Tabernacle en forme d'arche d'alliance, Séminaire de S. Sulpice |
Au
début de l'ère chrétienne il n'y avait pas de tabernacle . L'idée
de conserver le Saint-Sacrement dans les églises ne put venir aux
chrétiens qu'après la période des persécutions. Aux époques
troublées, les fidèles emportaient chez eux les saintes Espèces et
les cachaient dans leurs maisons.
Lorsque
l’Église put, sans danger de profanation, avoir une Réserve
eucharistique en chacun de ses sanctuaires, elle le fit avec la plus
maternelle charité en faveur des malades et des prisonniers.
Sans
doute, le lieu et la disposition du coffre où elle conserva ce
précieux dépôt varia au cours des siècles. On connut de modestes
niches creusées dans le mur de l'abside ou du chœur, l'armarium
sacré aux formes diverses ; la tour eucharistique, isolée dans une
nef ; la colombe d'or ou d argent qui est encore en usage à
Solesmes, à Saint-Julien-le-Pauvre de Paris et en quelques autres
sanctuaires. Mais la discipline actuelle [1935] exige que le
tabernacle soit scellé au milieu d 'un autel.
Pour
la forme et la matière, les artistes jouissent d'une très grande
liberté. Le tabernacle peut être carré, rond, hexagonal,
octogonal, en forme de tente ou de coffre, d armoire ou d'arche
d'alliance, de tour ou de façade d'église. Il peut être de bois —
qui est le matériau traditionnel — de pierre ou de marbre, d'or ou
d'argent, de bronze ou de tout autre métal. Toute matière solide
peut être employée, pourvu qu'elle soit digne de l'Hôte divin.
Fermé de tous côtés, sans autre ouverture que la porte, il suffit
que le regard ne puisse pénétrer à l'intérieur.
À
côté de cette extrême liberté de construction, l’Église
demande toutefois de respecter certains principes qui lui sont chers.
Il convient que l'artiste les connaisse. Le bon sens et la tradition
chrétienne les justifient pleinement ; les livres liturgiques et les
décrets de la Congrégation des Rites les ont nettement promulgués.
1°
- Il n’y a qu’un tabernacle par église.
Le
besoin des malades, pour lesquels l’Église conserve l'Eucharistie
après la Messe, n'exige qu'un tabernacle par édifice religieux.
Toute paroisse doit avoir cette sainte Réserve, mais en un seul
endroit. Bien que les autels secondaires se soient multipliés depuis
le Moyen-Âge, afin de faciliter les messes privées, l'unité de
l'autel n'en demeure pas moins un principe liturgique. Les Orientaux
l'ont jalousement gardé jusqu'à nos jours et la plupart de leurs
églises ne possèdent qu'un autel unique. Chez nous, un autel
principal occupe toujours le centre de l'église, parce que le
Saint-Sacrifice est le centre du culte catholique.
La
Réserve étant la prolongation du Sacrifice opéré sur
l'autel-majeur, il convient qu'un lieu particulier soit consacré à
l'Eucharistie conservée. D'où la distinction de deux autels : le
maître-autel où s'accomplit la Messe ; et l'autel
de la Sainte Réserve où se prolonge la Messe.
Quant
à placer des tabernacles sur d'autres autels, surtout lorsqu'on est
certain qu'ils ne serviront jamais, c'est un abus qui vient de
l'ignorance. On a cru, à force d'en construire, que le tabernacle
était une partie essentielle de l'autel, que celui-ci comme nous
l'avons vu dans un ouvrage de vulgarisation, était destiné à
supporter celui-là.
Dans
une petite église de village, nous avons même compté neuf autels,
surmontés d'autant de tabernacles. Or, le curé a toujours été
seul, il ne se sert que de l'autel-majeur, et, au prêtre de passage
qui lui demande de célébrer dans son église, il n'en offre pas
d'autre. Ne pouvons-nous pas conclure que sept autels et sept
tabernacles au moins sont absolument inutiles ?
Il
va sans dire que certaines circonstances peuvent autoriser à
conserver l'Eucharistie à l'autel principal, mais alors, (la loi est
formelle), elle ne peut être gardée nulle part ailleurs. Il serait
certainement mieux de ne célébrer jamais sans nécessité en
présence de la Sainte Réserve.
«
Le cérémonial dressé par les papes, dit Mgr de Cormy,
nous atteste qu'on a même évité pendant longtemps de célébrer
aux autels où la Réserve se trouvait enfermée et il approuve que
l'on demeure fidèle à cette délicatesse ».
Dans
toutes les cérémonies présidées par un évêque, les règles
liturgiques veulent aussi que le Saint-Sacrement ne demeure pas au
tabernacle, fût-il habituellement au maître-autel. Dès son
arrivée, on conduit le prélat à l'autel de la Sainte Réserve, où
il fait quelques instants d'adoration avec ses assistants. Il n'est
introduit au chœur qu'après cette pieuse visite.
Le
nombre des tabernacles est donc limité dans une même église. On
évitera surtout d'en placer sur des autels qui ne servent jamais ;
on se gardera encore davantage d'en simuler par un bloc de pierre ou
de bois, comme si le milieu de l’ autel devait nécessairement être
marqué par une élévation.
L'autel
chrétien est une table qui n'a nul besoin de gradins
et de tabernacle. Lorsque celui-ci est nécessaire, il doit
être bas afin de souligner la ligne horizontale de la table d'autel.
2°
- Le tabernacle est un coffre et non un support.
Le
respect dû à cette armoire précieuse exige qu'elle ne serve jamais
de support à quoi que ce soit. Il est vrai que le ciborium
qui couvrait autrefois nos autels et même le baldaquin qui,
en France, l'a souvent remplacé, n'existe plus guère. Son usage est
tombé en désuétude, bien que les lois liturgiques en aient
conservé l'obligation, au moins pour l'autel où se conserve le
Saint-Sacrement. Pour exposer solennellement celui-ci, il a donc
fallu dresser sur l'autel un trône d'exposition, afin qu'il
fût abrité. Rien de plus normal, dans ces conditions, de placer ce
trône sur le tabernacle, s'il y en a un. N'est-ce pas le même
Seigneur que l'on sort soigneusement du coffre sacré et que l'on
dispose plus haut, afin de donner aux fidèles la satisfaction de
voir les Apparences sous lesquelles Il se cache ?
Mais
il est absolument défendu de laisser ce trône en permanence ;
autrement dit, on doit le retirer dès que l'exposition est achevée.
Les artistes ne le feront par conséquent jamais de pierre, de marbre
ou de toute autre matière lourde. Ils s'efforceront de le construire
aussi léger que possible, afin que les clercs ou les employés
chargés de le placer et de le retirer puissent accomplir aisément
leur fonction et que la loi du moindre effort, que nous connaissons
tous, n'y fasse point obstacle.
Le
tabernacle n'est pas un support et l’Église défend formellement
d'y placer des tableaux, images ou statues, des candélabres, des
vases de fleurs, des reliques et même celle de la vraie croix.
Le
crucifix, qui doit dominer l'autel et en occuper le centre, doit
régulièrement être placé derrière le tabernacle et non dessus.
Les deux exemples qui illustrent cet article montrent clairement la
position de cette croix d'autel. Tel est l’esprit des lois
liturgiques, sinon une prescription formelle. Mais il est interdit
d'une façon absolue de placer la croix sous le trône d'exposition,
car l'image du divin Crucifié ne peut recevoir les mêmes hommages
que sa personne. Or, nous la croyons présente réellement dans
l'Eucharistie et l'expositoire amovible lui est spécialement
consacrée.
3°
- Le tabernacle doit être entièrement voilé.
Tous
les peuples ont employé et emploient des parasols, pavillons et dais
portatifs, sous une forme ou sous une autre, pour couvrir et protéger
les personnes et certains objets qu'ils reconnaissent dignes de
respect et qu'ils veulent honorer.
Le
ciborium, auquel nous faisions allusion plus haut, n'avait pas
d'autre but : il couvrait l'autel du sacrifice. N'est-il pas naturel
d'abriter également le coffre qui contient le Souverain Maître du
Temple catholique ? Cela convient d'autant plus que le dit ciborium
ou dais est souvent absent.
Le
tabernacle a, d'ailleurs, une forme bien particulière, qui ne
ressemble en rien aux monuments lourds et pesants qu'on décore
aujourd'hui de ce nom. Il suffit qu'ils aient un peu plus de la
hauteur des ciboires qu'on veut y conserver.
Certains
tabernacles modernes sont d’une hauteur exagérée : ils écrasent
la table d’autel et nuisent à sa ligne,
nécessairement horizontale, par une élévation massive. Quand
nous délivrera-t-on de ces disgracieux blocs de pierre, encastrés
dans d'épais gradins ?
Un
retour à la conception du tabernacle sera l'unique solution. Une
tente, de guerre ou de voyage, est en proportion de ceux qu'elle
abrite. Or le tabernacle est avant tout une tente. Le mot tentorium
que l'on donne au voile qui l'enveloppe, le mot pavillon, que
certains auteurs emploient comme synonyme de conopée, ne
prêtent pas à une autre interprétation.
Cette
étoffe n'est-elle pas la tente elle-même et le tabernacle,
primitivement de bois, n'en est-il pas le bâti, le simple support ?
Toute
notre attention devrait donc se porter sur cette tenture, qui fait
honneur à celui qu'elle abrite et qui cache aux regards des fidèles
le vase sacré ? C'est une loi générale de voiler ainsi tous les
vases destinés à recevoir l'Eucharistie : calice, ciboire,
etc... L'ostensoir lui-même, qui n'est pourtant pas un vase
sacré proprement dit, doit être recouvert d'un rectangle de soie
blanche, lorsqu'il ne contient pas les saintes Espèces.
Le
conopée est donc le manteau royal de notre Maître. Qui donc oserait
l'en priver? On le met dès qu'on dépose la sainte hostie dans le
tabernacle et on le retire lorsque celle-ci en est ôtée. Il sera le
signe authentique, le seul signe de la présence réelle. Beaucoup
mieux que les lampes, dont reliques, statues et icônes saintes
peuvent recevoir l'honneur, le conopée marquera avec certitude que
l'Hôte divin est là.
L'obligation
de cette enveloppe ne peut faire aucun doute, puisque plusieurs
décrets de la Congrégation des Rites l'ont expressément rappelée.
L'usage contraire ne peut être conservé. Aucune décoration, même
précieuse, ne peut en dispenser, et, comme ce conopée peut aussi
bien être de lin ou de chanvre que de soie, de laine ou de coton que
de drap d'or ou d'argent, la pauvreté de l'église ne peut être
invoquée pour s'en exempter.
Un
orfèvre sans religion pourrait sans doute regretter que son œuvre
fut ainsi vouée à une obscurité définitive. Nous ne saurions le
blâmer. Mais l'artiste chrétien, qui croit en la présence du
Prisonnier volontaire, se réjouit au contraire d'avoir œuvré, pour
Lui seul, une demeure précieuse. Pour lui, ce manteau d'honneur qui
le cache aux yeux de la foule et que soutient le marbre immaculé
fouillé par son ciseau ; pour Lui seul, ces ornements de bronze ou
d'or qui courent autour du pavillon royal ; pour Lui seul, cette
porte ciselée, martelée, où triomphe le monogramme du Christ ;
pour Lui seul, cette étoffe de soie blanche ou ces panneaux dorés
qui ornent l'intérieur de son petit palais.
Référence
L'auteur était le cérémoniaire du cardinal-archevêque de Paris, Jean Verdier (1929-1940).