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mardi 4 août 2015

Sens transcendant et communauté politique, selon Jean Kamp, 1974


(…) quand le sens se perd, la communauté se désagrège ou se déshumanise. Quand un État, une cité, se réduisent à leur réalité objective, quand ils n'ont plus conscience d'être autre chose que ce qu'ils sont dans l'objectivité de leurs réalisations humaines, alors ils restent, bien sûr, œuvres humaines, mais ne sont plus sens pour les humains qui les composent. Et au cœur de ces communautés politiques, dépourvues de tout sens transcendant, l'égoïsme et les intérêts particuliers auront tôt fait de resurgir, et de les détruire. Les communautés politiques les plus pauvres, les plus malheureuses, les plus fragiles ne sont pas nécessairement celles qui seraient économiquement les moins défavorisées : ce sont celles qui ont perdu tout idéal transcendant.

Référence

Jean Kamp, Credo sans foi, foi sans credo, coll. « présence et pensée », Aubier Montaigne, 1974, p. 183-184.

La crise mondiale de la dette et les classes d'âges démographiques, selon François Lenglet, 2012


En réalité, derrière le tabou de la dette se joue la lutte entre les détenteurs de capitaux et les contribuables. Cette autre fracture, fondamentale, sépare les classes d’âge démographiques. 

Ceux qui détiennent le capital et l’épargne sont, en majorité, les plus de cinquante ans, qui ont eu le temps d’accumuler ou d’hériter. Ils ont intérêt à ce que les dettes soient payées, car, s’ils ne sont pas encore rentiers, ils vont le devenir bientôt, lorsqu’ils seront à la retraite. Ils tiennent bon nombre des leviers de contrôle politiques et économiques dans nos sociétés. Les solutions qu’ils préconisent pour sortir de la crise ne font que protéger leurs intérêts, au détriment de ceux des classes d’âge qui suivent. Le chômage des jeunes en âge de travailler, en Europe du Sud, est leur cadeau sournois à leurs enfants et petits-enfants. Le sauvetage de l’euro à tout prix est leur seul credo pour sauver leur épargne et, donc, la dette. 
 
Cette génération – c'est un comble – est en grande partie à l'origine de la crise mondiale de l'endettement, parce qu'elle a consacré une bonne part de son intelligence et de son énergie à la déclencher. Les baby-boomer, nés dans les vingt années qui ont suivi la seconde guerre mondiale, ont voulu plus de liberté et moins de frontières, parce que leurs pères, au sortir de la guerre, avaient reconstruit le monde en le bornant de limites morales et géographiques.

La génération libérale a patiemment déréglementé, assoupli, libéralisé, rongé les protections, abaissé barrières et frontières, avec la puissance sans frein d'une colonie de termites. Toutes les idées et toutes les technologies disponibles ont été asservies à son objectif. L'internet, bien sûr, qui a fait voler en éclat les limites géographiques et a offert à l'individu un espace de liberté sans précédent. La construction européenne qui a été littéralement phagocytée par la génération libérale, alors qu'elle avait été initiée par ses pères.

La libéralisation de l'économie et de la finance a évidemment déclenché la fureur de l'endettement. Ménages, entreprises, États, tout le monde est endetté, sur tous les continents. Endettement privé ici, public là, chaque région de la planète a développé sa spécialité. L'Occident et l'Europe en particulier ont poussé l'endettement des États jusqu'aux dernières limites. De temps en temps, le krach menace. Les maîtres du monde trouvent alors un nouveau subterfuge pour différer l'inévitable. Mutualisation des dettes, création monétaire, actions « non-conventionnelles » des banques centrales, tout est bon pour ne pas se trouver face à l'explication finale qui serait la ruine des « épargnants », alors qu'il s'agit précisément de ceux qui se sont gavés de richesses au festin financier.

La crise de l'euro est une variante régionale de la crise mondiale de la dette, patiemment et délibérément déclenchée par une génération intempérante qui a dépensé bien plus qu'elle n'aurait dû. Aujourd'hui vieillissante et au faîte du pouvoir, cette génération veut qu'on paye les dettes accumulées, même si c'est au prix d'une croissance plus faible et d'un chômage plus élevé, parce qu'elle en vit. Alors que ces dettes sont bien trop lourdes pour être jamais remboursées – si la crise dure, c'est parce que nous refusons d'admettre cette évidence.

Pour la suite et pour plus d'approfondissement, on se reportera à l'ouvrage de l'auteur.

Référence

François Lenglet, Qui va payer la crise ?, Fayard, 2012, p. 14-16.