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lundi 9 juillet 2012

Les droits humains premiers, selon J. Adams, 1766


Puissions-nous mettre en application les principes suivants émis par le futur deuxième président des États-Unis d'Amérique, John Adams, en 1766 : chaque être humain a droit à l'air, à la lumière, au fait d'être nourri et habillé (on pourrait ajouter : d'être logé).
 

[The British constitution] is not built on the doctrine that a few nobles or rich commons have a right to inherit the earth, and all the blessings and pleasures of it: and that the multitude, the million, the populace, the vulgar, the mob, the herd and the rabble, as the great always delight to call them, have no rights at all, and were made only for their use, to be robbed and butchered at their pleasure. No, it stands upon this principle, that the meanest and lowest of the people, are, by the unalterable indefeasible laws of God and nature, as well entitled to the benefit of the air to breathe, light to see, food to eat, and clothes to wear, as the nobles or the king. All men are born equal: and the drift of the British constitution is to preserve as much of this equality as is compatible with the people's security against foreign invasions and domestic usurpation.


John Adams (1735-1826)
 
[La constitution britannique] n'est pas fondée sur la doctrine selon laquelle quelques nobles ou riches roturiers  auraient le droit d'hériter de la terre, et de tous ses bienfaits et plaisirs, et que la multitude, la masse, la populace, le vulgaire, la foule, le troupeau, la racaille, comme les grands aiment toujours à les nommer, n'aurait aucun droit et serait destiné uniquement à leur servir, à être dépossédé et abattu selon leur bon plaisir. Non, elle est établi sur le principe selon lequel les plus modestes et les plus humbles parmi le peuple, ont droit, de par les lois inaltérables et indéfectibles de Dieu et de la nature, au bénéfice de l'air que l'on respire, de la lumière que l'on voit, de la nourriture que l'on mange, et des vêtements que l'on porte, tout aussi bien que les nobles ou que le roi. Toutes les hommes sont nés égaux, et le sens de la constitution britannique est de préserver cette égalité autant qu'elle est compatible avec la sécurité du peuple vis-à-vis des invasions étrangères et de l'usurpation intérieure.

Référence.

John Adams, « The Earl of Claredon to Willaim Pym », n° III, Boston Gazette, 27 janvier 1766, in Charles Francis Adams, The Works of John Adams, Second President of The United States, Charles C. Little and James Brown, Boston, 1851, p. 480. La version française est le fait de l'auteur de ce blog.

mercredi 4 juillet 2012

La stratégie du chiffon rouge de la droite libérale, selon J. -C. Michéa, 2011


Aurélie Filipetti, actuelle ministre française de la Culture et de la Communication, et membre du Parti « socialiste », intervint, le dimanche 14 octobre 2007, lors du meeting-concert  « Touche pas à mon A.D.N. », organisé au Zénith de Paris par l'association française S.O.S. Racisme. Elle y prononça, d'une voix forte et saccadée, les paroles suivantes :
 
« Bonsoir. On est là ce soir pour dire non, non aux tests A.D.N., une abjection morale, mais aussi non, et ça suffit, à la criminalisation de l’immigration. L’immigration a été, est et sera la chance de ce pays. Ce sont des générations et des générations d’immigrés qui ont fait la richesse économique, culturelle de la France telle qu’elle est aujourd’hui ! Et quand il fallait se battre pendant les guerres, c’est encore les immigrés et les étrangers qui étaient là pour se battre aux côtés des Français ! Donc il y en a assez, assez ! C’est à nous la gauche de redonner une vision positive de l’immigration, de dire tout ce que ça a apporté à notre pays, et ce soir on est là contre les tests A.D.N., cette abjection, pour dire aussi, plus loin, pour dire : « cette France moisie, cette France rancie qui considère l’immigré et l’étranger comme l’ennemi, on n’en veut pas ! ».

Ces propos semblent, à tout le moins, excessifs. Ce qui est certain, c'est que la « France rancie » que l'actuelle ministre française portait, il y a cinq ans, et alors qu'elle était encore députée de la Nation,  au pilori, ne peut faire que la sourde oreille aux insultes directes et aux exagérations historiques. 

Cette déclaration d'une femme politique incarnant le courant libéral de gauche est, semble-t-il, l'exemple-type capable d'illustrer cette note de Jean-Claude Michéa, tirée de son ouvrage Le complexe d’Orphée – La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès, paru chez Climats, en octobre 2011 (note 3 de la scolie G, Scolies V, p. 203-204).

« Les partis de gauche ne semblent toujours pas avoir saisi l’essence de la stratégie du chiffon rouge que la droite libérale utilise méthodiquement contre eux. Les différentes provocations (minutieusement calculées) auxquelles cette droite se livre à intervalle réguliers ne visent jamais, en effet, à influencer directement l’électorat populaire (en cherchant, par exemple, à enraciner en lui ces idées « nauséabondes » qui sont, par définition, incompatibles avec les contraintes de la mondialisation). Elles visent, en réalité, à agir sur cet électorat de manière indirecte, c’est-à-dire en tablant machiavéliquement sur le caractère totalement abstrait (et, de surcroît, souvent grotesque) de la réaction politiquement correcte qu’elles ne manqueront pas de susciter mécaniquement chez les élites de la gauche divine (comme on dit en Espagne) et donc dans le petit monde incroyable et merveilleux du showbiz et des médias. Petit monde dont la morgue et la bonne conscience surréalistes ont toujours constitué pour la droite la plus efficace des publicités. En d’autres termes, la droite libérale compte en permanence sur les réflexes pavloviens de la bourgeoisie de gauche pour provoquer la colère de l’électorat populaire (qui, lui, est évidemment confronté à la réalité quotidienne) et maintenir ainsi son emprise idéologique sur lui. Avec, bien entendu, le risque électoral majeur – lorsque les réactions des élites de gauche s’avèrent trop caricaturales ou trop déconnectées de l’expérience vécue par les classes populaires – que ces dernières manifestent alors leur exaspération (un sentiment promis à un bel avenir) en cherchant directement refuge auprès de partis plus radicaux. Nous retrouvons ici le célèbre théorème d’Orwell : quand l’extrême droite progresse chez les gens ordinaires (classes moyennes incluses), c’est d’abord sur elle-même que la gauche devrait s’interroger. »

mardi 3 juillet 2012

Le rôle des élites libérales, selon K. Marx et F. Engels, 1848.



La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire. 

Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. 

Tous les liens complexes et variés qui unissent l'homme féodal à ses « supérieurs naturels », elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et l'homme, que le froid intérêt, les dures exigences du  « paiement au comptant ». Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l'exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale. 

La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu'on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages. 

La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à n'être que de simples rapports d'argent. 

La bourgeoisie a révélé comment la brutale manifestation de la force au Moyen Âge, si admirée de la réaction, trouva son complément naturel dans la paresse la plus crasse. C'est elle qui, la première, a fait voir ce dont est capable l'activité humaine. Elle a créé de tout autres merveilles que les pyramides d’Égypte, les aqueducs romains, les cathédrales gothiques ; elle a mené à bien de tout autres expéditions que les invasions et les croisades.
 
La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux. Le maintien sans changement de l'ancien mode de production était, au contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures, la condition première de leur existence. Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l'époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de conceptions et d'idées antiques et vénérables, se dissolvent ; ceux qui les remplacent vieillissent avant d'avoir pu s'ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d'envisager leurs conditions d'existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés. 

Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s'implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations. 

Par l'exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l'industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de nouvelles industries, dont l'adoption devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations civilisées, industries qui n'emploient plus des matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les plus lointaines, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du globe. À la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux, naissent des besoins nouveaux, réclamant pour leur satisfaction les produits des contrées et des climats les plus lointains. À la place de l'ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations. Et ce qui est vrai de la production matérielle ne l'est pas moins des productions de l'esprit. Les œuvres intellectuelles d'une nation deviennent la propriété commune de toutes. 

L'étroitesse et l'exclusivisme nationaux deviennent de jour en jour plus impossibles et de la multiplicité des littératures nationales et locales naît une littérature universelle
 
Par le rapide perfectionnement des instruments de production et l'amélioration infinie des moyens de communication, la bourgeoisie entraîne dans le courant de la civilisation jusqu'aux nations les plus barbares. Le bon marché de ses produits est la grosse artillerie qui bat en brèche toutes les murailles de Chine et contraint à la capitulation les barbares les plus opiniâtrement hostiles aux étrangers. Sous peine de mort, elle force toutes les nations à adopter le mode bourgeois de production ; elle les force à introduire chez elle la prétendue civilisation, c'est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle se façonne un monde à son image. 

La bourgeoisie a soumis la campagne à la ville. Elle a créé d'énormes cités ; elle a prodigieusement augmenté la population des villes par rapport à celles des campagnes, et par là, elle a arraché une grande partie de la population à l'abrutissement de la vie des champs. De même qu'elle a soumis la campagne à la ville, les pays barbares ou demi-barbares aux pays civilisés, elle a subordonné les peuples de paysans aux peuples de bourgeois, l'Orient à l'Occident. 

La bourgeoisie supprime de plus en plus l'émiettement des moyens de production, de la propriété et de la population. Elle a aggloméré la population, centralisé les moyens de production et concentré la propriété dans un petit nombre de mains. La conséquence totale de ces changements a été la centralisation politique. Des provinces indépendantes, tout juste fédérées entre elles, ayant des intérêts, des lois, des gouvernements, des tarifs douaniers différents, ont été réunies en une seule nation, avec un seul gouvernement, une seule loi, un seul intérêt national de classe, derrière un seul cordon douanier. 

La bourgeoisie, au cours de sa domination de classe à peine séculaire, a créé des forces productives plus nombreuses ; et plus colossales que l'avaient fait toutes les générations passées prises ensemble. La domestication des forces de la nature, les machines, l'application de la chimie à l'industrie et à l'agriculture, la navigation à vapeur, les chemins de fer, les télégraphes électriques, le défrichement de continents entiers, la régularisation des fleuves, des populations entières jaillies du sol - quel siècle antérieur aurait soupçonné que de pareilles forces productives dorment au sein du travail social ? 

Voici donc ce que nous avons vu : les moyens de production et d'échange, sur la base desquels s'est édifiée la bourgeoise, furent créés à l'intérieur de la société féodale. À un certain degré du développement de ces moyens de production et d'échange, les conditions dans lesquelles la société féodale produisait et échangeait, l'organisation féodale de l'agriculture et de la manufacture, en un mot le régime féodal de propriété, cessèrent de correspondre aux forces productives en plein développement. Ils entravaient la production au lieu de la faire progresser. Ils se transformèrent en autant de chaînes. Il fallait les briser. Et on les brisa. 

À sa place s'éleva la libre concurrence, avec une constitution sociale et politique appropriée, avec la suprématie économique et politique de la classe bourgeoise. 

Nous assistons aujourd'hui à un processus analogue. Les conditions bourgeoises de production et d'échange, le régime bourgeois de la propriété, la société bourgeoise moderne, qui a fait surgir de si puissants moyens de production et d'échange, ressemblent au magicien qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu'il a évoquées. Depuis des dizaines d'années, l'histoire de l'industrie et du commerce n'est autre chose que l'histoire de la révolte des forces productives modernes contre les rapports modernes de production, contre le régime de propriété qui conditionnent l'existence de la bourgeoisie et sa domination. Il suffit de mentionner les crises commerciales qui, par leur retour périodique, menacent de plus en plus l'existence de la société bourgeoise. Chaque crise détruit régulièrement non seulement une masse de produits déjà créés, mais encore une grande partie des forces productives déjà existantes elles-mêmes. Une épidémie qui, à toute autre époque, eût semblé une absurdité, s'abat sur la société, - l'épidémie de la surproduction. La société se trouve subitement ramenée à un état de barbarie momentanée ; on dirait qu'une famine, une guerre d'extermination lui ont coupé tous ses moyens de subsistance; l'industrie et le commerce semblent anéantis. Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d'industrie, trop de commerce. Les forces productives dont elle dispose ne favorisent plus le régime de la propriété bourgeoise ; au contraire, elles sont devenues trop puissantes pour ce régime qui alors leur fait obstacle ; et toutes les fois que les forces productives sociales triomphent de cet obstacle, elles précipitent dans le désordre la société bourgeoise tout entière et menacent l'existence de la propriété bourgeoise. Le système bourgeois est devenu trop étroit pour contenir les richesses créées dans son sein. Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ? D'un côté, en détruisant par la violence une masse de forces productives ; de l'autre, en conquérant de nouveaux marchés et en exploitant plus à fond les anciens. À quoi cela aboutit-il ? À préparer des crises plus générales et plus formidables et à diminuer les moyens de les prévenir. Les armes dont la bourgeoisie s'est servie pour abattre la féodalité se retournent aujourd'hui contre la bourgeoisie elle-même. 

Référence.

 Karl Marx, Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, (1848), Première partie : Bourgeois et prolétaires, Paris, Éditions Sociales, 1977.