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samedi 16 décembre 2017

Le chrétien doit vivre polarisé vers le Christ ressuscité et glorieux, selon le Bienheureux Paul VI, 1971


Audience publique, 28 avril 1971
 
Le Bienheureux Paul VI - Portrait officiel



Chers Fils et Filles,

La Pâque récemment célébrée offre un thème fondamental à la réflexion de ceux qui ont compris l’importance détermi­nante de ce mystère dans notre vie : il réclame une cohérence, un style chrétien dans la conduite, disions-nous ; il impose et suscite un renouvellement dans la mentalité intérieure et dans le comportement extérieur ; et le thème est celui-ci : 

Pourquoi et quelle est l’influence du drame du Christ mort et ressuscité sur la conception de notre existence et sur la moralité de notre vie qui en découle ?

Parce que le drame du Christ envahit notre destinée ; nous vivons ce drame initialement par le baptême et avec tout ce qui le suit : nous avons été mystiquement ensevelis et ressuscités avec Lui (Romains 6, 4). 

Nous sommes associés au « passage » du Christ de cette vie naturelle au nouvel état mystérieux et surnaturel dans lequel Il est entré, même corporellement. Pâques veut dire en effet passage (cf. Exode 12, 11). Et nous sommes destinés en puis­sance, si nous sommes fidèles et persévérants, à Le rejoindre dans sa nouvelle et ineffable condition d’existence

À présent, comme l’écrit saint Paul : « Nous-mêmes qui possédons les pré­mices de l’Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l’attente de l’adoption, c’est-à-dire de la rédemption de notre corps. C’est par mode d’espérance que nous sommes sauvés » (Romains 8, 23-24). 

Un mystère de communion nous relie déjà au Christ (cf. Éphésiens 2, 5). 

Et c’est pour cela que non seulement notre spiritualité mais aussi notre mentalité, notre conception de la vie, notre calcul à propos de notre sort futur sont transférés au-delà du temps, au-delà de l’horizon présent ; nous sommes pola­risés vers le Christ ressuscité, dans son état de gloire. Nous de­vons vivre « eschatologiquement », c’est-à-dire tendus vers la fin dernière, ultra-terrestre. 

« Nous n’avons pas ici-bas de cité per­manente, mais nous recherchons celle de l’avenir» (Hébreux 13, 14). C’est encore saint Paul qui nous exhorte : « Du moment donc que vous êtes ressuscités avec le Christ (voici notre célébration pascale) recherchez les choses d’en-haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu (c’est-à-dire associé même comme Hom­me à sa gloire et à sa puissance). Ayez le goût des choses d’en haut, non de celles de la terre » (Colossiens 3, 1-2).

Cette conception de la vie donne une empreinte spirituelle, mentale, pratique au chrétien. C’est sa philosophie. C’est sa sa­gesse. Elle a une grande importance doctrinale. 

Pouvons-nous dire, comme certains, 

- que cet enseignement apocalyptique, escha­tologique, c’est-à-dire sur l’au-delà, est un pur langage symboli­que pour nous faire comprendre la nouveauté de la doctrine évangélique, déjà réalisée et utilisée par le Christ pendant son séjour dans le temps ? 

- Ou pouvons-nous croire avec d’autres que c’est seulement dans ce monde eschatologique que se réalise ob­jectivement notre salut ? 

Deux manières de penser, une de la réa­lité future, l’autre de la réalité présente à propos de l’économie du salut, qui ne tiennent pas compte de notre doctrine de la foi et qui peuvent produire de fatals déséquilibres dans l’interpréta­tion et dans l’application du christianisme authentique.

Le premier et le plus commun déséquilibre est celui de ne pas penser, et souvent de ne plus croire à notre vie future, à celle qui suit après notre mort corporelle. La vie présente serait la seule dont il nous soit donné de jouir ou de souffrir. La réduction ra­dicale de notre existence actuelle aux limites du temps, comme le sécularisme aujourd’hui à la mode nous habitue à le faire, vient en pratique à nier l’immortalité de l’âme, à insinuer l’indif­férence sur notre sort futur, à affirmer l’importance exclusive du temps présent, de l’instant qui passe. On conclut par l’accepta­tion, si même on l’accepte, de ce qui dans l’Évangile sert immédia­tement pour les intérêts terrestres de l’humanité et par laisser enfin le doute et le découragement étouffer la vraie espérance, la « vraie lumière qui éclaire tout homme qui vient en ce monde » (Jean 1, 9). 

On n’écoute plus ce qui est dit sur le paradis et sur l’enfer. Que devient et que peut devenir la scène du monde sans cette référence obligatoire à une justice transcendante et inexorable ? (cf. Matthieu 25). Et que serons-nous si, au lieu du Christ frère, maître et pasteur de nos jours mortels, celui-ci s’érige comme juge im­placable sur le seuil du jour immortel ?

Voici une des règles fondamentales de la vie chrétienne : elle doit être vécue en fonction de sa destinée eschatologique, future et éternelle. Oui, il y a de quoi trembler. C’est encore la voix de l’Apôtre qui nous avertit : « Travaillez avec crainte et tremblement à accomplir votre salut » (Philippiens 2, 12). 

De cette considération sur la gravité et sur la problématique de notre sort final, la moralité ou mieux la sainteté de la vie chrétienne a tiré une très large mé­ditation et des énergies sans égales.

Mais il est bon de conclure par deux considérations : 

- celle de la « puissance de la résurrection du Christ » (Philippiens 3, 10), qui en­vahit le croyant qui pense au mystère pascal et à son attrait enivrant et salvifique

- Et celle de la surélévation, non de la dépré­ciation, comme beaucoup le supposent, de la vie présente par le fait qu’elle est ordonnée à la vie future : si celle-ci représente la plénitude de notre heureux destin, quelle importance, quelle valeur acquiert notre pèlerinage présent qui y conduit ? Rappe­lez-vous la parabole des talents (Matthieu 25, 14-30).

Avec  notre  Bénédiction  Apostolique.


Source : http://www.clerus.org/bibliaclerusonline/es/cuz.htm#xr.

RemarqueLa mise en forme du texte est le fait de l'auteur de ce blogue, afin de mieux faire apparaître la structure de la pensée du Saint-Père.

La célébration de l'Eucharistie, selon le Bienheureux Paul VI, 1977


Le Bienheureux Paul VI - Portrait officiel


(...) 

Nous devons également encourager votre vigilance et votre fermeté

La liturgie catholique doit demeurer théocentrique. C’est sa nature même. C’est l’esprit de la rénovation accomplie par le Concile. 

Permettez-nous de nous arrêter un instant à la célébration de l’Eucharistie. 

Elle se situe bien au-delà d’une rencontre fraternelle et d’un partage de vie. Saint Paul ne craignait pas de la rappeler aux chrétiens de Corinthe (1 Corinthiens 11, 22). 

L’Eucharistie est essentiellement la réitération du sacrifice rédempteur du Christ

C’est une réalité dont aucun ministre, aucun laïc n’est propriétaire. C’est un mystère sacré qui requiert une atmosphère de gravité et de dignité, et ne supporte pas la médiocrité ou le laisser-aller du lieu, de la tenue vestimentaire, des objets du culte. Simplicité, oui ! Désinvolture, jamais ! 

Nous félicitons et stimulons les diocèses qui, de diverses manières, proposent aux fidèles une formation liturgique digne de ce nom. Un tel travail, loin des inventions faciles, permettra au culte catholique de conserver son identité, d’exprimer et de nourrir la foi du Peuple des baptisés.

(...)

Référence

Bienheureux Paul VI, Discours aux évêques de la région Sud-Ouest de France en visite ad limina apostolorum, lundi 18 avril 1977.



dimanche 19 novembre 2017

Remobiliser la jeunesse et réenchanter la liturgie de l'Église catholique, 1912


Enfant de chœur, par Julius Scholtz, 1854
Je vais peut-être en surprendre beaucoup, mais je le dirai comme je le pense : il faut tendre à replacer les jeunes gens dans le chœur de l'église, non pas en assistants désœuvrés, mais en figurants actifs et occupés, et à reconstituer toute la hiérarchie, d'ailleurs charmante, des enfants de chœur, acolytes, thuriféraires, maîtrisiens, chantres, etc.

Eh ! oui, il faudra cela, non seulement à la campagne, mais à la ville.

Autrefois, les clergés étaient très nombreux, même dans les moindres paroisses, et ils se suffisaient à toutes les cérémonies; il existait d'ailleurs plus qu'aujourd'hui, quant à la place à occuper dans les édifices religieux, une différence considérable entre les prêtres et les laïques.

En effet, le chœur, le sanctuaire était ordinairement séparé des nefs par des grilles, par des panneaux, par des jubés cloisonnés. L'office, dans sa partie la plus solennelle, se poursuivait en dehors du peuple, lequel rentrait dans l'église même moins comme dans le temple de Dieu que comme dans sa propre maison à lui-même. On sait assez que les cathédrales, autrefois, prêtaient leurs vastes édifices à mille usages qui n'étaient point religieux.

Le sanctuaire n'en était que plus strictement réservé et n'y entraient que ceux qui étaient ou se préparaient à être reçus dans les différents ordres sacrés.

Les cathédrales, et même de plus modestes églises, abritaient alors, de façon continue, tout un peuple qui leur appartenait déjà en propre, qu'elles employaient et qui vivaient d'elles.

Elles ne faisaient guère appel, alors, à un personnel mouvant et momentané qui serait venu, à certaines heures seulement, revêtir un surplis d'emprunt pour chanter, contre bons deniers comptants, les prières et les psaumes.

De ce fait, les offices étaient sans contredit plus beaux, plus hiératiques, plus dignes, mais le peuple, en beaucoup d'endroits, y participait moins effectivement.

Cependant, il devint bientôt impossible, sauf dans les chapitres et dans les abbayes, de maintenir partout cet état de choses, et de bonne heure, sous le nom de confréries de tout vocable et de tout attribut, les laïques furent admis plus ou moins directement à participer aux cérémonies dans le chœur de l'église.

Chaque église, en effet, voulut imiter de plus ou moins près les offices de la métropole, mais elle n'avait point le personnel sacré suffisant, elle dut y suppléer, et le chœur se peupla d'enfants, de jeunes gens, d'hommes et de vieillards qui fournirent une figuration variée aux offices divins.

Il semble bien que partout, au début du moins, ces fonctions furent regardées comme des plus honorables et restèrent honorifiques. Chacun se sentait trop honoré de chanter les louanges de Dieu dans les stalles, auparavant destinées aux seuls clercs et aux moines, pour réclamer d'autres... honoraires.

Mais avec le temps, dans les villes tout au moins, le recrutement des enfants de chœur, des chantres, ne se maintint pas au même niveau. Les hauts bourgeois restèrent marguilliers, mais ils ne revêtirent plus le surplis ; la fonction de chantre paraissant désormais moins honorable par elle-même, commença d'être plus... honorée pécuniairement et, en même temps, ceux-là mêmes qui auraient dû se sentir heureux et réclamer comme un privilège de chanter au chœur, laissèrent même en certains chapitres, si l'on en croit Boileau, à des chantres gagés le soin de louer Dieu.

De plus en plus, au cours des âges, la fonction devenant mercenaire se recruta, en ville surtout, dans un milieu social moins élevé.

Il convient d'ailleurs de dire que, même en beaucoup de villes, un assez grand nombre de fonctions d'enfants de chœur, de thuriféraires et même de chantres restèrent gratuites. En tout cas, le fait se produisit et persiste encore dans la presque totalité des paroisses rurales... où il y a des chantres.

Là, les habitudes d'autrefois ont survécu ; là, l'église est encore un centre d'activité ; là, de père en fils, on se transmet le tome noté et on se succède devant l'aigle doré du lutrin ; là, toute une hiérarchie de chantres, jaloux de leurs droits, et disputant volontiers sur les préséances, remplit les stalles et assure gratuitement le service des offices.

Ces chantres-là, non seulement ne touchent aucun salaire, mais, le plus souvent, s'ils reçoivent du curé leur livre de plain-chant, doivent s'offrir leur soutane et pourvoir au blanchissage de leur surplis ; il en résulte bien des disparates fâcheux dans les costumes et des insuffisances dans la dignité de la tenue, mais il ne ferait pas bon que le curé voulût se mêler de rectifier un pli ou de modifier l'intonation traditionnelle autant qu'inharmonique d'un psaume, les chantres ne tarderaient pas à rendre leur livre avec une dignité que rien ne ferait céder.

Mais cet hommage rendu, comme il convenait, à leur désintéressement, il faut bien convenir que le recrutement des chantres, dans la plupart des paroisses, ne donne point toute garantie au point de vue artistique et même, en certaines régions, au point de vue de la sobriété. N'y a-t-il pas un dicton insolent qui dit : « Ton âne sait-y point boire, fais-en un chantre, il boira ! »

La préparation artistique fait défaut, en tout cas ; les chantres ont des traditions de musique ; ils n'ont guère de méthodes de chant, tous s'arrêteront aux passages où s'arrêtaient les anciens, coupant aussi barbarement les mots, martelant les notes, comme ils battraient du fer sur l'enclume, grinçant les mots latins les plus harmonieux.

En certaines paroisses d'ailleurs, les chantres trop nombreux n'ont même plus la ressource des aveugles se soutenant entre eux tant bien que mal, et alors quelques vieux, demeurant plus fidèles que solides au poste, c'est le massacre abominable de l'office, des cris rauques et éperdus et toute la désharmonisation de la belle liturgie catholique.

Il aurait fallu une réaction énergique contre certains abus, il aurait fallu une énergique action en propagande pour relever le niveau du recrutement.

Car il est bien certain qu'à l'heure actuelle quelqu'un qui dans la bourgeoisie croit se respecter ne voudrait jamais être chantre, ne voudrait même pas laisser ses enfants être enfants de chœur, si ce n'est peut-être en quelques chapelles privilégiées, et il faut convenir que si les gens distingués ont eu tort de déserter le chœur des églises, ils n'y sauraient guère rentrer maintenant sans se commettre avec de braves gens, certes, mais d'une éducation insuffisante.

Les événements se sont chargés, comme presque toujours, mais comme presque toujours aussi brutalement, de solutionner le problème en faisant table rase du passé. L'Église s'est vue dépouillée injustement de ses ressources ; en beaucoup d'endroits, elle a vu, du même coup, disparaître la majeure partie de ses chantres gagés, lesquels ne faisaient qu'exercer un métier dont tout le monde avait perdu le sens comme eux-mêmes.

Si, en certaines régions plus pieuses, plus traditionalistes, les chantres non payés avant la Séparation [de l’Église et de l’État, en 1905] sont restés après, parce que rien n'était changé dans leur situation matérielle, en beaucoup d'autres le chœur des églises s'est vidé, les stalles sont devenues muettes, les chants liturgiques ont cessé en majeure partie. Le curé est resté à peu près seul, dans l'impossibilité de poursuivre l'office chanté et a été obligé de se contenter de célébrer une messe basse et de supprimer processions et cortèges.

(…)

Si donc le clergé ne trouve plus de chantres tout faits, il faut qu'il en fasse lui-même, il faut qu'il en forme. Or, il n'en pourra trouver que parmi les jeunes gens et comme, parmi les jeunes gens, il ne trouvera rien qui soit même ébauché, il pourra les former comme il voudra, d'après les meilleures méthodes, et, instruit par l'expérience des abus qui peuvent se glisser dans les plus sages institutions, au point de vue artistique et à tout autre, il avisera mieux au moyen de les garder dans un sens exact de l'art et de la bonne tenue.

Les jeunes gens des patronages, nous l'avons dit, peuvent et doivent devenir les meilleurs auxiliaires des curés dans les paroisses ; (…).

(…)

Mais il faudra que l'expérience du passé serve à quelque chose. Le service de l'autel, la participation effective aux cérémonies, le chant liturgique, tout cela devra être présenté et apparaître vraiment comme un honneur qu'il faut savoir apprécier et qui se paie par lui-même, sans autre émolument. Ce n'est pas par l'appât du gain qu'il faut ramener la jeunesse à reprendre l'aube de lin des lévites.

(…)

Il faudra donc — ce ne sera que justice et bon goût — rompre résolument avec des accoutrements presque burlesques, soutanes trop courtes, d'où sortent de longs bras étirés et de longues jambes, surplis bossus, cottes mal tirées. Tout ce travestissement qui sent la misère et que l'on n'ose exhiber au soleil. Il faudra rompre aussi avec la désinvolture ou la gaucherie des attitudes, avec ces contorsions du ventre qui constituent le salut de trop d'enfants de chœur.

Il faudra rompre avec ces criailleries nasillardes ou avec ces airs d'opéra qui forment toutes les extrémités des insuffisances liturgiques de nos jours.

Il faudra harmoniser toutes choses, les attitudes, les gestes, les évolutions, les chants, la démarche.

(…)

Aujourd'hui, en beaucoup d'églises, ou c'est le chant liturgique horriblement massacré ou le remplacement du chant liturgique par je ne sais quels motets, quels airs d'opéra plus ou moins déguisés.

C'est l'Ave Maria de Gounod devenu insipide et horripilant, parce qu'il n'est pas une messe de mariage ou une cérémonie soi-disant solennelle où une demoiselle ne vienne le minauder et le miauler sans même le comprendre.

On s'ingénie, semblerait-il, à dérouter les fidèles, à donner des entorses aux chants qui s'imposent et qui s'adaptent à la cérémonie.

On oublie que l'Église a des chants pour chaque fête et qui en rappellent l'origine, le but, le sens, les applications, et on se casse la tête pour composer des programmes pseudo-artistiques où n'entrera pas un seul chant qui y serait à sa place

« Saint-Père, demandait assez naïvement un bon directeur de maîtrise à Pie X, que convient-il de chanter pendant l'office ? » Et Pie X, finement, de lui répondre : « Pendant l'office, mon fils, ce qu'il convient de chanter, c'est l'office ! »

Que de gens ont été renversés à cette révélation. Adieu donc les fantaisies, les cantiques sur des airs de chevaux de bois, les rengaines qui se sifflent aussi bien sur le trottoir que dans l'église. C'est à ne plus s'y reconnaître.

(…)

Le recrutement mérite du soin : il doit se fournir dans l'élite, parmi ceux qui comprennent et qui doivent former le noyau rayonnant de l'art et de la piété. C'est dans la mesure aussi où ce recrutement sera sérieux et même sévère qu'il pourra, au bout d'un certain temps, devenir fécond.

(…) Les chantres, les enfants de chœur n'ont pas une bonne presse : on les juge mal. Si donc on veut ramener au chœur des jeunes gens d'une éducation meilleure, si on veut faire au Christ une cour plus prochaine, qui soit moins indigne de lui, il faut composer le chœur non pas avec les épaves, mais avec la fleur de la paroisse, et on n'y parviendra qu'en tenant fortement la main à une tenue irréprochable et on n'obtiendra cette tenue que par une éducation méthodique de la jeunesse des patronages et par sa formation en vue de la fonction, sublime après tout, qu'on lui destine.

La famille elle-même sera donc intéressée au recrutement : elle tiendra de nouveau à honneur de voir ses enfants et ses jeunes gens revêtir, momentanément tout au moins, les vêtements sacrés.

» Le résultat, on le devine. L'Église deviendra plus intéressante pour tous : les offices seront mieux suivis, mieux vus et mieux compris. L'assiduité pourra être exigée plus strictement par le prêtre et elle sera consentie plus facilement par les jeunes gens : leur fonction et leur piété les appelleront
simultanément auprès du Maître.

(…)

Certes, on ne saurait voir se rénover d'un coup la face de la terre ; mais n'y a-t-il pas quelque chose à tenter sérieusement ?

L'Église et la jeunesse sont faites pour s'entendre, toutes les deux ont des aspirations généreuses, les robustes espérances, la foi en la Beauté et en l'Amour.

Mais, pour s'entendre, il faut qu'elles se fréquentent et qu'elles se rencontrent. La jeunesse a déserté l'Église, l'Église est en train de reconquérir la jeunesse ; elle va vers elle ; mais il faut que ce soit pour la ramener à elle, pour lui faire reprendre le chemin des temples trop déserts, c'est pour que, de nouveau, aux grandes fêtes, toutes les deux puissent chanter ensemble et d'accord l’Alléluia vainqueur.


Référence

Edward Montier, « Les jeunes gens et la liturgie », in La Vie au patronage, 15 juillet 1912, p. 461-465, cité par Les Questions liturgiques et paroissiales, 2e année, 1911-1912, Abbaye du Mont-César, Louvain, p. 473-481.

vendredi 17 novembre 2017

La réalité de la messe paroissiale en France, en 1945, d'après Dom L. Beauduin



Messe solennelle aux Pays-Bas (date inconnue)


(...) quel est aujourd'hui l'état d'esprit et la pratique actuelle au sujet de la messe paroissiale. Une enquête sommaire permet d'établir quatre groupes.

1) Plusieurs paroisses ont abandonné ou à peu près la grand'messe. Je ne parle pas des dessertes ; mais des paroisses normales. Sauf à quelques très grandes fêtes la grand'messe n'existe plus. Quelquefois on donne le change par des auditions musicales et des chants pendant une messe basse ; ou bien le prêtre chante à sa fantaisie quelques pièces : Préface, Pater..., mais en réalité, la grand'messe a disparu.

Les prétextes ne manquent pas : réduction successive du personnel : organistes, chantres, enfants de chœur ; nécessité, dans les villes surtout, d'assurer le rythme régulier des messes basses, plus nécessaires pour l'obligation que la grand'messe ; nécessité plus grande de la prédication qu'il faudrait écourter à une grand'messe, etc.

Quelquefois la grand'messe a été avancée pour permettre aux fidèles d'y assister et de communier : initiative très louable en soi, mais qui pourrait amener, si l'on n'y prend garde, une regrettable réduction et même une insensible suppression de la messe solennelle.

Une sévère et rapide réaction est nécessaire ; sans quoi infailliblement ces paroisses perdront toute vie liturgique.

2) La catégorie des paroisses où la grand'messe se célèbre selon une respectable routine : tous, clergé, chantres, acolytes, fidèles, donnent l'impression d'être en service commandé : assistance muette et ennuyée ; acolytes distraits et dissipés ; aucun élan vivifiant : l'âme a déserté cette assemblée.

Cette fidélité machinale est méritoire sans doute. Grâce à elle, ce cadre cultuel est matériellement conservé.

(…)

3) Dans un nombre assez considérable de paroisses on trouve le louable souci de solenniser le dimanche ; mais les méthodes employées ne sont pas irréprochables. 

Au lieu de mettre en valeur la messe solennelle par les moyens authentiques et efficaces de l'Église et de respecter fidèlement les règles établies, on utilise de préférence les procédés modernes : programmes musicaux annoncés à l'instar de concerts avec le concours d'artistes profanes ; prédicateurs à la mode ; rites nouveaux ; assistance choisie ; bref, toute une action sans aucun rapport avec une assemblée liturgique.

Pour d'autres, d'ailleurs bien disposés, l'effort consiste à grouper dans le chœur, autour d'un harmonium et sous la direction d'une religieuse, une schola de jeunes filles. C'est admissible comme procédé d'initiation et d'entraînement ; mais souvent le système devient définitif, et c'est le pensionnat qui monopolise la participation. La liturgie tombe en quenouille ; la nef masculine surtout est plus silencieuse que jamais et, une fois de plus, la religion passe pour une occupation de femmes.

4) Enfin les paroisses de plus en plus nombreuses, qui utilisent la liturgie telle que l'Église nous la donne aujourd'hui, pour donner à la vie paroissiale et avant tout à la synaxe solennelle du dimanche son maximum de rendement spirituel. Sans attendre des réformes problématiques et assurément encore lointaines, ils-mettent en valeur, sans plus attendre, le missel actuel, avec la conviction que, tel quel, il renferme tant de trésors ignorés « et de richesses assimilables au peuple chrétien qu'un immense et très fécond travail peut et doit s'accomplir. Plusieurs paroisses ont été transformées par ces efforts persévérants : puissent-elles se multiplier encore !

Référence

Dom Lambert Beauduin, « La messe chantée, sommet de la vie paroissiale », in La Maison-Dieu, n°4, Éditions du Cerf, 1945, p. 120-122

jeudi 16 novembre 2017

La messe dialoguée, une description de 1945, par le chanoine Michaud



Messe dans la forme extraordinaire du rite romain (2009)


Il s'agit d'abord de définir avec précision ce que l'on entend par messe dialoguée, car il y en a plusieurs : la vraie messe dialoguée, c'est la messe solennelle chantée, celle où fidèles et schola jouent un rôle actif. À parler rigoureusement, c'est la seule vraie messe dialoguée dont il soit question dans le « Ritus celebrandi [in celebratione missæ] ».

Or ce n'est pas de celle-là qu'il s'agit. Il s’agit de l’extension à la messe basse d’une certaine participation des fidèles à la grand-messe.

Trois formes sont possibles :

a) La foule chrétienne, ou un groupe, tient la place du servant de messe quant aux répons. Il faut remarquer que jamais les prières du début de la messe n'ont été alternées avec le peuple, pour la simple et bonne raison qu'elles ne sont dans le missel que depuis saint Pie V. C'est une prière de préparation personnelle du prêtre qu'auparavant on récitait le plus souvent à la sacristie. On peut tolérer cet usage entièrement nouveau. Pour les autres répons, avec un peu de bonne volonté, on peut dire que ce dialogue non chanté est supposé par les rubriques du Missel (1).

b) En plus de ce qui précède (a), la foule chrétienne dit avec le prêtre Gloria, Credo, Sanctus, Agnus Dei. C'est en effet la foule qui chante ces prières à la grand'messe. Rien de cela n'est prévu, dans le « Ritus celebrandi », pour la messe basse.

c) Dans certaines communautés, en plus de a) et de b), la communauté dit avec le prêtre — toujours à la messe basse — les prières de la grand'messe réservées au chœur ou aux chantres de la schola, à savoir l'Introït, le Graduel, l'Offertoire et la Communion. La plupart des auteurs ne sont pas favorables à cette extension de la messe dialoguée, car « ces formules d'exécution plus difficile reviennent sans doute aux fidèles, mais considérés comme scholistes, non comme foule ; il ne semble donc pas qu'il y ait lieu de les faire réciter par les assistants dans la messe basse dialoguée » (cf. Dubosq, Le Guide de l'autel, [ou directoire pratique pour toujours bien célébrer la messe, Desclée et Cie, 1938], p. 53). En fait, la chose est en usage dans certaines communautés... Et ce n'est pas du tout prévu pour la messe basse, dans le « Ritus ». Est-il besoin de le dire ? (cf. Cimetier, Consultations [de droit canonique, Vitte, 1942-1944, pp. 90-98).

(…)

On se borne ici à rappeler succinctement la réponse de la Congrégation (cf. Dubosq, Le Guide de l'autel, pp. 55-56). Elle réclame pour la messe dialoguée trois choses :

a) Que l'assistance soit apte à prendre part au dialogue, afin que les réponses collectives se fassent avec ordre et dignité.

b) Que les réponses n'apportent aucun trouble au prêtre qui célèbre et à ceux qui célébreraient dans la même église.

c) Que cette méthode soit autorisée par l'Ordinaire (réponse du 4 août 1922, Acta [Apostolicæ Sedis, vol. 14, Rome, 1922, p. 505).


Notes

(1) Voir sur cette question Dom Antoine Coehlò, « La messe dialoguée », dans Opus Dei, reproduit dans le Bulletin paroissial liturgique, 1933, pp. 200-301.

Référence

M. Michaud (chanoine), « La célébration de la messe face au peuple », in Maison-Dieu, n°2, Éditions du Cerf, 1945, p. 107-108

jeudi 9 novembre 2017

La gloire de Dieu, selon Jean Rivière, 1931




Croix de la façade de la Basilique Notre-Dame (La Chapelle-Montligeon)

 

Au sommet de toutes choses, notre raison conçoit Dieu, c'est-à-dire l’Être excellent et infini qui réunit dans la plus admirable simplicité et la plus indissoluble harmonie toutes les perfections, l’Être absolu Qui ne dépend lui-même de personne et de Qui dépendent tous les autres.

En vain l'homme chercherait-il à étreindre Son essence, en unissant aux concepts les plus élevés de la philosophie les enseignements supérieurs de la foi : devant Sa divine transcendance nos idées restent courtes et notre langage impuissant.

Tout ce que nous savons en dire, dans une sorte de muette adoration, c'est qu'Il est en Lui-même l’Être par excellence et dans toute Sa pureté, c'est qu’Il est au dehors la source de tout ce qui est.

Car ce Dieu, Qui n'a besoin de rien et trouve dans Ses perfections mêmes la suprême béatitude, a voulu cependant produire des êtres qui fassent rayonner au dehors Son ineffable beauté.

Sortant donc un jour de Son éternel repos, par un acte aussi mystérieux que Lui-même, Il a créé du néant le monde et tout ce qu'il renferme, c'est-à-dire cet ensemble d'êtres qui reproduisent en des proportions variées les traits de l’exemplaire divin : toutes créatures distinctes de Dieu comme l’œuvre l'est de son ouvrier, mais par là même dépendantes en tout de Lui jusqu'au plus intime de leur être.

Pourquoi cependant Dieu a-t-Il créé ?

Il ne pouvait évidemment le faire que pour Lui-même et la manifestation de Sa propre gloire (1) : : « Universa propter semetipsum operatus est Dominus [Le Seigneur a fait toutes choses à cause de Lui-même] » (Proverbes 16, 4).

C'est pourquoi les êtres ne sauraient avoir une autre fin que Dieu, pas plus qu'ils ne peuvent avoir un autre principe. En un sens très philosophique le Seigneur dit au voyant de l'Apocalypse : « Ego sum alpha et omega, primus et novissimus, principium et finis [Moi, Je suis l’ alpha et l’omega, le premier et le dernier, le commencement et la fin] » (Apocalypse 22, 13).

Parce que Créateur, Dieu a sur toutes choses le droit souverain du maître ; et la créature revient vers son auteur par une sorte de destination nécessaire, de loi constitutive, dont on ne peut raisonnablement concevoir ni l’absence ni la violation.

Or, au sixième jour, Dieu dit : « Faisons l'homme à Notre image et selon Notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre » (Genèse 1, 26). Ces simples paroles de la Bible ne sont-elles pas la plus belle définition de l'homme et de son rôle, la charte solennelle où l'humanité peut trouver la formule de ses droits et de ses devoirs ?

Elles signifient que l’homme est en lui-même la plus parfaite et la plus excellente des créatures, parce qu’il est tout spécialement l’image de Dieu Dont il reproduit les perfections les plus hautes : conscience, raison, liberté ; qu’il est mis, de ce chef, à la tête de ce monde comme un roi dans son empire. Certaine philosophie, éprise d'une soudaine humilité, a beau s'insurger contre cet anthropocentrisme, la doctrine catholique ne fait pas autre chose que d'affirmer, avec le spiritualisme traditionnel, la valeur de la personne humaine.

Voilà pourquoi l'homme est doublement tenu de rendre hommage à Dieu, en son nom personnel et au nom de la création dont il est le chef. En tant que créature raisonnable, consciente et libre, il doit s'ordonner vers Dieu, qu'il connaît comme l'auteur de tout son être ; en tant que représentant du monde, il doit payer à Dieu le tribut de louanges dû par toutes les créatures et que celles-ci ne peuvent acquitter que par son intermédiaire.

Tout cela est le devoir de l'homme, et ce n'est pas le moment de dire ici ce qu'il peut entrer dans son accomplissement de respect, de religion et d'amour.

Mais tout cela est aussi le droit de Dieu, Son droit strict de créateur, auquel Il ne peut pas plus renoncer qu'à sa divinité même.

Et l'on peut apercevoir maintenant l'harmonie de cet admirable poème qu'est la création. C'est déjà une splendide expression des perfections divines que ce monde matériel au milieu duquel nous vivons, dont la poésie a souvent célébré les charmes, dont la science nous découvre de jour en jour les lois et les richesses.

L'intarissable fécondité de vie qui s'y manifeste, les forces à la fois puissantes et parfaitement disciplinées qui s'agitent dans son sein, le fini des détails non moins que la grandeur de l'ensemble, tout cela ne forme-t-il pas comme un concert grandiose à la louange du Créateur ?

De cette muette harmonie les âmes religieuses ont toujours aimé se faire les interprètes, témoin le Psalmiste qui chantait :

« Les cieux racontent la gloire de Dieu
et l'étendue manifeste l’œuvre de ses mains.
Le jour en instruit un autre jour,
la nuit en donne connaissance à une autre nuit.
Ce n'est pas un langage, ce ne sont pas des paroles
dont le son ne soit point entendu.
Leur retentissement parcourt toute la terre,
leurs accents vont aux extrémités du monde. » (Psaume 19, 2-5)

Mais de toutes ces merveilles l'homme constitue sans contredit la plus grande.

« Yahvé notre Seigneur,
que ton nom est magnifique sur toute la terre !
(…)
Quand je contemple les cieux, ouvrage de tes mains,
la lune et les étoiles que tu as créées.
Qu'est-ce que l'homme pour que tu te souviennes de lui
et le fils de l'homme pour que tu prennes garde à lui ?
Tu lui as donné la domination sur les œuvres de tes mains,
tu as tout mis sous ses pieds. » (Psaume 8, 2-7)

Aussi le concert du monde n'est-il complet que lorsque l’homme y mêle sa voix. Quelle que soit la grandeur de ce culte permanent rendu par la création inanimée, n'est-il pas vrai qu'il y a un hommage incomparablement plus parfait, lorsque l’âme du dernier des hommes se tourne vers Dieu pour reconnaître en Lui son Maître et son Père, pour faire jaillir de son cœur un hymne de reconnaissance, pour Lui soumettre sa volonté et sa vie ? Ce que l’univers accomplit sans le savoir, l’homme le fait en pleine conscience ; ce que l'univers accomplit nécessairement et par le déterminisme bienfaisant qui emporte tout son être, l’homme est appelé à le faire par libre choix, c’est-à-dire par amour.

En un mot, l’univers matériel n’est qu’un reflet pour ainsi dire inerte et passif des perfections divines ; l’homme seul, par son être spirituel, est l’image vivante de Dieu, capable de devenir Son imitateur et collaborateur, d'être la source, effective, bien que dérivée, de réalités ayant valeur morale dans l’ordre du vrai et du bien.

Par là, il rend d’une certaine manière quelque chose à Dieu qui lui a tout donné, lorsqu'il Lui offre la seule chose que Dieu puisse aimer, savoir la soumission religieuse, l’hommage conscient d'une créature libre (2).

Telle est, ou plutôt telle serait, la vocation naturelle de l’homme. Car il a plu à la bonté divine d'élever l’homme à une fin supérieure et transcendante, en investissant son esprit de lumières nouvelles et accordant à sa volonté des élans imprévus, en allumant dans son cœur un amour plus profond et admettant son âme à une familiarité plus intime que ne le comportait sa nature : tout ce monde mystérieux, cette assimilation à la vie divine, que la foi nous révèle sous le nom d'ordre surnaturel.

De ce chef naît pour l’homme ainsi privilégié une obligation plus pressante, en même temps qu'une plus grande facilité, de rendre à Dieu ses devoirs, tandis que la grâce dont il est orné embellit à l'infini le résultat de son activité religieuse (3).

La foi chrétienne exclut donc le panthéisme qui dégrade Dieu, comme le matérialisme qui supprime l’homme ; au théisme spiritualiste de la simple philosophie, elle ajoute le dogme fondamental de l’élévation surnaturelle.

Ainsi Dieu et l’homme sont des êtres distincts ; l’homme, venant de Dieu mais différent par là même, est fait pour se donner à Lui librement, reconnaître sa dépendance et offrir sa filiale soumission.

Dans l'accomplissement de cette destinée, il est superflu de dire que l'homme trouvera son bonheur.

Mais ce qu'il faut maintenir avant tout, c'est que tel est son devoir, parce que tel est le droit inaliénable de Dieu, tel le fruit qu'Il attend de ce monde par Lui créé. De même que, par le jeu des lois naturelles, l’ordre règne dans l'univers physique pour la gloire de son Auteur, il appartient à la volonté humaine de produire l’ordre et l'harmonie de l'univers moral.

Notes

(1) Ce point. a été défini par le [premier] concile du Vatican comme une vérité de foi : « Si quis (...) mundum ad Dei gloriam conditum esse negaverit, anathema sit [Si quelqu’un (…) nie que le monde a été créé pour la gloire de Dieu, qu’il soit anathème] », Constitution Dei Filius, I, canon 5, Denzinger-Bannwart, n°1805.
(2) Là-dessus, voir G. Pell, Das Dogma von der Sünde und Erlösung, Ratisbonne, 1883, p. 17-23.
(3) Ibid., p. 23-35.

Référence

Jean Rivière, Le dogme de la Rédemption : étude théologique, 3e édition, revue et augmentée, J. Gabalda et Fils, Paris, 1931, p. 165-170.

samedi 4 novembre 2017

Les jansénistes, partisans de la messe en français, par D. de Colonia, 1755


CANON de la messe en français.


Les faux zélateurs des rits anciens souhaiteraient ardemment qu'on célébrât la messe en français ; du moins est-il sûr qu'ils prennent des voies obliques qui conduisent à ce but.

Ils font imprimer et ils répandent un nombre inconcevable de petits livres de dévotion, tant à Paris, que dans les provinces, où la messe en français est insérée. Ils font même de nouvelles éditions de livres composés par des hommes qu'ils n'aiment guère (par exemple, de L'Imitation de J. C. traduite par le P. Gonnelieu) et ces éditions nouvelles sont augmentées d'un Ordinaire et du Canon de la messe.

Ils espèrent, sans doute, que cette lecture de l'Ordinaire et du Canon, étant devenue commune, portera bien des personnes à dire comme eux ; « qu'il faudrait que le prêtre célébrât aussi la messe en français, que par-là on s'entendrait, et que cela augmenterait la dévotion », etc.

Outre ces éditions, outre le Missel entier traduit en français, outre le pernicieux ouvrage de Le Tourneux, intitulé L'Année chrétienne, où ce missel est inséré, ils ont encore fait imprimer séparément l'Ordinaire de la Messe, le Canon de la messe ; et pour rendre ces livrets plus utiles , ils y ont ajouté des prières tirées de différents livres, surtout de S. Augustin ; car il faut bien qu'ils citent à toute occasion ce saint Docteur, pour faire croire aux imbéciles qu'ils en sont les disciples.

En attendant que cet extravagant dessein (de dire la messe en français) puisse réussir, ils exécutent par eux-mêmes celui de dire la messe entière et le Canon même à voix haute et intelligible aux assistants. Ils prétendent, par cette pratique, favoriser le peuple et l’accoutumer peu à peu au sacerdoce auquel ils veulent bien lui donner part.

C'est dans cette vue qu'ils firent autrefois imprimer le missel de Meaux, de façon que le mot « Amen », toutes les fois qu'il se trouve dans le Canon, était précédé d'un R. en lettre rouge, et que ce même mot ainsi précédé, était ajouté aux paroles de la Consécration et de la Communion du prêtre, pour signifier que dans ces endroits , c'est au peuple à répondre « Amen », et à ratifier ce qui a été dit ou fait par le prêtre. Ils avaient aussi expliqué ces paroles : «submissa voce [à voix basse]», par celles- ci : « id est, sine cantu [c’est-à-dire, non chanté] ».

Toutes entreprises scandaleuses, qui furent réprimées par un mandement de M. de Bissy, évêque de Meaux, du 22 janvier 1710, où il est « ordonné à tous les prêtres de prononcer d'une voix qui ne puisse être entendue du peuple, le Canon de la sainte messe, aussi bien que les autres endroits que les rubriques marquent de dire à voix basse ».

Et en effet tel est l'esprit de l'Église, Le concile de Trente a anathématisé ceux qui blâmeraient la coutume de prononcer à voix basse une partie du Canon et les paroles de la Consécration, ou qui disent que la messe ne doit être célébrée qu'en langue vulgaire. Et Innocent III (livre 3, chapitre 1, De sacro altaris mysterio), assure que ce qui a porté l'Église à défendre de réciter tout haut le Canon du Sacrifice de la messe, « c'est pour empêcher l'abus et la profanation de ces paroles sacrées, ce qui arrivait lorsqu'on les prononçait haut et que chacun [laïques et femmes] les savait ».

On doit donc se défier aujourd'hui de tout prêtre qui prononce à voix intelligible aux assistants, le Canon de la sainte messe et les paroles de la Consécration. On doit se défier même de tout livre où l'on trouve l'Ordinaire de la Messe avec le Canon, en français, et faire réflexion que la condamnation portée par le clergé, en France, contre la traduction du missel, ne peut manquer de s'étendre sur la partie essentielle de cet ouvrage, qui est la traduction du Canon de la messe.

Aussi plusieurs prélats ont-ils condamné en particulier cette partie du missel traduit en langue vulgaire, entre autres l'évêque-prince de Liège, qui défendit , le 15 d’avril 1704, « à tous et un chacun , de lire le Canon en français, et de le retenir dans leurs maisons ». Le motif qu'il en apporte, est qu'il y a excommunication portée par Alexandre VII dans sa Bulle du 12 janvier 1661 contre ceux, qui sacrosancti ritus majestatem latinis vocibus comprehensam, dejicere et proterere, ac sacrorum mysteriorum dignitatem vulgo exponere temerario conatu tentaverint [qui auront tenté d’abaisser et d’écraser la majesté des sacro-saints rites saisie par la langue latine et d’exposer au commun des hommes par une entreprise inconsidérée, la dignité des mystères sacrés].

On peut voir ci-après, sous la lettre M. l’article traduit en français par Voisin, et ce qui y est dit sur les traductions en langue vulgaire.

(…)


MISSEL romain traduit en français par M. Voisin, docteur en théologie, 1660.


L’Assemblée du clergé de France défendit en 1660, sous peine d’excommunication, cette traduction française du Missel romain et, non contente de cela, elle écrivit à tous les évêques du Royaume, pour les prier d’en faire autant, chacun dans leur diocèse, et sous les mêmes peines.

L’année suivante, ces mêmes évêques écrivirent au pape le 7 janvier et le prièrent d’appuyer leur décision de l’autorité apostolique. Ils disent, dans leur Lettre, que si, d’une part, il n’y a rien de meilleur et de plus utile que la Parole de Dieu, de l’autre, il n’y a rien de plus dangereux à cause du mauvais usage qu’on en peut faire. « D’où l’on doit conclure, Saint Père, ajoutent-ils, que la lecture de (…) la messe donne la vie aux uns et la mort aux autres, et il ne convient nullement que le Missel ou le Livre Sacerdotal, qui se garde religieusement dans nos églises, sous la clef et sous le sceau sacré, soit mis indifféremment entre les mains de tout le monde. »

Après cette décision, l’Assemblée s’adressa au roi, et en obtint le 16 un arrêt du Conseil pour faire supprimer le Missel français et en défendre le débit [=la distribution].

Le pape Alexandre VII le condamna le 12 janvier 1661. Il qualifie cette traduction française d’ »entreprise folle, contraire aux lois et à la pratique de l’Église, propre à avilir les sacrés mystères ». Ce Bref, fut suivie d’une Lettre de ce même Souverain Pontife, du 7 février 1661 par laquelle il réitère la défense de la défense de la traduction du Missel, sur la demande qui lui en avait été faite par le clergé.

Cette même traduction fut censurée le 1er avril et le 2e jour de mai par la faculté de théologie de Paris.

Toutes ces défenses ne purent empêcher le sieur Le Tourneux de l’insérer dans son Année chrétienne, qui eut le même sort (…).

Référence

Dominique de Colonia (1660-1741), s.j., Dictionnaire des livres jansénistes, ou qui favorisent le jansénisme, Jean-Baptiste Versussen, Anvers, 1755, tome 1, p. 211-215 ; tome 3, p. 131-132.

Note

L’orthographe et la ponctuation ont été modernisés par l’auteur de ce blogue.