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mercredi 5 décembre 2012

Des titres et qualités des gens de lettres, sous l'Ancien Régime, selon G. A. de La Roque, 1678


L'homme de lettres s'intitule Maître.

Le titre de Maître s'appliquait anciennement aux seuls gradués ; et c'est par usurpation que les non-gradués se l'attribuent. Car les procureurs, aussi bien que les avocats, tant en Cour laie [laïque] qu'en Cour ecclésiastique, devaient prendre leurs degrés, au moins de Maître aux Arts, pour s'attribuer la qualité de Maîtres.

Le docteur en théologie se disait Maître en Divinité ; et tout docteur en cette faculté était dit Notre Maître par Excellence.

Les apothicaires [pharmaciens] prenaient leurs degrés, de même que les médecins, et quelques chirurgiens de longue robe ; et ils étaient Maîtres aux Arts.

Mais les gens de lettres se qualifiaient Maîtres à parte antè, les gens de métier, à parte post, mettant le mot de Maître après leur nom et le référant au titre de leur profession.

Le titre de Messire était inférieur à celui de Maître au regard des ecclésiastiques. Car on appelait un curé non gradué, Messire Jean, Messire Martin ; et si un curé voulait s'acquérir le titre de Maître, il fallait qu'il prît ses degrés en l'une des cinq facultés.

Mais insensiblement le titre de Messire s'est rendu plus illustre, depuis que les rois ont quitté celui de Monseigneur ou de Monsieur, pour retenir absolument celui de Sire, celui de Messire en étant le diminutif, comme qui voudrait dire mi-Sire, ou demi-Sire.

Les prélats et les grands magistrats qui sont tous gradués, en quittant le titre de Maître, ont pris celui de Messire, comme ont fait les principaux officiers de finance, en quittant la qualité de Sire qui leur était ordinaire.

Le titre de Maître s'appliquait aussi aux grandes dignités du Royaume, et souvent on y ajoutait le titre de Grand et de Souverain ; ainsi Pierre de Villers, seigneur de l'Île-Adam, s'appelait Souverain Maître d'Hôtel du Roi ; le Comte de Tancarville, Souverain et Maître Général Réformateur des Eaux et Forêts.

Les présidents de la Chambre des Comptes, comme le sire de Sully, et Louis de Beauvau, étaient appelés Souverains. Cette charge était jointe à celle de Grand Bouteiller. Les autres officiers des Comptes assistants du Président, sont appelés Maîtres, et autrefois Clercs. On disait les Clercs du Trésor, et le Clerc du Grand Maître des Arbalestriers.

Le titre de Grand a été joint seul à plusieurs charges, comme à celles de Chambrier, de Chambellan, d'Aumônier, de Panetier, de Queux, d'Écuyer, et de Maître de l'Artillerie.

Référence

Gilles André de La Roque, Traité de la Noblesse, Étienne Michallet, Paris, 1678, p. 313 et suiv. L'orthographe et la ponctuation ont été modernisées par l'auteur de ce blog. Ce dernier a également ajouté ce qui se situe entre crochets ([...]).

Des titres et qualités des ecclésiastiques, selon G. A. de La Roque, 1678


Les ecclésiastiques ainsi que les laïques, ont leurs titres particuliers.

On donne au pape le plus auguste de tous les titres, qui est celui de Très-Saint, de Sainteté et de Béatitude. Ils se sont, par humilité, intitulés Serviteurs des Serviteurs de Dieu (Servus Servorum Dei), depuis Saint Grégoire qui l'avait pris de Saint Augustin, lequel s'appelle ainsi dans plusieurs de ses épîtres.

Les cardinaux de la Sainte Église Romaine ont eu le titre d'Illustrissimes. Celui d'Éminentissime lui fut subrogé par un décret que fit le pape Urbain VIII, le 10 juin 1630.

Le Grand Maître de Malte a aussi le titre d'Éminentissime, et celui d'Éminence, au lieu d'Altesse.

Les cardinaux de maison souveraine retiennent plutôt le titre d'Altesse, que d'Éminence.

Les Archevêques-Électeurs du S. Empire, les autres prélats souverains le prennent aussi.

Les prélats en général s'appellent Pères ; et depuis le règne du roi Louis XIII, ils se donnent entre eux, en France, le titre de Monseigneur.

On remarque dans les registres de la Chambre des Comptes, qu' Odo Rigaut, archevêque de Rouen, qui avait été religieux de l'ordre de S. François, prenait la qualité de Frère Odo, par permission divine archevêque de l'Église de Rouen, Très Indigne Ministre, en un acte donné à Paris l'an 1266, le dimanche après la fête de S. Barnabé Apôtre, qui contient qu'il avait créé un doyen en l'église S. Melon de Pontoise.

Au temps passé, environ le siècle de Charlemagne, les patriarches et les archevêques qui sont révérés dans leurs provinces, ont eu le titre de Révérendissimes, et Pères, comme Monseigneur Jean, par la grâce de Dieu archevêque de Milan, dans une charte du 18 novembre 1354, indiction 8 ; les évêques, celui de Révérends, qualité que prenait aussi Monsieur Gerbace, archevêque de Mayence, vice-chancelier-du saint Empire, dans une charte de Charles IV Empereur, de l'an 1366, indiction 4, aux calendes de mai. Il y a eu aussi des évêques qui ont eu la qualité de Vénérables, ainsi qu'Ernest, archevêque de Prague, en une charte de cet empereur de l'an 1358, indiction 11 et Gérard et Lampert, évêques de Wirsbourg et de Bamberg, en une charte de l'an 1378, indiction 1., 13e calendes d'avril.

Les abbés étaient aussi qualifiés Vénérables ou Révérends. Guillaume, doyen d'Autun, écrivant en 1147 à l'abbé Suger au sujet de l'élection que les chanoines d'Autun voulaient faire de l'archidiacre Henri, frère du duc de Bourgogne, pour leur évêque, appelle Suger, par la grâce de Dieu Révérend Abbé, Père et Seigneur de Saint Denis.

Les prieurs & les moines, qui tiennent la Règle de Saint Benoît, et ceux qui suivent les Constitutions de Saint Bernard et de Saint Bruno, prennent le titre de Dom.

Les abbesses, les prieures, les religieuses ou nonnes avaient le titre d'Honnêtes ; et celui de Discrète Personne s'attribuait aux chanoines.

Le terme de Grandeur est nouveau [en 1678]. En latin, toutes ces qualités d'Altesse, d'Éminence, d'Excellence et de Grandeur, se confondent ordinairement dans le mot de Celsitudo ; mais elles se distinguent en français.

Les religieux prennent, à présent, le titre de Pères, qui est propre aux évêques et aux abbés : car le mot d'abbé signifie « père ». Néanmoins, les anciens abbés en parlant d'eux-mêmes, se disaient Frères, comme il se voit en un titre de l'an 1381 que Guillaume, abbé de Cîteaux, s'appelle Frère : «  Venerabilibus in Christo coabbatibus suis in regno Franciæ constitutis, et eorum majoribus officialibus frater Guillelmus [Guillaume IV de Vaucelles, abbé de 1316 à 1335], abbas Cisterciensis [À ses Vénérables co-abbés en Christ, établis dans le royaume de France, et à leurs plus important ministres, le Frère Guillaume, etc., 21 décembre 1333, « État des abbayes de l'ordre de Cîteaux qui payent la dîme au roi. » (Ex libro Cameræ compotorum signato, NOSTER, fol. 381.]. Mais le plus souvent ils prennent le titre de Dominus, comme Thibaud, abbé de Listeaux, et Robert, abbé de Pontigny ; ce qui a du rapport avec le terme de Dom.

Le mot de prieur a beaucoup de rapport à celui de père, car le prieur fait la charge de père envers ses inférieurs. Il y en a qui prennent, par surabondance, le titre de Révérend Père, et quelques-uns en commettant un barbarisme, ont appelé leurs supérieurs Très Révérendissimes, ne se contentant pas du superlatif.

Le titre de Gardien et de Custode est commun dans l'ordre des Mineurs. Celui de Correcteur, en celui de Minimes et les Trinitaires dits Mathurins, appellent Ministres tous leurs supérieurs. 

Référence

Gilles André de La Roque, Traité de la Noblesse, Étienne Michallet, Paris, 1678, p. 311 et suiv. L'orthographe et la ponctuation ont été modernisées par l'auteur de ce blog. Ce dernier a également ajouté ce qui se situe entre crochets ([...]).

Des titres et qualités personnelles sous l'Ancien Régime, selon G. A. de la Roque, 1678


Ceux qui ont parlé des épithètes, demeurent d'accord que les rois s'appelaient anciennement Monseigneur ou Monsieur. Cela se justifie par un titre du roi Philippe III, dit le Hardi, de l'an 1271 qui est à la Chambre des Comptes, et par deux autres des années 1329 et 1330, du roi Philippe VI, dit de Valois, dans l'un desquels il traite le roi Charles IV, dit le Bel, son prédécesseur, de Monseigneur le roi, et dans l'autre de Monsieur.

Le mot de Sire dont on se sert pour parler ou pour écrire aux rois, est ancien : il en est fait mention dans le Roman de la Rose de Jean Chapinel, lequel parlant des amours de Thibaut, roi de Navarre, comte de Champagne et de Brie, l'appelle Grand Sire.
Ce terme de sire est pris pour « seigneur », comme il se voit par ce proverbe qui est commun en Picardie pour la maison des barons de Coucy, comtes de Soissons.

Je ne suis Roy ny Prince aussi,
Je suis le Sire de Coucy.

Les grands seigneurs de fief s'intitulaient Sires, comme les barons de Montmorency, de Pons, de Ferrières, et tous les autres Grands du Royaume.
Le mot de sire, en fait de seigneurie, surpassait celui de seigneur, et de sieur, le mettant immédiatement après le nom et le surnom, devant la seigneurie.
Quelques-uns dérivent le mot de sire de herus [maître, maître de maison, époux, propriétaire, souverain], en latin, ou de Herr [monsieur, seigneur, maître] en allemand.
Christophe Butkens, prieur de Saint Sauveur d'Anvers, en ses Trophées de Brabant, parle de Geofroy de Brabant Sire de Vierson en Berry, de Henry de Louvain Sire de Herstal, de Vautier de Berthout Sire de Malines, de Girard Sire de Marbais, d'Arnoul Sire de Diest.

Loiseau croit que Messire se dit pour mon sire. Robert Estienne l'explique demi-sire, comme s'il se disait pour Missire.
Le titre de Messire convient aux chevaliers, suivant l'édit de Philippe II, roi d'Espagne, de l'an 1595 pour les provinces des Pays-Bas.
Vassal qu'on oppose à seigneur et à sire, vient de vassus [lat. médiéval : jeune homme, adolescent, esclave, serviteur]. Vassi étaient des hommes de grande valeur, et vasselage signifie vaillance ; de forte que vassal est pris pour un vaillant homme.

Les rois n'ont pas seulement le nom de Sire, dont les Anglais et les Italiens ont fait leur Sir ; mais ils ont encore le titre de Majesté, qui est fort ancien dans les écrits. Le roi Philippe le Bel se qualifie Notre Majesté Royale, parlant des forfaitures dans une commission datée de Compiègne, le vendredi après la [fête de S.] Madeleine l'an 1314 donnée au bailli de Caen pour la garde des passages de Flandres.
Néanmoins, cette qualité de Majesté n'a été particulièrement en usage en parlant aux rois, qu'au retour du traité de paix que la France fit avec l'Espagne l'an 1559 dans l'abbaye d'Orcam, sous le règne de Henri II. Voici ce qu'en dit Guy du Faur de Pibrac :

On ne parle à la Cour qui de Sa Majesté,
Elle va, elle vient, elle est, elle a esté

Les rois ont pris anciennement le titre d'Excellence. Thibaut, roi de Navarre, comte de Champagne, le prenait l'an 1239.

Le mot de King est la qualité que les Anglais donnent à leur roi. Il vient du terme saxon Koning, qui signifie pouvoir et connaissance.

Rotrou de Warvich, archevêque de Rouen, donne le titre d'Excellence à Henry dit le Jeune, couronné roi d'Angleterre, soulevé contre Henry II, dit le Vieil, son père, roi du même Royaume, lui écrivant en ces termes : « Excellentiæ tuæ, quæsumus, non sit oneri si te deprecamur ut dominum, hortamur ut regem, docemus ut filium ; nec enim alligatum est in ore nostro verbum Dei[Que cela, nous le demandons, ne soit pas un fardeau pour ton Excellence, si, en tant que seigneur, nous te demandons avec insistance, en tant que roi, nous t' encourageons, en tant que fils, nous t' enseignons ; et qu'en effet, la parole de Dieu n'est pas liée à notre bouche.] »

Les Anglais ont aussi donné à Henry IV, leur roi, et autres ses prédécesseurs, le titre de Votre Grâce ; à Henry VI la qualité d'Excellente Grâce, puis celle de Sir ; et enfin celle de Majesté, et de Majesté Sacrée. Les Allemands s'adressant aux empereurs, disent Sacrée Majesté ; et les Espagnols de même, Sacra Catholica et Real Majestad [Majesté Sacrée, Catholique et Royale].

J'ai vu une charte donnée à Crémone, l'an 1226, en juillet, 14e indiction, dans laquelle Fréderic II, empereur des Romains, roi de Jérusalem et de Sicile, est qualifié d'Excellence Impériale.

Le nom d'Altesse a été pris par quelques rois, et depuis par les ducs souverains ; et enfin par tous ceux qui viennent de maison souveraine. Quelques-uns même qui n'en viennent que de bien loin par les femmes, l'ont reçu de ceux qui leur voulaient applaudir.

La qualité de Prince ne se prenait que par des souverains ; et par les plus proches du sang des rois.

Les princes qui ont pris autrefois le titre d'Excellence, l'ont quitté, et depuis qu'on l'a donné à ceux qui ont de grands emplois, et que les Italiens l'ont profané en l'attribuant indifféremment à toute forte de conditions.

Le pape Benoît XII par la bulle de l'an 1340, indiction 8, en avril, qualifie Seigneur de Grande Noblesse Manfroy, marquis de Malespina ; et il parle de Magnifiques et Excellents Seigneurs Albert et Mastin de Lescalle, frères.

L'épithète de Sérénissime est ancienne, et en usage dans plusieurs États. Les empereurs, et les rois d'Angleterre l'ont prise des premiers. On voit une charte de Henri IV, empereur des Romains, roi de Bohême, de l'an 1350, dans laquelle il est qualifié Sérenissime Prince ; et Rodolphe, duc de Saxe y est traité d'Illustre et Archi-Maréchal du S. Empire.

Le titre de Monsieur ou de Monseigneur, que l'on mettait tantôt devant le nom et le surnom, tantôt aussi entre les deux, était plus honorable mis devant, que non pas au milieu. Car au milieu, ce titre se donnait quelquefois à des princes, qui n'étaient pas encore apanagés, et auxquels, par conséquent, on n'attribuait point aucune seigneurie.
Les seuls bannerets, bacheliers et chevaliers, prenaient le nom de Monsieur et de Monseigneur, et non les écuyers qui n'étaient nommés que par leurs noms, sans autre qualité ; de quoi étaient exceptés les écuyers de très grande et très ancienne maison, qui avaient ce privilège avant qu'ils fussent faits chevaliers.

Comme les rois ont pris les qualités de Très Hauts, de Très Puissants, et de Très Excellents Princes, leurs sujets ont pris les;titres de Nobles et Puissants Seigneurs, de Hauts et puissants Seigneurs, quelques-uns y ajoutant le superlatif. Quelques inférieurs s'attribuent simplement le titre de Noble Seigneur. D'autres se contentent du titre de Messire, qui est commun à tous les chevaliers.

En Angleterre, les seigneurs s'appellent Lord ou Milord, qualité qui équipolle à Dominus, ou « Seigneur ».

Quant aux anciens officiers qui rendaient la justice, et qui assemblaient les nobles, Turnèbe au livre vingt-huitième de ses Observations, dérive le terme de sénéchal de senex et de caballus : « Senescalli, quasi senes caballi. »

Bailli veut dire « gardien » ou « légitime administrateur, car les baillis étaient baillés ou envoyés comme conservateurs ou gardiens du peuple, quasi missi Dominici [pour ainsi dire, les envoyés du Seigneur]. D'autres veulent que ballivus soit dit de bajulus [porteur, messager, celui qu porte les morts] qui est pris pour « un nourricier ».

II y a d'autres officiers qui ont un degré de juridiction inférieure, appelés vicomtes, parce qu'ils sont comitum vicem gerentes [se comportant à la manière des comtes] ; prévôts, quasi, præpositi juri dicundo [en quelque sorte, préposés devant dire le droit]; viguiers, quasi, vicarii [en quelque sorte, remplaçants] ; châtelains, quasi, castrorum custides [en quelque sorte, gardiens des châteaux]. Ces officiers sont appelés aux affaires de la justice, et du domaine dont ils étaient receveurs avec les baillis. On les appelle vicomtes en Normandie ; prévôts en France, Picardie, Anjou, Champagne et Bourgogne ; viguiers en Languedoc, Provence et Dauphiné ; et châtelains en Poitou.

Ces officiers avaient sous eux des sergents, dont le nom vient de serviens [servant].

Le nom de maire vient de major [plus grand], qui a été retenu par ceux qui gouvernent les villes et communautés. Le maire du Palais était autrefois le premier officier de France.

Tous ces officiers prenaient souvent le titre de Sage et d'Honorable, comme il se lit du bailli de Cotentin dans un titre du vingt-deuxième juillet 1340.

Référence

Gilles André de La Roque, Traité de la Noblesse, Étienne Michallet, Paris, 1678, p. 308 et suiv. L'orthographe et la ponctuation ont été modernisées par l'auteur de ce blog. Ce dernier a également ajouté ce qui se situe entre crochets ([...]).

samedi 1 décembre 2012

La folie des titres honorifiques, selon F. de Callières, 1693


Ce ne sont pas d'ordinaire, dit le duc, les gens d'une qualité reconnue qui tombent dans ces sortes de défauts. J'ai remarqué que les plus empressés à vanter leur naissance sont ceux qui tâchent à s'élever à des rangs qui ne leur sont pas dus, et à s’attribuer des noms et des armes qui ne leur appartiennent pas. La Cour est pleine de ces usurpateurs de noms illustres. Nous en voyons qui ont ressuscité des maisons éteintes depuis longtemps et qui s'en font descendre sur des ressemblances de noms ou par d'autres accrochements visionnaires. Il y en a même qui tâchent à s'ériger en Princes sur de pareilles chimères et qui les font passer avec soin à leur descendants. Et ces beaux noms répandent insensiblement sur ceux qui les ont volés une considération qui les fait souvent préférer à des gens dont la naissance est beaucoup meilleure que celle qu'ils ont effectivement.

Il est vrai, dit la marquise, qu'il y a des gens fort entêtés de certaines chimères qu'ils ne pourraient jamais soutenir, si on les obligeait, à prouver leurs prétentions ; et quand j'en vois qui se donnent d'un air de princes, sans l'être, en disant Monsieur mon père et Madame ma mère, je dirais volontiers, comme fit feu Monsieur le Prince, devant un de ces faux Princes, qui fut assez vain pour user de ces termes en sa présence : « Monsieur mon écuyer, allez dire à Monsieur mon cocher qu'il  mette Messieurs mes chevaux à mon carosse.»

Il y a des gens de qualité, reprit le duc, qui dédaignent les titres de comte et de marquis, parce qu'ils aspirent à de plus grands ; ceux-ci, par un raffinement d'orgueil, se font appeler simplement par leur nom. 

C'est, dit le commandeur, une pierre  d'attente pour le duché.

Justement, répondit le duc ; mais en récompense, les nouveaux comtes sont si empressés de leur nouvelle dignité qu'on ne peut les obliger plus sensiblement que de les appeler toujours par ces titres. Ce qui a fait dire assez plaisamment que, parmi les courtisans, il y en a qui sont au désespoir quand on les appelle marquis ou comte, et d'autres quand on ne les y appelle pas.

J'ai trouvé depuis mon retour, ajouta le commandeur, une foule de comtes et de marquis de noms obscurs et inconnus qui me ferait croire qu'il en est venu une recrue d'Italie, où tout le monde porte ces titres, si je n'apprenais que la mode en est présentement en France, et qu'il s'en fait tous les jours avec tant de licence, et si peu de retenue, que les uns sont à peine gentilshommes et les autres même ne le sont pas. Et je vois qu'il suffit d'aller en carosse et de se faire suivre par quelques laquais pour s'ériger en Monsieur le marquis, ou en Monsieur le comte, et pour dire comme les autres d'un air présomptueux et insolent, un homme de qualité.

Il est vrai, poursuivit le  commandeur, que ces titres ont cela de commode qu'ils ne donnent en France ni rang, ni crédit, et n'oblige pas un gentilhomme à céder en rien à ce marquis et à ces comtes imaginaires. Cependant, cette licence et cette facilité qu'il y a aujourd'hui à s'attribuer ces vains titres sans la grâce du Prince, est un abus qui devrait être réprimé. Et je serais d'avis qu'on obligeât au moins ces comtes et ces marquis, faits par eux-mêmes, à secourir l'État de quelque somme pour prix de leur dignité. (...) 

Pour ceux-là, Monsieur le commandeur, répondit la dame, laissez-les jouir paisiblement de leurs nouvelles dignités ; ils ne feront pas tant de mal avec ces vains titres, que s'ils faisaient le métier de leurs pères.

J'en demeure d'accord, répliqua le commandeur, et je consens puisque vous le voulez qu'il y ait de faux comtes et de faux marquis, de même qu'il y a de faux Princes et de faux nobles. Et pour vous montrer que je suis de bonne composition, ajouta-t-il en souriant, je consens encore à une autre nouveauté que j'ai trouvée en France depuis mon retour, qui est que plusieurs bourgeois mettent devant leur nom un de qui n'y avait jamais été et qui y sonne fort mal, croyant l'ennoblir par l'allongement de cette syllabe. Je dirai donc désormais Monsieur de Jourdain,  et Monsieur de Tibaudier, et ainsi des autres noms de cette espèce.

Il est vrai, reprit la dame qui en voulait fort à la bourgeoisie, qu'il n'y a rien de plus plaisant que ces bourgeois révoltés et ces gens à manteau qui veulent à toute force contrefaire les gens de qualité. J'en connais qui se renversent comme eux dans nos fauteuils, qui mettent leurs pieds sur d'autres sièges, qui font les beaux et les gracieux, qui prennent les airs panchés et dédaigneux des jeunes courtisans, qui se familiarisent avec eux, jusqu'à les appeler par leur nom, sans leur donner de Monsieur. Et ils me réjouissent fort, quand je les entends dire comme eux, le bon homme maréchal, le bon duc et la bonne duchesse.

(...) Et que dites-vous Monsieur le commandeur, dit la dame, de ces hommes nouveaux qui n'ont pas plutôt acheté une charge dans l'épée ou dans la robe, ou quelque belle terre, qu'ils prennent le titre fastueux de haut et puissant Seigneur dans tous les actes qu'on fait en leur nom.

Je dis, Madame, répliqua le commandeur, que la folie des titres est parvenue à un tel point, qu'il serait inutile de vouloir s'opposer à ce torrent, à mesure que le monde vieillit, la vanité augmente dans le cœur des hommes ; si l'on compare notre siècle avec les précédents, on verra que les titres y étaient fort rares, que personne n'était assez effronté pour prendre ceux qui ne lui appartenaient pas, et que de nôtre temps, chacun se les attribue tels qu'il lui plaît.

On ne s'est pas même contenté des anciens, on en a créé de nouveaux. L'Italie fertile en ces sortes de productions, nous a donné l'Altesse qui était inconnue en France il n'y a pas cent ans. Les gens d’Église même, nonobstant la profession particulière qu'ils sont obligés de faire de l'humilité chrétienne, si opposée à tous les vains titres du monde, s'en sont laissés éblouir. Les cardinaux qui, après de faibles commencements fort connus dans l'histoire [ce fut par un décret du Pape Urbain VIII du 10 juin de l'année 1630], se voyant aujourd'hui si élevés, ont quitté, il n'y a que soixante ans,  les titres d'Illustrissimes et Révérendissimes pour prendre le titre pompeux d'Éminence. Leur ambition est montée jusqu'à se dire égaux aux Rois et à prétendre la préséance partout sur les autres Souverains. Et il prennent le pas en Italie dans leur propre maison sur les Princes donc ils sont nés sujets.
 
Cet amour des titres a passé comme une maladie contagieuse du clergé de Rome à celui des autres pays. Les évêques se traitent réciproquement de Monseigneur. Cela me fait souvenir, qu'étant allé voir un évêque de mes amis et ayant appris qu'il y avait d'autres évêques avec lui, je demandai ce qu'ils faisaient. « Ils se monseigneurisent », me répondit assez plaisamment un de leur laquais.

Ils ne se contentent pas du titre de Monseigneur, poursuivit le commandeur, ils trouvent très bon que leurs ecclésiastiques et tous ceux qui sont dans leur dépendance, y ajoutent le titre fastueux de Votre Grandeur, et que ceux qui leur dédient des thèses leur donnent la qualité de Princes de l'Église, au lieu de celle de Pères qui est la seule qu'ils doivent recevoir, s'ils veulent se conformer à l'exemple de leurs saints prédécesseurs. Il n'y a pas même jusqu'aux religieux qui, nonobstant les continuelles humiliations auxquelles leurs règles et leur profession les obligent, ne se traitent entre eux de Votre Révérence.

Et vous ne dites rien de vos frères les chevaliers, reprit la dame. Sont-ils plus humbles que les autres, et ne se sont-ils point aussi attribués quelque titre nouveau.

Depuis que l'Éminence a été distribuée aux cardinaux, répliqua le commandeur, elle a aussi été libéralement accordée à notre Grand Maître, comme dernier cardinal, et nous nous en sommes contentés. Nous prétendons encore le titre d'Excellence pour nos ambassadeurs que quelques-uns leur accordent et que d'autres leur refusent. Vous savez sans doute que l'Excellence est encore une production de l'Italie, qui n'a pas été reçue en France, comme en Espagne, où les Grands se la sont appropriée, au lieu du titre de Seigneurie qu'ils prenaient auparavant. Cela me fait souvenir de ce qu'un chevalier espagnol m'a raconté, qu'étant à Milan, il demanda quels titres il fallait donner aux principaux du pays, où il se trouvait. L’Excellence est due au Gouverneur de l'État, lui dit un officier. On la donne au Maître de Camp général per Cortesia. Pour le Gouverneur du Château, il n'y a que les domestiques qui le traitent d'Excellence. De manera, répondit assez plaisamment le chevalier en parlant de ce dernier, che su excellentia tienne su casa por prison. 

On en peut dire autant de l'Altesse en France, elle est due aux Princes du sang. On la donne per Cortesia aux Princes étrangers sortis de maisons souveraines quand on leur écrit, et elle demeure enfermée dans les maisons de certains Princes prétendus qui ne la reçoivent que de leurs domestiques.
Cette application me paraît juste, dit la dame, et je m'étonne comment certaines gens peuvent entendre sans rougir, qu'on leur donne des titres qu'ils savent en leur conscience qui ne leur appartiennent pas.

Il y en a, reprit le commandeur, qui n'ont pas la conscience délicate là-dessus.

Mais pour revenir à l'Excellence, poursuivit-il, vous savez qu'on ne la donne en France qu'aux ambassadeurs et que les officiers de la Couronne et les ministres ne l'y reçoivent que des étrangers qui ne sont pas instruits de notre cérémonial. 

Elle a été reçue agréablement dans tous les pays du Nord qui imitent d'ordinaire les nations plus méridionales, mais les Italiens, sur tous les autres, en sont fort friands et la donnent volontiers afin de la recevoir. Il n'y a point de pays au monde où il y ait tant de vains titres que chez eux, ce qui vient non seulement de ce qu'ils les aiment, mais encore de la facilité qu'ils ont à se les approprier. On devient Prince dans le royaume de Naples pour mille écus et on fait ériger, moyennant cette somme, un fort petit fief en titre de principauté.

Puisqu'on est Prince à ce prix, dit la dame, il est aisé de juger que les autres moindres titres y doivent être fort communs et à grand marché.

Il n y a presque point de fief en Italie, reprit le commandeur, qui n'ait au moins le titre de comté ou de marquisat et celui qui l'acquiert devient comte ou marquis, fut-il marchand ou artisan. J'y ai vu un maçon exerçant son métier qu'on y appelait Monsieurle comte, parce qu'il avait acheté une portion de fief. Il n'y a pas longtemps qu'il y avait à Naples un riche boucher, qui était duc, prince, marquis, comte et baron par les terres qu'il avait acquises et qui continuait à y exercer son métier avec tous ces titres. Ils passent à leurs enfants, fussent-ils cent ; ils se font appeler le comte Jacques, le comte Charles, le comte Pierre, et ainsi de leurs autres noms de baptême, pour se distinguer.

Cela me fait souvenir d'une raillerie que fit un homme de qualité de la Cour de France [Le marquis de Vardes], étant à la Cour de Turin, sur la facilité qu'on y a de prendre le titre de comte ; quelqu'un de cette Cour lui ayant fait une mauvaise plaisanterie sur ce qu'il n'était pas parti le jour qu'il avait dit pour s'en retourner en France.  « J'attends, dit-il six de vos comtes pour me porter en chaise de l'autre côté de la montagne »,  voulant dire qu'ils étaient tous comtes en ce pays-là , sans en excepter même les porteurs de chaise.

L’Empereur Charles Quint étant en Italie, accordait libéralement ces vains titres à tous les Italiens qui les lui demandaient. Un jour sortant de Vicenze, et étant suivi de quantité de bourgeois de cette ville-là, qui le suppliaient de les faire comtes, il leur cria pour se délivrer de leurs importunités : « Todos condés», qu'il les faisait tous comtes, ce qui a servi de titre suffisant à tous les bourgeois de Vicenze, pour prendre encore aujourd'hui cette qualité ; et ils ne manquent jamais de se dire comte Vicentino dans tous les actes qui se font en leur nom.

Nous voyons aussi quantité de cadets, tant gentilshommes que soi-disant, qui portent le titre de chevaliers, comme s'ils étaient de notre Ordre, sans faire ni preuves, ni vœux, ni caravanes. De même que nous voyons plusieurs ecclésiastiques sans bénéfices qui se font appeler Monsieur l' Abbé.

 Référence

François de Callières, Des mots à la mode et des nouvelles façons de parler, troisième édition, Thomas Amaulry, Lyon, 1693, p. 125-162.

L'orthographe et le ponctuation ont été modernisées par l'auteur de ce blog.

vendredi 30 novembre 2012

La titulature honorifique épiscopale


Depuis quelle époque et en vertu de quelle bulle, ou édit, les évêques français sont-ils qualifiés de Monseigneur ? La loi française leur reconnaît-elle cette qualification de nos jours ? Le titre de Monseigneur est-il donné aux évêques dans tous les pays catholiques ?

F. MÈGE. (col. 139)


Je ne sais en vertu de quelle loi ce titre fut donné aux évêques français ; mais voici ce que dit Duclos : « Avant l'anné 1635, non-seulement les évêques ne se monseigneurisaient pas, mais ils ne donnaient pas de Monseigneur aux cardinaux. (Collection de pièces rel. à l'Hist. de France, par Leber, t. VI, p. 49. )

P. CLAUER.


– Voici ce que je trouve, dans un ouvrage imprimé en 1693 sous le titre Des mots à mode et des nouvelles façons de parler, [3e édition, Claude Barbin, Paris, 1693, p. 149-153] par de Callières [François de].

– L'auteur, après avoir fait remarquer que la manie des titres a toujours été en augmentant jusqu'au moment où il parle, ajoute : 

« On ne s'est pas contenté des anciens, on en a créé de nouveaux ; l'Italie, fertile en ces sortes de productions, nous a donné l'Altesse, qui était inconnue en France il n'y a pas cent ans, les gens d’Église même, nonobstant la profession particulière qu ils sont obligés de faire de l'humilité chrétienne, si opposée à tous les vains titres du monde, s'en sont laissé éblouir ; les cardinaux, qui, après de faibles commencements fort connus dans l'histoire (ce fut par un décret du pape Urbain VIII, du 10 juin de l'année 1630), se voyent aujourd'hui si élevés, ont quitté, il n'y a pas soixante ans, les titres d'Illustrissimes et de Révérensissimes, pour prendre le titre pompeux d'Éminence ; leur ambition est montée jusqu'à se dire égaux aux rois et à prétendre la préséance partout sur les autres souverains ; et ils prennent le pas en Italie, dans leurs propres maisons, sur les princes dont ils sont nés les sujets. Cet amour des titres a passé, comme une maladie contagieuse, du clergé de Rome à celui des autres pays ; les évêques se traitent réciproquement de Monseigneur. Cela me fait souvenir qu'étant allé voir un évêque de mes amis, et ayant appris qu'il y avait d'autres évêques avec lui, je demandai ce qu'ils faisaient « Ils se monseigneurisent, » me répondit assez plaisamment un de leurs laquais. – Ils ne se contentent pas du titre de Monseigneur, ils trouvent très bon que leurs ecclésiastiques et tous ceux qui sont dans leur dépendance, y ajoutent le titre fastueux de Votre Grandeur et que ceux qui leur dédient des thèses leur donnent la qualité de Princes de l'Église, au lieu de celle de Pères, qui est la seule qu'ils doivent recevoir, s'ils veulent se conformer à l'exemple de leurs saints prédécesseurs ; il n'y a pas même jusqu'aux religieux, qui nonobstant les continuelles humiliations auxquelles leur règle et leur profession les obligent, ne se traitent entre eux de Votre Révérence. »

Il semblerait donc, d'après cette citation, que le titre de Monseigneur appliqué aux évêques date du XVIe siècle.

LE ROI.


– Les articles organiques du Concordat spécifient que les évêques n'ont droit à aucun titre. Ce n'est donc que par déférence qu'on continue à leur donner ceux de Monseigneur ou de Grandeur, auxquels ils n ont aucun droit légal. Voilà pour la France, j'ignore ce qu il en est dans les autres pays catholiques.

J. R. (col. 215-216)


« Les évêques statuèrent de se monseigneuriser, à l'exemple de Richelieu : Jamais aucun concile ne fut mieux observé, » dit le Diction. univ. de Boiste, (1847), au mot monseigneuriser.

(Guernesey.) S. M.


– C'est vers la fin du XVIIe siècle, comme on le peut voir dans Saint-Simon, que les évêques prirent, de leur propre autorité, le titre de Monseigneur. Jusque-là on les appelait Monsieur, en ajoutant le nom de la ville épiscopale : Monsieur de Meaux, Monsieur de Cambrai, étaient les qualifications que Bossuet et Fénelon ne trouvaient pas trop modestes pour eux (Mémoires de Saint-Simon, t. VII, 171, éd. Hachette) (1). Le concordat de 1802 ne reconnaît pas aux archevêques et évêques d'autre qualification que celle de Monsieur ou de Citoyen. Aucun acte officiel n'a modifié cette prescription qui, dans l'état actuel, est la seule légale. « Il sera libre aux archevêques et évêques d'ajouter à leur nom le titre de Citoyen ou celui de Monseigneur. Toutes autres qualifications sont interdites. » (Articles organiques, art. 12. )

(1) Voici le passage : « …Peu auparavant (il écrit ceci en 1709), dans une assemblée du clergé, les évêques, pour tâcher à se faire dire et écrire Monseigneur, prirent de se le dire et se l'écrire réciproquement les uns les autres. Ils ne réussirent à cela qu'avec le clergé et le séculier subalterne. Tout le monde se moqua fort d'eux, et on riait de ce qu'ils s'étaient monseigneurisés. Malgré cela ils ont tenu bon, et il n'y a point eu de délibération parmi eux sur aucune matière, sans exception, qui ait été plus invariablement exécutée. »

FRÉD. LOCK. (col. 279-280)


Référence

L'Intermédiaire des chercheurs et curieux, Maison de la Suisse Romande, Maison Cherbuliez, 2e année, Paris, 1865.


S'il est vrai que les évêques ne se soient donnée entre eux le titre de Monseigneur que vers la fin du règne de Louis XIII, comme le disent Duclos et de Caillères (et aussi [ Gilles André] De la Roque, Traité de la Noblesse [, Estienne Michallet, 1678, p. 311]), cela prouve qu'ils ont tardé bien longtemps à se donner à eux-mêmes le titre que tout le monde leur donnait depuis plusieurs siècles.

À la fin du XVIe siècle, D'Aubigné adressait sa Confession de Sancy « à Monseigneur l'évêque d'Évreux ; » Rabelais, dans ses lettres écrites d'Italie à l'évêque de Maillezais [Les lettres de François Rabelais escrites pendant son voyage d'Italie, nouvelle édition, François Foppens, Bruxelles, 1525, p. 1], appelait ce prélat Monseigneur ; le hérault d'armes de Bretagne, dans son récit officiel des funérailles de la reine Anne de Bretagne [Bretaigne, Récit des funérailles d'Anne de Bretagne, publié par L. Merlet et Max. de Gombert, Auguste Aubry, Paris, 1858, par ex. p. 50]donnait le titre de Monseigneur à tous les prélats qui ont pris part aux cérémonies funèbres ; Comynes adressait ses Mémoires [de Philippe de Commynes, publiée par Mlle Dupont, tome I, Jules Renouard et Cie, Paris, 1840, p. 1] à Monseigneur l'archevêque de Vienne. Enfin, l'état des officiers des quatre derniers ducs de Bourgogne, qui fait partie des Mémoires pour servir à l'histoire de France et de Bourgogne ([Julien-Michel Gandouin, Pierre-François Giffart], Paris, 1729, 2 vol. in-4°), constate que dès le XIVe siècle, le titre de Monseigneur était donné aux évêques et à quelques abbés.

B. SELSACH. (col. 329)


Référence

L'Intermédiaire des chercheurs et curieux, Maison de la Suisse Romande, Maison Cherbuliez, 4e année, année 1867-1868, Paris, 1868.


Voici une réponse qui m'est fournie par l'abbé de Marsy. Il publia en 1751 une traduction de l'italien, qu'il intitula en français : le Prince de Fra-Paolo, ou conseils politiques adressés à la Noblesse de Venise, par le père Paul Sarpi, de l'ordre des Servites, consulteur d'État et théologien de la République de Venise [, Berlin, 1751] . C'est, pour le dire en passant, un petit écrit fort remarquable et digne de l'historien du Concile de Trente, et je comprends que le père Le Courayer en ait dit : « qu'il il peut passer pour un chef-d'œuvre de politique. » Or, à la page 2, sur ce mot du texte : « Vos Excellences m'ordonnent. etc., » l'abbé de Marsy a mis cette note : « Les nobles de Venise ont usurpé ce titre, qui dans le fond n'appartient qu'aux ambassadeurs. Ils se le donnent réciproquement, et ils ont si bien qu'on ne peut guère le leur refuser, sans les offenser. C'est ainsi que nos prélats, à force de s'appeler Monseigneur les uns les autres, nous ont en6n amenés à leur donner ce titre. »

S. D. (col. 476-477)

L'Intermédiaire des chercheurs et curieux, Librairie de Joëln Cherbuliez, 5e année, année 1869, Paris, 1869.


Le titre Monseigneur. N'en abuse-t-on pas ? On ne l'accolait pas au nom du comte de Chambord. On disait simplement M. le comte de Chambord. Seulement dans son entourage, en parlant de lui, on le désignait ainsi : Monseigneur.

Aujourd'hui nous lisons toujours dans les feuilles royalistes : « Monseigneur le duc d'Orléans, Monseigneur le comte de Paris ». Je crois que dans ces circonstances cette qualification est contre l'ancien usage ; on employait ce titre en s'adressant directement à un prince, mais en parlant de lui on ne se servait que du mot monsieur ; M. le comte d'Artois, M. le duc de Berry. J'ai même sous les yeux un volume dédié a Louis XVIII (Les Bourbons, [ou précis historique sur les aïeux du roi, sur sa Majesté, et sur les princes et princesses du nom de Bourbon qui entourent son trône], Paris, Lepetit, 1815) où tous les membres de la famille royale sont le sujet de notices et où leurs noms ne sont pas même précédés du mot monsieur.

L'observation que je faisais tout à l'heure peut être aussi appliquée aux évêques. Jadis, en parlant d'eux, on ne leur donnait que du monsieur. On appelait Bossuet Monsieur de Condom, Monsieur de Meaux. Madame de Sévigné disait même d'une façon très peu révérencieuse : Monsieur de Rome. On peut lire dans les
Mémoires de madame [la comtesse] de Genlis, [sur le XVIIIe siècle et la révolution française, depuis 1756 jusqu'à nos jours, 2e édition, tome II, Ladvocat, Paris, 1825, p. 87], très au courant des usages : « À Sillery. je trouvai nombreuse compagnie... M. de la Roche-Aymon, archevêque de Reims... » 

Le Concordat n'accordait pas le titre Monseigneur aux évêques. Ils ne pouvaient prendre que le nom de citoyen ou de monsieur (art..XII des Articles organiques). Sous la Restauration, c'est cette dernière qualification qu'on employait en parlant d'un prélat. Les Conférences [Défense du christianisme ou Conférences sur la religion, tome I ; Le Clere et Cie, Paris, 1825] de l'évêque d'Hermopolis, premier aumônier du roi, imprimées en 1825, portent simplement comme nom d'auteur : M. D. Frayssinous. Mais si l'on adressait la parole à un évêque, on usait du titre de Monseigneur ; non les princes pourtant, qui ne se servaient que du nom de monsieur, comme M. le comte de Chambord dans une lettre célèbre. L'usage s'est modifié par les manières d'être d'un parti hostile tout ce qui tient à la religion, et il serait plus que discourtois, aujourd'hui, de ne pas donner en toute occasion le titre de Monseigneur aux évêques.

Quant à celui de Grandeur, à quelle époque a-t-il fait son apparition ?

Suivant
Littré il remonte à 1630, mais Littré ne cite aucune autorité à cet égard. Un livre assez amusant, Paris, Versailles et [les] Provinces, [au dix-huitième siècle, par M. Dugast de Bois-Saint-Just, 5e édition, tome I, Charles Gosselin, Paris, 1823, p. 239] offre le premier, sous une forme un peu gauloise, que Votre Grandeur était usitée au moment de la Révolution. Mgr de la Ferronnays, évêque de Bayonne, prêtre exemplaire du reste, avait émigré à Genève. « Son tailleur lui apporta une culotte, qu'il essaya devant lui, mais dans laquelle il ne pouvait entrer. – Mon cher, lui dit-il, tu vois bien qu'elle n'est pas faite à ma mesure. – C'est vrai, lui répondit le bon Suisse qui ne connaissait guère les finesses de la langue française, elle est un peu trop étroite pour le c... de Votre Grandeur. – Dis donc, mon ami, reprit l'évêque, pour la grandeur de mon c... Et, craignant de lui avoir fait de la peine par cette plaisanterie, il le paya comme s'il eût été content. »

POGGIARIDO (col. 738-739)

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Référence

L'Intermédiaire des chercheurs et curieux, XXIIIe année, nouvelle série, VIIe année 1890, Paris.


On sait qu'au XVIIe siècle, le titre de Monsieur, suivi du nom de l’évêché, était ordinairement donné aux membres de l'épiscopat. Bossuet fut d'abord Monsieur de Condom et ensuite Monsieur de Meaux. Fénelon fut Monsieur de Cambrai. Ce ne fut que plus tard que l'on donna aux évêques le titre de Monseigneur. Il semble que ce soit Balzac et Racan qui soient les pères de ce nouvel usage.

« Estant encore enfant, dit Balzac au R. P. dom André de Saint-Denis, j'avois grand commerce de lettres avec feu Monsieur Coeffeteau, évesque de Dardanie, nommé par le Roy à l'evesché de Marseille. Ce sçavant prélat se contenta toujours de
Monsieur dans nostre commerce. En ce mesme temps nous n'écrivions pas d'une autre sorte à Monsieur l'évesque de Luçon (Richelieu), qui fut depuis eslevé si haut au-dessus de toutes les qualitez et de tous les tiltres (...). Monsieur de Racan fust le premier qui me mist du scrupule dana l'esprit et qui me remonstra que la dignité d'évesque ne devoit point estre moins respectée par un vray chrestien que celle de duc et pair par un naturel François. Sa remonstrance me sembla fondée en raison, nous résolumes luy et moy de donner à t'advenir du Monseigneur à tous les evesques, sans excepter l'evesque de Bethleem, quoy qu'il logeat dans un trou de collège de Paris, quoy qu'il allest à pied par les rues, quoy qu'il fust luy mesme son aumosnier. (BALZAC, Discours à la suite du « Socrate chrétien », Paris, 1652, in-4, p. 210 ; et BALZAC, Œuvres, édit. Louis Moreau, t. I, I, p. 423, n. 2.)

On sait que les articles du Concordat proscrivirent le titre de Monseigneur.

« Il sera loisible aux archevêques et aux évêques, porte l'art. 12, d'ajouter à leur nom le titre de citoyen ou de monsieur. Toutes les autres qualifications sont interdites. »

Quelque Intermédiairiste ne pourrait- il pas nous indiquer si ce titre ne remontait pas plus haut ? 0n sait, en effet, qu'au moyen âge on avait l'habitude d'ajouter le titre de Monseigneur au nom des saints, et ainsi on dirait Monseigneur saint Nicolas, Monseigneur saint Godefroy.

ADOLPHE DÉMY. (col. 131)


D'après le signataire, M. Démy, il semblerait que Balzac, inspiré par Racan, serait le premier parrain de ce titre donné aux évêques. Je crois pouvoir démontrer qu'il y a, soit erreur, soit fausse conclusion.

Voici mes preuves.

Balzac est né en 1586 mort en 1655. Racan est né en 1589, mort en 1670. Or, à la naissance de Balzac, Malherbe était déjà un poète connu; et le fameux Du Perrier, dont la fille morte est restée immortalisée dans une des pièces de Malherbe que personne n'ignore, Du Perrier, un jour, lui soumet comme sien un sonnet qu'il vient de recevoir d'un grand personnage. Malherbe répond : « Bah c'est tout comme si c'était Monseigneur le grand-prieur de France qui l'eût fait. »

On n'ignore pas qu'un prieur était le supérieur d'un couvent, qu'ainsi un grand-prieur possédait (d'après le droit de régale) un grand nombre de couvents, au point de vue du revenu, quand il était laïque, ce qui était ici le cas le duc d'Angoulême était grand-prieur de France. S'il avait dit MONSEIGNEUR LE DUC, grand-prieur, – le titre s'appliquerait au prince; mais il dit : MONSEIGNEUR LE GRAND-PRIEUR, le titre s'applique à la dignité ecclésiastique.

On peut argumenter sur mon propre argument, mais on avouera qu'il est bon, parce qu'il prouve que le mot de
Monseigneur s'appliquait très bien à un mot d'Église, sans quoi Malherbe n'eût pas fait cette locution. Et s'il l'a faite, c'est donc lui qui a eu la première idée, non Racan ni Balzac.

Voilà donc Racan et Balzac détrônés ; il faut donc remonter à Malherbe.

Ce n'est pas tout : si Malherbe l'avait inventé, au lieu d'user des locutions en usage, il faudrait qu'on expliquât comment ce titre s'est vite
généralisé, rapidement. Des choses semblables ne s'improvisent pas, un beau matin, sur tout un vaste territoire, à l'égard de personnages haut placés, ce qui est le cas pour les évêques, surtout d'alors. Il fallait une ordonnance, un acte quelconque de l'autorité supérieure. Un auteur de génie inventera des expressions nouvelles, mais la langue officielle de tous ne saurait les admettre si vite, sans qu'il y en ait des traces dans les lois ou les actes officiels.

Je vais plus loin. La plupart des évêques étaient déjà nobles : leur donnait-on le titre de « Monseigneur » à cause de leur noblesse de famille, et non à cause de leur dignité épiscopale ? Il faudrait prouver qu'on refusait ce titre aux évêques non nobles, et que de ceux-ci seulement parle Balzac. Réduite à cette dimension, la question serait encore fort intéressante.

Mais j'y réponds en disant : même aux non-nobles, on donnait ce titre. Ainsi, voici sous mes yeux un livre fait par les ordres de « Monseigneur l'illustrissime et révérendissime Père en Dieu Claude Joly, évêque de..., puis d'Agen. » Né en 1610, curé de Paris et ami de Richelieu qu'il assista à sa mort, -– il mourut en 1678 après avoir été évêque longtemps. – Or, Claude Joly n'était pas noble, et on l'appelle « Monseigneur ». Son secrétaire signe après lui, comme aujourd'hui : par mandement de Monseigneur. » – Je trouverais ainsi de nombreux exemples. À l'époque où Joly fut fait évêque, quelle apparence que l'idée de Racan eût été universalisée, et fût devenue une réalité officielle ?

Qu'on ne m'objecte pas que Joly devenait noble par son titre de « comte d'Agen », car voici une autre liste où ces deux catégories d’évêques sont mêlées, et de la même date: Félix, évêque et comte de Châtons, – D. de Ligny, évêque de Meaux ; Gabriel, évêque d'Autun. – Étienne, évêque et prince de Grenoble – Jules, évêque de Tulle. – Je dirai même que ce Jules, évêque de Tulle, fut le successeur de Claude Joly à Agen ; et pourtant ce Jules Mascaron fut bien toujours « Monseigneur Mascaron », n'importe le titre de son siège.

Cette liste n'est qu'un extrait de celle des évêques qui examinèrent un traité de Bossuet, alors évêque de Condom, et précepteur du Dauphin. – En tête se trouve : « Approbation de Messeigneurs les archevêques et évêques. Le mot y est, et le traité y est dit : « composé par Messire J. B. Bossuet, évêque et seigneur de Condom. »

Le même ouvrage fait l'objet d'une lettre d'un cardinal de Rome, qui dit : « Havendo poi parlato con questi signori cardinali... J'en ai parlé avec Messeigneurs les cardinaux... » Puis, « Trovai il signor cardinale Brancaccio molto propenso a lodarne l'autore. J'ai trouvé surtout Monseigneur le cardinal Brancaccio très porté à en louer l'auteur... »

Le maître du Sacré Palais, qui donne l'approbation romaine, dit «  Il libro del signore di Condom... Le livre de Monseigneur de Condom. » Et ainsi de suite, d'autres textes semblables.

Mais ici je remarque que le traducteur de l'époque a mis : le livre de Monsieur de Condom. C'est dire que le langage français ne concordait pas toujours avec le langage de Rome en cette occasion ; mais c'est dire aussi que l'invention de Balzac ne pourrait se réduire qu'a avoir introduit en France, à titre général, un mot qui y était déjà employé, nous l'avons vu, qu'on avait tort de ne pas y employer assez, et qui était d'usage officiel en Italie.

Il faut donc en rabattre, et beaucoup, sur Balzac à ce sujet, puisqu'il a enfoncé une porte ouverte.

Bien plus, comment affirmer qu'on disait seulement Monsieur de Condom ou de Meaux, quand Rome disait : Monseigneur de Condom, et que déjà on avait dit Monseigneur Cl. Joly, Monseigneur Mascaron..., etc., etc. !

Quant à dire que les articles du concordat ont proscrit ce titre, c'est une erreur complète. Sur les 17 articles, pas un n'en parle.

Mais j'avoue que le 12e des articles organiques a été parfaitement cité. Cela me permet de relever ici une erreur très répandue, que l'ignorance ou l'esprit de secte entretient. On croit que les « articles organiques sont le « Concordat ». Ils le sont à peu près comme le factum d’Émile Henry était l'autre jour le réquisitoire du ministère public. Les délégués du Pape et de Bonaparte signèrent le Concordat le 15 juillet 1801. Bonaparte présenta aux Chambres et publia aussitôt en un seul volume, le 8 avril 1802, le Concordat et les Articles organiques.

Au reste, en défendant de donner aux évêques d'autres titres que ceux de citoyen ou de monsieur, le Premier Consul caressait secrètement te désir de se faire appeler sire et majesté ; et je ne comprends pas qu'on puisse dire indifféremment le citoyen évêque ou monsieur l'évêque, et qu'on ne puisse pas dire le citoyen préfet, le citoyen colonel.
Revenons à la question, en attendant d'entendre le prochain curé de la Madeleine dire au cardinal de Paris, le jour de son installation : « Monsieur le curé présente ses hommages au citoyen archevêque » ; car, en effet, il n'est rien dit pour les curés dans les articles organiques.

Oui, au moyen âge, on disait Monseigneur saint Jacques, Monseigneur saint Nicolas..., etc. Cela se comprend : la plupart des grands saints populaires furent des évêques ; de tous, et des vivant évêques comme des évêques canonisés, on disait Dominus, seigneur. Dans les grands monastères on a dit Domnus, d'où : Dom Guéranger, Dom Bosco (1).

J'ai dit plus haut qu'on disait aussi messire. Il est évident que le latin senior, italien signor, qui après tout veulent dire plus vieux et vénérable, sont traduits par seigneur, sieur, sire. Or, tandis que Monseigneur ne s'appliquait qu'aux évêques, canonisés ou vivants, – Monsieur, qui n'est qu'un diminutif, a donc pu s'appliquer au titre épiscopal: Monsieur de Meaux, pour Monseigneur Bossuet, évêque de Meaux ; mais jamais on n'a dit : Monsieur Bossuet, ni même Monsieur l'évêque tout court, mais le nom de la ville : Monsieur de Meaux, de Cambrai, etc., ou Monsieur, l'évêque de Meaux. On disait messire Bossuet, messire Claude Joly, comme je l'ai lu, et l'ai sous tes yeux (2).

Toutefois, ce mot : messire, s'appliquait à des personnages inférieurs, auxquels on ne pouvait donner du « Monseigneur ». Ainsi, on le disait d'un prieur de couvent, d'un curé titulaire ; et, dans certaines notices historiques que j'ai faites d'après d'anciens registres des siècles passés, j'ai eu à inscrire souvent : messire un tel, prieur, ou prieur-curé, ou curé, selon le cas.

Du temps de Bossuet, le clergé des paroisses disait toujours Monseigneur en parlant de son évêque. Je trouve dans les Annales de philosophie catholique, un bel article critique sur Bossuet, n° d'août et septembre 1893, p. 340 et suiv.

L'auteur cite le manuscrit d'un curé du diocèse de Meaux, qui nous a légué ses impressions et ses analyses sur les discours au clergé, les visites pastorales, etc., et qui dit toujours de Bossuet, son évêque : « Monseigneur nous a donne tels avis, – Monseigneur a ouvert le synode diocésain tel jour. », absolument comme nous dirions aujourd'hui dans le clergé français actuel. Et, remarquez-le, quelqu'envie de critiquer que puisse avoir ce prêtre, il ne dit jamais « Monseigneur » qu'avec le respect dû au titre. Si Balzac, à peine mort, eût été le parrain du cadeau d'un tel titre aux évêques, on trouverait une pointe de malice sur cette nouveauté, dans le curé qui trouve à redire aux actes de Bossuet, tout épiscopaux qu'ils soient. Que n'eût-il pas dit sur un titre de vanité !

« Monseigneur » n'est en définitive que le mot français de Dominus, qui a toujours été employa pour désigner les noms d'évêques. Donc, plus haut que Balzac, Racan et Malherbe, il faut chercher l'origine du « monseigneur » dans le moyen âge et dans les siècles antérieurs, dans le Dominus. Seulement, il faut séparer l'adjectif du nom : mon seigneur. Aujourd'hui encore cela se fait. Deux amis ou deux collègues se disent
mon cher seigneur.

(1) Mais on ne disait ainsi « Monseigneur » que des saints, anciens évêques. Des autres, on disait « Monsieur », comme je l'ai aussi sous les yeux dans un Bulletin archéologique : « Chapelle de Monsieur Saint Roch, de Monsieur Saint Jean, etc. »– Il peut y avoir eu mélange, mais tous les noms que j'ai examinés m'ont amené à la dite conclusion.

(2) Ici, je crois que le sujet de l'évêque disait : « Monseigneur », et on employait « Messire » surtout d'un évêque étranger auquel on n'appartenait pas. Ainsi, parisien, j'aurais dit « Monseigneur l'archevêque de Paris », et « Messire l'évêque de Versailles », avec cependant la possibilité de dire : « Monsieur de Versailles ». C'était affaire de goût et de politesse. Tous les textes étudiés me conduisent à cette conclusion.

L'ABBÉ PH. G. LABORIE. (col. 585-590)


Référence

L'Intermédiaire des chercheurs et curieux, 3e série, 3e année, volume XXIX, année 1894, premier semestre, Paris, 1894.


Maintenant lorsqu'il s'agit d'un évêque on dit : son Excellence Mgr... au lieu de Sa Grandeur Mgr X...

Pourquoi et depuis quand, exactement ??

M. (col. 916)


Le titre d'Excellence a été octroyé aux évêques par S. S. le pape Pie XI, pendant le cours de l'année 1931. Mussolini ayant étendu l'an dernier le titre d'Excellence à tous les préfets du royaume, le Vatican en a fait de même officiellement pour les évêques.
Chez nous, l 'appellation de « Votre grandeur » qui ne date cependant que du siècle dernier [XIXe siècle} a une dignité et une onction bien supérieures à cette d' « Excellence » qui s'applique aussi bien à de simples préfets de la Péninsule qu'aux Ministres des plus minuscules États. Pourquoi l'avoir changée ? Pour imiter l'Italie ? Les Anglais, plus traditionalistes ou plus indépendants ont refusé la nouvelle appellation et ils continuent à donner à leurs évêques du « His Grace et du « Lordship ».

Et ils ont joliment raison.

S.


C'est en vertu d'un décret de la S. C. de la Cérémoniale en date du 31 décembre 1930 que le titre d' « Excellence » est substitué à celui de « Grandeur ».

Voici l'essentiel de ce décret

«  Le titre d'« Excellence Révérendissime » réservé aux patriarches de l'Église Latine et Orientale, aux prélats dits : « di fiochetti », aux nonces et internonces apostoliques sera étendu aux archevêques et évêques soit résidentiels, soit seulement titulaires, ainsi qu'au maître de la Chambre Pontificale, aux prélats assistants au Trône, au Secrétaire des S. C. [Sacrées Congrégations] romaines, au Secrétaire du Tribunal Suprême de la Signature Apostolique, au Prélat doyen de la Sacrée Rote romaine et enfin au Substitut de la Secrétairie d'État. Nonobstant toutes dispositions contraires. »

[D E C R E T U M DE TITULO « EXCELLENTIAE REVERENDISSIMAE »

Ssmus D. N. Pius Papa X I , eo consilio ut dignitas eorum, qui cum inEcclesiæ gubernatione, tum in ipsa Pontificis Maximi Domo principes habent partes, maiore cotidie in honore sit, Purpuratorum Patrum percontatus sententiam, qui sacris cærimoniis regundis præpositi sunt, die 11 mensis Decembris huius anni, arcessito viro hac in pagina subsignato, qui Sacræ Congregationi Cærimoniarum est a secretis, decrevit :

Excellentiæ Reverendissimæ titulum, præter quam Patriarchis et Latinæ et Orientalis Ecclesiæ, præter quam Prælatis qui a flocculis vulgo appellantur, præter quam Nuntiis et Internuntiis Apostolicis, tribuendum quoque esse Archiepiscopis atque Episcopis sive residentialibus sive titularibus tantum, itemque Magistro Pontificii cubiculi, Prælatis qui assident vel sunt a secretis in Sacris Romanis Congregationibus, Secretario Supremi Tribunalis Signaturæ Apostolicæ, Prælato Decano Sacræ Romanæ Rotæ ac denique Substituto Secretariæ Status. Contrariis quibuslibet non obstantibus.

Datum Romæ, ex ædibus Sacræ Congregationis Cærimonialis, die 31 Decembris 1930.

Card. GRANITO PIGNATELLI DI BELMONTE, Ep. Ostiensis et Albanensis, Præfectus.
B. Nardone, Secretarius. Cf. A. A. S. n° 23, 1931, p. 22]


OLD BOOK. (col. 989-990)


Référence

L'Intermédiaire des chercheurs et curieux, 67e année, volume XCIV, Paris, 1931.


Le décret de la S. Congrégation du Cérémonial qui substitue, pour les évêques, le titre d'Excellence à celui de Grandeur, est du 31 décembre 1930.

Détail piquant relevé par M. Lanzac de Laborie. Le ministre Peyronnet, il y a 100 ans, [1832] estimant que le titre d'Excellence lui faisait trop peu d'honneur, exigeait qu'on lui dît : « Votre Grandeur ».

J. S.


Après s'être donné le titre de monseigneur (sous Louis XIV on disait simplement : monsieur l'évêque) le haut clergé a substitué, en ces derniers temps, l'appellation de son excellence à celle de sa grandeur. C'est une progression nouvelle dans les honneurs, grandeur est, en effet, indication de dimension ou, si l'on veut, d'élévation dans la hiérarchie. Excellence est une indication de qualité. Il y a une nuance.

A. D. X. (col. 37 et 38)


L' Action Française du 14 janvier 1932 reproduit dans sa Revue de la Presse un article de la Quinzaine religieuse de la Savoie d'où j'extrais le passage suivant :

« … chez nous, le titre de Monseigneur désignait à lui seul l'évêque du diocèse et..., quand on l'avait employé, il n'y avait plus à se tromper..., il s'agissait uniquement du chef du diocèse, il en était tout autrement au delà des Alpes.

Là, Monsignor équivaut à peu près à notre Monsieur et le moindre petit prélat de la cour romaine, le plus humble chanoine se croirait déshonoré de n'être pas qualifié de ce titre. Quand les prélatures romaines se vulgarisées dans nos diocèses français, les heureux dignitaires nouvellement promus n'ont pas estimé un des moindres avantages de leur rang le privilège d'être appelés comme l'évêque. de leur diocèse : Monseigneur.
Le titre de Monseigneur s'est vulgarisé en France comme en cour romaine. Il a fallu, à Rome surtout, distinguer les évêques et les fonctionnaires majeurs par un titre qui leur fut réservé. La cour romaine a jugé que ce serait celui d'Excellence, Eccelenza en italien.
Excellence remplace donc Monseigneur qui n'est plus digne d'un évêque et qui ne convient qu'aux prélats de moindre importance.
En s'adressant à l'évêque on doit lui dire : Excellence, au lieu de Monseigneur...
Dans cette évolution des titres, que devient celui de Sa Grandeur, qui était en usage chez nous et qui était tellement la marque de l'évêque français que le latin ne parvenait pas à le traduire, sinon par l'inélégant Amplitudo ?
Ceux qui ne savent pas le pourquoi des choses ont pu croire que le titre de Sa Grandeur avait été aboli par la décision romaine et remplacé avec avantage par Son Excellence. Cette dernière appellation remplace celle de Monseigneur, mais ne touche en rien à Sa Grandeur, sinon qu'elle s'y ajoute comme une variante dans le langage français.
Sa Grandeur doit rester dans les usages de notre pays parce qu'elle a l'avantage d'être exclusivement ecclésiastique. Son Excellence convient aussi à des personnages laïques quelquefois même très laïques. Ce titre risque de confondre l'évêque avec des ambassadeurs étrangers et des ministres ou des secrétaires d’États étrangers. Quand on annoncera Sa Grandeur, on sera sur de voir apparaître la Croix qui est le signe de sa suprême élévation. Le titre du cardinal est Éminence ».

V. DALFRINLOUP. (col. 77-78)


Référence

L'Intermédiaire des chercheurs et curieux, 68e année, volume XCV, Paris, 1932.