Rechercher dans ce blogue

Affichage des articles dont le libellé est États-Unis. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est États-Unis. Afficher tous les articles

lundi 12 décembre 2022

Liturgie : rester fidèles et obéissants, par Andrew Bartel, juillet 2022

 

La transcription (améliorée pour l’écrit) et la version française de ce texte est le fait de l’auteur de ce blogue.


Andrew Bartel en juillet 2022.

Michael Lofton : Que diriez-vous aux groupes de Messes latines qui sont supprimés et essaient de mettre en place des manières souterraines de célébrer la forme extraordinaire. Il ne s’agit pas nécessairement de ceux qui sont F.S.S.P.X. mais seulement de personnes participant régulièrement au rite latin, en pleine communion. Cependant ils commencent à dire des Messes sans la permission de leur Évêque, etc. Que dites-vous de cela ?

Andrew Bartel : C'est comme ça que ça a commencé; c'est ainsi que la trajectoire schismatique de la F.S.S.P.X. [Fraternité Sacerdotale Saint Pie X] a commencé, quand ils se sont mis à célébrer des Messes contre la volonté du Saint-Père. Lorsque vous continuez à vous livrer à des actes répétés de désobéissance envers l'Église, même à quelque chose que vous croyez être juste, vous ne valez pas mieux que les libéraux, les progressistes, les modernistes, ces gens qui pensent qu'ils peuvent ordonner des femmes et célébrer des Messes homosexuelles. Les deux constituent un rejet de l'autorité de Pierre et ce n'est pas parce que l'un a l'air plus convenable et plus fidèle que l'autre qu'ils ne déplaisent pas tous les deux à Dieu et qu'ils ne sont pas tous les deux une forme d’abus. Ainsi, même si l' Église devait supprimer la pratique du Missel de 1962, si elle désirait supprimer le droit [de pratiquer le Vetus Ordo] et faire que la forme ordinaire [du rite] soit la seule pratiquée par les Catholiques romains, [le Pape] serait tout à fait dans l'exercice de son autorité pour le faire. Cela pourrait être une grande difficulté, un grand défi, une grande croix, mais à l'instar de saints, en particulier Padre Pio, qui ont été persécutés à tort par l'Église, nous devrions l’accepter et prier pour être délivrés si cela est vraiment mauvais et si cela est vraiment un abus de pouvoir. Nous pouvons nous attendre à ce que Dieu vienne à notre secours, mais nous devons être fidèles. On ne vainc pas le mal par le mal. Vous n'obtiendrez pas ce que vous voulez en faisant quelque chose de mal. N’est-ce pas ? Vous n'atteindrez pas une bonne fin en faisant quelque chose de mal pour y parvenir. Vous n'accomplirez ce que Dieu veut pour vous que si vous le faites avec les moyens qu'Il vous a donnés sur terre, avec les structures normales qu'Il vous a données sur terre. Vous pouvez voir cela tout au long de l'histoire du salut. Il a mise de côté même de bonnes choses. Regardez Abraham : Dieu était même prêt à lui faire sacrifier son propre fils, et à lui faire subir cette épreuve pour voir s'il serait obéissant. Très souvent, Dieu nous demande de renoncer même aux bonnes choses parce que ce qu'il veut n'est pas le sacrifice sur l'autel, mais le sacrifice dans nos cœurs. Et c'est pourquoi les Écritures disent encore et encore que l'obéissance est plus plaisante et plus d’odeur agréable à Dieu que le sacrifice. En tant que Catholiques traditionnels, nous devons garder cela à l'esprit, d'autant plus que nous traversons une période éprouvante et difficile comme celle-ci.


Version originale

Michael Lofton : What would you say to the Latin Mass groups that are being suppressed and are trying to form underground ways of celebrating the extraordinary form. This is not necessarily those who are S.S.P.X. but just regular Latin rite attendees for people who are in full communion. However they're starting to say Masses without the permission of their Bishop and stuff like that. What do you say about that that?

Andrew Bartel : That's how it began; that's how the schismatic trajectory of the S.S.P.X. began as they began celebrating Masses against the will of the Holy Father. And as you continue to engage in repeated acts of disobedience toward the Church and something you believe is right, you're no better than the liberals, the progressives, the modernists, those people who think that they can ordain women and that they can celebrate gay Masses. Both are a rejection of the authority of Peter and just because one looks cleaner and more faithful than the other doesn't mean that they aren't both displeasing to God and that they aren't both an abuse. So even if the Church was to take away the 1962 practice of the Missal, if [the Pope] desired to suppress the right and have the current form be the only one practiced by Roman Catholics, he's completely within the exercise of his authority to do so. That might be a great difficulty, a great challenge, a great cross, but similar to the example of the Saints especially Padre Pio who were wrongly persecuted by the Church, we should embrace that and pray to be delivered if it is truly wrong and if it is truly an abuse of authority. We can expect God to come to our aid but we have to be faithful. You don't defeat evil with evil. You will not get what you want by doing something wrong. Right? You will not achieve a good end by doing something wrong to achieve it. You will only achieve what God's will is for you, if you do it within the means that He has given you on earth, within the normal structures that He has given you on earth. You can see this all through salvation history. He has taken away even good things. Look at Abraham: He was even willing to make Him sacrifice his own son, and to put him through that test to see if he would be obedient. So often God asks us to give up even good things because what he wants is not sacrifice on the altar, but the sacrifice in our hearts. And that's why the Scriptures say again and again, that obedience is more pleasing and more fragrant to God than sacrifice. We have to, as traditional Catholics, keep that in the forefront of our minds, especially as we're going through a challenging and difficult time such as this.

 

Source :

Entretien de Michael Lofton avec Andrew Bartel : "Why I Left the S.S.P.X.", in Reason & Theology, Youtube, 29 juillet 2022, 1:19:28-1:22:44. Disponible sur <https://www.youtube.com/watch?v=T_YA-mJj9Ks>.

Andrew Bartel est un tertiaire laïc dominicain de la Province du Très Saint Nom de Jésus. Il vit avec sa femme et leurs trois enfants dans le Montana, où il travaille comme vitrier. Il poursuit également des études d'anglais et de philosophie. Andrew a, une partie de sa vie, fréquenté la Société Sacerdotale Saint-Pie X jusqu'en 2013. Il a également fréquenté le Foyer Saint Thomas d'Aquin d’Avrillé, en France, un établissement scolaire pour garçons dirigée par la Communauté dominicaine établie par Mgr Marcel Lefebvre. (Cf. https://reasonandtheology.com/2022/07/30/why-i-left-the-sspx-with-andrew-bartel/)

mardi 14 octobre 2014

L'esprit de groupe et la socialisation de l'enfant, selon J. Rich Harris, 1998

Enfants de Kavaratti (territoire de Lakhshadweep)
John Turner (1), un étudiant de Tajfel, s'est attaché à dégager certains aspects spécifiques de cet esprit de groupe. Il n'est pas nécessaire d'apprécier tous les membres de son groupe. Il n'est même pas nécessaire de les connaître tous. Ni même d'en connaître un seul. Il suffit de savoir qu'on appartient à la même catégorie sociale qu'eux. C'est une question d'autocatégorisation

Je suis un X. 
Je ne suis pas un Y.

L'évolution nous a prédisposés à dégager de ces prémisses élémentaires un corollaire non moins élémentaire : nous préférons les X aux Y. Et, du même coup, nous concluons que nous sommes semblables aux autres X et différents des Y. Ces mécanismes mentaux, qui se produisent à un niveau généralement inaccessible à la conscience, ont néanmoins des conséquences visibles. En vertu du processus d'assimilation, nous avons tendance à ressembler davantage aux membres de notre groupe. Les différences entre notre groupe et l'autre s'accentuent en raison des effets de contraste de groupes. Et, dans certaines circonstances, cela débouche sur l'hostilité envers l'autre groupe - effet du partage du monde entre « nous » et « eux ».

Ce que je décris ici n'a rien à voir avec les relations entre individus. L'aptitude à former des relations dyadiques est présente des la naissance. L'esprit de groupe met en revanche un certain temps à se constituer. Les relations dyadiques se fondent sur des éléments tels que la dépendance, l'amour et la haine, le plaisir que l'on éprouve à se trouver en compagnie d'autrui. L'esprit de groupe se fonde sur la reconnaissance de similitudes fondamentales - nous nous ressemblons par certains traits - ou d'une communauté de destin - nous sommes tous dans le même bateau. Dans une relation dyadique, on est deux. Dans un groupe, on est presque toujours plus de deux, et il n'y a pas de limite supérieure aux effectifs. Si cette description vous donne l'impression que l'esprit de groupe est quelque chose de purement intellectuel, détrompez-vous : les émotions qu'il implique sont profondes et puissantes. Depuis que l'homme est sur terre, beaucoup plus d'individus sont morts pour leur groupe que pour leurs relations personnelles.

(…)

[Le module social du cerveau] se compose de deux sous-systèmes au moins : l'un se spécialise dans les relations dyadiques - il est prêt à fonctionner dès la naissance – et l'autre dans les relations de groupe - ce dernier met un certain temps à se structurer.

L'esprit de groupe et les relations personnelles ne fonctionnent pas seulement indépendamment ; ils peuvent également s'opposer

Je me suis longtemps demandé ce qu'il y avait d'insultant à dire : « certains de mes meilleurs sont juifs. » Et j'ai compris. que cette phrase introduisait une distinction entre l'amitié – relation personnelle – et l'attitude à l'égard d'un groupe. On peut aimer ses amis sans aimer le groupe auquel ils appartiennent et c'est précisément ce que suggère cette phrase. 

L'esprit de groupe et les relations personnelles sont parfois en conflit. En temps de guerre, par exemple, il peut être difficile de trancher entre le désir de rester avec ceux qu'on aime et celui d'aller défendre son groupe. Chacun doit résoudre ce genre de dilemmes à sa façon.

Selon ma théorie, c'est le sous-système mental « esprit de groupe » qui permet à l'enfant de se socialiser et à sa personnalité d'être modifiée par l'environnement. Chaque fois que des changements durables affectent le comportement de l'enfant, c'est l'esprit de groupe qui est en jeu. Le sous-système « relations personnelles » peut donner naissance à de puissantes émotions, mais il ne produit que des modifications temporaires du comportement.

Note
(1) TURNER J. C., HOGG M. A., OAKES P. J., REICHER S. D., & WETHERELL M. S., Rediscovering the Social Group : A Self-Categorization Theory, Oxford (GB), Basil Blackwell, 1987.

Référence

RICH HARRIS Judith, Pourquoi nos enfants deviennent ce qu'ils sont (1998), trad. fr.  Odile Demange, Claude-Christine Farny et Belle Arman, Robert Laffont, coll. « Réponses », 1999, p. 213-215.

lundi 25 février 2013

L'individualisme aux États-Unis, selon Joseph A. Mikus, 1969


Les États-Unis, décrits dans le texte suivant, rencontraient, dès 1969, des problèmes qui se rapprochent grandement de ceux que nous rencontrons aujourd'hui en France et en Europe occidentale...


L'Amérique, qui a réussi à créer la prospérité, n'a pas encore pu trouver une philosophie sociale comparable. Elle vit toujours avec la mentalité des émigrants qui, par rapport aux autorités du pays, prennent une attitude défensive. Depuis les origines, les hommes sont venus en Amérique pour échapper à l'oppression politique, militariste, religieuse, à l'exploitation économique et sociale. Par leur travail et leurs efforts, et grâce à certaines circonstances heureuses, ils ont organisés un vaste pays. Mais ils n'ont pas réussi à mettre leur rêve de liberté presque illimitée en harmonie avec les exigences modernes de discipline, indispensable à tout gouvernement. Tout pays, se trouvant en guerre ou non, a besoin d'un certain degré de solidarité, d'unité, sinon d'uniformité.

Cependant, la philosophie des Américains ne s'appuie pas sur un patriotisme que l'on peut trouver dans les pays de vieille culture. On s'oppose à la moindre restriction et on est loin d'être d'accord sur les buts essentiels à atteindre. Ici, l'idée de liberté prend une signification négative sans être contrebalancée par les aspects positifs.

L'expression propre de cette philosophie, c'est l'individualisme. Elle est aux antipodes du collectivisme, bien sûr, mais elle est aussi fort éloignée de la philosophie du centre, c'est dire du personnalisme de Mounier ou de Maritain. L'individualisme est une ontologie réduisant le concept même de la société au minimum. Dans le conflit entre l'intérêt social et individuel, c'est le dernier qui prévaut. Le pragmatisme est la philosophie d'action de l'individualisme, selon laquelle l'individu agit, non pas dans le cadre du bien commun, mais en vue d'atteindre ses propres objectifs, son propre bien. La vérité valable pour tous existe à peine : chacun a sa propre vérité.

L'individualisme prédomine surtout dans l'économie qui, à peine contrôlée par l'autorité publique, est la force motrice principale du pays.

Elle ressemble à un cheval emballé qui, dans sa course, ravage le champ des valeurs sociales.

La crise la plus apparente sévit au sommet, sur le plan de la religion, c'est-à-dire de la religion organisée, en commençant par les innombrables confessions dont l'universalité finit à la limite de la paroisse (comme chez les baptistes) et en terminant par le catholicisme. Cette religion est en train de perdre la lutte contre les forces adverses.

Le mouvement « God is dead » marque le point zéro de cette crise.

Y a-t-il des valeurs supérieures par dessus les intérêts individuels et matériels ? Beaucoup de gens répondent par la négative.

Le système politique qui, d'après la constitution, devrait être impartial, c'est-à-dire qui ne devrait pas favoriser une confession quelconque au détriment des autres, est en fait, sous prétexte d'impartialité, indifférent vis-à-vis de la religion tout court.

Au lieu de profiter des aspects positifs de la religion pour renforcer la trame morale et sociale de la nation, l'Union Américaine refuse pour ainsi dire à la religion toute fonction ordonnatrice, en la considérant comme une affaire strictement privée. Elle la met par conséquent au même niveau que l'athéisme et toute autre forme d'indifférence, d'irréligiosité ou de libertinage.

Dépourvues de tout élément de sanction spirituelle ou sociale, les valeurs morales sont remises en question de fond en comble. Le système a pratiquement abandonné l'individu et le citoyen à lui-même. Le mariage qui, dans certains pays, jouit encore du respect d'une institution sinon d'un sacrement, et dont certains aspects sont protégés par le droit public, est devenu aux États-Unis une relation contractuelle, c'est-à-dire privée, qui peut être aisément dénoncée par l'une des parties. De ce fait, la nature même des relations sexuelles a bien changé. Leur prétention à l'exclusivité ayant disparu, elles commencent de plus en plus à revêtir le caractère de promiscuité. Cette réalité ne pouvait rester sans produire des effets néfastes sur la vie des enfants qui, d'un côté, s'émancipent plus vite en conséquence des mœurs plus libres de la société, et de l'autre restent plus souvent hors du contrôle des parents, ou du moins - de l'un d'entre eux.

La facilité avec laquelle les enfants peuvent gagner de l'argent développe chez eux une disposition à la dépense facile. Les garçons se mettent à fumer, à boire de la bière d'abord, du whisky ensuite ; les filles à s'acheter d'innombrables fanfreluches. À seize ans, chaque élève considère comme une question de prestige d'avoir un permis de conduire  et, par conséquent, une voiture. La voiture, cela donne donc aux jeunes  une indépendance rêvée dans leurs relations sociales, leur système multilatéral de rendez-vous.

Éduqués dans beaucoup de familles sans principes religieux, privés  prématurément du cadre familial, garçons et filles se mettent à pratiquer des expériences sexuelles dès la première occasion. Ainsi, le nombre des filles-mères d'âge scolaire est-il considérable. Elles confient du reste leurs enfants à des agences d'adoption, car la société regarde d'un très mauvais œil celles qui les gardent.

Dans les écoles publiques, l'éducation sexuelle, à partir du jardin  d'enfants, est en train d'être imposée comme sujet obligatoire. Au mois de mai 1969, sept cents parents se sont réunis dans une banlieue de Washington D.C. pour protester contre cette initiation prématurée en dehors d'un cadre moral et familial.

Dans les internats des collèges et universités, étudiantes et étudiants réclament partout le droit de faire des visites très avant dans la nuit dans les chambres de leurs camarades de l'autre sexe. Ces libertés sont presque généralement reconnues, même dans certaines institutions catholiques.

L'école, qui assure plutôt une instruction qu'une éducation, peut difficilement jouer un rôle dans la formation morale des enfants. L'éducation, surtout au niveau élémentaire, est inspirée du pragmatisme de John Dewey, mettant l'accent sur les dispositions naturelles de l'enfant.

Il faut donc développer les dispositions au lieu de les soumettre  à un système uniforme. Ainsi, une discipline dans le sens européen  n'y existe pas. Le maître ne peut appliquer aucune sanction contre  un élève récalcitrant et il lui est très difficile de le renvoyer de sa classe.

Dans certains cas, les élèves se sont révoltés contre leurs maîtres ou  professeurs en commettant des actes violents contre eux, actes allant  parfois jusqu'au meurtre. À New York, pendant un certain temps, 26 écoles secondaires n'ont pu maintenir leur discipline qu'en faisant appel à la police, et dans d'autres écoles la police est établie en permanence.

Un autre facteur dissolvant est la pornographie. Le marché des livres, profitant de la liberté de la presse, est considéré neutre sur le plan moral. Depuis des dizaines d'années qu'elle étudie la question, la Cour Suprême n'a pas réussi à définir clairement le concept même de l'obscénité. D'une part, elle a établi par plusieurs décisions que, pour être  pornographique, un ouvrage doit « exciter des idées lascives » chez le  lecteur ; d'autre part, cependant, elle a presque supprimé la responsabilité de l'auteur ou de l'éditeur pour un ouvrage en décidant que les  aspects négatifs du livre peuvent être contrebalancés par ses valeurs  sociales positives. Un livre peut donc être sauvé par le « rachat » des  valeurs mauvaises par les bonnes. De ce fait, la mise en vente pratiquement de n'importe quel ouvrage est autorisée. C'est ainsi que dans un  très grand nombre de drug stores et dans les librairies des gares, aérogares et autres, les magazines les plus osés sont accessibles à tous.

Cet état de choses est habilement exploité par plusieurs chaînes de profiteurs : les eaux troubles sont peuplées de requins qui, sous prétexte de « droits civiques », propagent le vice et la corruption. En quelques années, certains ont « fait » des fortunes se montant à des dizaines  de millions de dollars.

Outre le domaine du livre, la pornographie est en train d'inonder le cinéma et le théâtre. Les films à succès sont de plus en plus dévêtus et crus. Sur le plan du théâtre, on connaît même en Europe les excès du Living Theater de New York ! Le 25 mars 1969, le juge de la Cour Criminelle de New York, Walter C. Gladwin, a suspendu la représentation de la pièce « Ché » (Guevara) et a imposé à dix personnes (acteurs et auteur) une somme de 500 dollars de caution en les « incriminant d'actes de sodomie consentie et d'obscénité » commis sur la scène même du théâtre.

Un rôle particulièrement destructif est joué par la pseudo-psychologie. À côté de recherches de psychologie et de psychiatrie dans les mains de spécialistes respectés, il existe une pseudo-science qui s'efforce de justifier toutes les aberrations mentales que notre époque et notre civilisation urbaine font proliférer plus que jamais. Ses promoteurs prêchent ainsi le caractère périmé du mariage et l'entière liberté à la fois hétérosexuelle et homosexuelle. Toutes ces questions sont exposées et discutées avec une aisance peu commune ailleurs. Les points de vue pour ou contre sont défendus par une presse organisée, par des clubs et des groupes de pression. Il s'en suit des discussions et des polémiques.

Dans cette atmosphère, la liberté se sublime en libertinage.

Timothy Leary, Los Angeles, 1989
L'usage des drogues et des stupéfiants : marijuana, LSD et autres, présente un autre danger grandissant pour la société. Dans ce domaine aussi, des individus, à la recherche d'une exaltation momentanée (l'un des plus célèbres est un ancien professeur de Harvard University : Timothy Leary) (1), organisent des discussions publiques pour défendre cet usage comme un droit garanti par la Constitution. Beaucoup d'étudiants y participent et certains affirment, en toute honnêteté, que la drogue est moins malfaisante que l'alcool, voire totalement anodine.

La crise se manifeste sous un autre aspect non moins troublant : celle du patriotisme. Beaucoup de jeunes gens, effrayés d'être convoqués pour aller au Viet-Nam, brûlent leur « carte de recrutement », s'échappent au Canada ou bien encore se déclarent objecteurs de conscience.

D'après la loi de 1967 sur le recrutement, un objecteur de conscience peut être exempté du service militaire si, « en conséquence de son éducation, de ses convictions religieuses, il s'oppose en conscience à participer à la guerre en n'importe quelle qualité ».

Récemment, le juge principal du District judiciaire fédéral de Boston, Charles E. Wyzanski, a rendu un jugement dans le cas de John Heffron Sisson où il a déclaré anticonstitutionnelle cette partie de ladite loi. Il y affirme qu'elle est discriminatoire contre les athées, agnostiques ou autres car ceux-ci, « qu'ils aient des croyances religieuses ou non, sont amenés à leur objection au recrutement par des convictions morales profondes constituant l'essence même de leur être) (2).

Si cette interprétation de la loi de 1967 était approuvée par la Cour suprême, tout cela signifie que même ceux qui n'ont aucune croyance religieuse pourraient demander d'être exemptés du service militaire.

Ainsi, dans un cadre économique d'une aisance inouïe, la société américaine tout entière est secouée jusque dans ses fondements par une série de problèmes auxquels il semble difficile de pouvoir apporter des remèdes efficaces dans un proche avenir. 

Devant un tel développement, une question toute naturelle vient à l'esprit de chacun : que font les autorités publiques et le système juridique pour freiner sinon dominer la situation ?

Ici, il faut constater franchement que ce système se trouve pris de court pour faire face à la crise. En effet, le droit américain est trop compliqué, trop flexible, trop susceptible d'interprétations opposées pour être efficace. Il est, pour ainsi dire, plus existentialiste que normatif. Il accepte la société telle qu'elle est au lieu d'imposer son poids sur elle.

(…)

Le droit américain est depuis longtemps dominé par l'empirisme, par l'école sociologique qui ne reconnait au droit aucune permanence.

Le droit, affirme cette école, doit suivre les changements sociologiques qui ont lieu sans cesse dans la société, le droit codifié étant trop rigide pour remplir ses fonctions. Par conséquent, la common law , affirment les partisans de l'école sociologique, sert mieux les intérêts de la société que le droit codifié. La thèse selon laquelle le droit suit de très près la courbe de l'évolution sociologique, signifie, en fin de compte, que le système entier est en proie à l'instabilité. Il est facilement comparable à cette femme inconnue de Paul Verlaine « qui n'est chaque fois ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ». Le caprice de la casuistique animée par la sociologie est capable de dérouter de temps en temps même les meilleurs des principes.

Un autre aspect inquiétant du système juridique est son pragmatisme myope, qui n'est pas capable de raccorder les objectifs et les moyens. Entre le droit de porter des armes et la criminalité toujours croissante, il y a évidemment une corrélation directe. Or, aux États-Unis, la liberté des citoyens d'acheter, de porter et de garder des armes est une liberté assurée par la Constitution. C'est un vieux privilège garanti par l'Amendement II à la Constitution de 1787. À cette époque, un tel amendement pouvait avoir une justification, car les États-Unis n'avaient que 3 millions d'habitants qui vivaient souvent dans des fermes fort éloignées les unes des autres. L'organisation de l'administration municipale était embryonnaire. De nos jours, pour tout homme de bon sens, une telle disposition semble périmée. Chaque municipalité a son commissariat de police qui devrait remplacer la justice privée de jadis.

Néanmoins, la disposition a survécu jusqu'à présent, illustrant ainsi le manque de logique du système. Or, les pragmatistes se soucient peu de la consistance du droit. Un juge célèbre de la Cour Suprême, Oliver Wendell Holmes, n'a-t-il pas affirmé que « le droit ne suit pas la logique, mais l'expérience » (3).

Les troubles raciaux et la haute criminalité prouvent aux législateurs et aux hommes de loi qu'il est nécessaire de limiter le privilège du port d'armes si l'on veut sauvegarder l'ordre public. Or, l'Association Américaine des Tireurs est farouchement opposée à toute limitation, de même que les fabricants et marchands d'armes qui évoquent une longue tradition fondée sur une entière liberté. Les statistiques les plus récentes indiquent que la vente des armes n'a jamais été autant élevée que maintenant. Ceci signifie que la justice privée risque de l'emporter sur la justice publique, alors qu'il est évident que dans un pays bien organisé, ce genre de commerce devrait être strictement réglementé.

Le manque d'unité du système est dû également au pragmatisme de la bureaucratie. D'après le droit romain,  « jura novit curia » ; or, très souvent aux États-Unis, la main droite ne sait ce que fait la main gauche. Dans un gouvernement qui contient un grand nombre de services particuliers, toute synthèse des intérêts contradictoires devient fort difficile.

(…)

Une autre particularité du droit américain est son hostilité envers les concepts plus larges et les principes généraux. Le droit jurisprudentiel se consacre à une analyse microscopique des circonstances et à un formalisme qui échappe à la lumière des principes. La boutade du juge Jerome Frank (4), selon laquelle le juge n'applique pas le droit, mais le crée plutôt au fur et à mesure des nécessités soulevées par les différents cas, est devenue presque une thèse officielle de l'école sociologique.

Il est exact que chaque cas criminel et judiciaire est unique, mais pourtant par sa nature même, il tombe forcément dans une catégorie déterminée. Or, le juge ignore souvent ces catégories. D'après les circonstances, il se prête à changer non seulement la nature du crime, mais encore de statuer s'il est justiciable ou non. Les questions de procédure (the due process of law) jouent un rôle extrêmement important dans les procès criminels. Une erreur de procédure peut justifier la mise en liberté du coupable comme cela est arrivé dans quelques cas demeurés très célèbres : dans le cas de Mallory versus les Etats-Unis (1957), la Cour Suprême a renversé la condamnation pour viol de Mallory, âgé de 19 ans, simplement parce que la police, avant de le remettre au juge d'instruction le jour de son arrestation, l'avait interrogé, avait obtenu sa confession sans l'avoir averti qu'il avait le droit de garder le silence jusqu'à l'arrivée de son avocat.

Par ses décisions dans les cas Escobedo versus Illinois (1964) et Miranda versus Arizona (1966) la Cour Suprême a encore renforcé la position des suspects dans les procès en établissant qu'une consultation préalable avec son avocat est la condition de la légalité dans la procédure devant le juge d'instruction. Ces cas ont servi ensuite de précédents pour une série de décisions semblables par les tribunaux inférieurs.

L'accent mis sur les circonstances et la procédure a pour conséquence l'effacement de l'autorité du droit et l'élargissement de l'interprétation judiciaire. Il arrive parfois que cette liberté aille jusqu'au grotesque.

Ainsi, dans un cas où la femme avait demandé le divorce, le juge a refusé cette demande et a condamné le mari à embrasser la plaignante trois fois par jour. Ceci ressemble davantage à une peine infligée à un pénitent au confessionnal qu'à une sanction proprement juridique.

Par contre, si l'on compare le cas de l'assassin de Martin Luther King, James Earl Ray, qui a été condamné à 99 ans de prison, on se rend compte du manque de réalisme de la justice.

De même, le système juridique manque d'imagination ; il ne prévoit pas les situations qui peuvent aboutir à un crime : il est donc dépourvu de rôle préventif. S'appuyant dans leur raisonnement sur la méthode déductive, les gardiens de l'ordre se refusent à agir sur des hypothèses.

L'intervention de la police est déclenchée par des actes, non par des déclarations orales tout injurieuses qu'elles soient.

Lorsqu'il y a, au même endroit, des manifestations de groupes opposés, la police doit se tenir à l'écart jusqu'à ce qu'il y ait « un danger clair et présent ». À cause de cette règle, au moment où un tel danger devient manifeste, la situation est le plus souvent irréparable.

La police américaine s'emploie à démêler les conséquences d'un conflit, d'une bagarre, d'une attaque, d'un crime : par contre, elle ne s'interpose pas pour empêcher deux groupes hostiles ou deux personnes en conflit de s'affronter. L'intervention a lieu, une fois le fait accompli, non avant.

Pourquoi cette attitude ? Parce que l'une des prérogatives traditionnelles des citoyens américains est le droit à la dissension. Ce droit protégé par la Constitution avait été introduit dans la doctrine politique américaine à l'époque de la lutte pour l'indépendance. Les colons américains considéraient alors comme un droit la possibilité d'exprimer une opinion contraire à la politique du gouvernement anglais. Depuis ce temps-là ce droit s'est maintenu et de nos jours, il prend des formes inquiétantes.

(…)

On se demande si la violence en Amérique est une prime payée par ses citoyens pour leur liberté, un peu trop relâchée, ou si elle résulte du manque de traditions, coutumes et convictions communes à tous.

Alors que la common law a pu, sans grande difficulté, survivre en Angleterre, pays de traditions homogènes, en Amérique, marquée par le sectionnement à la fois racial, ethnique, religieux, linguistique des immigrations successives, c'est-à-dire par une société hautement diversifiée, elle n'a pas su apporter des solutions justes et égalitaires. Le fait est qu'aux États-Unis, dans les circonstances actuelles, la common law représente non seulement un système juridique différent, mais un système qui n'a pas été capable de se séparer de ses attaches médiévales, en un mot de se moderniser. Il est resté démodé à tel point que l'ancien doyen de la faculté de droit de l'Université Harvard, Erwin N. Griswold n'a pas hésité à le qualifier d'absurde (5).

À beaucoup d'égards, le droit américain en est à l'ère des encyclopédies, des dictionnaires juridiques, des décisions des tribunaux dont les volumes couvrent les étages entiers des bibliothèques. Il constitue un labyrinthe offrant aux avocats et aux parties d'innombrables occasions de jouer à cache-cache dans ses méandres. Ce dont le système juridique a le plus besoin, c'est d'une refonte, d'une révision, sinon d'une unification. Son caractère flou prive la vie sociale d'une base de stabilité. (…)


Notes

(1) Timoty Leary, Docteur en Philosophie, ancien professeur au Centre de Recherches Psychologiques de l'Université Harvard, apôtre d'une religion qui vénère « les énergies sacrées des drogues hallucinatoires », condamné à 30 ans de prison et $ 30 000 d'amende pour l'importation illicite de drogues.
(2) « The Claim of Conscience », The New York Times du 2 avril 1969.
(3) Oliver Wendell Holmes, The Common Law, Little, Brown and Co., Boston, 1923, p. 1. (4) Jerome Frank, Law and the the Modem Mind, Anchor Books, Garden City, New York, 1963, pp. 36-45.
(5) Erwin N. Griswold, Law and Lawyers in the United States, p. 79. 

Référence

Prof. Joseph A. MIKUS, « La crise du civisme et du droit aux États-Unis », in Les Études sociales, nouvelle série, n°82-82, année 1969, n°3-4, juillet-décembre 1969, p. 2.

mardi 13 novembre 2012

Le style parental et ses corrélats, selon N. Darling, 1999



Les psychologues du développement se sont intéressés à la façon dont les parents ont de l'influence sur le développement des capacités sociales et instrumentales des enfants, depuis, au moins, les années 1920. L'une des approches les plus solides en ce domaine est l'étude de ce que l'on a appelé le « style parental » (''parenting style'').

Cette synthèse définit le style parental, en explore les quatre types et examine les conséquences, pour les enfants, de ces différents styles.

Définition du style parental

L'investissement parental (''parenting'') est une activité complexe incluant nombre de comportements spécifiques qui œuvrent, tous et chacun, à influencer le devenir de l'enfant. Bien que des comportements parentaux spécifiques, tels que la fessée ou la lecture à voix haute, puissent influencer le développement de l'enfant, le fait de se concentrer seulement sur tel comportement particulier peut être trompeur. Beaucoup d'auteurs ont noté que les pratiques parentales particulières sont moins importantes pour prédire le bien-être de l'enfant que le schéma général de l'investissement parental. La plupart des chercheurs qui tentent de décrire le milieu parental général s'appuient sur le concept de Diana Baumrind, le style parental. Ce concept de style parental est utilisé pour saisir les façons variables et ordinaires dont les parents tentent de contrôler et socialiser leurs enfants (Baumrind, 1991). Deux point sont cruciaux dans la compréhension de cette définition.

Premièrement, le style parental est censé décrire les variations normales de l'investissement parental. Autrement dit, la typologie des styles parentaux que Baumrind a développée n'est pas censée inclure l'investissement parental déviant, tel qu'il peut être observé dans les familles abusives ou négligentes.

Deuxièmement, Baumrind admet que l'investissement parental normal tourne autour des problèmes de contrôle. Bien que les parents puissent différer par la manière dont ils contrôlent ou socialisent leurs enfants et par la mesure avec laquelle ils le font, il est admis que le rôle premier de tous les parents est d'influencer, éduquer et contrôler leurs enfants.

Le style parental comprend deux éléments importants de l'investissement parental : la réceptivité (''responsiveness'') parentale et l'exigence (''demandingness'') parentale (Maccoby et Martin, 1983).

La réceptivité parentale (également appelée chaleur ou soutien parental) fait référence à « la mesure avec laquelle les parents encouragent intentionnellement l'individualité, l'autorégulation et l'affirmation de soi, en se montrant à l'écoute, en soutenant et consentant aux besoins et demandes particulières des enfants » (Baumrind, 1991, p. 62).

L'exigence parentale (également appelée contrôle comportemental) fait référence aux appels que les parents lancent aux enfants afin qu'ils s'intègrent à la famille toute entière, par leurs exigences en matière de maturité, leur surveillance, les efforts de discipline et la volonté d'affronter l'enfant désobéissant » (Baumrind, 1991, p. 61-62).

Quatre styles parentaux

Vouloir catégoriser les parents selon leur niveau bas ou élevé d'exigence et de réceptivité conduit à créer une typologie de quatre styles parentaux : le style indulgent, le style autoritaire, le style usant d'autorité, et le style non engagé (Maccoby et Martin, 1983). Chacun de ces styles parentaux reflète différents schémas, émergeant naturellement, de valeurs, de pratiques et et comportements parentaux (Baumrind, 1991) et un équilibre précis de réceptivité et d'exigence.

Les parents indulgents (appelés également « permissifs » ou « non-directifs » « sont plus réceptif qu'ils ne sont exigeants. Ils ne sont pas traditionnels et se montrent tolérants, ils n'exigent pas un comportement de maturité, permettent une large autorégulation et évitent l'affrontement » (Baumrind, 1991, p. 62). Les parents indulgents peuvent être, de plus, partagés en deux types :
les parents démocrates qui, bien que tolérants, sont plus conscients, plus impliqués, et plus orientés vers l'enfant
▪ et les parents non-directifs.

Les parents autoritaires (''authoritarian'') sont très exigeants et directifs, mais ne sont pas réceptifs. «  Ils sont tournés vers l'obéissance et le statut, et s'attendent à ce que leurs ordres soient suivis sans explication » (Baumrind, 1991, p. 62). Ces parents organisent des environnements ordonnés et structurés, présentant des règles clairement établis. Les parent autoritaires peuvent être partagés en deux types :
les parents non-autoritaires et directifs, qui sont directifs mais ne se montrent pas envahissants ou autocrates dans l'usage de leur pouvoir,
▪ et les parents autoritaires et directifs, qui se montrent très envahissants.

Les parents usant d'autorité (''authoritative'') sont à la fois exigeants et réceptifs. «  Ils surveillent et transmettent des normes claires de conduite à leurs enfants. Ils se montrent assurés, mais ne sont ni envahissants, ni restrictifs. Leurs méthodes de discipline favorisent le soutien plutôt que la punition. Ils veulent que leurs enfants se montrent assurés autant que socialement responsables, autorégulés autant que coopérants.

Les parents non engagés sont peu réceptifs et peu exigeants. Dans les cas extrêmes, ce style parental peut englober à la fois des parents rejetant-négligents et des parents négligents, même si la plupart des parents de ce type appartiennent au type normal.

Parce que le style parental est une typologie plutôt qu'une combinaison linéaire de réceptivité et d'exigence, chaque style parental est à la fois plus que la somme de ses parties et différent de cette même somme (Baumrind, 1991). En plus de différer par la réceptivité et l'exigence, les styles parentaux varient quant à la mesure selon laquelle ils intègrent une troisième dimension : le contrôle psychologique.

Le contrôle psychologique « fait référence aux tentatives de contrôle qui s'immiscent dans le développement psychologique et émotionnel de l'enfant » (Barber 1996, p. 3296), au travers de pratiques comme l'induction de culpabilité, le retrait d'amour ou le fait de faire honte. L'une des clés de différenciation entre l'investissement parental autoritaire et celui qui use d'autorité est celle du contrôle psychologique.

Les parents autoritaires et ceux qui usent d'autorité, pareillement, exigent beaucoup de leurs enfants ; ils s'attendent à ce qu'ils se comportent d'une façon convenable et qu'ils obéissent aux règles parentales. Cependant, les parents autoritaires, attendent également de leurs enfants qu'ils acceptent leurs jugements, leurs valeurs et leurs objectifs, sans poser de question. À l'opposé, les parents usant d'autorité, sont plus ouverts au fait de donner et de recevoir, dans leurs rapports avec leurs enfants ; ils fournissent souvent des explications. Ainsi, bien que les parents usant d'autorité et les parents autoritaires favorisent également un haut contrôle comportemental, les parents usant d'autorité utilisent peu le contrôle psychologique, tandis que les parents autoritaires le font beaucoup.

Les conséquences pour les enfants

Il a été montré que le style parental permet de prédire le bien-être de l'enfant en matière de capacités sociales, de résultats scolaires, de développement psychosocial et de problèmes de comportement. Les recherches basées sur les entretiens avec les parents, les déclarations des enfants et l'observation des parents ont systématiquement montré que :

Les enfants et les adolescents dont les parents usent d'autorité se considèrent eux-mêmes et sont classés par les évaluations objectives comme plus capables socialement et instrumentalement que ceux dont les parents n'usent pas d'autorité (Baumrind, 1991; Weiss et Schwarz, 1996; Miller et al., 1993).

Les enfants et les adolescents dont les parents sont non-engagés se comportent plus mal dans tous les domaines.

En général, la réceptivité parentale permet de prédire des capacités sociales et un bon fonctionnement psychosocial, tandis que l'exigence parentale est corrélée aux capacités instrumentales et au contrôle comportemental (c'est-à-dire résultat scolaires et déviance).

Ces résultats indiquent que :

Les enfants et les adolescents issus de familles autoritaires (exigence importante mais faible réceptivité) ont tendance à réussir d'une manière modérée à l'école et à ne pas montrer de problèmes de comportement, mais ils ont des aptitudes sociales plus pauvres, une estime d'eux-mêmes plus basse et de hauts niveaux de dépression.

Les enfants et les adolescents issus de familles indulgentes (réceptivité importante, faible exigence) sont plus susceptibles de montrer des problèmes de comportements et de moins bien réussir à l'école, mais ils ont une plus haute estime d'eux-mêmes, de meilleures aptitudes sociales et des niveaux plus bas de dépression.

En parcourant la littérature sur le style parental, l'on est frappé par la constance avec laquelle l'éducation usant d'autorité est corrélée à la fois à des capacités instrumentales et sociales et à de plus bas niveaux de problèmes comportementaux, chez les filles et les garçons, et à toutes les étapes du développement.

Les bénéfices de l'investissement parental usant d'autorité et les effets délétères de l'investissement parental non-engagé sont évidents dès les années préscolaires et continuent tout au long de l'adolescence, jusqu'à l'âge jeune adulte.

Bien que l'on puisse trouver des différences de détail dans les capacités mises en œuvre par chaque groupe, les plus grandes différences sont celles détectées entre les enfants dont les parents sont non-engagés et ceux dont les parents sont plus impliqués.

Les différences entre les enfants issus de familles usant d'autorité et les autres enfants sont également constantes, mais un peu plus minces (Weiss et Schwarz, 1996). De la même façon que les parents usant d'autorité semblent être capables d'équilibrer leurs exigences de conformisme avec le respect de l'individualité de leurs enfants, les enfants issus de familles usant d'autorité semblent être capables d'équilibrer les demandes de conformisme extérieur et les exigences de réussite avec leurs besoins d'individualisation et d'autonomie.

Les enfants présentant un T.D.A.H. [trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité] ou un T.O.P [trouble oppositionnel avec provocation], ainsi que d'autres troubles du comportements sont particulièrement vulnérables à une basse estime d'eux-mêmes. Ils ont fréquemment des problèmes scolaires, ont du mal à se faire des amis et restent à la traîne de leur pairs du point de vue du développement psychosocial. Ils sont plus susceptibles que les autres enfants de malmener et d'être malmenés. Les parents d'enfants présentant des problèmes de comportement éprouvent de plus hauts niveaux stress liés à l'éducation des enfants, et il peut alors être plus difficile pour eux d'être réceptifs à leurs enfants de façon positive, constante et soutenante.


L'influence du sexe, de l'ethnie et du type de famille

Il est important de distinguer les différences dans la distribution des corrélats du style parental dans les différentes sous-populations. Bien qu'aux États-Unis, l'investissement parental usant d'autorité soit le plus répandu parmi les familles intactes de classe moyenne et d'ascendance européenne, la relation entre l'autorité et le devenir de l'enfant est assez similaire parmi tous les groupes. Il existe, cependant, des exceptions à cette affirmation générale :

1°) l'exigence semble moins crucial pour le bien-être des filles que pour celui des garçons (Weiss et Schwarz, 1996), et

2°) l'investissement parental usant d'autorité permet de prédire un bon devenir psychosocial et des problèmes de comportement chez les adolescents de tous les groupes ethniques étudiés (Américains d'origine africaine, asiatique, européenne et hispanique) ; mais il est associé à la réussite scolaire seulement chez les Américains d'origine européenne, et dans une moindre mesure, chez les Américains d'origine hispanique (Steinberg, Dornbusch et Brown, 1992 ; Steinberg, Darling et Fletcher, 1995). Chao (1994) et d'autres (Darling et Steinberg, 1993) ont donné comme argument le fait que les différences ethniques observées dans l'association entre le style parental et le devenir de l'enfant peuvent être dues aux différences de contexte social, de pratiques parentales ou au sens culturel que revêtent les dimensions spécifiques du style parental.

Conclusion

Le style parental fournit un indicateur solide du fonctionnement parental permettant de prédire le bien-être de l'enfant à travers un large spectre d'environnements et parmi diverses communautés d'enfants.

La réceptivité parental et l'exigence parentale sont, tous deux, des composants importants d'un bon investissement parental.

L'investissement parental usant d'autorité et faisant l'équilibre entre des exigences parentales élevées et claires, une réceptivité émotionnelle et la reconnaissance de l'autonomie de l'enfant constitue l'un des indicateur familial les plus constants de capacité, de la petite enfance à l'adolescence.

Cependant, malgré la longue et solide tradition de recherche sur le thème du style parental, un certain nombre de problèmes restent en suspens. Les plus important d'entre eux sont des problèmes de définition, les changement développementaux de la manifestation et des corrélats des styles parentaux, et les processus sous-jacents des bénéfices de l'investissement parental usant d'autorité (Cf. Schwarz et al., 1985; Darling et Steinberg, 1993; Baumrind, 1991; et Barber, 1996).


Pour plus d'information

B. K. BARBER, « Parental psychological control : Revisiting a neglected construct », in Child Development, n° 67 (6), 1996, p. 3296-3319.

D. BAUMRIND, « 
Rearing competent children », in W. Damon (Dir.), Child development today and tomorrow, Jossey-Bass, San Francisco, 1989, p. 349-378.

D. BAUMRIND, « The influence of parenting style on adolescent competence and substance use », in Journal of Early Adolescence, n°11 (1), 1991, p. 56-95.

R. K. CHAO, « 
Beyond parental control and authoritarian parenting style : Understanding Chinese parenting through the cultural notion of training, in Child Development, n° 65 (4), 1991, p. 1111-1119.

N.
DARLING et L. STEINBERG, « Parenting style as context: An integrative model », in Psychological Bulletin, n° 113(3), 1993, p. 487-496.

E. E. MACCOBY, et J. A. MARTIN, « 
Socialization in the context of the family : Parent–Child interaction », in P. H. MUSSEN (Dir.) et E. M. HETHERINGTON (Dir. vol. ), Handbook of child psychology : Vol. 4. Socialization, personality, and social development, 4e éd., Wiley, New-York, 1983, p. 1-101.

N. B. MILLER, P. A. COWAN, C. P. COWAN et E. M.
HETHERINGTON, « Externalizing in preschoolers and early adolescents : A cross-study replication of a family model », in Developmental Psychology, 29 (1), 1993, p. 3-18.

J. C. SCHWARZ, M. L. BARTON-HENRY et T. PRUZINSKY, « 
Assessing child-rearing behaviors : A comparison of ratings made by mother, father, child, and sibling on the CRPBI », in Child Development, n°56 (2), 1985, p. 462-479.

L. STEINBERG, N. DARLING et A. C. FLETCHER, « 
Authoritative parenting and adolescent adjustment : An ecological journey », in P. MOEN, G. H. ELDER, Jr., et K. LUSCHER (Dir.), Examining lives in context: Perspectives on the ecology of human development, American Psychological Assn, Washington, DC, 1995, p. 423-466.

L. STEINBERG, S. M. DORNBUSCH et B. B. BROWN, « 
Ethnic differences in adolescent achievement : An ecological perspective », in American Psychologist, n°47(6), 1992, p. 723-729.

L. H. WEISS et J. C. SCHWARZ, « 
The relationship between parenting types and older adolescents’ personality, academic achievement, adjustment, and substance use », in Child Development, n°67 (5), 1996, p. 2101-2114.

Référence

Nancy DARLING (Ph.D., M.S.), « Parenting Style and its Correlates », Eric Digest, ERIC Clearinghouse on Elementary and Early Childhood Education, Champaign (Illinois), mars 1999. La version française de ce texte est le fait de l'auteur de ce blog.