S. Alphonse Rodriguez |
(...) Ceci ne dura pas bien longtemps parce
que, comme elle éprouvait beaucoup de facilité, des consolations et
un grand profit spirituel à méditer sur les Mystères de la Passion
de Notre-Seigneur, il lui sembla bon de s'adonner davantage à la
considération des souffrances de Jésus-Christ, qui lui inspiraient
une tendre compassion, plutôt qu'aux autres exercices.
Elle méditait
en particulier sur l'Ecce homo, sur Jésus portant sa croix,
pendant que la foule le conduit au supplice avec des cris et des
vociférations ; sur la rencontre du Fils et de la Mère et la manière
dont ils se regardèrent ; ou bien encore elle contemplait le mystère
du crucifiement du Sauveur et son élévation en croix et la scène
qui se passa alors entre la Mère et le Fils ; enfin la descente
de la croix et la manière dont le corps de Jésus fut reçu par sa
mère bien-aimée.
À cette oraison, elle employait le matin, deux
heures, suivies d'un quart d'heure d'actions de grâces ;
ensuite elle entendait la messe. Durant le jour, elle s'entretenait
avec ferveur avec son Dieu ; le soir, elle faisait une
méditation semblable à celle du matin.
Dieu lui enseigna encore
diverses manières de prier ; car, d'elle-même, elle n'aurait pas su
trouver le chemin par où Dieu voulait la conduire. L'une d'elle
consistait en ce que, après s'être exercée sur un Mystère, en
discourant de façon en être bien pénétrée, elle devenait
tellement enflammée de l'amour de Jésus-Christ, que, tout discours
cessant, elle se bornait à demeurer en la présence de son Dieu et
elle y jouissait de ses divines communications. Cette manière de
prier qui se nomme contemplation, se passait ainsi à son
égard : son âme étant vivement occupée de Notre-Seigneur, se
sentait blessée d'amour en contemplant ce qu'il souffrait pour elle
; alors, le Seigneur la mettait en son cœur, ou il lui communiquait
de grandes lumières concernant sa douloureuse passion et les
souffrances de toute sorte qu'il y endura.
Mais nul ne saurait dire et expliquer
ce que Jésus-Christ lui communiquait de ses vertus et de ses dons
spirituels, lorsqu'il lui donnait de ressentir en elle même, dans
l'âme et dans le corps, ses propres souffrances. Alors cette
personne se sentait des pieds à la tête, crucifiée avec
Jésus-Christ, qui lui communiquait une partie de ses souffrances. De
là résultait qu'elle se trouvait embrasée d'amour, étroitement
unie à son Sauveur et comme transformée et transfigurée en lui,
tant était ardent leur amour réciproque, et tant était grande la
part que Jésus-Christ lui communiquait de ses souffrances.
4. En outre, de même que dans le mode
d'oraison dont il a été parlé, cette personne était attirée par
Jésus-Christ dans son divin cœur et là, dans cette solitude, en
recevait de merveilleuses communications d'une façon toute
spirituelle et sans aucun bruit de paroles ; de même, dans le
mode d'oraison que je vais dire, Notre-Seigneur se communiquait
grandement à elle.
Ce mode était le suivant : en contemplant
ce divin Maître cloué sur la croix, son âme, blessée de l'amour
de ce souverain Seigneur, l'attirait à elle par la force de son
amour, comme l'aimant attire le fer, et le mettait au plus profond de
son cœur. Pendant qu'elle était ainsi en sa présence,
Notre-Seigneur lui faisait part de ce qu'il est et de ce qu'il a, de
son amour, de ses souffrances, de ses vertus ; il lui faisait aussi
ressentir ses souffrances ; enfin il se communiquait tellement à
elle qu'elle en venait à être comme transformée en lui et
divinisée. Elle éprouvait d'une manière très sensible cette
visite et cette présence de Jésus-Christ Notre-Seigneur en elle. La
transformation en lui durait habituellement plusieurs jours de suite
; en particulier, quand elle recevait le Très-Saint Sacrement de
l'autel.
Ces deux transformations de l'âme en
Dieu, se comprendront à l'aide de la comparaison suivante :
Dieu agit sur l'âme comme le feu sur le fer de même que, lorsque le
fer est dans un foyer ardent, le feu se communique au fer, au point
que le fer devienne feu ou plutôt à la fois fer et feu, mais feu
par participation, non par nature ; de même aussi, quand le
Seigneur met l'âme en son cœur, qui est un foyer d'amour, il
l'embrase à un tel point de cet amour, qu'en vertu de la grâce et
de l'amour de Jésus-Christ, elle se trouve divinisée, unie et
transformée en lui, soit que le Seigneur mette l'âme en lui, soit
que l'âme attire le Seigneur en son cœur par la grandeur de son
amour. De là, l'âme tire un grand profit.
Cette personne en vint ainsi a être tellement remplie de la personne de Jésus-Christ Notre-Seigneur, qu'elle allait par les rues de la ville, absorbée en Jésus crucifié sans voir les gens autrement que comme des ombres.
Référence
Vie admirable de saint Alphonse Rodríguez, coadjuteur temporel de la Compagnie de Jésus : d'après
les mémoires écrits de sa main, par ordre de ses supérieurs,
traduite de l'espagnol par Octave Duhil de Benazé, jésuite,
1890, p. 4-7