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jeudi 17 décembre 2020

Le Pape François et la question de l’homosexualité : que dit-il vraiment ?

 

Sa Sainteté, le pape François

 

A) Points de départ doctrinaux : 

 1) Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration Persona humana, 29 décembre 1975

De nos jours, à l’encontre de l’enseignement constant du Magistère et du sens moral du peuple chrétien, quelques-uns en sont venus, en se fondant sur des observations d’ordre psychologique, à juger avec indulgence, voire même à excuser complètement, les relations homosexuelles chez certains sujets.

Ils font une distinction — et, semble-t-il, avec raison — entre les homosexuels dont la tendance provenant d’une éducation faussée, d’un manque d’évolution sexuelle normale, d’une habitude prise, de mauvais exemples ou d’autres causes analogues est transitoire ou du moins non incurable, et les homosexuels qui sont définitivement tels par une sorte d’instinct inné ou de constitution pathologique jugée incurable. Or, quant à cette seconde catégorie de sujets, certains concluent que leur tendance est à tel point naturelle qu’elle doit être considérée comme justifiant, pour eux, des relations homosexuelles dans une sincère communion de vie et d’amour analogue au mariage en tant qu’ils se sentent incapables de supporter une vie solitaire.

Certes, dans l’action pastorale, ces homosexuels doivent être accueillis avec compréhension et soutenus dans l’espoir de surmonter leurs difficultés personnelles et leur inadaptation sociale.

Leur culpabilité sera jugée avec prudence.

Mais nulle méthode pastorale ne peut être employée qui, parce que ces actes seraient estimés conformes à la condition de ces personnes, leur accorderait une justification morale.

Selon l’ordre moral objectif, les relations homosexuelles sont des actes dépourvus de leur règle essentielle et indispensable.

Elles sont condamnées dans la Sainte Écriture comme de graves dépravations et présentées même comme la triste conséquence d’un refus de Dieu (13).

Ce jugement de l’Écriture ne permet pas de conclure que tous ceux qui souffrent de cette anomalie en sont personnellement responsables, mais il atteste que les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés et qu’ils ne peuvent en aucun cas recevoir quelque approbation.

(13) Romains 1, 24-27 : « Aussi Dieu les a-t-il livrés selon les convoitises de leur cœur à une impureté où ils avilissent eux-mêmes leurs propres corps : eux qui ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge, adoré et servi la créature de préférence au Créateur, qui est béni éternellement. Amen. Aussi Dieu les a-t-il livrés à des passions avilissantes : car leurs femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature : pareillement les hommes délaissant l’usage naturel de la femme, ont brûlé de désir les uns pour les autres, perpétrant l’infamie d’homme à homme et recevant en leurs personnes l’inévitable salaire de leurs égarements ». Voir aussi ce que dit S. Paul des « masculorum concubitores [ἀρσενοκοῖται, arseno-koitai] » en 1 Corinthiens 6, 9 ; 1 Timothée 1, 10.

Disponible en ligne sur <http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19751229_persona-humana_fr.html>, consultée le 24 septembre 2020.

2) Catéchisme de l’Église catholique (1992)

2357. L’homosexualité désigne les relations entre des hommes ou des femmes qui éprouvent une attirance sexuelle, exclusive ou prédominante, envers des personnes du même sexe. Elle revêt des formes très variables à travers les siècles et les cultures.

Sa genèse psychique reste largement inexpliquée.

S’appuyant sur la Sainte Écriture, qui les présente comme des dépravations graves (cf. Gn 19, 1-29 ; Rm 1, 24-27 ; 1 Co 6, 10 ; 1 Tm 1, 10), la Tradition a toujours déclaré que « les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés » (Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration Persona humana, n. 8).

- Ils sont contraires à la loi naturelle.

- Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie.

- Ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable.

Ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas.

2358. Un nombre non négligeable d’hommes et de femmes présente des tendances homosexuelles foncières. Cette propension, objectivement désordonnée, constitue pour la plupart d’entre eux une épreuve.

Ils doivent être accueillis avec respect, compassion et délicatesse. On évitera à leur égard toute marque de discrimination injuste.

Ces personnes sont appelées à réaliser la volonté de Dieu dans leur vie, et si elles sont chrétiennes, à unir au sacrifice de la croix du Seigneur les difficultés qu’elles peuvent rencontrer du fait de leur condition.

2359 Les personnes homosexuelles sont appelées à la chasteté [cf. n. 2337 La chasteté signifie l’intégration réussie de la sexualité dans la personne et par là l’unité intérieure de l’homme dans son être corporel et spirituel. La sexualité, en laquelle s’exprime l’appartenance de l’homme au monde corporel et biologique, devient personnelle et vraiment humaine lorsqu’elle est intégrée dans la relation de personne à personne, dans le don mutuel entier et temporellement illimité, de l’homme et de la femme.]

Disponible en ligne sur <https://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P80.HTM>, consultée le 24 septembre 2020.

B) Déclarations du Pape François

1) 28 juillet 2013

Conférence de presse durant le vol de retour du voyage apostolique à Rio de Janeiro (28e J.M.J).

Disponible en ligne sur <http://www.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2013/july/documents/papa-francesco_20130728_gmg-conferenza-stampa.html>, consultée le 24 septembre 2020.

 

Ilze Scamparini :

Je voudrais demander la permission de poser une question un peu délicate : Une autre image a fait un peu le tour du monde : celle de Mgr Ricca, ainsi que des informations sur sa vie privée. Je voudrais savoir, Sainteté, ce que vous comptez faire sur cette question ? Comment affronter cette question et comment Sa Sainteté entend-elle affronter la question du lobby gay ?

Pape François :

En ce qui concerne Mgr Ricca : j’ai fait ce que le Droit Canonique demande de faire : une investigatio previa. De cette investigatio, il n’y a rien de ce dont on l’accuse ; nous n’avons rien trouvé. Voilà la réponse. Mais je voudrais ajouter autre chose là-dessus : je vois que souvent dans l’Église, au-delà de ce cas et aussi dans ce cas, on va chercher les « péchés de jeunesse », par exemple, et on les publie. Pas les délits, eh ? Les délits c’est autre chose : l’abus sur mineurs est un délit. Non, les péchés. Mais si une personne, laïque ou prêtre ou sœur, a fait un péché, et ensuite s’est convertie, le Seigneur pardonne, et quand le Seigneur pardonne, le Seigneur oublie et cela est important pour notre vie. Quand nous allons nous confesser et que nous disons vraiment : « J’ai péché en ceci », le Seigneur oublie ; et nous, nous n’avons pas le droit de ne pas oublier, parce que nous courrons alors le risque que le Seigneur n’oublie pas nos péchés. C’est un danger. C’est important : une théologie du péché. Souvent je pense à saint Pierre : il a fait l’un des pires péchés, celui de renier le Christ ; et avec ce péché il a été fait Pape. Nous devons y penser beaucoup. Mais, revenant à votre question plus concrète : en ce cas j’ai fait l’investigatio previa et nous n’avons rien trouvé. Ça c’est la première demande.

Ensuite, vous parlez du lobby gay. Bah ! On écrit beaucoup sur le lobby gay. Je n’ai encore trouvé personne au Vatican qui me donne sa carte d’identité avec « gay ». On dit qu’il y en a. Je crois que lorsqu’on se trouve avec une telle personne on doit distinguer le fait d’être « gay », du fait de faire un lobby ; parce que les lobbies, tous ne sont pas bons. Celui-ci est mauvais.

Si une personne est gay et cherche le Seigneur, fait preuve de bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? Le Catéchisme de l’Église catholique l’explique de manière très belle, mais il dit, attendez un peu comment il dit… il dit : « Nous ne devons pas mettre en marge ces personnes pour cela, elles doivent être intégrées dans la société ». Le problème n’est pas d’avoir cette tendance, non, nous devons être frères, car ceci est une chose, mais s’il y a autre chose, autre chose.

Le problème est de faire de cette tendance, un lobby : lobby des avares, lobby des politiciens, lobby des maçons, beaucoup de lobby. Voilà le problème le plus grave pour moi. Et je vous remercie beaucoup pour avoir fait cette demande. Merci beaucoup !

2) 19 août 2013

Entretien avec le P. Antonio Spadaro, s. j. Paru dans L'Osservatore Romano, ed. hebdomadaire française du 26/09/2013.

Disponible en ligne sur <http://www.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2013/september/documents/papa-francesco_20130921_intervista-spadaro.html>, consultée le 24 septembre 2020.

 

Nous devons annoncer l’Évangile sur chaque route, prêchant la bonne nouvelle du Règne et soignant, aussi par notre prédication, tous types de maladies et de blessures. À Buenos Aires j’ai reçu des lettres de personnes homosexuelles, qui sont des « blessés sociaux » parce qu’elles se ressentent depuis toujours condamnées par l’Église.

Mais ce n’est pas ce que veut l’Église.

Lors de mon vol de retour de Rio de Janeiro, j’ai dit que, si une personne homosexuelle est de bonne volonté et qu’elle est en recherche de Dieu, je ne suis personne pour la juger. Disant cela, j’ai dit ce que dit le Catéchisme [de l’Église catholique].

La religion a le droit d’exprimer son opinion au service des personnes mais Dieu dans la création nous a rendu libres : l’ingérence spirituelle dans la vie des personnes n’est pas possible.

Un jour quelqu’un m’a demandé d’une manière provocatrice si j’approuvais l’homosexualité. Je lui ai alors répondu avec une autre question : « Dis-moi : Dieu, quand il regarde une personne homosexuelle, en approuve-t-il l’existence avec affection ou la repousse-t-il en la condamnant ? ».

Il faut toujours considérer la personne. Nous entrons ici dans le mystère de l’homme.

Dans la vie de tous les jours, Dieu accompagne les personnes et nous devons les accompagner à partir de leur condition. Il faut accompagner avec miséricorde. Quand cela arrive, l’Esprit Saint inspire le prêtre afin qu’il dise la chose la plus juste.

(…)

Nous ne pouvons pas insister seulement sur les questions liées à l’avortement, au mariage homosexuel et à l’utilisation de méthodes contraceptives. Ce n’est pas possible. Je n’ai pas beaucoup parlé de ces choses, et on me l’a reproché. Mais lorsqu’on en parle, il faut le faire dans un contexte précis. La pensée de l’Église, nous la connaissons, et je suis fils de l’Église, mais il n’est pas nécessaire d’en parler en permanence. Les enseignements, tant dogmatiques que moraux, ne sont pas tous équivalents. Une pastorale missionnaire n’est pas obsédée par la transmission désarticulée d’une multitude de doctrines à imposer avec insistance. L’annonce de type missionnaire se concentre sur l’essentiel, sur le nécessaire, qui est aussi ce qui passionne et attire le plus, ce qui rend le cœur tout brûlant, comme l’eurent les disciples d’Emmaüs. Nous devons donc trouver un nouvel équilibre, autrement l’édifice moral de l’Église risque lui aussi de s’écrouler comme un château de cartes, de perdre la fraîcheur et le parfum de l’Évangile. L’annonce évangélique doit être plus simple, profonde, irradiante. C’est à partir de cette annonce que viennent ensuite les conséquences morales.

3) 19 mars 2016

Exhortation apostolique post-synodale Amoris lætitia.

Disponible en ligne sur <http://www.vatican.va/content/francesco/fr/apost_exhortations/documents/papa-francesco_esortazione-ap_20190325_christus-vivit.html<, consultée le 24 septembre 2020.

250. L’Église fait sienne l’attitude du Seigneur Jésus qui, dans un amour sans limite, s’est offert pour chaque personne sans exceptions [275].

Avec les Père synodaux, j’ai pris en considération la situation des familles qui vivent l’expérience d’avoir en leur sein des personnes manifestant une tendance homosexuelle, une expérience loin d’être facile tant pour les parents que pour les enfants.

C’est pourquoi, nous désirons d’abord et avant tout réaffirmer que chaque personne, indépendamment de sa tendance sexuelle, doit être respectée dans sa dignité et accueillie avec respect, avec le soin d’éviter « toute marque de discrimination injuste » [276] et particulièrement toute forme d’agression et de violence.

Il s’agit, au contraire, d’assurer un accompagnement respectueux des familles, afin que leurs membres qui manifestent une tendance homosexuelle puissent bénéficier de l’aide nécessaire pour comprendre et réaliser pleinement la volonté de Dieu dans leur vie [277].

251. Au cours des débats sur la dignité et la mission de la famille, les Pères synodaux ont fait remarquer qu’en ce qui concerne le « projet d’assimiler au mariage les unions entre personnes homosexuelles, il n’y a aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille ». Il est inacceptable que « les Églises locales subissent des pressions en ce domaine et que les organismes internationaux conditionnent les aides financières aux pays pauvres à l’introduction de lois qui instituent le “mariage” entre des personnes de même sexe » [278].

[275] Cf. Bulle Misericordiae Vultus, n. 12 : ASS 107 (2015), p. 407.

[276] Catéchisme de l’Église catholique, n. 2358 ; cf. Relatio finalis 2015, n. 76.

[277] Cf. Ibid.

[278] Relatio finalis, n. 76 ; cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Considérations à propos des projets de reconnaissance légale des unions entre personnes homosexuelles (3 juin 2003), n. 4.

 

4) 26 juin 2016

Conférence de presse durant le vol de retour du voyage apostolique en Arménie.

Disponible en ligne sur <http://m.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2016/june/documents/papa-francesco_20160626_armenia-conferenza-stampa.html>, consultée le 24 septembre 2020.

Cindy Wooden – CNS :

Merci Sainteté. Ces derniers jours, le Cardinal allemand Marx en parlant à une grande conférence très importante à Dublin, sur l’Église dans le monde moderne, a dit que l’Église catholique devait dire pardon à la communauté gay pour avoir marginalisé ces personnes. Les jours qui ont suivi le massacre d’Orlando, beaucoup ont dit que la communauté chrétienne a quelque chose à voir avec cette haine envers ces personnes. Qu’en pensez-vous ?

Pape François :

Je répéterai la même chose que j’ai dite lors du premier voyage, et je répète aussi ce que dit le Catéchisme de l’Église catholique : qu’ils ne sont pas discriminés, qu’ils doivent être respectés, accompagnés pastoralement.

On peut condamner, non pour des motifs idéologiques, mais pour des motifs – disons-nous – de comportement politique, certaines manifestations un peu trop blessantes pour les autres.

Mais ces choses n’ont pas à voir avec le problème : si le problème est une personne qui a cette condition, qui a bonne volonté et qui cherche Dieu, qui sommes-nous pour la juger ? Nous devons bien l’accompagner selon ce que dit le Catéchisme. Le Catéchisme est clair !

Ensuite il y a les traditions dans certains pays, dans certaines cultures qui ont une mentalité différente sur ce problème. Je crois que l’Église non seulement doit demander pardon – comme a dit le Cardinal « marxiste » [Cardinal Marx] – à cette personne qui est gay qu’elle a offensée, mais elle doit demander aussi pardon aux pauvres, aux femmes et aux enfants exploités dans le travail; elle doit demander pardon d’avoir béni tant d’armes… L’Église doit demander pardon de ne pas s’être comportée tant, tant de fois… - et quand je dis « l’Église » j’entends les chrétiens ; l’Église est sainte, c’est nous qui sommes des pécheurs ! – les chrétiens doivent demander pardon de ne pas avoir accompagné tant de choix, tant de de familles

Je me rappelle la culture de Buenos Aires, la culture catholique fermée, quand j’étais enfant – je viens de là ! – : on ne pouvait pas entrer dans la maison d’une famille divorcée ! Je parle d’il y a 80 ans. La culture a changé, grâce à Dieu.

Comme chrétiens, nous devons beaucoup demander pardon, et pas seulement pour cela. Pardon et non seulement des excuses !

« Pardon Seigneur ! » : c’est une parole que nous oublions – maintenant, je fais le pasteur et je fais le sermon ! Non, c’est vrai, beaucoup de fois le « prêtre patron » et non le prêtre père, le prêtre « qui châtie » et non le prêtre qui embrasse, pardonne, console…

Mais il y en a tant ! Tant d’aumôniers d’hôpitaux, d’aumôniers des prisons, tant de saints ! Mais ceux-là ne se voient pas, parce que la sainteté a de la pudeur, elle se cache. Au contraire, le manque de pudeur est effronté : il est effronté et se fait remarquer. Tant d’organisations, avec de bonnes personnes, et de moins bonnes ; ou des personnes auxquelles tu donnes une « bourse » un peu nourrie et elles regardent ailleurs, comme les puissances internationales avec les trois génocides. Nous aussi, chrétiens – prêtres, évêques- nous l’avons fait ; mais nous chrétiens nous avons aussi une Teresa de Calcutta et tant de Teresa de Calcutta ! Nous avons tant de sœurs en Afrique, tant de laïcs, tant de couples de saints époux !

Le grain et la zizanie, le grain et la zizanie. Jésus dit que le Royaume est ainsi. Nous ne devons pas nous scandaliser d’être ainsi. Nous devons prier afin que le Seigneur fasse en sorte que cette zizanie finisse et qu’il y ait davantage de grain. Mais c’est la vie de l’Église. On ne peut mettre une limite.

Nous sommes tous saints, parce que nous avons tous l’Esprit Saint en nous, mais nous sommes –nous tous – des pécheurs. Moi le premier. D’accord ? Merci. Je ne sais pas si j’ai répondu… Non seulement une excuse, mais le pardon !

5) 2 octobre 2016

Conférence de presse durant le vol de retour du voyage apostolique en Géorgie et en Azerbaïdjan.

Disponible en ligne sur <http://www.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2016/october/documents/papa-francesco_20161002_georgia-azerbaijan-conferenza-stampa.html>, consultée le 24 septembre 2020.

[Joshua McElwee, du journal américain National Catholic Reporter

Dans le même discours, vous avez parlé de la théorie du genre, en disant que c’est le grand ennemi. Mais je voudrais demander : que diriez-vous à une personne qui a souffert pendant tant d’années à cause de sa sexualité et sent qu’il y a un problème biologique? En tant que pasteur, comment accompagneriez-vous ces personnes ?

Avant tout, dans ma vie de prêtre, d’évêque — et même de Pape — j’ai accompagné des personnes avec une tendance ou des pratiques homosexuelles. Je les ai accompagnées, je les ai approchées du Seigneur, certaines ne peuvent pas, mais je les ai accompagnées et je n’ai jamais abandonné personne. C’est ce qu’il faut faire. Il faut accompagner les personnes comme les accompagne Jésus. Quand une personne dans cette situation arrive devant Jésus, il ne lui dira certainement pas : « Va-t’en parce que tu es homosexuel ! », non.

Ce que j’ai dit concerne ce mal qui se fait aujourd’hui avec l’endoctrinement de la théorie du genre. Un père de famille français me racontait qu’à table, en parlant avec ses enfants — lui est catholique, sa femme est catholique, ses enfants sont catholiques, à l’eau de rose, mais catholiques — et il a demandé à son fils de dix ans : « Et toi que veux-tu faire quand tu seras grand ? » — « je veux être une fille ». Et le père s’est aperçu que dans les livres scolaires, on enseignait la théorie du genre. Et cela est contre les choses naturelles. C’est une chose qu’une personne ait cette tendance, cette option, et il y a aussi ceux qui changent de sexe. C’est une autre chose de donner un enseignement dans les écoles sur cette ligne, pour changer les mentalités. J’appelle cela les « colonisations idéologiques ».

L’an dernier, j’ai reçu une lettre d’un Espagnol qui me racontait l’histoire de son enfance et de son adolescence. C’était une petite fille, une fille, et il a beaucoup souffert parce qu’il se sentait garçon, mais physiquement, il était fille. Il l’a raconté à sa mère quand il avait déjà une vingtaine d’années, 22 ans, et lui a dit qu’il voulait se faire opérer et toutes ces choses-là. Et sa mère lui a demandé de ne pas le faire tant qu’elle serait en vie. Elle était âgée et elle est morte peu après. Il s’est fait opérer. Il est employé dans un ministère d’une ville d’Espagne. Il est allé voir l’évêque. L’évêque l’a beaucoup accompagné, un bon évêque : il « perdait » du temps à accompagner cet homme. Puis il s’est marié. Il a changé son identité civile, il est marié et il m’a écrit que ce serait une consolation pour lui de venir avec son épouse : lui qui était elle, mais qui est lui. Et je les ai reçus. Ils étaient contents. Et dans le quartier où il habitait, il y avait un vieux prêtre, de quatre-vingts ans, le vieux curé qui avait quitté sa paroisse et qui aidait des sœurs, là, dans la paroisse... Et il y avait le nouveau [curé]. Quand le nouveau le voyait, il lui criait du trottoir : « Tu iras en enfer » ! Quand il allait voir l’ancien curé, celui-ci lui disait : « Depuis quand ne t’es-tu pas confessé ? Viens, viens, que je te confesse, ainsi tu pourras faire la communion ». Tu as compris ?

La vie est la vie, et les choses doivent se prendre comme elles viennent.

Le péché est le péché. Les tendances ou les déséquilibres hormonaux créent beaucoup de problèmes et nous devons être attentifs à ne pas dire : « C’est la même chose, faisons la fête ». Non, cela, non.

Mais accueillir chaque cas, l’accompagner, l’étudier, discerner et l’intégrer. Voilà ce que ferait Jésus aujourd’hui.

S’il vous plaît, ne dites pas : « Le Pape va canoniser les trans » ! S’il vous plaît ! Parce que je vois déjà les titres des journaux... Non, non. Y a-t-il des doutes sur ce que j’ai dit ? Je veux être clair.

C’est un problème de morale. C’est un problème. C’est un problème humain. Et il faut le résoudre comme on peut, toujours avec la miséricorde de Dieu, avec la vérité, comme nous l’avons dit dans le cas du mariage, en lisant Amoris laetitia en entier, mais toujours comme cela, toujours le cœur ouvert. Et n’oubliez pas ce chapiteau de Vézelay : il est très beau, très beau.

6) 26 août 2018

Conférence de presse durant le vol de retour du voyage apostolique en Irlande (9e rencontre mondiale des familles).

Disponible en ligne sur <http://www.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2018/august/documents/papa-francesco_20180826_irlanda-voloritorno.html>, consultée le 24 septembre 2020.

[Javier Romero, Rome Reports TV] 

Le premier ministre d’Irlande, qui a été très direct dans son discours, est fier d’un nouveau modèle de famille différent de celui que l’Eglise proposait traditionnellement jusqu’à présent: je veux parler du mariage homosexuel. Et cela est sans doute l’un des modèles qui provoque le plus de conflits, spécialement dans le cas d’une famille catholique dans laquelle un membre de cette famille déclare être homosexuel. Que pensez-vous, que voudriez-vous dire à un père, une mère, auquel leur enfant dit qu’il est homosexuel et qu’il veut aller vivre avec son compagnon? (…)

(…) Il y a toujours eu des homosexuels et des personnes ayant des tendances homosexuelles. Toujours.

Les sociologues disent, mais je ne sais pas si c’est vrai, que lors des changements d’époque, certains phénomènes sociaux et éthiques se développent, et que l’un d’eux serait celui-là. Cela est l’opinion de certains sociologues.

Ta question est claire: que dirais-je à un père qui voit que son fils ou sa fille a cette tendance. Je lui dirais avant tout de prier: prie. Non pas condamner, mais dialoguer, comprendre, laisser de la place à son fils ou à sa fille. Lui laisser de la place pour qu’il s’exprime.

Puis, à quel âge se manifeste cet inquiétude de l’enfant? C’est important. C’est une chose quand elle se manifeste à l’enfance, quand il y a tant de choses que l’on peut faire, pour voir ce qu’il en est; une autre chose est quand elle se manifeste après les 20 ans, ou quelque chose de ce genre.

Mais je ne dirai jamais que le silence est la solution : ignorer le fils ou la fille ayant une tendance homosexuelle est un manque de paternité et de maternité.

« Tu es mon fils, tu es ma fille, comme tu es ; je suis ton père et ta mère, parlons. »

Et si vous, père et mère, vous n’y arrivez pas, demandez de l’aide, mais toujours dans le dialogue, toujours dans le dialogue. Parce que ce fils ou cette fille a droit à une famille et la famille est celle qui existe : ne le chassez pas de la famille. C’est un défi sérieux à la paternité et à la maternité.

Je te remercie pour ta question, merci.

7) 20 avril 2019

Contenu d'une conversation avec le comédien britannique Stephen K. Amos publié sur les réseaux sociaux par la B.B.C.

Disponible en ligne, en italien sur <https://it.aleteia.org/2020/09/09/6-frasi-forti-papa-francesco-omosessualita-gay/> et en anglais sur <https://inews.co.uk/culture/television/pilgrimage-road-to-rome-pope-meeting-lgbt-gay-rights-stephen-k-amos-bbc-what-time-date-final-281968>, consultées le 24 septembre 2020.

Amos, gay et athée, participait à un programme appelé Pilgrimage: The Road To Rome, dans lequel huit personnages bien connus, tous de croyances et de croyances différentes, portent des sacs à dos et des chaussures de randonnée et marchent le long du tronçon italien de l'ancienne Via Francigena, qui commence à Canterbury et se termine à Rome : ils n'ont que 15 jours pour parcourir 1000 kilomètres, un pèlerinage qui commence dans les Alpes juste avant la frontière italo-suisse.

Amos a déclaré qu'il ne voulait pas au départ rencontrer le Pape: « Nous avons découvert l'avant-dernier jour que nous allions le rencontrer. J'ai dit non. Ensuite, j'ai dit que j'irais si nous pouvions poser des questions. Les producteurs ont demandé : “eh bien, quel genre de questions ? Parce que nous ne voulons pas déclencher un incident diplomatique...” Nous avons donc posé quelques questions et la réponse donnée par le Vatican était que le Pape répondrait à toutes nos questions ».

Amos expliquait au Pape qu'il n'est pas croyant et qu'il est allé à Rome « à la recherche de réponses et de foi ». « Mais, en tant que gay, je ne me sens pas accepté. »

Et le Pape François a aussitôt répondu :

« Donner plus d'importance à l'adjectif [gay] qu'au nom [homme], ce n'est pas bon. Nous sommes tous des êtres humains et avons de la dignité. Peu importe qui vous êtes ou comment vous vivez votre vie, vous ne perdez pas votre dignité. Il y a des gens qui préfèrent sélectionner ou rejeter des gens à cause de l'adjectif - ces gens n'ont pas de cœur humain. »

8) 28 mai 2019

Entretien avec Valentina Alazraki pour le média mexicain Televisa.

Disponible en ligne et en espagnol sur <https://www.vaticannews.va/es/papa/news/2019-05/papa-francisco-entrevista-televisa-mexico-migrantes-feminicidio.html>, consultée le 24 septembre 2020. Traduction par l'auteur de ce blogue, avec l'aide de Google Traduction.

Q.- Il y a peut-être un autre sujet qui attire l'attention et dont je pense qu'il serait bon de l’expliquer. Ce sont vos relations avec des personnes qui vivent dans des situations qui étaient auparavant qualifiées d '« irrégulières », disons ceci. Je donne l'exemple de la fois où vous avez reçu un trans espagnol à Sainte Marthe avec son partenaire, et bien sûr, ces gens quittent Sainte Marthe en disant que vous les avez serrés dans vos bras, que vous les avez bénis, que vous leur avez dit que Dieu les aime, ou [de la fois où] vous avez décroché le téléphone et appelé une femme argentine divorcée, puis elle est partie en disant : « Le Pape m'a dit que je peux recevoir la communion » et bien sûr, les fidèles arrivent dans l’un ou l’autre cas vers les pauvres prêtres et disent : « Le Pape m'a dit que ça va bien pour moi et il m'a dit que je peux recevoir la communion. » Et les prêtres mettent les mains sur la tête et disent : « Maintenant que dois-je faire », parce que la doctrine n'a pas changé, disons. Alors, comment gérez-vous ces situations ?

R.- Parfois, les gens, à cause de l'enthousiasme d'être reçus, disent plus de choses que le Pape n’en a dit, prenons cela en compte.

Q.- C'est un risque que vous courez ...

R.- Bien sûr, un risque. Mais tous sont enfants de Dieu, nous sommes tous enfants de Dieu. Toutes les personnes. Je ne peux rejeter personne. Oui, je dois m'occuper de celui qui me fait du mal, de celui qui me trompe, m’en occuper. Mais rejetez, non. Je ne peux pas non plus dire à une personne que sa conduite est conforme à ce que veut l'Église, je ne le peux pas. Mais je dois lui dire la vérité : « tu es enfant de Dieu et Dieu t’aime comme tel ; maintenant, mets-toi en règle avec Dieu ». Je n'ai pas le droit de dire à quelqu’un qu'il n'est pas un enfant de Dieu parce que ce serait faux. Et de dire à une personne que Dieu ne l’aime pas, parce que Dieu les aime tous, même Judas, Il l’aimait. Jusqu'au bout, avec quel amour Jésus a-t-il traité Judas. Évidemment que l’on recherche ces cas extrêmes, mais... si on m’appelle – je ne me souviens pas de ce que j'ai dit à cette dame – mais je ne dis rien d'autre alors… J'ai dû sûrement lui dire : « Regardez, dans Amoris laetitia, il y a ce que vous devez faire, parler à un prêtre, et avec cela, cherchez... »

Q.- Un chemin ...

R.- Un chemin, j’ouvre un chemin. Mais je vais faire très attention de ne pas dire : « Vous pouvez prendre la communion ou pas », à 12 000 kilomètres de distance, ce serait irresponsable. Et ce serait aussi tomber dans la même chose, dans la casuistique, je peux ou je ne peux pas, chose que je n'accepte pas. C'est un processus d'intégration dans l'Église. Si nous pensons tous que les personnes qui sont en situation irrégulière, nous pensons ceci pour l’amour de Dieu, parce que ça ne me plaît pas...

Q.- Oui, c'est un mot que vous détestez, moi aussi, mais pour nous comprendre.

R.- Si nous nous persuadions qu'ils sont enfant de Dieu, les choses changeraient beaucoup.

Ils m'ont posé une question sur un vol – plus tard, ça m'a mis en colère, ça m'a mis en colère à cause de la façon dont les médias l'ont transmis – sur l'intégration familiale des personnes d'orientation homosexuelle, et j'ai dit : les personnes homosexuelles ont le droit d'être dans la famille, les personnes avec une orientation homosexuelle ont le droit de faire partie de la famille et les parents ont le droit de reconnaître ce fils comme homosexuel, cette fille comme homosexuelle. Vous ne pouvez pas expulser qui que ce soit de la famille ou [lui] rendre la vie impossible pour cela ...

Une autre chose que j'ai dite – quand vous voyez des signes chez les garçons qui grandissent et que vous les envoyez chez un ... J'aurais dû dire « professionnel », mais ce qui m’a échappé [c’est le mot] « psychiatre ». Je parlais d'un professionnel car parfois il y a des signes à l'adolescence ou à la pré-adolescence dont on ne sait pas s'ils sont [ceux] d’une tendance homosexuelle ou si le thymus ne s'est pas atrophié avec le temps, allez savoir, mille choses, n’est-ce pas ? Donc un professionnel. Titre de ce journal : « Le Pape envoie les homosexuels chez le psychiatre. » Ce n'est pas vrai ! Ils m'ont posé à nouveau la même question et je l'ai répétée : «Ce sont des enfant de Dieu, ils ont droit à une famille, etc. » C’est autre chose... Et j'ai expliqué : je me suis trompé avec ce mot, mais je voulais dire ceci : « quand ils remarquent quelque chose de bi…. » « Ah, c'est bizarre... » Non, ce n’est pas bizarre. Quelque chose qui sort de l'ordinaire. Je veux dire, ne prenez pas un petit mot pour annuler le contexte. Là, ce qu'il dit, c'est « vous avez le droit à une famille ». Et cela ne veut pas dire approuver les actes homosexuels, loin de là.

Q.- Vous savez ce qui arrive lorsque vous retirez souvent du contexte, c'est un vice de la presse aussi. Lorsque vous avez dit cette fameuse phrase : « Qui suis-je pour juger » lors de votre premier voyage, vous aviez dit auparavant : « Nous savons ce que dit le Catéchisme ». Que se passe-t-il pour qu’on ne se souvienne pas de cette partie, cela devient seulement : « Qui suis-je pour juger ? ». Cela a donc également suscité beaucoup d'attentes au sein de la communauté homosexuelle mondiale car ils pensaient que vous alliez plus loin ...

R.- Eh bien, j'ai fait des déclarations comme celle-ci à propos de la famille, pour aller plus loin. La doctrine est la même, celle des divorcés a été réajustée, selon la même ligne, mais avec Amoris laetitia au huitième chapitre qui consiste à revenir à la doctrine de saint Thomas, et pas à la casuistique.

Q.- C'est le problème qui arrive parfois.

R.- Mais je le comprends sauf quand ils prennent un mot hors de son contexte comme celui du « psychiatre », non, vous n'avez pas le droit. Et c'est drôle, une personne non croyante est venue me défendre, m'ont-ils dit. « Il a dit ce que nous n'avions jamais entendu et vous ........... vous [bien] voyez que le [mot] « psychiatre » était un lapsus ... »

Q- Pape François, il y a quelque chose qui me frappe un peu. Ceux qui vous connaissaient à l'époque où vous viviez en Argentine disent que vous étiez un conservateur – pour encore utiliser des catégories, disons le comme ça – dans la doctrine.

R.- Je suis un conservateur.

Q.- Vous avez mené toute une bataille concernant l'égalité des mariages, des couples de même sexe en Argentine. Et après, ils disent : il est arrivé ici, ils l'ont élu Pape et il semble beaucoup plus libéral qu'il ne l'était en Argentine. Vous reconnaissez-vous dans cette description faite par certaines personnes qui vous connaissaient auparavant, ou c'est la grâce du Saint-Esprit qui vous a donné plus ...

(des rires)

R.- La grâce du Saint-Esprit existe certainement. J'ai toujours défendu la doctrine. Et c'est curieux, en ce qui concerne la loi du mariage homosexuel ......... c'est une incongruité de parler de mariage homosexuel.

Q.- Donc, ce n'est pas vrai qu'avant c'était une chose et maintenant une autre.

R.- Non, avant c’était une chose et maintenant, je suis un autre, c'est vrai.

Q- Eh bien, parce que maintenant vous êtes Pape.

R.- Non, parce que je crois que j’ai un peu grandi, que je me suis sanctifié un peu plus. On change dans la vie. Le fait que j'ai pris en compte plus de critères, c'est peut-être que, voyant les problèmes mondiaux, je me suis trouvé plus conscient de certaines choses que je n'avais pas vues auparavant. Non, je pense qu'il y a des changements dans ce sens, oui. Mais, conservateur ... je suis les deux.

Q.- Ce serait les deux ...

R.- Et oui, en Argentine j'allais dans les villages, la crise cardiaque m’a pris dans un village par exemple, et puis j'ai aussi veillé à ce que la catéchèse soit sérieuse. Je ne sais pas, un peu ... un mélange.

Q.- Il est très difficile d'enfermer les gens dans des catégories ...

R.- C'est vrai.

9) 16 septembre 2020

Fin de l’Audience générale, accueil d’un groupe d’une quarantaine de parents avec enfants LGBT de l'association Tenda di Gionata, née à la demande de Don David Esposito, prêtre de la Marche (Italie) décédé prématurément. Mara Grassi, vice-présidente de l'association avec son mari Agostino Usai, a fait don au Pape du livre Genitori fortunati.

Parlant des enfants de ces parents, le Pape François a déclaré : 

« L’Église ne les exclut pas parce qu’elle les aime profondément. » « Aimez vos enfants tels qu'ils sont, parce qu'ils sont enfants de Dieu. »

Sources : en espagnol, https://www.religiondigital.org/vaticano/Francisco-padres-homosexuales-Iglesia-hijos-audiencia-vaticano-camiseta-inclusion_0_2269273055.html, et en italien : https://www.avvenire.it/papa/pagine/la-chiesa-ama-i-vostri-lgbt-cosi-come-sono, consultée le 24 septembre 2020. Traduction par l'auteur de ce blogue, avec l'aide de Google Traduction.

 

La grande Bonté de Dieu, unique et parfait repos de l'homme, par le Fr. Tomé de Jésus, 1581

 

Fr. Tomé de Jesus (1529-1582)


Entretien avec Jésus-Christ


Sur la faim et la soif de la Justice.


I. Ô Source de biens infinis ! Je Vous rends mille actions de grâces de m'avoir fait si pauvre, puisque mes misères [=malheurs et faiblesses] continuelles me pressent de recourir à Vous. Car qu'y a-t-il en moi qui ne Vous désire, ô mon Dieu !, quoique mon aveuglement m'empêche de connaître mes propres désirs ?

Vous êtes l'auteur de tous les biens : des célestes parce qu'ils sont renfermés en Vous ; et des terrestres parce que Votre divine main les dispense selon mes nécessités corporelles.

C'est de cette Main libérale [=généreuse] que mes yeux attendent la lumière, sans laquelle ils seraient couverts de ténèbres. C'est à Elle que mon corps demande l'air qu'il respire, le pain qu'il mange, l'eau qu'il boit, la santé dans la maladie, le jour pour le travail, la nuit pour le repos, les forces pour le mouvement, le succès dans les affaires, et le remède à tous les maux dont il est environné. Cette Main qui a créé tout ce qui est bon, nous le distribue suivant nos besoins.

Quand je suis captif, Elle me délivre. Quand je me trouve au milieu des ennemis, Elle me défend, Elle me protège dans le péril, Elle prévient le mal qui me menace. Et si Elle permet qu'il m'arrive, elle m'aide à le supporter.

Quand, uniquement occupé des soins [=soucis] de la vie, et oubliant cette Main toute puissante, je cherche les appuis humains, si cette même Main paternelle ne vient à mon secours, lors même que je ne pense pas à le demander et que j'en suis tout à fait indigne, tous mes efforts sont inutiles. Parce que Vous avez voulu que je ne dusse qu'à Vous seul ce qu'il y a de bien en moi. Ainsi tout cet homme terrestre pousse vers Vous des soupirs continuels et la voix de ses misères [=malheurs et faiblesses] implore sans cesse votre miséricorde.

Car que fera mon âme, si pauvre de sa nature [=par sa nature, en sa nature], et encore plus pauvre par sa faute ! À qui aura t-elle recours sinon à Vous, ô mon Dieu ?

Vous la supportez quand elle pèche, Vous l'attendez quand elle s'égare, Vous lui inspirez la vertu, Vous lui enseignez la vérité, Vous lui donnez la volonté pour désirer, la force pour accomplir, la constance pour persévérer. Vous lui donnez la foi pour Vous connaître, l’espérance pour Vous invoquer, la charité pour Vous aimer.

Sans Vous, toutes ses facultés souffrent une faim insatiable, parce que Vous pouvez seul les rassasier. Les dons spirituels qui l’élèvent jusqu'à Vous, et les biens infinis dont Vous l'avez créée capable, ne peuvent venir que de vous. Dès que mes puissances [=facultés] se répandent hors de Vous par des affections étrangères [=qui s’adresse à quelqu’autre objet que Vous], elles tombent dans l'indigence et dans l'égarement; parce que leur pente naturelle les porte vers Vous, qui êtes « la mesure comble du surabondante » de leur bonheur. Tout ce qu'elles cherchent ailleurs les affaiblit , les consume, et leur fait mener une vie languissante, dans une région de famine et de misère.

II. Ô unique et parfait repos, de votre misérable [=malheureuse] créature ! Jetez sur moi les yeux de votre miséricorde ; rétablissez par amour ce que Vous avez créé par amour, et ce que j'ai détruit par ingratitude. Car Vous m'avez fait pour Vous seul, et Vous avez voulu être seul ma véritable et ma solide béatitude. Vos mains m'ont formé de telle sorte que l'homme intérieur et extérieur dépendissent également de Vous, qu'ils en aient besoin à chaque moment, que mon corps et mon esprit soient pressés d'une faim continuelle. Et c'est afin que, quand je Vous cherche, ô ma souveraine félicité !, je Vous goûte avec plus de joie, et que je reçoive vos biens avec plus d'abondance.

Mais Vous voyez en moi, Seigneur, quelque chose de monstrueux [=qui excède en mal tout ce qu'on peut concevoir]. Je crois cette vérité, je la reconnais, je la confesse. Et cependant je ramasse de tous côtés des biens périssables qui m'échappent des mains. J'embrasse du vent, je me repais d'air et de fumée, je suis toujours affamé, mais ce n'est pas de Vous ; je désire sans cesse, mais je ne désire pas Vos biens.

Je sais pourtant, tout pauvre et tout misérable [=malheureux et faible] que je suis, qu' « un seul jour passé dans votre maison vaut mieux que mille » [Psaume 84, 10] passés loin de vous, parce que la paix et la consolation que je goûte auprès de Vous en un seul jour, rétablit toutes mes forces, me fait oublier toutes mes misères [=tous mes malheurs et faiblesses], répare tous mes besoins, et comble mon âme de mille douceurs, au lieu que [=alors que] de tous les autres jours de ma vie, je n'en puis pas compter un seul qui ressemble à ces jours heureux qu'on passe auprès de Vous. J'avoue même, en bénissant Votre miséricorde, que j'en ai eu très peu d’agréables hors de Votre service ; encore ne m'est-il resté de ces malheureux jours que le repentir, et le désir de pouvoir chasser de mon âme le poison mortel qu'ils y ont laissé.

III. « Votre miséricorde — ô bonté divine ! — est meilleure que plusieurs vies » (Psaume 63, 3), parce que toutes ces vies sont pleines de misères [=malheurs et faiblesses] et conduisent à la mort. Éteignez en moi cette vie basse [=qui a peu de hauteur] et terrestre, qui me tient dans un honteux esclavage, afin que, rétabli dans la liberté de Vos enfants, je n'aime plus que Vous seul. Montrez-Vous à cette âme aveugle, ô pure Lumière !, et dissipez ses ténèbres, afin qu'elle voie la boue où elle est plongée, et qu'elle commence à désirer Votre secours. Inspirez moi la crainte des plaisirs qui peuvent me nuire, et le dégoût de ceux que j'ai aimés. Donnez-moi cette pureté intérieure qui fait connaître le prix de chaque chose, de peur que je ne perde, par mon ignorance, le goût des biens spirituels que Vous communiquez à vos amis.

Je n'ose, ô mon Dieu !, exprimer par des paroles, la bassesse, l'indignité, la honte et la vanité des choses que j'ai aimées jusqu'à maintenant, et que j'ai cherchées avec une faim et une soif que je ne devais avoir que pour Vous. Je confesse seulement devant Vos yeux très purs ce qu'ils voient clairement en moi, [à savoir] qu'il n'y a rien de si saint que je ne sois capable de corrompre, si Vous ne le défendez contre moi.

IV. Ô divin Jésus !, qui me connaissez si parfaitement, Vous êtes mon Sauveur, mon Rédempteur et le Remède de tous les maux que Vous voyez en moi, et que Vous souffrez [=supportez] avec une patience infinie. Regardez l'abîme de mes misères [=malheurs et faiblesses], afin qu'il attire celui de vos miséricordes. Si Vous me plongez dans ce second abîme, j'en sortirai pur , changé, renouvelé, pour commencer à Vous aimer de toute la tendresse de mon cœur , et à Vous chercher avec toute la ferveur de mes désirs. Souvenez-Vous que Vous avez dit : « Invoquez moi dans le jour de la tribulation, je Vous délivrerai et Vous me glorifierez. » (Psaume 49, 15). Voici, Seigneur, le jour de la tribulation [=affliction, adversité] ; non d'une tribulation temporelle car celle-là m'est plus utile que les prospérités du siècle [=la vie mondaine, le monde] ; mais le jour des périls [=dangers, risques] où m'ont jeté mes misères. Je Vous invoque, ô mon Dieu !, du profond abîme où je suis tombé et d'où je ne puis sortir sans votre secours.

Ayez pitié de moi, soyez mon Libérateur ; purifiez mes désirs, afin que je Vous cherche avec une faim ardente, et que je fois rassasié en Vous trouvant. « J’ai crié vers Vous, Seigneur, du fond ma misère. Seigneur, écoutez mes cris ; que vos oreilles soient attentives à la voix de ma prière. » (Psaume 129, 1-2) Que je ne cherche que vous, que je ne trouve que Vous, que Vous soyez seul ma nourriture et ma vie. Que je ne Vous donne que des louanges pures dans cette vallée de larmes, et que mon âme dégagée des affections de la terre ne se réjouisse qu'en Vous.

Vous ne pouvez, ô Père de miséricorde !, me refuser ce que je demande, car Vous dites à mon cœur que ce que je Vous demande est ce que Vous voulez me donner. Je Vous conjure de détruire tout ce qui s'oppose en moi à la communication de Vos dons. Je sais que je suis indigne de cette grâce, mais accordez, Seigneur, à Votre amour et à mes désirs ce que Vous ne pouvez donner à mes mérites. Vous ne me devez rien, je ne mérite rien ; je reconnais même que je me suis rendu positivement indigne de toutes vos faveurs, par la bassesse des affections que Vous voyez et que haïssez en moi. Mais souvenez-Vous, ô Père charitable !, que Vous avez brûlé l’espace de trente-trois ans du désir de me faire du bien, de me convertir, et d'élever jusqu'à Vous mon amour et mes désirs. Souvenez-Vous de ces inquiétudes amoureuses que Vous offriez à vôtre Père éternel pour expier mes tiédeurs. Et puisque cette soif de mon salut Vous a tourmenté tant d'années, et Vous a si souvent sollicité [=ému] en ma faveur, contentez-la, Seigneur, en m’accordant ce qu'elle demande pour moi à Votre miséricorde.

VI. C'est vous, ô le véritable ami de nos âmes !, qui suppléez à tout ce qui nous manque. Quand Vous viviez avec nous sur la terre, et que Vous voyiez la corruption de nos désirs, Vous employiez, pour y remédier, la pureté des Vôtres. C'est pour cela que Vos yeux répondaient tant de larmes, que vos oreilles étaient toujours ouvertes à la voix de nos nécessités [=besoins physiques et moraux], que Votre bouche criait tout le jour, et que Vous passiez encore la nuit à soupirer devant Votre Père pour le salut de la tous les hommes. C'est pour cela que Vous gémissiez sans cesse sur la dureté de nos cœurs, que le vôtre toujours tendre et charitable, n'avait point de désir plus ardent que de les amollir [=attendrir], et d'y allumer le divin amour, ni de plus sensible douleur que de voir ce feu sacré s'éteindre en quelqu'un de nous. Enfin, Vous souffriez cette faim et cette soif intérieure pour moi et pour chaque homme en particulier, comme si Vous n'en eussiez eu qu'un seul à sauver.

Hélas !, qui sommes-nous, Seigneur, pour Vous causer tant de soins [=soucis] et tant de peines ? Qu'attendez-Vous [=espérez-vous] de moi pour endurer de si grandes angoisses et pour brûler d'une soif si ardente ? Comment, Ô mon Dieu !, tourmentez-Vous ainsi Votre amour ? Que ne le satisfaites Vous en moi [Pourquoi ne lui donnez-Vous pas satisfaction en moi] ? Avez-Vous donc perdu cette puissance infinie ? Pourquoi ménagez-Vous mon libre arbitre jusqu'à me laisser me perdre, et à Vous faire tant souffrir ? Oui, Seigneur, dès ce moment, je m'en démets [=le dépose] entre vos mains, je Vous l'abandonne entièrement, et je veux qu'à l'avenir, il conspire [=soit uni] avec Vous dans le désir que Vous avez d'être aimé de votre créature.

VII. Je Vous aime , ô mon Dieu !, et je désire Vous aimer tous les jours de plus en plus. Loin de moi tout autre amour car Vous méritez seul d'être aimé de tout mon cœur. Je sais que c'est là ce que Vous voulez de moi. Car, comme Vous avez ordonné que, lorsque je mérite quelque chose auprès de vous, je ne puisse être dignement récompensé, si Vous n'êtes vous-même ma récompense, Vous prétendez aussi — et c'est avec trop de justice — être seul digne de mon amour. Quoi !, Seigneur, Vous Vous donnez à moi, et je pourrais après cela me livrer lâchement à des choses indignes d'un cœur capable de Vous aimer. Puisque Vous élevez mon âme jusqu'à vous, ne permettez pas qu'elle retombe dans son ancienne bassesse. Je Vous offre tout ce qui est en elle, et tout ce qui dépend d'elle. Je Vous reçois comme mon unique bien, recevez-moi aussi comme un bien qui Vous est acquis ; conservez moi comme votre héritage ; ne me perdez plus, et que je ne Vous perde jamais, ô mon Seigneur, mon Dieu et ma souveraine [=plus haute, plus grande] béatitude !


Référence

Thomas de Jésus (Tomé de Andrade) (ermite de S. Augustin), Les Souffrances de Nostre-Seigneur Jesus-Christ, traduction du portugais [Os trabalhos de Jesus] par le P. G. Alleaume, jésuite, tome 1, Paris, Estinne Michallet, 1692, p. 373-382.

L’orthographe et la ponctuation ont été modernisés par l’auteur de ce blogue.