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mercredi 7 mars 2018

Le tabernacle liturgique, d'après l'abbé Robert Lesage, 1935


Tabernacle en forme d'arche d'alliance, Séminaire de S. Sulpice
Au début de l'ère chrétienne il n'y avait pas de tabernacle . L'idée de conserver le Saint-Sacrement dans les églises ne put venir aux chrétiens qu'après la période des persécutions. Aux époques troublées, les fidèles emportaient chez eux les saintes Espèces et les cachaient dans leurs maisons.

Lorsque l’Église put, sans danger de profanation, avoir une Réserve eucharistique en chacun de ses sanctuaires, elle le fit avec la plus maternelle charité en faveur des malades et des prisonniers.

Sans doute, le lieu et la disposition du coffre où elle conserva ce précieux dépôt varia au cours des siècles. On connut de modestes niches creusées dans le mur de l'abside ou du chœur, l'armarium sacré aux formes diverses ; la tour eucharistique, isolée dans une nef ; la colombe d'or ou d argent qui est encore en usage à Solesmes, à Saint-Julien-le-Pauvre de Paris et en quelques autres sanctuaires. Mais la discipline actuelle [1935] exige que le tabernacle soit scellé au milieu d 'un autel.

Pour la forme et la matière, les artistes jouissent d'une très grande liberté. Le tabernacle peut être carré, rond, hexagonal, octogonal, en forme de tente ou de coffre, d armoire ou d'arche d'alliance, de tour ou de façade d'église. Il peut être de bois — qui est le matériau traditionnel — de pierre ou de marbre, d'or ou d'argent, de bronze ou de tout autre métal. Toute matière solide peut être employée, pourvu qu'elle soit digne de l'Hôte divin. Fermé de tous côtés, sans autre ouverture que la porte, il suffit que le regard ne puisse pénétrer à l'intérieur.

À côté de cette extrême liberté de construction, l’Église demande toutefois de respecter certains principes qui lui sont chers. Il convient que l'artiste les connaisse. Le bon sens et la tradition chrétienne les justifient pleinement ; les livres liturgiques et les décrets de la Congrégation des Rites les ont nettement promulgués.

1° - Il n’y a qu’un tabernacle par église.

Le besoin des malades, pour lesquels l’Église conserve l'Eucharistie après la Messe, n'exige qu'un tabernacle par édifice religieux. Toute paroisse doit avoir cette sainte Réserve, mais en un seul endroit. Bien que les autels secondaires se soient multipliés depuis le Moyen-Âge, afin de faciliter les messes privées, l'unité de l'autel n'en demeure pas moins un principe liturgique. Les Orientaux l'ont jalousement gardé jusqu'à nos jours et la plupart de leurs églises ne possèdent qu'un autel unique. Chez nous, un autel principal occupe toujours le centre de l'église, parce que le Saint-Sacrifice est le centre du culte catholique.

La Réserve étant la prolongation du Sacrifice opéré sur l'autel-majeur, il convient qu'un lieu particulier soit consacré à l'Eucharistie conservée. D'où la distinction de deux autels : le maître-autel où s'accomplit la Messe ; et l'autel de la Sainte Réserve où se prolonge la Messe.

Quant à placer des tabernacles sur d'autres autels, surtout lorsqu'on est certain qu'ils ne serviront jamais, c'est un abus qui vient de l'ignorance. On a cru, à force d'en construire, que le tabernacle était une partie essentielle de l'autel, que celui-ci comme nous l'avons vu dans un ouvrage de vulgarisation, était destiné à supporter celui-là.

Dans une petite église de village, nous avons même compté neuf autels, surmontés d'autant de tabernacles. Or, le curé a toujours été seul, il ne se sert que de l'autel-majeur, et, au prêtre de passage qui lui demande de célébrer dans son église, il n'en offre pas d'autre. Ne pouvons-nous pas conclure que sept autels et sept tabernacles au moins sont absolument inutiles ?

Il va sans dire que certaines circonstances peuvent autoriser à conserver l'Eucharistie à l'autel principal, mais alors, (la loi est formelle), elle ne peut être gardée nulle part ailleurs. Il serait certainement mieux de ne célébrer jamais sans nécessité en présence de la Sainte Réserve.

« Le cérémonial dressé par les papes, dit Mgr de Cormy, nous atteste qu'on a même évité pendant longtemps de célébrer aux autels où la Réserve se trouvait enfermée et il approuve que l'on demeure fidèle à cette délicatesse ».

Dans toutes les cérémonies présidées par un évêque, les règles liturgiques veulent aussi que le Saint-Sacrement ne demeure pas au tabernacle, fût-il habituellement au maître-autel. Dès son arrivée, on conduit le prélat à l'autel de la Sainte Réserve, où il fait quelques instants d'adoration avec ses assistants. Il n'est introduit au chœur qu'après cette pieuse visite.

Le nombre des tabernacles est donc limité dans une même église. On évitera surtout d'en placer sur des autels qui ne servent jamais ; on se gardera encore davantage d'en simuler par un bloc de pierre ou de bois, comme si le milieu de l’ autel devait nécessairement être marqué par une élévation.

L'autel chrétien est une table qui n'a nul besoin de gradins et de tabernacle. Lorsque celui-ci est nécessaire, il doit être bas afin de souligner la ligne horizontale de la table d'autel.

2° - Le tabernacle est un coffre et non un support.

Le respect dû à cette armoire précieuse exige qu'elle ne serve jamais de support à quoi que ce soit. Il est vrai que le ciborium qui couvrait autrefois nos autels et même le baldaquin qui, en France, l'a souvent remplacé, n'existe plus guère. Son usage est tombé en désuétude, bien que les lois liturgiques en aient conservé l'obligation, au moins pour l'autel où se conserve le Saint-Sacrement. Pour exposer solennellement celui-ci, il a donc fallu dresser sur l'autel un trône d'exposition, afin qu'il fût abrité. Rien de plus normal, dans ces conditions, de placer ce trône sur le tabernacle, s'il y en a un. N'est-ce pas le même Seigneur que l'on sort soigneusement du coffre sacré et que l'on dispose plus haut, afin de donner aux fidèles la satisfaction de voir les Apparences sous lesquelles Il se cache ?

Mais il est absolument défendu de laisser ce trône en permanence ; autrement dit, on doit le retirer dès que l'exposition est achevée. Les artistes ne le feront par conséquent jamais de pierre, de marbre ou de toute autre matière lourde. Ils s'efforceront de le construire aussi léger que possible, afin que les clercs ou les employés chargés de le placer et de le retirer puissent accomplir aisément leur fonction et que la loi du moindre effort, que nous connaissons tous, n'y fasse point obstacle.

Le tabernacle n'est pas un support et l’Église défend formellement d'y placer des tableaux, images ou statues, des candélabres, des vases de fleurs, des reliques et même celle de la vraie croix.

Le crucifix, qui doit dominer l'autel et en occuper le centre, doit régulièrement être placé derrière le tabernacle et non dessus. Les deux exemples qui illustrent cet article montrent clairement la position de cette croix d'autel. Tel est l’esprit des lois liturgiques, sinon une prescription formelle. Mais il est interdit d'une façon absolue de placer la croix sous le trône d'exposition, car l'image du divin Crucifié ne peut recevoir les mêmes hommages que sa personne. Or, nous la croyons présente réellement dans l'Eucharistie et l'expositoire amovible lui est spécialement consacrée.

3° - Le tabernacle doit être entièrement voilé.

Tabernacle, église Saint-Julien-le-Pauvre, Paris

Tous les peuples ont employé et emploient des parasols, pavillons et dais portatifs, sous une forme ou sous une autre, pour couvrir et protéger les personnes et certains objets qu'ils reconnaissent dignes de respect et qu'ils veulent honorer.

Le ciborium, auquel nous faisions allusion plus haut, n'avait pas d'autre but : il couvrait l'autel du sacrifice. N'est-il pas naturel d'abriter également le coffre qui contient le Souverain Maître du Temple catholique ? Cela convient d'autant plus que le dit ciborium ou dais est souvent absent.

Le tabernacle a, d'ailleurs, une forme bien particulière, qui ne ressemble en rien aux monuments lourds et pesants qu'on décore aujourd'hui de ce nom. Il suffit qu'ils aient un peu plus de la hauteur des ciboires qu'on veut y conserver.

Certains tabernacles modernes sont d’une hauteur exagérée : ils écrasent la table d’autel et nuisent à sa ligne, nécessairement horizontale, par une élévation massive. Quand nous délivrera-t-on de ces disgracieux blocs de pierre, encastrés dans d'épais gradins ?

Un retour à la conception du tabernacle sera l'unique solution. Une tente, de guerre ou de voyage, est en proportion de ceux qu'elle abrite. Or le tabernacle est avant tout une tente. Le mot tentorium que l'on donne au voile qui l'enveloppe, le mot pavillon, que certains auteurs emploient comme synonyme de conopée, ne prêtent pas à une autre interprétation.

Cette étoffe n'est-elle pas la tente elle-même et le tabernacle, primitivement de bois, n'en est-il pas le bâti, le simple support ?

Toute notre attention devrait donc se porter sur cette tenture, qui fait honneur à celui qu'elle abrite et qui cache aux regards des fidèles le vase sacré ? C'est une loi générale de voiler ainsi tous les vases destinés à recevoir l'Eucharistie : calice, ciboire, etc... L'ostensoir lui-même, qui n'est pourtant pas un vase sacré proprement dit, doit être recouvert d'un rectangle de soie blanche, lorsqu'il ne contient pas les saintes Espèces.

Le conopée est donc le manteau royal de notre Maître. Qui donc oserait l'en priver? On le met dès qu'on dépose la sainte hostie dans le tabernacle et on le retire lorsque celle-ci en est ôtée. Il sera le signe authentique, le seul signe de la présence réelle. Beaucoup mieux que les lampes, dont reliques, statues et icônes saintes peuvent recevoir l'honneur, le conopée marquera avec certitude que l'Hôte divin est là.

L'obligation de cette enveloppe ne peut faire aucun doute, puisque plusieurs décrets de la Congrégation des Rites l'ont expressément rappelée. L'usage contraire ne peut être conservé. Aucune décoration, même précieuse, ne peut en dispenser, et, comme ce conopée peut aussi bien être de lin ou de chanvre que de soie, de laine ou de coton que de drap d'or ou d'argent, la pauvreté de l'église ne peut être invoquée pour s'en exempter.

Un orfèvre sans religion pourrait sans doute regretter que son œuvre fut ainsi vouée à une obscurité définitive. Nous ne saurions le blâmer. Mais l'artiste chrétien, qui croit en la présence du Prisonnier volontaire, se réjouit au contraire d'avoir œuvré, pour Lui seul, une demeure précieuse. Pour lui, ce manteau d'honneur qui le cache aux yeux de la foule et que soutient le marbre immaculé fouillé par son ciseau ; pour Lui seul, ces ornements de bronze ou d'or qui courent autour du pavillon royal ; pour Lui seul, cette porte ciselée, martelée, où triomphe le monogramme du Christ ; pour Lui seul, cette étoffe de soie blanche ou ces panneaux dorés qui ornent l'intérieur de son petit palais.

Référence

Abbé Robert Lesage, « Le Tabernacle liturgique », in L’Art sacré, n°1, juillet 1935, p. 26-27.

L'auteur était le cérémoniaire du cardinal-archevêque de Paris, Jean Verdier (1929-1940).