Depuis quelle époque et
en vertu de quelle bulle, ou édit, les évêques français sont-ils
qualifiés de Monseigneur ? La loi française leur
reconnaît-elle cette qualification de nos jours ? Le titre de
Monseigneur est-il donné aux évêques dans tous les pays
catholiques ?
F. MÈGE. (col. 139)
Je ne sais en vertu de
quelle loi ce titre fut donné aux évêques français ; mais voici
ce que dit Duclos : « Avant l'anné 1635, non-seulement
les évêques ne se monseigneurisaient pas, mais ils ne
donnaient pas de Monseigneur aux cardinaux. (Collection de
pièces rel. à l'Hist. de France, par Leber, t. VI, p. 49. )
P. CLAUER.
– Voici ce que je
trouve, dans un ouvrage imprimé en 1693 sous le titre Des mots à
mode et des nouvelles façons de parler, [3e édition, Claude
Barbin, Paris, 1693, p. 149-153]
par de Callières [François de].
– L'auteur, après
avoir fait remarquer que la manie des titres a toujours été en
augmentant jusqu'au moment où il parle, ajoute :
« On ne s'est pas
contenté des anciens, on en a créé de nouveaux ; l'Italie, fertile
en ces sortes de productions, nous a donné l'Altesse, qui
était inconnue en France il n'y a pas cent ans, les gens d’Église
même, nonobstant la profession particulière qu ils sont obligés de
faire de l'humilité chrétienne, si opposée à tous les vains
titres du monde, s'en sont laissé éblouir ; les cardinaux, qui,
après de faibles commencements fort connus dans l'histoire (ce fut
par un décret du pape Urbain VIII, du 10 juin de l'année 1630), se
voyent aujourd'hui si élevés, ont quitté, il n'y a pas soixante
ans, les titres d'Illustrissimes
et de Révérensissimes, pour prendre le titre pompeux
d'Éminence ; leur ambition est montée jusqu'à se dire
égaux aux rois et à prétendre la préséance partout sur les
autres souverains ; et ils prennent le pas en Italie, dans leurs
propres maisons, sur les princes dont ils sont nés les sujets. Cet
amour des titres a passé, comme une maladie contagieuse, du clergé
de Rome à celui des autres pays ; les évêques se traitent
réciproquement de Monseigneur. Cela me fait souvenir qu'étant
allé voir un évêque de mes amis, et ayant appris qu'il y avait
d'autres évêques avec lui, je demandai ce qu'ils faisaient « Ils
se monseigneurisent, » me répondit assez plaisamment un de
leurs laquais. – Ils ne se contentent pas du titre de Monseigneur,
ils trouvent très bon que leurs ecclésiastiques et tous ceux qui
sont dans leur dépendance, y ajoutent le titre fastueux de Votre
Grandeur et que ceux qui leur dédient des thèses leur donnent
la qualité de Princes de l'Église, au lieu de celle
de Pères, qui est la seule qu'ils doivent recevoir, s'ils
veulent se conformer à l'exemple de leurs saints prédécesseurs ;
il n'y a pas même jusqu'aux religieux, qui nonobstant les
continuelles humiliations auxquelles leur règle et leur profession
les obligent, ne se traitent entre eux de Votre Révérence. »
Il
semblerait donc, d'après cette citation, que le titre de Monseigneur
appliqué aux évêques date du XVIe siècle.
LE ROI.
– Les articles
organiques du Concordat spécifient que les évêques n'ont droit à
aucun titre. Ce n'est donc que par déférence qu'on continue à leur
donner ceux de Monseigneur ou de Grandeur, auxquels ils
n ont aucun droit légal. Voilà pour la France, j'ignore ce qu il en
est dans les autres pays catholiques.
J. R. (col. 215-216)
« Les évêques
statuèrent de se monseigneuriser, à l'exemple de Richelieu :
Jamais aucun concile ne fut mieux observé, » dit le Diction.
univ. de Boiste, (1847), au mot monseigneuriser.
(Guernesey.) S. M.
– C'est vers la fin du
XVIIe siècle, comme on le peut voir dans Saint-Simon, que les
évêques prirent, de leur propre autorité, le titre de Monseigneur.
Jusque-là on les appelait Monsieur, en ajoutant le nom de la
ville épiscopale : Monsieur de Meaux, Monsieur de Cambrai,
étaient les qualifications que Bossuet et Fénelon ne trouvaient pas
trop modestes pour eux (Mémoires de Saint-Simon,
t. VII, 171, éd. Hachette) (1). Le concordat de 1802 ne
reconnaît pas aux archevêques et évêques d'autre qualification
que celle de Monsieur ou de Citoyen. Aucun acte
officiel n'a modifié cette prescription qui, dans l'état actuel,
est la seule légale. « Il sera libre aux archevêques et
évêques d'ajouter à leur nom le titre de Citoyen ou celui
de Monseigneur. Toutes autres qualifications sont interdites.
» (Articles organiques, art. 12. )
(1) Voici le passage :
« …Peu auparavant (il écrit ceci en 1709), dans une
assemblée du clergé, les évêques, pour tâcher à se faire dire
et écrire Monseigneur, prirent de se le dire et se l'écrire
réciproquement les uns les autres. Ils ne réussirent à cela
qu'avec le clergé et le séculier subalterne. Tout le monde se moqua
fort d'eux, et on riait de ce qu'ils s'étaient monseigneurisés.
Malgré cela ils ont tenu bon, et il n'y a point eu de délibération
parmi eux sur aucune matière, sans exception, qui ait été plus
invariablement exécutée. »
FRÉD. LOCK. (col.
279-280)
Référence
L'Intermédiaire des
chercheurs et curieux, Maison de la Suisse Romande, Maison
Cherbuliez, 2e année, Paris, 1865.
S'il est vrai que les
évêques ne se soient donnée entre eux le titre de Monseigneur
que vers la fin du règne de Louis XIII, comme le disent Duclos et de
Caillères (et aussi [ Gilles André] De la Roque, Traité
de la Noblesse [,
Estienne Michallet, 1678, p. 311]),
cela prouve qu'ils ont tardé bien longtemps à se donner à
eux-mêmes le titre que tout le monde leur donnait depuis plusieurs
siècles.
À
la fin du XVIe siècle, D'Aubigné adressait sa Confession
de Sancy « à Monseigneur l'évêque d'Évreux ; »
Rabelais, dans ses lettres écrites d'Italie à l'évêque de
Maillezais [Les lettres de François Rabelais escrites pendant son
voyage d'Italie, nouvelle édition, François Foppens, Bruxelles,
1525, p. 1],
appelait ce prélat Monseigneur ;
le hérault d'armes de Bretagne, dans son récit officiel des
funérailles de la reine Anne de Bretagne [Bretaigne, Récit des
funérailles d'Anne de Bretagne, publié par L. Merlet et Max. de
Gombert, Auguste Aubry, Paris, 1858, par ex. p. 50]donnait
le titre de Monseigneur
à tous les prélats qui ont pris part aux cérémonies funèbres ;
Comynes adressait ses Mémoires
[de Philippe de Commynes,
publiée par Mlle Dupont, tome I, Jules Renouard et Cie, Paris, 1840,
p. 1]
à Monseigneur
l'archevêque de Vienne. Enfin, l'état des officiers des quatre
derniers ducs de Bourgogne, qui fait partie des
Mémoires
pour servir à l'histoire de France et de Bourgogne
([Julien-Michel Gandouin, Pierre-François Giffart], Paris, 1729, 2
vol. in-4°), constate que dès le XIVe siècle, le titre de
Monseigneur
était donné aux évêques et à quelques abbés.
B. SELSACH. (col. 329)
Référence
L'Intermédiaire
des chercheurs et curieux,
Maison de la Suisse Romande, Maison Cherbuliez, 4e année, année
1867-1868, Paris, 1868.
Voici
une réponse qui m'est fournie par l'abbé de Marsy. Il publia en
1751 une traduction de l'italien, qu'il intitula en français :
le Prince de
Fra-Paolo,
ou conseils
politiques adressés à la Noblesse de Venise,
par le père
Paul Sarpi, de l'ordre des Servites, consulteur d'État et théologien
de la République de Venise [,
Berlin, 1751] . C'est, pour le dire en passant, un petit écrit fort
remarquable et digne de l'historien du Concile de Trente, et je
comprends que le père Le Courayer en ait dit : « qu'il il
peut passer pour un chef-d'œuvre de politique. » Or, à la
page 2,
sur ce mot du texte : « Vos Excellences m'ordonnent.
etc., » l'abbé de Marsy a mis cette note : « Les
nobles de Venise ont usurpé ce titre, qui dans le fond n'appartient
qu'aux ambassadeurs. Ils se le donnent réciproquement, et ils ont si
bien qu'on ne peut guère le leur refuser, sans les offenser. C'est
ainsi que nos prélats, à force de s'appeler Monseigneur
les uns les autres, nous ont en6n amenés à leur donner ce titre. »
S. D. (col. 476-477)
L'Intermédiaire
des chercheurs et curieux,
Librairie de Joëln Cherbuliez, 5e année, année 1869, Paris, 1869.
Le titre Monseigneur. N'en abuse-t-on pas ? On ne l'accolait pas au
nom du comte de Chambord. On disait simplement M. le comte de
Chambord. Seulement dans son entourage, en parlant de lui, on le
désignait ainsi : Monseigneur.
Aujourd'hui
nous lisons toujours dans les feuilles royalistes :
« Monseigneur le duc d'Orléans, Monseigneur le comte de
Paris ». Je crois que dans ces circonstances cette
qualification est contre l'ancien usage ; on employait ce titre en
s'adressant directement à un prince, mais en parlant de lui on ne se
servait que du mot monsieur ; M. le comte d'Artois, M. le duc
de Berry. J'ai même sous les yeux un volume dédié a Louis XVIII
(Les
Bourbons,
[ou précis
historique sur les aïeux du roi, sur sa Majesté, et sur les princes
et princesses du nom de Bourbon qui entourent son trône], Paris,
Lepetit, 1815) où tous les membres de la famille royale sont le
sujet de notices et où leurs noms ne sont pas même précédés du
mot monsieur.
L'observation que je faisais tout à l'heure
peut être aussi appliquée aux évêques. Jadis, en parlant d'eux,
on ne leur donnait que du monsieur. On appelait Bossuet Monsieur de
Condom, Monsieur de Meaux. Madame de Sévigné disait même d'une
façon très peu révérencieuse : Monsieur de Rome. On peut
lire dans les Mémoires
de madame [la comtesse] de Genlis, [sur
le XVIIIe siècle et la révolution française, depuis 1756 jusqu'à
nos jours,
2e édition, tome II, Ladvocat, Paris, 1825, p. 87],
très au courant des usages : « À Sillery. je trouvai
nombreuse compagnie... M. de la Roche-Aymon, archevêque de
Reims... »
Le Concordat n'accordait pas le titre Monseigneur
aux évêques. Ils ne pouvaient prendre que le nom de citoyen ou de
monsieur (art..XII des Articles
organiques).
Sous la Restauration, c'est cette dernière qualification qu'on
employait en parlant d'un prélat. Les
Conférences
[Défense
du christianisme ou
Conférences sur la religion, tome
I ; Le Clere et Cie, Paris, 1825] de l'évêque d'Hermopolis,
premier aumônier du roi, imprimées en 1825, portent simplement
comme nom d'auteur : M. D. Frayssinous. Mais si l'on adressait
la parole à un évêque, on usait du titre de Monseigneur ; non
les princes pourtant, qui ne se servaient que du nom de monsieur,
comme M. le comte de Chambord dans une lettre célèbre. L'usage
s'est modifié par les manières d'être d'un parti hostile tout ce
qui tient à la religion, et il serait plus que discourtois,
aujourd'hui, de ne pas donner en toute occasion le titre de
Monseigneur aux évêques.
Quant
à celui de Grandeur,
à quelle époque a-t-il fait son apparition ?
Suivant
Littré
il remonte à 1630, mais Littré ne cite aucune autorité à cet
égard. Un livre assez amusant, Paris,
Versailles et [les] Provinces,
[au dix-huitième
siècle,
par M. Dugast de Bois-Saint-Just, 5e édition, tome I, Charles
Gosselin, Paris, 1823, p. 239]
offre le premier, sous une forme un peu gauloise, que Votre
Grandeur
était usitée au moment de la Révolution. Mgr de la Ferronnays,
évêque de Bayonne, prêtre exemplaire du reste, avait émigré à
Genève. « Son tailleur lui apporta une culotte, qu'il essaya devant
lui, mais dans laquelle il ne pouvait entrer. – Mon cher, lui
dit-il, tu vois bien qu'elle n'est pas faite à ma mesure. – C'est
vrai, lui répondit le bon Suisse qui ne connaissait guère les
finesses de la langue française, elle est un peu trop étroite pour
le c... de Votre Grandeur. – Dis donc, mon ami, reprit l'évêque,
pour la grandeur de mon c... Et, craignant de lui avoir fait de la
peine par cette plaisanterie, il le paya comme s'il eût été
content. »
POGGIARIDO (col. 738-739)
Référence
L'Intermédiaire
des chercheurs et curieux,
XXIIIe année, nouvelle série, VIIe année 1890, Paris.
On
sait qu'au XVIIe siècle, le titre de Monsieur, suivi du nom de
l’évêché, était ordinairement donné aux membres de
l'épiscopat. Bossuet fut d'abord Monsieur de Condom et ensuite
Monsieur de Meaux. Fénelon fut Monsieur de Cambrai. Ce ne fut que
plus tard que l'on donna aux évêques le titre de Monseigneur. Il
semble que ce soit Balzac et Racan qui soient les pères de ce nouvel
usage.
« Estant encore enfant, dit Balzac au R. P. dom
André de Saint-Denis, j'avois grand commerce de lettres avec feu
Monsieur Coeffeteau, évesque de Dardanie, nommé par le Roy à
l'evesché de Marseille. Ce sçavant prélat se contenta toujours de
Monsieur dans
nostre commerce. En ce mesme temps nous n'écrivions pas d'une autre
sorte à Monsieur l'évesque de Luçon (Richelieu), qui fut depuis
eslevé si haut au-dessus de toutes les qualitez et de tous les
tiltres (...). Monsieur de Racan fust le premier qui me mist du
scrupule dana l'esprit et qui me remonstra que la dignité d'évesque
ne devoit point estre moins respectée par un vray chrestien que
celle de duc et pair par un naturel François. Sa remonstrance me
sembla fondée en raison, nous résolumes luy et moy de donner à
t'advenir du Monseigneur
à tous les evesques, sans excepter l'evesque de Bethleem, quoy qu'il
logeat dans un trou de collège de Paris, quoy qu'il allest à pied
par les rues, quoy qu'il fust luy mesme son aumosnier. (BALZAC,
Discours à la
suite du « Socrate chrétien »,
Paris, 1652, in-4, p. 210 ; et BALZAC, Œuvres,
édit.
Louis Moreau, t. I, I, p. 423, n. 2.)
On sait que les articles
du Concordat proscrivirent le titre de Monseigneur.
«
Il sera loisible aux archevêques et aux évêques, porte l'art. 12,
d'ajouter à leur nom le titre de citoyen
ou de monsieur.
Toutes les autres qualifications sont interdites. »
Quelque
Intermédiairiste ne pourrait- il pas nous indiquer si ce titre ne
remontait pas plus haut ? 0n sait, en effet, qu'au moyen âge on
avait l'habitude d'ajouter le titre de Monseigneur au nom des saints,
et ainsi on dirait Monseigneur saint Nicolas, Monseigneur saint
Godefroy.
ADOLPHE DÉMY. (col. 131)
D'après le signataire, M. Démy, il semblerait que Balzac, inspiré
par Racan, serait le premier parrain de ce titre donné aux évêques.
Je crois pouvoir démontrer qu'il y a, soit erreur, soit fausse
conclusion.
Voici mes preuves.
Balzac
est né en 1586 mort en 1655. Racan est né en 1589, mort en 1670.
Or, à la naissance de Balzac, Malherbe était déjà un poète
connu; et le fameux Du Perrier, dont la fille morte est restée
immortalisée dans une des pièces de Malherbe que personne n'ignore,
Du Perrier, un jour, lui soumet comme sien un sonnet qu'il vient de
recevoir d'un grand personnage. Malherbe répond : « Bah
c'est tout comme si c'était Monseigneur
le grand-prieur de France qui
l'eût fait. »
On
n'ignore pas qu'un prieur était le supérieur d'un couvent, qu'ainsi
un grand-prieur possédait (d'après le droit de régale) un grand
nombre de couvents, au point de vue du revenu, quand il était
laïque, ce qui était ici le cas le duc d'Angoulême était
grand-prieur de
France.
S'il avait dit MONSEIGNEUR LE DUC, grand-prieur,
–
le titre s'appliquerait au prince; mais il dit : MONSEIGNEUR LE
GRAND-PRIEUR, le titre s'applique à la dignité ecclésiastique.
On peut argumenter sur mon propre argument, mais on avouera
qu'il est bon, parce qu'il prouve que le mot de Monseigneur
s'appliquait très bien à un mot d'Église, sans quoi Malherbe n'eût
pas fait cette locution. Et s'il l'a faite, c'est donc lui qui a eu
la première idée, non Racan ni Balzac.
Voilà donc Racan et Balzac détrônés ; il faut donc remonter
à Malherbe.
Ce
n'est pas tout : si Malherbe l'avait inventé, au lieu d'user
des locutions en usage, il faudrait qu'on expliquât comment ce titre
s'est vite généralisé,
rapidement. Des choses semblables ne s'improvisent pas, un beau
matin, sur tout un vaste territoire, à l'égard de personnages haut
placés, ce qui est le cas pour les évêques, surtout d'alors. Il
fallait une ordonnance, un acte quelconque de l'autorité supérieure.
Un auteur de génie inventera des expressions nouvelles, mais la
langue officielle de tous ne saurait les admettre si vite, sans qu'il
y en ait des traces dans les lois ou les actes officiels.
Je vais plus loin. La plupart des évêques étaient déjà nobles :
leur donnait-on le titre de « Monseigneur » à cause de
leur noblesse de famille, et non à cause de leur dignité épiscopale
? Il faudrait prouver qu'on refusait ce titre aux évêques non
nobles, et que de ceux-ci seulement parle Balzac. Réduite à cette
dimension, la question serait encore fort intéressante.
Mais
j'y réponds en disant : même aux non-nobles,
on donnait ce titre. Ainsi, voici sous mes yeux un livre fait par les
ordres de « Monseigneur
l'illustrissime et révérendissime Père en Dieu Claude
Joly,
évêque de..., puis d'Agen. » Né en 1610, curé de Paris et
ami de Richelieu qu'il assista à sa mort, -– il mourut en 1678
après avoir été évêque longtemps. – Or, Claude Joly n'était
pas noble, et on l'appelle « Monseigneur ». Son secrétaire
signe après lui, comme aujourd'hui : par mandement de
Monseigneur. » – Je trouverais ainsi de nombreux exemples. À
l'époque où Joly fut fait évêque, quelle apparence que l'idée de
Racan eût été universalisée, et fût devenue une réalité
officielle ?
Qu'on
ne m'objecte pas que Joly devenait noble par son titre
de « comte d'Agen »,
car voici une autre liste où ces deux catégories d’évêques
sont mêlées, et de la même date: Félix, évêque et comte de
Châtons, – D. de Ligny, évêque de Meaux ; Gabriel, évêque
d'Autun. – Étienne, évêque et prince de Grenoble – Jules,
évêque de Tulle. – Je dirai même que ce Jules, évêque de
Tulle, fut le successeur de Claude Joly à Agen ; et pourtant ce
Jules Mascaron fut bien toujours « Monseigneur Mascaron »,
n'importe le titre de son siège.
Cette liste n'est qu'un
extrait de celle des évêques qui examinèrent un traité de
Bossuet, alors évêque de Condom, et précepteur du Dauphin. – En
tête se trouve : « Approbation de Messeigneurs les
archevêques et évêques. Le mot y est, et le traité y est dit :
« composé par Messire J. B. Bossuet, évêque et
seigneur de Condom. »
Le même ouvrage fait
l'objet d'une lettre d'un cardinal de Rome, qui dit : « Havendo
poi parlato con questi signori cardinali... J'en ai parlé avec
Messeigneurs les cardinaux... » Puis, « Trovai il signor
cardinale Brancaccio molto propenso a lodarne l'autore. J'ai
trouvé surtout Monseigneur le cardinal Brancaccio très porté à en
louer l'auteur... »
Le maître du Sacré
Palais, qui donne l'approbation romaine, dit « Il libro del
signore di Condom... Le livre de Monseigneur de Condom. » Et
ainsi de suite, d'autres textes semblables.
Mais ici je
remarque que le traducteur de l'époque a mis : le livre de
Monsieur de Condom. C'est dire que le langage français ne
concordait pas toujours avec le langage de Rome en cette occasion ;
mais c'est dire aussi que l'invention de Balzac ne pourrait se
réduire qu'a avoir introduit en France, à titre général, un mot
qui y était déjà employé, nous l'avons vu, qu'on avait tort de ne
pas y employer assez, et qui était d'usage officiel en Italie.
Il
faut donc en rabattre, et beaucoup, sur Balzac à ce sujet, puisqu'il
a enfoncé une porte ouverte.
Bien plus, comment affirmer
qu'on disait seulement Monsieur de Condom ou de Meaux, quand Rome
disait : Monseigneur de Condom, et que déjà on avait dit
Monseigneur Cl. Joly, Monseigneur Mascaron..., etc., etc. !
Quant à dire que les
articles du concordat ont proscrit ce titre, c'est une erreur
complète. Sur les 17 articles, pas un n'en parle.
Mais j'avoue que le 12e
des articles organiques a été parfaitement cité. Cela me permet de
relever ici une erreur très répandue, que l'ignorance ou l'esprit
de secte entretient. On croit que les « articles organiques sont le
« Concordat ». Ils le sont à peu près comme le factum
d’Émile Henry était l'autre jour le réquisitoire du ministère
public. Les délégués du Pape et de Bonaparte signèrent le
Concordat le 15 juillet 1801. Bonaparte présenta aux Chambres et
publia aussitôt en un seul volume, le 8 avril 1802, le Concordat
et les Articles organiques.
Au reste, en défendant de
donner aux évêques d'autres titres que ceux de citoyen ou de
monsieur, le Premier Consul caressait secrètement te désir
de se faire appeler sire et majesté ; et je ne
comprends pas qu'on puisse dire indifféremment le citoyen évêque
ou monsieur l'évêque, et qu'on ne puisse pas dire le citoyen
préfet, le citoyen colonel.
Revenons à la question,
en attendant d'entendre le prochain curé de la Madeleine dire au
cardinal de Paris, le jour de son installation : « Monsieur
le curé présente ses hommages au citoyen archevêque » ;
car, en effet, il n'est rien dit pour les curés dans les articles
organiques.
Oui, au moyen âge,
on disait Monseigneur saint Jacques, Monseigneur saint Nicolas...,
etc. Cela se comprend : la plupart des grands saints populaires
furent des évêques ; de tous, et des vivant évêques comme
des évêques canonisés, on disait Dominus, seigneur. Dans
les grands monastères on a dit Domnus, d'où : Dom
Guéranger, Dom Bosco (1).
J'ai dit plus haut
qu'on disait aussi messire. Il est évident que le latin
senior, italien signor, qui après tout veulent dire
plus vieux et vénérable, sont traduits par seigneur,
sieur, sire. Or, tandis
que Monseigneur ne s'appliquait qu'aux évêques, canonisés
ou vivants, – Monsieur, qui n'est qu'un diminutif, a donc pu
s'appliquer au titre épiscopal: Monsieur de Meaux, pour
Monseigneur Bossuet, évêque de Meaux ; mais jamais on n'a
dit : Monsieur Bossuet, ni même Monsieur l'évêque tout court,
mais le nom de la ville : Monsieur de Meaux, de Cambrai, etc., ou
Monsieur, l'évêque de Meaux. On disait messire Bossuet, messire
Claude Joly, comme je l'ai lu, et l'ai sous tes yeux (2).
Toutefois, ce mot :
messire, s'appliquait à des personnages inférieurs, auxquels
on ne pouvait donner du « Monseigneur ». Ainsi, on le
disait d'un prieur de couvent, d'un curé titulaire ; et, dans
certaines notices historiques que j'ai faites d'après d'anciens
registres des siècles passés, j'ai eu à inscrire souvent : messire
un tel, prieur, ou prieur-curé, ou curé, selon le cas.
Du temps de Bossuet, le
clergé des paroisses disait toujours Monseigneur en parlant
de son évêque. Je trouve dans les Annales de philosophie
catholique, un bel
article critique sur Bossuet, n° d'août et septembre 1893, p. 340
et suiv.
L'auteur cite le
manuscrit d'un curé du diocèse de Meaux, qui nous a légué ses
impressions et ses analyses sur les discours au clergé, les visites
pastorales, etc., et qui dit toujours de Bossuet, son évêque :
« Monseigneur nous a donne tels avis, – Monseigneur a ouvert
le synode diocésain tel jour. », absolument comme nous dirions
aujourd'hui dans le clergé français actuel. Et, remarquez-le,
quelqu'envie de critiquer que puisse avoir ce prêtre, il ne dit
jamais « Monseigneur » qu'avec le respect dû au titre.
Si Balzac, à peine mort, eût été le parrain du cadeau d'un tel
titre aux évêques, on trouverait une pointe de malice sur cette
nouveauté, dans le curé qui trouve à redire aux actes de Bossuet,
tout épiscopaux qu'ils soient. Que n'eût-il pas dit sur un titre de
vanité !
« Monseigneur »
n'est en définitive que le mot français de Dominus, qui a
toujours été employa pour désigner les noms d'évêques. Donc,
plus haut que Balzac, Racan et Malherbe, il faut chercher l'origine
du « monseigneur » dans le moyen âge et dans les siècles
antérieurs, dans le Dominus. Seulement, il faut séparer
l'adjectif du nom : mon seigneur. Aujourd'hui encore cela se
fait. Deux amis ou deux collègues se disent
mon cher
seigneur.
(1) Mais on ne disait
ainsi « Monseigneur » que des saints, anciens évêques.
Des autres, on disait « Monsieur », comme je l'ai aussi
sous les yeux dans un Bulletin archéologique : « Chapelle
de Monsieur Saint Roch, de Monsieur Saint Jean, etc. »– Il
peut y avoir eu mélange, mais tous les noms
que j'ai examinés m'ont amené à la dite conclusion.
(2)
Ici, je crois que le sujet de l'évêque disait :
« Monseigneur », et on employait « Messire »
surtout d'un évêque étranger auquel on n'appartenait pas. Ainsi,
parisien, j'aurais dit « Monseigneur l'archevêque de Paris »,
et « Messire l'évêque de Versailles », avec cependant
la possibilité de dire : « Monsieur de Versailles ».
C'était affaire de goût et de politesse. Tous les textes étudiés
me conduisent à cette conclusion.
L'ABBÉ
PH. G. LABORIE. (col. 585-590)
Référence
L'Intermédiaire
des chercheurs et curieux,
3e série, 3e année, volume XXIX, année 1894, premier semestre,
Paris, 1894.
Maintenant lorsqu'il s'agit d'un évêque on dit : son
Excellence Mgr... au lieu de Sa Grandeur Mgr X...
Pourquoi et depuis quand, exactement ??
M. (col. 916)
Le titre d'Excellence a été octroyé aux évêques par S. S. le
pape Pie XI, pendant le cours de l'année 1931. Mussolini ayant
étendu l'an dernier le titre d'Excellence à tous les préfets du
royaume, le Vatican en a fait de même officiellement pour les
évêques.
Chez nous, l 'appellation de « Votre grandeur » qui
ne date cependant que du siècle dernier [XIXe siècle} a une dignité
et une onction bien supérieures à cette d' « Excellence »
qui s'applique aussi bien à de simples préfets de la Péninsule
qu'aux Ministres des plus minuscules États. Pourquoi l'avoir
changée ? Pour imiter l'Italie ? Les Anglais, plus traditionalistes ou plus indépendants ont refusé la nouvelle
appellation et ils continuent à donner à leurs évêques du « His
Grace et du « Lordship ».
Et ils ont joliment raison.
S.
C'est en vertu d'un décret de la S. C. de la Cérémoniale en date
du 31 décembre 1930 que le titre d' « Excellence » est
substitué à celui de « Grandeur ».
Voici l'essentiel de ce décret
« Le titre d'« Excellence Révérendissime » réservé aux
patriarches de l'Église Latine et Orientale, aux prélats dits :
« di fiochetti », aux nonces et internonces
apostoliques sera étendu aux archevêques et évêques soit
résidentiels, soit seulement titulaires, ainsi qu'au maître de la
Chambre Pontificale, aux prélats assistants au Trône, au Secrétaire
des S. C. [Sacrées Congrégations] romaines, au Secrétaire du
Tribunal Suprême de la Signature Apostolique, au Prélat doyen de la
Sacrée Rote romaine et enfin au Substitut de la Secrétairie d'État.
Nonobstant toutes dispositions contraires. »
[D E C R E T U M DE TITULO « EXCELLENTIAE REVERENDISSIMAE »
Ssmus
D. N. Pius Papa X I , eo consilio ut dignitas eorum, qui cum
inEcclesiæ gubernatione, tum in ipsa Pontificis Maximi Domo
principes habent partes, maiore cotidie in honore sit, Purpuratorum
Patrum percontatus sententiam, qui sacris cærimoniis regundis
præpositi sunt, die 11 mensis Decembris huius anni, arcessito viro
hac in pagina subsignato, qui Sacræ Congregationi Cærimoniarum est
a secretis, decrevit :
Excellentiæ
Reverendissimæ titulum, præter quam Patriarchis et Latinæ et
Orientalis Ecclesiæ, præter quam Prælatis qui a flocculis vulgo
appellantur, præter quam Nuntiis et Internuntiis Apostolicis,
tribuendum quoque esse Archiepiscopis atque Episcopis sive
residentialibus sive titularibus tantum, itemque Magistro Pontificii
cubiculi, Prælatis qui assident vel sunt a secretis in Sacris
Romanis Congregationibus, Secretario Supremi Tribunalis Signaturæ
Apostolicæ, Prælato Decano Sacræ Romanæ Rotæ ac denique
Substituto Secretariæ Status. Contrariis quibuslibet non
obstantibus.
Datum
Romæ, ex ædibus Sacræ Congregationis Cærimonialis, die 31
Decembris 1930.
Card.
GRANITO PIGNATELLI DI BELMONTE, Ep. Ostiensis et Albanensis,
Præfectus.
B. Nardone, Secretarius. Cf. A. A. S. n°
23, 1931, p. 22]
OLD BOOK. (col. 989-990)
Référence
L'Intermédiaire des chercheurs et curieux, 67e année, volume
XCIV, Paris, 1931.
Le décret de la S. Congrégation du Cérémonial qui substitue,
pour les évêques, le titre d'Excellence à celui de Grandeur, est
du 31 décembre 1930.
Détail piquant relevé par M. Lanzac de Laborie. Le ministre
Peyronnet, il y a 100 ans, [1832] estimant que le titre d'Excellence
lui faisait trop peu d'honneur, exigeait qu'on lui dît :
« Votre Grandeur ».
J. S.
Après s'être donné le titre de monseigneur (sous Louis XIV on
disait simplement : monsieur l'évêque) le haut clergé a
substitué, en ces derniers temps, l'appellation de son excellence
à celle de sa grandeur. C'est une progression nouvelle dans
les honneurs, grandeur est, en effet, indication de dimension ou, si
l'on veut, d'élévation dans la hiérarchie. Excellence est une
indication de qualité. Il y a une nuance.
A. D. X. (col. 37 et 38)
L' Action Française du 14 janvier 1932 reproduit dans sa
Revue de la Presse un article de la Quinzaine religieuse de
la Savoie d'où j'extrais le passage suivant :
« …
chez nous, le titre de Monseigneur désignait à lui seul
l'évêque du diocèse et..., quand on l'avait employé, il n'y avait
plus à se tromper..., il s'agissait uniquement du chef du diocèse,
il en était tout autrement au delà des Alpes.
Là, Monsignor équivaut à peu près à notre Monsieur et le
moindre petit prélat de la cour romaine, le plus humble chanoine se
croirait déshonoré de n'être pas qualifié de ce titre. Quand les
prélatures romaines se vulgarisées dans nos diocèses français,
les heureux dignitaires nouvellement promus n'ont pas estimé un des
moindres avantages de leur rang le privilège d'être appelés comme
l'évêque. de leur diocèse : Monseigneur.
Le titre de Monseigneur s'est vulgarisé en France comme en cour
romaine. Il a fallu, à Rome surtout, distinguer les évêques et les
fonctionnaires majeurs par un titre qui leur fut réservé. La cour
romaine a jugé que ce serait celui d'Excellence, Eccelenza en
italien.
Excellence remplace donc Monseigneur qui n'est plus
digne d'un évêque et qui ne convient qu'aux prélats de moindre
importance.
En s'adressant à l'évêque on doit lui dire : Excellence, au
lieu de Monseigneur...
Dans cette évolution des titres, que devient celui de Sa
Grandeur, qui était en usage chez nous et qui était tellement
la marque de l'évêque français que le latin ne parvenait pas à le
traduire, sinon par l'inélégant Amplitudo ?
Ceux qui ne savent pas le pourquoi des choses ont pu croire que le
titre de Sa Grandeur avait été aboli par la décision romaine et
remplacé avec avantage par Son Excellence. Cette dernière
appellation remplace celle de Monseigneur, mais ne touche en rien à
Sa Grandeur, sinon qu'elle s'y ajoute comme une variante dans le
langage français.
Sa Grandeur doit rester dans les usages de notre pays
parce qu'elle a l'avantage d'être exclusivement ecclésiastique. Son
Excellence convient aussi à des personnages laïques quelquefois
même très laïques. Ce titre risque de confondre l'évêque avec
des ambassadeurs étrangers et des ministres ou des secrétaires
d’États étrangers. Quand on annoncera Sa Grandeur, on sera
sur de voir apparaître la Croix qui est le signe de sa suprême
élévation. Le titre du cardinal est Éminence ».
V. DALFRINLOUP. (col. 77-78)
Référence
L'Intermédiaire des chercheurs et curieux, 68e année, volume
XCV, Paris, 1932.