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dimanche 19 juin 2011

Qu'est-ce qu'un bedeau ?, 1784.


[L'orthographe ancienne a été conservée]

BEDEAU. (Voyez Personnes.)

1. On appelle de ce nom, dans les paroisses, des gens qui servent dans les églises. Ils font vêtus d'une robe longue à manches ouvertes, qui est de couleur violette dans quelques églises, & dans d'autres rouge, quelquefois mi-partie de bleu & rouge. C'est proprement la livrée de la paroisse, & cette livrée est ordinairement décidée par la qualité du patron: s'il est martyr, la livrée est rouge} s'il est pontife , abbé, elle est violette. Les bedeaux ont à la main une baguette, garnie en argent.

La fonction ordinaire des bedeaux, dans les églises, est de précéder les processions, & d'accompagner le clergé dans toutes les cérémonies. L'usage des églises cathédrales & collégiales, est de donner, à ces bedeaux, le nom d'huissier, ce qui n'emporte aucune des fonctions attachées à ce titre. Ces huissiers portent l'habit noir & une forte de manteau court. Ils portent aussi une baguette, d'une forme différente de celles des premiers.

2. Le nom de bedeau, en latin bedellus, bidellus ou banquerius, vient, selon quelques - uns, du bâton ou de la baguette qu'ils portent à la main; selon d'autres, il dérive d'un mot saxon, qui signifie crieur ou hérault. Voyez Appariteur , Coûtre & Massier.

3. Les serviteurs des universités, dans les facultés qui les composent, sont appelles bedeaux. La faculté de Théologie de Paris a un grand bedeau, & des bedeaux inférieurs. L'article 48 des statuts de cette faculté, charge le grand bedeau de faire registre de ses revenus annuels. C'est aussi lui que les docteurs doivent avertir de leur absence, suivant l'article 47. Fontanon, tom. 4.

4. Les bedeaux des universités, participent à leurs privilèges, comme leurs suppôts. Des lettres-patentes du roi Jean, pour l'université de Montpellier, accordent à ses bedeaux, qui y font nommés bedelli seu banquerii, l'exemption de toutes tailles & subsides, pourvu qu'ils ne fassent pas d'autre commerce que celui de vendre des livres. Recueil du Louvre, tom. 3 , pag. 113. La faculté de droit a aussi ses bedeaux.

5. Le nom de bedeau, qui n'appartient plus maintenant qu'aux personnes dont nous venons de parler, étoit anciennement donné aux ministres inférieurs de la justice, tels que les sergens, dont le ministère consistoit à citer en jugement, & à exécuter les sentences des baillis & juges pédanés. Ils remplissoient d'ailleurs, auprès de ces juges, les ministères le moins importans. Voici comme s'exprime, à ce sujet, l'ancienne coutume de Normandie, part. 1, sect. 1 , chap. 11.  : 
 
« Li bedel sont li mineur serjant qui doivent prendre les nams, & les offices faire qui ne font pas si honestes & les meneures semonces. »

C'est pour cela que dans l'ordonnance de saint Louis, du mois de décembre 1254, qui est au tome premier du Recueil du louvre, ils font nommés bedelli vel servientes; mais comme, dans cette acception, les bedeaux n'étoient autre chose que nos huissiers ou sergens, nous renvoyons à expliquer leurs fonctions, par rapport à la justice, aux mots Huissier, Sergent.

6. Matthieu Paris, sous l'année 1257 donne le nom de bedeaux, aux frères mineurs & aux frères prêcheurs qui se chargeoient de la collecte des deniers que les papes exigeoient alors des peuples.

7. Les bedeaux , quoique attachés au service de l'église, sont des personnes purement laïques. L'auteur du Recueil de Jurisprudence canonique, a rapporté , avec beaucoup de détail, au mot Fabrique, sect. 4, n° 7, un arrêt, rendu sur les conclusions de M. l'avocat général Gilbert de Voisins, le 18 juillet 1736, qui juge qu'il n'appartient pas à l'official de connaître de la destitution des bedeaux. Ce qui regarde l'institution & destitution de ces serviteurs de ces serviteurs de l'église , est établi par les différents arrêts de règlement dont nous parlons aux mots Fabrique et Marguillier.

Jean Baptiste Denisart, Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence, t. 3, Veuve Desaint, Paris, 1784, p. 361.

Le suisse et le bedeau selon les lois civiles ecclésiastiques, 1853.


10. Les attributions des suisses ou bedeaux sont ordinairement déterminées par l'usage. Mais il n'en est pas moins bon de les préciser par une délibération du bureau. On devra dans tous les cas consigner dans cette délibération que, pour toutes les choses non prévues, ils seront tenus de se conformer aux ordres du curé.

11. Suivant un ancien règlement du 19 mai 1786, il entrait dans les fonctions du bedeau 
- d'aller chercher le curé à son presbytère avant l'office et de l'y reconduire après; 
- de précéder toujours la personne qui offre le pain bénit et celle qui quête pour les pauvres, - d'aller chercher le prédicateur au lieu qui lui était indiqué, 
- de le conduire en chaire, de rester au bas de la chaire pendant le sermon et de le reconduire ensuite; 
- de précéder et conduire les quêteuses et personnes qui se présentent à l'offrande, 
- et de chasser soigneusement les chiens de l'église (art. 84 du règlement du 19 mai 1786). Cet usage est encore le même aujourd'hui.

12. Un des soins du bedeau est de distribuer le pain bénit aux fidèles. Il doit faire cette distribution avec ordre et décence et ne pas affecter d'en donner davantage à ceux ou à celles qui sont de sa connaissance. Il lui est défendu de prendre une plus grosse part de pain bénit que celle qui lui est accordée.

13. Ce sont encore les bedeaux qui sont chargés de garder l'ordre et le rang de présentation du pain bénit dans la paroisse, et de porter aux habitants les chanteaux à l'effet de les avertir que leur tour est arrivé de fournir le pain bénit.

14. Le suisse est celui des employés de l'église qui est plus spécialement chargé d'empêcher tout trouble ou toute indécence dans le lieu saint.

15. Il veille d'ailleurs, conjointement avec le bedeau, au maintien du silence et du bon ordre dans les cérémonies religieuses, il assure l'exécution des décisions du curé et des marguilliers, pour tout ce qui concerne le service intérieur de l'église.

16. Le suisse doit empêcher qu'aucun pauvre ne mendie dans l'église.

17. Les suisses et bedeaux ont le droit d'expulser de l'église ceux qui y occasionnent quelque tumulte ou qui ne se conforment pas aux règlements.

18. Les suisses et bedeaux ne sont point agents de la force publique, puisqu'ils ne reçoivent aucune mission de l'autorité civile; c'est pourquoi, en cas de troubles dans l'église, ils n'ont pas le droit de dresser de procès-verbaux qui fassent loi en justice. Ils doivent, en pareille circonstance, se borner à dénoncer les faits à l'autorité locale.

19. Parmi les serviteurs de l'église doit être compris le sacristain. C'est celui qui a soin de la sacristie et de tout ce qui en dépend. C'est, dans un grand nombre de paroisses rurales, le seul employé de l'église.

20. Les fabriques sont obligées de procurer au curé un sacristain qui soit capable de tenir les écritures de l'église (Bulletin des lois civiles eccl., vol. 1850, 71.)

21. Aucune formalité n'est prescrite pour la nomination des suisses, bedeaux et autres employés de l'église. Il suffit, par conséquent, que le curé, quand cette nomination lui est dévolue, désigne la personne qui doit remplir cette fonction et qu'il fasse connaître son choix au bureau des marguilliers, qui en prend acte. Lorsque c'est le bureau qui nomme, il le fait par une délibération.

22- Les chantres, organiste, enfants de chœur, sacristain, sonneur, suisse et bedeau, etc., sont sous les ordres immédiats du curé. C'est sous son inspection qu'ils doivent remplir leurs fonctions. Quant à leurs appointements, ils continuent, même dans les paroisses rurales, à être réglés par la fabrique et payés par elle.

Gilbert de Champeaux, Bulletin des lois civiles ecclésiastiques: Journal encyclopédique du droit et de la jurisprudence en matière religieuse et du contentieux du culte, Volume 5, Bureau du Bulletin, Paris, 1853, p. 134.

Le suisse, le bedeau et le donneur d'eau bénité, 1853.


Terminons ce chapitre en parlant de trois personnages importants, du suisse d'église, de Sa Nonchalance le bedeau et du donneur d'eau bénite. Le suisse est de la famille du tambour-major, voilà pour le physique; il a un chapeau et des épaulettes de général; il est toujours le premier à la procession, au mariage et à l'enterrement. Cet homme est un décor, un costume, un ornement. Autrefois les suisses d'église étaient des compatriotes de Guillaume Tell; aujourd'hui la plupart des suisses sont Français.
 
Dans la primitive église, les fonctions de suisse étaient dévolues à l'ordre mineur des portiers (ostiarii); ces fonctions consistaient dans le soin qu'ils devaient avoir d'empêcher les infidèles d'entrer dans les églises et de profaner les saints mystères. Ils devaient faire tenir chacun dans son rang, le peuple séparé du clergé, les hommes des femmes; ils faisaient observer le silence et la modestie. Ils faisaient sortir les catéchumènes après le sermon de l'évêque, et fermaient les portes de l'église. Leurs fonctions les astreignaient également à sonner les cloches, à fermer les portés de l'église et celles de la sacristie, à ouvrir le livre à celui qui devait prêcher et à avoir soin de tout ce qui concerne la netteté et la décoration des églises. Ce terme de suisse, quand il est appliqué aux suisses des églises et des grandes maisons, parait dérivé de celui des Cent-Suisses de la garde du roi.
 
 Le bedeau était autrefois un sergent dans les justices subalternes, et les sergents royaux, quand ils plaidaient contre eux, le qualifiaient du nom d'accensus, apparitor. En effet, les bedeaux servaient de porte-verges dans les églises des juridictions ecclésiastiques, comme on en a vu encore à Saint-Germain des Prés jusqu'à la Révolution. On les appelle en latin bidetti. Fauchet dit qu'on les appelait autrefois bidaux, et que c'étaient des soldats paysans.
 
Le bedeau porte la verge, et sert à l'église et aux confréries pour les quêtes, pour la conduite des personnes de qualité, aux offrandes, aux processions, etc. Le bedeau est chargé, sous la direction du sacristain, de tenir les églises propres, d'y entretenir la décence et le bon ordre. Le sacristain, le suisse et le bedeau ont des fonctions distinctes : le sacristain a soin de la sacristie et de la décoration de l'autel; le suisse ouvre et ferme les portes de l'église, précède les quêteurs et les quêteuses, ouvre la marche des processions, etc.; le bedeau accompagne le prédicateur ou le clergé dans les quêtes pour les cérémonies des confréries, le suisse et le bedeau sont concurremment chargés de la police intérieure de l'église.
 
Une dernière physionomie, le donneur d'eau bénite, installé hiver comme été,à la porte de l'église, le chef recouvert d'un bonnet de soie noire. Dans les grandes églises, le donneur d'eau bénite est le pauvre le plus cossu de la paroisse. On pourrait citer des filles de donneur d'eau bénite qui ont apporté à leur mari soixante mille francs de dot. sans compter leur vertu.

Edmond Texier, Tableau de Paris, tome 2,Paulin et le Chevalier, Paris, 1853, p. 107.

vendredi 17 juin 2011

Immigration et assimilation aux États-Unis, au XIXe siècle.

L'éducation devient vraiment assimilatrice, lorsque les circonstances permettent que des individus d'origines ethniques différentes, mais rassemblés au même lieu et soumis aux mêmes influences, se confondent assez pour qu'ils se marient normalement entre eux. Alors, il y a sérieuse communauté d'éducation.

Je donne cette formule pour ce qu'elle vaut. Elle n'a rien d'absolu. Elle est tout simplement la traduction en langage abstrait de ce que j'ai été à même d'observer aux États-Unis. Je vais l'expliquer par quelques exemples et montrer quelques-uns des obstacles qui peuvent empêcher la communauté d'éducation.

Les États-Unis sont probablement le plus grand chantier d'assimilation sociale qu'il y ait au monde aujourd'hui. L'assimilation est le problème qui domine toutes les questions américaines. L'avenir de l'Amérique dépend principalement du succès qu'elle obtiendra dans l'assimilation de ses immigrants. J'énonce simplement ces idées parce qu'elles sont familières à tous ceux qui connaissent un peu les États-Unis, qu'elles sont monnaie courante dans ce pays-là, et que personne ne les conteste à ma connaissance.

Ce qui est plus curieux, c'est l'accord inconscient des Américains à résoudre la question par l'éducation ; mais par l'éducation entendue au sens le plus large. A tout moment et à tout propos, le mot « éducatif » revient dans leur conversation, et c'est un argument irrésistible qu'une entreprise ait un côté éducatif. Un musée qui se fonde, une église que l'on veut bâtir, une campagne de conférences contre l'alcoolisme, une société d'histoire locale, etc. trouveront des souscripteurs parmi des gens qui ne mettront les pieds ni au musée ni à l'église, qui n'ont pas le désir d'entendre des conférences et que l'histoire des origines américaines n'intéresse pas, pourvu qu'on leur montre ce qu'il peut y avoir d'éducatif dans le but poursuivi. J'ai entendu appliquer cette épithète à l'Exposition de Chicago, et l'Américain qui la qualifiait d'éducative, se consolait aisément qu'elle n'eût pas payé comme affaire financière. « Au point de vue éducatif, disait-il, ce n'a as été un insuccès ». La même préoccupation se retrouve dans cette multitude d'Instituts, écoles professionnelles, écoles d'art, de littérature, de cuisine, si richement dotées par des millionnaires Américains et si librement ouvertes à tous. Les fondateurs de ces établissements ont répondu, comme leurs ressources et leur générosité leur permettaient de le faire, à ce désir général d'élever la race, de hausser à un niveau supérieur tous les éléments informes ou à peine dégrossis que l'immigration livre sans cesse aux États-Unis.

Et les résultats sont là pour prouver que, dans les conditions larges où elle se présente dans ce pays, l'assimilation par l'éducation n'est pas un rêve. Causez avec des enfants dans une ville comme Chicago, New-York, Cincinnati, ils vous diront que leur père était allemand, leur mère irlandaise ou belge ; quant à eux, ils sont Américains, American born, américains de naissance, et ils le proclament avec une fierté naïve mais touchante. Essayez de pénétrer leur « mentalité », rendez-vous compte des sentiments qui les animent, de la manière dont ils. entendent la vie, de ce qu'ils estiment le plus dans les hommes, vous verrez apparaître d'une façon manifeste des traits essentiellement américains. Sans doute, vous pourrez retrouver aussi, surtout là où le père et la mère ont la même origine, des caractères allemands, irlandais, anglais, mais ils vont s'affaiblissant et disparaissant promptement après une ou deux générations. C'est pour cela qu'il existe aujourd'hui un ensemble d'éléments précis auxquels se reconnaît l'esprit américain. C'est pour cela que les États-Unis ne sont pas un ramassis de gens, mais une nation.

On distingue facilement à première vue aux États-Unis les citoyens Américains arrivés dans le pays à l'âge d'homme, de ceux qui y sont venus tout enfants. Souvent dans la même famille, lé contraste est frappant. Je me souviens, par exemple, de deux frères, l'un élevé dans un collège de Paris et venu rejoindre ses parents après avoir profité de la bourse qu'il y avait obtenue, l'autre débarqué au Kansas à l'âge de 6 ou 7 ans, ayant grandi au milieu d'Américains, ayant appris avec eux ce qu'il savait. Le premier était plus instruit, il faisait un excellent employé de banque, mais on lui reprochait de ne pas avoir d'initiative, de go; le second avait été successivement cow-boy et employé de commerce, mais on sentait qu'il ne s'en tiendrait pas là, qu'il s'établirait à son compte. Dans toutes sortes de milieux, le même phénomène se produit. Des prêtres catholiques français, venus en Amérique comme missionnaires vers la trentaine, restent français par bien des côtés, ont peine à comprendre l'esprit des fidèles qui leur sont confiés, ne peuvent pas se mettre en communication complète avec eux. De même pour d'autres prêtres allemands, irlandais. Et cependant le plus américain des prélats catholiques, Mgr Ireland, est né en Irlande de parents irlandais, mais arrivé aux États-Unis à l'âge de six mois environ, il a été véritablement assimilé par le milieu, bien qu'il ait passé en France, dans le diocèse de Belley, les années consacrées à ce qu'on appelle l'éducation. Le supérieur de son grand séminaire est un Français de Lyon, Mgr Caillet, arrivé jeune, lui aussi en Amérique, mais assez profondément américain pour être chargé de la direction d'un séminaire assimilateur, créé dans le but de fournir au clergé des éléments d'origines ethniques différentes, mais d'esprit américain. Dans le nord-ouest, combien de Scandinaves partis vers l'âge de vingt ans des bords de leur fjord, sont aujourd'hui des Américains très confirmés, fixés au sol qu'ils ont défriché, sur lequel ils ont bâti leur maison. Eux retiennent encore des signes visibles de leur origine, mais ceux de leurs dix ou douze enfants qui épouseront des américains ou des américaines, fonderont des familles parfaitement assimilées.

Cependant l'opération ne réussit pas toujours et pour tout le monde. Il y a des immigrants qui s'assimilent et des immigrants qui ne s'assimilent pas. Sans avoir la prétention d'épuiser la question, on peut signaler les obstacles suivants à l'assimilation.

Le premier de tous, gît dans la volonté des individus. Les Chinois, les Hongrois, Ruthènes, Lithuaniens, Polonais, Siciliens, qui viennent gagner un petit pécule dans les mines de la Californie, de la Pennsylvanie, dans les fours à coke de Pittsburgh, sur les quais de la Nouvelle-Orléans et ailleurs, ne veulent pas devenir Américains, mais simplement ramasser un peu d'argent et s'en retourner chez eux. Pour ceux-là, la question ne se pose pas.

Ceux qui s'installent sérieusement aux États-Unis, mais qui y restent à l'état de groupes compacts et isolés, ne s'assimilent qu'exceptionnellement. Par exemple, j'ai vu à Pittsburgh des familles polonaises établies depuis une quarantaine d'années, mais dans lesquelles on rêvait encore à un retour au pays d'origine, lors de je ne sais quelle résurrection vaguement espérée de la patrie polonaise. Les enfants élevés dans des écoles polonaises, se mariaient presque exclusivement avec leurs compatriotes ; la langue polonaise restait en usage dans le cercle de la famille; on ne parlait anglais que pour trouver de l'ouvrage.

De même, et plus encore, les Mennonites qui s'établissent en groupes nombreux de familles unies entre elles par une responsabilité solidaire sur des espaces de terre isolés, ne sont pas entamés par le contact avec les Américains.

A un moindre degré, les Allemands, surtout les Allemands du Sud, qui forment la moitié de la population dans certaines grandes villes, s'assimilent moins aisément que les Allemands du Nord, généralement cultivateurs, qui prennent dans le Dakota un homestead, se marient avec une Américaine et perdent rapidement leur caractère national.

Enfin, pour qu'il y ait possibilité d'assimilation, il faut qu'il y ait aptitude au même travail, et d'une façon générale, aptitude au travail. Les Indiens, isolés dans leurs réserves il est vrai, mais élevés à chasser et peu pliés à l'effort prévoyant du cultivateur, ne peuvent pas s'assimiler à un peuple de travailleurs.

Je ne sais si je me trompe, mais il ne me semble pas nécessaire de recourir à l'hypothèse d'une « mentalité » héréditaire différente pour expliquer ces divers phénomènes, dont l'éducation entendue au sens large rend très bien compte. Et, d'autre part, l'exemple de l'Amérique n'ébranle-t-il pas cette hypothèse, puisque des « mentalités » différentes ne suffisent pas à y conserver les traits caractéristiques de la race — j'entends les traits sociaux et non les traits physiques — chez des individus soumis à la même éducation dans le même milieu ? 

Paul de Rousiers, « La mentalité "héréditaire" et l'éducation », in La Science sociale suivant la méthode de F. Le Play, 14e année, 28e tome, 1899, p. 91.