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samedi 11 mai 2019

Le pape François : la fidélité à la Révélation, la précision dogmatique, le dialogue et le discernement


Dans le texte ci-dessous, le pape François présente particulièrement bien son point de vue concernant la Révélation et le dogme et la façon dont ils doivent être reçus dans l'Église du Christ qu'est l'Église catholique. Il y joint son intérêt marqué pour les deux thèmes que sont le dialogue avec le monde contemporain et le discernement. Le pape cherche ainsi à combiner d'une part la nécessaire stabilité de la doctrine de l'Église, en matière de foi et de morale, en fidélité à la Révélation, ce qui était le souci principal du Magistère avant le second Concile œcuménique du Vatican (1962-1965) ; et, d’autre part, une conception catholique de la notion d'évolution historique (notion introduite par les modernistes catholiques à la fin du XIXe et au début du XXe siècle) qui consiste à toujours mieux comprendre la Révélation avec le temps, avec le déroulement de l’expérience historique. Cette évolution dans la compréhension de la Révélation est caractérisée par la notion de « déploiement » (en italien : « sviluppo »). Le lecteur comparera les propos du pape avec ceux de S. Vincent de Lérins, Père de l'Église, que le Saint Père cite lui-même dans sa réponse à la religieuse qui l'interroge.



(…) 

[La] Sœur : 

Je parle au nom de nombreuses femmes qui souhaitent servir le Peuple de Dieu, mais avec les mêmes droits, et nous espérons aujourd'hui non seulement trouver la réponse à la question du rôle des femmes dans l'Église sur une base historique et dogmatique — bien sûr, nous avons également besoin de ces sources de la Révélation — mais nous avons aussi besoin de la force de Jésus, de la façon dont Jésus a traité les femmes. Et quelles réponses pouvons-nous trouver aujourd'hui, au XXe siècle, à ces questions ? Je vous demande de tout cœur de continuer à réfléchir sur cette question, au sein de la Commission [Commission d’études chargée d’étudier le ministère des diaconesses dans l'histoire, créée le 2 août 2016], afin que non seulement soient consultées les sources historiques et dogmatiques, mais aussi que nous essayions de comprendre ce dont l'humanité a besoin aujourd'hui, de la part des femmes, des hommes, de tout le Peuple de Dieu. 


Le pape François : 

C’est vrai ce que vous dites, que l’Église n’est pas seulement le Denzinger, c’est-à-dire le recueil de passages dogmatiques, de choses historiques. C'est vrai. Mais l'Église se déploie [en suivant] le chemin de la fidélité à la Révélation. Nous ne pouvons pas changer la Révélation. Il est vrai que la Révélation se déploie, le mot est "déployer". Elle se déploie avec le temps. Et nous comprenons mieux la foi avec le temps. La manière de comprendre la foi aujourd'hui, après Vatican II, est différente de la manière de comprendre la foi avant Vatican II, pourquoi ? Parce qu'il y a un déploiement de la conscience, et vous avez raison.

Et cela n’est pas une nouveauté, parce que la nature même, la nature même de la Révélation est en mouvement continu pour se clarifier elle-même, [c’est le cas] également de la nature même de la conscience morale. Par exemple, aujourd’hui, j’ai dit clairement que la peine de mort n’est pas acceptable, qu’elle est immorale, mais il y a cinquante ans, on ne le disait pas. L'Église a-t-elle changé? Non : la conscience morale s'est déployée. Un déploiement.  

Et cela, les Pères l’avaient compris. Au Ve siècle, il y avait un Père français, Vincent de Lérins, qui avait forgé une belle expression. Il dit que la conscience de la foi — je dis cela en latin puis je traduis — "annis consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur aetate [est consolidée avec les années, est élargie avec le temps, est élevée avec l’âge]" : c’est-à-dire : croît, croît avec les années ; elle est en croissance continue, elle ne change pas, elle croît, elle s’élargit avec le temps. On comprend mieux, et avec les années, elle est sublimée...

Et si je vois que ce que je pense maintenant est en rapport avec la Révélation, c'est bien, mais si c'est une chose étrange, qui n'est pas dans la Révélation, même dans le domaine moral, que ça n’est pas selon la morale, ça ne va pas. Pour cette raison, dans le cas du diaconat, nous devons rechercher ce qui était au début de la Révélation, et s’il y avait quelque chose, le laisser croître et arriver... S'il n’y avait rien, si le Seigneur n’a pas voulu du ministère, le ministère sacramentel pour les femmes ne va pas. C’est pour cette raison que nous allons à l'histoire, au dogme.

Ensuite, ce qu’a dit la mère [=la religieuse qui l'interroge] m’a beaucoup plu, parce que ce n'est pas seulement cela que vous avez dit, il y a deux choses supplémentaires : une chose supplémentaire est le dialogue avec le monde dans lequel nous vivons. Un dialogue d'expérience. Et ce dialogue avec le monde crée de nouvelles situations qui appellent de nouvelles réponses, mais ces réponses doivent être en harmonie avec la Révélation.

Il y a le dialogue, et également le déploiement de la foi et de la morale — comme je l'ai expliqué —, mais toujours avec le fondement.

Deuxièmement : l'harmonie avec la Révélation dans le dialogue. N'ayez pas peur de dialoguer, c'est important.

Et la troisième chose : le témoignage. Et là-dessus, je pense que la chose la plus importante que la mère ait dite, et qu’elle a un peu évoquée, c’est la nécessité du témoignage.

C'est donc vrai : on n’a pas seulement besoin de choses dogmatiques. Avec le Denzinger, on ne va nulle part dans la vie concrète. Nous savons ce qu’est la vérité, nous savons ce qu'est le dogme, mais comment nous l’abordons, comment nous le faisons croître, c'est autre chose. Le Denzinger nous aide parce qu’il y a là toute la dogmatique, mais nous devons croître continuellement.

J'ai déjà évoqué votre habit, l’actuel : "Vous avez changé l’habit, vous avez ruiné la vie consacrée !". N'importe quoi : dans le dialogue avec le monde, chaque congrégation a vu combien il était préférable d'exprimer son charisme, de s'exprimer. Et celle qui ne porte pas l’habit, celle qui a un habit un peu comme ça et cette autre qui a un autre habit ne sont ni pires ni meilleures : chaque congrégation fait son discernement.

Et avec cela, je tombe sur le mot-clé : discerner. Nous avons besoin de discerner. Ce n'est pas tout noir ou tout blanc, pas même gris. 

Tout est en chemin, tout est en chemin, mais nous cheminons sur la bonne route, la route de la Révélation. Nous ne pouvons pas cheminer sur une autre route. Je crois que, bien que je n'ai pas répondu à tous les aspects qui constituaient la question de la mère, sur le plan fonctionnel, c'est la réponse. 
C’est vrai : ce ne sont pas seulement les définitions dogmatiques, les choses historiques qui vont nous aider, pas seulement. Mais nous ne pouvons pas aller au-delà de la Révélation et de la précision dogmatique.

Comprenez-vous cela ? Nous sommes catholiques. Si quelqu'un veut faire une autre Église, il est libre, mais ... 

(...)

Référence :

François, pape, Rencontre avec les participants à la XXIe assemblée plenière des supérieurs généraux, salle Paul VI, 10 mai 2019. Disponible en ligne, dans la version italienne originale, sur <https://w2.vatican.va/content/francesco/it/speeches/2019/may/documents/papa-francesco_20190510_uisg.html>, consulté le 11 mai 2019.

La traduction, avec l'aide de Google Traduction, ainsi que le soulignement en gras, sont le fait de l'auteur de ce blogue. 


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À la suite des propos de François, voici quelques extraits du Commonitorium, rédigé par S. Vincent de Lérins, sous le pseudonyme de Peregrinus :

« Et, dans l'Église catholique elle-même, il faut veiller soigneusement à s'en tenir à ce qui a été cru partout, et toujours, et par tous ; car c'est cela qui est véritablement et proprement catholique, comme le montrent la force et l'étymologie du mot lui-même, qui enveloppe l'universalité des choses.

Et il en sera finalement ainsi, si nous suivons l'universalité, l'antiquité, le consentement général.  Nous suivrons l'universalité, si nous confessons comme uniquement vraie la foi que confesse l'Église entière répandue par tout l'univers ; l'antiquité, si nous ne nous écartons en aucun point des sentiments manifestement partagés par nos saints aïeux et par nos pères ; le consentement enfin si, dans cette antiquité même, nous adoptons les définitions et les doctrines de tous, ou du moins de presque tous les évêques et les docteurs.

(…)

« Mais peut-être dira-t-on: ''N'y aura-t-il alors, dans Église du Christ, aucun progrès de la religion ?''  Certes, il faut qu'il y en ait un, et considérable ! Qui serait assez ennemi de l'humanité, assez hostile à Dieu, pour essayer de s'y opposer ? Mais cela à condition que ce soit vraiment pour la foi un progrès et non un changement, étant donné que ce qui constitue le progrès c'est que chaque chose soit augmentée en restant elle-même, tandis que le changement, c'est que s'y ajoute quelque chose venue d'ailleurs. Donc, que croissent et que progressent largement l'intelligence, la science, la sagesse, tant celle des individus que celle de la collectivité, tant celle d'un seul homme que celle de l'Église tout entière, selon les âges et selon les générations ! Mais à condition que ce soit exactement selon leur nature particulière, c'est-à-dire dans le même dogme, dans le même sens, et dans la même pensée(...)

« Si une forme humaine prenait ultérieurement une apparence tout à fait étrangère à son espèce, si tel ou tel membre était, soit ajouté, soit retranché, fatalement le corps entier périrait ou deviendrait monstrueux ou, en tous cas, subirait une déchéance.

« Ces lois du progrès doivent normalement s'appliquer également au dogme chrétien ; qu'il soit consolidé par les années, développé par le temps, rendu plus auguste par l'âge, mais qu'il demeure sans corruption et inentamé, qu'il soit complet et parfait dans toutes les dimensions de ses parties et, pour ainsi parler, dans tous les membres et dans tous les sens qui lui sont propres, qu'il n'admette après coup aucune altération, aucune perte de ses caractères spécifiques, aucune variation dans ce qu'il a de défini. (…)

« Car si l'on tolérait une seule fois cette licence de l'erreur impie, je tremble de dire quel danger s'ensuivrait de détruire, d'anéantir la religion. Sitôt qu'on aura cédé sur un point quelconque du dogme catholique, un autre suivra, puis un autre encore, puis d'autres et d'autres encore seront abandonnés, d'une façon en quelque sorte coutumière et licite. De plus, une fois les parties rejetées une à une, qu'arrivera-t-il à la fin, sinon que le tout sera rejeté de même ?

« Et, d'autre part, si l'on commence à mêler le nouveau à l'ancien, les idées étrangères aux idées domestiques, le profane au sacré, nécessairement cette habitude se propagera partout, si bien qu'ensuite, dans l'Église, il ne demeurera plus rien d'intact, rien d'inentamé, rien d'inviolé, rien d'immaculé, mais qu'il y aura une maison de passe des erreurs impies et scandaleuses, précisément là où se trouvait auparavant un sanctuaire de la chaste et incorruptible vérité.. Puisse la piété divine détourner un pareil forfait de la pensée des fidèles, et que ce délire soit celui des impies ! (…)

« L'Église du Christ, elle, gardienne attentive et prudente des dogmes qui lui ont été donnés en dépôt, n'y change jamais rien, n'ajoute rien, n'enlève rien ; elle ne retranche pas ce qui est nécessaire, ni n'ajoute de superflu ; elle ne laisse pas perdre ce qui est à elle, ni n'usurpe ce qui est à autrui ; mais, avec tout son savoir-faire, elle s'applique à ce seul point, en traitant avec fidélité et sagesse des doctrines anciennes : perfectionner et polir ce qui, dès l'antiquité, a reçu sa première forme et sa première ébauche ; consolider, affermir ce qui a déjà son relief et son évidence ; garder ce qui a été déjà confirmé et défini.

« Enfin, quel but s'est-elle jamais efforcée d'atteindre par les décrets des conciles, sinon de faire que ce qui était cru auparavant en toute simplicité, cela même soit cru de façon réfléchie ; que, ce qui auparavant était prêché un peu mollement, cela même soit prêché avec plus d'ardeur ; que, ce qui auparavant, était honoré en toute décontraction, cela le soit avec plus d'attention ?

« Voici ce que toujours, et sans plus, même sans être provoquée par les nouveautés des hérétiques, l'Église catholique a fait par les décrets de ses conciles : ce qu'elle avait reçu des ancêtres par l'intermédiaire de la seule tradition, elle l'a consigné aussi en des documents écrits pour la postérité, résumant quantité de choses en quelques mot, et, le plus souvent, pour en éclaircir l'intelligence, en caractérisant par des termes nouveaux et appropriés tel article de foi qui n'avait rien de nouveau.

(...)

« Mais on va dire: "Si les paroles, les phrases et les promesses divines sont utilisées par le diable et ses disciples, dont les uns sont de faux apôtres, les autres de faux prophètes et de faux-maîtres, et finalement tous des hérétiques, que vont faire les catholiques et les fils de l'Église mère ? Comment, dans les Écritures, distingueront-ils la vérité du mensonge ?"  

Eh bien, ils s'appliqueront à faire avec grand soin ce que nous ont transmis ces saints et savants personnages, comme nous l'avons écrit au début de ce Commonitorium, interpréter le canon divin selon les traditions de Église universelle et selon les règles du dogme catholique. Au sein de cette Église catholique et apostolique, il faut absolument qu'ils suivent la totalité, l'antiquité, le consensus, et s'il arrive qu'une partie se dresse contre la totalité, la nouveauté contre l'antiquité ou la dissension d'un ou de plusieurs contre le consensus universel ou du moins la plus grande partie des catholiques, qu'ils préfèrent l'intégrité du tout à la corruption de la partie ; dans cette même totalité, qu'ils préfèrent la religion de l'antiquité à la profanation que constitue la nouveauté, et que, dans l'antiquité, à la témérité d'un seul ou d'un petit nombre, qu'ils préfèrent avant tout, s'il y en a, les décrets généraux d'un concile universel ; enfin, si ce n'est pas possible, qu'ils suivent, ce qui est presque la même chose, les avis de maîtres nombreux et importants.  

Si, avec l'aide du Seigneur, nous observons tout cela avec fidélité, retenue et application, nous débusquerons sans grande difficulté toutes les erreurs des hérétiques en train de se lever. » 

Référence : 

S. Vincent de Lérins, Tractatus Peregrini pro catholicae fidei antiquitate et universitate adversus profanas omnium haereticorum novitates [Traité de Peregrinus pour l’antiquité et l’universalité de la foi catholique contre les nouveautés profanes de tous les hérétiques], chap. 2, §. 5-6 ; chap. 23, §. 1-3.8-9.14-19, chap. 27. Disponible sur <http://www.patristique.org/sites/patristique.org/IMG/pdf/vincent.pdf>, consulté le 11 mai 2019.