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samedi 28 décembre 2019

L' « esprit du Concile » en matière de langue liturgique, selon Mgr Annibale Bugnini, 1974


Mgr Annibale Bugnini


Pour se faire une idée des présupposés qui ont guidé le travail des réformateurs de la liturgie catholique latine, après le 2d Concile du Vatican, on peut se pencher sur un article de Mgr Annibale Begnini, paru en  1974, « Restaurare la linea “authentica” del Concilio ? » [« Restaurer la ligne “authentique” du Concile »], paru in Sacrée Congragation pour le Culte divin, Notitiæ, n°93-94, mai-juin 1974 (vol. 10, n°5-6), p. 217-221.
 

Mgr Benigni y répondait à ceux qui, critiquant négativement la réforme liturgique, affirmaient que le Concilium (voir plus loin) avait outrepassé les principes définis par le Concile concernant l’usage des langues vivantes dans la liturgie. 

Auparavant, il est bon de préciser qu'Annibale Bugnini (1912-1982) est un prêtre religieux lazariste, ordonné le 26 juillet 1936 et sacré évêque titulaire du diocèse de Diocletiana, le 6 janvier 1972.

À partir de 1946 il fut rédacteur en chef de la revue liturgique Ephemerides liturgicæ et commença à intervenir dans le domaine des études liturgiques spécialisées.

En 1948, le Vénérable Pie XII le nomma Secrétaire de la « Commission pour la Réforme Liturgique », instaurée le 28 juin 1948.

De 1959 à 1962, en vue du 2d Concile du Vatican, le P. Bugnini fut secrétaire de la Commission Préparatoire pour la Liturgie, présidée par le Cardinal Cicogagni. Après l’adoption du schéma préparatoire par le vote du 13 janvier 1962, quelques semaines plus tard, S. Jean XXIII suspendit le P. Bugnini de ses fonctions de Secrétaire de la Commission Préparatoire, sans le reconduire à la Commission conciliaire équivalente. Le Saint Pape lui retira également sa chaire à l’Université du Latran.

Mais le 1er octobre 1963, ouvrant la seconde session du Concile, S. Paul VI, après en avoir fait son théologien personnel, nomma le P. Bugnini à la présidence de la Commission Spéciale pour la Réforme de la Liturgie.

Le P. Bugnini devint ensuite le secrétaire du Consilium ad exsequendam Constitutionem de sacra Liturgia (Conseil pour l'application de la constitution sur la Liturgie sacrée) mis en place par S. Paul VI le 26 février 1964 et présidé, en premier lieu, par le cardinal Lercaro. Ce Conseil était chargé de mettre en œuvre les principes de la réforme liturgique définis par le Concile.

De 1969 jusqu'à 1975, le P. Bugnini fut Secrétaire de la Sacrée Congrégation pour le Culte Divin, dans laquelle le Consilium fut intégré comme « Commission spéciale pour l’application de la réforme liturgique », jusqu'à ce que la Sacrée Congrégation fût réunie, en 1975, à la Congrégation des Sacrements. Le 6 janvier 1972, le P. Bugnini fut nommé évêque titulaire de Diocletiana.

Après 1975, Mgr Bugnini se retira au couvent de San Silvestro. Le 4 janvier 1976, il fut nommé pro-nonce apostolique en Iran. Rentré en Italie pour une opération bénigne, il mourut à l'hôpital, à Rome, le 3 juillet 1982. 
 


Mgr Benigni cite, dans l'article en question, et dans un premier temps, l’article 54 de la Constitution sur la Sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium qui est le suivant :

54. Linguae vernaculae in Missis cum populo celebratis congruus locus tribui possit, praesertim in lectionibus et “oratione communi”, ac, pro condicione locorum, etiam in partibus quae ad populum spectant, ad normam art. 36 huius Constitutionis.
 
Provideatur tamen ut christifideles etiam lingua latina partes Ordinarii Missae quae ad ipsos spectant possint simul dicere vel cantare.
 
Sicubi tamen amplior usus linguae vernaculae in Missa opportunus esse videatur, servetur praescriptum art. 40 huius Constitutionis. 


54. Une place convenable pourra être accordée à la langue vernaculaire dans les Messes célébrées avec le concours du peuple, surtout dans les lectures et la « prière commune », et, selon les conditions locales, aussi dans les parties qui concernent le peuple, conformément à l’article 36 de la présente Constitution.
 
Cependant, on veillera à ce que les fidèles chrétiens puissent dire ou chanter ensemble, également en langue latine, les parties de l’Ordinaire de la Messe qui concernent le peuple. 
 
Toutefois, si, quelque part, l’usage plus large de la langue vernaculaire dans la Messe semble opportun, on observera ce qui est prescrit à l’article 40 de la présente Constitution.



L’article se réfère aux autres articles suivants :

36. §1. Linguae latinae usus, salvo particulari iure, in Ritibus latinis servetur.
 
§2. Cum tamen, sive in Missa, sive in Sacramentorum administratione, sive in aliis Liturgiae partibus, haud raro linguae vernaculae usurpatio valde utilis apud populum exsistere possit, amplior locus ipsi tribui valeat, imprimis autem in lectionibus et admonitionibus, in nonnullis orationibus et cantibus, iuxta normas quae de hac re in sequentibus capitibus singillatim statuuntur.
 
§3. Huiusmodi normis servatis, est competentis auctoritatis ecclesiasticae territorialis, de qua in art. 22 § 2, etiam, si casus ferat, consilio habito cum Episcopis finitimarum regionum eiusdem linguae, de usu et modo linguae vernaculae statuere, actis ab Apostolica Sede probatis seu confirmatis.
 
§4. Conversio textus latini in linguam vernaculam in Liturgia adhibenda, a competenti auctoritate ecclesiastica territoriali, de qua supra, approbari debet. 


36. §1. L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les Rites latins.
 
§2. Cependant, étant donné que, soit dans la Messe, soit dans l’administration des Sacrements, soit dans les autres parties de la Liturgie, l’emploi de la langue vernaculaire peut se montrer souvent grandement utile pour le peuple, une place plus large pourra lui être accorder, surtout dans les lectures et les monitions, dans quelques prières et chants, conformément aux normes qui sont établies à ce sujet dans les chapitres suivants, pour chaque cas.
 
§3. Ces normes étant observées, il revient à l’autorité ecclésiastique territoriale compétente, mentionnée à l’article 22, même, le cas échéant, après avoir délibéré avec les Évêques des régions limitrophes de même langue, de statuer au sujet de l’usage de la langue vernaculaire et de son étendue, en faisant agréer ou confirmer ses actes par le Siège Apostolique.
 
§4. La traduction du texte latin dans la langue vernaculaire, devant être employée dans la Liturgie, doit être approuvée par l’autorité ecclésiastique territoriale compétente dont il est question ci-dessus. 
 
 
40. Cum tamen variis in locis et adiunctis, profundior Liturgiae aptatio urgeat, et ideo difficilior evadat :
 
1) A competenti auctoritate ecclesiastica territoriali, de qua in art. 22 § 2, sedulo et prudenter consideretur quid, hoc in negotio, ex traditionibus ingenioque singulorum populorum opportune in cultum divinum admitti possit. Aptationes, quae utiles vel necessariae existimantur, Apostolicae Sedi proponantur, de ipsius consensu introducendae.
 
2) Ut autem aptatio cum necessaria circumspectione fiat, eidem auctoritati ecclesiasticae territoriali ab Apostolica Sede facultas tribuetur, si casus ferat, ut in quibusdam coetibus ad id aptis et per determinatum tempus necessaria praevia experimenta permittat et dirigat.
 
3) Quia leges liturgicae difficultates speciales, quoad aptationem, praesertim in Missionibus, secum ferre solent, in illis condendis praesto sint viri, in re de qua agitur, periti. 
 
 
40. Cependant, étant donné que, en différents lieux et circonstances, une adaptation plus profonde de la Liturgie est pressante, et que, par conséquent, cela conduit à plus de difficulté :
 
1) L’autorité ecclésiastique territoriale compétente, mentionnée à l’article 22 §2, considérera avec application et prudence ce qui, en ce domaine, peut être à propos d’admettre des traditions et du génie de chaque peuple dans le culte divin. Les adaptations jugées utiles ou nécessaires seront proposées au Siège Apostolique pour être introduites avec son consentement.
 
2) Mais pour que l’adaptation se fasse avec la circonspection nécessaire, faculté sera accordée par le Siège Apostolique à cette autorité ecclésiastique territoriale de permettre et de diriger, le cas échéant, les expériences préalables nécessaires dans certaines assemblées leur étant appropriées et pendant un temps déterminés.
 
3) Parce que les lois liturgiques présentent ordinairement des difficultés spéciales en matière d’adaptation, surtout dans les Missions, on devra, pour les établir, avoir à sa disposition des hommes experts en ce domaine.
 
 
Or, Mgr Benigni affirme : 

Sulla filigrana dello spirito del Concilio più che sulla lettera dell’articolo 54, lavorarono un anno dopo i Padri del « Consilium », per determinare in concreto le parti della Messa che potevano dirsi in volgare. 


C’est sur le filigrane de l’esprit du Concile plus que sur la lettre de l’article 54 que les Pères du « Consilium », ont travaillé un an plus tard, pour déterminer concrètement les parties de la Messe qui pourraient être dites en langue vulgaire.


Il précise, par la suite, ce qu’est, selon lui, cet « esprit du Concile » en matière liturgique :

Aprire i tesori della mensa della parola e della mensa eucaristica al popolo di Dio. Ma che cosa non appartiene nell’azione liturgica al popolo di Dio ? Tutto gli appartiene. Da nulla, infatti, è esclusa la sua attenzione e la sua partecipazione. Nei canti deve partecipare con l’intelligenza e con la voce ; nelle letture con l’ascolto e la comprensione, perché chi parla prima di tutto vuole essere capito ; nelle orazioni e nella preghiera eucaristica deve comprendere, perché ha da ratificare con l’ « Amen » quanto il sacerdote ha compiuto a nome dell’assemblea, ed ha chiesto a Dio. Se perciò il principio della lingua volgare nella liturgia è stato quello di mettere l’assemblea nella condizione di parteciparvi coscientemente, attivamente e fruttuosamente (« scienter, actuose et fructuose », Cost. n. 11), nessuna parte dell’azione sacra si giustifica in una lingua non compresa dal popolo. 


Ouvrir les trésors de la table de la parole et de la table eucharistique au peuple de Dieu. Mais qu'est-ce qui, dans l'action liturgique, n'appartient pas au peuple de Dieu ? Tout lui appartient. En effet, son attention et sa participation ne sont exclues de rien. Dans les chants, il doit participer avec l’intelligence et la voix ; dans les lectures, avec l’écoute et la compréhension, car celui qui parle veut avant tout être compris ; dans les prières et dans la prière eucharistique, il doit comprendre, car il doit ratifier avec l’ « Amen » ce que le prêtre a fait au nom de l'assemblée, et ce qu’il a demandé à Dieu. Si donc le principe de la langue vulgaire dans la liturgie était de mettre l'assemblée en situation de participer consciemment, activement et fructueusement (« scienter, actuose et fructuose », Const. n. 11), aucune partie de l'action sacrée n'est justifiée dans une langue non comprise par le peuple.


Dans la conclusion de l’article, Mgr Bugnini complète d’ailleurs cette description de l’ « esprit du Concile » ou de la « ligne “authentique” du Concile » en matière liturgique :

La liturgia non è più soltanto rubriche o ceremonie : è pastorale, è arte, è teologia, è vita. Non è solo per l’élite, ma per la moltitudine dei fedelo ; non è per appagare l’esteta, ma per alimentare la vita spirituale del popolo di Dio ; non è tanto per il godimento intelletuale di pochi, quanto per edificare nei « piccoli » e negli umili il regno di Dio. Questa sembra l’ »autentica » linea del Concilio. 


La liturgie, [ce n’est] n'est plus seulement des rubriques ou des cérémonies : c’est de la pastorale, c’est de l’art, c’est de la théologie, c’est la vie. Ce n'est pas seulement pour l'élite, mais pour la multitude des fidèles ; ce n'est pas pour satisfaire l'esthète, mais pour nourrir la vie spirituelle du peuple de Dieu ; ce n'est pas tant pour la jouissance intellectuelle de quelques-uns que pour construire le royaume de Dieu chez les « petits » et chez les humbles. [C’est] cela [qui] semble être la ligne « authentique » du Concile.

 
On voit bien que la conservation de l'usage de la langue latine dans les Messes célébrées avec le concours du peuple n’était plus du tout envisagée par les réformateurs de la liturgie latine. Contrairement à la lettre de la Constitution sur la sainte Liturgie, il s’agissait d’étendre l’usage de la langue vernaculaire à toutes les parties de la Messe. Car il fallait absolument que le peuple comprenne tout ce qui se déroule dans l’action sacrée, ce qui semblait impossible aux réformateurs si l’on conservait quelque peu l’usage du latin. Or la Constitution précisait bien que l’on devait veiller « à ce que les fidèles chrétiens puissent dire ou chanter ensemble, également en langue latine, les parties de l’Ordinaire de la Messe qui concernent le peuple. » 

Enfin, concernant le chant grégorien, après avoir souligné que « la Constitution liturgique soutient et défend le chant grégorien », il ajoute :

Bisogna per di riconoscere che quest’azione di conservazione non può né deve impedire la creazione di nuove melodie, di altra musica sul testo volgare. La nota della « universalità », enumerata da S. Pio X tra le carattristiche della musica sacra, acquista in questo caso altre proporzioni e viene posta su basi diverse da quando il latino era unica lingua della liturgia. Se ogni popolo ha la propria lingua, ogni popolo non può non avere la propria musica. La lingua esprime l’anima di un popolo in suoni alfabetici ; la musica lo fa in note. 


Il faut reconnaître que cette action de conservation ne peut et ne doit pas empêcher la création de nouvelles mélodies, d'autres musiques [composées] sur le texte [en langue] vulgaire. La note d’ « universalité », énumérée par saint Pie X parmi les caractéristiques de la musique sacrée, acquiert, dans ce cas, une autre dimension et se place sur des bases différentes puisque le latin était la seule langue de la liturgie. Si chaque peuple a sa propre langue, chaque peuple ne peut manquer d'avoir sa propre musique. La langue exprime l'âme d'un peuple avec des sons alphabétiques ; la musique le fait avec les notes.


On pourra considérer, à tout le moins, que Mgr Benigni n’avait pas pressenti l’immense uniformisation de la culture mondiale qui commençait déjà à poindre dans les années 1960-1970 et qui rendrait sans effet ce souhait que chaque peuple invente une musique sacrée qui convienne à son génie culturel.

De plus, il n'envisageait pas, non plus, la possibilité qu'une autre langue telle que l'anglais, devienne, peu à peu, la langue universelle, et s'apprête à submerger à Dieu ne plaise toutes les langues nationales... L'anglais deviendra-t-elle alors, suivant le principe d'adaptation,  la langue sacrée ?

Remarque: la version française des textes originaux latins et italiens a été revue ou faite par l'auteur de ce blogue.