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lundi 27 mars 2017

L'État chrétien et la société chrétienne, selon Mgr de Salinis, 1865


                                    1798-1861

Les peuples barbares sont devenus chrétiens. Quelle est la conséquence nécessaire de leur conversion ? 

La loi divine, manifestée par Jésus-Christ, est reconnue comme règle des actions individuelles, des actes du pouvoir, des lois, en tout ce qui touche à la conscience, à la morale.

L'Église est reconnue comme le juge naturel de la loi de Dieu en toutes ses applications. Le système social du moyen âge peut donc se résumer en un mot : le règne de Jésus-Christ par l’Église ; Christus vincit ; Christus regnat ; Christus imperat [Le Christ vainc ; le Christ règne ; le Christ commande].

De cette vue générale, descendons au détail.

Jésus-Christ règne dans la famille, et l'Église maintient son autorité divine contre les agressions de la force et les défaillances de la faiblesse.

Jésus-Christ n'entre pas au foyer domestique comme un usurpateur ; il ne vient pas établir son trône sur les débris d'une autorité légitime vaincue ; il ne dit pas au père : « Ce n'est plus toi, c'est moi qui régnerai ; remets dans mes mains le sceptre que tu as porté jusqu'à présent et dont tu n'as que trop abusé. »

Non. Laissant le père à sa place, il ouvre devant lui l'Évangile, et lui en expliquant l'esprit, il lui dit : « Tu es maintenant roi dans la limite de ton foyer, de ton champ, comme Dieu est roi de l'univers, et au même titre, car ta paternité est une participation de la paternité de Dieu... »

Le père devient ainsi, au sein de la famille, le représentant de Dieu, son ministre ; la loi divine est le titre et la règle de son autorité.

Le père est prêtre aussi, en ce sens qu'il doit résumer dans son cœur et offrir à Dieu les hommages de tous les siens.

De ce double titre découlent ses devoirs. Comme père, il doit commander ; comme prêtre, il doit obéir à Dieu et s'immoler.

Jésus-Christ ouvre aussi son Évangile devant la femme, ou plutôt il lui fait lire dans son propre cœur ses droits et sa dignité. « De même, lui dit-il, que j'ai aimé l'Église mon épouse, et que j'ai versé mon sang pour elle, de même vous devez trouver dans le cœur de vos maris amour et dévouement ; vous n êtes plus les enfants de l'esclavage mais de la liberté; ne consentez donc plus à porter un joug qui n'est pas fait pour vous, mais élevez-vous à la hauteur d'une nouvelle mission. »

En même temps qu'il leur révèle par ses sublimes enseignements leurs droits méconnus, le Christ leur enseigne les vertus qui doivent orner leur front d'épouses et de mères, et il leur communique les grâces nécessaires pour s'élever à la hauteur de leur sublime dignité.

Il semble même que la femme reçoive une effusion plus abondante de l'esprit chrétien, car on la voit donner au monde étonné l'exemple des plus admirables vertus.

Aussi, après quelques siècles de christianisme, la femme n'était plus cet être que nous avons vu si abject et si méprisé dans l'antiquité ; elle était devenue comme quelque chose de sacré ; on l'entourait d'une sorte de vénération religieuse.

L'amour, qui chez les peuples païens était le principe de la dégradation de l'homme, par lequel il se ravalait jusqu'à, la brute, sanctifié, ennobli par le christianisme, devint le principe de l'une des plus grandes et des plus nobles institutions.

Sans doute, il s'est glissé dans la chevalerie des abus, comme il s'en est glissé dans toutes les institutions humaines, mais ce n'en était pas moins un beau et admirable spectacle de voir, sous l'influence de l'esprit chrétien, la force au service de la faiblesse, le sacrifice et le dévouement faisant toujours sentinelle autour des êtres qui demandaient appui et protection.

Nous ne voudrions d'autre preuve de la noblesse des sentiments qui animaient la chevalerie que cette protestation muette du bon sens populaire conservé dans le langage, malgré le ridicule et l'ironie dont on a essayé de les couvrir. Est-ce qu'aujourd'hui encore quand on veut parler d'un amour pur, désintéressé, généreux, on ne dit pas un amour chevaleresque ?

Mais ce n'était pas assez de proclamer les droits de la femme et des enfants, et de constituer la famille tout entière sur la base chrétienne, il fallait maintenir cet ordre contre tout ce qui tendait à le détruire.

Or, quel moyen plus efficace que rétablissement d'un tribunal extérieur, investi d'une autorité supérieure et possédant les moyens de la faire respecter. Ce tribunal, c'était l'Église. L'histoire impartiale raconte avec quelle inflexible vigueur les souverains pontifes, dépositaires de cette autorité divine, maintinrent contre les brutales passions des princes et des particuliers l'unité et l'indissolubilité du lien conjugal.

Leur sage fermeté contint, pendant tout le moyen âge, le torrent des mœurs païennes toujours prêt à déborder ; et empêcha ainsi que l'esclavage, l'oppression de la femme rentrât dans la société domestique à la suite de la polygamie, du divorce ou du concubinage.

Jamais, dit de Maistre, les Papes, et l'Église en général, ne rendirent de service plus signalé au monde que celui de réprimer chez les princes, par l'autorité des censures ecclésiastiques, les accès d'une passion terrible, même chez les hommes doux, mais qui n'a plus de nom chez les hommes violents, qui se jouera constamment des plus saintes lois du mariage, partout où elle sera à l'aise. 

L'amour, lorsqu'il n'est pas apprivoisé jusqu'à un certain point par une extrême civilisation, est un animal féroce, capable des plus horribles excès. Si l'on ne veut pas qu'il dérobe tout, il faut qu'il soit enchaîné, et il ne peut l'être que par la terreur : mais que fera-t-on craindre à celui qui ne craint rien sur la terre ! 

La sainteté des mariages, base sacrée du bonheur public, est surtout de la plus haute importance dans les familles royales où les désordres d'un certain genre ont des suites incalculables, dont on 'est bien loin de se douter. 

Si, dans la jeunesse des nations septentrionales, les Papes n'avaient pas eu le moyen d'épouvanter les passions souveraines, les princes, de caprices en caprices et d'abus en abus, auraient fini par établir en loi le divorce, et peut-être la polygamie ; et le désordre se répétant, comme il arrive toujours, jusque dans les dernières classes de la société, aucun œil ne saurait plus apercevoir où se serait arrêté un tel débordement . (…) Qu'on eût laissé faire les princes du moyen âge, et bientôt on eût vu les mœurs des païens. 

L'Église même, malgré sa vigilance et ses efforts infatigables, et malgré la force qu'elle exerçait sur les esprits dans les siècles plus ou moins reculés, n'obtenait cependant que des succès équivoques et intermittents. Elle n'a vaincu qu'en ne reculant jamais [Joseph de Maistre, Du pape, livre 2, chapitre 7, article 1]. 

Jésus-Christ règne dans la société publique, et l'Église maintient et affermit sa domination.

On peut dire sans exagération qu'avant que l'Église n'intervint pour former le monde nouveau, il n'existait pas de société publique proprement dite, parce qu'il n'existait pas d'autorité extérieure chargée de promulguer les droits mutuels des souverains et des sujets, et de les faire respecter. C'est l'Église qui a créé là société publique, en constituant le pouvoir et la liberté.

Dès que l'Église put faire comprendre aux barbares convertis les admirables rapports que l'Évangile a établi entre les hommes, ou voit s'élever, sur le berceau de la société chrétienne, cette grande et douce image de Dieu, cette haute paternité sociale, que nous avons nommée la royauté.

La royauté chrétienne est une des créations les plus merveilleuses de la religion de Jésus-Christ ; on ne trouve rien qui lui ressemble chez les anciens peuples, pour qui le nom de roi était synonyme de tyran.

La royauté chrétienne est une délégation divine, la puissance de Dieu représentée dans l'ordre temporel ; et il ne faut pas moins que cela pour se faire obéir de l'homme, depuis que l'Évangile lui a dit le secret de sa céleste origine et de ses immortelles destinées, depuis que la religion lui a appris que, fait à l'image de Dieu, il est resté trop grand, même dans sa déchéance, pour obéir à un autre qu'à Dieu. 

Effacez sur le front du souverain la mystérieuse auréole où se trouve le titre de son autorité, faites évanouir cette ombre du ciel qui se réfléchit sur le trône, et le chrétien ne comprend plus des hommages qui n'ont que l'homme pour objet, qui ne remontent pas jusqu'à Dieu.

La royauté chrétienne ce n'est pas seulement Dieu représenté dans l'ordre temporel : c'est autre chose encore. Le Père céleste se communique au monde par son Fils : c'est donc en Jésus-Christ que le monde chrétien chercha la source d'où découle le pouvoir des rois.

Le roi, c'est l'image du Christ : sa vie, comme celle de l'Homme-Dieu, c'est un long sacrifice, qui pourra, nous le savons, se consommer sur le Calvaire, d'où ses dernières prières s'élèveront vers le ciel, mêlées avec la voix de son sang, pour appeler la miséricorde de Dieu, jusque sur ses bourreaux.

Après cela, faut-il s'étonner des merveilleux caractères de l'obéissance chrétienne et des choses prodigieuses que l'histoire nous raconte de l'amour des peuples catholiques pour leurs rois, sentiment d'un ordre à part, que l'antiquité n'avait pas pu connaître, qui avait sa racine dans ce que la nature a de plus intime et dans ce que la foi a de plus divin, puisqu'il était tout ensemble et une piété filiale, et, pour emprunter la belle expression de Tertullien, « la religion de la seconde majesté » ; ce qui explique comment il n'a pas produit seulement des héros, mais il a pu encore enfanter des martyrs.

À côté du pouvoir, l'Église constitua la liberté. La liberté est un droit naturel à l'homme, et cependant l'amour de la liberté est un fruit du christianisme, parce qu'il naît du sentiment de la dignité humaine que l'Évangile seul nous révèle.

Nous en avons déjà fait la remarque, en discutant une assertion de M. Guizot, l'élément de la personnalité qui entre dans l'organisation de la civilisation moderne n'est pas venu des forêts de la Germanie, il est né sur le sol chrétien. C'est en versant son sang que Jésus-Christ a procuré au monde la vraie liberté : Christus nos liberavit [Le Christ nous a libéré] ; c'est à cette source divine que les peuples modernes ont puisé ce sentiment de liberté qui les élevait au-dessus de toute domination despotique. 

De quelle liberté ne jouissaient pas, en effet, les peuples du moyen âge, ils pouvaient élever fièrement la tête, car ils n'étaient tenus d'obéir qu'à un pouvoir légitime, c'est-à-dire, à Dieu, ou à un pouvoir délégué par lui, et ils pouvaient faire tout ce qui n'était pas interdit par la loi de Dieu ou par l'intérêt général de la société. La liberté, au moyen âge, n'était pas seulement inscrite dans les codes, mais elle existait dans les mœurs, dans les institutions, dans tous les détails de la vie, on ne parlait pas de liberté, mais on en jouissait, et on en jouissait avec d'autant plus de sécurité que l'on sentait cette possession assurée par l'autorité la plus haute et la plus sacrée : l'autorité de l'Église.

Cependant la vigilance de l'Église ne pouvait empêcher toutes les entreprises du despotisme, et, par le fait, elle ne les empêcha pas. On vit même, parmi les princes chrétiens, des tyrans qui, au lieu d'être les ministres de Dieu pour le bien, n'étaient que des ministres de Sa!an pour le mal. Ce mal était-il sans remède ?

Dans l'organisation catholique il y avait un remède d'une application facile et efficace. Où était le titre de souverain ? Où était le fondement de l'obéissance des sujets? Dans la loi de Dieu. Or, quel était l'interprète de la loi de Dieu? L'Église.

L'Église intervenait donc. Elle intervenait, non comme usant d'un droit temporel qu'elle n'a pas, mais comme décidant une question de l'ordre spirituel, de cet ordre où se trouve la raison et la règle des droits sur lesquels reposent les intérêts temporels des sociétés. Elle intervenait comme elle intervient dans toutes les affaires humaines, du moment que la conscience, que la loi de Dieu se trouve mêlée à ces affaires.

Elle intervenait comme elle intervient dans ce contrat suspect d'usure, dans cet achat, dans cette vente qui ont éveillé les remords de votre conscience, et que vous soumettez à l'autorité spirituelle dans le tribunal de la pénitence.

Elle intervenait comme elle intervient dans cette question d'autorité paternelle, qu'un fils opprimé par les caprices ou par les volontés injustes de son père, vient soumettre à son confesseur.

Et cette intervention divine loin d'affaiblir le respect dû à la souveraineté faisait reluire son caractère sacré, même lorsqu'elle tournait contre le souverain ; car il apparaissait bien que le pouvoir vient d'en haut, qu'il est fondé sur la loi de Dieu, puisque l'autorité seule chargée d'interpréter la loi do Dieu peut prononcer sur les abus du pouvoir.

Ainsi, l'homme qui était roi était-il condamné, la royauté sortait plus sacrée de cette condamnation, et là se trouve l'intérêt de la société. Car que lui importent les hommes, qui, aussi bien, passent, chassés par la mort, c'est le pouvoir qu'il s'agit de conserver inviolable, immortel.

L'Église intervenait d'ailleurs avec le caractère propre de son autorité, une douceur conciliatrice, une sage lenteur, un désintéressement, une justice puisée dans la foi, dans l'Évangile, comme dans une source sacrée, avec des vertus,en un mot, avec toutes les garanties d'un jugement équitable.

Elle intervenait enfin en se renfermant dans ses limites, c'est-à-dire ne décidant qu'une question d'ordre spirituel, ne pouvant donner à ces décisions qu'une sanction spirituelle, nulle force matérielle, extérieure, coactive ; donc point de crainte que ce grand pouvoir vienne se substituer au pouvoir qu'il dépouille.

On peut repousser cette organisation, la trouver mauvaise; mais il est facile de la justifier, et plus facile encore de démontrer qu'en la rejetant on ne trouvera rien de meilleur à lui substituer.

Au nom de quels principes déclarerait-on mauvaise l'intervention de l'Église? Est-ce au nom des principes catholiques ? Mais, dirons-nous à ceux qui nous objecteraient l'Évangile : Pouvez-vous nier que la société soit fondée sur la loi de Dieu, en ce sens que le droit de commander et le devoir d'obéir, fondement de l'ordre social, émanent de la loi divine ? Que faites-vous donc de tous ces passages de nos saints livres : Per me reges regnant et legum conditores justa decernunt [« Par moi, règnent les rois et les législateurs ordonnent la justice », Proverbes 8, 15]... Reddite quæ sunt Cæsaris Cæsari [« Rendez à César les choses qui sont à César », Matthieu 22, 21]...

En présence de témoignages si formels, il n'y a pas de milieu : ou vous reconnaissez le droit de l'Église, ou vous chasserez la conscience de la société humaine ; car, pour le christianisme, il n'y a point d'autre principe, point d'autre règle de la morale et de la conscience que la loi de Dieu.

Direz-vous que l'application de la loi de Dieu en tant qu'elle règle les droits et les devoirs mutuels des souverains et des sujets ne peut jamais être douteuse, qu'il ne peut jamais s'élever à cet égard aucune question embarrassante pour la conscience des peuples.

Mais l'histoire, mais le bon sens disent le contraire. Et pour écarter tout ce qui peut être sujet à discussion, vous avez beau proclamer ce grand principe de l'infaillibilité, de l'inamissibilité du pouvoir, l'histoire vous dément : car que nous montre-t-elle Des révolutions qui précipitent d'anciennes dynasties, qui en élèvent de nouvelles, des rois qui s'endorment sur leur trône et qui finissent par tomber, d'autres rois que des fautes, des crimes qui violent les conditions fondamentales de l'ordre social dépouillent...

Si le droit de souveraineté est inamissible, s'il ne peut pas passer d'une dynastie à une autre dynastie, il n'y a pas au monde une seule dynastie légitime, pas un souverain qui ait le droit de se faire obéir.

Si le droit de souveraineté, et par conséquent le devoir d'obéir, peut se déplacer, où est la règle qui dirigera la conscience des peuples au milieu de ces déplacements ? Les événements, direz-vous ? Fort bien. Mais, pendant que les événements marchent, et légitiment peu à peu ce qui était illégitime à l'origine, qui avertira la conscience publique, qui leur dira le moment ou ils ont assez marché ?

Où est l'autorité qui décidera ces doutes ? Le souverain : mais il s'agit de savoir quel est le souverain. Le peuple : mais si vous donnez la plus petite chose au jugement de la multitude, à l'instant vous lui abandonnez tout, car si ces questions sont de la compétence du peuple, qui dira au peuple : « Vous vous êtes trompé. » ?

C'est-à-dire que vous nous ramenez à l'état social des anciens peuples, et à toutes les conséquences de cet état social ; et à des conséquences pire encore, car le christianisme, en révélant à l'homme sa dignité, n'aura fait que développer un sentiment de liberté funeste, parce qu'il n'aura pas de règle.

Serait-ce au nom du droit naturel, qui sauvegarde l'indépendance de la société temporelle ? Mais ou ce droit naturel est conforme à la loi de Dieu, et dès lors il n'y a plus lieu à objection comme nous venons de le démontrer, ou il lui est opposé, et c'est le cas de répéter avec Bossuet : «Il n'y a pas de droit contre le droit. »

Que signifie, du reste, cette prétendue indépendance de la société temporelle ? Est-ce qu'il peut exister une société sans un lien moral qui unisse tous les membres qui la composent ; et ou trouver en dehors de la loi divine un principe d'obligation ?

L'autorité de Jésus-Christ par son Église étant universellement reconnue, tous les peuples chrétiens ne formaient plus qu'une grande famille unie pour défendre les intérêts communs. C'est ici un des côtés admirables du monde formé par le christianisme. 

L'Église forma, de tous les peuples sauvages qui s'étaient jettes sur le monde romain pour le détruire, et qui étaient divisés entre eux par tout ce qu'il y a d'insociable dans les instincts et les passions de la barbarie, un faisceau unique ; elle cimenta leur union par l'introduction d'un nouveau droit des gens qui tempérait, suivant la remarque de Montesquieu, ce que le droit ancien avait d'impitoyable ; elle combattit dans son principe le patriotisme étroit et exclusif, qui proscrivant non-seulement la pitié, mais la justice, le droit aux frontières de chaque nationalité, faisait de la guerre l'état permanent de la société.

Si rien n'était venu contrarier l'action de l'Église, la fusion de tous les peuples, qui nous apparaît aujourd'hui comme le rêve de quelques utopistes dangereux, se fut opérée graduellement.

Un événement qui occupe dans l'histoire une place importante peut nous servir à apprécier jusqu'à quel point l'Église avait réussi à rapprocher les peuples chrétiens. Au moment où l'Europe commençait à s'affermir et à jouir des bienfaits du christianisme, un cri d'effroi a retenti. Le croissant s'est montré menaçant aux frontières de la république chrétienne. Sentinelles vigilantes, les souverains pontifes signalent le danger; leur voix puissante remue l'Europe, « semble l'arracher à ses fondements et la précipite en armes contre l'Asie. »

Quel admirable spectacle que celui de l'Europe entière se levant à ce mot : « Dieu le veut. » Tous les peuples chrétiens sont là, mêlés, confondus, n'ayant qu'une pensée, qu'une aspiration : repousser loin du territoire chrétien ces populations fanatiques dont les croyances et les mœurs sont opposées à l'Évangile. Si les historiens philosophes du dernier siècle ont pu méconnaître la grandeur, la légitimité du mouvement des croisades, aujourd'hui, il n'y a pas un esprit sérieux, en dehors même du point de vue catholique, qui ne rende justice à l'immense service que les souverains pontifes rendirent à la civilisation.

La société musulmane, qui, pendant quelque temps, avait répandu un certain éclat portait en elle-même un double principe de mort ; le dogme du fatalisme, la concentration du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel dans les mêmes mains. Si l'Europe ne s'était levée, c'en était fait de la civilisation, la barbarie l'emportait. 


Référence

Mgr Louis-Antoine de Salinis, La divinité de l'Église, tome 4, Tolra et Haton. Éditeurs, Paris, 1865, p. 112. 

URL source de l'image : http://www.liberius.net/images_files/page19-1013-full.jpg.
 

dimanche 19 mars 2017

Un certain nudisme dans le sport, ni nécessaire, ni convenable, Pie XII, 1952


Eugenio Pacelli, dit Pie XII (1876-1958)
Un Congrès scientifique du Sport et de l’Éducation physique avait réuni à Rome, 800 participants. 

Recevant ceux-ci en son palais de Castel Gandolfo, le Saint-Père s'exprima comme suit :

(…) La Révélation nous enseigne donc au sujet du corps de l'homme de sublimes vérités, que les sciences naturelles et l'art sont incapables de découvrir par eux-mêmes, vérités qui confèrent au corps une nouvelle valeur et une dignité plus élevée et par conséquent un plus haut motif à mériter le respect.

Le sport et la gymnastique n'ont certainement rien à craindre de ces principes religieux et moraux correctement appliqués ; il faut toutefois exclure certaines formes qui sont en opposition avec le respect indiqué à l'instant.

La saine doctrine enseigne à respecter le corps, mais non à l'estimer plus qu'il n'est juste. Le principe est celui-ci : soin du corps, accroissement de vigueur du corps, oui ; culte du corps, divinisation du corps, non, pas plus que divinisation de la race et du sang avec leurs présupposés somatiques ou leurs éléments constitutifs.

Le corps n'occupe pas chez l'homme la première place ; ni le corps terrestre et mortel, tel qu'il existe maintenant, ni le corps glorifié et spiritualisé, tel qu'il sera un jour. Ce n'est pas au corps, tiré du limon de la terre, que revient le primat dans le composé humain, mais à l'esprit, à l'âme spirituelle.

Non moins importante est une autre règle fondamentale contenue aussi dans un passage de la Sainte Écriture. On lit en effet dans la lettre de S. Paul aux Romains : « Je vois dans mes membres une autre loi, qui s'oppose à la loi de mon esprit et me rend esclave de la loi du péché qui est dans mes membres » (Romains 7, 23).

On ne pourrait décrire de façon plus vivante le drame quotidien dont est tissée la vie de l'homme. Les instincts et les forces du corps se font sentir, et, étouffant la voix de la raison, l'emportent sur les énergies de la bonne volonté depuis le jour où leur pleine subordination à l'esprit fut perdue par le péché originel.

Dans l'usage et l'exercice intensifs du corps, il faut tenir compte de ce fait. De même qu'il y a une gymnastique et un sport qui, par leur austérité, concourent à réfréner les instincts, ainsi il existe d'autres formes de sport qui les réveillent, soit par la force violente, soit par les séductions de la sensualité.

Du point de vue esthétique aussi, par le plaisir de la beauté, par l'admiration du rythme dans la danse et dans la gymnastique, l'instinct peut insinuer son venin dans les âmes.

Il y a en outre dans le sport et dans la gymnastique, dans les exercices rythmiques et dans la danse, un certain nudisme qui n'est ni nécessaire ni convenable. Ce n'est pas sans raison qu'il y a quelques décades un observateur tout à fait impartial devait avouer : « Ce qui dans ce domaine intéresse la masse, ce n'est pas la beauté de la nudité, mais la nudité de la beauté ». À une telle manière de pratiquer la gymnastique et le sport, le sens religieux et moral oppose son veto.

En un mot, le sport et la gymnastique doivent non pas commander et dominer, mais servir et aider. C'est leur fonction, et c'est là qu'ils trouvent leur justification.(...)

Référence

Pie XII, Discours aux professeurs d'éducation physique, 8 novembre 1952, in Documents de S. S. Pie XII, 1952, p. 516-517.


samedi 18 mars 2017

Le laisser-aller et l'immodestie de la tenue conduit à l'impureté, épiscopat du Québec, 1946


Jean-Marie Rodrigue cardinal Villeneuve (1883-1947)
(…) 9. C'est d'abord dans la tenue en général que se manifeste le laisser-aller qui, trop souvent, hélas, conduit à l'impureté.

Que de personnes sont esclaves de ces modes qui ignorent les règles élémentaires de la modestie et qui constituent parfois une provocation directe au mal.

10. Grâce à Dieu, les femmes chrétiennes de nos milieux ne paraissent à l'église et, généralement dans les assemblées publiques, que décemment vêtues. De même il nous plaît de constater que la plupart des femmes vont sur la rue convenablement mises. 

Mais que sera-ce demain, si l'on songe à la vogue croissante de « ces vêtements si exigus ou tels qu'ils semblent faits plutôt pour mettre davantage en relief ce qu'ils devraient voiler », comme l'observe Pie XII (1).

Trop de jeunes filles acceptent facilement les raccourcis indécents, parfois provocateurs, les décolletés audacieux où elles ont parfois l'impudence de placer la croix de Notre-Seigneur, Maître de pureté !

Trop d'entre elles s'exhibent en « shorts », encore timidement sur la rue, mais avec sans-gêne au jeu ! Souvent elles réduisent encore leur costume de plage. Immodestes de leur nature même, ces vêtements doivent être bannis de nos mœurs, même dans les sports (2). 

Notons de plus que le port du pantalon sous le moindre prétexte, ou, ce qui est pire, dans le but de s'exhiber en public, n'est pas digne d'une vraie chrétienne.

11. Au déshabillé et au laisser-aller de la vie en plein air s'ajoute l'usage déplorable et trop répandu chez des chrétiennes même pratiquantes de circuler à l'intérieur de leur foyer dans le plus léger accoutrement. Comme on est loin des délicatesses de nos mères chrétiennes d'autrefois !

12. On plaindrait les femmes de mœurs douteuses qui accepteraient ces raccourcis, ces décolletés, ces déshabillés. Mais qu'une chrétienne, une épouse, une mère, une jeune fille, loin de réagir contre ces courants pervers, s'y engagent trop souvent à cœur joie, désapprennent peu à peu la modestie, l'ignorent, la méprisent même, comment ne pas en être stupéfié et attristé jusqu'aux larmes !

13. L'homme lui-même n'échappe pas au goût de l'exhibition de sa chair : on va le torse nu en public, on porte un pantalon ou un maillot collant trop abrégé. On commet par là des infractions à la vertu de modestie, quand on n'est pas occasion de péché, en pensée ou en désir, pour le prochain.

14. Ce qui nous paraît plus grave encore, non certes comme provocation au mal, mais plutôt comme habitude néfaste et pouvant conduire très loin, c'est, dans le costume des fillettes, la robe trop écourtée, la nudité complète des bras et des jambes, quand cela ne va pas jusqu'à celle du torse.

Sans le savoir, ces pauvres enfants scandalisent ainsi, et souvent, leurs petits frères. Comment une mère chrétienne peut-elle l'oublier ? Si ces enfants aperçoivent dans la rue quelque soutane, signe du gardien de la modestie et de la morale, elles se hâtent de tirer ce qui leur reste de vêtement pour se couvrir.

Ces fillettes vieilliront. Pour être modestes, et souvent pour être pures, elles devront remonter tout un courant qui les a entraînées jusque là. Le pourront-elles vraiment ? Pauvres mères, vous violez, sachez-le, vos graves devoirs d'éducatrices.

15. L'immoralité se sert donc de la mode pour corrompre les âmes ; elle utilise aussi le sport, pourtant si utile et si nécessaire pour la santé du corps.

C'est une ruse de Satan de détourner de leur fin des jeux, des plaisirs, des divertissements, des amusements dont le but premier est de reposer le corps en rendant plus agréable la vie en société.

Satan se réjouit de ces « parties de sport qui se déploient dans des conditions de vêtements, d'exhibitions et de camaraderie inconciliables avec la modestie même la moins exigeante » (3)

De fait, on met tant de soin à créer pour le sport le vêtement qui déshabille ou qui séduit, et, à la vérité, sous les plus fallacieux prétextes ; on participe avec tant de sans-gêne à ces parties de plaisirs qui font des jeunes gens et des jeunes filles des compagnons de vie d'un jour, loin des yeux et des regards protecteurs ; la camaraderie devient vite familiarité déplacée, et, les liqueurs alcooliques aidant, la familiarité tourne en compagnonnage éhonté.

Ainsi les excursions, les parties de ski ou de chalet, l'exercice du patin sous toutes ses formes, d'autres amusements encore, deviennent directement ou indirectement des occasions de fautes d'autant plus alléchantes qu'elles se présentent sous le couvert d'un délassement de soi légitime.

(…)

42. Tel est donc le jugement du chrétien sur ce problème angoissant de l'immoralité moderne. Conscient de sa dignité d'homme et de chrétien, conscient des funestes conséquences de l'immoralité sur la famille et la société civile, il estime à un haut prix la belle vertu de pureté et il la pratique selon les exigences de son état de vie.

Il comprend que la morale est supérieure au plaisir et à la mode, qu'il est des limites qu'il n'est jamais permis de franchir sans faire injure à sa conscience et à sa foi. Pour lui, la moralité, et spécialement la pureté, sont des trésors qu'il importe de protéger contre toute violation. En les protégeant, par tous les sacrifices nécessaires, il a la joie d'accroître la gloire de l’Église sa Mère et la satisfaction d'aider ses frères.

(…)

51. La lutte est donc inévitable. Vous l'accepterez courageusement, et pour en sortir victorieux, vous surveillerez les occasions de péché, vous les éviterez avec la grâce de Dieu : vous n'entretiendrez pas de pensées mauvaises, vous ne réchaufferez aucun désir inavouable, vous fuirez les mauvaises compagnies, vous refuserez de laisser corrompre votre esprit par une littérature obscène et des illustrations provocatrices, vous conserverez votre cœur ferme et droit en évitant les fréquentations risquées, les danses immorales, e cinéma corrupteur, les réunions sociales païennes, l'oisiveté, mère de tous les vices, et l'intempérance dans l'usage des boissons enivrantes.

En un mot, pour pratiquer la pureté, vous cultiverez la pudeur, qui est une crainte instinctive de 'âme aux premières approches du mal ; vous cultiverez la modestie, qui est la modération, le sens de la mesure, qui fait éviter habituellement tout ce qui est de nature à exciter en vous-mêmes et dans les autres la passion sexuelle. La pudeur et la modestie, tels sont les ornements et les gardiennes de la pureté.

(…)

57. Votre [celle de pères et mères de famille] action éducatrice s'exercera dès le bas âge, à cette période où se créent des habitudes qui influenceront toute la vie. De grâce, n'habituez pas vos enfants au déshabillé, nous oserions dire, au nudisme. « O mères chrétiennes, s'exclame le Souverain Pontife, si vous saviez quel avenir d'angoisses et de périls, de honte mal contenues, vous préparez à vos fils et à vos filles en les accoutumant imprudemment à vivre à peine couverts, et en leur faisant perdre le sens de la modestie, vous rougiriez de vous-mêmes et vous redouteriez l'injure que vous vous faites à vous-mêmes et le tort que vous causez aux enfants que le ciel vous a confiés pour les élever chrétiennement » (4).

Notes

(1) Pie XII, La Mode, Discours du 22 mai 1941, E.S.P. 

(2) Synode de Québec (1940), décret 102, note : « Que si l'on demande en quoi consiste un habit modeste et décent pour une chrétienne, on comprendra que c'est celui qui couvre la poitrine et les bras d'étoffes non transparentes, qui descend au moins à mi-jambe, et dont la coupe d'une ampleur convenable protège la pudeur en dissimulant les lignes du corps » (Cardinal Rouleau, 8 décembre 1930, Mandements des Évêques de Québec, vol. XIII, Supplément 45) [en fait : 36].

S.[on] E.[xcellence] le Cardinal Villeneuve, Communication de l'Archevêché de Québec contre les modes païennes, 27 juin 1945.

Semaine Religieuse de Québec, 57e année, n° 44, 5 juillet 1945. p. 690.

S. E. Mgr Arthur Douville, Mandements des Évêques de Saint-Hyacinthe, vol. XXI, p. 354.

(3) Pie XII, La Mode, Discours du 22 mai 1941, E.S.P.

(4) Pie XII, ibid.


Référence

Archevêques et évêques de la province de Québec, « Croisade de pureté », Lettre pastorale collective, n°114, 5 mai 1946 ; paru dans : Mandements, lettres pastorales et circulaires des évêques du Québec, volume 17, 1943-1954, Chancellerie de l'archevêché, Québec, 1955, p. 241-243 ; p. 253-254 ; p. 257 ; p. 259.

Contre les modes païennes, Mgr Villeneuve, 1945


Jean-Marie Rodrigue cardinal Villeneuve (1883-1947)
Son Éminence rappelle avec instance à tous les fidèles l'obligation grave de protéger les mœurs chrétiennes parmi nous.

À cet effet Son Éminence enjoint aux mères de familles de cultiver la pudeur chez les enfants, et de leur inculquer des habitudes de piété et de modestie qui fortifient en eux la précieuse vertu de pureté, condition de toute dignité humaine et rempart de la famille.

Il va de soi que tous les chrétiens devraient lutter contre l'envahissement des modes suggestives et des libertés immorales.

On doit noter que les vêtements appelés shorts ne sont pas admis par la décence chrétienne (1) même pour les lieux d'amusements.

* * *

Messieurs les Curés ne laisseront point entrer dans les églises les personnes qui ne seront point vêtues convenablement.

Celles qui ont des robes sans manches, trop ouvertes ou trop écourtées, doivent se revêtir d'un manteau avant de franchir le seuil de nos temples.

Puisque, selon l'Apôtre saint Paul, dans les églises les femmes ne doivent pas avoir la tête nue, elles devront porter un chapeau ou un voile qui leur couvre vraiment la tête. Une simple fleur ou un bandeau ne saurait suffire. 

27 juin 1945.
 

Note

(1) Cf. Synode de Québec (1940), décret 102, note : « Que si l'on demande en quoi consiste un habit modeste et décent pour une chrétienne, on comprendra que c'est celui qui couvre la poitrine et les bras d'étoffes non transparentes, qui descend au moins à mi-jambe, et dont la coupe d'une ampleur convenable protège la pudeur en dissimulant les lignes du corps » (Cardinal Rouleau, 8 décembre 1930. Mandements des Évêques de Québec, vol. XIII, Supplément 45 [en fait : 36]).

Référence

J.-M.-Rodrigue, cardinal Villeneuve, o.m.i., « Contre les modes païennes », in Circulaire au clergé, n°100, 31 décembre 1945 ; paru dans : Mandements, lettres pastorales et circulaires des évêques du Québec, volume 17, 1943-1954, Chancellerie de l'archevêché, Québec, 1955, p. 196-197

vendredi 17 mars 2017

L'indécence de la mode féminine et des danses modernes, selon Benoît XV, 1920


Giacomo della Chiesa, dit Benoît XV (1854-1914)
(…) À cet égard, Nous ne pouvons assez déplorer l'aveuglement de tant de femmes de tout âge et de toute condition : affolées par le désir de plaire, elles ne voient pas à quel point l'indécence de leurs vêtements choque tout homme honnête et offense Dieu.

La plupart eussent rougi autrefois de ces toilettes comme d'une faute grave contre la modestie chrétienne ; maintenant, il ne leur suffit pas de les produire sur les voies publiques ; elles ne craignent point de franchir ainsi le seuil des églises, d'assister au Saint Sacrifice de la messe, et même de porter jusqu'à la Table eucharistique, où l'on reçoit le céleste Auteur de la pureté, l'aliment séducteur des passions honteuses.

Et Nous ne parlons pas de ces danses exotiques et barbares récemment importées dans les cercles mondains, plus choquantes les unes que les autres : on ne saurait imaginer rien de plus propre à bannir tout reste de pudeur. (...)

En ce qui concerne particulièrement les Sœurs Tertiaires, Nous leur demandons d'être, par leur mise et tout l'ensemble de leur maintien, des modèles de sainte modestie pour les autres dames ou jeunes filles ; qu'elles soient bien convaincues que la meilleure manière pour elles d'être utiles à l’Église et à la société est de travailler à l'amélioration de la moralité. (...)


Version latine

(…) Qua in re satis equidem deplorare non possumus tot ex quavis aetate ac genere caecitatem mulierum, quae, studio placendi infatuatae, non vident quantum illa, qua utuntur, insania vestium non solum optimo cuique displiceant, sed Deum offendant.

Neque enim satis habent cum tali ornatu — quem plurimae earum olim exhorruissent, ut christianae modestiae nimis repugnantem — prodire in publicum, quin aedes sacras ingredi non verentur et in sacrorum celebritate versari, atque etiam ad ipsam mensam Eucharisticam, in qua divinus castimoniae auctor sumitur, foedarum déferre lenocinia cupiditatum.

Mittimus autem eas, quae nuper ex barbaria in hominum elegantium morem venerunt, alias alii deteriores saltationes, quibus nihil inveniri potest aptius ad omnem exuendam verecundiam. (...)

Tertiariae vero, quod ad eas praesertim attinet, sese in habitu alque in omni vitae cultu praebeant ceteris puellis matronisquae sanctae pudicitiae documentum; nec putent se melius de Ecclesia deque republica posse mereri quam corruptorum parando emendationem morum. (...)

Référence

Benoît XV, Lettre encyclique Sacra propediem, au sujet du septième centenaire de la fondation du Tiers-Ordre franciscain, 6 janvier 1921, in Actes de Benoît XV, tome III, Maison de la Bonne Presse, Paris, 1926, p. 57-58.

Le femme ne se fait jamais esclave, pas même de la mode, Pie XII, 1943


Eugenio Pacelli, dit Pie XII (1876-1958)


 

À l'occasion du 25e anniversaire de la fondation de l'Action catholique des jeunes filles italiennes venues lui demander ses conseils, le Saint-Père a adressé le discours suivant sur la transformation de la condition sociale de la femme dans le monde moderne, des dangers qu'elle lui fait courir et de la formation qu'elle exige.



 

(…) De la foi, si c'est une foi vive, procédera la pureté morale.

Au sujet du mystère de la vie et de ses sources naturelles, il faut entraîner la jeunesse à de saintes pensées, rappelant que la vie est œuvre du Créateur et considérant que le Christ a élevé le mariage à la dignité de sacrement et, par sa demeure dans le sein de la Vierge, a sanctifié la maternité et lui a conféré une si haute noblesse.

De là vous pouvez déduire quelle doit être l'attitude forte, active, constante de la jeune fille catholique contre les publications et représentations où ne se trouvent qu'audacieuse sensualité, intrigues et violations de la fidélité conjugale, paroles équivoques, quand ce ne sont pas des scènes impudentes et provocantes.

Pour s'opposer à de pareilles manifestations qui, au moins dans beaucoup de cas, sont en même temps une transgression des lois sages de l’État, il y a toujours une arme puissante : l'abstention absolue.

Si déjà votre travail, votre apostolat auprès de la jeunesse, votre zèle et votre prudence obtenaient ce résultat, vous remporteriez une grande victoire qui couronnerait vos efforts pour la sauvegarde et la sainteté du mariage et donc pour le bien même de votre pays.

Éduquez donc la jeunesse féminine catholique dans cette haute et sainte dignité où gît une si forte et solide préservation de l'intégrité physique et spirituelle. Cette vertueuse et indomptable dignité et fierté est d'un grand prix pour l'esprit qui ne se laisse pas réduire en esclavage ; qui renforce la vigueur morale de la femme, laquelle, dans son intégrité, ne se donne qu'à son mari pour la fondation d'une famille ou à Dieu ; et qui voit son mérite et sa gloire dans la vocation surnaturelle et éternelle, comme saint Paul l'écrivait déjà aux premiers chrétiens : ''Empti estis pretio magno. Glorificate et portate Deum in corpore vestro'', « vous avez été achetés à un prix très élevé. Glorifiez donc Dieu et portez-le dans votre corps » (1 Corinthiens 6,20).

Dignité et liberté de la femme qui ne se fait jamais esclave, pas même de la mode ! C'est un sujet délicat, mais urgent, où votre action incessante se promettra d'heureux et bienfaisants succès.

Cependant, votre zèle contre les vêtements et la tenue immodestes ne doit pas seulement être une réprobation, mais une édification, montrant pratiquement au monde féminin comment une jeune fille peut bien harmoniser, dans sa toilette et son comportement, les lois supérieures de la vertu avec les normes de l'hygiène et de l'élégance.

Il faut espérer qu'une bonne partie des femmes italiennes, celles du moins, et elles sont nombreuses, qui se sont conservées saines de pensée et de cœur, ne tarderont pas et n'hésiteront pas à suivre votre exemple. (...)

Référence

Pie XII, Discours aux jeunes filles de l'Action catholique italienne, 24 avril 1943.


Le danger des spectacles ou lectures romanesques, selon Pie XII, 1942


Eugenio Pacelli, dit Pie XII (1876-1958)

(…) D'une excessive liberté dans les spectacles et les divertissements à un relâchement d'esprit et de conscience dans les lectures, il n'y a qu'un pas.

Ici, outre les attraits que Nous venons de relever, entre en scène un appas plus subtil encore : l'amour tel que le décrivent les romans, cet amour qui semble si bien rendre les sentiments, légitimes certes, qu'éprouvent l'un pour l'autre les époux.

Le romancier, ses héros et ses héroïnes disent avec tant de vivacité, en des phrases si ferventes et si raffinées, ce qui même dans les entretiens les plus confidentiels ne saurait ou n'oserait s'exprimer avec pareille efficacité et avec la même flamme !

Si ces lectures apparemment avivent l'amour, en réalité elles excitent l'imagination et les sens, et l'esprit n'en est que plus faible encore et plus désarmé en face des immanquables tentations. Ces récits tour à tour d'infidélités, de fautes, de passions illégitimes ou violentes, il n'est pas rare qu'ils enlèvent à la mutuelle affection des époux quelque chose de sa pureté, de sa noblesse, de sa sainteté ; les vues et les sentiments chrétiens en sont faussés et l'amour conjugal se change en un amour purement sensuel et profane, oublieux de la haute fin des noces chrétiennes.

Lors même qu'ils n'auraient rien d'immoral ou de scandaleux, le fait de se nourrir habituellement de lectures et de spectacles romanesques établit la sensibilité, le cœur et l'imagination dans une atmosphère de fantaisie, dans une atmosphère étrangère à la vie réelle. Épisodes romanesques, aventures sentimentales, vie galante, facile, commode, capricieuse, brillante, qu'est-ce que tout cela, sinon des inventions fantaisistes d'auteurs qui ne surveillent point leur talent, ne se soucient nullement des difficultés économiques et ne se gênent pas de mettre leurs œuvres en contradiction sur d'innombrables points avec la réalité pratique et concrète ?

L'abus de pareilles lectures et de pareils spectacles, quand même, pris en particulier, ils ne seraient pas répréhensibles, finit par fausser le jugement et par tuer le goût de la vie réelle ; il ôte aux époux cette sagesse que développe en eux une vie délicieusement austère de travail, de sacrifice et d'attentive vigilance parmi les soucis d'une famille florissante et nombreuse.

Considérez, d'une part, le mari qui n'arrive point à gagner à la sueur de son front de quoi suffire à toutes les dépenses d'une vie de luxe ; et de l'autre, la femme qui, chargée d'enfants et de soucis, limitée dans ses moyens, ne saurait changer d'un coup de baguette magique son modeste foyer en un château de cartes de fées : dites si, à côté de ces fantaisies romanesques, ces journées toujours égales, vides d'événements extraordinaires, ne sembleront pas bien mesquines à ces époux.

Pour celui qui ne cesse de vivre dans un rêve doré, le réveil est trop amer, et la tentation trop vive de le prolonger, ce rêve, et de le continuer dans la vie réelle.

Que de drames d'infidélité ont leur origine là et pas ailleurs !

Et si, demeuré fidèle, l'un des époux pleure sans y rien comprendre les égarements du coupable toujours cher et toujours aimé, il est loin de soupçonner toute la part de responsabilité qui lui revient à lui-même dans ce glissement qui a fini par amener la chute.

Il ignore que, dès que l'amour conjugal vient à perdre sa sérénité, gage de sa santé, sa forte tendresse et sa sainte fécondité, pour ne plus ressembler qu'aux amours égoïstes et profanes, il est facilement tenté de rechercher ailleurs sa pleine jouissance. (…)

Référence

Pie XII, Discours aux jeunes époux, 18 novembre 1942 : 3e discours consacré à la « fidélité conjugale ».

Mode et modestie devraient aller ensemble, Pie XII, 1940


Eugenio Pacelli, dit Pie XII (1876-1958)

 
Le 6 octobre [1940], environ 20 000 jeunes filles appartenant à la Jeunesse féminine italienne d'Action catholique étaient rassemblées dans la cour Saint-Damase pour offrir leurs dons au Souverain Pontife et recevoir sa bénédiction.

Vivement ému, le Pasteur suprême prodigua à la vibrante assemblée ses directives et ses encouragements dans le discours que voici :

(…)

4. — Linge d'autel, nappes d'autel, ces fins travaux sont sortis blancs et purs de vos mains ; blancs et purs ils serviront aux saints mystères qui ne supportent pas de contact impur. Regardez l'autel et le tabernacle : l'un entièrement recouvert d'une nappe de lin retombant sur les deux côtés ; l'autre voilé du conopée.

Vous donc qui revêtez si pieusement l'autel et la demeure de Jésus-Christ, n'oubliez jamais que vous portez Dieu en vous par la grâce qui revêt votre âme ; n'oubliez pas que cette divine présence fait, non seulement de votre âme, mais aussi de votre corps, un temple saint. 

« Ne savez-vous pas, écrivait l'apôtre saint Paul dans sa première lettre aux Corinthiens, que vos corps sont les membres du Christ ?... Ne savez-vous pas que vos membres sont le sanctuaire de l'Esprit Saint, qui habite en vous, auquel vous appartenez de la part de Dieu, sans plus vous appartenir à vous-mêmes  ? » (1 Corinthiens 6,15 et 19)

La pensée consciente de cette inhabitation divine, de cette incorporation au Christ, a fait naître et a développé à travers les siècles chez les peuples dociles à l’Évangile un religieux respect du corps qui se traduit dans un ensemble d'arrangement de la personne, des manières, du maintien, des paroles sagement réglées et mesurées : la modestie.

Et dès le commencement de l’Église le même apôtre voulait que les femmes portassent le voile dans les réunions sacrées et disait dès lors aux Corinthiens :

« Jugez-en donc par vous-mêmes : convient-il à la femme de prier Dieu la tête découverte ?... C'est une gloire pour la femme d'entretenir sa chevelure ; parce que les cheveux lui ont été donnés par manière de voile. » (1 Corinthiens 11,13 et 15)

Vous avez inscrit cette année en tête de vos projets et de vos initiatives la grande croisade de la pureté, cette pureté dont la gardienne est la modestie. Comme la nature a mis en chaque créature un instinct qui la pousse et la porte à défendre sa propre vie et l'intégrité de ses membres, ainsi la conscience et la grâce qui ne détruit pas mais perfectionne la nature, infusent dans les âmes comme un sens qui les met en garde vigilante contre les dangers qui menacent leur pureté.

Cela est spécialement caractérisé chez la jeune fille chrétienne. On lit dans la Passion des saintes Perpétue et Félicité, considérée à bon droit comme un des plus précieux joyau de l'ancienne littérature chrétienne, que, lorsque dans l'amphithéâtre de Carthage la martyre Vibia Perpétue lancée en l'air par une vache très féroce retomba dans l'arène, son premier soin et son premier geste furent de rajuster sa tunique, qui s'était déchirée, sur le flanc pour le recouvrir, plus attentive encore à la pudeur qu'à la douleur, pudoris potius memor quam doloris.

... et de la modestie.

Mode et modestie devraient bien aller et marcher ensemble comme deux sœurs, puisque les deux mots ont la même étymologie, du latin modus qui veut dire juste mesure, en deçà et au-delà de laquelle ne peut se trouver le juste ou le raisonnable (Horace, Sermones [Satires] I, 1, 106-107).

Mais la modestie n'est plus de mode ! Semblable à ces pauvres aliénés qui, ayant perdu l'instinct de la conservation et la notion du danger, se jettent dans le feu ou dans les fleuves, bien des âmes féminines, oublieuses dans leur ambitieuse vanité de la modestie chrétienne, courent misérablement au-devant des dangers où leur pureté peut trouver la mort. Elles subissent la tyrannie de la mode, même immodeste, d'une manière telle qu'elles paraissent n'en même plus soupçonner l'inconvenance ; elles ont perdu le sens même du danger, l'instinct de la modestie.

Aider ces malheureuses à reprendre conscience de leurs devoirs sera votre apostolat, votre croisade au milieu du monde : « Que votre modestie paraisse à tous les regards » (Philippiens 4,5).

Votre apostolat agira avant tout par l'exemple. Il appartiendra à votre très aimée présidente, à vos sages dirigeantes de vous apprendre comment, avant de porter un vêtement vous devez demander à votre conscience de quelle façon le jugera Jésus-Christ ; de vous avertir qu'avant d'accepter une invitation, vous devez considérer si votre invisible et céleste ange gardien pourra vous suivre en semblable rendez-vous sans se couvrir la face de ses ailes. Elles vous indiqueront quels spectacles, quelles compagnies, quelles plages vous devez éviter ; elles vous montreront comment une jeune fille peut être moderne, cultivée, sportive, pleine de grâce, de naturel et de distinction, sans se plier à toutes les vulgarités d'une mode malsaine, conservant un visage qui ignore les artifices comme l'âme dont il est le reflet, un regard sans ombres ni intérieures ni extérieures, mais à la fois réservé, sincère et franc.

Pour la défense, généreusement active, de votre pureté, Nous vous recommandons par-dessus tout la prière et d'une façon spéciale le culte de la sainte Eucharistie et de la Vierge immaculée à laquelle vous êtes consacrées.

Dans l'Eucharistie vous trouverez Dieu qui est la pureté même, parce qu'Il est l'infinie perfection quand Il se donne à vous. Il Nous plaît de répéter les paroles du prophète — comme « le froment des élus et le vin qui fait germer les vierges » (Zacharie 9,17), Notre-Seigneur « qui est le resplendissement de la lumière éternelle et le miroir sans tache » (Sagesse 7,26) purifie votre âme et ses facultés, votre corps et ses sens. Plus une créature s'approche de Dieu et s'unit à Lui, plus elle est pure : plus elle aspire vers la pureté, plus elle tend vers l’Être infiniment pur.

Quand le Verbe voulut s'incarner et naître d'une femme, il jeta son regard sur la créature la plus idéalement parfaite ; une enfant dans la grâce de sa virginité. Après qu'à cette grâce vint s'ajouter, par un miracle unique, celle de la maternité divine, elle apparut d'une si sublime beauté que les artistes, les poètes, les saints tentèrent ardemment, mais toujours en vain, d'en faire le portrait.

L’Église et les anges la saluent des noms de Reine et de Mère ; les titres dont la piété des fidèles a ceint son front comme d'un diadème aux mille feux ou rayons, sont innombrables. Mais entre tous ces noms et titres de gloire, il en est un qui lui est particulièrement cher et qui suffit à la désigner : la Vierge.

Puisse cette Vierge des Vierges, Marie, Reine du très saint Rosaire, être votre modèle et votre force, dans toute votre vie de jeunes catholiques et spécialement dans votre croisade de la pureté.

Avec ce souhait et comme gage de sa protection maternelle et des plus abondantes grâces divines, de tout cœur Nous donnons à vous, et aussi aux personnes, aux œuvres, aux saintes entreprises pour lesquelles vous l'avez demandée, Notre Bénédiction apostolique.

Référence

Pie XII, Allocution aux jeunes filles de l'Action catholique, 6 octobre 1940.