CHAPITRE I
S'il y a tant
de confusion dans les choses,
c'est qu'on en
laisse beaucoup trop dans les mots
Le mot passion,
d'après son étymologie (Πάθος), désigne une
souffrance ou du moins une émotion produite en nous, tantôt par une
impression venue du dehors, tantôt par une impulsion engendrée dans
notre intérieur. Dans les deux cas, cette émotion ébranle plus ou
moins le cerveau, organe intermédiaire entre l'âme et le corps, et
par lui est renvoyée sur tous les points de l'économie, à l'aide
de nombreux conducteurs appelés nerfs.
Toutes les affections
vives, toutes les passions,
ayant le triste privilège de rendre le corps malade non
moins que l'esprit, ces deux termes s'emploient également en parlant
du physique et du moral : ainsi l'on dit que les affections
organiques du cœur sont souvent le résultat d'affections
morales, et anciennement l'on donnait les noms de passion
hypochondriaque et de passion
hystérique à des maladies qui ont leur siège dans les
hypochondres ou
dans l'utérus.
Les passions, disent quelques auteurs, sont ainsi
nommées, parce que l'homme ne se les donne pas, niais qu'il les
subit, qu'il est soumis à leur action, qu'il y est passif.
« Nous appelons passions, dit le docte et judicieux
Bergier,
les inclinations ou les penchants de la nature poussés à l'excès,
parce que leurs mouvements ne sont pas volontaires : l'homme est
purement passif lorsqu'il les
éprouve ; il n'est actif que quand il y consent ou qu'il les
réprime. »
Si les moralistes sont d'accord sur l'étymologie de
ce mot, il n'en est pas ainsi de l'acception qu'on doit lui donner,
et par conséquent de sa définition.
Le chef de l'école stoïcienne, Zénon, définit la
passion , un trouble d'esprit contre nature, qui détourne la raison
de sa voie.
Galien, d'après les idées d'Hippocrate et de
Platon, considère les passions comme des mouvements contre nature de
l'âme irraisonnable, et il les fait toutes provenir d'un désir
insatiable. H ajoute qu'elles font sortir le corps de l'état de
santé.
Descartes les considère comme des
mouvements produits par les esprits vitaux émanés de la glande
pinéale (siège de l'âme, selon lui) et qui viennent diversement
agiter toutes les parties du corps humain.
Le plaisir nous émeut agréablement : nous nous
portons vers lui ; la douleur produit sur nous un effet contraire :
nous la fuyons. Cette attraction et cette répulsion ont été
appelées mouvements de l'âme,
non que l'âme puisse changer de place (un être immatériel
n'occupant pas de lieu), mais seulement pour indiquer que, dans son
amour et dans son aversion, l'âme s'unit avec les objets ou s'en
sépare, de même que le corps s'en approche ou s'en éloigne.
D'après ces considérations , Bossuet et d'autres moralistes
chrétiens définissent les passions, «des mouvements de l'âme,
qui, touchée du plaisir ou de la douleur ressentie ou imaginée dans
un objet, le poursuit ou s'en éloigne. »
Selon Gall et Spurzheim, les noms d'affection
et de passion
ne conviennent nullement aux facultés primitives de
l'âme. Le premier doit s'appliquer uniquement aux modifications que
présentent les facultés, et le second à l'excès de leur activité.
Ainsi l'affection ne serait qu'un mode de qualité,
la passion qu'un mode de
quantité.
Certains moralistes ont confondu les affections et
les passions ; d'autres ont cru devoir rassembler, sous le titre de
passions, une foule de travers d'esprit habituels, et jusqu'à des
caprices aussi futiles que passagers. La plupart cependant ont
réservé le nom d'affections aux sentiments en quelque sorte
passifs, tels que la tristesse, le chagrin, la crainte, et ils ont
seulement qualifié de passions les sentiments éminemment actifs,
tels que l'amour, la haine, la colère, l'ambition.
Quelques savants médecins
prétendent que le besoin d'exercer les facultés de l'intelligence
peut bien donner naissance à des goûts très-vifs, tels que celui
de la poésie, de la peinture, de la musique ; mais que ces goûts ne
sont jamais poussés jusqu'à la passion. Malgré mon respect pour
leur autorité, je ne puis admettre une opinion que des faits assez
multipliés m'ont paru complétement détruire. J'ai eu, en effet,
maintes occasions d'observer des peintres, des poètes, et surtout
des musiciens, qui montraient pour leur art un penchant, un goût,
une ardeur qui allait jusqu'au délire, jusqu'à une véritable et
violente monomanie, terminaison funeste et malheureusement trop
fréquente des grandes passions.
Ce désaccord qui règne entre les écrivains sur
l'acception que doit avoir le mot passion provient bien certainement
de ce que son étymologie lui donne un sens trop vague et même
illimité. En effet, qui dit passion, dit souffrance, d'où il
suivrait que toute émotion éprouvée serait une passion.
Pour faire cesser une pareille confusion, il est
absolument nécessaire de restreindre la signification de ce mot, et
de bien préciser le sens qu'il doit avoir. Sans cela, l'un dira
d'une manière absolue que les passions sont bonnes ; un autre,
qu'elles sont nécessairement mauvaises ; un troisième, qu'elles ne
sont en elles-mêmes ni bonnes ni mauvaises, et que leur qualité
dépend de l'usage qu'on en fait. « Toutes nos passions, dit
Rousseau, sont bonnes quand on en reste le maître ; toutes sont
mauvaises quand on s'y laisse assujettir. »
Avant d'indiquer la définition à laquelle je
m'arrête, je crois devoir présenter succinctement quelques
considérations, dans le double but de justifier ma préférence, et
de dissiper l'obscurité répandue sur ce point fondamental de la
science.
L'homme est un être éminemment actif ; il est
sollicité a l'action tantôt par des impulsions intérieures, tantôt
par des impressions venues du dehors et transmises à l'âme par les
sens. De ces impulsions et de ces impressions résultent pour lui des
besoins nombreux, mobiles de toutes ses actions. L'animal et l'enfant
obéissent immédiatement à la stimulation du besoin ; l'homme,
j'entends ici l'homme complet, n'agit, ne satisfait habituellement ce
besoin qu'après avoir jugé s'il peut ou s'il doit le satisfaire.
L'homme est donc conduit par deux guides, le besoin et la raison :
l'un qui le sollicite et le pousse, l'autre qui l'éclaire et le
retient. Aussi la vie humaine n'est-elle, comme nous l'avons déjà
vu , qu'une lutte presque continuelle entre le devoir et le besoin.
Ajoutons que tout besoin trop violemment senti provoque en nous un
désir d'une égale violence, nous fait agir instantanément,
aveuglément, contre notre devoir, notre intérêt, notre volonté :
eh bien! voilà la passion , qui n'est autre chose que la tyrannie
d'un besoin.
Je dis d'un besoin : en effet,
nous le verrons plus tard, l'homme n'est qu'un composé de besoins,
et, pendant la fièvre de la passion, son esclavage, sa position
passive, n'existe le plus souvent que parce qu'il n'a pas satisfait
d'une manière harmonique ses autres besoins, qui, dans l'état
normal, peuvent toujours servir de contre-poids à celui qui
l'entraîne habituellement. Aussi, parmi les hommes privés de toute
éducation, l'on voit constamment dominer les besoins de l'animal ;
chez ceux qui n'exercent qu'une partie de leurs besoins supérieurs,
autrement dit de leurs facultés intellectuelles, l'on voit ces
facultés privilégiées se développer, par l'exercice , au
détriment de celles qu'on a imprudemment négligées : c'est ainsi
que la mémoire et l'imagination courent
les rues, tandis que le jugement et le sens moral sont
excessivement rares. Enfin, les individus qui satisferaient
exclusivement leurs besoins sociaux se trouveraient privés d'une
foule de jouissances intellectuelles, et surtout de l'élément
religieux, qui seul peut sanctionner la moralité de leurs actes.
En résumé, les passions ne sont que des besoins
trop violemment sentis, que des désirs immodérés, que la tyrannie
d'un besoin qui ordinairement fait taire les autres, quand il ne les
contraint pas à le servir.
Voyons maintenant la distinction
qu'il faut établir entre les émotions, les sentiments, les
affections, les vertus, les vices et les passions.
Les émotions
sont des excitations plus ou moins vives de notre
sensibilité ; elles sont agréables ou pénibles. Dans les deux cas,
elles peuvent aller jusqu'à briser les ressorts de l'organisme ;
elles agissent alors à la manière des passions violentes, et
deviennent même, par l'habitude, de véritables passions : aussi un
moraliste judicieux, M. de Lévis, a-t-il remarqué que «de tous les besoins factices,
le plus dangereux est celui des émotions. »
Les mots sensations,
sentiments, perceptions,
désignent également les impressions que les objets font
sur l'âme, avec cette distinction, généralement admise, que la
sensation s'arrête aux sens, que le sentiment va au cœur, et que la
perception s'adresse à l'intelligence. Tous les trois déterminent
en nous des ébranlements nerveux, des émotions de plaisir et de
joie, de douleur et de tristesse, sources premières de nos passions.
De même que le mot sentiment, celui d'affection
(dérivé du verbe afficere,
toucher, faire impression) indique simplement un modo de
sentir, une manière quelconque d'être affecté. L'affection, dont
le caractère habituel est une douce activité, se montre à chaque
instant susceptible de divers degrés, et se métamorphose en ardeur,
en impétuosité, en déraison, en passion. Chez la femme mère
surtout, il n'est pas rare de voir l'affection portée jusqu'au
dévouement, sorte de
consécration qui la fait s'oublier elle-même pour se donner tout
entière à l'être qui lui doit la vie.
Généralement parlant, on donne
le nom de vices à la
dégradation de nos sentiments, et celui de vertus
à leur perfection. Quand les vices ne constituent pas des
passions, ils n'en sont guère éloignés. La théologie les nomme
péchés. Ce sont autant de retours vers l'animalité. Nous verrons
ailleurs que les progrès du vice sont infiniment plus rapides que
ceux de la vertu, et que leur habitude est également beaucoup plus
forte et plus tenace.
Considérée sous le point de vue
social, la vertu est la conformité de notre volonté particulière à
la volonté générale ; c'est aussi une préférence habituelle de
l'intérêt général à l'intérêt particulier.Cette préférence
généreuse ne s'acquiert pas sans livrer de nombreux combats à
notre égoïsme ; elle atteste la force de l'âme, et c'est
précisément pour cela qu'elle mérite le nom de vertu (1). Elle
devient tous les jours de plus en plus rare dans nos sociétés
modernes.
Aux yeux de la religion , la vertu est le triomphe
de la volonté sur nos mauvaises inclinations ; c'est aussi la santé
de l'âme, conservée par l'innocence, ou recouvrée par le repentir.
Les moralistes admettent quatre vertus principales,
qu'ils ont appelées cardinales, parce qu'ils les regardent comme le
fondement de toutes les autres : ce sont la prudence,
qui les dirige ; la justice,
qui les gouverne ; la force,
qui les soutient, et la tempérance,
qui les circonscrit dans de justes limites.
Les trois vertus théologales du chrétien sont la
foi, l'espérance,
et la charité, qui
embrasse les deux autres, parce quelle est le lien d'amour qui unit
l'homme à l'homme, en unissant l'homme à Dieu.
Une remarque faite depuis longtemps, c'est que la
plupart des vertus sont placées entre deux vices comme entre deux
écueils ; aussi, en voulant éviter l'un on tombe souvent dans
l'autre, si l'on ne se tient pas ferme dans cet étroit milieu qui
les sépare.
Comme tous nos penchants naturels ou factices, les
vertus mêmes peuvent donc dégénérer en passions, lorsqu'elles
sont poussées à l'extrême, lorsqu'il y a excès dans leur
exercice. On reconnaît qu'elles sont arrivées à ce degré quand
elles faussent le jugement ou qu'elles le paralysent.
CHAPITRE II
Il faut
classer les passions pour les étudier, tout en
reconnaissant
que leur classification restera toujours imparfaite.
Les combats intérieurs de l'homme, cette lutte
incessante qui règne entre ses penchants et sa raison, ont conduit
Pythagore et Platon à reconnaître dans notre âme deux parties :
l'une , forte et tranquille, assise dans la citadelle du cerveau,
comme dans un olympe placé au-dessus des orages ; l'autre, faible et
farouche, agitée par les tempêtes des passions, et, comme la brute,
se vautrant dans la fange des voluptés.
Cette division de la nature de
l'homme, en raisonnable et en irraisonnable, a aussi été adoptée
par saint Paul, saint Augustin , et plusieurs autres Pères de
l'Église ; Bacon, Buffon, Lacaze,
l'ont également admise, et on la trouve reproduite dans la
distinction des deux vies animale
et organique établie
par Bichat. Quelques philosophes anciens ne se bornèrent pas à
distinguer dans l'homme deux âmes, l'une supérieure et l'autre
inférieure ; ils en admettaient une troisième, et les localisaient
de la manière suivante : l'âme raisonnable
avait son siège dans le cerveau ; l'âme animale
ou concupiscible, dans
le foie; la vitale ou
irascible, dans le
cœur.
Suivant les stoïciens, les passions dérivent de
l'opinion, soit de
deux biens, soit de deux maux ; ce qui constitue quatre passions
primitives : le désir et
la joie, la tristesse
et la crainte ;
ils les subdivisaient en trente-deux passions secondaires.
Les épicuriens réduisaient toutes les passions à
trou : la joie, la
douleur, le désir.
Pendant le moyen âge, la philosophie
péripatéticienne, qui était en vogue, fit classer les passions
d'après l'ordre de leur génération établi par Aristote : 1°
amour et haine
; 2° désir et
aversion ; 3°
espérance et
désespoir ; 4°
crainte et audace
; 5° colère ; 6°
enfin, joie et
tristesse.
Saint Thomas d'Aquin, dans sa Somme
théologique, admet onze passions, qu'il classe dans
l'ordre suivant : l'amour,
la haine, le
désir, l'aversion,
la joie ou
délectation, la
douleur ou tristesse,
l'espérance,
le désespoir, la
crainte, l'audace,
et la colère. Les
six premières, qui n'ont besoin pour être excitées que de la
présence ou de l'absence de leur objet, y sont rapportées à
l'appétit concupiscible, parce
que le désir (concupiscentia)
y domine. Les cinq autres, qui ajoutent la difficulté à
l'absence ou à la présence de leur objet, sont rapportées à
l'appétit irascible, parce que la colère (ira)
ou le courage (2) y trouve toujours quelque obstacle à
surmonter.
Après avoir mentionné cette division, qui fut longtemps adoptée
dans les écoles, Bossuet pense, avec saint Augustin et le père
Senault
(3), que toutes les passions peuvent se réduire à une seule,
qui est l'amour. Ainsi,
« la haine qu'on a pour quelque objet ne vient que de l'amour qu'on
a pour un autre ; le .désir n'est qu'un amour qui s'étend au bien
qu'il n'a pas, comme la joie est un amour qui s'attache au bien qu'il
a ; l'audace est un amour qui entreprend ce qu'il y a .de plus
difficile pour posséder l'objet aimé ; l'espérance est un amour
qui se flatte de posséder cet objet, et le désespoir un amour
désolé de s'en voir privé à jamais ; la colère est un amour
irrité de ce qu'on veut lui ôter son bien, et qui s'efforce de le
défendre, etc. ; enfin, ôtez l'amour, il n'y a plus de passions ,
et posez l'amour, vous les faites naître toutes » (De
la Connaissance de Dieu et de soi-même).
Toutes les affections, que Bossuet rapporte à
l'amour, considéré comme besoin de posséder ce qui nous est
agréable, La Rochefoucault, Helvétius, et d'autres moralistes les
ont réduites à l'amour-propre,
ou plutôt à l'amour
de soi, à l'intérêt
personnel.
Descartes reconnaissait six passions primitives,
savoir : l'admiration, l'amour,
la haine, le
désir, la joie
et la tristesse.
D'après de La
Chambre, premier médecin de Louis XIII, les passions humaines,
soit qu'elles s'élèvent dans la volonté ou appétit
intellectuel, soit qu'elles se forment dans l'appétit
sensitif, peuvent être divisées en simples
et en mixtes. Les
simples, qui ne se trouvent que dans la partie irascible, ou bien
dans la partie concupiscible, sont au nombre de onze, savoir :
l'amour et la haine,
le désir et
l'aversion, le plaisir
et la douleur,
l'espérance
et le désespoir, la
hardiesse et la
crainte, enfin la
colère. Les passions
mixtes, qui procèdent à la fois des deux parties irascible et
concupiscible, sont les neuf suivantes : la honte,
l'impudence,
la pitié
l'indignation,
l'ennui, l'émulation,
la jalousie, le
repentir, et
l'étonnement.
Quelques psychologistes avaient
cru pouvoir admettre des passions simples
et des passions composées,
des passions physiques
et des passions morales
; mais, quand il s'est agi d'établir ce qui était
absolument simple ou absolument physique, ils ne se sont plus
entendus.
Les médecins modernes, s'occupant peu de la nature
intime ou du nombre des principales passions, nombre toujours
arbitraire, mais envisageant plutôt leur influence sur l'organisme,
ont préféré les distinguer en agréables
et en pénibles ; en
violentes, en douces
et en tristes ; en
persistantes ou en
passagères ; en
expansées ou en
oppressives ; en
excitantes ou en
débilitantes, etc.
Les économistes, les considérant dans leurs
rapports avec le bonheur public, ont admis des passions permises
et des passions défendues,
ou bien encore des passions vertueuses,
vicieuses et mixtes.
La religion distingue des péchés
mortels et des péchés
véniels (4).
Quant à la législation, elle ne s'inquiète que de
punir les contraventions, les
délits et les crimes.
Dans ses considérations générales sur les
sentiments moraux, le brillant et ingénieux auteur de la Physiologie
des passions, M.
Alibert,
reconnaît quatre penchants innés, qu'on peut envisager comme les
lois primordiales de l'économie animale , savoir :
1° l'instinct
de conservation ;
2° l'instinct
d'imitation ;
3° l' instinct
de relation ;
4° l' instinct
de reproduction.
Notre savant physiologiste, M. Magendie,
distingue des passions animales
et des passions sociales.
M. Scipion Pinel admet des passions viscérales
et des passions cérébrales
; et M. Marc
les divise en innées et
en factices ou
acquises.
Dans un traité fort remarquable sur
les Passions
appliquées aux beaux-arts, M. Delestre
les divise en excentriques,
en concentriques, et
en concentrico-excentriques,
suivant qu'elles agissent de dedans en dehors, de dehors
en dedans, ou qu'elles participent de ces deux modes d'action.
D'après Gall, Spurzheim et
d'autres phrénologistes, il y aurait autant de passions que de
facultés primitives ; mais ces auteurs ne sont d'accord ni sur la
distinction, ni sur le nombre de ces facultés. Quoi qu'il en soit,
Spurzheim
partage les facultés humaines en affectives
et en intellectuelles
; puis il subdivise ces deux ordres, le premier, en
penchants et en
sentiments ; le second
, en facultés perceptives et
en facultés réflectives (5).
On a encore voulu faire admettre,
1° des instincts,
comme expression de désirs matériels et organiques ;
2° des passions
proprement dites, correspondant à des désirs moraux
indépendants de la volonté, division aussi erronée en physiologie
qu'en morale, puisque toutes nos fonctions sont essentiellement
solidaires, et qu'elles ne s'exercent que pour l'ensemble d'un être
créé libre et intelligent.
Enfin, un laborieux et célèbre
utopiste de nos jours, Charles Fourier, distingue douze passions
primitives, qui, d'après son système, rendent, l'homme sociable, le
stimulent aux belles actions, et enfantent toutes les merveilles de
l'industrie. Les cinq premières, appelées sensitives,
parce qu'elles proviennent de nos sens, sont plutôt matérielles que
spirituelles : ce sont elles qui d'abord excitent l'homme au travail
et à l'industrie. Quatre autres passions, au contraire, plutôt
spirituelles que matérielles, forment la chaîne de tous les liens
sociaux, et font vivre l'homme dans ses semblables plus qu'en
lui-même : ce sont l'amour,
l'amitié,
l'ambition,
le famillisme ; les
trois dernières, nommées distribuées,
sont la cabaliste, ou
esprit de parti ; la papillonne,
ou besoin de variété périodique ; et la composite,
ainsi appelée parce qu'elle naît de l'assemblage de
plusieurs plaisirs des sens et de l'âme goûtés simultanément ;
elle crée l'enthousiasme, ou fougue
aveugle, dans les travaux, en opposition avec la fougue
réfléchie de la cabaliste, source précieuse des
rivalités émulatives. L'usage des passions distributives est de
faire concorder les ressorts sensuels avec les ressorts affectueux,
et de servir de base à tout le mécanisme des groupes et séries
passionnées. « Titrées de vices, quoique chacun en soit idolâtre,
ces trois passions, dit Fourier, sont réellement des sources de
vices en civilisation, où elles ne peuvent opérer que sur des
familles ou corporations. Dieu les a créées pour opérer sur des
séries de groupes contrastées ; elles ne tendent qu'à former cet
ordre, et ne peuvent produire que le mal si on les applique à un
ordre différent... Lorsqu'on connaîtra en détail l'ordre social
auquel Dieu nous destine, on verra que ces prétendus vices, la
cabaliste, la
papillonne ou
alternante, la
composite, y
deviendront trois gages de vertu et de richesse ; que Dieu a bien su
créer les passions telles que les exige l'unité sociale ; qu'il
aurait tort de les changer pour complaire à Sénèque et à Platon ;
qu'au contraire, la raison humaine doit s'évertuer à découvrir un
régime social en affinité avec ces passions. Aucune théorie morale
ne les changera jamais ; et, selon les règles de la dualité d'essor
27, elles interviendront à perpétuité pour nous conduire au
mal dans l'état morcelé ou limbe social, et au
bien, dans l'état sociétaire ou travail sériaire,
qui assure le plein développement des passions et de l'attraction. »
Telle est l'analyse du système passionnel de Fourier, système dont
je suis loin de garantir les merveilleux résultats. (Voyez le Traité
de l'Association domestique agricole.)
Après cette longue nomenclature,
qui atteste les efforts que l'on a faits pour arriver à une
classification exacte des passions, je m'abstiendrais certainement
d'en présenter une nouvelle, si elle n'avait reçu l'approbation de
quelques savants, et si M. Casimir
Broussais ne l'avait déjà adoptée dans son Hygiène
morale.
Théorie des besoins.
Tout être organisé a des besoins : l'animal et le
végétal ont chacun les leurs ; qui oserait même affirmer que le
minéral n'en a pas ? Quant à ceux de l'homme, ils nous apparaissent
infiniment plus nombreux que ceux des autres créatures, par cela
même que son organisation résume toutes les merveilles des trois
règnes. Dieu n'a rien fait d'inutile : l'existence des organes
annonce donc l'existence de fonctions destinées tôt ou tard à
entrer en exercice. Or, toutes les fois que nos appareils sont aptes
à fonctionner, nous en sommes avertis par une certaine émotion,
sorte de voix intérieure qui n'est autre chose que le besoin,
vraie puissance motrice du mécanisme individuel comme du
mécanisme social. Le besoin, une fois distingué, amène bientôt le
désir ; le désir la volonté, et la volonté la passion qui, en
dernière analyse, n'est autre chose qu'un désir immodéré, ou,
comme On l'a déjà vu, que la tyrannie
d'an besoin.
Dire que les besoins de l'homme
sont très-nombreux, c'est en même temps reconnaître qu'il n'est
qu'un composé de passions. Il y en a en effet dans tout son être ;
il y en a, en quelque sorte, dans tous les replis de son âme comme
dans le moindre de ses organes, parce que, en vertu de l'union
mystérieuse de l'âme et du corps, l'homme est tout entier dans
chacune de ses facultés, aussi bien que dans chaque partie de
lui-même. Permis à notre pauvre raison de le décomposer pour le
mieux étudier ; mais reconnaissons bien qu'il reste toujours
essentiellement un.
D'après ces puissantes considérations, j'ai cru
pouvoir rapporter toutes les passions humaines à trois classes de
besoins :
1° à des besoins animaux ;
2° à des besoins sociaux ;
3° à des besoins intellectuels.
On peut sans cloute, en thèse générale, dire que
nos besoins sont bons, par cela même que Dieu nous les a donnés ;
mais ils ne restent tels, qu'autant que nous nous bornons à en faire
un bon usage, et que nous parvenons à les gouverner, au lieu de nous
laisser dominer par eux ; autrement, ils ne doivent plus être
considérés que comme des passions.
Les besoins animaux
ou inférieurs nous
sont communs avec la brute : ce sont presque les seuls besoins de la
première enfance de l'homme comme de celle des peuples, r
Les besoins sociaux
sont plus particulièrement accordés à l'homme qu'aux
animaux, bien que ceux-ci lui donnent d'assez fréquentes leçons
d'ardeur pour le travail, d'affection pour leurs maîtres, et surtout
de reconnaissance envers leurs bienfaiteurs.
Quant aux besoins supérieurs ou intellectuels,
ils sont presque exclusivement l'apanage de l'homme, qui ne
les.satisfait .souvent, il faut l'avouer, que pour outrager Dieu, qui
les lui a départis avec tant de largesse.
Une vérité dont il est malheureusement trop facile
de se convaincre, c'est que, dans les pays même les. plus
civilisés.., l'on voit encore aujourd'hui les masses obéir plutôt
aux besoins inférieurs qu'aux besoins supérieurs, comme si l'homme
n'avait pas une autre organisation et une autre destinée que la
brute. D'où naît ce mal ? de ce qu'une éducation complète et.
sagement progressive ne vient pas de bonne heure donner à l'homme un
corps sain et robuste, des sentiments généreux , un esprit droit et
cultivé ; de ce qu'une éducation à la fois physique, morale et
intellectuelle ne lui apprend pas à mettre en harmonie ses triples
besoins comme animal, comme être sociable, comme être intelligent.
1. Besoins animaux.
Ils peuvent tous être rapportés à l'amour de la
vie et à sa transmission ; en d'autres termes, à l'instinct de
conservation et à celui de reproduction. Ils comprennent d'abord les
besoins, essentiellement physiologiques, de
calorique, de mouvement, de respiration, d'alimentation,
d'exonération.
Ces premiers besoins doivent être satisfaits, sous peine
de voir bientôt cesser la vie. Deux voix intérieures, le plaisir et
la douleur, nous avertissent si la satisfaction est suffisante ou
dépassée. C'est ainsi que la tempérance
laisse en nous un sentiment de bien - être et de liberté,
tandis que la gourmandise et
l'ivrognerie nous
punissent, par le malaise et l'abrutissement, d'avoir franchi les
limites du besoin.
Viennent ensuite les besoins instinctifs de fuir ce
qui nous nuit, de repousser et de détruire ce qui nous blesse,
d'acquérir les objets nécessaires pour nous nourrir, nous vêtir et
nous abriter. Le manque ou l'excès de ces divers besoins enfante la
peur ou la témérité,
l'apathie,
ou la colère poussée
jusqu'au meurtre.
Les besoins qui dépendent de
l'instinct de reproduction sont : l'amour
sexuel, l'amour
des enfants, et celui des lieux
où l'on a reçu et donné le jour. Rarement ils pèchent
par défaut ; au contraire, l'onanisme
et le libertinage,
l'aveuglement
paternel, le fanatisme
patriotique et la nostalgie
sont les fruits ordinaires de leur surcroît d'activité.
Tous ces besoins ont été appelés instinctifs,
parce qu'ils sont éminemment impérieux, et qu'ils nous poussent
aveuglément à des actes nuisibles, si le flambeau de l'intelligence
ne vient les éclairer et leur montrer la ligne du devoir.
2. Besoins sociaux.
Le besoin d'affection, principe de la sociabilité
et du mariage, constitue véritablement l'amour,
quand il est joint au besoin générateur ; complétement
isolé de lui, c'est l'amitié.
Son défaut absolu rend l'homme froid, sauvage et égoïste
; son développement excessif en fait le plus malheureux des êtres,
par une susceptibilité trop irritable, qui dégénère en jalousie
quand elle se trouve jointe à la méfiance.
La ruse et
la circonspection sont
utiles à l'homme : par. elles il se défend contre ses ennemis, se
tire des positions les plus difficiles, et se ménage des ressources
pour l'avenir. Leur excès d'activité produit la fourberie
, la pusillanimité et
la parcimonie, sœur
de l'avarice.
L'amour-propre,
ou besoin
d'approbation, nous rend sensibles à l'éloge et au
blâme, nous inspire le désir de nous distinguer, et devient ainsi
l'un des principaux mobiles de notre conduite sociale. Renfermé dans
de justes bornes, il donne naissance à l'émulation, aiguillon des
belles âmes, source des grandes choses et des grandes vertus. Son
défaut engendre l'insouciance,
la malpropreté et
la paresse ; son
développement excessif produit la vanité
et l'ambition avec
toutes leurs nuances, depuis la passion
de la parure et du luxe, jusqu'à la soif
immodérée de la célébrité, des honneurs et des
conquêtes.
L'estime
de soi est un besoin différent de l'amour-propre, avec
lequel on l'a longtemps confondue. Trop forte, elle exagère le
sentiment de notre valeur personnelle, et nous rend suffisants,
hautains, orgueilleux, toujours
prêts à nous admirer nous-mêmes, et à nous croire capables de
tout. Trop faible, elle nous laisse tomber dans l'avilissement,
et ne nous permet pas de nous relever de nos chutes. On
reconnaît son développement normal et harmonique à une conduite
habituellement remplie de convenances et de dignité : le vrai mérite
se respecte, mais n'a pas d'orgueil.
L'homme a besoin de
fermeté, et le degré
de sa fermeté indique la trempe de son caractère. L'irrésolu,
qui ne sait pas ce qu'il veut, l'inconstant,
qui ne veut plus aujourd'hui ce qu'il voulait hier, ont
été comparés à la girouette qui tourne a tout vent. D'un autre
côté, la persévérance dans une résolution doit avoir des bornes
; dès que l'on s'aperçoit qu'on fait fausse route, il faut savoir
revenir sur ses pas : l'opiniâtreté
n'est que l'énergie de la sottise.
Justice.
— C'est à ce besoin éminemment conservateur de l'ordre
social que se rattache plus particulièrement la conscience,.sorte
de sens moral, révélation intérieure qui nous fait connaître si
nos actions sont bonnes ou mauvaises, comme le plaisir et la douleur
nous signalent ce qui nous convient ou ce qui nous nuit.
L'esprit de justice, poussé à
l'excès, nous rend timorés ou par trop sévères ; son absence fait
mettre au même niveau le bien et le mal, et contribue surtout à
augmenter le nombre des criminels qui portent atteinte aux personnes
et aux propriétés, depuis le braconnier jusqu'au conquérant,
depuis les simples filous jusqu'aux usurpateurs, ces grands voleurs
de couronnes et d'empires.
Bonté.
— Il est un sentiment qui nous fait compatir aux
malheurs d'autrui, et qui nous porte aussitôt à les soulager :
c'est la bonté, source de la charité
chrétienne, et quelquefois de la philanthropie
on bienfaisance
administrative. Poussée trop loin, elle dégénère en
bonhomie, en faiblesse
même , et peut nous faire manquer au devoir sacré de la
justice. Son absence constitue la sécheresse
de cœur, l'égoïsme
et la méchanceté. «
Lorsque
Dieu forma le cœur et les entrailles de l'homme, dit Bossuet, il
y mit premièrement la bonté,
comme le propre caractère de la nature divine. »
3. Besoins intellectuels.
Espérance. —
Dans les affaires de ce monde, l'homme qui pèche par défaut
d'espérance ne conçoit aucun projet, ne se mêle à aucune
entreprise, et ne médite aucune des grandes conceptions du génie.
Celui qui en a trop se livre, au contraire, à de folles
spéculations, aux jeux de
hasard, et à tous les rêves de l'ambition.
Entre ces deux écueils se tient la sagesse ; pour n'être
pas trompée dans son attente, elle ne néglige aucun des éléments
qui peuvent rendre les succès plus certains.
Mais l'homme ne vit pas seulement de la vie présente
: il a besoin de croire à un monde meilleur , à un monde qui ne le
déchire pas en passant , et il s'y transporte sur l'aile de
l'espérance.
Foi, espérance,
charité, trois besoins dont le christianisme fait ses
trois principales vertus!
De même que les besoins animaux et sociaux, les
besoins intellectuels doivent être contenus dans de justes bornes,
si l'on ne veut les voir dégénérer en véritables passions. Ainsi,
le goût de la poésie, de la musique et de la peinture, celui des
sciences philosophiques et mathématiques, lorsqu'ils sont poussés
trop loin, font sans doute des hommes d'un talent supérieur, mais
trop souvent aussi des êtres évaporés, distraits, rêveurs, et,
pour ainsi dire, sans aucune valeur morale, parce que, absorbés
continuellement par les conceptions de leur imagination, leurs
inspirations artistiques, leurs inductions ou leurs interminables
calculs, ils négligent leurs propres intérêts, les devoirs qu'ils
ont envers leur famille, et altèrent leur santé par un genre de vie
aussi bizarre qu'irrégulier. L'ordre
lui-même , lorsqu'il est excessif, dégénère en une
monomanie qui simule parfois l'avarice ; je l'ai vu conduire au
suicide. Si son absence décèle un homme incomplet, un brouillon,
son excès devient chez certaines personnes un besoin tellement
impérieux, que le moindre dérangement, qu'un simple manque de
symétrie, suffit pour les mettre hors d'elles-mêmes, et les porter
aux actes les plus extravagants. C'est à l'activité de ce besoin
qu'il faut rapporter la manie des
collections, manie si répandue au temps de La Bruyère,
et dont nous voyons encore des types curieux, tels que le bibliomane,
qui dérobe l'Elzévir qui lui manque, et l'amateur
de papillons, qui délaisse sa femme et ses enfants pour
aller au delà des mers chercher une espèce qu'il n'a pas, et cela
parce que sa vue ne saurait supporter le vide affreux qui dépare un
de ses tiroirs ou de ses cadres.
Il est un dernier besoin, émanant
tout à la fois du sentiment et de l'intelligence, qui sert à
régulariser tous les autres, et qui les rapporte à leur divin
auteur : c'est le sentiment de vénération,
c'est la foi
religieuse, dont l'absence complète constitue
l'indifférence ou Y impiété ;
dont l'excès peut conduire à la superstition,
au fanatisme, à
l'aliénation mentale.
Je terminerai cet exposé de ma théorie par
l'énoncé des propositions suivantes, qui la résument :
1° Les besoins animaux peuvent
se rapporter aux instincts, les
besoins sociaux aux sentiments,
les besoins intellectuels aux
facultés de l'esprit.
2° À ces trois classes de besoins correspondent
trois classes de passions et trois de devoirs : des passions
animales, des passions
sociales, des passions
intellectuelles ; des devoirs
animaux ou physiologiques
, des devoirs sociaux,
des devoirs
intellectuels.
3° Nos devoirs, comme nos besoins, ne sont pas
toujours simples ; ils se compliquent, au contraire, très-fréquemment
; souvent aussi il arrive qu'ils se trouvent en opposition, et, dans
ce cas, l'on doit obéir au plus noble.
4° Tous nos besoins sont intrinsèquement bons ;
nos passions seules sont mauvaises : elles sont toutes des besoins
pervertis qui nous asservissent.
5° Pour que nos besoins restent bons, il faut
qu'ils soient tous satisfaits d'une manière harmonique, et dans les
limites du devoir ; autrement ils dégénèrent en passions.
6° La limite qui sépare le besoin de la passion,
le bien du mal, n'est qu'une simple ligne : cette ligne, c'est celle
du devoir. À droite et à gauche sont deux abîmes d'autant plus
dangereux que leur pente est agréable et presque insensible. Une
fois tombé dans le précipice, le lâche y reste ; l'homme de cœur
se relève, et parvient à en sortir. En tombant l'homme fait preuve
de faiblesse ; en se relevant de sa chute, il fait preuve de vertu.
Notes
(1) « Point de vertu
sans combat », dit Rousseau. Le mot de vertu
vient de force ; la
force est la base de toute vertu. La vertu n'appartient qu'à un être
faible par sa nature, et fort par sa volonté ; c'est en cela seul
que consiste le mérite de l'homme juste ; et quoique nous appelions
Dieu bon, nous ne l'appelons pas vertueux, parce qu'il n'a pas besoin
d'effort pour bien faire. » Le vieux Montaigne , que Rousseau ne
fait souvent que paraphraser, avait dit avant l'auteur d'Émile
: « Il semble que le nom de la vertu presuppose de la
difficulté et du contraste, et qu'elle ne peult s'exercer sans
partie. C'est à l'adventure pourquoy nous nommons Dieu bon , fort,
et liberal et iuste ; mais nous ne le nommons pas vertueux
: ses operations sont toutes naïfves et sans effort. » (
Essais, liv.
2 , c. 2.)
(2)
Les Grecs, qui les premiers ont établi cette distinction d'appétits,
exprimaient la colère et
le courage par le même mot (θύμος),
parce que, chez les animaux,
la colère est ordinairement la source et l'aliment du courage.
(3)
« La raison, dit ce savant oratorien, nous force de croire qu'il n'y
a qu'une passion, et que l'espérance et la crainte, la douleur et la
joie sont les mouvements ou les propriétés de l'amour. Et, pour le
dépeindre de toutes ses couleurs, il faut dire que quand il languit
après ce qu'il aime on l'appelle désir, que quand il le possède,
il prend un autre nom et se fait appeler plaisir, que quand il fuit
ce qu'il abhorre on le nomme crainte, et que quand, après une longue
et inutile défense, il est contraint de le souffrir, il s'appelle
douleur ; ou, pour bien dire la même chose en termes plus clairs, le
désir et la fuite, l'espérance et la crainte sont les mouvements de
l'amour, par lesquels il cherche ce qui lui est agréable, ou
s'éloigne de ce qui lui est contraire. La hardiesse et la colère
sont les combats qu'il entreprend pour défendre ce qu'il aime ; la
joie est son triomphe, le désespoir est sa faiblesse, et la
tristesse est sa défaite ; ou enfin, pour employer les paroles de
saint Augustin, le désir
est la course de l'amour, la crainte est sa fuite, lu douleur est son
tourment, et la joie son repos :
il s'approche du bien eu le désirant, il s'éloigne du mal en le
craignant, il s'attriste en ressentant la douleur, il se réjouit en
goûtant le plaisir ; mais, dans tous ces états différents, il est
toujours lui-même, et. dans cette variété d'effets il conserve
l'unité de son essence.» (De
l'Usage des passions).
(4)
Les péchés peuvent
tous se réduire à un seul, qui est l'amour
désordonné de nous-mêmes. L'amour
de nous, qui est bon en soi, devient dans ses écarts la source de
toutes les infractions à la loi de Dieu. Les légères infractions
constituent les péchés véniels,
c'est-à-dire
pardonnables ; les infractions graves, les péchés mortels,
ainsi nommés parce
qu'ils ôtent à l'âme la vie de la grâce, jusqu'à ce qu'elle se
soit régénérée parla pénitence et le repentir ; on les appelle
aussi les sept péchés capitaux,
du latin caput,
parce qu'ils sont les
chefs, le principe, la source des autres péchés. L'orgueil,
l'avarice,
l'envie,
la colère,
la paresse,
sont des péchés de
l'âme ; la gourmandise et
la luxure, des
péchés du corps. La différence qu'il y a entre eux, selon saint
Grégoire, c'est que « les péchés de l'esprit sont plus graves ,
plus coupables, et que ceux de la chair portent avec eux une plus
grande infamie. »
(5) Division
topographique de Spurzheim.
Ordre I. Facultés Affectives.
Genre
1. Penchants :
A. Alimentivité ;
B. Amour de la vie ;
1. amativité ;
2. philogéniture ;
3. habitativité ;
4. affectionivité ;
5. combativité ;
6. destructivité ;
7. secrétivité ;
8. acquisivité ;
9. constructivité.
Genre 2. Sentiments :
10. estime de soi ;
11. approbativité ;
12. circonspection ;
13. bienveillance ;
14. vénération ;
15. fermeté ;
16. conscienciosité ;
17. espérance ;
18. merveillosité ;
19. idéalité ;
20. gaieté ;
21. imitation.
Ordre II. Facultés Intellectuelles.
Genre
1. Facultés perceptives :
22. individualité ;
23. configuration ;
24. étendue ;
25. pesanteur,
résistance ;
26. coloris ;
27. localité ;
28.
calcul ;
29.
ordre ;
30.
éventualité ;
31.
temps ;
32.
tons ;
33.
langage.
Genre
2. Facultés réflectives :
34.
comparaison ;
35.
causalité.
Référence
Jean Baptiste François (ou Félix ?) Descuret,
La médecine des passions, ou,
Les passions considérées dans leurs rapports avec les maladies, les
lois et la religion, Béchet Jne et Labé,
libraires ; Périsse, Paris et Lyon, octobre 1841, p. 1.