Enfant de chœur, par Julius Scholtz, 1854 |
Je
vais peut-être en surprendre beaucoup, mais je le dirai comme je le
pense : il faut tendre à replacer les jeunes gens dans le chœur de
l'église, non pas en assistants désœuvrés, mais en figurants
actifs et occupés, et à reconstituer toute la hiérarchie,
d'ailleurs charmante, des enfants de chœur, acolytes,
thuriféraires,
maîtrisiens, chantres, etc.
Eh
! oui, il faudra cela, non seulement à la campagne, mais à la
ville.
Autrefois,
les clergés étaient très nombreux, même dans les moindres
paroisses, et ils se suffisaient à toutes les cérémonies; il
existait d'ailleurs plus qu'aujourd'hui, quant à la place à occuper
dans les édifices religieux, une différence considérable entre les
prêtres et les laïques.
En
effet, le chœur, le sanctuaire était ordinairement séparé des
nefs par des grilles, par des panneaux, par des jubés cloisonnés.
L'office, dans sa partie la plus solennelle, se poursuivait en dehors
du peuple, lequel rentrait dans l'église même moins comme dans le
temple de Dieu que comme dans sa propre maison à lui-même. On sait
assez que les cathédrales, autrefois, prêtaient leurs vastes
édifices à mille usages qui n'étaient point religieux.
Le
sanctuaire n'en était que plus strictement réservé et n'y
entraient que ceux qui étaient ou se préparaient à être reçus
dans les différents ordres sacrés.
Les
cathédrales, et même de plus modestes églises, abritaient alors,
de façon continue, tout un peuple qui leur appartenait déjà en
propre, qu'elles employaient et qui vivaient d'elles.
Elles
ne faisaient guère appel, alors, à un personnel mouvant et
momentané qui serait venu, à certaines heures seulement, revêtir
un surplis d'emprunt pour chanter, contre bons deniers comptants, les
prières et les psaumes.
De
ce fait, les offices étaient sans contredit plus beaux, plus
hiératiques, plus dignes, mais le peuple, en beaucoup d'endroits, y
participait moins effectivement.
Cependant,
il devint bientôt impossible, sauf dans les chapitres et dans les
abbayes, de maintenir partout cet état de choses, et de bonne heure,
sous le nom de confréries de tout vocable et de tout attribut, les
laïques furent admis plus ou moins directement à participer aux
cérémonies dans le chœur de l'église.
Chaque
église, en effet, voulut imiter de plus ou moins près les offices
de la métropole, mais elle n'avait point le personnel sacré
suffisant, elle dut y suppléer, et le chœur se peupla d'enfants, de
jeunes gens, d'hommes et de vieillards qui fournirent une figuration
variée aux offices divins.
Il
semble bien que partout, au début du moins, ces fonctions furent
regardées comme des plus honorables et restèrent honorifiques.
Chacun se sentait trop honoré de chanter les louanges de Dieu dans
les stalles, auparavant destinées aux seuls clercs et aux moines,
pour réclamer d'autres... honoraires.
Mais
avec le temps, dans les villes tout au moins, le recrutement des
enfants de chœur, des chantres, ne se maintint pas au même niveau.
Les hauts bourgeois restèrent marguilliers,
mais ils ne revêtirent plus le surplis ; la fonction de chantre
paraissant désormais moins honorable par elle-même, commença
d'être plus... honorée pécuniairement et, en même temps, ceux-là
mêmes qui auraient dû se sentir heureux et réclamer comme un
privilège de chanter au chœur, laissèrent même en certains
chapitres, si l'on en croit Boileau, à des chantres gagés le
soin de louer Dieu.
De
plus en plus, au cours des âges, la fonction devenant mercenaire se
recruta, en ville surtout, dans un milieu social moins élevé.
Il
convient d'ailleurs de dire que, même en beaucoup de villes, un
assez grand nombre de fonctions d'enfants de chœur, de thuriféraires
et même de chantres restèrent gratuites. En tout cas, le fait se
produisit et persiste encore dans la presque totalité des paroisses
rurales... où il y a des chantres.
Là,
les habitudes d'autrefois ont survécu ; là, l'église est encore un
centre d'activité ; là, de père en fils, on se transmet le tome
noté et on se succède devant l'aigle doré du lutrin
; là, toute une hiérarchie de chantres, jaloux de leurs droits, et
disputant volontiers sur les préséances, remplit les stalles et
assure gratuitement le service des offices.
Ces
chantres-là, non seulement ne touchent aucun salaire, mais, le plus
souvent, s'ils reçoivent du curé leur livre de plain-chant,
doivent s'offrir leur soutane et pourvoir au blanchissage de leur
surplis ; il en résulte bien des disparates fâcheux dans les
costumes et des insuffisances dans la dignité de la tenue, mais il
ne ferait pas bon que le curé voulût se mêler de rectifier un pli
ou de modifier l'intonation traditionnelle autant qu'inharmonique
d'un psaume, les chantres ne tarderaient pas à rendre leur livre
avec une dignité que rien ne ferait céder.
Mais
cet hommage rendu, comme il convenait, à leur désintéressement, il
faut bien convenir que le recrutement des chantres, dans la plupart
des paroisses, ne donne point toute garantie au point de vue
artistique et même, en certaines régions, au point de vue de la
sobriété. N'y a-t-il pas un dicton insolent qui dit : « Ton âne
sait-y point boire, fais-en un chantre, il boira ! »
La
préparation artistique fait défaut, en tout cas ; les chantres ont
des traditions de musique ; ils n'ont guère de méthodes de chant,
tous s'arrêteront aux passages où s'arrêtaient les anciens,
coupant aussi barbarement les mots, martelant les notes, comme ils
battraient du fer sur l'enclume, grinçant les mots latins les plus
harmonieux.
En
certaines paroisses d'ailleurs, les chantres trop nombreux n'ont même
plus la ressource des aveugles se soutenant entre eux tant bien que
mal, et alors quelques vieux, demeurant plus fidèles que solides au
poste, c'est le massacre abominable de l'office, des cris rauques et
éperdus et toute la désharmonisation de la belle liturgie
catholique.
Il
aurait fallu une réaction énergique contre certains abus, il aurait
fallu une énergique action en propagande pour relever le niveau du
recrutement.
Car
il est bien certain qu'à l'heure actuelle quelqu'un qui dans la
bourgeoisie croit se respecter ne voudrait jamais être chantre, ne
voudrait même pas laisser ses enfants être enfants de chœur, si ce
n'est peut-être en quelques chapelles privilégiées, et il faut
convenir que si les gens distingués ont eu tort de déserter le
chœur des églises, ils n'y sauraient guère rentrer maintenant sans
se commettre avec de braves gens, certes, mais d'une éducation
insuffisante.
Les
événements se sont chargés, comme presque toujours, mais comme
presque toujours aussi brutalement, de solutionner le problème en
faisant table rase du passé. L'Église s'est vue dépouillée
injustement de ses ressources ; en beaucoup d'endroits, elle a vu, du
même coup, disparaître la majeure partie de ses chantres gagés,
lesquels ne faisaient qu'exercer un métier dont tout le monde avait
perdu le sens comme eux-mêmes.
Si,
en certaines régions plus pieuses, plus traditionalistes, les
chantres non payés avant la Séparation [de l’Église et de
l’État, en 1905] sont restés après, parce que rien n'était
changé dans leur situation matérielle, en beaucoup d'autres le
chœur des églises s'est vidé, les stalles sont devenues muettes,
les chants liturgiques ont cessé en majeure partie. Le curé est
resté à peu près seul, dans l'impossibilité de poursuivre
l'office chanté et a été obligé de se contenter de célébrer une
messe basse et de supprimer processions et cortèges.
(…)
Si
donc le clergé ne trouve plus de chantres tout faits, il faut qu'il
en fasse lui-même, il faut qu'il en forme. Or, il n'en pourra
trouver que parmi les jeunes gens et comme, parmi les jeunes gens, il
ne trouvera rien qui soit même ébauché, il pourra les former comme
il voudra, d'après les meilleures méthodes, et, instruit par
l'expérience des abus qui peuvent se glisser dans les plus sages
institutions, au point de vue artistique et à tout autre, il avisera
mieux au moyen de les garder dans un sens exact de l'art et de la
bonne tenue.
Les
jeunes gens des patronages, nous l'avons dit, peuvent et doivent
devenir les meilleurs auxiliaires des curés dans les paroisses ;
(…).
(…)
Mais
il faudra que l'expérience du passé serve à quelque chose. Le
service de l'autel, la participation effective aux cérémonies, le
chant liturgique, tout cela devra être présenté et apparaître
vraiment comme un honneur qu'il faut savoir apprécier et qui se paie
par lui-même, sans autre émolument. Ce n'est pas par l'appât du
gain qu'il faut ramener la jeunesse à reprendre l'aube de lin des
lévites.
(…)
Il
faudra donc — ce ne sera que justice et bon goût — rompre
résolument avec des accoutrements presque burlesques, soutanes trop
courtes, d'où sortent de longs bras étirés et de longues jambes,
surplis bossus, cottes mal tirées. Tout ce travestissement qui sent
la misère et que l'on n'ose exhiber au soleil. Il faudra rompre
aussi avec la désinvolture ou la gaucherie des attitudes, avec ces
contorsions du ventre qui constituent le salut de trop d'enfants de
chœur.
Il
faudra rompre avec ces criailleries nasillardes ou avec ces airs
d'opéra qui forment toutes les extrémités des insuffisances
liturgiques de nos jours.
Il
faudra harmoniser toutes choses, les attitudes, les gestes, les
évolutions, les chants, la démarche.
(…)
Aujourd'hui,
en beaucoup d'églises, ou c'est le chant liturgique horriblement
massacré ou le remplacement du chant liturgique par je ne sais quels
motets, quels airs d'opéra plus ou moins déguisés.
C'est
l'Ave Maria de Gounod devenu insipide et horripilant, parce
qu'il n'est pas une messe de mariage ou une cérémonie soi-disant
solennelle où une demoiselle ne vienne le minauder et le miauler
sans même le comprendre.
On
s'ingénie, semblerait-il, à dérouter les fidèles, à donner des
entorses aux chants qui s'imposent et qui s'adaptent à la cérémonie.
On
oublie que l'Église a des chants pour chaque fête et qui en
rappellent l'origine, le but, le sens, les applications, et on se
casse la tête pour composer des programmes pseudo-artistiques où
n'entrera pas un seul chant qui y serait à sa place
«
Saint-Père, demandait assez naïvement un bon directeur de maîtrise
à Pie X, que convient-il de chanter pendant l'office ? » Et Pie X,
finement, de lui répondre : « Pendant l'office, mon fils, ce qu'il
convient de chanter, c'est l'office ! »
Que
de gens ont été renversés à cette révélation. Adieu donc les
fantaisies, les cantiques sur des airs de chevaux de bois, les
rengaines qui se sifflent aussi bien sur le trottoir que dans
l'église. C'est à ne plus s'y reconnaître.
(…)
Le
recrutement mérite du soin : il doit se fournir dans l'élite, parmi
ceux qui comprennent et qui doivent former le noyau rayonnant de
l'art et de la piété. C'est dans la mesure aussi où ce recrutement
sera sérieux et même sévère qu'il pourra, au bout d'un certain
temps, devenir fécond.
(…)
Les chantres, les enfants de chœur n'ont pas une bonne presse : on
les juge mal. Si donc on veut ramener au chœur des jeunes gens d'une
éducation meilleure, si on veut faire au Christ une cour plus
prochaine, qui soit moins indigne de lui, il faut composer le chœur
non pas avec les épaves, mais avec la fleur de la paroisse, et on
n'y parviendra qu'en tenant fortement la main à une tenue
irréprochable et on n'obtiendra cette tenue que par une éducation
méthodique de la jeunesse des patronages et par sa formation en vue
de la fonction, sublime après tout, qu'on lui destine.
La
famille elle-même sera donc intéressée au recrutement : elle
tiendra de nouveau à honneur de voir ses enfants et ses jeunes gens
revêtir, momentanément tout au moins, les vêtements sacrés.
»
Le résultat, on le devine. L'Église deviendra plus intéressante
pour tous : les offices seront mieux suivis, mieux vus et mieux
compris. L'assiduité pourra être exigée plus strictement par le
prêtre et elle sera consentie plus facilement par les jeunes gens :
leur fonction et leur piété les appelleront
simultanément
auprès du Maître.
(…)
Certes,
on ne saurait voir se rénover d'un coup la face de la terre ; mais
n'y a-t-il pas quelque chose à tenter sérieusement ?
L'Église
et la jeunesse sont faites pour s'entendre, toutes les deux ont des
aspirations généreuses, les robustes espérances, la foi en la
Beauté et en l'Amour.
Mais,
pour s'entendre, il faut qu'elles se fréquentent et qu'elles se
rencontrent. La jeunesse a déserté l'Église, l'Église est en
train de reconquérir la jeunesse ; elle va vers elle ; mais il faut
que ce soit pour la ramener à elle, pour lui faire reprendre le
chemin des temples trop déserts, c'est pour que, de nouveau, aux
grandes fêtes, toutes les deux puissent chanter ensemble et d'accord
l’Alléluia vainqueur.
Référence
Edward
Montier, « Les
jeunes gens et la liturgie », in La Vie au patronage,
15 juillet 1912, p. 461-465, cité par Les Questions
liturgiques et paroissiales, 2e
année, 1911-1912, Abbaye du Mont-César, Louvain, p. 473-481.