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samedi 11 septembre 2021

Liberté religieuse - Réponse aux Dubia [Doutes] présentés par S. E. Mgr Lefebvre. 9 mars 1987


11 octobre 1961 - Place S. Pierre, Vatican - Peter Geymayer

[Disponible en ligne sur : <https://laportelatine.org/wp-content/uploads/2020/07/reponses_dubia.pdf>, consultée le 3 août 2021. La version française des passages en latin sont le fait de l’auteur de ce blogue.

Le 6 novembre 1985, Mgr Marcel Lefebvre avait remis à la Congrégation pour la Doctrine de la foi 39 Dubia (doutes) à propos de la Déclaration conciliaire Dignitatis Humanae sur la liberté religieuse.

Le 9 mars 1987, le Cardinal Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, transmettait à Mgr Lefebvre la réponse de cette Congrégation :]


À la demande de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, j’ai étudié avec attention un ample dossier élaboré par S.E. Mgr Lefebvre, dans lequel sont présentes un certain nombre de dubia sur la possibilité de concilier la doctrine sur la liberté religieuse du Concile Vatican II et le Magistère antérieur.

Déjà, dans les diverses phases de l’élaboration de la Déclaration Dignitatis humanae, cette question avait été très présente et le texte définitif de la Déclaration lui-même, dans son préambule, affirme expressément que « ce Concile du Vatican scrute la tradition sacrée et la sainte doctrine de l’Église d’où il tire du neuf en constant accord avec le vieux » (n. 1). De même, par la suite, de nombreuses études théologiques, en commentant la Déclaration conciliaire, ont voulu montrer de quelle manière l’indiscutable nouveauté que représentait ce document était en continuité et en harmonie avec le Magistère antérieur (1).

Cependant, pour répondre aux questions posées par Mgr Lefebvre, il n’a pas paru suffisant de s’en remettre à la bibliographie déjà existante, et la réalisation d’une étude plus détaillée dont on exposera les résultats dans les pages suivantes a été jugée nécessaire.


I. PRÉSENTATION DES « DUBIA » DE Mgr LEFEBVRE

Les dubia exprimés dans le Mémoire de Mgr Lefebvre sont des formulations diverses d’une unique question : la perspective générale et les affirmations particulières de Dignitatis humanae sont-elles conciliables avec le Magistère antérieur ?

En réalité ils semblent exprimer, sur un mode dubitatif, une profonde conviction selon laquelle le Concile Vatican II et le Pape Paul VI n’auraient fait que donner leur aval à des « valeurs libérales (telle que la liberté religieuse) », qui seraient en réalité « incompatibles avec la vision de la personne et de la cité » telle que l’ont défendue, sous peine de condamnation, les Papes du XIXème siècle et du début du XXème.

Cette conviction fait l’objet d’un essai de justification dans l’exposé préliminaire soulignant fortement l’idée de la Royauté du Christ et de la subordination indirecte du temporel au spirituel.

Trois points en particulier sont imputés au Concile :

1. La dignité de la personne humaine, telle que le présente Dignitatis humanae, consisterait uniquement en sa seule nature, indépendamment de son adhésion à la vérité et au bien. En conséquence, le Concile admettrait une liberté morale pour l’erreur ou le mal, voire un droit à répandre de fausses doctrines.

2. Dans cette perspective, la vérité serait elle-même relative : « La vérité n’est plus une, la religion catholique n’est plus la seule vraie », les autres religions comportent des « valeurs de salut», une « signification dans le mystère du salut, elles sont des voies différentes pour parvenir à Dieu ».

3. Dès lors on encouragerait également par principe l’agnosticisme et l’indifférentisme religieux de l’État : celui-ci peut agir indépendamment de l’Église et mettre celle-ci sur le même plan que les autres religions (religions erronées). Comme tel, l’État n’a pas à honorer Dieu par le culte de la vraie religion ni donc à reconnaître la religion catholique comme étant la religion de l’État, à en favoriser positivement le bien dans l’ordre temporel, à lui prêter le secours du « bras séculier » contre les perturbateurs de l’ordre de l’Évangile et du Règne du Christ. Les Dubia demandent aussi, si Dignitatis humanae (en particulier son n. 13) n’exclut pas une protection particulière de l’Église catholique de la part de l’État, contrairement à l’enseignement de Léon XIII sur la reconnaissance et la faveur spéciale dues par l’État à la vraie religion.

En dehors de ces points généraux, les Dubia s’interrogent sur le « parallélisme troublant » qui ressort de la comparaison de diverses propositions condamnées par Pie IX dans l’Enc. Quanta cura avec des affirmations correspondantes de Dignitatis humanae.


II. PRÉSENTATION DE CETTE RÉPONSE AUX « DUBIA »

1. Étant donnés les nombreux aspects impliqués dans les dubia, chacun d’eux donnerait lieu à une exposition de pratiquement toute la doctrine sur la liberté religieuse, avec de nombreuses et inévitables répétitions. De plus, une tentative de centrer chaque réponse sur l’aspect plus directement impliqué dans chaque dubium, pourrait, dans de nombreux cas, se révéler insuffisante. Fréquemment, en effet, les dubia contiennent des nuances apparemment secondaires, mais qui sont déterminantes pour que la réponse soit affirmative ou négative.

2. En conséquence, non seulement pour des raisons de brièveté (afin d’éviter des répétitions) mais par dessus tout pour des raisons de clarté et de rigueur d’exposition, on a préféré donner une réponse détaillée aux points fondamentaux mentionnés antérieurement. Dans la mesure où ces points seront clarifiés, il est certain que le seront également les autres aspects des dubia, puisqu’il s’agit de conséquences des points fondamentaux précédents. Cependant, à cause des étroites relations qui existent entre ces points fondamentaux, on ne pourra pas toujours éviter certaines répétitions.

3. L’étude, longue et méticuleuse, dont ces pages sont le résultat, a été réalisée avec la profonde conviction de fait que le problème proposé nécessite l’application de tous les critères traditionnels en matière d’interprétation des textes du Magistère (2), en particulier, de la considération de leur contexte historico-doctrinal et de leur finalité. Cependant, ceci ne peut nous faire oublier que, fréquemment, les Pontifes Romains, dans les questions qui nous occupent, comme dans tant d’autres, à l’occasion d’erreurs ou de situations contingentes, ont émis des enseignements qui dépassent cette contingence, des enseignements plus généraux, de valeur permanente, indépendamment des circonstances historiques. Cependant, même dans ces cas, la connaissance de ces circonstances peut être nécessaire afin de comprendre le contenu exact de l’enseignement proposé.

4. De plus, dans l’étude de ces questions, il sera nécessaire de tenir [sic] également en compte le fait que, comme l’on sait, la Tradition de l’Église, de laquelle le Magistère est un organe et, à la fois, l’interprète authentique, est une réalité vivante. Cette Tradition n’est pas une simple répétition, mais comporte un développement doctrinal dans la continuité, comme le prouve amplement l’histoire de l’Église (3). Le fait que sur la question de la liberté religieuse, l’enseignement du Concile Vatican II représente indubitablement une certaine nouveauté par rapport au Magistère antérieur, n’est pas un problème s’il s’agit d’une nouveauté qui s’inscrit dans cette réalité du «développement dans la continuité ».


III. RÉPONSE AUX POINTS FONDAMENTAUX

1. Liberté religieuse et dignité humaine

Selon la Déclaration Dignitatis humanae (ci-dessous, DH) :

« Le droit à la liberté religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même.» (DH, 2/a)
[“Insuper declarat ius ad libertatem religiosam esse revera fundatum in ipsa dignitate personae humanae, qualis et verbo Dei revelato et ipsa ratione cognoscitur.”]
« Ce n’est donc pas sur une disposition subjective de la personne, mais sur sa nature même, qu’est fondé le droit à la liberté religieuse. » (DH, 2/b)
[“ Non ergo in subiectiva personae dispositione, sed in ipsa eius natura ius ad libertatem religiosam fundatur.”]

Pourquoi la doctrine conciliaire, selon laquelle le fondement du droit à la liberté religieuse se trouve dans la dignité objective de la personne, fondée à son tour sur la nature humaine, serait-elle incompatible avec la doctrine catholique traditionnelle, telle qu’elle est exprimée par exemple dans l’affirmation suivante de Léon XIII :

« Si l’intelligence adhère à des opinions fausses, si la volonté choisit le mal et s’y attache, ni l’une ni l’autre n’atteint sa perfection, toutes deux déchoient de leur dignité native et se corrompent. Il n’est donc pas permis de mettre au jour et d’exposer aux yeux des hommes ce qui est contraire à la vertu et à la vérité, et bien moins encore de placer cette licence sous la tutelle et la protection des lois. » (4)
[“Si mens adsentiatur opinionibus falsis, si malum voluntas adsumat et ad id se applicet, perfectionem sui neutra consequitur, sed excidunt dignitate naturali et in corruptelam ambae delabuntur. Quaecumque sunt igitur virtuti veritatique contraria, ea in luce atque in oculis hominum ponere non est aequum: gratia tutela ve legum defendere, multo minus.”]

En premier lieu, il convient de noter que l’affirmation d’un droit à la liberté religieuse fondé sur la dignité de la personne, indépendamment de la vérité ou de l’erreur de la religion en question, ne signifie pas une négation du fait que la connaissance de la vérité et l’adhésion au bien soient partie intégrante de la véritable dignité de l’homme.

En effet, le texte de DH, 2 ne dit pas que la dignité de la personne humaine consiste uniquement en la seule nature, indépendamment de son adhésion à la vérité et au bien. Ce que l’on y affirme, c’est que le fait ontologique d’être une personne comporte déjà une dignité qui, sur le plan civil, exige entre autres choses, le droit à la liberté religieuse telle qu’on l’entend dans DH : immunitas a coercitione in societate civili” [« immunité de coaction dans la société civile »] (DH, 1)

Ainsi que l’a enseigné Jean XXIII :

« Omnino errores ab iis qui opinione labuntur semper distinguere aequum est, quamvis de hominibus agatur, qui aut errore veritatis, aut impari rerum cognitione capti sint, vel ad sacra, vel ad optimam vitae actionem attinentium. Nam homo ad errorem lapsus iam non humanitate instructus esse desinit, neque suam umquam personae dignitatem amittit, cuius nempe ratio est semper habenda » (5)
[« Il est toujours parfaitement équitable de toujours faire la différence entre les erreurs et ceux qui se trompent d’opinion, même s’il s’agit d’hommes qui, à quelque degré que ce soit, sont pris par l’ignorance de la vérité ou par une connaissance inégale des choses qui tiennent soit aux mystères sacrés soit au meilleur de la vie morale. En effet, l’homme tombé dans l’erreur ne cesse pas, dès lors, de jouir de son humanité, et ne perd jamais sa dignité personnelle, dont il faut naturellement tenir compte. »]

D’autre part, il convient de noter que l’enseignement de Vatican II (dans le texte considéré : DH, 2) est parfaitement conciliable avec l’enseignement de l’Église sur les conséquences du péché originel. Le péché originel a détruit la dignité surnaturelle et préternaturelle de l’homme (basée sur la grâce et sur les autres dons surnaturels et préternaturels), mais n’a pas détruit sa dignité naturelle ; celle-ci fut simplement diminuée : in deterius commutata (6), comme la nature humaine elle-même. Pour cette raison, la liberté de l’homme, qui est sans doute l’une des principales manifestations de sa dignité ontologique, ne fut pas anéantie, mais seulement débilitée (7).

En outre, l’enseignement de Vatican II (DH, 2) est parfaitement conciliable avec l’enseignement de Léon XIII déjà cité. Comme il a été dit, la dignité de la personne présente certains aspects fondamentaux qui ne peuvent disparaître ni à cause du péché, ni à cause de l’erreur, et c’est à cette dignité que se réfère DH, 2. Selon les mots de Saint Thomas d’Aquin, tout homme, même pécheur, est image de Dieu et membre au moins potentiel du Corps du Christ (8).

La philosophie, aussi bien que le simple usage linguistique, montrent qu’il existe également un autre sens de la dignité naturelle : celui qui inclut la rectitude opérative des facultés naturelles : l’adhésion de l’intelligence à la vérité et de la volonté au bien. Il faut entendre dans ce sens l’affirmation de Léon XIII selon laquelle, par l’adhésion à l’erreur et au mal, l’homme perd la dignité naturelle de son intelligence et de sa volonté.

L’enseignement de DH sur la liberté religieuse ne contredit pas non plus la seconde partie du texte de Léon XIII précédemment cité. En effet, le droit à la liberté religieuse entendue comme immunité civile et sociale de coaction en matière religieuse, n'implique aucun droit ni autorisation de répandre l'erreur. Bien au contraire, DH enseigne explicitement que tout homme a un devoir grave de chercher et d'adhérer à la vérité et au bien :

« La liberté religieuse (…) ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle au sujet du devoir moral de l’homme et des sociétés à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ. » (DH, 1/c ; cf. aussi n° 2b)

[“[L]ibertas religiosa (…) integram relinquit traditionalem doctrinam catholicam de morali hominum ac societatum officio erga veram religionem et unicam Christi Ecclesiam.”]

La Commission Conciliaire correspondante, dans la réponse au second des modi généraux, l’explique de cette manière :

« Praeterea observetur textum approbatum affirmare ius cuius obiectum est immunitas a coercitione et non contentum alicuius religionis. Huismondi immunitas ab ipsa dignitate personae exigitur. Nullibi affirmatur nec affirmare licet (quod evidens est) dari ius ad erronem diffundendum. Si autem personae errorem diffundunt, hoc non est exercitium iuris, sed abusus eius. Hic abusus impediri potest et debet si ordo publicus graviter laeditur, prout in textu pluries affirmatur et sub n. 7 explicatur » (9).

[« En outre, on observera que le texte approuvé affirme un droit dont l’objet est l’immunité de coaction, et non le contenu de quelque religion. Une immunité de ce genre est exigée par la dignité même de la personne. En nul endroit il n’est affirmé ou permis d’affirmer (ce qui est évident) que l’on donne le droit de répandre l’erreur. Mais si des personnes agissent ainsi, cela ne correspondra pas à l’exercice de ce droit, mais à son abus. Cet abus peut et doit être empêché si l’ordre public en est gravement lésé, comme cela est affirmé dans le texte et expliqué au n. 7. »]

Le droit à la liberté religieuse — reconnu même à « ceux-là qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer » (DH, 2) — ne contredit pas la doctrine catholique traditionnelle telle que Pie XII l’exprime en ces termes :

« Ce qui ne répond pas à la vérité et à la loi morale n’a objectivement aucun droit à l’existence, ni à la propagande, ni à l’action » (10).
[« [C]iò che non risponde alla verità e alla norma morale, non ha oggettivamente alcun diritto nè all'esistenza nè alla propaganda, nè all'azione. »]

En effet, la doctrine de DH ne contredit pas l’enseignement sur le « droit objectif » formulé dans ce texte de Pie XII, car DH, 2 se réfère à un droit civil à l’immunité a coercitione [de coaction], et non à un droit à répandre l’erreur.

Cette interprétation s’impose clairement à la lumière des Actes du Concile. Ainsi, par exemple, la Relatio de textu reemendato [Rapport du texte réamendé] commentait cela de manière détaillée :

« Non agitur quaestio, utrum homo habeat ex conscientia vera ius agendi, quod ex conscientia erronea non haberet. Quaestio enim est de iure hominis eo sensu, quod ius asserit immunitatem a coercitione. Exactius loquendo, quaestio est, utrum et sub quibusdam conditionibus detur ius ex parte aliorum, ac nominatim ex parte potestatis publicae, ad hominem impediendum, quominus publice iuxta conscientiam agat. Iamvero ex eo quod conscientia agentis est erronea non sequitur, dari in aliis ius impediendi eius actionem. ( … ).

In hodierna quaestione frustra adducitur principium quod sonat, iura non aequaliter fundari in veritate atque in errore. Quod quidem verum est, si intelligitur, in errore non fundari ius sed in veritate sola. Rursus tamen considerandum est, agi hodie quaestionem de iure, ut est immunitas a coercitione. Iamvero eiusmodi immunitate gaudet homo conscientiae verae; ea tamen gaudet etiam homo conscientiae erroneae, donec probetur, penes alium ac nominatim penes potestatem publicam dari in casu ius impediendi hunc illumve actum externum religionis » (11).

[« Il n’est pas question de savoir si l’homme, du fait de sa conscience juste, possède un droit d’agir qu’il n’aurait pas à cause de sa conscience erronée. La question porte, en effet, sur le droit de l’homme en tant qu’il affirme l’immunité de coaction. Pour parler plus précisément, la question est de savoir si et sous quelles conditions, le droit est donné à d’autres, et nommément au pouvoir public, d’empêcher quelqu’un d’agir publiquement selon sa conscience. Il faut ajouter que si la conscience morale [de quelqu’un] est erronée, cela ne donne pas le droit aux autre d’empêcher son action (…)

Dans la question actuelle, il est inutile d’en venir au principe qui énonce que les droits ne sont pas fondés d’une manière égale sur la vérité et sur l’erreur. Mais cela est tout à fait vrai si l’on entend par là qu’un droit ne peut être fondé sur l’erreur mais sur la seule vérité. Il faut cependant de nouveau remarquer que la question de droit dont il s’agit aujourd’hui est l’immunité de coaction. D’autre part, c’est l’homme dont la conscience est vraie qui jouit de ce genre d’immunité ; cependant, en jouit également l’homme dont la conscience est erronée, jusqu’à ce qu’il soit prouvé que revient à une autre et nommément à la puissance publique, le droit d’empêcher, le cas échéant, tel ou tel acte public de religion. »]

De tout cela, il faut conclure que la doctrine de DH ne peut se comprendre comme l’affirmation d’un droit à répandre l’erreur : la notion de liberté religieuse dans DH ne se réfère pas aux relations de l’homme ou de l’État avec la vérité et le bien, mais de l’homme et de l’État avec les autres hommes, indiquant ce que l’homme ne doit pas faire (contraindre en matière religieuse).

En conséquence, la liberté religieuse est un droit négatif (12). Comme toute négation suppose une affirmation, ce droit négatif suppose un autre droit positif. Or, ce droit positif n’est pas celui de répandre l’erreur, mais celui (qui est en même temps un devoir grave) de chercher la vérité et de rendre culte à Dieu. Ce grave devoir est le fondement de la prétention de la personne à un espace social d’activité autonome.

Dans ce sens, il avait déjà été dit dans la Salle conciliaire que :

« Notare iuvat, quod schema Declarationis non affirmat, dari ius ad errores religiosos in societate spargendos. Etenim tum in se tum maxime in statu quaestionis praesenti eiusmodi affirmatio omni caret sensu. Quaestio enim exactius utrum et quonam iure possit potestas ponitur, publica hominem coercitive cohibere, qui sententias suas religiosas publice testatur » (13).
[« Il est utile de noter que le schéma de la Déclaration n’affirme pas qu’est accordé le droit de répandre des erreurs religieuses dans la société. Et de fait, soit en elle-même, soit surtout dans l’état présent de la question, une affirmation de ce genre est vide de tout sens. En effet, on pose la question de manière plus exacte en se demandant si et jusqu’où la puissance publique peut, en droit, empêcher de façon coactive une personne de témoigner publiquement de ses opinions religieuses. »]

Et, plus loin, la Commission Conciliaire insiste en ces termes:

« In memoriam revocetur quod textus schematis non agnoscit ius ad falsa publice docendum, sed affirmat ius ad immunitatem a coactione » (14).
On se souviendra que le texte du schéma ne reconnaît pas le droit d’enseigner publiquement des choses fausses, mais affirme le droit à l’immunité de coaction. »

D’autre part, DH n’affirme pas que la propagation des erreurs soit un bien. Ce qui est un bien, c’est qu’il existe dans la société civile un domaine d’autonomie juridique en matière religieuse, compatible avec l’ordre et la moralité publique : DH, 7 parle précisément de ces limites du droit à la liberté a coercitione.

On comprend donc que l’immunité a coercitione en matière religieuse ne soit pas un mal : c’est un bien, tout comme l’est la création par Dieu de la liberté humaine, bien que de celle-ci puisse résulter le péché. Le droit à la liberté religieuse est orienté vers le bien, celui d’une convivialité sociale basée sur l’amitié et la liberté, afin que tous puissent accomplir leur devoir de chercher et d’adhérer à la vérité, et celui de la libertas Ecclesiae [liberté de l’Église] de pouvoir développer librement sa mission divine d’évangélisation universelle.

Dans ce régime de liberté religieuse, la liberté humaine ne reste pas sans norme, car elle est pleinement soumise à la nécessité morale imposée par les lois éthiques; et elle est limitée extérieurement en matière religieuse dans le sens indiqué par DH, 7 :

« Comme la société civile a le droit de se protéger contre les abus qui pourraient naître sous prétexte de liberté religieuse, c’est surtout au pouvoir civil qu’il revient d’assurer cette protection ; ce qui ne doit pas se faire arbitrairement et en favorisant injustement l’une des parties, mais selon des normes juridiques, conformes à l’ordre moral objectif, qui sont requises par l’efficace sauvegarde des droits de tous les citoyens et l’harmonisation pacifique de ces droits, et par un souci adéquat de cette authentique paix publique qui consiste dans une vie vécue en commun sur la base d’une vraie justice, ainsi que par la protection due à la moralité publique. Tout cela constitue une part fondamentale du bien commun et entre dans la définition de l’ordre public. » (DH, 7/c)

[« Praeterea cum societas civilis ius habet sese protegendi contra abusus qui haberi possint sub praetextu libertatis religiosae, praecipue ad potestatem civilem pertinet huiusmodi protectionem praestare; quod tamen fieri debet non modo arbitrario aut uni parti inique favendo, sed secundum normas iuridicas, ordini morali obiectivo conformes, quae postulantur ab efficaci iurium tutela pro omnibus civibus eorumque pacifica compositione, et a sufficienti cura istius honestae pacis publicae quae est ordinata conviventia in vera iustitia, et a debita custodia publicae moralitatis. Haec omnia partem boni communis fundamentalem constituunt et sub ratione ordinis publici veniunt. »]

Bien que la Déclaration « non intendit exponere applicationes particulares principiorum, praesertim si quaestiones complexas secum ferunt » [« ne vise pas à exposer les applications particulières des principes, surtout si elles impliquent des questions complexes »] (15), il est certain, par exemple, que la liberté religieuse n’exclut pas que l’État interdise le divorce, la polygamie, etc., y compris à ceux auxquels leur religion le permet, sans que cela suppose l’interdiction des autres manifestations externes de cette religion qui ne sont pas contraires au bon ordre public.

En effet, il faut tenir compte du fait que la référence à « l’ordre moral objectif », introduite dans le textus recognitus [texte révisé] de DH, 7, a été justifiée par la Relatio [Rapport] correspondante de la manière suivante :

« Legitur: in ordine morali obiectivo fundati. Est additio magni momenti. Introducta est ad mentem Patrum qui rogant ut in aestimando ordine publico, ratio habeatur non solum ad historicas situationes sed etiam et in primis ad ea quae morali ordine obiectivo postulantur » (16).
On lit : “fondés sur l’ordre moral objectif”. C’est un ajout très important. Il a été introduit conformément à la pensée des Pères qui demandent que, pour définir ce qu’est l’ordre public, on ne prenne pas seulement en compte les situations historiques, mais également et avant tout ce que requiert l’ordre moral objectif . »]

Cependant, le fait que toutes les lois civiles doivent être en accord avec la loi naturelle, ne signifie pas que toutes les exigences de la loi naturelle doivent être expressément recueillies dans les lois civile s: il est évident que la loi humaine ne doit pas empêcher tous les vices ni ordonner les actes de toutes les vertus (17).

Enfin, il convient d’observer que, dans le paroles de Pie XII citées en note 10, est exposée la doctrine sur la tolérance, selon laquelle:

« L'affermazione: Il traviamento religioso e morale deve essere sempre impedito, quanto è possibile, perché la sua tolleranza è in se stessa immorale — non puo valere nella sua incondizionata assolutezza. » (18)
[« L’affirmation : l’erreur religieuse et morale doit toujours être empêchée quand c’est possible, parce que le fait de la tolérer est en elle-même immorale — ne peut valoir dans un sens absolu et inconditionné. »]

Bien que cette doctrine de la tolérance ne soit pas équivalente à la doctrine sur la liberté religieuse, il n’y a pas de raison d’affirmer qu’elles soient inconciliables. Il n’y a pas entre celles-ci une équivalence, car le principe de tolérance implique que l’État a le droit et le devoir de réprimer le mal en lequel consiste la diffusion de l’erreur religieuse, mais qu’il peut et parfois doit renoncer à exercer ce droit pour obtenir un bien supérieur et plus vaste. Or ce droit ne lui est pas reconnu par la Déclaration conciliaire. Cependant il n’y a pas incompatibilité entre ces affirmations, car selon Pie XII la tolérance est justifiée par l’intérêt d’un bien supérieur. Or l’idée du Concile est que la dignité de toute personne humaine et la paix sociale soient toujours des biens qui exigent que l’État ne réprime pas l’erreur religieuse quand celle-ci ne s’oppose pas au bon ordre social (qui inclut la moralité publique). Il y a donc une nouveauté dans la conception de la compétence de l’État à l’égard de la vie religieuse des citoyens et un développement doctrinal concernant le fondement de l’absence de contrainte légale en matière religieuse.

Il convient d’insister sur cette continuité des enseignements de DH et de ceux de Léon XIII et de Pie XII. Dès les premiers schémas de DH, on a cherché explicitement cette continuité avec le Magistère antérieur en analysant les textes des Pontifes précédemment cités. Ainsi l’expliquait la Relation sur le premier schéma présentée aux Pères du Concile:

« Initium evolutionis doctrinalis iam fecit Leo XIII clarius faciendo distinctionem inter Ecclesiam, quae populus Dei est, et societatem civilem, quae populus est temporalis et terrestris (cf. Immortale Dei, A.S.S., 18, 1885, pp. 166-167; alias sexies eandem doctrinam evolvit). Ita viam aperuit ad noviter affirmandam debitam et licitam autonomiam, quae ordini civili eiusque temperationi iudiciali competit. Ex quo fit, ut gradus ulterior iam fuerit (regula progressus), ad novum scilicet iudicium de libertatibus modernis, quae vocantur. Tolerari possunt hae libertates (cf. Immortale Dei, A.S.S., 18, 1885, p. 174; Libertas praestantissimum, A.S.S., 20, 1887, pp. 609-610). Iamvero tolerari tantum dicebantur. Ratio erat evidens. Etenim tum temporis in Europa regimina quae libertates modernas, inclusa libertate reliogiosa, proclamabant, suam inspirationem aDHuc conscio animo ex ideologia laicistica trahebant. Periculum ergo exstabat, quod sensit Leo XIII, ne huiusmodi generis reipublicae instituta civilia et politica, cum essent intentione laicistica informata, ad tales abusus perducerent, qui dignitati personae humanae eiusque genuinae libertati nocivi non possent non fore. Quod enim Leoni Pp. XIII iuxta regulam continuitatis cordi erat, Ecclesiae semper cordi est, tutela nimirum personae humanae » (19).

[« Léon XIII a déjà inauguré l’évolution de la doctrine en faisant très clairement la distinction entre l’Église qui est le peuple de Dieu, et la société civile qui est le peuple temporel et terrestre. (cf. Immortale Dei, A.S.S., 18, 1885, pp. 166-167 ; il a six autres fois développé la même doctrine). Il a ainsi ouvert la voie à l’affirmation nouvelle de la nécessaire et légitime autonomie propre à l’ordre civil et à sa bonne organisation judiciaire. La conséquence en fut que, dès lors, on fit un pas de plus (règle du progrès) en direction d’un jugement renouvelé sur ce que l’on appelle « les libertés modernes. Ces libertés peuvent être tolérées (Immortale Dei, A.S.S., 18, 1885, p. 174 ; Libertas praestantissimum, A.S.S., 20, 1887, pp. 609-610). Or, on disait seulement “être tolérées. La raison en était évidente. Le fait est que, à ce moment là, en Europe, les gouvernements qui proclamaient les libertés modernes — y compris la liberté religieuse — étaient encore consciemment inspirés par le laïcisme. Le danger existait donc — ce qu’a pressenti Léon XIII — que les institutions républicaines civiles et politiques de ce genre, étant données qu’elles étaient façonnées par une intention laïciste, ne conduisissent à des abus tels qu’ils ne pouvaient éviter de nuire à la dignité de la personne humaine et à son authentique liberté. Or, en effet, la protection de la personne humaine, assurément, tenait à cœur au pape Léon XIII et, selon la règle de continuité, tient toujours à cœur à l’Église. »]

Et plus loin :

« Hic maxime recolenda est doctrina Pii XII de limitatione Status, quod spectat ad errores in societate reprimendos: “Può darsi che in determina te circostanze Egli (Dio) non dia agli uomini nessun mandato, non imponga nessun dovere, non dia persino nessun diritto d'impedire e di reprimere cio che è erroneo e falso ? Uno sguardo alla realtà dà una risposta affermativa”. Deinde, allato exemple divinae providentiae, pergit: “Quindi l'affermazione : il traviamento religioso e morale deve essere sempre impedito, quanto è possibile, perchè la sua tolleranza è in se stessa immorale, non può valere nella sua incondizionata assolutezza. D'altra parte, Dio non ha dato nemmeno all'autorità umana un siffatto precetto assoluto e universale, nè nel campo della ·fede nè in quello della morale. Non conoscono un tale precetto nè la comune convinzione degli uomini, nè la coscienza cristiana, nè le fonti della rivelazione, nè la prassi della Chiesa (Ci riesce, 6-XII-1953 : A.A.S.,, 45 (1953) pp. 798-799). Haec declaratio (regula progressus) est summi momenti pro materia nostra, praesertim si prae oculis habentur quae olim de missione status prolata sunt » (20).

Il faut ici surtout rappeler la doctrine de Pie XII sur la limite qui s’impose à l’État, en ce qui concerne la répression des erreurs dans société : “Se pourrait-il que, dans certaines circonstances, Il (Dieu) ne donne aucun mandat aux hommes, n'impose aucun devoir, ne donne même aucun droit de prévenir et de réprimer ce qui est faux et erroné ? Un simple regard sur la réalité permet de donner une réponse affirmative”. Ensuite, après avoir donné l’exemple de la divine Providence, il poursuit : “D'où l'affirmation suivante : l’erreur religieuse et morale doit toujours être empêchée quand c’est possible, parce que le fait de la tolérer est en elle-même immorale — ne peut valoir dans un sens absolu et inconditionné. D'autre part, Dieu n'a même pas donné à l'autorité humaine un précepte aussi absolu et universel, ni dans le domaine de la foi ni dans celui de la morale. Ni la conviction commune des hommes, ni la conscience chrétienne, ni les sources de révélation, ni la pratique de l'Église ne connaissent un tel précepte (Ci riesce, 6-XII-1953 : A.A.S.,, 45 (1953) pp. 798-799). Cette déclaration (règle du progrès) est d’une importance majeure en notre matière, surtout si on a toujours sous les yeux ce qui a été dit autrefois sur la mission de l’État. »]

On peut citer aussi, dans le même sens, les paroles de Pie XII contenues dans le dit textus prior:

« Cf. Pius XII, Alloc. ad Praelatos auditores ceterosque Officiales et Administros Tribunalis S. Romanae Rotae, 6 oct. 1946: A.A.S., 38 (1946), p. 393: I sempre più frequenti contatti e la promiscuità delle diverse Confessioni religiose entro i confini di un medesimo popolo hanno condotto i tribunali civili a seguire il principio della ‘tolleranza’ e della ‘libertà di coscienza’. Anzi vi è una tolleranza politica, civile e sociale verso i seguaci delle altre confessioni, che in tali circostanze è anche per i cattolici un dovere morale.

Insuper, ad Communitatem internationalem quod attinet, cf. Pius XII, Alloc. Ci riesce, 6-XII-1953 : A.A.S.,, 45 (1953) p. 797 : Gl’interessi religiosi e morali esigeranno per tutta l’estensione della Comunità (dei popoli) un regolamento ben definito, che valga per tutto il territorio dei singoli Stati sovrani membri di tale Comunità delle nazioni. Secondo le probabilità e le circostanze, è prevedibile che questo regolamento di diritto positivo verrà enunciato cosi : Nell'interno del suo territorio e per i suoi cittadini ogni Stato regolerà gli affari religiosi e morali con una propria legge ; nondimeno in tutto il territorio della Comunità degli Stati sarà permesso ai cittadini di ogni Stato-membro l'esercizio delle proprie credenze e pratiche etiche e religiose, in quanto queste non contravvengano alle leggi penali dello Stato in cui essi soggiornano”. Secundum Romanum Pontificem, cives catholici et Status catholici moderatores possunt ex conscientia eiusmodi legi consentire » (21).

[« Cf. Pie XII, Alloc. aux Prélats Auditeurs et aux autres Fonctionnaires et Administrateurs du Tribunal de la S. Rote Romaine, 6 oct. 1946: A.A.S., 38 (1946), p. 393 : “Les contacts de plus en plus fréquents et la promiscuité des différentes Confessions religieuses à l'intérieur des frontières d'un même peuple ont conduit les tribunaux civils à suivre le principe de tolérance et de liberté de conscience. En effet, il existe une tolérance politique, civile et sociale envers les adeptes d'autres confessions qui, dans de telles circonstances, et aussi pour les catholiques, est un devoir moral.

De plus, pour ce qui se rapporte à la Communauté internationale, cf. Pius XII, Alloc. Ci riesce, 6-XII-1953 : A.A.S., 45 (1953) p. 797 : “Les intérêts religieux et moraux exigeront, sur toute l'étendue de la Communauté (des peuples), une réglementation bien définie, valable pour tout le territoire de chacun des États souverains membres de cette Communauté des nations. Selon les probabilités et les circonstances, il est prévisible que cette réglementation du droit positif s'énonce comme suit : Sur son territoire et pour ses citoyens, chaque État réglera les affaires religieuses et morales avec une loi propre ; néanmoins, sur l'ensemble du territoire de la Communauté des États, les citoyens de chaque État membre seront autorisés à exercer leurs propres croyances et pratiques éthiques et religieuses, pour autant que celles-ci ne contreviennent pas au droit pénal de l'État dans lequel ils résident ”. Selon le Pontife Romain, les citoyens catholiques et les dirigeants d’un État catholique peuvent en conscience consentir à ce genre de loi. »]

La Relation sur ce texte (de textu priore [sur le premier texte]) expliquait en outre pourquoi on n’y parlait pas de tolerantia religiosa [tolérance religieuse] — critère qui s’est maintenu jusqu’à la fin — et on préférait parler de libertas religiosa. La raison en est que, précisément, on prétend donner une réponse à une question surgie récemment, qui ne se posait pas dans les époques antérieures :

« Sunt qui dubitant de ipsa formula libertas religiosa et putant nos in hac materia agere non posse nisi de tolerantia religiosa.

Nonne tamen observandum est quod libertas religiosa est terminus qui modernam et bene determinatam significationem obtinuit in hodierno vocabulario? In hoc pastorali Concilio Ecclesia dicere intendit quid ipsa iudicet de hac re quam communiones ecclesiales, gubernia, institutiones, publicistae, iurisperiti nostri temporis designant hoc vocabulo, Si sermonem dirigimus ad societatem modernam, debemus uti suo modo loquendi.

Agimus igitur de libertate religiosa tamquam de notione formaliter iuridica, quae enuntiat ius quod fundatur in natura personae humanae, quod ab omnibus observandum est et quod eo modo agnoscendum est in lege fundamentali (Constitutio Statuum, cum garantiis iuridicis) ut fiat commune civile ius. Eius agnitio, protectio et promotio oppignorari debet a societate in genere et speciatim a guberniis » (22).

[« Certains ont des doutes concernant la formule de “liberté religieuse” elle-même, et pensent qu’en cette matière, nous ne pouvons parler que de “tolérance religieuse”.

Ne faut-il pas observer, cependant, que la liberté religieuse est un terme qui, dans le vocabulaire actuel, a fait prévaloir une signification moderne bien déterminée ? Dans ce Concile pastoral, l’Église entend exprimer son jugement sur ce que les communautés ecclésiales, les gouvernements, les institutions, les publicistes, les juristes de notre temps désignent par ce mot. Si notre propos s’adresse à la société moderne, nous devons parler son langage.

Nous parlons donc de la liberté religieuse comme d’une notion formellement juridique qui énonce un droit fondé dans la personne humaine, que tous doivent respecter et qui doit être ainsi reconnu de cette manière par la loi fondamentale (Constitutions des États, avec garanties juridiques), afin qu’il devienne un droit civil commun. Sa reconnaissance, sa protection et sa promotion doivent être assurées par la société en général et spécialement par les gouvernements. »]

Enfin, la doctrine de DH ne suppose pas non plus une désapprobation de la conduite suivie dans le passé par certains princes chrétiens, dont l’évaluation historique est en soi complexe et, en grande partie, discutable, bien qu’il ne faille pas écarter a priori la possibilité qu’il y ait eu des actions concrètes peu conformes à l’esprit de l’Évangile (23).

2. La liberté religieuse et l’unicité de la vraie religion

Les éléments exposés dans le n. 1 éclairent dans une large mesure le problème présenté dans ce n. 2. C’est pourquoi notre développement sera ici plus bref et se contentera de compléter sous certains aspects ce qui a déjà été dit.

La doctrine sur la liberté religieuse, contenue dans DH, ne comporte absolument pas une conception relativiste de la vérité, ni la négation du fait que la religion catholique soit l’unique vraie religion. Les dubia à ce sujet ont été formulés à propos de certaines affirmations de DH, en particulier, de ses nn. 3, 4 et 6:

« De par son caractère même, en effet, l’exercice de la religion consiste avant tout en des actes intérieurs volontaires et libres par lesquels l’homme s’ordonne directement à Dieu : de tels actes ne peuvent être ni imposés, ni interdits par aucun pouvoir purement humain. » (DH, 3/c)
[“Exercitium namque religionis, ex ipsa eius indole, consistit imprimis in actibus internis voluntariis et liberis, quibus homo sese ad Deum directe ordinat: huiusmodi actus a potestate mere humana nec imperari nec prohiberi possunt.”]
« La liberté religieuse demande en outre que les groupes religieux ne soient pas empêchés de manifester librement l’efficacité singulière de leur doctrine pour organiser la société et vivifier toute l’activité humaine. » (DH, 4/e)Devoirs de l’État envers la religion. L’Église et l’État
[“Praeterea ad libertatem religiosam spectat, quod communitates religiosae non prohibeantur libere ostendere singularem suae doctrinae virtutem in ordinanda societate ac tota vivificanda activitate humana.”]
« Dès lors, donc, que les justes exigences de l’ordre public ne sont pas violées, ces groupes sont en droit de jouir de cette immunité afin de pouvoir se régir selon leurs propres normes, honorer d’un culte public la Divinité suprême, … » (DH, 4/b)
[“His igitur communitatibus, dummodo iustae exigentiae ordinis publici non violentur, iure debetur immunitas, ut secundum proprias normas sese regant, Numen supremum cultu publico honorent, …”]

« Protéger et promouvoir les droits inviolables de l’homme est du devoir essentiel de tout pouvoir civil. Celui-ci doit donc, par des justes lois et autres moyens appropriés, assumer efficacement la protection de la liberté religieuse de tous les citoyens et assurer des conditions favorables au développement de la vie religieuse, en sorte que les citoyens soient à même d’exercer effectivement leurs droits et de remplir leurs devoirs religieux, et que la société elle-même jouisse des biens de la justice et de la paix découlant de la fidélité des hommes envers Dieu et sa sainte volonté. » (DH, 6/b)

[Inviolabilia hominis iura tueri ac promovere ad cuiusvis potestatis civilis officium essentialiter pertinet. Debet igitur potestas civilis per iustas leges et per alia media apta efficaciter suscipere tutelam libertatis religiosae omnium civium, ac propitias suppeditare condiciones ad vitam religiosam fovendam, ut cives revera religionis iura exercere eiusdemque officia adimplere valeant et ipsa societas fruatur bonis iustitiae et pacis, quae proveniunt ex fidelitate hominum erga Deum Eiusque sanctam voluntatem.”]

Le soupçon d’un fond de relativisme dans ces textes a été formulé en considérant que DH, 3 semble affirmer que « l’homme s’ordonne directement à Dieu » moyennant « l’exercice de la religion », quelle que soit sa religion. En d’autres termes, DH affirmerait que, moyennant n’importe quelle religion, l’homme pourrait être ordonné validement vers Dieu. Ce soupçon se trouverait renforcé par les paragraphes cités du n. 4 de DH, dans le sens où l’on reconnaîtrait à toute religion une « efficacité singulière » pour « organiser la société et vivifier toute l’activité humaine », et de même la capacité de tout groupe religieux à rendre un culte public valide à Dieu (« honorer d’un culte public la Divinité suprême »). De plus, le paragraphe cité du n. 6 de DH soulignerait une valeur identique de toutes les religions comme expressions de « la fidélité des hommes envers Dieu et sa sainte volonté ».

En réalité, cette interprétation ne correspond pas à la véritable signification des textes de DH. En effet, DH, 3 se réfère aux actes internes de l’homme en relation avec Dieu sans considérer la vérité ou fausseté objective de la religion. Déjà, dans DH, 1, a été affirmé clairement que l’unique vraie religion est la Religion Catholique :

« Tout d’abord, le Concile déclare que Dieu a Lui-même fait connaître .au genre humain la voie par laquelle, en le servant, les hommes peuvent dans le Christ obtenir le salut et parvenir à la béatitude. Cette unique vraie religion, nous croyons qu’elle subsiste dans l’Église catholique et apostolique. » (n. 1/b)
[“Primum itaque profitetur Sacra Synodus Deum Ipsum viam generi humano notam fecisse per quam, Ipsi inserviendo, homines in Christo salvi et beati fieri possint. Hanc unicam veram Religionem subsistere credimus in catholica et apostolica Ecclesia, (…).”]

On ne peut donc pas comprendre le texte de DH, 3 dans un sens indifférentiste. Selon les mots de Paul VI :

« Il Concilio, in nessun modo, fonda questo diritto (alla libertà religiosa) sul fatto che tutte le religioni, e tutte le dottrine, anche erronee, che riguardano questo campo, avrebbero un valere più o meno uguale; lo fonda invece sulla dignità persona umana, la quale esige di non essere sottoposta a costrizioni esteriori che tendono a opprimere la coscienza nella ricerca della vera religione e nell ‘adesione ad essa » (24).

[« Le Concile, en aucune façon, ne fonde ce droit (à la liberté religieuse) sur le fait que toutes les religions et toutes les doctrines (même erronées), en ce domaine, auraient une valeur plus ou moins égale ; il le fonde, plutôt, sur la dignité de la personne humaine, laquelle exige de ne pas être soumise à des contraintes extérieures qui tendent à opprimer la conscience dans la recherche de la vraie religion et dans l’adhésion à celle-ci ».]

D’ailleurs, on ne peut nier que soient contenus dans les religions non catholiques des éléments qui aident ceux qui les professent de bonne foi à se mettre en relation avec Dieu. En particulier, dans les églises et communautés chrétiennes non catholiques, le Concile Vatican II discerne la présence de vestigia Ecclesiae [vestiges de l’Église] parfois très riches, et manifeste son estime à ses membres actuels (25). Le Concile voit même dans les religions non chrétiennes radium illius Veritatis, quae illuminat omnes homines [un rayon de la Vérité qui illumine tous les hommes] (26). Pareils respect et considération signifient que l’Église partage la patience miséricordieuse de Dieu (cf. DH, 4/d), selon le mot de l’Évangile : « Ne l’en empêchez pas !… Qui n’est pas contre nous est pour nous » (Mc 9, 39-40), et ils ne portent pas préjudice à sa mission impérieuse d’orienter tout homme vers le Christ (27), en qui se trouve la plénitude de la vérité et de la liberté (cf. Jn 8, 31-32).

D’autre part, le texte cité de DH, 4 est une affirmation de principe et n’implique aucun jugement sur l’efficacité de telle ou telle doctrine religieuse pour organiser la société. Dans la mesure où les religions non catholiques contiennent certains éléments partiels exacts, elles peuvent dans ces aspects, coopérer à· l’organisation de la société et de l’activité humaine. Dans ce qu’elles contiennent de faux, ces religions ne coopèrent pas à une organisation adéquate de la société et, dans la mesure où ces erreurs sont contraires au bon ordre social, elles peuvent et, dans certaines occasions, doivent être empêchées par l’autorité publique (cf. DH, 7).

Dans ce contexte, il convient de rappeler les éclaircissements apportés par la Relatio de textu emendato [Relation du texte amendé] :

« affirmando libertatem religiosam esse verum ius hominis, nullatenus affirmatur omnes religiones eamdem aequalem auctoritatem positivam habere, a Deo receptam, ut exsistant seseque propagent. Quod absit; saperet enim pessimum indifferentismum religiosum. Neque affirmatur potestati publicae licere omnibus religionibus positivam auctoritatem dare, ut aequo iure in societate gaudeant. Quod etiam absit; saperet enim pessimum istud totalitarismum status, qui proprius erat laicismo » (28).

[« En affirmant que la liberté religieuse est un vrai droit de l’homme, on n’affirme en aucune façon que toutes les religions possèdent la même et égale capacité juridique, reçue de Dieu, de se manifester et propager. Loin de nous cette pensée ! En effet, Cela ressortirait du pire indifférentisme religieux. Il n’est pas non plus affirmé qu’il est permis à la puissance publique de donner à toutes les religions la capacité juridique de jouir d’un droit égal dans la société. Loin de nous encore cette pensée ! Cela ressortirait, en effet, du pire totalitarisme d’État, qui était propre au laïcisme. »]

Pour interpréter correctement le texte de DH, il est indispensable d’avoir présent à l’esprit le fait que DH se réfère à un droit civil de liberté a coercitione, et exclut expressément que ce droit se fonde sur une inexistante égalité de la valeur ou de la vérité de toutes les religions (indifférentisme) : cf. DH, 1. À part les textes cités précédemment, il faut aussi tenir compte d’un autre éclaircissement apporté par la Relatio de textu emendato :

« Duplici senso sumi potest ius. Primo sensu ius dicitur facultas moralis aliquid agendi, facultas scilicet qua quis ab intrinseco positivam auctoritatem habet (empowerment, Ermächtigung, autorizzazione) ad agendum. In Declaratione non adhibetur ius hoc sensu, ne quaestiones oriantur quae ad rem non sunt, e.g., quaestio speculativa de iuribus conscientiae erroneae, quae versatur extra statum quaestionis iuridicum de libertate religiosa, prout in Declaratione tractatur. Altero sensu ius dicitur facultas moralis exigendi, ne quis constringatur ad agendum neve impediatur, quominus agat. Quo quidem sensu ius significat immunitatem in agendo et excludit coercitionem sive constringentem sive impedientem. Unde hoc altero sensu sumitur ius in Declaratione. » (29).

[« Le mot droit peut être entendu de deux façons. Dans un premier sens, on dit du droit qu’il est la faculté morale de faire quelque chose, par laquelle quelqu’un dispose, en lui-même, d’une capacité juridique (empowerment, Ermächtigung, autorizzazione). Dans la Déclaration, le mot “droit n’est pas employé en ce sens, afin d’éviter les questions hors de propos, comme par exemple la question spéculative des droits de la conscience erronée, qui se situent en dehors du statut juridique de la liberté religieuse, tels qu’en traite la Déclaration. Dans un deuxième sens, on dit du droit qu’il est la faculté morale d’exiger que quelqu’un ne soit pas contraint dans son action ou empêché d’agir. Dans ce sens, le droit signifie l’immunité dans l’action et exclut la coaction, soit qu’il restreigne, soit qu’il empêche. C’est dans ce deuxième sens que le mot droit est entendu dans la Déclaration. »]

Et également:

« Sub regimine enim libertatis religiosae iure publice simpliciter agnoscitur, neminem esse constringendum ut agat contra conscientiam neve impediendum, quin secundum conscientiam agat. Quidquid alias valeat sermo de iuribus diversis veritatis et erroris, nullus est ei hic locus » (30).
Sous le régime de liberté religieuse, en effet, il est simplement reconnu par le droit public que personne ne peut être contraint d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir selon sa conscience. Quelle que soit, par ailleurs, la valeur d’une discussion sur les droits opposés de la vérité et de l’erreur, il n’en est aucunement question ici. »]


3. Devoirs de l’État envers la religion. L’Église et l’État

Sur ce thème, les dubia considèrent différentes affirmations de DH, en particulier les suivantes:

« Le pouvoir civil, dont la fin propre est de pourvoir au bien commun temporel, doit donc, certes, reconnaître et favoriser la vie religieuse des citoyens, mais il faut dire qu’il dépasse ses limites s’il s’arroge le droit de diriger ou d’empêcher des actes religieux » (DH, 3/e).
[“Potestas igitur civilis, cuius finis proprius est bonum commune temporale curare, religiosam quidem civium vitam agnoscere eique favere debet, sed limites suos excedere dicenda est, si actus religiosos dirigere vel impedire praesumat.”]
« Si, en raison des circonstances particulières dans lesquelles se trouvent des peuples, une reconnaissance civile spéciale est accordée dans l’ordre juridique d’une cité à une communauté religieuse donnée, il est nécessaire qu’en même temps le droit à la liberté en matière religieuse soit reconnu et respecté, pour tous les citoyens et toutes les communautés religieuses » (DH, 6/c).
[“Si attentis populorum circumstantiis peculiaribus uni communitati religiosae specialis civilis agnitio in iuridica civitatis ordinatione tribuitur, necesse est ut simul omnibus civibus et communitatibus religiosis ius ad libertatem in re religiosa agnoscatur et observetur.”]
« La liberté de l’Église est un principe fondamental dans les relations de l’Église avec les pouvoirs civils et tout l’ordre civil » (DH, 13/a).
[“Libertas Ecclesiae est principium fundamentale in relationibus inter Ecclesiam et potestates publicas totumque ordinem civilem.”]
« Dans la société humaine et devant tout pouvoir public l’Église revendique la liberté au titre d’autorité spirituelle, instituée par le Christ Seigneur, et à qui incombe par mandat divin le devoir d’aller par le monde entier et prêcher l’Évangile à toute créature. L’Église revendique également la liberté en tant qu’association d’hommes ayant le droit de vivre, dans la société civile, selon les préceptes de la foi chrétienne » (DH, 13/b).
[“In societate humana et coram quavis potestate publica Ecclesia sibi vindicat libertatem, utpote auctoritas spiritualis, a Christo Domino constituta, cui ex divino mandato incumbit officium eundi in mundum universum et Evangelium praedicandi omni creaturae. Libertatem pariter sibi vindicat Ecclesia prout est etiam societas hominum qui iure gaudent vivendi in societate civili secundum fidei christianae praescripta.”]

Cette doctrine de DH a été comprise comme irréductiblement opposée aux très nombreux textes du Magistère précédent (en particulier de Pie IX, Léon XIII et Pie XI), qui a condamné à de nombreuses reprises l’agnosticisme et l’indifférentisme religieux de l’État, le principe libéral « l’Église libre dans l’État libre », et a affirmé le devoir de l’État de favoriser la vraie religion. Par exemple :

« (Proposition condamnée) : De notre temps, il n’y a plus intérêt à ce que la religion catholique soit considérée comme l’unique religion de l’État, à l’exclusion de tout autre culte » (31).
[“Aetate hac nostra non amplius expedit, religionem Catholicam haberi tamquam unicam status religionem, ceteris quibuscumque cultibus exclusis.” : Alloc. Nemo vestrum, 26 juillet 1855.]
« (Proposition condamnée) : Aussi doit-on des éloges à certains pays de nom Catholique, où la loi a pourvu que les étrangers qui viennent s’établir puissent jouir de l’exercice public de leurs cultes » (32).
[“Hinc laudabiliter in quibusdam Catholici nominis regionibus lege cantum est, ut hominibus illuc immigrantibus liceat publicum proprii cuiusque cultus exercitium habere. ” : Alloc. Acerbissimum, 27 septembre 1852.]
« Étant donné que l’État repose sur ces principes (séparation entre l’Église et l’État) aujourd’hui en grande faveur, il est aisé de voir à quelle place on relègue injustement l’Église. Là en effet où la pratique est en accord avec de telles doctrines, la religion catholique est mise dans l’État sur pied d’égalité, ou même d’infériorité, avec des sociétés qui lui sont étrangères … » (33)
[“His autem positis, quae maxime probantur hoc tempore, fundamentis reipublicae, facile apparet, quem in locum quamque iniquum compellatur Ecclesia. — Nam ubi cum eiusmodi doctrinis actio rerum consentiat, nomini catholico par cum societatibus ab eo alienis vel etiam inferior locus in civitate tribuitur.”]

« Ce que nous appelons la peste de notre temps, c’est le laïcisme, ses erreurs et ses tentatives impies (…). On commença par nier le pouvoir du Christ sur toutes les nations; on dénia à l’Église un droit dérivé du droit du Christ lui- même, celui d’enseigner le genre humain, de porter des lois, de diriger les peuples, de les conduire à la béatitude éternelle. Alors la religion du Christ fut peu à peu traitée d’égale avec les faux cultes et placée avec une choquante inconvenance sur le même niveau … » (34).

[“Pestem dicimus aetatis nostrae laicismum, quem vocant, eiusdemque errores et nefarios conatus (…). Christi enim in omnes gentes imperium negari coeptum; negatum, quod ex ipso Christi iure exsistit, ius Ecclesiae docendi humanum genus, ferendi leges, regundi populos, ad aeternam utique beatitatem perducendos. Tum vero paulatim Christi religio aequari cum fal-sis in eodemque genere, prorsus indecore, poni; (…).”]

Existe-t-il une véritable incompatibilité entre l’enseignement traditionnel et la doctrine de DH ? Pour répondre à cette question, il convient d’avoir présent à l’esprit, en premier lieu, que le texte de DH, 3 cité ne se limite pas au cas particulier d’une nation catholique, mais donne un principe général qui protège la libertas Ecclesiae. Précisément, ces lignes de DH, 3 ont été écrites et approuvées afin qu’il ne semble pas que DH affirme potestates publicas posse laicismo indulgere :

Sat multi Patres modos proponunt ne textus videatur affirmare potestates publicas posse laicismo indulgere ac si non deberent curare bonum publicum cuius pars est exercitium religionis ex parte civium. Vobis proponimus ut admittantur modi qui sunt magni momenti pro exacta intellectione doctrinae: a) Potestas igitur civilis, cuius finis proprius est bonum commune temporale curare, religiosam quidem civium vitam agnoscere eique favere debet, sed limites suas excedere dicenda est si actus religiosos dirigere vel impedire praesumat » (35).

[« D’assez nombreux Pères ont proposé des amendements pour que le texte ne semble pas affirmer que les pouvoirs publics peuvent être complaisants envers le laïcisme, comme s’ils ne devaient pas veiller au bien public, dont l’exercice de la religion par les citoyen constitue une partie. Nous vous proposons que soient admis des amendements qui sont d’une grande importance pour la compréhension de la doctrine : a) “par conséquent, le pouvoir civil dont la fin propre est de veiller au bien commun temporel, doit reconnaître la vie religieuse des citoyens et la favoriser, mais on doit dire qu’il excède ses limites s’il a l’audace de régler ou d’empêcher les actes religieux.” »]


Ce texte s’intègre à l’enseignement de DH, 7, en particulier à celui de son § 3 (déjà cité), sur la protection de la part du pouvoir civil en face des abus qui se commettent sous prétexte de liberté religieuse.

DH, 3 ne définit pas, en outre, le mode concret d'aide que·l'Église Catholique peut réclamer à un État catholique.

Les modalités concrètes de collaboration entre l’Église et l’État varieront selon les circonstances, mais deux principes devront toujours être respectés :

- aucun homme ne peut être forcé par l’État à embrasser une croyance religieuse déterminée ;

- il n’est pas de la compétence de l’État en tant que tel de discerner la vérité en matière religieuse (à part en ce qui se rapporte à la morale naturelle, à ce qui peut limiter, comme on vient de. le dire, les manifestations portant atteinte au bon ordre public). Ce principe est basé sur la distinction des fins et des moyens propres à l’Église et à l’État, conformément, par exemple, à la doctrine enseignée par Léon XIII :

« Itaque Deus humani generis procurationem inter duas potestates partitus est, scilicet ecclesiasticam et civilem, alteraro quidem divinis, alteram humanis rebus praepositam. Utraque est in suo genere maxima: habet utraque certus, quibus contineatur, termines, eosque sua cuiusque natura causaque proxima definitos; unde aliquis velut orbis circumscribitur, in quo sua cuiusque actio iure proprio versetur » (36).

[« C’est pourquoi Dieu a réparti la direction du genre humain entre deux puissances différentes, c’est-à-dire ecclésiastique et civile, l’une préposée aux choses divines, l’autre aux choses humaines. Chacune des deux est la plus grande en son genre : chacune d’elles possède des limites précises en lesquelles elle est enfermée, limites définies par leur nature propre et leurs cause prochaine ; d’où le fait que chacun est enclos comme dans un cercle, dans lequel son action s’effectue de par son droit propre.»]

Cette doctrine fut ensuite réaffirmée par Pie XI :

« La Chiesa di Gesù Cristo non ha mai contestato i diritti e i doveri dello Stato circa l’educazione dei cittadini (…); diritti e doveri incontestabili finché rimangono nei confini delle competenze proprie dello Stato; competenze che sono alla loro volta chiaramente fissate dalle finalità dello Stato; finalità certamente non soltanto corporee e materiali, ma di per sé stesse necessariamente contenute nei limiti del naturale, del terreno, del temporaneo. ( … ) (Il mandate della Chiesa) si estende invece all’eterno, al celeste, al soprannaturale » (37).

[« L’Église de Jésus-Christ n’a jamais contesté les droits et les devoirs de l’État en matière d’éducation des citoyens () ; droits et devoirs incontestables tant qu’il restent dans les limites des compétences propres de l’État ; compétences qui, à leur tour, sont clairement fixées par les finalités propres de l’État ; finalités certes non seulement corporelles et matérielles, mais qui en elles-mêmes sont nécessairement contenues dans les limites du naturel, du terrestre, du temporaire. () (Le mandat de l’Église) s’applique plutôt à l’éternel, au céleste, au surnaturel. »]

La distinction des compétences entre l’Église et l’État, et l’affirmation générale de DH, 3 (l’État doit favoriser la vie religieuse des citoyens), n’exclut pas que la Religion Catholique puisse et doive être aidée de manière spéciale par l’État, selon les circonstances. Et, par dessus tout, il est nécessaire de distinguer cet enseignement qui se réfère au droit civil, des problèmes moraux connexes qui sont ici hors de propos. En effet, la Relatio au terme de la discussion dans la Salle conciliaire de textu reemendato explique que:

« Hoc nostrum problema adamussim distinguendum est a quaestionibus connexis.

a) Primum problema connexum: de obligatione in ordine morali. In ordine morali omnes homines, omnes societates, omnes auctoritatem civilim gerentes obiective et subiective debent (i. e. moraliter obligantur) quaerere veritatem, et moraltiter eis non licet propugnare falsum.

b) Secundum problema morale connexum: de officio et iuribus Ecclesiae et de officio morali hominum erga Ecclesiam catholicam eiusque doctrinam ac mandata. Ecclesia habet officium et ius praedicandi Iesum Christum. Nulla instantia humana obiective moraliter libera est in acceptendo vel respuendo Evangelium et Ecclesiam veram. Et haec obligatio est etiam subiectiva quatenus perspicitur. Fideles, immo omnes homines moraliter obligantur ad recte formandam conscientiam et ad vivendum iuxta eam.

Ab is quaestionibus moralibus connexis sedulo distanguanda est quaestio nostra nova. Nunc enim examinatur utrum personae humanae in societate humana agnosci possit ut libera sit a coercitione ex parte aliorum hominum societatis et potestatis publicae » (38).

[« Ce problème qui est le nôtre doit être soigneusement distingué des questions connexes :

a) premier problème connexe : concernant l’obligation dans l’ordre moral. Dans l’ordre moral, tous les hommes, toutes les sociétés, tous ceux qui exercent l’autorité civile, doivent objectivement et subjectivement (c’est-à-dire sont obligés moralement) rechercher la vérité et, moralement, il ne leur est pas permis de propager ce qui est faux.

b) deuxième problème moral connexe : concernant le devoir et les droits de l’Église et concernant le devoir moral des hommes envers l’Église catholique, sa doctrine et ses commandements. L’Église a le devoir et le droit de prêcher Jésus-Christ. Aucune instance humaine n’est objectivement moralement libre d’accepter ou de rejeter l’Évangile et la vraie Église. Et cette obligation est également subjective, dans la mesure où elle est connue avec certitude. Les fidèles, ou mieux encore, tous les hommes sont obligés moralement de se former la conscience de façon droite et de vivre en accord avec elle. »]

Il faut faire soigneusement la distinction entre ces questions morales connexes et notre nouvelle question. On examine, en effet, maintenant si l’on peut reconnaître à toute personne humaine vivant en société le droit d’être libre de coaction de la part des autres hommes formant la société et la puissance publique. »

Par l’étude de cette « nouvelle question », on veut compléter les enseignements du Magistère antérieur, qui avait déjà étudié et résolu de manière exhaustive et irréfutable les deux problèmes d’ordre moral que DH n’a pas cru nécessaire traiter de nouveau.

Il faut d’autre part tenir compte du fait que la liberté de l’Église ne s’identifie pas avec la liberté des autres confessions religieuses. Cette dernières a en effet comme fondement la liberté sociale et civile en matières religieuse, propre à la dignité des personnes. En revanche, la liberté de l’Église, en plus de ce fondement commun, a un autre fondement propre et exclusif, d’ordre supérieur : celui d’être l’unique véritable Église, fondée par Dieu lui-même, et d’avoir une mission divine. De fait, cela est affirmé dans ce même texte de DH, 13/b, qui doit être considérée dans sa totalité. En particulier, DH, 13/a dit : « Parmi les choses qui concernent le bien de l’Église, voire le bien de la cité terrestre elle-même, et qui, partout et toujours, doivent être sauvegardées et défendues contre toute atteinte, la plus important est, à coup sûr, que l’Église jouisse dans son action d’autant de liberté qu’en requiert la charge qu’elle a du salut des hommes » [“Inter ea quae ad bonum Ecclesiae, immo ad bonum ipsius terrenae civitatis spectant et ubique semperque servanda sunt atque ab omni iniuria defendenda, illud certe praestantissimum est, ut Ecclesia tanta perfruatur agendi libertate, quantam salus hominum curanda requirat.”], et renvoie en note à deux textes de Léon XIII.

Il convient d’observer que, selon DH, le régime commun de liberté religieuse est compatible avec la liberté de l’Église et constitue un minimum nécessaire. Mais ce minimum n’est pas le seul possible, ni, dans certaines circonstances, le plus souhaitable. Là où cela est possible, on aboutira à la situation considérée dans DH, 6/c, dans laquelle la liberté de l’Église est en harmonie avec le droit civil de la liberté religieuse, mais donne lieu à un statut juridique plus avantageux pour la mission de l’Église (par exemple quand l’État renonce à intervenir unilatéralement dans des cas de compétence mixte).

En outre, selon la maxime « l’Église libre dans l’État libre », telle qu’elle est prônée par le libéralisme, la liberté de l’Église serait comprise dans la compétence de l’État. Or, cette soumission de l’Église à la compétence de l’État est catégoriquement exclue par l’affirmation de la liberté de l’Église effectuée par DH (en particulier, par DH, cité plus haut). Il faut cependant noter que la confessionnalité de l’État peut être une réalité effective, même quand il n’y a pas de déclaration formelle de confessionnalité (« confessionnalité substantielle »).

Remarquons aussi que le texte cité de DH, 13 ne relègue pas l’Église au rang d’une association de plus au sein de la société civile. Il s’agit simplement d’exposer un motif supplémentaire pour réclamer la liberté de l’Église, après en avoir indiqué le motif principal :

« Dans la société humaine et devant tout pouvoir public l’Église revendique la liberté au titre d’autorité spirituelle, instituée par le Christ Seigneur, et à qui incombe par mandat divin le devoir d’aller par le monde entier et prêcher l’Évangile à toute créature » (DH, 13/b).
[“In societate humana et coram quavis potestate publica Ecclesia sibi vindicat libertatem, utpote auctoritas spiritualis, a Christo Domino constituta, cui ex divino mandato incumbit officium eundi in mundum universum et Evangelium praedicandi omni creaturae.”]

Que cela soit la bonne interprétation est démontré également par les réponses à deux modi présentés à ce numéro de DH (39). Il faut de plus tenir compte de l’explication donnée dans la Relatio au schéma précédent :

« Iuxta desiderim aliquorum Patrum in text recognito (n. 13) accuratius distinguuntur iura quae Ecclesiae competunt. Ex une parte Ecclesiae agnoscendum est ius ex mandato Dei. Quatenus enim est auctoritas spiritualis et societas hominum secundum fidei praecepta viventium, Ecclesia ius divinitus ortum possidet libero modo in societate vivendi et missionem suam adimplendi. Sed praeterea ei agnoscendum est ius naturale. Ecclesiae enim membra, quatenus homines sunt, pari modo ac alii homines, ius habent ne in societate impediantur vivendi iuxta exigentias suae conscientiae. Inter utrumque ius, divinum et naturale, non datur oppositio; utrumque integre servatur si in societate datur libertas socialis et civilis in re religiosa » (40).

Suivant le désir de certains Pères exprimé dans le texte révisé (n. 13), les droits qui reviennent à l’Église sont distingués plus précisément. D’une part, on doit reconnaître à l’Église un droit provenant du mandat divin. Dans la mesure, en effet, où elle est l’autorité spirituelle et la société des hommes vivant selon les préceptes de la foi, l’Église possède le droit venant de Dieu de vivre librement dans la société et de remplir sa mission propre. Mais on doit, en outre, lui reconnaître un droit naturel. En effet, les membres de l’Église, dans la mesure où ils sont hommes, et de la même façon que tous les autres hommes, ont le droit de ne pas être empêchés de vivre selon les exigences de leur conscience. Entre l’un et l’autre droit, le divin et le naturel, il n’existe pas d’opposition ; l’intégrité des deux est préservée si l’on accorde, dans la société, la liberté sociale et civile en matière religieuse. »]

Rappelons en outre l’explication de la portée du texte de DH donnée par la Relatio de textu recognito :

« Ubi sermo est de speciali civili agnitione quae determinatae religioni tribuitur, Commissio admisit formam hypotheticam, quae a multis Patribus postulata est. Verum est alios Patres petivisse ut nullo modo de hac speciali agnitione ageretur; cum tamen talis specialis agnitio de facto in multis regionibus habeatur, Commissio observandum est in hac pericope non tractari de omnibus iuribus quae Ecclasiae agnoscenda sunt; obiectum nostrae declarationis non est vindicatio omnium iurium Ecclesiae, sed tantumodo vindicatio universalis et semper observandi iuris ad libertatem tum pro catholicis tum pro aliis » (41).

Là où il est question de la reconnaissance civile spéciale qui est accordée à une religion déterminée, la Commission a admis une formulation hypothétique qui a été demandée par plusieurs Pères. Il est vrai que d’autres Pères ont demandé qu’il ne s’agît d’aucune façon de cette reconnaissance spéciale ; cependant, comme une telle reconnaissance spéciale existe de fait dans de nombreuses régions, il faut observer que la Commission ne traite pas dans ce passage de tous les droits qui doivent être reconnus à l’Église ; lobjet de notre déclaration n’est pas la défense de tous les droits de l’Église, mais seulement la défense universelle de toujours respecter le droit à la liberté, tant pour les catholiques que pour les autres. »

Un an auparavant, la Relatio de textu emendato expliquait que l’on voulait ainsi mettre en évidence la compatibilité du régime de liberté religieuse avec celui de confessionnalité de l’État :

« Si res bene intelligitur, doctrina de libertate religiosa non contradicit conceptui historico sic dicti status confessionalis. Etenim regimen libertatis religiosae prohibet intolerantiam istam legalem, secumdum quam quidam cives vel quaedam communitates religiosea in inferiorem condicionem redigerentur quoad iura civilia in re religiosa. Non tamen prohibet, quin religio catholica iure humano publico agnoscatur tamquam communis religio civium in quadam regione, seu quin religio catholica iure publico stabiliatur tamquam religio status. In hoc tamen casu, cavendum est ne ex instituto religionis statalis deriventur consequentiae sive iuridicae sive sociales, quae in re religiosa aequilitati omnium civiem in iure publico damnum inferret. Verbo, simul cum regimine religionis statalis observandum est regimen libertatis religiosae » (42).

Si la chose est bien comprise, la doctrine de la liberté religieuse ne contredit pas le concept historique ainsi dit du statut confessionnel. De fait, le régime de la liberté religieuse prohibe l’intolérance légale selon laquelle des citoyens ou des communautés religieuses seraient réduits à une condition inférieure en ce qui concerne les droits civils en matière religieuse. Elle n’interdit cependant pas que la religion catholique soit reconnue par le droit humain public comme la religion commune des citoyens d’un pays, ou que la religion catholique soit établie par le droit public comme la religion de l’État. Dans ce cas, cependant, il faut prendre garde que l’institution d’une religion d’État n’entraîne pas des conséquences soit juridiques soit sociales qui porteraient préjudice à l’égalité religieuse, dans le droit public, de tous les citoyens. En un mot, le régime de la liberté religieuse doit être observé en même temps que celui de la religion étatique. »]

Bien que la proposition 78 [« Aussi c'est avec raison que, dans quelques pays catholiques, la loi a pourvu à ce que les étrangers qui y immigrent y jouissent de l'exercice public de leurs cultes particuliers.] condamnée par le Syllabus paraisse équivalente à DH, 6, il n’en est pas ainsi en réalité. Ce qui est condamné n’est pas la doctrine enseignée ensuite par DH.

En effet, l’interprétation correcte du Syllabus nécessite l’examen des documents dans lesquels on condamne chacune des formules impliquées (l’Alloc. Acerbissimum dans le cas de la proposition 78). Les lois anticatholiques auxquelles fait référence l’Allocution Acerbisimum supposent que l’État concède une faculté morale de liberté de culte sur la base de l’égalité de tous les cultes par eux mêmes, dont l’exercice serait, pour ce seul motif, objectivement juste. Cette faculté morale ne peut exister, et moins encore être créée par l’État. Comme on l’a déjà dit antérieurement, l’enseignement de DH implique seulement que ceux qui professent une religion erronée aient le droit, dans certaines limites, de ne pas souffrir violences de la part de l’État ou des autres citoyens. Il s’agit d’un droit négatif qui n’accorde de justification objective à aucune des réalisations positivement erronées de la liberté humaine.

La liberté de culte à laquelle fait référence la proposition 78 du Syllabus y est comprise comme expression de la « liberté de conscience », c’est à dire, d’une prétendue inexistence de l’ordre moral objectif, transcendant l’homme, qui impose un lien à sa conscience. La liberté de culte, dans ce sens, signifie que tous les cultes sont égaux, avec la prétention que l’État autorise et légitime de manière égale tous les cultes. En bref, ce qui le Syllabus condamne dans le texte cité, c’est une conséquence pratique de l’indifférentisme religieux, qui est également incompatible avec la doctrine rappelée explicitement par DH, 1 : la véritable religion se trouve seulement dans l’Église Catholique.

Il ne faut donc pas confondre la liberté religieuse avec l’indifférence religieuse ou le syncrétisme (43). Comme on l’a déjà rappelé précédemment, le droit à la liberté religieuse n’est pas fondé sur une prétendue égalité entre toutes les religions, mais sur la dignité de la personne humaine, qui a le droit et le devoir de chercher la vérité librement et sans contraintes externes (cf. DH, 2/b). En d’autres termes, la liberté civile et sociale en matière religieuse, dont parle DH, est un concept juridique qui exprime tout autant la dignité de la personne que l’obligation de chercher la vérité ou la manifestation du fait que l’unique vraie religion est la Religion Catholique.

Il n’y a donc pas de contradiction entre les enseignements de Pie IX et ceux de DH, car ils ne traitent pas du même problème, bien que les expressions utilisées, hors de leur contexte, puissent le laisser croire.

Une interprétation de DH dans la ligne de « l’agnosticisme religieux de l’État », ni du « naturalisme de l’État », ou du « positivisme juridique » n’a pas non plus de fondement. En effet, quand on affirme que l’État n’est pas compétent pour émettre un jugement sur la vérité ou la fausseté des croyances religieuses, il faut comprendre cela sans le sens indique par Léon XIII et Pie XI, c’est à dire que l’État en tant que tel n’a aucune compétence dans l’ordre surnaturel ; dans cet ordre, la compétence appartient exclusivement à l’Église :

« Quidquid igitur est in rebus humanis quoquo modo sacrum, quidquid ad salutem animorum cultumve Dei pertinet, sive tale illud sit natura sua, sive rursus tale intelligatur propter causam ad quam refertur, est omne in potestate arbitrioque Ecclesiae: cetera vero, quae civile et politicum genus complectitur, rectum est civili auctoritati esse subiecta » (44).
Donc, tout ce qui, dans les choses humaines est sacré d’une façon ou d’une autre, tout ce qui relève du salut des âmes ou du culte de Dieu, soit qu’il soit tel de par sa nature ou que, au contraire, ils soit considéré tel en raison de la cause à laquelle il se réfère, appartient totalement au pouvoir et au jugement de l’Église : il est juste que les autres aspects qui embrassent l’ordre civil et politique soient soumis à l’autorité civile.»]

On ne pourrait défendre la liberté et l’autonomie de l’Église sans défendre ce principe.

Mais ceci ne veut pas dire que l’État en tant que tel n’ait pas d’obligations vers Dieu et envers l’Église, ni que la liberté de l’Église en face de l’État soit identique à la simple liberté civile, d’ordre purement naturel, dont bénéficient tous les citoyens en matière religieuse.

En effet, la doctrine de DH ne défend pas « l’agnostisicisme religieux de l’État » : les gouvernants, en tant que gouvernants et non seulement en tant qu’hommes, doivent chercher la vérité et y adhérer (cf. DH, 1), et faire en sorte que l’État favorise la véritable religion, c’est à dire, la religion catholique. DH ne dit pas que l’État ne puisse tenir compte de la distinction entre la religion catholique et les autres religions (par exemple, en accordant une reconnaissance particulière à l’Église, en contribuant à la subsistance du clergé etc.). L’objet précis de la Déclaration n’est pas ce que l’État doit faire pour satisfaire à ses devoirs envers Dieu, mais ce que l’État ne peut faire vis-à-vis de la conscience humaine. De fait, comme il a déjà été dit, DH n’exclut pas la confessionnalité de l’État. Ce qu’affirme DH, c’est que l’État ne peut contraindre personne en matière religieuse, à moins que les manifestations externes de ces religions ne dépassent les limites indiquées par DH, 7.

Il convient d’autre part de tenir compte du fait que la soumission au Règne du Christ ne signifie pas que l’État et l’Église s’unissent de telle manière que disparaisse la distinction de nature, mission et fonctions entre les deux. Soumettre tout le créé, en particulier les nations et les États, au Christ, signifie informer par l’esprit chrétien toutes les réalités terrestres (qui n’est pas évidemment pas la même chose que de les soumettre à la juridiction ecclésiastique), et ne signifie pas une réglementation juridique unique et déterminée des relations entre l’Église et l’État.

La liberté religieuse, telle que l’entend DH, a un fondement solide, non dans une conception naturaliste de l’État, mais dans la dignité de la personne humaine et dans l’obligation de celle-ci de chercher et d’adhérer à la véritable religion (cf. DH, 2). En outre, il faut tenir compte du fait que la doctrine de Léon XIII et Pie XI selon laquelle le pouvoir de l’État est limité à l’ordre naturel, n’est pas équivalente à une « conception naturaliste de l’État ». Ce que l’on appelle « conception naturaliste de l’État » est basé sur la thèse contenue dans la proposition 3 condamnée dans le Syllabus (45), alors que dans DH on affirme expressément le contraire, à savoir que la norme suprême de la vie humaine est la loi divine, éternelle, objective et universelle, par laquelle Dieu gouverne et ordonne tout l’univers et la société humaine (cf. DH, 3).

De plus, la doctrine de DH n’a rien à voir avec le positivisme juridique ; au contraire, elle met une limite à la prétendue toute puissance législative de l’État, sur la base d’un droit naturel dérivé de la dignité de la personne (cf. DH, 1/a [: “Itemque postulant iuridicam delimitationem potestatis publicae, ne fines honestae libertatis et personae et associationum nimis circumscribantur.” («  De même requièrent-ils que soit juridiquement délimité l’exercice de l’autorité des pouvoirs publics, afin que le champ d’une honorable liberté, qu’il s’agisse des personnes ou des associations, ne soit pas trop étroitement circonscrit. »)].

La Relatio de textu reemendato expliquait aussi pour quelle raison il n'y a pas de place pour le positivisme juridique :

« His suppositis, argumentum pro libertate religiosa primum haurit schema ex ratione. Ad hoc argumentum construendum appellat ad auctam hominis hodierni conscientiam dignitatis personae atque ad libertatis civilis postulationem, quae exinde profluit. Notandum vero est, argumentum non fundari in nudo facto huiusmodi crescentis conscientiae, neque in nudo facto postulationis libertatis civilis, acsi Ecclesia quasi cederet opinioni publicae vel positivismo cuidam iuridico indulgeret. Quod absit. E contra, fundatur argumentum in veritate de dignitate personae, quam conscientia hodierna manifestat, ac proinde in iustitia ipsa, qua postulatur libertas personae debita » (46).

[« Tout cela étant admis, l’argument en faveur de la liberté religieuse tire, en premier lieu, son origine de la raison. Pour développer cet argument, elle fait appel à la conscience accrue qu’a l’homme contemporain de la dignité de la personne humaine et de l’exigence de la liberté civile qui en découle. Il faut pourtant noter que l’argument n’est pas fondé sur le fait nu de cette conscience accrue, ni sur celui de l’exigence de la liberté civile, comme si l’Église se montrait complaisante envers l’opinion publique ou un quelconque positivisme juridique. Loin de nous cette idée ! Au contraire, l’argument est fondé sur la vérité de la dignité de la personne humaine que découvre la conscience contemporaine, et par conséquent, sur la justice elle-même qui réclame, comme un dû, la liberté de la personne. »]

La Relatio de modis a Patribus propositis [Relation concernant les amendements proposés par les Pères] déclarait d’autre part que la raison pour ne pas admettre certaines modifications avait été le souci d’éviter que la liberté religieuse ne puisse apparaître comme un droit civil uniquement positif :

« Pro libertate ipsius Ecclesiae Catholicae eiusque munere divino adimplendo haec affirmatio iuris unice positivi summe periculosa esset. Ius positivum civile a legislatore civili conditur. Si libertas Ecclesiae dependere dicitur a voluntate legislatoris, quid fiet in societatibus civilibus ubi legislator est Ecclesiae hostilis vel ubi non fit distinctio inter religionem (non-christianam) et statum? Nonne sic de facto libertas et sacra independentia Ecclesiae Christi committitur voluntati brachii saecularis? In declaratione conciliari attendendum.

Si haec dicimus, exinde tamen non est concludendum quod haec Synodus libertam religiosam propter solam Ecclesiae Catholicae utilitatem admittit. In nostra declaratione explicite affirmatur immunitatem ab externa coercitione exigi ipsa veritate i. e. ipsa hominis natura. Fundatur enim in dignitate humanae personae a Deo ad suam imaginem dotatae libero arbitrio et personali responsabilitate » (47).

[« Pour la liberté de l’Église Catholique elle-même et l’accomplissement de sa fonction divine, cette affirmation d’un droit uniquement positif représenterait un très grand danger. Le droit positif civil est rédigé par le législateur civil. Si l’on dit que la liberté de l’Église dépend de la volonté du législateur, qu’arrivera-t-il dans les sociétés civiles où le législateur est hostile à l’Église ou si l’on ne fait pas la distinction entre la religion (non-chrétienne) et l’État ? La liberté et l’indépendance sacrée de l’Église du Christ ne sont-elles pas, de fait, abandonnées à la volonté du bras séculier ? Dans la déclaration conciliaire il faut veiller au bien de toute l’Église.

Si nous disons cela, il ne faut cependant pas, par suite, conclure que ce Synode admet la liberté religieuse à cause du seul intérêt de l’Église Catholique. Dans notre déclaration, on affirme explicitement que l’immunité de coaction extérieure est exigée par la vérité même, c’est-à-dire par la nature même de l’homme. Elle est fondée, en effet, sur la dignité de la personne humaine dotée, conformément à Son image, du libre arbitre et de la responsabilité personnelle. »]

Enfin, il faut tenir compte du fait que l’immunitas ab externa coercitione en matière religieuse, telle que la comprend DH, se réfère au domaine social et civil. Pour cette raison, en particulier, faites par le Christ, et d’autres au sujet épisodes des réprimandes similaires du Nouveau Testament, la Commission Conciliaire a précisé que, dans DH, ne sont pas traités les problèmes de la vie intra-ecclésiale (relation des fidèles entre l’autorité ecclésiastique) :

« Exempla et verba allata contra textum, ex Novo Testamento (et etiam pluria ex Vetere Testamento) sumpta, aut vitam religiosae communitatis Israël internam, in qua Jesus et Apostoli vixerunt, aut vitam intra-ecclesiasticam primaevae communitatis christianae spectant. De qua vita non agitur in Declaratione » (48).
Les exemples et les paroles allégués contre le texte et tirés du Nouveau Testament (et même un plus grand nombre de l’Ancien Testament) ont en vue soit la vie interne de la communauté religieuse d’Israël dans laquelle Jésus et les Apôtres ont vécu, soit la vie intra-ecclésiale de la première communauté chrétienne. »]

On peut également le voir de manière plus détaillée dans la réponse au modo suivant :

« post confirmet addatur Insuper non solum ius, sed etiam officium habet Ecclesia iis qui ei libere subiecti sunt doctrinam suam et disciplinam imponere vi auctoritatis et cum sanctionibus. Haec coactio genuinae libertati minime opponitur, potius favet; ita enim agebat Christus, dum saepe saepius dure reprehendebat, quod non crederent, eos qui debebant veritatem agnoscere: Qui vero non crediderit condemnabitur (Mc 16, 16).

R./ Non admittitur, cum hic non agatur de officio, se de iure Ecclesiae neque de quaestione libertatis in ipsa Ecclesia. Praeterea actio descripta Ecclesiae non est vocanda coactio » (49).

[« Après “qu’il garantisse”, que l’on ajoute : “De plus, l’Église a non seulement le droit mais également le devoir d’imposer sa doctrine et sa discipline à ceux qui lui sont librement soumis, par la force de l’autorité et par le moyen de sanctions. Cette contrainte ne s’oppose nullement à la liberté authentique, elle la favorise plutôt ; le Christ agissait ainsi , en effet, lorsque, très fréquemment, il reprenait sévèrement, parce qu’il ne croyaient pas, ceux qui devaient de reconnaître la vérité : “Celui qui ne croira pas sera condamné (Mc 16, 16)” ».

R[éponse]/ : Cela n’est pas admissible, étant donné que, ici, il ne s’agit pas du devoir, mais du droit de l’Église, ni non plus de la question de la liberté dans l’Église elle-même. De plus, on ne doit pas appeler “contrainte” l’action de l’Église décrite [ci-dessus]. »]

En conclusion, il est parfaitement conforme aux enseignements de DH que les normes morales et les normes civiles justes soient accompagnées de sanctions. Ce que l’on admet dans la Déclaration, c’est que l’erreur en matière de foi, là où elle est imputable subjectivement, mérite un châtiment de la part de Dieu et de l’Église (50), mais non de la part de l’État, à moins que cette erreur ne consiste en une infraction à l’ordre public juste.

 

4. Sur la comparaison de Quanta cura et de Dignitatis humanae

Les propositions condamnées par Pie IX dans l’Enc. Quanta cura et les affirmations correspondantes de DH, entre lesquelles on pourrait avoir l’impression qu’existe une identité ou une relation de nécessaire implication, sont les suivantes:

I)

Proposition condamnée par Quanta cura : « La meilleure condition de la société est celle où on ne reconnaît pas au pouvoir l’office de réprimer par des peines légales les violateurs de la religion catholique, si ce n’est lorsque la paix publique le demande » (Quanta cura, A.S.S., 3, 1867, p. 162).

[“[O]ptimam esse conditionem societatis, in qua Imperio non agnoscitur officium coercendi sancitis poenis violatores Catholicae religionis, nisi quatenus pax publica postulet.”]

Enseignement de DH : « En matière religieuse, que nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience, ni empêché d’agir selon sa conscience, en privé et en public, seul ou associé à d’autres, dans les justes limites » (DH, 2/a).

[“[I]n re religiosa neque aliquis cogatur ad agendum contra suam conscientiam neque impediatur, quominus iuxta suam conscientiam agat privatim et publice, vel solus vel aliis consociatus, intra debitos limites. ”]

II)

Proposition condamnée par Quanta cura : « La liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme, qui doit être proclamé et garanti dans toute société correctement constituée » (Quanta cura, A.S.S., 3, 1867, p. 162).

[“[L]ibertatem conscientiae, et cultum esse proprium cuiuscumque hominis ius, quod lege proclamari et asseri debet in omni recte constituta societate.”]

Enseignement de DH : « La personne humaine a droit à la liberté religieuse. (…) Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse doit être reconnu dans l’ordre juridique de la société, de manière à ce qu’il constitue un droit civil » (DH, 2/a).

[“[P]ersonam humanam ius habere ad libertatem religiosam. (…) Hoc ius personae humanae ad libertatem religiosam in iuridica societatis ordinatione ita est agnoscendum, ut ius civile evadat.”]

Malgré les apparences, il n’existe aucune incompatibilité entre les condamnations de Quanta cura et les enseignements de DH. Pour comprendre les raisons qui justifient cette réponse, il convient de rappeler que la question ici posée a été prise en compte dans l’élaboration de DH dès les premiers schémas, présentés dans la Salle conciliaire, qui signalaient la continuité avec la doctrine antérieure. Les explications apportées par le Relator [Rapporteur] contribuent à mettre en évidence le sens dans lequel les Pères comprenaient les termes employés par la Déclaration, et selon lesquels ils l’approuvèrent :

« Haec modo iam via sternitur ad rectam intelligentiam plurium documentorum pontificalium quae saeculo XIX de libertate religiosa talibus verbis egerunt ut huiusmodi libertas damnanda esse videretur.

Exemplum clarissium habetur apud Pium IX in Encyclica Quanta cura, in qua legitur:

Ex qua omnino falsa socialis regiminis idea (scil. naturalismi) haud timent erroneam illam fovere opinionem catholicae Ecclesiae animarumque saluti maxime exitialem, a rec. mem. Gregorio XVI praedecessore nostro deliramentum appellatam, nimirum libertatem conscientiae et cultuum esse proprium cuiuscumque hominis ius, quod lege proclamari et asseri debet in omni recte constituta societate.’ (Quanta cura, A.S.S., 3, 1867, p. 162)).

Ut videre est, damnatur libertas ista conscientiae propter ideologiam, quam praedicaverunt rationalismi fautores, hoc fundamento innixi, quod individua conscientia exlex est, ut nullis sit normis obnoxia divinitus traditis (cf. Syllabus, prop. 3, A.S.S., 3, 1867, p. 168 [ :Humana ratio, nullo prorsus Dei respectu habito, unicus est veri et falsi, boni et mali arbiter, sibi ipsi est lex et naturalibus suis viribus ad hominum ac populorum bonum curandum sufficit.(Allocution consistoriale Maxima quidem, 9 Juin 1862 (Prop. 1-7, 15, 19, 27, 39, 44, 49, 56-60, 76)]).

Damnatur quoque ista libertas cultus, cuius principium est indifferentismus religiosus (cf. Syllabus, prop. 15, ibid., p. 170 [ : Liberum cuique homini est eam amplecti ac profiteri religionem, quam rationis lumine quis ductus veram putaverit.”], secundum quod ipsa Ecclesia intra organismum monisticum Status incorporanda et potestati supreme Status subicienda esset.

Ut hae damnationes exacte interpretentur, in ipsis cernenda est constans illa Ecclesiae doctrina atque sollicitudo de humanae personae vera dignitate atque de eius vera libertate (regula continuitatis). Etenim fundamentum ultimum dignitatis humanae in eo est, quod homo est Dei creatura. Non est ipse deus sed Dei imago. Ex hac absoluta dependentia hominis a Deo profluit omne ius officiumque hominis ad vindicandam sibi et aliis veri nominis libertatem religiosam. Ideo enim homo subiective tenetur ad Deum colendum iuxta rectam conscinetiae suae normam, quia obiective a Deo absolute dependet. Ideo homo nullatenus est ab aliis hominibus vel etiam a potestate publica in re religiosa interdicendus a libero exercitio religionis, ne eius absoluta a Deo dependentia quavis ratione infringatur.

Certatem igitur committendo contra laicismi placita cum philosophica tum politica, Ecclesia pro dignitate personae humanae et pro eius vera libertate omni ratione dimicabat. Ex quo sequitur, quod Ecclesia iuxta regulam continuitatis cum olim tum hodie, quantumvis mutatis rerum condicionibus, sibi plane consentiat » (51).

[« Par là, on ouvre désormais la voie à une juste compréhension de nombreux documents pontificaux qui, au XIXe siècle, s’exprimaient au sujet de la liberté religieuse, d’une façon telle qu’on avait l’impression qu’il fallait condamner une liberté de ce genre.

On en trouve l’exemple le plus net chez Pie IX, dans l’Encyclique Quanta cura, où on peut lire : À partir de cette idée complètement fausse d’un régime social (c’est-à-dire le naturalisme), ils ne craignent pas d’encourager cette opinion erronée de l’Église catholique et surtout funeste pour le salut des âmes, appelée délire par notre prédécesseur d’heureuse mémoire Grégoire XVI, qu’assurément, “la liberté de conscience et des cultes est un droit propre de n’importe quel homme qui doit être proclamé et affirmé par la loi dans toute société justement établie”.

Comme on le voit, cette liberté de conscience est condamnée à cause de l’idéologie qu’ont prôné les défenseurs du rationalisme qui s’appuie sur ce fondement selon lequel la conscience individuelle est sans frein, de telle sorte qu’elle n’est soumise à aucunes règles enseignées par Dieu (cf. Syllabus, prop. 3, A.S.S., 3, 1867, p. 168 [: « La raison humaine, considérée sans aucun rapport à Dieu, est l'unique arbitre du vrai et du faux, du bien et du mal: elle est à elle-même sa loi, elle suffit par ses forces naturelles à procurer le bien des hommes et des peuples » (Allocution consistoriale Maxima quidem, 9 Juin 1862 (Prop. 1-7, 15, 19, 27, 39, 44, 49, 56-60, 76)]).

Est condamnée également cette liberté de culte dont le principe est l’indifférentisme religieux (cf. Syllabus, prop. 15, ibid., p. 172 [ : « Il est libre à chaque homme d'embrasser et de professer la religion qu'il aura réputée vraie d'après la lumière de la raison (Lettre apostolique Multiplices inter, 10 juin 1851 (Prop. 15, 21, 23, 30, 51, 54, 68, 74), Allocution consistoriale Maxima quidem, 9 Juin 1862 (Prop. 1-7, 15, 19, 27, 39, 44, 49, 56-60, 76). »]), selon lequel l’Église elle-même doit être incorporée à l’intérieur de l’organisme moniste de l’État, et doit être soumise au pouvoir suprême de l’État.

Pour que ces condamnations soient interprétées avec exactitude, il faut y discerner cette constante doctrine de l’Église et ce souci permanent de la vraie dignité de la personne humaine et de sa vraie liberté (règle de continuité). Et de fait, le fondement le plus grand de la dignité humaine consiste en ce que l’homme est la créature de Dieu. Il n’est pas lui-même un dieu mais l’image de Dieu. C’est de cette dépendance parfaite de l’homme vis-à-vis de Dieu que découle tout droit et tout devoir pour l’homme de réclamer pour lui et pour les autres la liberté religieuse authentique. Par conséquent, l’homme, subjectivement, est, en effet, tenu de rendre un culte à Dieu selon la juste règle de sa conscience, parce que, objectivement il dépend de Dieu d’une manière parfaite. L’homme, donc, en matière religieuse ne doit en aucun cas être empêché par d'autres hommes ou même par la puissance publique, du libre exercice de la religion, de peur que sa parfaite dépendance envers Dieu ne soit brisée pour quelque raison que ce soit.

En engageant le combat contre les principes tant philosophiques que politiques du laïcisme, l’Église luttait par tous les moyens en faveur de la dignité de la personne humaine et pour sa véritable liberté. Il s’ensuit donc que l’Église, selon sa règle de continuité, tant autrefois qu’aujourd’hui, quel que soit le changement de l’état des choses, doit rester complètement en accord avec elle-même. »]

Il est donc nécessaire d’affirmer que les deux propositions de l’Enc. Quanta cura déjà citées ont une signification différente des deux propositions correspondantes de DH.

Il est certain que les erreurs mentionnées par l’Enc. Quanta cura furent condamnées en elles mêmes, et non seulement en raison des circonstances historiques de l’époque. Cependant, il convient d’avoir bien présent à l’esprit quelles étaient ces erreurs, pour comprendre correctement les termes sous lesquels elles sont désignées dans l’Encyclique. On voit ainsi que l’on se trouve en présence d’un cas -qui n’est pas unique dans l’histoire- où est condamné une doctrine exprimée avec des mots qui, plus tard, seront utilisés par l’Église elle-même en leur donnant une signification différente.

On peut trouver d’autres cas de contradictions apparentes entre des textes du Magistère. L’exemple le plus ancien est peut-être celui du mot consubstantiel, rejeté par le Concile d’Antioche en 264, dans le sens modaliste que lui avait donné Paul de Samosate, qui l’utilisait pour nier la distinction réelle entre les Personnes du Père et du Fils. Il fut ensuite adopté par le Concile de Nicée en 325, dans un sens différent, le seul correct, défini par le Concile lui même (52). Dans l’Écriture Sainte, elle-même, on peut trouver des exemples de ce type. Les paroles du Seigneur: « "Ego et Pater unum sumus » Le Père et moi, nous sommes UN. »] (Jn, 10, 30) peuvent paraître — à qui ne lit pas la Sainte Écriture in sinu Ecclesiae [dans le sein de l’Église] incompatibles avec l’affirmation « le Père est plus grand que moi. » (Jn, 14, 28). De même, les textes du Magistère, de manière analogue à ceux de la Sainte Écriture, doivent être lus in sinu Ecclesiae, en évitant l’interprétation libre (53).

Dans le cas qui nous occupe, l’expression »liberté de conscience et de culte » dans l’Enc. Quanta cura et l’expression « liberté religieuse » dans la Décl. Dignitatis humanae désignent des réalités différentes. Comme le signale l’Enc. Quanta cura, les propositions condamnées sont le résultat de l’application »à la société civile du principe impie et absurde appelé naturalisme » (54).

Ce principe affirme que « Humana ratio, nullo prorsus Dei respectu habito, unicus est veri et falsi, boni et mali arbiter, sibi ipsi est lex et naturalibus suis viribus ad hominum ac populorum bonum curandum sufficit » la raison humaine, sans tenir compte en aucune façon de Dieu, est l’unique arbitre du vrai et du faux, du bien et du mal, est à elle-même sa propre loi, et suffit par ses seules forces naturelles, à procurer le bonheur des individus et des collectivités. » (55); et que « Omnes religionis veritates ex nativa humanae rationi vi derivant; hinc ratio est princeps norma qua homo cognitionem omnium cuiuscumque generis veritatum assequi possit ac debeat » [« toutes les vérités religieuses ont pour origine la vigueur native de la raison humaine. Cette raison est la norme première qui peut et doit procurer à l’homme la connaissance de toutes et de chacune des vérités. »] (56). Dans ce contexte doctrinal, la relation entre la raison humaine et la vérité en général, et celle entre la raison humaine et la vérité particulière à la religion et au culte, sont définies d’une seule manière: autonomie ou liberté. Ainsi, la liberté de conscience et de culte condamnée par Pie IX signifie-t-elle que « integrum cuique esse; aut quam libuerit, aut omnino nullam profiteri religiones » [« il est permis à chacun ou de professer la religion qui lui plaît ou de n’en professer aucune »] ? » (57).

Les Pontifes Romains (en particulier Pie IX et Léon XIII) enseignent justement qu’il n’est pas licite de revendiquer un droit ou une faculté morale (le pouvoir éthiquement légitime) d’adhérer intérieurement à une religion erronée, ni la faculté morale de la pratiquer extérieurement. Aucun gouvernant ne peut établir ni décréter un droit de liberté de conscience ou de cultes, ce qui consisterait à prétendre créer la possibilité morale d’adhérer à n’importe quel culte. La vérité que l’homme est obligé de chercher et le culte véritable que l’homme est obligé de pratiquer, ne sont créés ni par la raison individuelle ni par le pouvoir politique, mais transcendent ces deux instances humaines.

Comme on l’a déjà rappelé dans les pages précédentes, Léon XIII et Pie XII enseignent aussi que, dans certaines circonstances un culte erroné peut être toléré, c’est-à-dire, ne pas être empêché par la contrainte (58). Cette tolérance civile ne lui est pas due en justice à titre de culte. La tolérance ne sanctionne pas non plus ni ne crée de faculté morale d’exercer une culte erroné (elle ne le rend pas éthiquement légitime). En vertu de la tolérance, sans avoir la faculté morale d’agir mal, on peut avoir le droit civil de ne pas être empêché par la contrainte, si le dispose ainsi une loi civile base de manière suffisante sur des motifs raisonnables: à savoir, obtenir un bien supérieur, ou éviter un mal plus grave (59). La tolérance n’équivaut pas à concéder à l’erreur une légitimité morale.

La pratique de la tolérance correspond, en dehors des raisons énoncées, à la nature même de l’acte de foi. « Atque illud quoque magnopere cavere Ecclesia solet ut ad amplexandam fidem catholicam. nemo invitus cogatur, quia quod sapienter Augustinus monet, credere non potest homo nisi volens. » C’est d’ailleurs la coutume de l’Église de veiller avec le plus grand soin à ce que personne ne soit forcé d’embrasser la foi catholique contre son gré, car, ainsi que l’observe sagement saint Augustin, l’homme ne peut croire que de plein gré »] (60). Aussi, Léon XIII et Pie XI ont distingué l’erreur de la liberté de conscience et de la légitime liberté des consciences (61).

Toute cette doctrine reste inchangée dans la Décl. Dignitatis humanae, bien qu’il y ait un progrès doctrinal et un changement dans le point de vue selon lequel on aborde le problème. Dans DH:

a) on affirme l’obligation de chercher la vérité en matière religieuse et morale, et on n’admet aucun type de liberté de conscience, entendue comme autonomie éthique;

b) on n’admet pas non plus l’autonomie religieuse : l’unique vraie religion est celle de l’Église Catholique (cf. DH, 1). En conséquence, la doctrine sur la relation entre l’homme et la vérité en matière religieuse et morale reste inchangée par rapport à la doctrine traditionnelle ;

c) le point de vue de DH, fondamentalement juridique, amène à examiner les relations interpersonnelles entre les hommes et entre l’homme et l’État. La contrainte civile (nécessité ab extrinseco) en matière religieuse est exclue par la nature même de la personne, par la nature et l’acte de foi, par la nature personnelle de l’obligation et de la responsabilité en relation avec la vérité, en aucune manière sur la base d’une prétendue indifférence de l’homme vis-à-vis de la religion ou d’une égalité entre tous les cultes. Dans ce sens — différent de celui de l’Enc. Quanta cura, on peut parler de droit naturel à la liberté religieuse. C’est un droit négatif qui indique à l’État et à la personne ce qu’ils ne doivent pas faire à un autre homme en matière religieuse et sur le plan civil, mais ne légitime en aucune matière sur le plan moral et religieux ce que fait chacun dans sa sphère de responsabilité personnelle. DH ne prétend ni créer ni concéder aucune faculté morale à l’erreur ou à l’adhésion à l’erreur de la part du sujet.

L’Enc. Quanta cura condamne ceux qui osent dire que « Ecclesiae et huius Apostolicae Sedis supremam auctoritatem a Christo Domino ei tributam civilis auctoritatis arbitrio subiicere » l’autorité suprême de l’Église et de son Siège Apostolique, à elle attribuée par le Christ Jésus lui-même, est soumise au jugement de l’autorité civile »] (62). L’évolution même du noyau doctrinal du rationalisme va d’une présentation initiale individualiste à une image collectiviste ou totalitaire de l’homme. Pour cette raison, les Pontifes Romains ont insisté chaque fois davantage sur le fait que le bien commun nécessite avant tout le respect de la dignité et des droits de la personne, créée à l’image de Dieu, qui jouit d’une destinée personnelle éternelle (63).

Dans les conditions actuelles, l’insistance sur la transcendance du domaine religieux considéré en lui-même, vis-à-vis des compétences du pouvoir politique, correspond d’une part à la vérité enseignée traditionnellement par l’Église, et, d’autre part, est nécessaire pour sauvegarder la liberté des catholiques et de l’Église elle-même. Le statut commun de liberté religieuse sur le plan civil et social est le minimum nécessaire dont a besoin l’Église pour accomplir sa mission divine, ce qui ne veut pas dire -comme on l’a dit précédemment- que ce minimum soit le seul possible ou le plus avantageux pour l’Église. Dans DH, 6, on contemple la possibilité d’une reconnaissance particulière et d’une collaboration qui, à son tour, doivent éviter les comportements juridiques exclus par la nature même de la personne et du domaine religieux. De fait, l’existence de Concordats entre le Saint-Siège et certains États place les relations Église-État au dessus du simple régime de liberté religieuse sur le plan civil et social. Un autre problème est celui de la valeur de chaque Concordat en particulier, qui pourra dépendre des circonstances dans lesquelles il a été établi, et des personnes qui sont intervenues dans sa réalisation.

IV. CONCLUSION

Au terme de cette argumentation, je pense que l’on peut admettre comme suffisamment fondée la conclusion suivante: il n’existe pas de motifs suffisants pour justifier en conscience une mise en doute de la compatibilité et de la doctrine de la Déclaration Dignitatis humanae et le Magistère antérieur.

Il faut cependant noter que les explications données dans ces pages, contiennent nécessairement des aspects théologiques discutables. Une fois démontré qu’il n’y a pas de motif suffisant pour affirmer qu’il y ait une contradiction, demeure la possibilité d’une étude ultérieure de ce problème, dans le but d’expliquer d’une manière encore plus parfaite l’existence et de la compatibilité et de la continuité: c’est-à-dire, de quaerere rationem quomodo sit [chercher à expliquer la façon dont est], et non pas quomodo non sit [la façon dont n’est pas] [enseigné], ce qui est enseigné par l’Église (64).



Notes

(1) Cf., par exemple, le volume Vatican II. La liberté religieuse, collection « Unam Sanctam » n. 60, Ed. du Cerf, Paris 1967, en particulier l’article de J. COURTNEY MURRAY, Vers une intelligence du développement de la doctrine de l’Église sur la liberté religieuse (pp. 111-147). Cf. aussi NICOLAU, Magisterio eclesiástico sobre libertad religiosa. Conciliación armónica de sus enseñanzas, « Salmanticensis » 17 (1970) pp. 57 ss.

(2) Cf. par exemple, S.C.D.F., Décl. Mysterium Ecclesiae, 24-VI-73, n° 5.

(3) Cf. CONC. VATICAN I, Const. Dei Filius, chap. 4 : Denz-Sch 3020 ; CONC. VATICAN II, Consti. Dei Verbum, n° 8

(4) LÉON XIII, Enc. Immortale Dei, 1-XI-1885 : A.A.S., 18 (1885) p. 172.
(5) JEAN XXIII, Enc. Pacem in terris, 11-IV-1963 : A.A.S., 55 (1963) p. 299 ; cf. aussi, JEAN-PAUL II, Message à l’ONU, 2-XII-1978 : « Insegnamenti di Giovanni Paolo II » 1 (1978) p. 259
(6) CONC. DE TRENTE, Decr. de peccato originali, can. 1: Denz-Sch, 1511.
(7) Cf. CONC. DE TRENTE, Decr. de justificatione, can. 5: Denz-Sch, 1555.
(8) Cf. St. THOMAS D'AQUIN, Summa Theologiae, I, q. [9]3, a. 4 et III, q. 8, a.3.

(9) Acta Synodalia Sacrosancti Concilii Oecumenici Vaticani II, Typis Polyglottis Vaticanis, vol. IV, [periodus IV,] pars VI, [Typis Polyglottis Vaticanis, 1978,] p. 725.

(10) Pie XII, Alloc. Ci riesce, 6-XII-1953 : A.A.S., 45 (1953) p. 799.

(11) Acta Synodalia, cit., vol. IV, periodus IV, pars I, pp. 189-190.

(12) Cf. J. HAMER, « Histoire du texte de la Déclaration », en AA. VV, Vatican II. La liberté religieuse, cit., p. 104.

(13) Acta Synodalia , cit., vol. IV, [periodus IV,] p. 190.
(14) Acta Synodalia , cit., vol. IV, [periodus IV,] pars VI, [Typis Polyglottis Vaticanis, 1978,] p. 744.

(15) Acta Synodalia ... , cit., vol. IV, [periodus IV,] pars VI, [Typis Polyglottis Vaticanis, 1978,] p. 769.

(16) Acta Synodalia , cit., vol. IV, pars V, p. 154.

(17) Cf. St. THOMAS D'AQUIN, Summa Theologiae, I-II, q. 96, aa. 2-3.

(18) Pie XII, Alloc. Ci riesce, 6-XII-1953 : A.A.S., 45 (1953) p. 799.

(19) Acta Synodalia … , cit., vol. II, [Periodus II,] pars V, [Typis Polyglottis Vaticanis, 1973,] p. 492.

(20) Acta Synodalia … , cit., vol. II, [Periodus II,] pars V, [Typis Polyglottis Vaticanis, 1973,] p. 494.

(21) Acta Synodalia … , cit., vol. III, pars II, p. 327.

(22) Acta Synodalia… , cit., vol. III, pars II, pp. 349-350

(23) Cf. PAUL VI, Discorso [Udienza generale], 18-VIII-1971: « Insegnamenti di Paolo VI » 9 (1971) p. 705 [:“vi sono pagine nella storia della Chiesa, in fatto di libertà religiosa, che meritano riserve e spiegazioni, facilmente derivabili dal contesto storico in cui esse registrarono fatti più conformi allo spirito temporale che a quello evangelico.” : « On sait des pages de l'histoire de l'Église, en termes de liberté religieuse, qui méritent des réserves et des explications, facilement dérivées du contexte historique dans lequel ont été enregistrés des faits plus conformes à l'esprit temporel qu'à l'esprit évangélique. »]

(24) PAUL VI, Discorso, 20-XII-1976: « Insegnamenti di Paolo VI », 14 (1976) pp. 1088-1089.

(25) Cf. CONC. VATICAN II, Peer. Unitatis redintegratio, nn. 3, 14, 15, 20, 22, 23.

(26) CONC. VATICAN II, Décl. Nostra aetate, n. 2

(27) Cf. PAUL VI, Ex. Ap. Evangelii nuntiandi, 8-XII-1975, n. 80.

(28) Acta Synodalia … , cit., vol. III, [periodus III,] pars VIII, [Typis Polyglottis Vaticanis, 1976,] p. 462.

(29) Acta Synodalia … , cit., vol. III, [periodus III,] pars VIII, [Typis Polyglottis Vaticanis, 1976,] pp. 461-462.

(30) Acta Synodalia … , cit., vol. III, [periodus III,] pars VIII, [Typis Polyglottis Vaticanis, 1976,] p. 464.
(31) PIE IX, Syllabus n. 77 : Denz-Sch 2977.
(32) PIE IX, Syllabus n. 78 : Denz-Sch 2978.
(33) LÉON XIII, Enc. Immortale Dei, 1-XI-1885 : A.S.S. 18 (1885), pp. 170-171.
(34) PIE XI, Enc. Quas primas, 11-XII-1925 : A.A.S. 17 (1925), pp. 604-605.

(35) Acta Synodalia … , cit., vol. IV, [periodus IV,] pars VI, [Typis Polyglottis Vaticanis, 1978,] p. 721.

(36) LÉON XIII, Enc. Immortale Dei : A.S.S., 18 (1885), pp. 186.

(37) PIE XI, Enc. Non abbiamo bisogno : A.A.S., 23 (1931) p. 303. Cf. déjà la lettre [ Famuli vestrae pietatis] de GÉLASE Ier à Anastase Ier en 494 : Denz-Sch 347.

(38) Acta Synodalia…, cit., vol. IV, [Periodus IV,] pars I, [Typis Polyglottis Vaticanis, 1976,] p. 433.

(39) Cf. Acta Synodalia…, cit., vol. IV, pars [VI], p. 768 (modi 10 et 11)

(40) Acta Synodalia…, cit., vol. IV, pars V, p.103.

(41) Acta Synodalia… , cit., vol. IV, pars V, p.102

(42) Acta Synodalia… , cit., vol. IV, pars V, p.102

(43) Cf. Paul VI, Discorso, 2[5]-VIII-76; “Insegnamenti di Paolo VI”, 14 (1976), p.672 [: Oggi, per esempio, si confonde la libertà religiosa, quale la Chiesa ci insegna riguardo a chi non professa la nostra fede (Cfr. Dignitatis Humanae, 2) con l’indifferenza religiosa, quasi che non esistesse l’obbligo morale di cercare e di dare testimonianza alla verità; ovvero con un ibrido sincretismo, quasi che ogni religione fosse valida per se stessa.” : « Aujourd’hui, par exemple, on confond la liberté religieuse que l’Église nous enseigne à propos de ceux qui ne professent pas notre foi (cf. Dign. hum. DH 2) avec l’indifférence religieuse, comme s’il n’existait pas l’obligation morale de chercher la vérité et de lui rendre témoignage ; ou encore avec un syncrétisme hybride, comme si chaque religion était valable de par elle-même. »]

(44) LÉON XIII, Enc. Immortale Dei, 1-XI-1885 : A.S.S. 18 (1885) p. 167.

(45) Cf. Syllabus, n. 3 : Denz-Sch 2903 [: « La raison humaine, considérée sans aucun rapport à Dieu, est l'unique arbitre du vrai et du faux, du bien et du mal : elle est à elle-même sa loi, elle suffit par ses forces naturelles à procurer le bien des hommes et des peuples. » (“Humana ratio, nullo pror-sus Dei respectu habito, unicus est veri et falsi, boni et mali arbiter, sibi ipsi est lex et naturalibus suis viribus ad hominum ac populorum bonum curandum sufficit.”)]

(46) Acta Synodalia … , cit., vol. IV, [Periodus IV,] pars I, [Typis Polyglottis Vaticanis, 1976,] p. 185.

(47) Acta Synodalia ..., vol. IV, [periodus IV,] pars VI, [Typis Polyglottis Vaticanis, 1978,] p. 720.

(48) Acta Synodalia ..., vol. IV, [periodus IV,] pars VI, [Typis Polyglottis Vaticanis, 1978,] p. 763.

(49) Acta Synodalia ..., vol. IV, [periodus IV,] pars VI, [Typis Polyglottis Vaticanis, 1978,] p. 770.

50) "La potestà coercitiva è anch'essa fondata nell'esperienza della Chiesa primitiva, e già San Paolo ne fece uso nella comunità cristiana di Corinto [« Le pouvoir de coercition trouve son fondement lui aussi dans l’expérience de l’Église primitive et saint Paul en a déjà fait usage dans la communauté chrétienne de Corinthe »] (cf. I Cor 5)" (PAUL VI, Discorso [Ad Praelatos Auditores et Officiales Tribunalis Sacrae Romanae Rotae], 29-I-1970: "Insegnamenti di Paolo VI" VIII (1970) p. 89).

(51) Acta Synodalia…, cit., vol. II, [Periodus II,] pars V, [Typis Polyglottis Vaticanis, 1973,] pp 491-492.

(52) Cf. Dictionnaire de Théologie Catholique, vol. I, col. 1434; vol. III, col. 1611-1612; vol. XII, col. 50 [?].

(53) Cf. PAUL VI, Discorso, 20-XII-76: »Insegnamenti di Paolo VI » 14 (1976) p. 1088.

(54) PIE IX, Enc. Quanta cura, A.S.S., 3, 1867, p. 162

(55) Syllabus, n. 3 : Denz-Sch 2903 .

(56) Ibidem, n. 4 : Denz-Sch 2903

(57) LÉON XIII, Libertas praestantissimum, A.S.S., 20, 1887, pp. 603.

(58) Cf. LÉON XIII, Enc. Libertas praestantissimum, A.S.S., 20, 1887, pp. 609-610 ; Pie XII, Alloc. Ci riesce, 6-XII-1953 : A.A.S., 45 (1953) p. 797 ss.

(59) Cf. St. THOMAS, Summa Theologiae, II-II, q.10, a. 11 : [H]humanum regimen derivatur a divino regimine, et ipsum debet imitari. Deus autem, quamvis sit omnipotens et summe bonus, permittit tamen aliqua mala fieri in universo, quae prohibere posset, ne, eis sublatis, maiora bona tollerentur, vel etiam peiora mala sequerentur. Sic igitur et in regimine humano illi qui praesunt recte aliqua mala tolerant, ne aliqua bona impediantur, vel etiam ne aliqua mala peiora incurrantur, sicut Augustinus dicit, in II de ordine, aufer meretrices de rebus humanis, turbaveris omnia libidinibus. Sic igitur, quamvis infideles in suis ritibus peccent, tolerari possunt vel propter aliquod bonum quod ex eis provenit, vel propter aliquod malum quod vitatur. Ex hoc autem quod Iudaei ritus suos observant, in quibus olim praefigurabatur veritas fidei quam tenemus, hoc bonum provenit quod testimonium fidei nostrae habemus ab hostibus, et quasi in figura nobis repraesentatur quod credimus. Et ideo in suis ritibus tolerantur. Aliorum vero infidelium ritus, qui nihil veritatis aut utilitatis afferunt, non sunt aliqualiter tolerandi, nisi forte ad aliquod malum vitandum, scilicet ad vitandum scandalum vel dissidium quod ex hoc posset provenire, vel impedimentum salutis eorum, qui paulatim, sic tolerati, convertuntur ad fidem. Propter hoc enim etiam haereticorum et Paganorum ritus aliquando Ecclesia toleravit, quando erat magna infidelium multitudo. : « Le gouvernement humain dérive du gouvernement divin et doit le prendre pour modèle. Or Dieu, bien qu'il soit tout-puissant et souverainement bon, permet néanmoins qu'il se produise des maux dans l'univers, alors qu'il pourrait les empêcher, parce que leur suppression supprimerait de grands biens et entraînerait des maux plus graves. Ainsi donc, dans le gouvernement humain, ceux qui commandent tolèrent à bon droit quelques maux, de peur que quelques biens ne soient empêchés, ou même de peur que des maux pires ne soient encourus. C'est ce que dit S. Augustin : Supprimez les prostituées et vous apporterez un trouble général par le déchaînement des passions. Ainsi donc, bien que les infidèles pèchent par leurs rites, ceux-ci peuvent être tolérés soit à cause du bien qui en provient, soit à cause du mal qui est évité. Du fait que les juifs observent leurs rites, qui préfiguraient jadis la réalité de la foi que nous professons, il en découle ce bien que nous recevons de nos ennemis un témoignage en faveur de notre foi, et qu'ils nous représentent comme en figure ce que nous croyons. C'est pourquoi les Juifs sont tolérés avec leurs rites. Quant aux rites des autres infidèles, comme ils n'apportent aucun élément de vérité ni d'utilité, il n'y a pas de raison que ces rites soient tolérés, si ce n'est peut-être en vue d'un mal à éviter. Ce qui est à éviter, c'est le scandale ou le dissentiment qui pourrait provenir de cette intolérance, ou encore l'empêchement de salut pour ceux qui, ainsi tolérés, se tournent peu à peu vers la foi. C'est pour cela en effet que l'Église a quelquefois toléré les rites des hérétiques et des Païens quand les infidèles étaient très nombreux. »] ; LÉON XIII, Enc. Libertas, loc. cit.

(60) LÉON XIII, Enc. Immortale Dei, 1-XI-1885 : A.S.S. 18 (1885) p. 174-175.

(61) Cf. LÉON XIII, Enc. Libertas praestantissimum, A.S.S., 20, 1887, pp. 608-609; PIE XI, Enc. Non abbiamo bisogno : A.A.S., 23 (1931) p. 301-302.

(62) PIE IX, Enc. Quanta cura, A.S.S., 3, 1867, p. 164 ; cf. la distinction entre les deux sociétés chez LÉON XIII, Enc. Cum multa sint: A.S.S. 15 (1882) pp. 242-243, et Immortale Dei, 1-XI-1885 : A.S.S. 18 (1885) pp. 166-167.

(63) Cf. PIE XI, Mit brennender Sorge: A.A.S., 29 (1937) pp. 159-160; PIE XII, Message radiophonique, 1-VI-1941: A.A.S., 23 (1931) p. 200 ; JEAN XXIII, Enc. Pacem in terris, 11-IV-1963 : A.A.S., 55 (1963) p. 260; etc.

(64) Cf. St. PIE X, Enc. Communium rerum, 21-IV-1909: A.A.S., 1 (1909) p. 381