Hermann von Grauert (1850-1924) |
Parmi
les accusations dont le flot s'est abattu sur l'Allemagne, depuis le
commencement de la guerre, aucune ne reparaît plus souvent à la
surface que celle qui attribue à l'empereur
d'Allemagne ou à l'Empire allemand une poursuite de domination
universelle, de suprématie sur tous les États de la terre, tout au
moins d'hégémonie politique en Europe.
Telle
est la conviction indubitable du nouveau Polybe
dont le Figaro de Paris publie chaque jour, depuis le mois
d'août 1914, les considérations plus ou moins spirituelles, les
insinuations plus ou moins malicieuses et erronées, les accusations
injustes, les commentaires plus ou moins affectés sur les événements
de cette mémorable époque. Ce Polybe n'est autre que Joseph
Reinach, né a Paris en 1856, esprit fertile, publiciste,
écrivain militaire, politicien, historien et membre de l'Académie,
défenseur de Léon Gambetta et d'Alfred Dreyfus, député, et
président, depuis le 15 février 1908, de la Commission chargée de
la publication des Origines diplomatiques de la Guerre de
1870-1871 (1).
Polybe a jugé ses articles de guerre, publiés dans le Figaro,
dignes de passer à la postérité sous forme de livre (deux volumes
jusqu'à la fin d'avril 1915).
L'homonyme
moderne du célèbre historien grec a été réintégré, depuis le
16 août 1914, dans
son grade de capitaine d'état-major et attaché
au gouvernement militaire de Paris. Le 1er janvier 1915,
Polybe ressuscite le souvenir de Napoléon 1er, du retour
de l'île d'Elbe et des Cent-Jours. La plus belle bataille de
l'épopée impériale, Waterloo, se présente à son esprit, avec ses
conséquences tragiques, la chute de l'empereur.
L'hégémonie du génie parut insupportable au monde. Le commencement
de l'an de grâce 1915 voit une autre hégémonie à abattre, celle
de la barbarie la plus brutale qui ait jamais cherché à étendre
son règne. On a changé de langage, à Berlin, depuis les batailles
de la Marne et de la Vistule. Mais on s'efforce trop tard de
recouvrir d'un gant de velours la main gigantesque dont les doigts
s'allongent sur le monde. Au printemps de 1915, Joseph Reinach
termine
la préface du second volume de ses Commentaires de Polybe,
par une profession de foi dans la justice, le droit et la puissance
de l'idéal. Quiconque tient pour certain l'échec futur de Guillaume
II, dans une entreprise d'hégémonie universelle, entreprise où ont
échoué Charles-Quint et Napoléon, celui-là a compris les leçons
de l'histoire.
Joseph Reinach, 1912 |
Ainsi
les Allemands n'ont qu'à se préparer à l'insuccès inévitable de
leurs plans de domination universelle.
La
même conviction règne chez le Comité catholique de propagande
française, nouvellement fondé au printemps de 191 5. L'éditeur
du Bulletin de propagande française à l'étranger, publié
par ce comité, est le secrétaire général, M. Eugène
Griselle, docteur ès lettres, chanoine honoraire de Beauvais,
qui écrit textuellement, dans le n° 2 du 1er août 1915
: « En effet, les mêmes pangermanistes qui avaient proclamé,
en 1905 : l'Allemagne a le droit et le devoir d'imposer son hégémonie
au monde entier ; il faut qu'elle commence par annexer toute
l'Europe », ont applaudi avec frénésie le dernier discours
d'ouverture de la session du Landtag de Prusse, où l'on
disait effrontément :
« Nous
avons été forcés, par des ennemis envieux, à faire la guerre :
une guerre qui a pour but, non d'étendre notre puissance ou de
récolter un gain misérable, mais au contraire, de défendre notre
existence, nos foyers, nos maisons, nos femmes et nos enfants. »
Ainsi,
d'après Monsieur le docteur Griselle, les pangermanistes ont le don
des brusques volte-face. En 1905, ils exigent, pour l'Allemagne,
l'hégémonie mondiale ou, au moins, l'annexion de l'Europe. Dix ans
plus tard, ils veulent persuader à l'humanité que leur guerre est
une guerre défensive. Les mêmes pangermanistes, ne l'oublions pas !
Mais l'occasion s'offre rapidement d'entamer une discussion de
critique historique courte autant qu'instructive. D'où M. Griselle
tient-il sa connaissance exacte des revendications pangermanistes de
1905 ?
Il
ne le dit pas. Heureusement, il avait eu soin de citer, un peu avant
: Paul Verrier,
La Folie allemande. Cette petite brochure est l'œuvre
sincèrement insignifiante d'un philologue français, chargé de
cours à la Sorbonne, à qui la guerre a mis la plume à la main,
comme à beaucoup d'autres de ses collègues. Ces écrivains,
inspirés par Bellone,
ne recherchent point des lauriers scientifiques : leur but consiste à
réchauffer de flammes nouvelles les passions du peuple français, de
ses alliés, et aussi des neutres, en tant que ceux-ci sont
susceptibles d'embrasement. Paul Verrier prétend éclairer sa Folie
allemande à la lanterne magique de « documents
allemands. » Trente-deux pages in-12 font défiler, sous nos
yeux, « les appétits allemands », « la guerre
allemande » et les « intellectuels allemands »,
tout cela pour 30 centimes. « Les
Pages d'histoire 1914—1915 » de la Librairie
militaire Berger-Levrault, Paris et Nancy, ont consacré leur sixième
série au pangermanisme, et se sont enrichies de l'œuvre de Paul
Verrier, sous le titre a n° 28. Les Allemands ont un appétit
de Gargantua.
Paul
Verrier l'avait déjà dépeint, en termes émouvants, dès le 19
décembre 1914, dans un
article de l' Excelsior , reproduit
dans la petite brochure : La Folie allemande. Le beau poème
d'Ernst
Moritz Arndt Was
ist des Deutschen Vaterland ?, le Deutschland,
Deutschland über alles de Hoffmann
von Fallersleben, les manuels de géographie de [Hermann
Adalbert] Daniel
et d'E[rnst] von
Seydlitz, ouvrent tout d'abord les yeux aux Français sur les
timides préludes à la mégalomanie allemande. Mais il y a
progression, et progression plus regrettable, dans cette mégalomanie.
M. Verrier la découvre dans la revue pangermaniste Heimdall,
qui s'inspire de l'illustration de la Walhalla,
avec cette inscription en caractères runiques : « Von
Skagen bis zur Adria ! Von Boonen (Boulogne-sur-Mer) bis Narva
! Von Bisanz (Besançon) bis an des Schwarze Meer ! (2) »
Arndt, par J. F. Bender, 1843 |
Voici
maintenant le comble de la folie pangermanique, atteint par [Johann
Ludwig] Reimer, dans son livre, Une Allemagne pangermanique,
du moins d'après l'avis de M. Verrier. Ce livre, paru en 1905,
propage, selon M. Verrier, cette doctrine, textuellement copiée par
le docteur Griselle : l'Allemagne a le droit et le devoir d'imposer
son hégémonie au monde entier. Il faut qu'elle commence par annexer
toute l'Europe. Paul Verrier ne se borne pas à cette seule
révélation des secrets de Reimer. Il nous dévoile les deux modes
de germanisation, employés par l'Allemagne, afin d'assimiler les
populations qui, en Europe, se distinguent encore des siennes. La
petite germanisation s'applique aux peuples de sang germain, tels que
les Scandinaves et les Hollandais ; elle présente peu de
difficultés, du reste. Quant à la grande germanisation, on la
mettra en pratique dans les pays de race mixte. En France, par
exemple, où existent dix millions d'habitants de race germanique, on
les conservera pour les germaniser à nouveau. Le reste des habitants
sera exterminé ou chassé. Il est des pays où ce système radical
de germanisation rencontrera de grandes difficultés ; aussi certains
écrivains (donc pas Reimer, selon toute apparence) en proposent-ils
un autre. Là, les Allemands immigrés seront seuls à jouir des
droits civils et politiques, de la propriété foncière, et du
monopole du commerce et de l'industrie. Pour les indigènes, leur
sort est bien clair : « Les Allemands immigrés réduiront les
indigènes au plus humiliant, au plus misérable des servages (3). » Ce programme représente, aux yeux de Paul Verrier, l'idéal de la
Ligue pangermanique, qui compte, parmi ses adhérents, près de
trente membres du Reichstag, de nombreux fonctionnaires et
plusieurs professeurs d'Université.
Par
une ironie cruelle, Paul Verrier oppose à ce programme du
pangermanisme le discours
par lequel le président de la Chambre des
députés de Prusse ([Hans Axel,] comte
von Schwerin-Loewitz) a ouvert la dernière session de ce corps
parlementaire ; l'orateur y parle de la guerre qui nous a été
imposée, de la défense du sol natal, à l'exclusion de toute idée
de conquête. Les paroles du président, empruntées à un
compte-rendu parlementaire ou à un journal, sont soigneusement
intercalées entre guillemets par Verrier, qui insiste sur les
applaudissements enthousiastes des députés. Avec une malice
sarcastique, le philologue français remarque qu'on croirait presque
la pacifique Allemagne soumise à une invasion des Belges et des
Français, assoiffés de conquête. Et il termine son émouvant
article de l' Excelsior
par cette fine trouvaille : « Comme on comprend que riment si
bien en allemand ces deux mots : Heuchler
(hypocrites), Meuchler
(assassins) ! »
Le comte von Schwerin-Loewitz, Library of Congress |
Le
chanoine honoraire Griselle, qui doit à la petite brochure de
Verrier sa connaissance du plan de domination générale des
pangermanistes ou du moins de leurs intentions d'annexer l'Europe
entière, n'hésite pas un instant à les englober tous dans le
complot, et à imputer la responsabilité à la Chambre des députés
de Prusse tout entière, avec ses quatre-cent cinquante membres
environ. Songez donc : les « mêmes pangermanistes » de
la Chambre prussienne ont accueilli par des applaudissements
frénétiques les paroles du président ! Au Reichstag,
qui compte 397 membres, Verrier n'aurait guère pu dénicher qu'une
trentaine de pangermanistes. Griselle est mieux informé, sans doute,
— ou bien faut-il appliquer à son procédé, absolument contraire
à la vérité, une qualification que réprouverait justement la
discipline parlementaire ?
Parlons
un peu, maintenant, de Reimer, auteur du livre Une Allemagne
pangermanique Jusqu'au jour où l'éclatante fanfare de Paul
Verrier a révélé son nom et celui de son ouvrage, je n'en avais
jamais encore entendu parler, pour mon compte ; j'ai consulté,
alors, un autre historien, jouissant d'une réputation notoire, et il
m'a répondu que son ignorance égalait la mienne. Verrier, il est
vrai, attribue au pangermanisme une vertu annihilante sur
l'intelligence des habitants de la rive droite du Rhin. De là, sans
doute, notre commune ignorance au sujet de Reimer. J'ai donc dû
recourir aux sources bibliographiques de la Bibliothèque de
l'Université, pour me renseigner sur l'homme et sur son œuvre.
L'écrivain
en question, Joseph Ludwig Reimer, existe bien effectivement, et
habite Vienne ; il
y est né en 1879 et a étudié le droit. Il
appartient à la catégorie des dilettantes sans connaissance
spéciale des sciences naturelles, mais passionnés discoureurs sur
la théorie et sur la politique des races. C'est en outre un
fanatique adepte du mouvement séparatiste d'avec Rome — du
Los-von-Rom —, qui désire également dépouiller le
protestantisme de son contenu dogmatique. Il a juré une haine
mortelle à l'universalisme de l'Empire romain, dont l'Autriche est,
à ses yeux, l'héritière. Dans son livre, gros de 403 pages, Ein
pangermanisches Deutschland, publié, en 1905, à Berlin et à
Leipzig chez Friedrich Luckhardt, l'auteur déclare avoir subi, pour
le développement de sa théorie des races, l'influence d'Houston
St[ewart] Chamberlain,
de L[udwig] Woltmann,
de [Georges Vacher de] Lapouge,
de [Ludwig] Wilser
et du comte [Joseph] Arthur de Gobineau.
Il veut, en effet, un Empire germanique de souche allemande, un
Empire mondial de races allemandes sous l'hégémonie du peuple
allemand (p. 137). Les États d'origine germanique en cause, tels que
la Scandinavie et les Pays-Bas, devraient donc être germanisés peu
à peu, ou tout au moins, pour mitiger l'expression, être
dénationalisés. Quant aux peuples non germains dans leurs masse, on
en décomposerait les parties constituantes : les éléments
germaniques seraient attirés et germanisés, les autres rejetés.
H. S. CHamberlain |
Mais
ce M. Joseph Ludwig Reimer, de Vienne, peut-il vraiment être pris
pour un porte-parole accrédité du peuple allemand ? Pas le moins du
monde. C'est évidemment un des sporadiques échantillons de ces
rêveurs exaltés et fanatiques, sans aucune influence sur les
sphères gouvernementales allemandes ni sur la majorité de nos
Parlements. Si, maintenant, MM. Verrier et Griselle tiennent à
savoir ce que l'Union pangermanique (le Alldeutsche[r] Verband)
pense du livre de leur héros, ils n'ont qu'à se procurer le n° 32
du 12 août 1905, des Alldeutsche Blätter. Ils pourront y
lire, à la page 274 et suivantes, une critique acerbe de Reimer,
avec qui les pangermanistes — die Alldeutschen — ne
veulent rien avoir de commun.
« Des
livres comme celui de Reimer, y est-il dit, ne sont propres qu'à
jeter le discrédit sur l'anthropologie politique, car les
adversaires de celle-ci s'en servent justement pour chercher à
démontrer le défaut complet de base scientifique dans tout ce
système d'anthropologie. »
De
tout ce qui précède, il résulte que, par leur réclame en faveur
des insanités de Reimer, MM. Verrier et Griselle se sont rendus
coupables d'un méfait insupportable, ayant le caractère d'un danger
public.
Occupons-nous
maintenant de la grande question : Peut-il exister vraiment une
hégémonie capable d'embrasser le monde entier, c’est-à-dire
toute la surface de la terre ?
Secondement
: Le peuple allemand a-t-il jamais exercé ou même cherché à
exercer, dans les temps passés, une pareille hégémonie universelle
?
Troisièmement
: Cette hégémonie universelle est-elle exercée ou recherchée à
l'heure présente par le peuple allemand ou par quelque autre peuple
?
*
* *
Pour
tout connaisseur de l'histoire et du développement des idées
politiques, nous entrons ici dans des problèmes qui n'ont cessé
d'occuper et d'échauffer les esprits au Moyen
Âge, à l'époque des Hohenstaufen,
aux jours du Dante, et bien souvent encore depuis.
Ils
n'ont rien perdu actuellement de leur charme magique d'alors, et,
dans le présent comme par le passé, ils ont toujours le don de
l'exercer sur nous.
Mais
les recherches des historiens modernes nous permettent de faire
remonter l'idée de l'hégémonie universelle jusqu'à l'Antiquité
la plus reculée, en la terre des Babyloniens. Bien entendu, les
Empires soi-disant universels, ont tous été bien éloignés de
posséder effectivement la domination universelle.
Au
commencement du troisième millénaire avant l'ère chrétienne,
Sargon 1er, roi d'Akkad, dans la Babylonie sémite
septentrionale, nous apparaît comme le premier monarque auquel est
attribuée la domination « sur les quatre parties du monde »
; car elle s'étendait du Golfe persique à la Méditerranée
orientale. L'idée de la monarchie universelle a subsisté durant des
siècles, en Mésopotamie. À la fin du troisième millénaire avant
J-C., elle fut transmise à Chammurapi [sic], le législateur
du temps d'Abraham, et à sa dynastie, à Babylone.
Après
les rois de Babylone, nous la trouvons chez les monarques d'Assyrie,
qualifiés du titre de « rois des quatre parties du monde »,
ou encore de « rois de l'Univers ». Au VIIe
siècle avant J-C., leur Empire asiatique embrassa, pendant quelque
temps, l’Égypte.
La
domination assyrienne une fois abattue, l' « hégémonie »
revint à Babylone du temps des Chaldéens.
Mais
au VIe siècle avant J.-C., les Perses, avec Cyrus,
avaient fondé un Empire universel, s'étendant de l’Égypte à la
vallée de l'Indus, qui entreprit de porter ses frontières au-delà
des Dardanelles jusqu'en Thrace et dans la Grèce. La lutte des
Hellènes contre les Perses raffermit chez les premiers l'idée de la
solidarité nationale de leur peuple.
Mais
au sein même de la culture hellénique, et déjà bien avant cette
époque, la pensée d'une humanité universelle germa tout d'abord
chez les Perses et chez les Israélites. L'idée de l'hégémonie
universelle prit alors un nouveau caractère éminemment religieux.
Toutefois,
la première incarnation historique importante d'une domination
universelle, vraiment digne de passer à la postérité, se manifesta
avec Alexandre le Grand.
Alexandre
rêvait d'étendre son autorité au-delà de l'Indus jusqu'aux
confins de la terre.
L'apothéose du conquérant fut prononcée par
l'oracle de Jupiter
Ammon, dans l'oasis
de Siwa, où les prêtres saluèrent, dans Alexandre, le fils de
Jupiter.
Zeus-Ammon, IIIe s. av. J.C., Chypre |
De
même, le monde, juif attribua au puissant monarque de la Macédoine
le rôle d'un sauveur du monde, d'un Soter. Dès le VIIIe
siècle avant J.-C., les tribulations éprouvées par Israël, en
raison des expéditions militaires des Assyriens, avaient renforcé
chez lui le désir d'un roi libérateur, qui mettrait fin à toutes
les misères politiques et ouvrirait, pour Israël, une ère de
prospérité et de bonheur. Les prophètes Isaïe et Ézéchiel
évoquent, en traits plastiques, l'image du Messie désiré. Un
rejeton sortira de la tige de Jessé, et l'esprit du Seigneur
reposera sur lui. Les prophéties juives annonçaient la naissance
d'un enfant Sauveur. Sous l'influence des souffrances de l'exil, le
roi de Perse, Cyrus, fut accueilli comme un libérateur par les Juifs
de Babylone. L'historien Flavius
Josèphe raconte qu'Alexandre le Grand combla d'honneurs le
grand-prêtre de Jérusalem et offrit un sacrifice dans le Temple.
Pour les Israélites, le Messie attendu était un souverain temporel,
spécialement envoyé de Dieu, et qui devait réunir tous les pays de
la terre en un Royaume de Dieu, dont le centre serait à Jérusalem.
La
légende de la royauté divine d'Alexandre le Grand, libérateur du
monde, se continue à travers la période guerrière des diadoques.
Pompée,
Jules César et d'autres potentats de la fin de la République
romaine sont plus ou moins profondément pénétrés de l'idée d'une
domination universelle. Une décision du peuple d’Éphèse, en l'an
48 avant J.-C., nomma Jules César « le dieu, fils d'Arès et
d'Aphrodite, venu sur la terre et sauveur commun de la vie des
hommes. » Son neveu, Octave Auguste, semblait être vraiment le
maître de l'Empire romain, et même le maître du monde. Sous le
titre d'un princeps, à côté du Sénat, il incarnait en lui
la tendance croissante vers le pouvoir monarchique, dans l'Empire
romain. Virgile, dans le sixième livre de l'Énéide, lui
promettait l'extension de sa domination jusqu'aux Garamantes
et aux Indiens. Il devait faire revivre, dans le Latium, les temps
dorés où Saturne, le père de Jupiter, avait autrefois tenu les
rênes du pouvoir et assuré à l'humanité les bienfaits d'une paix
générale (4).
L'heure
avait sonné où Jésus-Christ, Sauveur et Rédempteur du monde,
allait venir parmi nous. L’évangéliste St Luc ouvre son deuxième
chapitre, qui raconte la naissance du Christ, par ces paroles
mémorables : « Exiit edictum a Caesare Augusto ut
describeretur universus orbis. » Bien plus encore que le
monde juif et hellénique, le christianisme, dans son essor, élargit
et creuse l'idée de cette humanité universelle, qui aspire vers les
mêmes fins dernières, et pour laquelle le Christ a donné sa vie
comme Rédempteur. Pour cette humanité universelle, on estimait
nécessaire, aussi au point de vue politique, un lien unissant, qui
s'offrait dans l'Empire des Romains, destiné à embrasser l' orbis
terrarum. À la fin de l'Antiquité devenue chrétienne, St
Augustin a développé d'une façon magistrale la grande conception
de la « Cité de Dieu », destinée à l'humanité et
devenue classique, pour les siècles du Moyen
Âge germano-romain qui suivirent.
Cette
conception et l'idée, toujours vivante, de la nécessité de
l'Empire romain inspirèrent la rénovation de ce dernier en la
personne de Charlemagne et plus tard d'Othon le Grand. Le
Saint-Empire romain du Moyen
Âge a incarné la revendication théorique d'une
hégémonie mondiale, exerçant son pouvoir sur tous les peuples de
la terre.
Othon III sur son trône, par le maître de l'école de Reichenau, vers 1000, Munich |
L'art
de l'époque s'était mis lui-même au service de cette prétention.
Le manuscrit
58 de la Bibliothèque royale de Munich contient une magnifique
miniature en couleurs, représentant l'empereur
Othon III sur son trône et paré des ornements impériaux. Il est
entouré des dignitaires ecclésiastiques et laïques ; vers le trône
s'avancent, dans une attitude pleine de respect, quatre femmes, les
mains chargées de présents; elles représentent, d'après les
inscriptions qui accompagnent la peinture : Rome, la Gaule, la
Germanie et la Slavonie. Un détail digne d'attention dénote les
manières de voir de l'artiste : la Germanie, portant une corne
d'abondance, n'occupe que la troisième place, derrière la Gaule,
qui tient à la main un rameau d'olivier.
Une
miniature datant du XIIIe siècle, par conséquent plus
récente, représente l'empereur
Octave Auguste assis sur son trône. Il a l'épée nue dans sa main
droite, et sa main gauche soutient le globe terrestre sur lequel sont
inscrits les mots : « Asia Europa, Affrica ».
L'empereur
est donc désigné, par là, comme le souverain du monde connu alors
; cette supposition est confirmée par l'inscription qui entoure
l'image de l'empereur,
reproduisant les propres paroles de St Luc : « Exiit edictum
a Caesare Augusto, ut descnberetur universus orbis ». La
mission de César Auguste, comme gardien de la paix universelle, est
caractérisée par les mots répartis aux quatre coins : Octavianus
Augustus VIII idus lanuarias Iani clausit portas (5).
La
prétention du Saint-Empire romain, de soumettre à sa domination
tous les royaumes chrétiens et aussi tous les peuples barbares de la
terre, a été fréquemment exprimée, avec éloquence depuis le XIe
et le XIIe siècle. La soumission des barbares, des
peuples infidèles, non encore convertis au christianisme, forme
également une revendication de l’Église, qui lui a même donné
une consécration religieuse dans la liturgie du Vendredi-Saint. Les
oraisons pour le Pape, pour les évêques, pour les prêtres, pour
les clercs, pour les Confesseurs, pour les vierges, pour les veuves
et pour tout le saint peuple de Dieu, sont suivies d'une oraison
spéciale pour le très chrétien empereur,
afin que le Seigneur lui soumette toutes les nations barbares, pour
notre paix constante. L’Église supplie le Souverain Maître
d'abaisser ses regards sur l'Empire romain et de lui donner la
puissance de réduire à soumission les peuples païens, confiant
dans leur sauvagerie indomptée.
L'hégémonie
universelle du Saint-Empire Romain s'est affichée théoriquement,
avec un relief tout particulier, aux XIIe et XIIIe
siècles, à l'époque des Hohenstaufen. Depuis qu'il avait ceint, en
1155, la couronne impériale, Frédéric Barberousse se plaisait à
imiter les anciens empereurs,
en se proclamant souverain de la ville de Rome et maître de l'orbis
terrarum, et en se faisant saluer comme tel. Il exigeait même ce
titre de la part des ambassadeurs de l'empereur
de Byzance. Pour les habitants de l'Italie, amis du pouvoir impérial,
il semblait être le maître du monde, en sa qualité de successeur
des Césars. Aux yeux des impériaux, les royaumes chrétiens hors
d'Allemagne et hors d'Italie étaient des provinces, leurs rois des
roitelets, reguli ou reges provinciales, vassaux
de l'empereur
dominateur du monde (6).
Même
la conception orientale de la divinité de la royauté a pénétré,
jusqu'à un certain point, aussi dans le Moyen
Âge. Elle ne se manifeste pas seulement dans l'idée
de la souveraineté par la grâce de Dieu, dont se réclament les
rois : du temps des Saliens
comme des Hohenstaufen, et même à l'époque de Dante, le roi de
Rome, et plus encore l'empereur,
sont comparés directement au Christ.
Mais
depuis la période d'Othon le Grand, l'empereur
romain fut régulièrement un prince de race allemande : le roi
portant la couronne d'Allemagne était considéré comme le candidat
légitime à la couronne impériale. De là, naturellement, l'opinion
toujours plus affermie d'une prédominance des Allemands, dans la
sphère de l'Empire romain. Si, du VIe au XIe
siècle, les Francs s'étaient posés en égaux des Romains, et même
en leurs supérieurs, le Xe siècle est témoin de
l'éclosion d'un orgueil national allemand, qui voit, dans les
Allemands, selon les desseins de Dieu, les maîtres de l'Europe et
même du monde.
Quoi
d'étonnant alors si cette prétention eut pour conséquence de
susciter une violente surexcitation chez les nations de l'Europe
occidentale, surtout chez les Français ? Comme successeurs de
Charlemagne, même après l'extinction de la souche masculine des
Carolingiens, les rois de France se tinrent, dans certaines
occasions, pour autorisés à faire valoir des droits à l'Empire, et
par suite, à l'hégémonie mondiale. Leurs efforts n'eurent jamais
de résultat. Il n'a été donné qu'à Napoléon 1er de
réaliser le rêve séculaire des Français concernant une monarchie
impériale.
Innocent III, vers 1219, fresque du cloître Sacro Speco |
Mais
ce ne fut pas sans dessein qu'au tournant du XIIe au XIIIe
siècle, le roi de France, Philippe II, ajouta à son nom le titre
impérial d' « Auguste ». La papauté, il est vrai,
pendant la longue période s'étendant du Xe jusqu'à la
fin du XVIIIe siècle, n'a jamais prêté la main à la
transmission réelle de la couronne impériale sur une autre tête
que celle du roi d'Allemagne. En France, en Angleterre et ailleurs,
il se forme, par contre, une conception de l'État qui l'exempte de
la soumission au Saint-Empire romain, gouverné par des Allemands.
Cette conception trouve un partisan plein de bienveillance dans le
grand pape Innocent
III, tandis qu'elle est vivement combattue, au commencement du
XIVe siècle, par un autre pape, moins grand celui-là,
par Boniface
VIII. Ce dernier, après avoir lutté longtemps contre la royauté
d'Albert
Ier,
de la maison de Habsbourg, en prononça la confirmation formelle, le
30 avril 1303.
Dans
un discours célèbre, prononcé devant le Consistoire, Boniface VIII
déclara qu'un pape, en sa qualité de représentant du Christ et de
successeur de Pierre, avait transféré autrefois aux Germains le
pouvoir de l'Empire soustrait aux Grecs. Voilà pourquoi les Germains
(= Allemands) avaient à choisir, par la voix de leurs sept princes
électeurs, le roi des Romains, pour être élevé ensuite, par la
main du Souverain Pontife, à la dignité d'empereur
et de monarque de tous les rois et princes de la terre. « Et
que l'arrogance des Français n'ait pas l'audace de s'insurger, en
déclarant qu'elle ne reconnaît pas de supérieur. Ils mentent. Car
ils sont soumis de droit au roi et empereur
des Romains » (7).
De pareilles sentences, même dans la bouche d'un pape, devaient
sonner aux oreilles des Français comme de graves atteintes infligées
à leur orgueil national.
Toutefois,
à la fin du XIIIe siècle, des politiciens allemands
d'une grande notoriété, mais en même temps d'esprit conciliant,
tels que le chanoine Jordanus
[Jourdain] d'Osnabruck, et son ami rhénan, Alexandre
von Roes, témoignèrent expressément, dans leurs théories
politico-historiques, leur disposition à exempter les Français de
la soumission au Saint-Empire romain.
Mais
entre temps, sans parler de l'Asie et de l'Afrique, l'Europe s'était
disloquée, depuis des siècles, en un nombre infini d'États
indépendants les uns des autres. Cette situation fut, à plusieurs
reprises, très clairement reconnue par des observateurs réfléchis
du monde et de son organisation politique.
Dès
l'an 1024, l'abbé Guillaume
de Dijon donnait à la nouvelle constellation, à laquelle il se
ralliait du reste, une expression accentuée, dans une lettre
adressée au Pape Jean
XIX. Il tient seulement à insister, auprès du Saint Père, sur
le maintien de l'unité de l'Église et de la suprématie pontificale
absolue, même vis-à-vis des Grecs (8).
D'autres
esprits, plus enclins au pessimisme, comme Ste
Hildegarde de Bingen, voient, dans
cette dissolution de l'unité
politique du Saint-Empire romain, un prélude à la fin du monde et à
l'avènement de l'Antéchrist. Il en est encore pour qui la solution
satisfaisante consiste dans la création d'un nouveau système de
Confédération des États, seul moyen, d'après eux, de parer aux
dangers et aux complications d'une désagrégation générale.
Hildegarde de Bingen |
La
Noticia sæculi signale, déjà au commencement de l'an 1288,
la formation de quatre grandes puissances dirigeantes.
L'illustre
Florentin [c'est-à-dire Dante] du XIVe siècle plaide, au
contraire, avec toute la supériorité de son génie, en faveur de la
suprématie unique de l'Empire universel, dont les Romains sont, à
son avis, les dépositaires, par disposition de la Providence divine
et par autorité de droit. Un spirituel et savant homme d'État
anglais, James
Bryce, a qualifié, il est vrai, l'écrit de Dante, De
monarchia, du sobriquet d'épitaphe de l'ancienne magnificence
impériale, et lui a dénié l'importance d'un message prophétique.
Toujours est-il que Dante n'a pas été le dernier apôtre de l'idée
impériale, dans les pays italiens et allemands.
Aeneas
Silvius Piccolomini, plus tard pape sous le nom de Pie
II, lui a payé un tribut, en termes éloquents.
S. Brant, vers 1508, par H. Burgkmair |
Le
passage du XVe au XVIe siècle marqua
l'enthousiasme en faveur de cette idée, de la part d'un grand nombre
d'humanistes allemands, surtout dans les pays essentiellement
allemands autour de Bâle et en Alsace. D'après Sébastien
Brant, le poète du Vaisseau
[ou Nef] des
fous (Narrenschiff), les Allemands sont le peuple choisi par la
divine Providence, pour collaborer à l'exécution de ses plans, le
peuple digne, par ses qualités uniques, de la mission de régler le
sort du monde. Toutes les nations doivent être témoins de l'honneur
incomparable décerné au peuple allemand ; toutes doivent
reconnaître, dans les Allemands, le « peuple de Dieu » ;
car les Allemands, « par leur piété, leur force et leur
virilité, ont obtenu la couronne impériale de toute la terre, et
ont été spécialement chargés, par la disposition et la providence
du Tout-Puissant, du gouvernement courageux et de l'administration
honnête du monde. » Et cette nation, élue et destinée aux
plus hautes actions, est dirigée par un empereur
plus puissant que tous les rois du monde, au-dessus de tous les
souverains de la terre, auquel chaque prince doit, en conséquence,
obéir ici-bas (9).
Devant
ces pompeuses déclamations, Lupold
von Bebenburg, le héraut de la dignité impériale au XIVe
siècle, n'apparaît plus que comme un porte-parole très modéré de
la suprématie de l'Empire romain germanique (10).
En
France, outre le refus de reconnaître les prétentions allemandes à
la suprématie politique, des théories nombreuses furent formulées,
déjà dès le Xe siècle, mais surtout au cours des XIVe,
XVIe et XVIIe siècles, pour procurer aux rois
«très-chrétiens » l'hégémonie universelle ou, tout au
moins, un rôle politique prépondérant avec un titre impérial ou
autre. Je citerai seulement le Normand Pierre
Dubois, sous le règne de Philippe le Bel, et l'avocat au
Parlement, Antoine
Aubery, au temps de Louis XIV. Dans son livre Des justes
prétentions du Roy sur l'Empire (Paris 1667), Aubery revendique
la plus grande partie de l'Allemagne comme un ancien héritage des
rois de France. La monarchie française doit être la continuation de
la monarchie romaine universelle. L'auteur termine son ouvrage, en
rappelant le mariage de Louis XIV avec l'Infante Marie-Thérèse
d'Espagne-Autriche et en louant le Dauphin, qui, malgré sa jeunesse,
promet déjà d'imiter les grands exemples de sa maison, à laquelle
s'offre en perspective, pour les siècles futurs, l'Empire tant de la
mer que de la terre et la Monarchie universelle.
Cette
rivalité et cette tension capitales dans les relations de la France
et de l'Allemagne ont bientôt à subir les conséquences d'un état
de choses complètement nouveau, dans le système politique du monde.
Le
changement est produit, d'une part, par la découverte de l'Amérique
et de la route maritime des Indes, de l'autre, par le développement
du colosse russe, parvenu, au cours du XIXe siècle, au
rang de puissance mondiale. La découverte des nouvelles voies
maritimes, à la fin du XVe siècle, fit de l'Océan
atlantique le centre du trafic universel. La Méditerranée perdit de
son ancienne importance comme route de communication principale entre
les vieilles nations civilisées. Les nations européennes des côtes
de l'Atlantique, le Portugal, l'Espagne, la France, la Hollande et la
Grande-Bretagne, prirent leur essor vers une puissance historique
mondiale. Elles occupèrent, pour ainsi dire, les demeures
seigneuriales donnant sur la route mondiale de l'Atlantique, tandis
que l'Allemagne devait se contenter des arrière-corps de bâtiment,
plus modestes, du coin de la Mer du Nord et de la Baltique. Les
puissances occidentales et centrales de l'Europe furent longtemps
divisées par des rivalités et des différences, d'où la
Grande-Bretagne sortit victorieuse et plus puissante, après le
traité de Paris de 1763, et surtout depuis la bataille de Trafalgar
(21 octobre 1805).
Quant
aux Allemands, il ne leur restait plus que le souvenir de leur
grandeur passée, dont ils
n'avaient jamais pu obtenir la réalisation
complète, au milieu de la lutte des peuples, ni assurer le maintien,
dans une mesure même restreinte. L'été de l'année 1806 marqua la
fin définitive du « Saint-Empire romain de nation allemande »,
par suite de la renonciation de l'empereur
François II. Pure formalité du reste, car de fait, son auréole
de gloire séculaire avait depuis longtemps disparu. Déjà, en 1797,
au cours des tumultueuses effervescences de sa jeunesse républicaine,
Joseph Görres,
avec un dédain cruel, avait prédit la mort de l'Empire d'Allemagne
agonisant. Mais, en 1807, son jugement historique mûri l'avait rendu
beaucoup plus calme. Il trouve le mot juste pour exprimer la
séparation profonde entre la revendication et la réalité. Dans le
troisième volume des Studien, publiées par Karl
Daub et Frédéric
Creuzer (Heidelberg 1807), Görres fit paraître, sous le titre
Religion in der Geschichte, une première dissertation
« Wachstum der Historie », qui ne fut pas achevée,
malgré l'intention primitive de l'auteur. Celui-ci, subjugué et
entraîné par le charme romantique d'Heidelberg, donne à ses
recherches sur le christianisme dans l'histoire des tournures dignes,
en tout cas, de fixer l'attention. De même qu'au Moyen
Âge, une seule Église embrassait toute la chrétienté,
de même un seul Empire devait embrasser tout le monde politique,
« et cet honneur devait échoir aux Allemands ; l'Empire,
qualifié de Saint, devait former le centre dominant de toute
l'Europe ; les rois vassaux devaient révérer la dignité impériale
comme issue directement de la grâce du Ciel ; chaque État
conservait son indépendance propre, d'après le principe du système
féodal, mais l'Allemagne serait l'État par excellence entre tous
les autres. » Mais déjà les faibles successeurs de
Charlemagne n'avaient pas été capables de maintenir le lien commun.
L'époque nouvelle vit donc établir, comme conséquence naturelle,
la suprématie de l'Église sur l'État. Les empereurs
ayant opposé de la résistance à cet état de choses furent punis
d'excommunication et humiliés par l'Église. Le désaccord, la lutte
et le désordre s'introduisirent de la sorte dans le système destiné
à fonder et à parfaire une communauté pacifique. « Mais les
Allemands, pour n'avoir pas voulu commander, furent condamnés, par
l'Esprit terrestre irrité, à servir, dans une sujétion humiliante,
jusqu'à un avenir éloigné. » Pendant ce temps, toutefois, de
grands siècles se sont écoulés ; leurs œuvres témoignent de leur
splendeur. Le romantique devine la grandeur du Moyen
Âge, même dans les dispositions idéales de l'ordre
politique. « Comme un magnifique météore, l'Empire avait
brillé pendant des siècles ; rien de grand ne s'était produit qui
ne fût issu de sa sainteté ; la gloire de la divinité, dans tout
l'éclat de sa splendeur, inondait de ses rayons le monde terrestre,
qui s'embrasait dans les feux dorés d'un romantique coucher de
soleil (11). »
Après l'effondrement de la puissance et de la magnificence de
l'Empire allemand, les esprits les plus nobles de la nation, les
poètes et les penseurs, cherchèrent un refuge dans le domaine de la
poésie, des rêves, des idées et de la langue maternelle. Là du
moins, ils pourraient, pensaient-ils, conserver à la grandeur
allemande un asile sûr, victorieux, impérissable, d'où l'esprit
allemand acquerrait un nouveau triomphe, dans la lutte des peuples
pour la palme de l'intelligence.
Joseph Görres |
Dans
un temps (hiver 1807-1808) où les factionnaires français montaient
encore la garde à Berlin, et où la censure berlinoise devait
redouter le moindre froncement de sourcil du César tout-puissant des
bords de la Seine, le philosophe Johann Gottlieb Fichte, inspiré par
les leçons de Pestalozzi,
rêvait de fonder un nouveau règne mondial des Allemands, dans le
domaine de l'intelligence et de la moralité (Reden an die
deutsche Nation).
Friedrich
Schlegel, défenseur, en 1796, d'une République universelle des
peuples autonomes, a poursuivi, dès 1804, le développement de ses
idées politiques, en réclamant une sorte d'Empire universel, auquel
seraient soumis les peuples et les royaumes voisins. Chacun des États
particuliers conserverait son autonomie politique. Six ans plus tard,
dans ses cours professés en 1810, Schlegel veut déjà opposer le
véritable Empire au faux impérialisme de Napoléon 1er ;
il semble que son esprit fût hanté, à ce moment, par l'idée d'une
reconstitution de l'Empire Romain du Moyen Âge sous la direction de
la maison d'Autriche (12).
Quand
se leva, à l'horizon allemand, l'aurore de la délivrance, Ernst
Moritz Arndt put composer son poème de La patrie de l'Allemand
; cette patrie devait dépasser les frontières des pays et des
provinces allemands isolés. Le chant contenait une allusion
politique, un programme tout au plus dans le sens des Alldeutschen
; car la patrie s'étend « aussi loin que résonne la
langue allemande. » Mais on n'y trouve pas trace d'hégémonie
mondiale, dans l'acception réelle du mot.
Le comte von Montgelas, 1806, par J. Hauber, Munich |
Avant
d'être composé au nord de l'Allemagne, le poème de La
patrie de l'Allemand
avait eu pour prélude un incident caractéristique, qui se passait
derrière les coulisses, à Munich et à l'Université de Landshut.
Le ministre, [Maximilian
de Paula Hieronymus,] comte von Montgelas, avait entendu dire
qu'un professeur d'histoire de cette dernière ville, dans un de ses
cours, s'était permis d'exprimer l'opinion suivante : « Les
Allemands doivent dominer, ou bien l'humanité périra. » Le 11
mars 1813, « sur l'ordre de Sa Majesté », le comte von
Montgelas adressa un blâme sévère au sénat de l'Université de
Landshut et ordonna une enquête à l'égard de tous les professeurs
intéressés. Tous déclarèrent expressément n'avoir jamais émis
pareille théorie, et la désapprouvèrent énergiquement. L'enquête
tomba ainsi à l'eau (13).
L'opinion exprimée de la sorte est elle-même une réminiscence de
l'ancienne et mystique idée d'un Empire romain embrassant le monde
entier, et de son étroite liaison avec le royaume d'Allemagne et
avec le peuple allemand, selon une volonté divine. Si l'Empire
décerné aux Allemands cesse d'exister, la voie est ouverte à
l'avènement de l'Antéchrist. Jordanus d'Osnabrück avait enseigné
autrefois la même chose, dans son traité De
prærogativa romani Imperii
(anno 1280).
Le
Congrès de Vienne, en 1815, ne rétablit ni l'Empire allemand, ni le
Saint-Empire romain de nation allemande du Moyen
Âge. La nouvelle Confédération allemande trompa les
espérances de ceux qui se considéraient comme les champions de
l'idée nationale. La grandeur de l'Allemagne restait bien réellement
confinée au domaine intellectuel, mais les aspirations vers l'unité,
vers une plus grande puissance, vers une liberté plus large, vers
une participation du peuple allemand à ses destinées politiques
n'en demeuraient pas moins vivantes.
Dans
sa Correspondance de deux Allemands (Briefwechsel zweier
Deutschen), Paul
Pfizer, un Souabe à l'esprit prophétique, prévoit, en 1831, la
formation d'une nouvelle Allemagne Mineure, à l'exclusion de
l'Autriche, et où seraient unis les autres États allemands, sous la
conduite de la Prusse, dans une confédération plus étroite
qu'autrefois.
Mais
la réalisation de ce plan n'enthousiasmait alors aucun des
gouvernants de l'Allemagne. Au printemps de 1849, le Parlement de
Francfort parut bien, un instant, sur le point de vouloir en effet
réunir ainsi les États allemands, sans l'Autriche. Une majorité
offrit la dignité impériale au roi de Prusse, Frédéric
Guillaume IV, qui la refusa, et le ministère prussien du comte
de Brandebourg déclina son concours formel, en cherchant à tourner
la chose autrement, avec la soi-disant Constitution fédérale
(Unionsverfassung). Ainsi, à l’avant garde des luttes
politiques venait se placer, pour un instant, la création, au centre
de l'Europe, d'une Confédération d'États formant un bloc de 70
millions d'habitants. Cette combinaison échoua, comme on sait,
pendant l'automne de 1850. Les États allemands retombèrent dans la
misère de l'ancienne Confédération. Les quinze ou vingt années
suivantes du XIXe siècle s'écoulèrent en vœux
stériles, en attentes, en espérances, en toasts sans nombre à
l'unité, à la liberté, à la grandeur de l'Allemagne ; les fêtes
des associations chorales, des sociétés de tir et de gymnastique
étaient le théâtre principal de ces élans patriotiques.
Mais
le feu de l'espoir couvait quand même dans les cœurs, et sa flamme
trouvait moyen de
s'élancer parfois sous forme de discours et de
chansons. Le 26 août 1841, sur le granit rose d'Hel[i]goland,
encore abrité par le pavillon britannique, Hoffmann von Fallersleben
composait son poème célèbre : Deutschland, Deutschland über
alles / Über alles in der Welt. / Wenn es stets zu Schutz und
Trutze brüderlich zusammenhält. On emprunta simplement, pour
mettre les paroles en musique, la mélodie de Joseph
von Haydn, composée pour l'hymne national autrichien Gott
erhalte Franz den Kaiser ; et le poème de Hoffmann fut
bientôt sur toutes les lèvres allemandes, comme il était déjà
dans tous les cœurs allemands. Ce chant ne contient pas la moindre
allusion à des désirs d'hégémonie universelle. Il exprime
uniquement le bonheur parfaitement légitime, de voir la patrie jouir
d'une concorde désirée par chacun. L'amour ardent de l'enfant pour
sa tendre mère y est célébré en termes simples et touchants. Il a
fallu, chez nos ennemis, un défaut complet d'intelligence ou une
malveillance inspirée par la haine, pour interpréter ce chant dans
le sens menteur d'un appel aux armes du plus intolérable
pangermanisme. Les Français tiennent beaucoup à leur glorification
de la douce France, dans la Chanson
de Roland du XIe siècle ; pas plus qu'ils ne
renoncent à cette chanson, nous ne renoncerons, dans l'avenir, à
notre : Deutschland, Deutschland über alles ! Il n'a, à nos
yeux, aucun caractère agressif pour n'importe quel autre peuple (14).
H. von Fallersleben, 1819, par K. G. C. Schumacher, Berlin |
La
note politique éclate plus fortement dans l'Appel d'Héraut,
d'Emmanuel
Geibel, composé en 1859 :
« De
son peuple, un jour à venir,
Le
Seigneur vengera l'opprobre ;
Son
tonnerre saura retentir
Comme
à Leipzig, aux jours d'octobre.
« Sous
un souffle ardent cessera
L'antique
lutte fratricide ;
Ce
temps d'épreuve enfantera
Maint
héros, de succès avide.
« À
ton front l'on verra briller
De
nouveau couronne impériale,
Et
l'Europe en toi révérer
Une
princesse sans égale. »
Ici,
le poète patriote réclame bien effectivement, pour l'Allemagne, une
situation prépondérante, en face des peuples de l'Europe.
E. Geibel, vers 1860 |
Mais
c'était un poète, au cœur brûlant d'enthousiasme et tout vibrant
d'amour de la patrie. Emmanuel Geibel n'a jamais siégé dans le
conseil des hommes d'État allemands. Et même le fils de son royal
protecteur, Louis II de Bavière, successeur du roi Maximilien
II, retira au poète sa faveur et la pension dont il jouissait,
pour avoir trop ouvertement manifesté son espoir d'un Empire
allemand sous la tutelle du roi Guillaume
1er (15).
*
* *
Et
maintenant, je le demande encore : peut-il exister vraiment une
hégémonie capable d'embrasser le monde entier, c'est-à-dire toute
la surface de la terre ? Cette hégémonie a-t-elle été jamais
exercée ou recherchée par un peuple quelconque, et en particulier
par le peuple allemand ? On ne peut voir une réponse défavorable
aux Allemands dans une grossière invention visant au satirique, mise
en circulation au courant de 1915, sous le couvert de l'inévitable
professeur allemand, toujours anonyme, et perfidement exploitée par
un disciple avide de sensation. L'ex-président des États-Unis,
Théodore Roosevelt, méritait bien, en effet, la dédicace d'un
manuscrit soi-disant volé à un soi-disant professeur d'une
Université allemande.
Cela
s'appelle La Grande Guerre, Deutschland
über alles, ou la Folie Pangermaniste, « traduit
sur le manuscrit inédit du Professeur X. par Maurice Lauzel »,
(Paris, 1915, H. Floury éditeur).
C'est
un bousillage assez grotesque en 45 pages, destiné apparemment à
servir de croquemitaine aux grands et aux petits enfants de l'Union
américaine.
Si
l'on voulait parler d'une organisation embrassant vraiment toute la
terre, on aurait des arguments, bien autrement sérieux, à l'égard
de l’Église catholique, qui s'impose comme devoir la direction
spirituelle de l'humanité entière et aspire à sa réglementation
extérieure par des moyens en rapport avec cette mission.
On
pourrait également citer les pacifistes, dont le rêve est de créer
un tribunal d'arbitrage suprême pour l'arrangement des conflits
entre tous les peuples et tous les États du monde. Théoriquement,
un pareil projet serait réalisable, à la condition d'une entente
pacifique impérative entre tous les États ; de même, un arbitrage
suprême sur toutes les nations de l'humanité est théoriquement
imaginable avec un monarque unique, reconnu comme souverain de la
paix, agissant de sa propre autorité ou par délégation auprès des
différents États de la terre. Le puissant développement des moyens
de communication sur la surface du globe faciliterait singulièrement
l'organisation d'un pareil tribunal d'arbitrage et de paix, ainsi que
son fonctionnement efficace. Mais pratiquement, jamais une instance
supérieure de cette nature n'a existé, en réalité, dans le monde.
Si
cependant une hégémonie mondiale effective s'est jamais approchée
de la réalisation, c'est
bien assurément de la part de la
Grande-Bretagne, qui, au cours du XIXe
siècle, a aspiré à la domination absolue des mers et a atteint son
but dans une mesure très considérable. Le sentiment populaire
britannique et la politique officielle anglaise avaient déjà reçu,
à cet égard, au XVIIIe
siècle, une sorte de directive, avec le chant fameux de [James]
Thomson, Rule
Britannia, / Britannia rule the waves, / Britons never shall be
slaves, devenu
l'hymne national anglais. La Grande-Bretagne y est représentée
désignée, par les anges gardiens, comme la dominatrice des mers,
dès la création des continents. « Placée au centre de son
immense réseau de câbles, sillonnant le fond de toutes les mers,
elle fait de ses escadres volantes autant de ponts mobiles par-dessus
tous les océans. L'Angleterre est la première puissance qui se soit
ainsi créé la possibilité d'étendre son empire sur toute la
terre; c'est une Venise gigantesque, qui a les mers pour canaux (16) ».
James Thomson |
Depuis
la bataille de Trafalgar (1805), cette domination des mers n'a pas
suffi à l'ambition britannique ; car bien des pays côtiers se sont
trouvés et se trouvent encore sous la menace des canons de
l'Angleterre. Toujours la Grande-Bretagne s'est efforcée de barrer
la voie de l'Océan aux puissances navales par trop florissantes ;
elle y a toujours réussi, jusqu'à présent. Elle y a trouvé un
nouveau prétexte avec son système du Two
Powers Standard, officiellement proclamé depuis 1888. La
guerre mondiale de 1914-1915 a manifesté comment l'Angleterre
s'arroge le droit de contrôler et de supprimer même le commerce
pacifique et innocent des nations neutres. La suprématie navale
anglaise a dégénéré de plus en plus en une oppression tyrannique.
Jamais
l'Allemagne n'a rien tenté de semblable à la surface du globe, ni
sur mer ni sur terre. Jamais non plus, l'idée d'une union politique
plus étroite des nations latines n'a suscité la moindre velléité
d'imitation dans nos sphères dirigeantes. La conception russe du
panslavisme ne les a pas séduites davantage. Assurément, Fédor M.
Dostojewski, le poète russe, mort en 1881, se faisait l'écho de
millions de ses compatriotes, dans son roman Les démons, et
dans ses écrits politiques (17),
lorsqu'il écrivait :
« Chaque
grand peuple croit et doit croire, s'il veut seulement vivre
longtemps, que lui seul possède en main le salut du monde, qu'il
existe uniquement pour marcher à la tête de tous les peuples, pour
les englober et les conduire, d'un consentement unanime, vers les
buts définitifs tracés à tous. »
Des
poètes, des philosophes, des politiciens, des jurisconsultes, même
des théologiens italiens, espagnols, français, anglais, russes, et
aussi allemands, ont, à différentes reprises, proclamé leur nation
comme la nation prédestinée : leur peuple, comme le peuple élu de
Dieu. Tel Dostojewski en faveur des Russes.
Dès
l'été de 1807, le philosophe allemand Johann Gottlieb Fichte se
montrait beaucoup plus impartial et objectif, lorsqu'il déclarait,
encore avant ses discours à la nation allemande : « D'ailleurs,
chaque nation veut étendre; aussi loin que possible, le bien qui lui
est propre, et cherche de tout son pouvoir, à s'incorporer tout le
genre humain, en vertu d'un instinct mis par Dieu dans le cœur des
hommes, instinct sur lequel reposent la communauté des peuples, leur
contact mutuel et leur progrès. Leur but étant ainsi le même à
tous, en admettant même qu'ils aient pour guides des esprits droits
et parfaits, il en résulte nécessairement des conflits, et la
réponse à la question de savoir si tel peuple est ton allié
naturel ou celui de ton voisin, et où s'arrêtent les limites de
votre influence légitime, trouvera rarement ses prémices dans la
raison (18) ».
Mais cette manière de voir n'a exercé aucune influence notable sur
la politique officielle allemande, pendant tout le XIXe
siècle.
Il
en a été tout autrement chez les Français, chez les Anglais et
chez les Russes. Le tsar Nicolas II et son gouvernement, pénétrés
de l'idée panslaviste, fortement teintée de religion, ont été
conduits, à la fin du mois de juillet 1914, à placer les intérêts
de la Serbie, et par suite l'hégémonie russe en Europe et en Asie,
bien au-dessus des intérêts vitaux de l'Autriche-Hongrie, soutenue
naturellement par son alliée, l'Allemagne.
Le
mauvais génie de la revanche, implanté au cœur de la France, a
poussé celle-ci vers le rôle de satellite de la Russie. Mais si,
dans les premiers jours du mois d'août 1914, Bellone déchaîna ses
fureurs, c'est que l'Angleterre croyait l'heure venue de sauver son
hégémonie
mondiale,
menacée, à ses yeux, par l'Allemagne, et d'exterminer militairement
cette rivale avec le concours de la Russie, de la France et du Japon.
Donc,
depuis le commencement du XIXe siècle, l'Allemagne
officielle n'a jamais visé à une domination universelle ; examinons
maintenant si, pendant cette période, elle n'a pas voulu, du moins,
se faire la propagatrice d'idées pangermanistes.
Il
importe de bien établir ici la différence expresse existant entre
le pangermanisme en tant que mouvement politique et les tendances
« pan-allemandes » (alldeutsch). Les Anglo-Saxons
et les Latins sont fréquemment tombés dans la faute de confondre
les deux mouvements en un seul. Cela tient à la pauvreté de leur
langue, dans laquelle « germain » et « allemand »
sont deux termes identiques. Or, tout chercheur consciencieux,
historien, philologue, politicien ou anthropologue, ne tarde pas à
découvrir que la portée du pangermanisme dépasse infiniment celle
du mouvement « pan-allemand ». Le pangermanisme embrasse
les Germains Scandinaves et les Anglo-Saxons des deux hémisphères.
Or, jamais Joseph Ludwig Reimer, mentionné ci-dessus, n'a eu la
moindre prétention d'édifier une Allemagne pangermanique de cette
envergure, avec sa théorie insoutenable des races.
Joseph Chamberlain |
Un
homme d'État, cependant, le ministre anglais des colonies, Joseph
Chamberlain, a sérieusement tenté de réaliser une vaste
alliance politique des peuples germaniques. Le projet de cette grande
alliance, proposée au printemps de 1901, au comte Bernhard de Bülow,
alors chancelier de l'Empire allemand, vit le jour non pas à Berlin,
mais à Londres ou mieux à Birmingham. La politique allemande
déclina l'offre, dans l'intérêt du maintien de la solidarité
parmi les grandes puissances européennes (19).
Le
mouvement « pan-allemand » se maintient dans des limites
beaucoup plus modestes que le pangermanisme. Ici également, la mise
en scène affecte des effets très divers, entre lesquels il faut
distinguer. Les articles de journaux, de revues, les brochures,
donnent parfois asile aux conceptions d'imaginations très
excessives.
Depuis
la fin du XIXe siècle, deux petites brochures surtout ont
eu le don d'émouvoir l'étranger, l'une : Grossdeutschland und
Mitteleuropa um das Jahr 1950. Von einem Alldeutschen (2e
éd., Berlin, 1895, 48 pages); l'autre, Germania
triumphans, publiée également en 1895. Cette dernière prévoit
l'apogée du développement de l'Allemagne pour l'année 1915. Dans
une guerre victorieuse, où elle a pour alliées l'Autriche-Hongrie,
l'Italie et la Turquie, l'Allemagne vient rapidement à bout de la
France. Le colosse russe est abattu, à son tour, et la paix se
conclut à Saint-Pétersbourg. Puis l'Angleterre, et finalement aussi
l'Amérique, sont humiliées. La fin de 1915 voit siéger, à Berlin,
le Reichstag d'une plus grande Germanie. Les princes
confédérés célèbrent le cinq centième anniversaire de la
domination des Hohenzollern dans la Marche de Brandebourg.
De
pareilles extravagances font sourire aujourd'hui encore, en
Allemagne, car elles ne manquent pas d'un certain comique et
témoignent d'une imagination échevelée ; pourtant, le sourire est
accompagné d'un hochement de tête mélancolique. Ces élucubrations
ont en effet contribué, dans une mesure regrettable, à accroître,
à l'étranger, l'antipathie contre l'Empire et contre le peuple
allemands.
Ainsi
s'explique l'impression déplorable, produite surtout en Angleterre,
en Amérique et en France. En 1904, un livre anonyme de 379 pages fut
publié à Londres et à New-York, chez Harper and Brothers, avec le
titre : The Pan-Germanic Doctrine, being a study of German
political aims and aspirations. Vainement, un publiciste touchant
de près le gouvernement anglais, J.
Alfred Spender, éditeur de la Westminster Gazette,
s'efforça-t-il, dès 1905, de mettre le public en garde contre
l'importance réelle de publications de cette nature. En 1913, de
nouveaux cris d'alarme vinrent jeter le trouble en-deçà et au-delà
de l'Atlantique. Les cours du défunt professeur Cramb,
de Londres, publiés en un volume, ont contribué puissamment, encore
pendant cette guerre, à influencer l'Amérique dans un sens
anti-allemand. Il en a été de même du livre de l'Américain Roland
G. Usher, paru, en février 1913, sous le titre : Pan-Germanism.
D'après l'auteur, les Allemands n'ont d'autre but que celui de la
domination de l'Europe et du monde entier par la race germanique (20).
*
* *
En
réalité, les faits sont tout autres. L'Empire allemand a bien
effectué, de 1894 à 1896, une transition de sa politique
européenne, purement continentale, à une politique mondiale,
d'ailleurs très modérément accentuée. Le fait est certain.
L'essor constant, l'accroissement énorme des intérêts commerciaux
et économiques de l'Allemagne, ont rendu, pour ainsi dire,
nécessaire cette orientation nouvelle. Mais l'Empire allemand n'a
jamais nourri, malgré cela, la moindre intention de jouer le rôle
de « trouble-fête », en s'immisçant dans les affaires
des autres ; au contraire, son désir était de demeurer, dans les
nouvelles conditions, un solide rempart de la paix universelle. Cette
pensée inspirait l'empereur
Guillaume II, le 18 janvier 1896, lorsque, à la Salle blanche du
Château royal, à l'occasion du 25e anniversaire de la
fondation de l'Empire allemand, il promulgua le contenu du document
mémorable qui soulignait, en termes éloquents, le grand événement
du 18 janvier 1871 :
« Le
vœu, prononcé par notre immortel aïeul, en acceptant la dignité
impériale, et transmis à
ses successeurs à la couronne, de
protéger, avec la loyauté allemande, les droits de l'Empire et de
ses membres, de maintenir la paix, de soutenir l'indépendance de
l'Allemagne et de rendre son peuple fort, ce vœu a été rempli,
jusqu'à présent, avec l'aide de Dieu. Conscient de sa mission, qui
est d'élever, dans le concert des peuples, sa voix en faveur de la
paix, sans favoriser ni léser personne, le jeune Empire a pu
poursuivre tranquillement l'œuvre de son édification intérieure
Mais, loin d'être un danger pour les autres États, l'Empire
allemand, entouré de la considération et de la confiance des autres
peuples, restera, après comme avant, un solide soutien de la paix. »
Guillaume II, par B. H. Strassberger, Vienne |
Au
repas qui suivit la cérémonie, l'empereur
prononça ces paroles très remarquées :
« Cette
journée est remplie de la bénédiction, elle respire l'esprit de
celui qui repose à Charlottenbourg et de celui qui dort dans la
Friedenskirche... L'Empire allemand est devenu un Empire
mondial. Partout sur la surface du globe, habitent des milliers de
nos compatriotes. Les richesses allemandes, la science allemande,
l'activité allemande franchissent l'Océan. Les valeurs exportées
sur mer, par l'Allemagne, se chiffrent par de nombreux millions.
C'est à vous, Messieurs, qu'incombe le sérieux devoir de m'aider à
souder les liens qui rattachent à notre sol natal ce plus grand
Empire allemand... C'est avec le désir de vous voir en parfait
accord avec moi, pour me seconder dans mon devoir, non seulement
envers mes compatriotes d'ici, mais encore envers ceux qui, par
milliers, vivent à l'étranger, pour me permettre de les protéger
au besoin, c'est avec l'avertissement qui nous regarde tous :
''gagne, pour le posséder, l'héritage de tes pères", que je
lève mon verre à notre chère patrie allemande, en m'écriant :
''Vive l'Empire allemand !'' »
L'union
plus étroite, ainsi proclamée par l'empereur,
entre les Allemands vivant hors de l'Empire et ceux de l'Empire
lui-même, n'a pas le moindre caractère politique ; il s'agit là
uniquement d'une active coopération intellectuelle et d'un échange
occasionnel de biens économiques. L'empereur
esquisse quelque chose de correspondant à l'Alliance Française,
fondée à Paris, en 1883, pour rapprocher entre elles les personnes
de nationalité française à l'étranger, mais il ne songe pas à
détourner de leurs obligations politiques, envers leurs propres
autorités gouvernementales, les Allemands d'Autriche-Hongrie, de
Suisse, du Luxembourg, de Belgique et des deux Amériques.
Neuf
ans plus tard, à l'hôtel-de-ville de Brème, l'empereur
donnait, dans un discours resté célèbre, une explication claire et
complète de son toast de Berlin. Le 22 mars 1905, un jour
avant de s'embarquer à Bremerhaven, pour son voyage à Tanger, où
il arriva le 31 mars, l'empereur
s'exprima ainsi d'une voix retentissante :
« En
montant sur le trône, après l'époque glorieuse de mon grand-père,
je me suis solennellement juré de laisser reposer, pour ma part, les
baïonnettes et les canons, mais aussi de les maintenir toujours en
bon état, pour nous permettre, à l'intérieur, de travailler en
paix à l'aménagement de notre jardin et de notre si belle maison,
sans redouter, à l'extérieur, l'envie ou la jalousie des voisins.
Fort de mon expérience de l'histoire, je me suis juré de ne jamais
rechercher la gloire stérile des conquérants, qui ont travaillé,
en vain, à se soumettre le monde. Que reste-t-il, en effet, de tous
leurs grands Empires ? Alexandre le Grand, Napoléon 1er,
tous ces illustres guerriers, ont nagé dans le sang et ont laissé,
après eux, des peuples asservis, prompts à secouer le joug, à la
première occasion, et à faire un monceau de ruines des Empires
ainsi édifiés. »
Dans
un petit livre, édité pour les soldats, par Heinrich
Finke, pendant l'été de 1915, Kraft
aus der Höhe, j'ai
donné libre cours à mes sentiments sur la grandeur allemande, sur
la paix allemande, sur la liberté allemande. J'ai cru devoir y
résumer l'action politique intérieure et extérieure des Allemands,
dans la vieille devise : « Vivre et laisser vivre. » Cela
signifie que nous réclamons pour nous le droit d'existence au milieu
des autres peuples de la terre, en reconnaissant ce même droit à
nos voisins et à nos amis. Mais ce principe ne restreint pas non
plus notre droit d'améliorer nos conditions de vie et de nous mettre
en garde contre le retour de criminels attentats, comme celui dont
nous avons été victimes dans la guerre mondiale de 1914-1915. La
guerre finie, nous ne commettrons pas la folie de revendiquer, pour
nous seuls, le monopole de l'existence, et nous continuerons à
laisser les autres vivre librement et comme il convient à des
hommes. La gloire frivole de domination universelle attribuée à une
puissance unique n'est plus d'accord avec les droits des nations à
l'autonomie : c'est là une conviction commune à tous les hommes
politiques sérieux en Allemagne, depuis la chute de Napoléon 1er.
Toutefois, si le XIXe
siècle vit naître le système de cinq, six ou sept grandes
puissances s'arrogeant le privilège de décider, en dernier ressort,
de la destinée du continent, et si le XXe
siècle doit voir surgir un autre système de grands Empires
mondiaux, arbitres suprêmes dans toutes les graves affaires
politiques, l'Empire allemand, depuis 1871 et 1879, devait et doit
réclamer la place qui lui revient aussi bien dans l'un que dans
l'autre système.
Parmi
les trésors littéraires de la Bibliothèque Royale de Munich, j'ai
eu la chance de mettre la main sur une petite brochure anonyme, ayant
pour titre : L'hégémonie mondiale, tombeau de l'humanité. (Die
Weltherrschaft das Grab der Menschheit). Aucun nom d'éditeur :
une simple date, celle de 1814, c'est tout ce qu'on apprend des
origines de l'opuscule.
Paul Johann Anselm von Feuerbach |
Mais
une note au crayon, due au bibliothécaire, signale comme auteur le
célèbre jurisconsulte Anselm
von Feuerbach, établi en Bavière, après avoir séjourné en
Thuringe, à Francfort-sur-le-Main et à Kiel. La brochure respire la
joie causée par la délivrance du joug dont le conquérant corse
avait chargé les peuples de l'Europe. On pourrait qualifier cet
écrit d'épilogue à la chute de l'Empire de Napoléon. Sans nommer
nulle part l'œuvre de Dante De monarchia, l'exposé de
Feuerbach forme un contraste des plus frappants avec les idées
politiques du célèbre Florentin. Voir le salut de l'humanité dans
une hégémonie mondiale, nous dit Feuerbach, n'est pas un rêve
séculaire, mais bien celui de plus d'un brave esprit enthousiaste.
Combien s'y sont cramponnés déjà, comme au règne définitif de la
paix et du bonheur, comme à la suppression de tous les maux, grands
et petits, inhérents aux vicissitudes multiples du libre contact des
États, avec leur jeu perpétuel d'équilibre stable et instable,
cause de chute pour celui-ci ou pour celui-là ? Là où un seul
règne sur tous, pensent ces rêveurs, les intérêts de clocher des
divers États se subordonnent à ceux de l'État mondial, qui, de
toute sa hauteur, domine l'ensemble. Tout conflit entre les États et
les peuples, en tant qu'il sera permis de parler encore de leur
existence, serait porté devant le trône du maître suprême, et
soumis à son arbitrage pacifique. Plus de guerres, si ce n'est
celles nécessaires pour réprimer des soulèvements, pour châtier
des rebelles. Les guerres étrangères ne pourraient plus
qu'effleurer les frontières reculées du nouvel Empire. Sous l'aile
qui étend son ombre tutélaire à tous les pays du monde, sous les
palmes, éternellement verdoyantes, de la paix, cultivées et
entretenues par la main toute-puissante du dominateur universel,
chacun pourrait jouir en repos du bonheur dû à ses propres mérites.
Quel
rêve magnifique ! Cette hégémonie européenne semble devoir faire
revivre, pour nous, l'âge d'or. Pourtant, Feuerbach va, d'un revers
de main, lui arracher sa trop séduisante auréole :
« Ta
corne d'abondance nous versait un poison mortel ou assoupissant; ta
coupe était remplie de sang humain; ton soleil n'était que la lueur
des villes incendiées ; ta paix s'appelait- misère, une misère
muette ; ton repos représentait la mort intellectuelle; ta justice
était une tête de Méduse pétrifiante, emblème de la tyrannie et
de la terreur ! »
Aucune
puissance d'imagination ne rêverait plus jamais d'un retour de l'âge
d'or, dans la sombre prison d'une hégémonie mondiale ! Jamais la
domination d'un seul homme ou d'un seul État, régnant sur tous les
peuples, n'a encore réalisé l'idéal de ce fantaisiste Empire
mondial. La fougueuse ambition de jeunesse d'un Alexandre le Grand a
seule pu nourrir pareil projet, dans un temps où l'on ignorait
encore l'existence de la plus grande partie de la surface de la
terre. Celle-ci n'est pas un globe que la main d'un maître unique
puisse entourer. La nature a voulu que l'humanité se ramifiât en de
nombreuses races et que chaque peuple, avec ses qualités propres et
ses différences originelles, prît son essor, se développât et pût
atteindre le but auquel le destinent ses aptitudes spéciales et ses
forces.
Il
est possible que, dans ses idées, Feuerbach ait donné, ça et là,
un peu trop libre cours à la sobre modestie de l'époque des
Biedermeier, alors à son début, que sa limitation des États
particuliers au domaine d'une seule langue commune paraisse un peu
trop exclusive ; il n'en est pas moins dans le vrai, en prétendant
(p. 16 et suiv.) que l'indépendance des peuples, la liberté
souveraine des États dans lesquels ils vivent, forment la condition
primordiale de toute existence propre. Feuerbach y voit, avec raison,
le palladium sacré de la dignité humaine et de
l'individualité de chaque peuple, gage qu'on ne saurait acheter trop
cher au prix des plus immenses sacrifices, qu'on doit défendre
opiniâtrement jusqu'à la mort, et dont le lâche abandon à un
conquérant équivaut à une honte éternelle, à une ignominie sans
fin.
Dans
la préface de sa brochure, Feuerbach cite, en français, quelques
idées dont il fait, en même temps, son leitmotiv :
« Une
monarchie universelle serait sans contredit un grand mal pour le
monde, et plus un empire paraît s'approcher de ce terme, plus les
vrais amis de l'humanité doivent souhaiter qu'il s'arrête ou qu'il
recule dans sa marche. Une monarchie universelle amènerait
nécessairement l'oppression des peuples car l'émulation, la
rivalité, la jalousie et des craintes réciproques sont des moyens
de perfectionnement et des ressorts d'activité pour les nations
comme pour les individus... »
Ces
lignes, écrites en 1803, un an avant l'avènement de Napoléon 1er
à l'Empire, ont pour
auteur un spirituel savant d'origine française,
devenu tout à fait Allemand d'idées et de sentiments : Jean
Frédéric Ancillon. Issu de la colonie française de Berlin,
membre de l'Académie prussienne depuis 1803, appelé, en 1810, à
diriger l'éducation du futur roi Frédéric-Guillaume IV, il fut
nommé ministre prussien des Affaires étrangères, en 1832. À ce
dernier titre, il entra en relations très étroites avec le prince
[Clément
Wenceslas] de Metternich, à Vienne. Le chancelier d'État de la
monarchie danubienne a très certainement partagé, au sujet de
l'hégémonie mondiale, la manière de voir d'Ancillon ; car, en
1814-1815, d'accord avec les hommes d'État prussiens d'alors, il
repoussa finalement la reconstitution du Saint-Empire romain de
nation allemande.
Johann Peter Friedrich Ancillon, 1836, par A. Rinck |
Tel
était également l'avis du prince [Otto]
de Bismarck. Sa direction politique du nouvel Empire allemand se
renferma dans des limites strictement définies. Parvenu au faîte de
sa puissance, il se refusait à exposer les os d'un seul mousquetaire
poméranien, pour les affaires des Balkans. Aujourd'hui encore,
malgré l'attaque contre la Serbie, même si notre marche devait se
poursuivre jusqu'à Constantinople, jusqu'à Bagdad et jusqu'au canal
de Suez, nous ne sommes nullement hallucinés par le fantôme d'une
hégémonie sans bornes. Nous n'avons pas commencé cette guerre par
désir de conquêtes, mais uniquement pour nous défendre. Après sa
fin victorieuse, nous ne demanderons que les garanties nécessaires,
afin d'assurer la position qui nous convient dans le monde. C'est
dans le même sens qu'il faut comprendre les paroles du bourgmestre
de Vienne, Son Excellence Weisskirchner,
ancien ministre du commerce et héritier intellectuel de
l'inoubliable Lueger,
paroles prononcées dans une grande assemblée à Vienne, le 25
octobre 1915, au sujet de l'avenir des Allemands en Autriche :
Richard Weisskirchner, 1912 |
« Nos
soldats n'ont pas combattu uniquement pour la victoire, mais aussi
pour nous permettre à tous, de jouir des fruits de la paix. Nous ne
pouvons souffrir un retour à l'ancien état de choses si désolant.
Du sang versé sur les champs de bataille doit surgir une Autriche
nouvelle, une Autriche où les Allemands occuperont la place à
laquelle leur importance historique et culturelle leur donne droit.
J'ignore quels gouvernements sont réservés à l'Autriche, mais je
leur crie d'ores et déjà : Malheur à ceux qui s'aviseront de
vouloir opprimer les Allemands d'Autriche. Nous autres, Allemands
autrichiens, fidèles à l'empereur
et à la patrie, nous avons maintes fois cimenté de notre sang
l'Empire des Habsbourg, et aussi dans ce conflit mondial, les fils du
peuple allemand se sont levés héroïquement pour la défense du sol
natal. Nous serions indignes de ces vaillants, si nous ne
contribuions pas aussi à conserver la position politique et
culturelle des Allemands d'Autriche, et à la défendre contre toute
atteinte ultérieure. Nous voulons que des combats soutenus, côte à
côte, par les Allemands et par les fils de la Monarchie danubienne,
que de cette alliance militaire, sorte plus tard une alliance
politique indissoluble, et qu'un rapprochement économique des deux
Puissances centrales puisse continuer, en temps de paix, la série de
nos victoires. Si le front de combat s'est étendu de la mer Baltique
jusqu'en Serbie et jusqu'aux Dardanelles, l'avenir économique devra
ouvrir la grande route d'Ostende à Bagdad. Alors le jour devra venir
où s'élèvera une Europe centrale puissante et dominante, qui
dictera au monde les bienfaits de l'esprit et de l'idée
allemande (21). ».
Est-il
besoin d'ajouter qu'il ne s'agit point ici d'une domination
despotique et arbitraire des Allemands ? Dans la Confédération de
l'Europe centrale à fonder, Allemands, non-Allemands, Magyares et
Slaves jouiront pleinement de droits identiques. L'Autriche-Hongrie
restera, comme toujours, un Empire constitué de peuples divers, mais
l'Allemagne restera basée sur les fondements d'un État plutôt
national. Dans cette nouvelle Confédération politique des
puissances centrales, il n'y aura jamais place pour une hégémonie
mondiale allemande.
Theobald von Bethmann-Hollweg, 1917 |
Le
chancelier de l'Empire, M. [Theobald]
de Bethmann-Hollweg n'était que l'écho fidèle des sentiments
de l'empereur,
des princes de la Confédération allemande, du Reichstag et
de tout le peuple allemand, lorsqu'il terminait, par les remarquables
paroles suivantes, son célèbre discours du Reichstag, du 19
août 1915 :
« Jamais
l'Allemagne n'a recherché la domination de l'Europe. Elle mettait
son ambition à marcher la première dans la concurrence pacifique
entre les nations, dans les voies du bien-être et de la morale. On a
pu voir, par cette guerre, de quelles grandes actions notre propre
force morale nous a rendus capables. La puissance de notre valeur
intrinsèque, nous ne pouvons la faire valoir extérieurement que
pour le seul profit de la liberté. Nous ne ressentons aucune haine
envers les peuples que les Gouvernements étrangers ont excités
contre nous. Mais nous avons désappris la sentimentalité. Nous
soutiendrons la lutte jusqu'à ce que les peuples en question mettent
les vrais coupables en demeure de faire la paix, jusqu'à ce que la
voie soit aplanie pour une Europe nouvelle, enfin délivrée des
intrigues françaises, de la mégalomanie russe, et de la tutelle
britannique. »
Notes
(1) Neuf volumes de cette publication, allant du 25 décembre 1863 au
1er juin 1866, ont paru de 1910 à 1914.
(2) On se fera une idée de l'importance qu'on attribue, en Allemagne, à
la revue Heimdall, par le fait significatif que cette revue
ne se trouve ni parmi les ouvrages de notre incomparable
Bibliothèque Royale, ni à la grande Bibliothèque de l'Université
de Munich.
(3) P. Verrier, La Folie
allemande,
Berger-Levraul, Paris, Nancy, t, 1914, p. 8.
(4) Voir Ulrich Wilcken, Über
Werden und Vergehen der Weltreiche, Cohen,
Bonn, 1915, 38 p. ;
Hans Lietzmann, Der
Weltheiland, Marcus und Weber, Bonn,,
1909 ; Franz Kampers,
Alexander der Grosse
und die Idee des Weltimperiums in Prophetie und Sage, Herder,
Fribourg-
en-Brisgau, 1901) ; Le même, Die
deutsche Kaiseridee in Prophetie und Sage, H.
Lüneburg,
Munich,
1896) ; Le même,
« Die
Geburtsurkunde der abendländischen Kaiseridee »,
dans Historisches
Jahrbuch n°XXXVI,
livraison 2 ; Ludwig Hahn, Das
Kaisertum, Dieterich,
Leipzig, 1913.
(5) Cette miniature est reproduite sur le prospectus des Itineraria
Romana de Konrad Miller, qui vont paraître à Stuttgart, à la
fin de 1915, chez Strecker und Schröder (publiés depuis, la
gravure se voit sur la feuille de titre du volume).
(6) Konrad Burdach, Walther
von der Vogelweide : philologische und historische Forschungen,
partie
I, Duncker und
Humblot, Leipzig, 1900, p. 171 et suiv. : Die
reguli oder reges provinciales der staufischen Reichskanzlei.
Spécialement la deuxième étude de Burdach : « Walthers
erster Spruchton und der staufische Reichsbegriff »
l. c. 135 et suiv. ; Max Pomtow, Über
den Einfluss der altrömischen Vorstellungen vom Staat auf die
Politik Friedrichs I.
und die Anschauungen
seiner Zeit,
Inaugural-Dissertation
, H.
Pohle, Halle,
Iéna, 1885.
(7)Deutsches
Institut für Erforschung des Mittelalters, Monumenta
Germaniæ Historica,
Constitutiones et Acta publica imperatorum, t.
IV, partie I, p. 139 et suiv.
(8) Monumenta Germaniæ Historica,
pp. VIII, 392.
(9) Joseph Knepper, Nationaler Gedanke und Kaiseridee bei den
elsässischen Humanisten, Herder,
Fribourg- en-Brisgau, 1898, p. 156 et suiv.
(10) Hermann Meyer, Lupold von Bebenburg : Studien zu seinen
Schriften. Ein Beitrag zur Geschichte der staatsrechtlichen und
kirchenpolitischen Ideen und Publizistik im 14. Jahrhundert, Heider,
Fribourg- en-Brisgau,
1909, p. 139-158, § 11 : Das Weltkaisertum.
(11) Wilhelm Schellberg (intr. et rem.), Josef von Görres'
Ausgewählte Werke und Briefe, Kösel,
Kempten, 1911, p. 266 et suiv. ; p. 272.
(12) Friedrich Meinecke, Weltbürgertum
und Nationalstaat : Studien zur Genesis des deutschen
Nationalstaates, R.
Oldenbourg, Munich
et
Berlin, 1915, p. 75 et suiv., p. 86 et suiv. G. G. Gervinus,
Geschichte des 19.
Jahrhunderts,
Wilhelm Engelmann, Leipzig, t.
I, p. 356-360.
(13) Voir mon article : « Deutschnationale Regungen in
Südddeutschland während der Jahre 1812-1813 », dans la
Festschrift publiée par la Görresgesellschaft à
l'occasion du 70e anniversaire de naissance de Georg von
Hertling, Kempten, 1913, p. 368.
(15) Voir le bel article de Paul Keller, dans sa revue, Die Bergstadt,
livraison d'octobre 1915, p. 12 et suiv. La date de 1859, que Keller
assigne à la composition du poème, repose sur une erreur
chronologique : voir Hoffmann von Fallersleben, Mein Leben :
Aufzeichnungen und Erinnerungen, t.
III, Rümpler, Hanovre, 1868, p. 210 et suiv.
(15) Voir Paul Heyse, Jugenderinnerungen und Bekenntnisse, t.
I, p. 296 et suiv.
(16) R. Kjellén, Die Grossmächte der Gegenwart, Teubner,
Leipzig, 1914, p. 88, d'après Seeley.
(17) Œuvres, II. Série, 1915, tome 13, 212 et suiv.
(18) Johann Gottlieb Fichte dans l'article « Über Macchiavelli
als Schriftsteller », voir J. G. Fichte, Nachgelassene
Werke, vol. III,
Adolph Marcus, Bonn, 1835, p. 423, et Friedriech Meinecke, op.
cit., p. 101.
(19) Voir mon article : « England und Deutschland am Ende des
19. Jahrhunderts », dans Hochland, 1915, livraison
de juillet, p. 461 et suiv.
(20) Voir un remarquable article de Johann Mattern, bibliothécaire de
l'Université John Hopkins à Baltimore (Maryland) : « Die
Gründe für die deutsch-feindliche Stimmung in den Vereinigten
Staaten » dans la Kölnische Volkszeitung du 25 mai
1915, n° 418.
(21) Münchener Neueste Nachrichten, n° 577 du 11 novembre 1915,
édition du matin, p. 3.
Référence
Hermann
von Grauert, « Hégémonie allemande ? », in
Georg Pfeilschifter (et coll.), La Culture allemande, le
catholicisme et la guerre : réponse à l'ouvrage français :
La Guerre allemande et le
catholicisme, C. L. van Langenhuysen (B. F. M. Mensing),
Amsterdam – Rotterdam, 1916, p. 357-386.
Les notes ont été complétées, lorsque cela fut possible, par l'auteur de ce blog.