante.

La timidité ne fait tort qu'à nous-même, elle est une qualité vis-à-vis des autres, aussi conquiert-elle l'indulgence de tous.

Jamais femme déjà éprise ne s'est plaint de la timidité farouche d'un jeune et joli garçon, car cette timidité est déjà un aveu et même une déclaration passionnelle; l'indifférence n'est pas timide, elle est égoïste, elle va droit et audacieusement à son but. 

Ernst, Dictionnaire universel d'idées, A. Picard, Paris, 1875, p. 278-280


Timidité, faiblesse et indécision : une analyse de Jacques Boucher de Crèvecoeur de Perthes, 1851.


La timidité est une espèce de peur qui n'est ni celle de la douleur ni celle de la mort : c'est la crainte du ridicule. Un homme timide qui aura la fièvre à la seule idée de dire trois mots en public ou seulement de faire son entrée dans un salon, pourra être un héros sur le champ de bataille.

L'homme timide a peur de sa timidité même; il la connaît, il s'exagère les gaucheries qu'elle lui fera faire. Il a peur d'avoir peur ou de paraître l'avoir; et dans cette préoccupation, il se trouble et devient incapable d'exécuter les choses les plus simples, les plus faciles, même celles qu'il fait bien et avec une aisance parfaite quand il est seul. Tel personnage qui eut été un grand artiste, un grand prédicateur, un Démosthène, un Mirabeau , est arrêté dès son début par une timidité insurmontable.

La timidité paralyse les plus grands moyens et défigure le plus beau talent. Elle tue jusqu'à l'inspiration même; et quand elle s'empare d'un homme, quelque soit son esprit, son génie même, elle en fait un imbécile.

Cependant, la timidité a souvent servi un jeune amoureux devant sa maîtresse plus experte, et son émotion a parlé pour lui plus éloquemment qu'auraient fait toutes les ressources de l'esprit et du savoir-faire.

Des souverains, des puissants du jour, surtout s'ils ont eux-mêmes leur timidité, se laissent aussi émouvoir aux angoisses de l'homme timide qui, se présentant en solliciteur, sa requête à la main, a convaincu le ministre par cela même qu'il n'a rien dit ou qu'il a dit tout de travers.

Quelquefois l'homme timide veut cacher sa peur sous une assurance d'emprunt, ce qui lui procure l'avantage de passer pour un effronté et de se faire jeter à la porte. Parfois aussi, quand il se croit le plus fort, il devient insolent tout de bon, car de la timidité à la familiarité et de la familiarité à l'emportement, il n'y a qu'un pas.

La faiblesse n'est ni la poltronnerie ni la timidité, mais elle est pire que l'une et l'autre, parce qu'elle est un état habituel et presque toujours incurable; tandis qu'un poltron peut avoir ses jours de courage, et que la timidité se guérit avec l'âge et l'habitude.

Incapable de mal, plus incapable de bien, toujours disposé à laisser faire l'un et à décourager l'autre, l'homme faible est quelquefois plus à craindre pour ses amis que pour ses ennemis. Avec lui, on ne sait jamais sur quoi compter. Un homme est-il méchant, vous vous garez de sa méchanceté; s'il veut mordre, vous lui parlez à distance; s'il rue, vous ne l'abordez qu'en face; enfin, pris du bon côté ou de celui par lequel il ne saurait nuire, vous en tirez toujours quelque chose : il peut donc être utile.

L'homme faible ne saurait jamais l'être; il vous fond dans la main, et si vous vous appuyez sur lui, vous vous cassez le nez par terre, pour avoir cru qu'il avait des jambes.
De même que l'homme timide, l'homme faible peut n'être pas un peureux, il sera même très-brave. On n'en obtiendra rien par la force et la menace, peut-être pas davantage par le raisonnement, car la faiblesse et l'entêtement marchent fort bien ensemble. Cet homme sera faible seulement devant lui-même, il ne cèdera à personne autre qu'à lui, mais y cédant toujours, et ainsi ballotté entre tous ses caprices, il n'offre de garantie ni à lui-même ni aux autres.

Le contraire se voit; et tel individu s'abandonnera à toutes les impulsions étrangères, à tous les conseils, à tous les exemples, il ne résistera qu'à ses propres inspirations, à son bon sens, à sa conscience.

L'homme ainsi fait, toujours au premier occupant, devient l'instrument de tout ce qui l'approche. Il en reçoit toutes les impressions et n'en garde que les mauvaises; et cet homme est incorrigible, car tout raisonnement échoue contre celui qui, en reconnaissant ce raisonnement juste, va faire précisément le contraire.
Gardez-vous donc des hommes de cette trempe, et gardez-vous plus encore de le devenir vous-même, surtout si vous êtes gouvernant : la faiblesse est la ruine des États comme celle des ménages.

L'indécision n'est ni la faiblesse ni la timidité; elle ne naît pas de l'absence des moyens, elle vient plutôt de leur abondance et de la richesse de l'imagination. Celui qui ne distingue qu'une voie ne peut en prendre d'autre, mais celui devant qui s'ouvrent vingt sentiers, ne sait lequel choisir. Voilà pourquoi un sot hésite rarement, et une brute, jamais. Néanmoins , l'indécision est un défaut qui arrête presque toujours la fortune de celui qui l'a, et qui n'est pas moins nuisible à la prospérité publique s'il est à la tête des affaires.

Tous les malheurs de Louis XVI ne naquirent que de son indécision. Tous les succès de Napoléon vinrent de la faculté contraire ou de la résolution qu'il portait au plus haut degré.
Pendant la moitié de sa carrière politique, il vit juste et n'hésita pas: aussi arriva-t-il au pinacle.

Pendant l'autre moitié, il n'hésita pas davantage, mais il ne voyait plus juste et ne croyait qu'à lui-même.

La même qualité l'éleva et le renversa.

Jacques Boucher de Crèvecoeur de Perthes, Hommes et choses : alphabet des passions et des sensations, t. 4, Treuttel et Wurtz, Derache, Dumoulin, Victor Didron, 1851, p. 368-370.

Analyse de la timidité par J. Bentham.


Les motifs qui engagent un individu dans la carrière d'une accusation sont ordinairement l'un ou l'autre des suivants ou plusieurs ensemble. (…)

Timidité

Soit la crainte de ne pas réussir et de se compromettre dans l'opinion publique, soit cet embarras, cette répugnance machinale qu'éprouvent beaucoup d'hommes quand il s'agit de faire une démarche publique, de se produire sur une grande scène. 

Cette timidité est une modification de ce grand principe, l'amour de la réputation, auquel nous avons attribué plus haut un effet tout opposé : la contradiction n'est qu'apparente; de tous les motifs il n'en est point qui soit aussi sujet à agir contre lui-même : par ce motif un homme publie ses actions, par ce motif un autre cache les siennes. 

Par le désir de la faveur publique, un auteur se livre dans la solitude aux travaux les plus pénibles; et par la crainte de n'être pas approuvé, il enfouit ou détruit lui-même ses ouvrages. La timidité est un motif restrictif dont la force est très grande : il exerce en particulier sur le sexe le plus sensible et le plus délicat une influence aussi naturelle qu'heureuse dans ses effets. 

Jeremy Bentham, Étienne Dumont (trad.), Traité des preuves judiciaires, t. 2, Bossange Frères, Paris, 1823, p. 380.

vendredi 17 juin 2011

Psychologie de la timidité selon le Dr. P. Hartenberg, 1900

 
[À propos de : P. Hartenberg, Les timides et la timidité, Alcan, Paris, 1901]

M. Hartenberg considère la timidité comme une tendance à une réaction émotionnelle spéciale, l'accès d'intimidation, qui se produit en des conditions déterminées; l'une de ces conditions est très nette, c'est la présence d'une personne humaine ou l'idée de cette personne. 

L'accès d'intimidation résulte de la combinaison de deux émotions plus simples : la peur et la honte. Les accès, en se multipliant, engendrent, par les traces qu'ils laissent dans la mémoire intellectuelle et affective, par le ressouvenir aussi des conséquences fâcheuses qu'ils ont entraînées pour le sujet, un état mental inter-paroxystique qui devient la caractéristique essentielle du timide. 

Il faut néanmoins remarquer que parmi les traits du caractère des timides (il en est bon nombre qui sont sous la dépendance non pas du ressouvenir des accès d'intimidation, mais de l'hyperesthésie générale qui est la cause profonde de ces accès eux-mêmes. La timidité peut révéler une forme pathologique, tantôt par l'intensité excessive de ses crises émotionnelles, tantôt en donnant naissance à des phobies et à des obsessions, parmi lesquelles sont au premier rang celles de la rougeur. 

Revue philosophique de la France et de l'étranger, 25e année, 50, juil-déc. 1900, p. 521-522.

La timidité selon Ch. Bigot, 1895.

On ne saurait parler du monde sans dire un mot de la timidité. Elle y est commune elle y donne la comédie. On peut s'étonner que les moralistes ne se soient pas plu à l'étudier plus qu'ils ne l'ont fait. Serait-ce que les moralistes ont été, fort souvent, des timides et que les ridicules sur lesquels on glisse le plus volontiers, ce sont les siens ? Si jamais une bonne étude de la timidité est faite, ce qu'on peut dire tout au moins, c'est qu'elle ne sera faite que par un timide.

Il ne faut pas confondre la gaucherie et la timidité. La gaucherie vient de la maladresse physique, d'un certain manque de souplesse et de grâce. On peut être gauche sans être timide. Il suffit, pour s'en convaincre, d'avoir vu danser une fois Éponyme, qui danse fort mal, qui s'élance comme une trombe, qui se heurte à tous les couples, et se cogne à tous les meubles, qui marche sur les pieds de sa danseuse, et risque, à chaque tour de valse, de la renverser à terre, ainsi que lui-même. Éponyme est gauche, prodigieusement gauche. Mais quand on le voit s'obstiner à danser quand même, n'être point rebuté des refus qu'il subit, promener dans le monde et étaler sa maladresse il faut bien convenir qu'il n'est pas un timide. Ce qui est vrai, en revanche, c'est que, si la timidité n'est pas liée à la gaucherie, elle en sort aisément; c'est qu'elle y ajoute toujours quand elle existe c'est qu'elle suffit à la produire. Elle paralyse les mouvements elle ôte le gouvernement du corps, comme le sang-froid de l'esprit; et l'on n'a jamais vu un timide qui ne fût gauche en même temps.

On ne se corrige pas, avec l'âge, de la gaucherie. L'âge, au contraire, ne fait que l'accroître. Mais, avec l'âge et l'expérience, on arrive à guérir de la timidité et l'on économise alors ce que la timidité ajoutait à la gaucherie.

Une personne aisée, élégante, gracieuse, peut être timide, et perdre ainsi, momentanément, l'aisance, l'élégance, la grâce. La chose se voit, assez souvent, chez les jeunes filles qui font leurs débuts dans le monde mais alors même la gaucherie a son charme. Une personne, à la fois gauche et timide, est toujours gauche, et a beaucoup de chances de rester toujours timide, car elle sent sa gaucherie plus vivement même que les spectateurs.

C'est que la timidité est un mal de l'esprit. Elle vient, à la fois, d'une certaine bonne opinion et d'une certaine défiance de soi. Ni les sots ne sont timides, parce qu'ils sont toujours satisfaits d'eux-mêmes ni les personnes véritablement modestes, parce que l'amour-propre ne les tourmente point. Les vrais timides sont ceux qui voudraient que le monde les appréciât à ce qu'ils s'estiment, et qui craignent qu'il ne le fasse pas, parce qu'ils savent, en même temps, ce qui leur manque.

La timidité dans le monde n'a rien à voir avec la timidité dans la vie. Celle-ci est toujours un peu voisine de la lâcheté et vient de la médiocrité du cœur. On craint le péril; on redoute les hasards: on se dérobe de son mieux au danger et aux aventures. Au contraire, ce qui effraye le plus les timides du monde, c'est l'opinion et ses jugements. Tel peut être l'officier le plus brave sur un champ de bataille, l'homme le plus capable de courage civil, le plus résolu dans une occasion où il jouera sa vie même, dont le cœur battra en entrant dans un salon.

Rien n'est plus variable que la timidité et n'échappe davantage au raisonnement. C'est une impression, ou, plutôt, un état maladif des nerfs. On peut être timide la première fois qu'on entre dans une maison, et ne plus l'être la seconde. On peut être timide avec les femmes, et ne pas l'être avec les hommes. On peut être timide avec les jeunes filles, et ne pas l'être avec les femmes mariées. On peut être timide devant dix personnes et ne l'être ni devant quatre, ni devant cent ou mille.

La timidité semble plus commune chez les hommes que chez les femmes. Elle n'est jamais plus fréquente que chez les hommes d'étude. Une personne qui, dès l'enfance, a vécu dans le monde est rarement timide. Une personne qui y est entrée tard et s'y trouve comme en pays inconnu l'est, presque fatalement, et parfois reste telle toute la vie.

Il est à remarquer que la timidité vient des petites choses plus que des grandes. On a vu souvent un homme se sentir mal à l'aise, rougir jusqu'aux oreilles, parce qu'il craint de n'avoir pas salué assez correctement; de ne pas s'être bien présenté dans un salon; d'avoir manqué en quelque chose au cérémonial du monde. Un excellent tailleur, une connaissance parfaite des usages mondains, sont presque toujours un brevet contre la timidité. Ce qui fait le plus de timides, c'est la crainte du ridicule.

Il est rare qu'un homme qui est fier, et qui est pauvre, ne soit pas un timide.

Un homme timide, ni ne marche, ni ne s'assied, ni ne parle, ni ne répond comme un autre homme. Un timide ne se reconnaît pas toujours à première vue. Souvent, il s'est excité lui-même; il s'est monté est le poltron qui chante pour s'enhardir. Il paraît hautain et provocant, alors qu'il est simplement embarrassé.

La timidité est une des plus grandes souffrances que puisse endurer l'homme vivant en société. Tout est coup d'épingle au timide; tout l'offense, tout le blesse rien ne glisse sur lui. Il ne sent de la vie que ses pointes. Son épiderme ressemble à cette peau fine qui s'est formée sur une plaie, et que le plus léger contact endolorit.

Le même amour-propre qui fait la timidité, en délivre aussi. On s'est comparé aux autres, on s'est senti quelque infériorité, on en a cruellement souffert. Puis on se compare encore à eux, on se dit que les choses où ils l'emportent sur nous sont de peu d'importance, que l'on prend ailleurs une ample revanche et, ce jour-là, on est guéri de la timidité.

C'est aux environs de la vingtième année que la timidité sévit le plus. L'amour-propre ne s'est pas décidé encore à faire la part du feu il veut avoir tous les avantages, et ne prend pas son parti de ceux qui lui manquent. C'est l'âge où l'on se contraint, celui aussi où l'on se corrige et où l'on profite. Un autre âge vient où l'on ne prétend plus à tout où l'on n'en- tend plus se gêner où l'on est, à la fois, résigné et résolu à se faire accepter du monde, tel que l'on est. La timidité qui persiste après quarante ans est une infirmité.

Les timides sont ridicules. Il faut qu'ils en prennent leur parti. Personne du reste ne sentira leurs ridicules plus vivement qu'ils ne les sentent eux-mêmes. Les sots ont mille avantages sur eux, dont ils ne manquent pas de profiter. Un timide retient sur ses lèvres un mot qui lui paraît médiocre.; et il voit, le moment d'après, applaudi le premier venu qui a osé le lancer avec assurance. Un timide souhaite de plaire à une femme, et reste muet auprès d'elle, ne trouvant à lui adresser qu'un compliment banal et indigne d'elle; un passant vient le moment d'après qui débite ce compliment inepte, et il en est récompensé par un beau sourire. Un timide emploie son temps à faire cent réflexions humiliantes pour lui. Les autres hommes l'éclipsent. Les femmes se. divertissent de son embarras, quand elles ne se plaisent pas à l'accroître. Il est un plastron tout désigné, une cible pour les épigrammes. II se trouble, il rougit les efforts mêmes qu'il fait pour dominer sa confusion y ajoutent. Il ne trouve la réplique que quand il n'est plus temps de répliquer ses revanches sont les revanches de l'escalier.

C'est un malheur d'être timide et, pourtant, mieux vaut encore être un timide que le contraire d'un timide. Le premier peut guérir de son mal l'autre, jamais. Cléon a vingt-deux ans, et déjà un contentement de lui-même que rien n'ébranle. II est entré dans la vie en vainqueur; mieux qu'en vainqueur, en triomphateur. Il est à son aise avec toutes les femmes. II le prend d'égal à égal avec tous les hommes. II n'est ni rang, ni âge, qui lui imposent la moindre réserve. Il coupe la parole aux savants les plus illustres aux personnages les plus haut placés. II donne son opinion sur tout, d'un ton net et tranchant. Il ne lui manque que de tutoyer tout le monde. Ce dont son aplomb ne lui permet pas de s'apercevoir, c'est que son assurance déplaît et choque. Il tend la main à tous, le. premier, et ne voit pas qu'on lui rend la main froidement. Il parle haut, et ne voit pas qu'il dit une sottise. On lui bat froid et il ne voit pas qu'on lui bat froid. Il a reçu déjà deux ou trois camouflets et ne les a pas sentis. Cléon restera tel qu'il est jusqu'à la fin de ses jours, toujours content de lui-même, toujours pourvu d'une égale assurance, mais sans avoir rien appris, et gardant la réputation d'un sot, d'un fat et d'un homme insupportable. On souhaiterait volontiers à un jeune homme d'être timide de vingt à vingt-cinq ans, et de cesser ensuite de l'être. Il manquera toujours quelque chose d'essentiel à qui n'a pas connu la timidité.

Il y a de la modestie dans la timidité car, si l'on y trouve de l'amour-propre, c'est un amour-propre clairvoyant qui n'ignore pas ce qui lui manque il y a aussi de la pudeur, cet instinct secret qui nous invite à réserver ce qu'il y a de meilleur en nous, à ne le point étaler aux regards, à laisser aux autres le mérite de le deviner. Il n'est pas d'âme délicate qui ne soit un peu timide. Aussi, si la timidité mondaine doit cesser à un certain âge, est-il une autre timidité, celle du sentiment, qui peut durer autant que la vie. C'est ce que les femmes sentent admirablement. Elles raillent la timidité et, au fond, lui sont indulgentes. Leur instinct délicat les avertit que les timides sont souvent les plus tendres, bien que les plus fiers les plus dignes d'être aimés, comme les plus capables d'aimer. Une femme galante peut préférer les audacieux et même leur savoir gré de lui épargner les remords, en emportant la place, comme de force. Une femme qui demande à l'amour autre chose que le plaisir préférera un timide à un audacieux. S'il est vrai que l'amour-propre tienne une grande place, jusque dans l'amour, quelle victoire plus grande pour l'amour-propre féminin que de s'être rendue maîtresse d'une âme un peu inquiète, d'avoir si bien conquis un timide qu'il triomphe de sa nature même et ose enfin se déclarer ? 

Charles Bigot, La sociabilité et le monde, Paris, 1895, chap. XII, p. 157-165.