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lundi 6 février 2012

La voyance avec objets, selon Jamblique, IIIe-IVe siècle ap. J.-C.


« Si la divinité, pour nous donner des signes, descend même dans les objets inanimés tels que des baguettes, des dés, des pierres, du blé, des gâteaux de farine, c'est un des mystères qui méritent le plus notre respectueuse admiration, puisqu'elle communique pour nous instruire une âme à ce qui est inanimé, le mouvement à ce qui est immobile, une raison à ce qui est dépourvu de toute raison. Mais il y a une plus grande merveille, un plus grand mystère que Dieu veut nous révéler par ces étranges événements. Comme il choisit souvent un idiot pour lui faire prononcer les plus sages paroles (car alors il est évident que ce n'est pas l'œuvre de l'homme, mais celle de Dieu qui éclate); de même il nous découvre par les objets dénués de toute connaissance certaines choses supérieures à toute connaissance. Cela montre aux hommes et que ces signes sont dignes d'une entière créance, et que Dieu est supérieur à la nature et ne dépend point d'elle dans ses opérations. Ainsi ce qui est naturellement inintelligible devient intelligible ; ce qui n'a point d'intelligence prend une intelligence ; et par là Dieu nous suggère la sagesse, et nous apprend la vérité des choses qui sont, qui ont été et qui doivent être. »

Référence.

Jamblique. Cité par J. Denis, Histoires des théories et des idées morales dans l’Antiquité, tome 2, Auguste Durand, Paris, 1856, p.383.

dimanche 5 février 2012

La possession divine, l'extase et la voyance, selon Jamblique, IIIe-IVe siècle ap. J.-C.


« Or, il faut savoir ce que c'est que l'enthousiasme et comment il se produit. C'est à tort qu'on le croit un transport de la pensée avec une inspiration démonique. Car lorsque la pensée humaine est vraiment possédée, il ne saurait y avoir de mouvement et de transport. L'inspiration ne vient pas des démons, mais des dieux. L'enthousiasme n'est point proprement l'extase, mais un retour et une conversion au meilleur, tandis que le transport ou la simple extase est une chute vers le pire. Ne parler que de l'extase, c'est dire ce qui arrive accidentellement aux inspirés, mais ce n'est point toucher à la nature et au caractère principal de l'enthousiasme. Ce qu'il y a de principal et d'essentiel, c'est la possession complète des inspirés par la divinité, possession dont l'extase n'est qu'une suite et qu'un accompagnement. On ne peut raisonnablement supposer que l'enthousiasme soit le fait de l'âme ou de quelqu'une de ses puissances, de l'intelligence ou de ses opérations, de la santé ou d'une maladie du corps. Car le ravissement divin n'est pas une œuvre humaine, ne se fonde point sur les facultés humaines et sur leurs opérations. Ces opérations et ces facultés peuvent être des sujets et des instruments dont se sert le Dieu ; mais c'est le Dieu qui consomme l'œuvre de la divination : seul, sans mêler son action à celle d'aucune autre chose, sans le ministère ni du corps ni de l'âme, il opère par lui-même. C'est donc une nécessité que les divinations telles que je viens de les décrire, soient vraies et légitimes. Mais lorsque l'âme est agitée ou avant ou pendant l'opération, lorsqu'elle se mêle et se confond avec le corps, et qu'elle trouble ainsi la divine harmonie, la divination est elle-même pleine de trouble et de mensonge, et l'enthousiasme n'a rien de vrai ni de divin. » 

Note.

On pourrait rendre, pour moderniser le vocabulaire, « enthousiasme »  par « possession divine »  et « divination »  par « voyance ».

Référence.

Jamblique. Cité par J. Denis, Histoires des théories et des idées morales dans l’Antiquité, tome 2, Auguste Durand, Paris, 1856, p.380.

vendredi 24 juin 2011

La naissance du spiritisme au XIXe siècle. Point de vue d'un sceptique.

La blague des esprits frappeurs prit naissance à Hydesville, dans l'État de New York, il y a environ dix-sept ans, grâce aux filles d'un certain M. Fox,qui habitait cette ville. Ces jeunes filles avaient remarqué que certains jeux des articulations de leurs corps produisaient des bruits mystérieux ou plutôt des bruits qui n'étaient mystérieux pour ceux qui les entendaient que parce que les moyens à l'aide desquels ils étaient produits leur étaient inconnus. Le retentissement de cette merveille se répandit au dehors, et la famille Fox reçut la visite de nombreuses personnes avides de tout ce qui avait un caractère surnaturel. Peu de temps après que ces bruits étranges eurent été entendus pour la première fois, quelqu'un suggéra l' idée qu'ils étaient peut-être produits par des esprits, et demanda, si sa supposition était exacte, qu'il fut répondu à sa question par la production d'un nombre déterminé de coups frappés. Le nombre spécifié de coups se fit entendre immédiatement. Un système fut aussitôt proposé pour arriver à se mettre en communication avec les esprits. L'investigateur devait réciter l'alphabet en écrivant les lettres qui seraient désignées par les coups frappés. De cette manière, des phrases furent obtenues mais l'orthographe en était bien décidément défectueuse.

L'esprit d'un colporteur, qu'on supposait avoir été assassiné, expliqua sa disparition. Il dit que son corps était enterré dans la maison même où l'on se trouvait, dans un coin de la cave, et qu'il avait été assassiné par un précédent locataire. Un colporteur avait en effet disparu du pays depuis quelque temps d'une façon assez mystérieuse, et tout le monde fut disposé à ajouter foi à l'explication donnée par l'esprit frappeur. Des fouilles furent faites dans la cave jusqu'à une profondeur de huit pieds, mais on ne trouva pas le moindre vestige du cadavre. Bientôt après le colporteur reparut à Hydesville en chair et en os, et pourvu d'un nouvel assortiment de marchandises à vendre.

Que ces coups frappés, que ces raps, pour nous servir de l'expression admise dans la langue des adeptes, fussent produits par des esprits, beaucoup de gens y croyaient fermement. Les fausses communications étaient attribuées a de mauvais esprits. Les réponses aux questions étaient aussi souvent fausses que justes, et elles n'étaient justes que lorsqu'elles pouvaient être facilement devinées, et qu'elles découlaient de la nature même de la question.

La famille Fox se transporta à Rochester, dans l'Etat de New York, aussitôt que la blague des esprits frappeurs eut pris naissance, et ce fut là que furent tentés ses premiers essais publics. Un comité fut choisi pour examiner et contrôler les expériences. Dans leurs rapports, la plupart des commissaires se prononcèrent contre les prétentions des médiums, quoique tous fussent fort embarrassés pour dire comment la chose était faite. A Buffalo, où les Demoiselles Fox firent ensuite émigrer leurs esprits, un comité de médecins décida que les bruits étaient produits par les Demoiselles Fox elles-mêmes, qui les obtenaient à l'aide du relâchement des attaches de leurs articulations et en faisant craquer les jointures de leurs orteils et de leurs genoux. Cette théorie, qui fut tournée en ridicule par les spirites au moment où elle se produisit aussi, bien que depuis, était exacte, et fut prouvée par les nouveaux développements qui lui furent donnés.

Mme Culver, une parente des Demoiselles Fox, déclara solennellement devant un magistratque l'une des jeunes filles lui avait appris le moyen dé produire des raps, sous la condition de ne communiquer à personne la révélation qu'elle lui faisait. Mme Culver était une bonne Chrétienne, et elle considéra comme un devoir de dénoncer une fourberie poussée aussi loin.

Comme preuve de sa déclaration, elle produisit des raps devant le magistrat, et lui expliqua la manière dont ils étaient obtenus.

Le Docteur W. F. Van Vleck, de l'Ohio, qui, pour savoir les moyens employés par les différents médiums, s'était fait passer pour un fervent adepte du spiritisme et avait paru leur prêter un actif concours, produisait, devant le cercle de personnes qui l'entourait, des raps qu'il variait de manière à ce qu'ils parussent partir de différents points de la salle, et pourtant pas un mouvement de son corps ne venait trahir qu'ils fussent produits par lui.

La famille Fox trouva qu'il y avait dans les rapsune affaire à exploiter, et elle continua son petit commerce pendant plusieurs années'avec des chances diverses, en prenant New York comme résidence et comme principal centre d'opération. Je crois que pas un des membres qui la composent ne fait maintenant profession de spiritisme. Margaret Fox, la plus jeune des soeurs; a embrassé, il y a quelque temps, la Religion Catholique Romaine.

Depuis l'apparition du spiritisme, les merveilles qu'on lui a demandées se sont accrues constamment avec le nombre toujours croissant des médiums. Beaucoup d'individus, qui autrement n'avaient pas
la moindre chance de se distinguer de la foule, sont devenus médiums pour acquérir au moins la célébrité, à défaut d'avantages plus positifs.

Les communications au moyen des raps étaient un procédé lent, aussi quelques médiums prirent-ils la liberté d'écrire à l'aide de mouvements convulsifs; d'autres parlèrent, plongés dans un état d'extase et tout cela sous l'influence des esprits.

La médianimité est devenue une profession au moyen de laquelle bon nombre de personnes gagnent leur vie.

Il y a plusieurs classes de médiums, et chacun des médiums appartenant à ces différentes classes renferme ses opérations dans un cercle particulier de jongleries spirites.

Quelques-uns se donnent là qualité de médiums à épreuves, et par la répétition de certaines formules ils arrivent à étonner, si ce n'est à convaincre, le plus grand nombre de ceux qui assistent à leurs expériences. C'est par les médiums de cette catégorie que le public a le plus de chances probables d'être trompé. 

Phineas Taylor Barnum, Les blagues de l'univers, A. Faure, Paris, 1866, p. 60-63.

jeudi 23 juin 2011

Définition de la nécromancie, par l'abbé Moréri, 1674-1732.


[Orthographe modernisée.]

NÉCROMANTIE.

Art magique, par lequel on prétend que les hommes consultent les morts sur l'avenir, par le ministère des Démons, qui les font revenir, soit dans leurs cadavres, soit en esprit. 

C'est par cet art que quelques-uns croient que la Pythonisse fit revenir l'âme de Samuel. 

Les Thessaliens, et quelques autres peuples de Grèce avaient cette superstition. Ils arrosaient de sang chaud le corps d'un mort, et prétendaient que ce mort leur donnait des réponses certaines sur l'avenir. Ceux qui les consultaient devaient être purifiés auparavant, et il fallait apaiser les mânes de celui que l'on voulait consulter, afin qu'il rendit réponse : autrement il était sourd aux demandes. 

Quand les Nécromantiens voulaient consulter les Démons, ils prenaient le crâne d'un homme à qui ils offraient de l'encens et des sacrifices. * Antiq. grecq. Et rom. Buxtorf. 

M. Jurieu remarque qu'il y avait plusieurs espèces de Nécromancie. 

1. En certains lieux les Nécromanciens s'endormaient auprès des tombeaux des morts, afin d'avoir des songes prophétiques. Hérodote dans Melpomene ch. 172. dit des Nafamons. peuples de la Libye : « qu'ils juraient par ceux qui avaient été justes et honnêtes gens, qu'ils devinaient en touchant leurs tombeaux, et qu'en s'approchant de leurs sépulcres, après avoir fait quelques prières, ils s'endormaient, et étaient instruits en songe, de ce qu'ils voulaient savoir. » 

2. Quelquefois les Nécromanciens tâchaient de faire parler les cadavres. 

3. D' autrefois ils évoquaient simplement les mânes des morts, sans les obliger de paraître sous une figure vivante. Et c'est cette Nécromance qui s'appelait deviner par les Théraphims

4. Il y avait enfin une espèce de Nécromance qui faisait paraître les morts en forme visible, et qui les faisait parler en voix intelligible. Et cette Nécromance a eu divers noms selon les divers instruments dont les Magiciens se servaient pour l'évocation des morts. 

Elle s'apelloit Catroptomance, quand on faisait paraître les figures dans le miroir; Gastromance, quand les morts paraissaient dans un vaisseau profond; Hydromance, quand les âmes montaient en figure humaine dans l'eau. M. Jurieu croit que cette dernière Nécromance est l'ob des Hébreux. 

Il y avait des Temples consacrés à Pluton et aux Dieux infernaux, Temples que l'on apellait Νεκυομαντέια, et que Cicéron nomme ψυχομαντέια. C'est là qu'on exerçait la Nécromance, et en invoquant Pluton, le Dieu des Mânes, ils évoquaient les mânes pour savoir d'eux l'avenir. 

Nous apprenons d'Hérodote que dans l' Épire proche d'un lieu appelé Thesprotis, il y avait un fameux Temple de Pluton, l'un de ces Νεκυομαντέια, où l'âme d'Euridice fut évoquée par Orphée, son mari, et que de là est venue la fable des Poètes qui disent qu'Orphée tira sa femme des Enfers. * Jurieu, Hist. des Dogmes, etc. p. 471. et 636.

Louis Moréri [Prêtre et théologien], Le grand dictionnaire historique: ou le mélange curieux de l'histoire sacrée et profane, t. 5, Jean Brandmuller, Bâle, 1732, p. 482.

L'évocation des morts en différentes cultures, selon l'abbé Brunet, 1792.


[Orthographe modernisée.]

Dans l'île de Madagascar, lorsqu'un homme a rendu le dernier soupir, on vient lui demander à plusieurs reprises pourquoi il a quitté la vie. 

À la Chine, un parent ou un ami d'un homme qui expire, monte sur le toit du logis, et appelle avec de grands cris l'âme du défunt, en se tournant vers le nord, et ensuite vers le midi. Mais ce qui paraît démontrer que les Chinois ne croient pas qu'un homme en mourant perde tout sentiment, ce sont les offrandes qu'ils font aux morts, et les invitations qu'ils leur adressent, de venir prendre part à ces offrandes; cérémonies qui se perpétuent d'année en année. 

Au Tonquin, on consulte quelquefois des sorciers pour savoir en quel lieu est morte une personne qui a perdu la vie dans un pays éloigné. Ces sorciers frappent sur un tambour, et, par le moyen d'un miroir magique, prétendent faire comparaître l'âme du mort, afin; qu'on apprenne d'elle-même ce que l'on veut savoir. 

L'évocation des morts était anciennement en usage chez les Perses. On la trouve établie dans la Phénicie, dit Fréret, qui conjecture qu'elle l'était aussi en Égypte

C'est d'après ce savant qu'on a dit qu'il y avait un oracle des morts à Héraclée, ville de Pont; un, au cap Tenare; un troisième, dans la Thesprotie, sur le bord du fleuve Achéron; et enfin un quatrième , en Italie

À l'anniversaire du sacrifice funèbre institué en l'honneur des Grecs morts à la bataille de Platée, on invitait à haute voix, à peu près comme font les Chinois, les ombres ou les mânes de ces braves gens à venir prendre part au banquet que l'on faisait, et à s'y rassasier du sang de la victime qui avait été égorgée. 

Les Lapons ont quelque chose qui approche de l'évocation des morts.

Abbé François-Florentin Brunet, Parallèle des religions, t. 2, Knapen, Paris, 1792, p.151.

Nécromancie et psychomancie, définition par Antoine Mongez, 1792-1794.


[Orthographe modernisée]

1. NÉCROMANCIE.

Sorte de divination par laquelle on prétendait évoquer les morts pour les consulter sur l'avenir, par le ministère des mânes, qui faisaient rentrer les âmes des morts dans leurs cadavres, ou faisaient apparaître à ceux qui les consultaient, leur ombre ou simulacre. Elle était fort en usage chez les grecs, et surtout chez les Thessaliens. Ils arrosaient de sang chaud le cadavre d'un mort, et prétendaient qu' ensuite il leur donnait des réponses certaines sur l'avenir. Ceux qui les consultaient devaient auparavant avoir fait les expiations prescrites par le magicien qui présidait à cette cérémonie, et surtout avoir apaisé, par quelque sacrifice, les mânes des défunts, qui, sans ces préparatifs, demeuraient constamment sourds à toutes les questions qu'on pouvait leur faire. On sent assez, par tous ses préliminaires, combien de ressources et de subterfuges se préparaient les imposteurs qui abusaient de la crédulité du peuple.

Delrio, qui a traité fort au long cette matière, distingue deux fortes de nécromancies; l'une, qui était en usage chez les thébains, et qui consistait simplement dans un sacrifice et un charme ou enchantement, incantatio. On en attribue l'origine à Tirésias. L'autre était pratiquée par les Thessaliens, avec des ossements des cadavres, et un appareil tout à fait formidable. Lucain ( l. VI. ) en a donné une description fort étendue, dans laquelle on compte trente-deux cérémonies requises pour l'évocation d'un mort. Les anciens ne condamnaient d'abord qu'à l'exil ceux qui exerçaient cette partie de la magie ; mais Constantin décerna contre eux la peine de mort. Tertullien (dans son livre de l'âme) dit sérieusement qu'il ne faut pas s'imaginer que les magiciens évoquassent réellement les âmes des morts, mais qu'ils faisaient voir à ceux qui les consultaient, des spectres ou des prestiges; ce qui se faisait par la seule invocation, ou que les démons paraissaient sous la forme des personnes qu'on désirait de voir, et cette sorte de nécromancie ne se faisait point sans effusion de sang ». D'autres ajoutent que ce que les magiciens et les prêtres des temples des mânes évoquaient, n'était proprement ni le corps, ni l'âme des défunts, mais quelque chose qui tenait le milieu entre le corps et l'âme, que les grecs appelaient ειδωλον, les latins simulacrum, imago, timbra tenuis. Ainsi, quand Patrocle prie Achille de le faire enterrer, c'est afin que les images légères des morts, ειδωλα καποντων, ne l'empêchent pas dépasser le fleuve fatal. Ce n'était ni l'âme, ni le corps qui descendaient dans les Champs Élysées, mais ces idoles. Ulysse voit l'ombre d'Hercule dans les Champs Élysées, pendant que ce héros est lui-même dans l'Olvmpe avec les dieux immortels. ( Delrio, lib. IV, p. 540 et 542. Mémoires de l'acad, des belles-lettres, tom. VII. p. 30. ) 

Antoine Mongez, Antiquités, mythologie, diplomatique des chartres, et chronologie. Encyclopédie méthodique, tome 4, Panckoucke, Paris, 1792, p. 259.

2. PSYCHAGOGUES. ( p. 158-159)

Nom des prêtres qui desservaient un temple à Héraclée en Élide, et qui faisaient profession d'évoquer les âmes des morts ( Plut. in Cimone.). 
 
Leur nom était formé de ψυχη, âme, et de αγω, conduire
 
Leur institution avait quelque chose d'imposant ou de respectable. Ils devaient être irréprochables dans leurs mœurs, n'avoir jamais eu de commerce avec les femmes, ni mangé des choses qui eussent eu vie, et ne s'être point souillés par l'attouchement d'aucun corps mort. Ils habitaient dans les lieux souterrains, où ils exerçaient leur art nommé Psychomancie ou divination par les âmes des morts.

PSYCHOMANCIE. (p. 161)

Sorte de magie ou de divination, qui consistait à évoquer l'âme des morts.
Ce mot est formé de ψυχη, âme, et de μαντεία, divination. 
 
Les cérémonies usitées dans la psychomancie étaient les mêmes que celles qu'on pratiquait dans la nécromancie, Voyez Nécromancie. 

C'était ordinairement dans des caveaux souterrains et dans des antres obscurs qu'on faisait ces sortes d'opérations, surtout quand on désirait de voir les simulacres des morts, et de les interroger. Mais il y avait encore une autre manière de les consulter et qu'on appelait aussi psychomancie, dont toutefois l'appareil était moins effrayant. C'était de passer la nuit dans certains temples, de s'y coucher sur des peaux de bêtes, et d'attendre en dormant l'apparition et les réponses des morts. Les temples d'Esculape étaient surtout renommés pour cette cérémonie. Il était facile aux prêtres imposteurs de procurer de pareilles apparitions, et de donner des réponses ou satisfaisantes, ou contraires, ou ambiguës. Julien Second, pour rendre odieuses les veilles que les premiers fidèles faisaient aux tombeaux des martyrs, les accusait d'y évoquer les morts. 

Antoine Mongez, Antiquités, mythologie, diplomatique des chartres, et chronologie. Encyclopédie méthodique, tome 5, H. Hagasse, Paris, an II de la République.

Remarques : 

Pour plus d'informations sur :

- Antoine Mangez : cf. la notice de l'INHA.

mercredi 22 juin 2011

Un exemple des rapports de la science et du paranormal à la fin du XIXe siècle.



Chronique scientifique.

LES FRONTIÈRES DE L'AU-DELÀ.


Par Dieu ! Notre époque est bien la plus invraisemblable du monde, et, comme le disent volontiers les très grandiloquents héros des romans de capes et d'épée : « nous vivons en des temps fort étranges !... »
Qui jamais, en vérité, se serait imaginé qu'en ce siècle de scepticisme, de positivisme et de praticisme à outrance, le merveilleux, la croyance vive aux choses de l'Invisible, pouvaient rencontrer leurs fidèles ?
Il en est ainsi, cependant, et, pour extravagant que cela doive paraître à un premier aspect, il n'en est pas moins certain que jamais autant qu'aujourd'hui le mystère ne s'est vu à la mode. Tous, sans exception, les initiés comme les profanes, les ignorants comme les gens instruits, s'inquiètent à l'occasion du troublant problème de l'Au-delà, et chacun, curieusement, se préoccupe de ce qui existe derrière le Voile.
Or les hommes de science, en ce pourchas de l'Inconnu, sont en sommes les plus passionnés.
Le fait a sa valeur !
Il n'y a point encore longtemps, en effet, pas un savant n'eût, un seul instant voulu pour rien au monde permettre de laisser supposer qu'il pût être capable de s'intéresser à des recherches au moins vaines, sinon charlatanesque.
Accepter comme possible l'existence de forces agissantes quelconques, d'essence différente de celles enregistrées matériellement chaque jour, eût été, de parti pris, vouloir se compromettre d' irrémédiable manière en l'esprit de tous, et simplement serait revenu à gratuitement solliciter la délivrance d'un quasi-brevet de démence.
Le vrai savoir ne pouvait et ne devait avoir rien de commun avec l'Inexpliqué inexplicable ! Et c'est ainsi, par exemple, que le magnétisme, le somnambulisme, le spiritisme, etc., passaient pour être seules œuvres de fripons, bonnes, tout au plus, à duper une foule ignorante et badaude.
Que les temps aujourd'hui ont changé ! À présent, tout au contraire des errements anciens, l'on admet à priori que rien n'est en soi impossible, malgré les apparences, et nombreux sont les expérimentateurs, et des plus autorisés, qui, faisaient en cela d'ailleurs véritable preuve d'un judicieux esprit critique, ne dédaignent point de consacrer leurs peines à poursuivre la vérité dissimulée sous les apparences du miracle.
Aucun phénomène n'échappe maintenant à l'analyse scientifique, et le domaine de l'extra-naturel, plus qu'aucun autre peut-être, se voit l'objet d'audacieuses inquisitions.
Le professeur Crookes, l'un des premiers physiciens de ce temps, le découvreur de la matière radiante et du métal thalium, étudie en son laboratoire la force psychique, qu'il mesure soigneusement à l'aide d'appareils enregistreurs. Semblablement encore, en Angleterre, sir Alfred Russel Wallace, le naturaliste qui, avec Darwin, partage la gloire d'avoir fait triompher la doctrine de l' évolution, examine avec non moins de sagacité et de méthode les multiples manifestations spirites, dont il défend la réalité dans un livre remarquable, Les Miracles et le Moderne Spiritualisme (1), livre dont une excellente traduction vient d'être récemment publiée en notre langue. Et ce sont pareillement des savants inconnus, des gens de lettres, des médecins, des physiologistes, des philosophes, qui, réunis en société, – Society for Psychical Research, – procèdent à des enquêtes minutieuses sur tous les phénomènes réputés surnaturels, – apparitions, fantômes, pressentiments, etc., – enquêtes consignées dans les Proceedings of the Society for Psychical Research et qui ont fourni la matière à l'un des plus curieux et en même temps des plus hardis volumes que l'on ait jamais imprimés, Phantasms of Living, dont M Marillier, maître de conférence à l'École des Hautes Études, faisaient paraître, voici seulement quelques mois, sous le titre les Hallucinations télépathiques (2), un résumé substantiel.
En France, en effet, l'on assiste également en ce moment à une même évolution. L'hypnotisme et ses multiples manifestations font l'objet des travaux de nos médecins les plus réputés ; à tous instants, les tribunaux s'enquièrent au sujet de la réalité des faits de suggestion, et les prétoires des cours d'assises deviennent à l'occasion de véritables succursales de l'École de médecine. Le Magnétisme devant le loi existe bel et bien, et des docteurs (3) écrivent à son propos. Bien mieux, tout comme en Angleterre, il s'est fondé chez nous l'an dernier une « Société de psychologie physiologique », société dont font partie, entre autres, MM. Sully-Prudhomme, de l' Académie française ; G. Ballet, agrégé à la Faculté de médecine de Paris ; Beaunis, professeur à la Faculté de médecine de Nancy ; L. Marillier, maître de conférence à l'École pratique des Hautes ; Ch. Richet, professeur à la Faculté de médecine de Paris ; le colonel A. de Rochas, administrateur de l'École polytechnique ; le Dr X. Dariex, etc., et cette société possède une revue infiniment curieuse, les Annales des Sciences psychiques (4), uniquement consacrée à l'examen scientifique des choses dites de l'au-delà.
M. Lombroso, le célèbre criminaliste italien, s'est tout dernièrement, et après des expériences bien peu probantes, cependant déclaré convaincu de la réalité des phénomènes spirites ; le savant russe Aksakoff s'occupe aussi de semblables recherches, dont il consigne les résultats en son journal Psychiche studien, qui paraît régulièrement depuis plusieurs années. À l'heure présente, la preuve en est donc bien faite ; les gens de science sont unanimes à reconnaître qu'il convient de ne pas repousser à priori tout fait dont la raison première échappe pour l'instant à notre analyse. Demain ne peut-il en effet révéler le mystère d'aujourd'hui ?
Quoiqu'il en soit, en attendant que les frontières du domaines inconnu aient été complètement explorées, un certain désarroi est apporté au beau milieu des croyances positives, unanimement admises il y a peu encore, et chaque jour voit s'accentuer cet état particulier d'incertitude de la science du moment.
Comment, du reste, pourrait-il en être autrement quand l'on voit des expérimentateurs d'une autorité reconnue publier, comme vient de la faire en ces dernières semaines M. le colonel A. de Rochas, des livres où toutes les théories officiellement admises sont bel et bien démontrées insuffisantes et purement empiriques.
On ne saurait, en effet, imaginer une œuvre plus troublante, que ces États profonds de l'Hypnose (5), œuvre qui n'est rien autre, cependant, que l'étude rationnelle et sagace des phases magnétiques déjà reconnues depuis longtemps par les anciens magnétiseurs, phases par lesquelles passent plus ou moins rapidement suivant leur état particulier de sensibilité ou mieux « d'impressivité », les sujets plongés dans un sommeil somnambulique de plus en plus intensifié.
C'est un fait actuellement parfaitement établi, en dépit de ce qu'on en pense généralement, que la vie de l'homme se peut fort bien poursuivre durant des temps fort longs et sans inconvénient aucun en des états d'ordinaire réputés anormaux. Tout le monde a plus ou moins entendu parler de ces merveilleuses expériences accomplies par les yoghis de l'Inde, qui, à la suite d'un entraînement particulier, arrivent à pouvoir se passer durant plusieurs semaines de l'air atmosphérique, de nourriture et de boissons, et se livrent ainsi volontairement,à la façon de nos chauve-souris ou de nos hérissons, à de véritables hivernages prolongés, au bout desquels ils reviennent à l'existence normale. De tels récits, à un premier aspect, peuvent paraître au moins invraisemblable. L'examen attentif des phénomènes produits dans l'organisme par l'influence somnambulique démontre cependant qu'ils sont, en réalité, beaucoup moins hypothétiques, qu'on pourrait être tenté de la croire.
Les expériences, au surplus, sont là nombreuses, qui viennent en fournir la réelle et quasi irréfutable preuve.
Dans un livre des plus remarquables, l'Automatisme psychologique, M. Pierre Janet note que « l'on constate régulièrement dans la pensée des individus qui, pour une raison ou pour une autre, ont eu des périodes de somnambulisme, trois caractères ou trois lois de la mémoire qui leur sont particuliers : 1° oubli complet pendant l'état de veille normale de tout ce qui s'est passé pendant le somnambulisme ; 2° souvenir complet pendant un somnambulisme nouveau de tout ce qui s'est passé pendant les somnambulismes précédents ; 3° souvenir complet pendant le somnambulisme de tout ce qui s'est passée pendant la veille (6) ».
Ainsi, un sujet en état de somnambulisme revêt une personnalité déterminée, qu'il conserve tant qu'il est dans ce même état, qu'il oublie de façon complète quand il reprend vie normale, et dont il retrouve par exemple la connaissance si l'on vient à le remettre en somnambulisme, même à des temps fort éloignés après le réveil. « Une somnambule, N..., que j'ai endormie deux fois, à un an d'intervalle, retrouva dans le second somnambulisme le souvenir minutieux de tout ce qu'elle avait fait dans le premier, et me rappela des détails que j'avais moi-même complètement oubliés. Tout ceux qui ont endormi plusieurs fois la même personne ont remarqué ce phénomène, aussi banal que singulier (7). » Mais, il y a mieux encore. On a, en effet, découvert, en prolongeant l'action magnétique sur certains sujets déjà plongés en état somnambulique, que ceux-ci traversaient des stades de mémoire distincts au cours de leur sommeil, stades caractérisés par cette particularité intéressante au premier chef, que chacun d'eux ne conserve le souvenir que de lui-même. Voici comment M. Gurney, qui a, l'un des premiers, et avec un soin extrême, étudié ces étranges phénomènes, – M. Gurney a en effet constaté durant le sommeil hypnotique jusqu'à trois états de mémoire différents, ce qui, en tenant compte de la mémoire à l'état de veille , faisait pour son sujet quatre formes différentes de mémoires, – en décrit les circonstances diverses : « Après avoir amené une état particulier de sommeil que nous appellerons l'état A, nous causons d'une chose quelconque avec le sujet. Celui-ci est alors amené à un état plus profond, l'état B, et, si on veut continuer avec lui la conversation précédente, il se trouve tout à fait incapable de s'en souvenir et même de se souvenir que quelque chose lui a été dit. On commence alors avec lui une nouvelle question en le priant de se la rappeler, après quoi on le ramène à l'état A. Il ne peut se rappeler ce que l'on vient de lui dire dans l'état B, mais continue la conversation commencée dans le premier état A, dans lequel il se retrouve. Mené de nouveau à l'état B, il se rappelle de même ce qui lui a été dit dans cet état, mais il a oublié ce qui a été imprimé en lui à l'état A. Éveillé, il ne se souvient de rien de ce qui lui a été dit (8). »
Or, – et le fait est de première importance à noter, – non seulement ces diverses personnalité se retrouvent à des périodes au besoin fort éloignées l'une de l'autre, mais encore elles peuvent présenter une durée considérable, chacune d'elle subsistant autant de temps que le sujet est plongé dans la phase somnambulique correspondante.
« On a souvent signalé des somnambulismes artificiels qui ont été longtemps prolongés. Le célèbre abbé Faria prétend que certains de ses sujets sont restés endormis pendant des années set oubliaient à leur réveil tout ce qui s'était passé pendant cette longue période. Un magnétiseur nommé Chardel endormit deux jeunes filles pendant l'hiver et ne les réveilla que plusieurs mois après, au milieu du printemps ; elles furent bien surprises en se réveillant de voir des feuilles et des fleurs sur les arbres qu'elles se souvenaient d'avoir vus couverts de neige avant de s'endormir. Souvent, raconte un autre auteur (9), je laissais mes somnambules endormies toute la journée les yeux ouverts, afin de me promener avec eux pour les observer sans exciter la curiosité publique. Il m'est arrivé de prolonger pendant quatorze ou quinze jours le somnambulisme d'une jeune fille qui était à mon service. Dans cet état, elle continuait ses travaux comme si elle eût été dans son état ordinaire... Elle se trouve au réveil comme dépaysée dans la maison, n'étant plus du tout au courant de ce qui s'est passé (10). »
Mais, après la constatation de faits semblables, qui peut nier l'analogie existante au point de vue de la vie psychique et physiologique entre les divers états d'être des individus, et ne devient-il pas en quelque sorte évident que la vie normale, c'est-à-dire l'état de veille, pourrait bien n'être, comme M. de Rochas semble du reste assez disposé à l'admettre, que « l'une des diverses modalités dont le cerveau peut être doué (11) ? » Au surplus, du reste, une telle présomption n'est pas du seul domaine de l'hypothèse. Tout récemment, en effet, en les Annales de Psychiatrie et d'Hypnologie (12), M. le professeur Mairet, le savant aliéniste de Montpellier, rapportait ce cas bizarre d'un fou simulant la folie. Or ce malade, qui était un individu normal à l'égard des faits du somnambulisme, en raison même de sa démence, se trouvait cependant vivre de façon continue en un état cérébral parfaitement irrégulier. Et de même encore il en est en somme de ces hystériques qui , à la façon de ces démonomanes dont les possessions nous sont racontées tout au long dans les procès de sorcellerie dressés jadis par les exorciseurs (13), demeurant souvent durant une partie importante de leur existence en des états pathologiques.
De toutes ces observations, il résulte donc que cette démonstration complète que les diverses conditions d'être dans lesquelles peut à l'occasion se trouver amené un sujet quelconque ne sont pas incompatibles avec l'accomplissement parfait de ses diverses fonctions vitales ; celles-ci, simplement, subirons certaines transformations correspondantes aux modifications apportées dans l'économie du patient.
De ces transformations, la plus considérable, sans contredit, est celle découverte tout récemment par M. A. de Rochas et qu'il a appelée « l'extériorisation de la sensibilité ». Voici e quoi elle consiste. Quand l'on plonge un sujet dans le sommeil magnétique, si l'on prolonge suffisamment la cause excitatrice, on voit passer successivement le patient par une série d'états caractérisés chacun par des phénomènes spéciaux, et il arrive un moment où le magnétisé entre en ce que M. de Rochas appelle « l'état de rapport ». À ce moment, le sujet est en relation seulement avec le magnétiseur quel qu'il soit . Si l'on a poussé jusqu'à l'état de rapport le sujet en le chargeant d'électricité au moyen soit d'une machine statique, soit d'une pile, soit d'un aimant, écrit M. de Rochas, il ne perçoit plus que la personne en contact avec l'agent qui a produit l'hypnose.
« Pour des sujets très sensibles à la polarité, on peut arriver à pousser jusqu'à l'état de rapport une partie positive de leur corps (par exemple) par le simple contact prolongé de cette partie avec un objet d'or ou avec un diamant. Alors la partie hypnotisée ne perçoit plus que l'objet qui a agi sur elle ou un objet de même nature ; elle ne sentira pas la piqûre faite avec une épingle de cuivre ou le frottement exercé avec un morceau de cristal. On aura ainsi constitué, pour quelques instants, une véritable pierre de touche organique (14). » En somme, d'une façon générale, quand un sujet est en « état de rapport », il ne voit et n'entend que par l'intermédiaire de son agent-magnétiseur, et toute excitation venant d'une autre source ou n'est point du tout perçue par lui ou, si elle l'est, provoque une sensation particulièrement désagréable.
Or, dès l'état de rapport, les sujets magnétisés, chez qui, – le fait est du reste connu depuis longtemps, – la sensibilité a disparu à la surface de l'épiderme, présentent une extériorisation de cette sensibilité. Tout autour du corps, il existe en effet une couche sensible séparée de la peau par quelques centimètres. « Si le magnétiseur ou une personne quelconque pince, pique ou caresse la peau du sujet, celui-ci ne sent rien ; si le magnétiseur fait les mêmes opérations sur la couche sensible, le sujet éprouve les sensations correspondantes.
« De plus, on constate qu'à mesure que l'hypnose s'approfondit, il se forme une série de couches analogues à peu près équidistantes, dont la sensibilité décroit proportionnellement à leur éloignement du corps. Avec Mme K., j'ai pu reconnaître ces couches à plusieurs mètres. Elles traversent presque toutes les substances (15). »
En certains cas, cette extériorisation de la sensibilité est, du reste, parfaitement intense, et il semble qu'il y ait, en quelque sorte, comme une hyperesthésie de la faculté sensorielle ; du moins, le fait suivant, emprunté à un article paru dans la revue l'Étoile, article écrit à la date du 1er février 1892, c'est-à-dire plusieurs semaines avant l'apparition du livre de M. de Rochas, semble l'établir nettement. Il s'agit de la description relatée par un correspondant désintéressé, M. C. Montorient, d'un cas singulier de somnambulisme observé il y a quelques temps à l'Hôtel-Dieu de Fréjus.
« Une autre particularité, plus remarquable, à ce que je crois, écrit M. Montorient, c'est que, pendant ses accès, on ne pouvait ni toucher le sujet ni même toucher un objet immédiatement avant qu'il le touchât lui-même, sans provoquer chez lui une crise généralement d'autant plus violente que le contact venait d'une personne qui lui était plus inconnue.
« Un inspecteur qui visitait l'hospice ne voulut pas tenir compte des avertissements qu'on lui donna à ce sujet, et, par curiosité sans doute, toucha les vêtements de Louis D. Aussitôt celui-ci tomba à la renverse, et l'inspecteur ayant voulu le prendre dans ses bras pour le retenir, la crise devint terrible et laissa le malade sourd pendant plusieurs semaines (16). »
Le récit est d'une précision complète et ne laisse aucun doute sur la nature de l'état magnétique où était le malade lors de l'aventure rapportée par le correspondant de l'Étoile.
Mais de tels phénomènes sont d'une importance de tout premier ordre, et cela justement parce qu'ils nous vont peut-être enfin livrer définitivement l'explication rationnelle d'un certain nombre de faits demeurés jusqu'ici mystérieux, ou même souvent encore entièrement regardés comme apocryphes. Ainsi la faculté de double-vue ou de lucidité que prétendent posséder certains somnambules, si l'on admet, – et il semble fort difficile aujourd'hui de prétendre le contraire, – la réalité de l'extériorisation de la sensibilité, s'explique tout naturellement. En période de lucidité, le somnambule qui est en état de rapport a sa sensibilité extériorisée, et, par les expériences de M. de Rochas, nous savons que cette sensibilité se propage en diverses zones plus ou moins éloignées et sans être arrêtée par les corps solides qu'elle rencontre. En de telles circonstances, n'est-il pas logique, alors, que cette sensibilité rayonnant du sujet en sommeil ne vienne à vibrer à l'union de la sensibilité propre à la personne mise en rapport avec le magnétisé et ne puisse traduire par suite les états d'être de cette personne, tout comme le métal d'un résonnateur entrant sympathiquement en branle décèle par ses frémissements rapides la présence entre tous les autres d'un son de même qualité fondamentale que la note musicale qu'il donne normalement ?
Le fait pour extraordinaire qu'il paraisse, ne laisse pas cependant d'être singulièrement logique. Au surplus, est-il à beaucoup près fort d'être le plus surprenant en la cas actuel. La découverte de M. de Rochas, en effet, comporte d'autres conséquences autrement imprévues.
Il n'est personnes, en notre époque, qui n'ait entendu à l'occasion parler de cette étrange et sinistre pratique familière à la noire magie des sorciers du moyen âge et que l'on nomme envoûtement.
Le nécromant modelait en cire, à l'image de sa future victime, une figurine sur laquelle il transportait, en quelque sorte, la potentialité vivante de son ennemi, si bien qu'il lui suffisait ensuite de blesser la statuette en un point quelconque pour provoquer au même instant chez l'envoûté, celui-ci fût-il infiniment éloigné, une action malfaisante correspondante, comme nature et comme intensité, à la nature et à l'intensité de la lésion exercée sur l'image.
Depuis beau temps, n'est-il pas vrai, on ne croit plus à de semblables maléfices, et, seuls, des gens naïfs et infiniment superstitieux peuvent encore frémir en entendant raconter que tel personnage enfonçait des aiguilles en la poitrine d'une poupée, pensant ainsi tuer de loin comme d'un coup de poignard l'ennemi détesté. Eh bien, peut-être convient-il d'en rabattre, et les sorciers ne faisaient-ils point une œuvre aussi vaine qu'on l'admet d'ordinaire.
L'extériorisation de la sensibilité, en effet, nous conduit fatalement et logiquement, c'est-à-dire expérimentalement, à admettre en principe la réalité des phénomènes de l'envoûtement.
Que l'on en juge, du reste, par les faits suivants.
Un sujet sensible à l'action magnétique est amené à l'état de rapport, c'est-à-dire au point déterminé du sommeil hypnotique où sa sensibilité commence à s'extérioriser. À ce moment, l'on remet entre les mains du sujet un verre contenant de l'eau. Au bout de quelques minutes, l'eau s'est chargée d'une certaine quantité du fluide sensible extériorisé par le sujet. Le magnétiseur prend alors le verre des mains du magnétisé, et, se plaçant loin de celui-ci, de telle façon qu'il ne puisse être vu, il approche avec précaution le verre de sa bouche. Or, à peine une seule goutte du liquide vient-elle à lui effleurer les lèvres que l'on voit brusquement le sujet pris d'un spasme violent, tomber à la renverse à la façon d'une personne frappée d'une attaque subite et que la vie abandonne. Et, de fait, il semble qu'un pareil accident serait fort à craindre si l'on ne prenait immédiatement le soin de rendre au sujet ce qu'il a perdu, de lui faire boire sa vie en lui faisant avaler jusqu'à la dernière goutte le liquide magnétisé.
Et ceci n'est point un conte, amis bel et bien une expérience de laboratoire, expérience des plus délicates, du reste, en raison de ce qu'elle s'exerce sur l'organisme humain, et qui a été à l'heure présente à diverses reprises réalisée devant nombre de témoins instruits et bons observateurs. Le mode opératoire, d'ailleurs, peut être modifié de façons diverses et qui rendent plus saisissant encore le phénomène de l'envoûtement. Ainsi, au lieu d'un verre d'eau , mettez simplement entre les mains du sujet quelques fleurs. Celles-ci une fois chargée de sensibilité, peuvent être tenues sans inconvénient par le magnétiseur qui est en rapport avec le sujet ; mais, si une personne quelconque vient seulement à effleurer du bout su doigt l'un des pétales, le magnétisé, fût-il dans une pièce éloignée, éprouve à l'instant même une sensation vive de souffrance. Ici, c'est bien en toute sa réalité l'envoûtement des sorciers. Et cette extériorisation de la sensibilité peut avoir une durée prolongée. M. de Rochas nous racontait dernièrement qu'ayant provoqué la cristallisation brusque d'une solution sursaturée d'hyposulfite de soude chargée au préalable par un sujet en sommeil hypnotique, ce sujet, au moment de la solidification du liquide, éprouva une crise nerveuse tellement violente, qu'il s'évanouit. Mais ce n'est point tout ; dix jours ensuite, – et cette dernière expérience a eu lieu devant divers témoins, parmi lesquels se trouvaient M. le sénateur Hébrard, directeur du Temps, M. Joleaud-Barrat, rédacteur à la Justice, quelques magistrats, etc., – M. de Rochas, voulant savoir si la solution cristallisé avait conservé après ce long espace de temps la sensibilité dont elle avait été chargée, plongea dans la masse la lame d'un poignard.
Au même instant, le sujet, qui n'avait point vu l'acte de M. de Rochas, poussa un cri perçant et tomba à la renverse en portant la main à sa poitrine, comme si l'on venait de l'y blesser.
Enfin, complétant ses expériences, M. de Rochas en a fait une plus saisissante encore, peut-être, et réalisant de façon complète alors le mode opératoire des envoûteurs de jadis. À leur façon, en effet, il modela une petite statuette de cire rouge qu'il chargea à la manière ordinaire de la sensibilité extériorisée d'une jeune femme. « À partir de ce moment, raconte M. Joleaud-Barral dans un saisissant compte-rendu de ces expériences qu'il a publié dans la Justice, la vie du sujet fut en quelque sorte dédoublée, et intimement liée au sort de la poupée en cire.
« En quelque endroit qu'on touchât la poupée, le sujet le ressentait, et, si M. de Rochas enfonçait une épingle dans la statuette, la jeune femme criait et frottait de sa main la partie d'elle-même qu'elle croyait effectivement atteinte.
« Ces faits nous parurent si singuliers, si manifestement fantastiques, que nous tentâmes de les expliquer par une sorte de suggestion que l'opérateur exercerait, volontairement ou non, sur son sujet ! Il n'en pouvait être ainsi cependant. Une expérience bien involontaire nous l'a prouvé.
« L'heure du départ avait sonné ; les invités de M. de Rochas et le sujet étaient dans l'antichambre à causer avant de se quitter. Nous étions restés dans le salon, et nous étions occupés à manier et à examiner la poupée en cire.
« Tout à coup, sans volonté précise, nous appuyâmes un peu fortement sur la cire, comme pour la modeler nous-même.
« Un cri retentit dans la pièce voisine. C'était le sujet qui s plaignait vivement de ressentir une douleur dans la jambe gauche.
« Nous avions, sans le vouloir et de loin, provoqué une sensation de douleur chez la personne « envoûtée ».
Ce témoignage public donné par le rédacteur de la Justice d'un fait réel d'envoûtement méritait bien, on l'avouera volontiers, d'être rapporté textuellement.
Quoi qu'il en soit, il convient de la constater, si l'on ne peut à présent point nier de façon certaine la réalité vraie de la pratique de l'envoûtement par le sorciers de jadis, il faut noter cependant que leur mode opératoire n'était point le même. Comme nous l'avons vu, pour réaliser un envoûtement, M. de Rochas a besoin que son sujet s'y prête ; il doit le soumettre à des passes spéciales, et, en un mot, il lui faut être en rapport direct avec lui. Les sorciers de jadis s'y prenaient autrement, nous racontent les grimoires, et, c'est tout au plus s'ils exigeaient pour accomplir leur maléfice quelque objet ayant appartenu à la personne que l'on voulait vouer magiquement à la mort. À cela près, du reste, – et ce détail n'est point en somme d'une importance capitale en l'affaire, – l'analogie est complète. Au surplus, il est d'autres phénomènes dépendant également des faits d'extériorisation de la sensibilité, qui viennent confirmer cette réalité de la possibilité de l'envoûtement, en raison même de l'identité de leur mécanisme intime. Telle est, par exemple, l'action des médicaments à distance.
Reprenons le verre d'eau magnétisée par le sujet endormi et amené au point précis de sommeil où se manifeste l'état dit de « rapport ». Si l'on approche alors du liquide un flacon de cristal enfermant un médicament quelconque, l'on voit subitement le sujet présenter les réactions caractéristiques du remède, et déjà bien qu'il ne puisse en connaître la nature.
Au premier abord, la chose paraît invraisemblable. Elle n'est pas moins vraie, cependant, et, si l'on veut bien y prendre garde, elle est moins surprenante que l'on pourrait le croire.
Nous savons, d'après les expériences mêmes de M. de Rochas, que la sensibilité extériorisé n'est point arrêtée par la matière solide, mais qu'elle la traverse sans effort, tout comme un rayon lumineux traverse une lame de verre. Mais, s'il en est ainsi, tout naturellement les faits s'expliquent ; c'est la sensibilité elle-même qui, traversant les parois du flacon, s'en vient au contact de la drogue et s'en sature au point que celle-ci exerce sur l'organisme son action régulière. Théoriquement, au surplus, rien ne s'oppose à ce qu'il en soit de la sorte. La mécanique physique nous apprend que la matière, si dense soit-elle en apparence, est composée d'éléments multiples en mouvement les uns autour des autres. » Absolument parlant, le solide n'existe pas. Prenons entre nos mains un lourd boulet de fer ; ce boulet est composé de molécules invisibles, qui ne se touchent pas, lesquelles sont composées d'atomes qui ne se soucient pas davantage. La continuité que paraît avoir la surface de ce boulet et sa solidité apparente sont donc de pures illusions. Pour l'esprit qui analyserait sa structure intime, c'est un tourbillon de moucherons rappelant ceux qui tournoient dans l'atmosphère des jours d'été. D'ailleurs, chauffons ce bouler, qui nous paraît solide : il coulera ; chauffons-le davantage ; il s'évaporera, sans pour cela changer de nature ; liquide ou gaz, ce sera toujours du fer (17). » Pourquoi donc, puisqu'il en est ainsi, s'en venir proclamer l'absolue impénétrabilité de la matière. La vérité, au contraire, est tout autre, et c'est seulement le degré de fluidité d'un corps qui règle la facilité qu'il aura à en pénétrer un autre. Des expériences grossières de laboratoires, au surplus, nous indiquent qu'il en est bien ainsi. L'alcool traverse des tubes capillaires où l'eau ne saurait pénétrer, et, de même, l'eau sait se frayer un chemin dans des canaux inaccessibles à d'autres liquides moins subtils. Les phénomènes spirites dits d'apports (18), si toutefois avec Crookes l'on admet leur réalité (19), trouveraient encore dans ces faits leur justification. Du moment que l'on peur concevoir la substance suffisant pour lui permettre de circuler librement entre les molécules des corps, pourquoi ne pourrait-on de manière analogue accorder à la matière physique, placée en certaines conditions déterminées, la faculté de venir elle aussi à se dissocier à l'infini ?
Mais, tous les jours, dans la pratique industrielle courante, nous assistons à ce prodige de la division de la matière en molécules ultimes. Que se passe-t-il, en effet, dans le bain galvanique ? La substance n'y est-elle point dissoute en particules particulièrement ténues qui sont aussi transportées, avec élection et sans aucun souci des lois de la pesanteur, ainsi que l'a dernièrement constaté avec une grande ingéniosité le Dr Foveau de la Courmelle, qui estime de la sorte pouvoir expliquer la lévitation, c'est-à-dire l'ascension en l'air de corps pesants. « Et la galvanoplastie, ne montre-telle pas au premier chef la lévitation des corps pesants ? En effet, qu'est-ce que la galvanoplastie, sinon l'ascension sur un objet à cuivrer, dorer, ou argenter de particules pesantes de cuivre, d'argent ou d'or ? Et analysons bien les phénomènes qui se passent, et supposons, pour simplifier, un simple cuivrage d'objet. Celui-ci est placé verticalement dans une solution de sulfate de cuivre qui pèse un peu plus que l'eau, un et demi environ. Le courant électrique arrive par ses deux électrodes, positive et négative, dans ce bain liquide ; il y chemine et le décompose ; il est mis en liberté du cuivre, qui pèse cinq fois plus que la solution dont il provient et qui n'est qu'en partie décomposée. Que doit devenir, si l'on s'en rapporte aux lois de la pesanteur, ce cuivre si lourd par rapport au milieu qui l'entoure ? Tomber au fond sans doute ! Eh bien, non, il grimpe sur l'objet à recouvrir et qui constitue ce que l'on appelle l'électrode négative. Y aurait-il par hasard aimantation, attraction explicable ? Pas davantage, le cuivre n'est ni aimanté ni aimantable. Il y a, dira-ton, action électrique ; mais cela est un mot qui n'explique rien ; on connaît rien de la nature de l'électricité, et on a placé sous cette dénomination un grand nombre de faits dont on ignore les causes et la classification (20) ».
Or l'argumentation présente n'est pas seulement ingénieuse, mais pourrait bien être la traduction vraie de la réalité. Du moins, une observation de M. de Rochas tendrait à l'indiquer.
D'après cet expérimentateur, en effet, Mme K., quand elle est traversée par un courant voltaïque un peu fort (le pôle + dans la main droite et le pôle – dans la main gauche) alors qu'elle est dans les débuts du sommeil hypnotique et insensible, éprouve une sensation de légèreté des plus marquées. En cet état, « ses membres se soulèvent naturellement, et elle dit que, si l'on augmentait l'action, elle s'enlèverait jusqu'au plafond (21) ».
Si nous revenons à l'extériorisation de la sensibilité, nous trouvons encore qu'elle nous donne l'explication rationnelle des phénomènes de transmission de pensée. À maintes reprises, l'on a constaté la sympathie du magnétisé pour le magnétiseur. Or M. de Rochas a remarqué que les couches sensibles émanant du sujet en hypnose profonde, ne revêtaient point nécessairement la forme d'ondes sphériques, mais pouvaient s'allonger, former des poches du côté du magnétiseur, poches qui sont d'autant plus étendues que les rapports de sympathie sont eux-mêmes plus complets. En de telles conditions, on comprend volontiers que la sensibilité extériorisée soit facilement influencée par la volition concentrée de l'opérateur. Au surplus, pourquoi celui-ci ne pourrait-il activement projeter son Vouloir au dehors, tout comme le fait passivement l'hypnotisé de ses facultés sensorielles ? Les yoghis prétendent avoir à leur guise la faculté d'envoyer leur être psychique se promener au loin de leur corps matériel, et nos occultistes occidentaux affirment qu'ils en agissent de même après un entraînement particulier (22). Mais, dans les états très profonds de l'hypnose, quand ils arrivent à la période d'extase magnétique, les sujets ressentent de semblables impressions. Dans son livres : Esquisses de la nature humaine expliquée par le magnétisme animal, le docteur Chardel raconte qu'une somnambule qu'il avait ainsi endormie profondément lui disait, après qu'il l'eût ranimée, qu'elle voyait son corps comme un objet étranger dont elle répugnait à se revêtir, et de même le docteur Charpignon rapporte avoir eu une malade qui, tombant spontanément en extase durant la nuit, éprouvait des sensations analogues : « J'entre, dit-elle, dans un état semblable à celui que le magnétisme me procure ; puis peu à peu mon corps se dilate, et je le vois très distinctement loin de moi, je me parais une vapeur lumineuse, je me sens penser séparée de mon corps (dans cet état, je comprends et je vois bien plus de choses que dans le somnambulisme), tandis que, dans le somnambulisme magnétique, je pense sans être séparée de mon corps. Après quelques minutes, un quart d'heure au plus, cette vapeur se rapproche de plus en plus de mon corps ; je perds connaissance et l'extase a cessé (23). »
En tout cas, quel que soit le mode de la transmission de la pensée, celle-ci existe, et parfois elle se produit à des distances considérables. La chose du reste a été vérifiée expérimentalement. » Dusart fit avec les résultats satisfaisants plus de cent expériences de suggestion mentale pure avec les variations les plus diverses. Il porta l'éloignement du sujet suggestionnable de 200 mètres à 7 kilomètres. À cette distance, il réussit à éveiller par un ordre intellectuel la somnambule, qui, à son réveil, fit part aussitôt de la cause de son réveil à ses parents. Plus tard la distance fut portée jusqu'à 10 kilomètres ; chaque fois la somnambule indiquait exactement à son entourage quand elle se sentait influencée par l'opérateur, et ses indications concordaient assez exactement avec le moment de l'action. Dufay agit d'une façon toute semblable sur trois personnes à de grandes distances. Il amena le suggestionné à des commandements de pensée et l'endormit. Finalement, il porta la distance à 112 kilomètres (24). »
M. Émile Desbeaux, le nouveau directeur de l'Odéon, et M. Léon Hennique, il y a quelques mois, ont fait, entre Paris et Ribemont (Aisne), c'est-à-dire à une distance de 171 kilomètres, des essais heureux de transmission de pensée, et le procès-verbal de leurs expériences accomplies avec une réelle méthode scientifique a été enregistré dans les Annales des sciences psychiques (25).
C'est du reste un fait acquis aujourd'hui que la sensibilité extériorisée peut être dirigée et pour ainsi dire canalisée en des directions déterminées. Au cours de ses recherches, M. de Rochas est en effet parvenu à obtenir l'extériorisation à longue distance par l'intermédiaire de conducteurs. Le sujet magnétisé et en état de rapport est relié à son magnétiseur par un long fil métallique. Les choses étant ainsi disposée, si l'on vient à pincer l'opérateur, c'est le sujet qui éprouve la douleur ; le caresse-t-on, il frémit au contraire de plaisir. Il y a déjà beau temps, au surplus, que de semblables phénomènes étaient connus : « J'ai magnétisé un jeune peintre, M. Devienne ; j'étais extrêmement fatigué en arrivant chez lui, et je lui demandai un verre d'eau sucré. Il m'apporta du vin et du sucre ; et j'en bus, tout en le magnétisant, plusieurs verres qui auraient pu, en toute autre circonstance, agir sur moi. J'étais excessivement calme, mais, au réveil, M. Devienne était tout à fait gris, au point même de ne pouvoir manger de toute la journée (26). » Dans ce cas, rapporté par Lafontaine, la transmission a lieu directement et sans intermédiaire ; il n'y a point télépathie au sens exact du mot, comme dans les expériences de M. de Rochas. Celui-ci use bien de conducteurs, ce qui n'a point lieu, il est vrai, dans les cas parfaits de télépathie ; mais ces conducteurs sont-ils absolument nécessaires, et ne peut-on prévoir le jour futur où il deviendra possible de s'en passer ? Il y a quelques années, dans un roman humoristico-scientifique des plus curieux : Ignis, M. le comte Didier de Chousy pressentait qu'un temps viendrait où l'on saurait sans l'intermédiaire d'aucun fil, diriger à sa guise les fluides électriques : « Les habitants d'Industria, écrit-il, en effet, en toutes lettres, se trouvent si bien chez eux qu'ils n'en sortent guère, quoiqu'ils puissent y rester tout en en sortant. L'absence, ce mal des âmes tendres, a été supprimée. On est ubiquiste, en même temps chez soi et ailleurs ; résultat obtenu en perfectionnant un moyen proposé jadis pour transmettre les télégrammes sans fil, sans autre conducteur que le milieu ambiant ; moyen abandonnée, parce que les premiers télégrammes, livrés à leurs instincts, s'égaraient, que l'électricité volage acceptait trop de conducteurs et se livrait à tous les électrodes ; puis réétudié et amené à bien par les ingénieurs d'Industria, qui sont parvenus à domestiquer le fluide, à lui créer des affinités, pour ne pas dire des affections, qui le rendent fidèle à un conducteur, à un pôle. Électricité animalisée et apprivoisée qu'il suffit de mettre une fois en contact avec son maître, de lui faire sentir et toucher, pour que ce véritable chien courant magnétique s'attache à ses pas ou retrouve sa piste (27). « Depuis, cette rêverie d'un humouriste a pris un corps scientifique et est devenue bel et bien une tangible réalité. Il y a plusieurs années, Graham Bell, le découvreur du téléphone, a démontré qu'un rayon lumineux venant frapper une lame mince de sélénium était fort suffisant pour développer dans un appareil téléphonique disposé dans le circuit du sélénium et d'une pile, des mouvements vibratoires, et par suite pouvait servir à transmettre la parole.
Plus récemment encore, M. O. Lodge, le savant professeur de physique de « l' University college » de Liverpool, déclarait en toutes lettres que, dans une transmission électrique, le rôle du conducteur n'était en somme que secondaire : « C'est, dit-il, une curieuse fonction que remplit le fil télégraphique ; il ne conduit pas les impulsions, il les dirige. Elles sont transmises directement de l'éther avec une vitesse propre. Toute perturbation qui atteint le fil y est rapidement dissipée en chaleur e ne se propage plus ; c'est le milieu isolant qui l'entoure qui transmet réellement (28). « Mais, en ces derniers mois, l'électricien Nicolas Tesla n'a-t-il pas réalisé ce problème en toute son intégrité ?
À l'occasion, en effet, pour transporter les fluides électriques, M. Tesla sait se passer de conducteurs quelconques. C'est ainsi qu'il produit ce qu'il appelle l'éclairage idéal, système imprévu et qui consiste à créer dans le local à illuminer un état électrique tel que l'on y puisse déplacer des flammes éclairant sans communication aucune avec la source d'électricité, tout comme on déplace aujourd'hui une bougie ou une lampe.
Pour réaliser un tel prodige, le procédé est d'ailleurs fort simple. M. Tesla fait tout bonnement aboutir les deux pôles de sa machine à deux grandes plaques métalliques installées aux deux extrémités du salon à éclairer. Cette disposition particulière établit dans la pièce une atmosphère électrique spéciale telle, que tout appareil de verre renfermant des gaz raréfiés qui y est introduit devient subitement lumineux à la façon des tubes de Gessler, et cela indépendamment de sa position e de la place qu'il occupe dans la chambre.
Eh bien, ce qui est vrai en électricité, pourquoi ne le serait-il plus quand il s'agit d'action magnétique, et pourquoi la transmission télépathique différerait-elle de la transmission voltaïque ? Qui sait, au surplus, si, entre les fluides électriques et ceux produisant les actions hypnotiques, il existe des différences d'essence ! Ne sait-on pas qu'un sujet sensible s'endort aussi bien sous l'action des courants de la machine électrique ou de ceux d'une pile, du contact d'un métal, du bruit, d'une action lumineuse, etc, que sous celles des passes ? Chez les individus hystériques, le sommeil somnambulique détruit l'anesthésie qui frappe normalement certaines régions de leur corps, et tout pareillement nous voyons à l'occasion les métaux ou l'électricité réveiller leur sensibilité endormie. Au moyen de l'aimant, le docteur Luys transporte, en quelque sorte, l'état pathologique d'un malade sur un sujet en sommeil, établissant entre eux un état particulier d'équilibre dont l'effet est d'enlever au malade à chaque séance une fraction de son mal. « Artificiellement, écrit M. de Rochas, M. Luys détermine, au moyen de passes avec un aimant sur le malade, une déséquilibration entre les états nerveux des deux individus mais en présence, de telle sorte que l'un, se trouvant, pour ainsi dire, rempli jusqu'au bord, se déverse dans l'autre. C'est, pour employer une autre image, comme si l'on avait deux vases, dont le premier en communication avec le second, on dilue la liqueur qui s'y trouve, et, à la fin de l'opération, le liquide contenu dans les deux récipients est le même : la toxicité de l'un s'est affaiblie de toute celle qui été transmise à l'autre. Au bout d'un certain nombre d'opérations analogues, la liqueur du premier finira par être devenue tout à fait inoffensive.
« D'après cette manière de concevoir les choses, on pourrait arriver à peu près au même résultat en saturant le malade d'un fluide quelconque non morbide, soit avec des passes à la main, soit avec une machine électrique : c'est en effet ce qui se produit (29). »
Mais, c'est justement d'une façon tout analogue que les physiciens modernes expliquent le plus volontiers le phénomène de la production des fluides électriques : « L'idée de Franklin, qu'une charge positive correspondrait à un excès, et une charge négative à un déficit d'une certaine quantité normale d'un fluide caractérisant l'état neutre des corps, – écrit le physicien Lodge, – cette idée reste encore juste.
« Il est toujours exact que ce fluide n'est jamais créé, mais passe d'un corps à l'autre en quantités exactement correspondantes...
« Nous comparons une machine électrique à une pompe, qui, étant reliée à deux corps, soutire à l'un de l'électricité qu'elle fournit à l'autre, en donnant ainsi aux deux corps des charges positives et négatives égales (30). »
Or, de même qu'un objet isolé et chargé d'une électricité quelconque positive ou négative peut être déplacé et servir ainsi à charger au loin de fluide un autre objet primitivement à l'état neutre, de même l'aimant peut être utilisé à transporter à distance des états neuriques particuliers. Le fait a en effet été établi positivement il y a quelques mois par MM. Luys et Encausse, et communiqué par eux à la Société de Biologie en sa séance du 11 novembre 1890 (31).
Toujours, nous le voyons donc, apparaît une relation immédiate entre les états somnambuliques et électriques, et il semble, en une certaine mesure, que l'on pourrait fort bien assimiler un sujet hypnotique à certains appareil producteurs d'électricité.
« Les divers somnambules, écrit Deleuze, présentent des phénomènes très différents ; et le seul caractère distinctif et constant du somnambulisme, c'est l'existence d'un nouveau mode de perception. Ainsi, il est des somnambules isolés, d'autres qui ne le sont pas ; il en est qui sont mobiles comme des aimants, d'autres n'ont que des facultés intérieures ; il en est chez lesquels toutes les sensations sont concentrées à l'épigastre, d'autres font usage de quelques-uns de leur sens ; il en est enfin qui, après le réveil, conservent pendant un certain temps le souvenir des impressions qu'ils ont reçues et des idées qu'ils ont eues en crise (32). »
Eh bien, tout comme les somnambules, les machines électriques ont à l'occasion leurs caprices. Dans un livre récent, et qui ait autorité en la matière (33), M. John Gray, membre de la Société de physique de Londres, rapporte que M. Thomas Gray C.B. A construit une machine électrique d'un système imaginé par M. Wimshurst, machine dans laquelle « la direction du courant change avec la plus grande régularité au bout de quelques tours de manivelle », si bien qu'en raison de ces caprices de la machine, comme les constructeurs appellent volontiers ces alternances de courant, il est impossible d'employer l'appareil à charger, même faiblement, une bouteille de Leyde, et cela, bien que l'appareil fournisse sur ses armatures des quantités considérables d'électricité tantôt positive et tantôt négative.
Le baron de Reichenbach a découvert jadis que les sujets sensitifs étaient influencés d'une façon souvent fort intense par le magnétisme terrestre, si bien que pour vivre en état normal de santé ils doivent veiller à rechercher certaines positions déterminées de préférence à d'autres (34). Ne convient-il point de voir en ces derniers phénomènes, signalés pour la première fois par le savant viennois, une raison nouvelle de préjuger l'identité des diverses manifestations de l'électricité et d e la potentialité vitale ?
Au surplus, est-il rien qui s'oppose à ce qu'il en soit ainsi dans la réalité ?
Nombre de chimistes, et non des moindres, reprenant une vieille théorie alchimique, sont actuellement fort portés à admettre l'unité de la matière ; semblablement encore, nos physiciens considèrent la chaleur, le son, l'électricité, la lumière, etc., comme une seule et même chose à des états vibratoires différents.
L'expérience de tout instant vérifie encore cette dernière hypothèse et nous montre les continues transformations de l'énergie une en chaleur, lumière, mouvement, électricité.
Mais, tandis que le son exige pour se caractériser un nombre minime de vibrations, la chaleur en réclame une quantité considérable, et de même la lumière et l'électricité, chacune en des mesures différentes.
Est-il admissible maintenant qu'entre ces limites éloignées qui séparent deux ordres de phénomènes, il ne puisse exister d'état intermédiaire. La raison nous répond le contraire : Natura non fecit saltus.
Le vrai, c'est que nos sens ne perçoivent qu'une part infiniment réduite de ce qui est !
La science de demain, sans aucun doute, nous démontrera vraisemblablement, de façon expérimentale, que « l'actuel mystérieux » ressort uniquement de son domaine.
Le surnaturel est une chimère, et le hasard n'existe pas !

G. VITOUX.

Notes.

(1) Alfred Russel Wallace. Les Miracles et le moderne Spiritualisme ; un vol. in-8, Librairie des Sciences psychologiques, Paris, 1892.
(2) Gurney, Myers et Podmore. Les Hallucinations télépathiques, déjà traduit et abrégé de Phantasms of the Living, par L. Marillier, avec une préface de M. ch. Richet ; un vol. in-8, chez Félix Alcan, 1892.
(3) Dr Foveau de Courmelles. Le Magnétisme devant la loi, plaquette in-16, chez Georges Carré, Paris, 1890.
(4) annales des Sciences psychiques. – Six numéros par année, publiés sous la direction du Dr X. Dariex, chez Félix Alcan, éditeur à Paris.
(5) Lieutenant-colonel de Rochas d'Aiglun. Les États profonds de l'Hypnose ; Paris, Chamuet, 29, rue de Trévise ; in-8, 1892.
(6) Pierre Jant, L'Automatisme psychologique (1 vol. in-8, Paris, 1889, chez Félix Alcan, p. 73.
(7) Idem, ibid., p. 75.
(8) Edm. Gurney, Stages of Hypnotic Memory. {Proceedings S.P.R., 1887, p. 313}.
(9) Delatour, dans l'Hermès (journal magnét.), août 1826, p. 116.
(10) Pierre Janet. L'automatisme psychologique, p. 134.
(11) Lieutenant-colonel de Rochas d'Aiglun. Les États profonds de l'Hypnose, p. 28.
(12) Numéro d'avril 1892.
(13) Voir à ce propos les divers volumes de la très curieuse Bibliothèque Diabolique (collection Bourneville) et notamment la Possession de Jeanne Fery, et sœur Jeanne des Anges, supérieure des Ursulines de Loudun, Paris, 1886, in. 8°, librairie du Progrès médical, 14, rue des Carmes.
(14) Lieutenant-colonel de Rochas d'Aiglun. Les États profonds de l'Hypnose, p. 11.
(15) Lieutenant-colonel de Rochas d'Aiglun. Les États profonds de l'Hypnose, p. 57.
(16) C. Montorient, singulier Cas de somnambulisme, dans la revue l'Étoile, numéro d'avril 1892, p. 267.
(17) Camille Flammarion, Uranie ; un vol. in-18 Jésus ; Paris, E. Flammarion, 1891, p. 111.
(18) Les spirites appellent apports des objets matériels amenés du dehors dans une enceinte fermée sans qu'aucune solution de continuité ait été pratiquée dans les parois de l'enceinte pour livrer passage aux corps ainsi transportés.
(19) William Crookes. Nouvelles Expériences sur la force psychique ; un vol. in-18, librairie des Sciences psychologiques ; traduction de M. J. Alidel ; Paris, p. 169-174.
(20) Dr Foveau de Courmelles. La Lévitation (journal le Voltaire du 26 janvier 1892).
(21) Lieutenant-colonel de Rochas d'Aiglun. Les États profonds de l'Hypnose, p. 36
(22) C'est ce que les occultistes appellent « projeter leur corps astral ».
(23) Charpignon, Physiologie du magnétisme, p. 103
(24) Schrenk. Les Récents Travaux sur la télépathie et la clairvoyance, dans les Annales des sciences psychiques, 1891, p. 79.
(25) Annales des sciences psychiques (Paris, 1891), p. 262 à 265.
(26) Lafontaine. L'Art de magnétiser ; Paris, 1832, p. 243.
(27) Comte Didier de Chousy. Ignis, 1 vol. in-12, Paris, Berger-Levrault et Cie, 1884, p. 233.
(28) O. Lodge. Les Théories modernes de l'électricité, 1 vol. in-8, traduction E. Meylan, chez Gauthier-Villars et fils ; Paris, 1891, p. 166.
(29) Lieutenant-colonel de Rochas d'Aiglun. Les États profonds de l'Hypnose, p. 70.
(30) O. Lodge. Les Théories modernes de l'électricité, p. 15.
(31) Luys et Encausse. Du Transfert à distance à l'aide d'une couronne de fer aimanté (Annales de Psychiatrie et d'Hypnologie, numéro de mai 1891).
(32) J.-P.-F. Deleuze, Instruction pratique sur le magnétisme animal. 1 vol . in-8, Paris, 1825, p. 142.
(33) John Gray, B. SC. Les Machines électriques à influence ; 1 vol. in-8, traduit de l'anglais, par Georges Pélissier ; chez Gauthier-Villars et fils, Paris, 1892.
(34) Consulter, sur cette question de l'Od : Lieutenant-colonel de Rochas d'Aiglun. Le Fluide des magnétiseurs ; 1 vol. in-8, Paris, Georges Carré, 1891.

G. Vitoux, La Grande revue. Paris et Saint-Pétersbourg, Paris, 5e année, tome 3e, N° 15, 10 mai 1892, p. 249-264.