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samedi 1 septembre 2018

Les principales erreurs du temps présent, par Louis-Édouard Cardinal Pie, 1855


Louis-Édouard Cardinal Pie, évêque de Poitiers (1849-1880)


I. L'ennemi du genre humain, Messieurs et chers Coopérateurs, change de langage et modifie le ton de sa voix selon la nécessité des temps et la marche des idées ; il varie ses évolutions selon la tournure des événements et les chances du combat. C'est ainsi qu'aux négations hardies et tranchées de l'arianisme on vit succéder autrefois les concessions savamment hypocrites des demi-ariens, et que les assertions effrontées du naturalisme pélagien firent place aux prétentions honnêtes et modérées d'un semi-pélagianisme en apparence assez innocent. Assurément, c'est là un spectacle digne d'intérêt et consolant à plusieurs égards.

Tandis que la vérité catholique grandit dans la lutte, tandis qu'elle se développe, qu'elle se précise, qu'elle s'illumine dans la discussion, tandis qu'elle arbore son drapeau avec d'autant plus de courage qu'il est en butte à plus d'assauts, l'erreur, poursuivie par la lumière, est condamnée à s'amoindrir, à se restreindre, à s'envelopper d'ombres et de ténèbres, à céder une partie du terrain et à recourir à mille subterfuges pour garder un dernier retranchement.

Toutefois, n'allez pas, par le trop vif désir du repos après de longs combats, négliger ces propositions équivoques, ces réticences calculées, ces rétractations imparfaites, ces formules tronquées : dangereuses embuscades derrière lesquelles l'ennemi ne tarderait pas à rétablir toutes ses batteries. Si c'est un axiome de la sagesse antique « qu'il ne faut pas mépriser les moindres avantages dans un adversaire », c'est surtout quand il s'agit des adversaires de l'orthodoxie que la vigilance est indispensable. On sait quel parti la subtilité des hérésiarques ne manque jamais de tirer des dernières ressources qui leur sont laissées. L'arianisme n'avait-il pas fini par tout admettre pourvu qu'on lui accordât un iota ? Et l'addition de cet iota, c'était la renaissance prochaine et infaillible de toute la perversité arienne réfugiée et, pour ainsi dire, condensée sous cet unique trait de plume. La gloire de saint Athanase, de saint Hilaire et de tant d'autres, ce fut d'avoir aperçu la ruse, d'avoir démêlé et poursuivi l'erreur jusque dans ses plus secrets replis.

Nous ne vous le dissimulerons pas, Messieurs et chers Coopérateurs : si nous ne consultions que nos goûts personnels, si nos désirs pouvaient devenir la règle de nos devoirs, nous nous persuaderions volontiers que tous les périls de la religion comme de la société sont passés, et que l'époque actuelle offre tous les caractères et tous les avantages d'un de ces temps de trêve que le Dieu des combats ne refuse pas toujours à l'Église militante. Le besoin des temps nous inclinerait aisément à croire à un retour sincère, à un rapprochement sérieux de la philosophie vers le christianisme ; et nous ne serions pas insensible à la renommée de tolérance, de conciliation, à la réputation d'esprit pratique et expérimenté que les maîtres de l'opinion, les oracles du.goût et des convenances, les princes de la science et de la politique mondaine ne refuseraient peut-être pas de nous faire.

Du moins, il nous serait doux et commode de former notre conscience de telle sorte que, tout occupé de procurer le salut individuel des âmes, de multiplier et de développer les moyens de sanctification sur tous les points du territoire qui nous est directement confié, nous pussions rester dans une attitude indifférente envers les ennemis publics de notre foi, nous en rapporter au bon sens des peuples pour la réfutation de tant de paradoxes, laisser mourir à nos pieds des traits désormais émoussés et sans vertu. Après avoir mesuré de l'œil les adversaires de la religion et de la société, au lieu de redescendre péniblement dans l'arène, nous aimerions à dire avec le noble dédain de cet ancien héros : « Montons au Capitole ».

Mais non, Messieurs, nous ne pourrions, sans trahison, nous abandonner à une fausse sécurité ; nous ne pourrions, sans encourir les anathèmes lancés contre les lâches prophètes, « crier la paix là où n'est pas la paix (Ézéchiel 13, 10) », ni chanter victoire quand les nécessités de la cause nous rappellent au combat.

La grande conspiration ourdie contre Notre-Seigneur Jésus-Christ, contre sa religion surnaturelle et révélée, contre son Église et son sacerdoce, après un temps d'arrêt trop court, a repris sa marche et recommencé ses manœuvres. Un silence plus long de la part des pasteurs finirait par autoriser, dans l'esprit des peuples, ces docteurs perfides « qui font des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres (Isaïe 5, 20) », et dont les sophismes ont déjà séduit ce trop grand nombre d'intelligences flottantes et incertaines qui tournent à tout vent de doctrine. Disons-le donc avec saint Hilaire : « Il est temps de parler, parce que le temps de se taire est désormais passé » : « Tempus est loquendi, quia jam prœteriit tempus tacendi (Contra Constantium, I).

Si quelque hésitation pouvait encore nous retenir, Messieurs et chers Coopérateurs, tout doute a cessé pour nous le jour où nous avons reçu la mémorable allocution prononcée par le Vicaire de Jésus-Christ dans le consistoire secret du neuf décembre dernier [1854], en présence de la plus imposante réunion d'évêques qui se soit vue depuis plusieurs siècles. Après avoir imploré la Vierge Immaculée au lendemain de son grand jour de triomphe, afin qu'elle fasse descendre de ses lèvres les paroles les plus utiles au salut et à la prospérité de l'Église de Dieu, le Prince du Sénat apostolique signale à ses frères dans l'épiscopat les erreurs capitales de notre époque, et il les exhorte à ranimer toutes leurs forces pour les combattre. À l'exemple de plusieurs de nos vénérables collègues, nous avons reçu ces solennels avertissements « comme une consigne du ciel1 ».

Aussi avons-nous pensé qu'en cette pieuse réunion de prêtres groupés autour de leur évêque, il serait utile et opportun de faire retentir un écho des instructions que l'épiscopat a reçues de son chef. De telle sorte que, vous et moi,

(…) réjouis et ranimés par la voix même du bienheureux Pierre, qui vit et qui vivra dans ses successeurs, nous sortions de ce cénacle investis d'une nouvelle force pour travailler au salut des brebis qui nous sont confiées, et pour défendre avec ardeur et résolution la cause sacrée de l'Église au milieu de toutes les difficultés du temps2.

II. Oui, d'abord,

(...) il est déplorable et il est trop certain qu'il existe encore au milieu de nous une race impie et incrédule qui voudrait, s'il était possible, exterminer tout culte religieux. Tels sont principalement ces hommes qu'unit un lien infernal, et dont les machinations occultes tendent incessamment à la violation de tout droit public ou privé, au bouleversement de toute société sacrée et séculière ; grands coupables sur la tête desquels tombent directement ces paroles du divin réparateur : « Vous avez Satan pour père, et vous voulez faire les œuvres de votre père » (Jean 8, 44)3.

Vous le savez, nos chers Coopérateurs, et les passions qui fermentent de tout côté sous vos yeux vous le démontrent assez, ce cri d'alarme ne procède pas d'une vaine terreur. Vous qui connaissez l'état des choses et des esprits autrement que par des phrases banales et trompeuses, vous qui touchez chaque jour de la main les plaies morales et les souffrances de tout genre de notre infortuné pays [la France], vous qui entendez rugir tant de sourdes colères, vous pouvez dire si le monde n'a rien à craindre de ces provocations incendiaires jetées quotidiennement au milieu des passions les plus inflammables.

Toutefois, ce n'est pas à propos des ennemis forcenés de tout bien et de tout ordre que le Vicaire de Jésus-Christ excite principalement le zèle des pasteurs. Nous n'avons à peu près aucune action sur ces âmes. Et d'ailleurs, il peut paraître à quelques-uns qu'avec de tels adversaires, le remède du mal est dans sa violence même, et que son exagération mesure son étendue. Prédicateurs effrontés de toutes les doctrines de subversion, organes en quelque sorte officiels de l'enfer, il semble que ces publicistes fougueux ne doivent compter pour lecteurs que les partisans déterminés de leurs excès, les complices de leurs exécrables complots. Il est vrai.

Cependant, nos chers Coopérateurs, vous et moi nous n'aurions pas rempli notre devoir, nous n'aurions pas déchargé notre conscience et « délivré notre âme » (Ézéchiel 3, 19) si nous ne faisions entendre à ce sujet un grave avertissement.

Oui, il est au milieu de nous, dans nos villes et dans nos bourgades, un assez grand nombre d'hommes qui se flattent d'appartenir au parti de la modération, et qui ont le tort insigne de prêter chaque jour de nouvelles forces au monstre qui les dévorera. L'expérience leur avait apporté de cruelles leçons ; mais qui se souvient des leçons de l'expérience ?

« Sachez-le donc bien, mon Frère : cette feuille quotidienne ou périodique qui affiche l'outrage et le blasphème envers la première majesté, qui attaque incessamment l'Église, ses institutions, ses ministres, et qui ébranle par là même le fondement de la société civile et le rempart des intérêts matériels, n'ira pas impunément, chaque matin ou chaque semaine, se poser sur votre table, sous vos yeux et sous les yeux de vos serviteurs. Sans faire injure à votre intelligence, j'oserai vous dire que, sur beaucoup de points, elle n'est pas à l'épreuve des sophismes les plus grossiers. Toutes les fois qu'il ne s'agit pas de la conservation immédiate de votre fortune, de votre influence, de votre bien-être, je vous trouve encore imbu de tant de préjugés, accessible à tant de mensonges, que je dois trembler en vous voyant journellement aux prises avec un discoureur qui n'est pas sans habileté jusque dans ses emportements. La vérité est qu'il réussit à faire accepter de votre esprit ces principes-là même dont votre volonté repousse le plus énergiquement les conséquences. Croyez-moi, la présence assidue de ce mauvais génie ne vaut rien ni auprès de vous ni auprès des vôtres. Cette fréquentation funeste pervertit la rectitude de votre jugement ; et, de plus, elle fait sous votre toit les affaires du parti du désordre qui, au jour décisif, est toujours assuré de rencontrer quelques auxiliaires dans toute maison où il a trouvé, en temps de paix, des complaisants et des dupes. »

Plaise à Dieu, Messieurs et chers Coopérateurs, que ces conseils soient entendus de ceux à qui nous les adressons, et qu'ils contribuent à suspendre la marche, chaque jour plus effrayante, de cette démoralisation sociale dont les progrès ne s'expliquent que trop pour quiconque est témoin de la scandaleuse connivence de ceux qui auraient le plus intérêt à la prévenir ! En vérité, certains hommes semblent avoir juré de ressembler jusqu'à la fin à ces enfants incorrigibles qui s'obstinent à jouer avec le feu, persuadés qu'il sera toujours temps d'en arrêter les ravages, et qu'on voit ensuite fondre en pleurs et se désespérer en présence de l'incendie qu'ils ont bien pu allumer, mais qu'ils ne peuvent éteindre.

III.
À cette exception près, Nos très-chers frères, nous avouons que les hommes de ce temps ont généralement horreur de la perversité des incrédules, et qu'il se manifeste de toutes parts une certaine inclination des esprits vers la religion et la foi. Soit qu'on en doive chercher la cause dans le souvenir des forfaits atroces que l'irréligion du siècle précédent [le XVIIIe siècle] avait enfantés, ou dans la crainte de ces émeutes et de ces révolutions qui menacent toutes les existences et bouleversent toutes les sociétés ; soit qu'on doive l'attribuer à l'action de l'Esprit divin qui souffle où il veut et quand il veut, il est certain que nous voyons diminuer de jour en jour le nombre de ces esprits de perdition qui se font une gloire et un mérite de ne croire à rien, tandis qu'au contraire nous entendons louer souvent l'honnêteté de la vie et des mœurs, et nous constatons un sentiment général d'admiration pour la religion catholique, dont la beauté ne frappe pas moins les yeux que la lumière du soleil.

Assurément, Nos très-chers frères, ce n'est pas là un médiocre bien, et il faut y reconnaître comme un premier pas vers la vérité : quidam quasi ad veritatem progressus ; toutefois, il reste plusieurs obstacles qui arrêtent les hommes sur le chemin et qui les empêchent d'embrasser la vérité entièrement4.

Qui de vous, Messieurs et chers Coopérateurs, ne reconnaît la justesse profonde de ces observations ? Oui, sans nul doute, la période dans laquelle nous vivons est meilleure à certains égards que la période qui a précédé. Sous l'empire des circonstances que nous avons traversées, et par le concours de plusieurs causes diverses, de précieux résultats ont été obtenus. Il est même des esprits que la grâce a complètement changés, des cœurs qu'elle a entièrement conquis.

Nous serions indiscret et précipité peut-être si nous nommions ici tel historien éminent, qui eut longtemps le malheur de méconnaître l'action divine du christianisme parmi les éléments confus de nos origines nationales, et qui désormais, éclairé d'une lumière plus haute et plus désirable que la lumière même des yeux, demande au Ciel le temps de revoir ses œuvres pour y restituer au Verbe fait chair la grande part qui lui revient dans l'histoire de l'humanité régénérée par son sang et par ses doctrines.

Ah ! Dieu le sait, tandis qu'au fond de nos provinces nous suivons d'un œil attentif le mouvement des esprits, épiant jusque sous la moindre syllabe des anciens chefs de l'école anti-chrétienne un signe sincère de retour à la foi, s'il nous arrive de rencontrer dans leurs nouveaux écrits quelque symptôme de conversion véritable, à l'instant nous bénissons le Seigneur de sa grande miséricorde, et nous le conjurons d'achever l'œuvre de sa grâce. C'est ainsi que nous portons chaque jour au saint autel le nom de plusieurs de nos frères, auxquels nous sommes complètement inconnu, mais qu'un sentiment de charité sainte rend présents à notre âme depuis qu'il nous a semblé que le nom de Jésus-Christ s'échappait de leurs lèvres ou de leur plume avec cet accent qui ne se contrefait point et qui dénote la touche intérieure de l'Esprit-Saint.

Mais, hélas ! combien il est rare encore cet accent de conviction surnaturelle; et, pour quelques-uns qui savent « prononcer le nom du Seigneur Jésus dans le Saint-Esprit » (1 Corinthiens 12, 3), combien d'autres qui disent : « Seigneur, Seigneur, et qui n'entreront pas dans le royaume des cieux » (Matthieu 7, 21), parce qu'en invoquant ce Nom sacré, ils en dénaturent le sens, ils en blasphèment la vertu ! Des phrases toutes païennes sur la beauté de la morale, une admiration philosophique de l'Évangile et du christianisme, voilà sans doute une sorte d'acheminement vers la vérité : quidam quasi ad veritatem progressus. Mais qu'il y a loin de là au terme qu'il faut atteindre, et que d'obstacles restent sur la route !

Redoublez ici d'attention, Messieurs et chers Coopérateurs, puisque c'est le mal présent de la société qui va vous être révélé par celui que Jésus-Christ a constitué juge suprême en Israël. Apprenez de lui que les temps actuels, malgré leurs tendances meilleures, présentent encore deux écueils contre lesquels viennent se briser le plus grand nombre des esprits. Apprenez que le double mur de séparation entre notre siècle et la vérité catholique, c'est un droit public trop souvent hostile aux libertés essentielles de l'Église, et une philosophie jalouse d'égaler ses titres à ceux de la religion. Le Souverain Pontife se contente, pour cette fois, d'indiquer brièvement le premier point, et nous n'ajouterons pas de longs commentaires à sa parole ; il s'étend davantage sur le second, et il nous exhorte à le développer après lui.

IV.
En effet, parmi ceux qui sont chargés de la direction des affaires publiques, il en est beaucoup qui aiment à se dire les protecteurs et les partisans de la religion, qui lui prodiguent leurs éloges, qui la proclament parfaitement appropriée et avantageuse à la société humaine ; mais qui n'en veulent pas moins régler sa discipline, diriger ses ministres, s'ingérer dans l'administration des choses saintes, en un mot, qui s'efforcent de renfermer l'Église dans les limites de l'État, de la dominer, elle qui est indépendante, et qui, dans les desseins de Dieu, ne peut être contenue par les bornes d'aucun empire, mais doit s'étendre jusqu'aux terres les plus éloignées et embrasser dans son sein tous les peuples et toutes les nations pour leur montrer et leur faciliter le chemin de l'éternelle félicité. (...) Et, à cette heure même, ne voyons-nous pas des gouvernements aveugles [les États-Sardes] proposer des lois qui détruisent tous les établissements ecclésiastiques et réguliers, qui foulent aux pieds et réduisent à néant, s'il était possible, tous les droits de l'Église ? (...) Fasse le ciel que ceux qui s'opposent ainsi à la liberté de la religion catholique reconnaissent enfin combien cette religion tourne à l'avantage de la chose publique, elle qui, au moyen de la doctrine qu'elle a reçue du ciel, propose et inculque à chacun des citoyens les devoirs qu'il est tenu de remplir ! Puissent-ils se persuader enfin ce que saint Félix, notre prédécesseur, écrivait autrefois à l'empereur Zénon,
qu'il n'est rien de plus utile aux princes que de laisser l'Église suivre ses lois ; car ce qui leur est salutaire, quand il s'agit des choses de Dieu, c'est de soumettre leur volonté royale aux prêtres de Jésus-Christ et non de la mettre au-dessus d'eux5.

Depuis le jour où le chef de l'Église s'exprimait ainsi, vous savez, Messieurs et chers Coopérateurs, quels attentats sacrilèges ont été consommés; vous savez les malheurs qui sont venus fondre sur nos frères les catholiques des États-Sardes et de l'Espagne. Il nous est commandé de nous taire à cet égard: le Saint-Siège avisera, et nous savons qu'il n'est pas plus déshérité de sa force que de sa sagesse. Malheur aux puissances qui appellent les foudres de l'Église sur leurs têtes ! Dix-huit siècles d'histoire nous apprennent que « tout ce que Pierre aura lié sur la terre, sera lié également dans les cieux » (Matthieu 16, 19)

Aussi, quelle n'a pas été notre stupeur en voyant que ces mêmes violences, ces mêmes spoliations sacrilèges, qui faisaient éclater des hymnes de triomphe dans les rangs de tous les adeptes de la révolution et de la démagogie, rencontraient des apologistes déclarés parmi ceux qui se flattent d'occuper les avant-postes du camp de l'ordre et de la conservation6 ! Le croirait-on ? Ces hommes qui suppliaient naguère l'Église de leur venir en aide et de proclamer sa grande et forte doctrine pour le maintien des principes sur lesquels repose le droit de la propriété privée et séculière, ce sont eux qui ressuscitent toutes les prétentions les plus brutales de leurs adversaires d'hier et qui les invoquent contre le droit de la propriété ecclésiastique et religieuse.

Ce qui n'empêche pas ces mêmes publicistes de déplorer l'affaiblissement des idées conservatrices, de signaler avec horreur chaque nouvelle apparition de ces manifestes démagogiques si menaçants pour la propriété, et de se demander avec effroi s'il pourrait jamais surgir des assemblées de législateurs capables de décréter des lois aussi révoltantes7.

Mais, en vérité, leur dirai-je, par quel renversement d'idées pourriez-vous soutenir que la propriété est une chose sacrée si elle touche à votre propre maison, et qu'elle perd ce caractère quand elle confine à la maison de Dieu ; et comment ferez-vous croire que le larcin d'un bien profane est une faute si punissable, quand les choses consacrées au service de la religion et de votre âme peuvent tous les jours être usurpées sans crime ?

Il fut dit à la France, dès le début de la révolution : « En spoliant l'Église, vous jetez la première pierre à la propriété ; l'attaque ne s'arrêtera pas là, et, avant un demi-siècle, un assaut général lui sera livré ». Cet oracle était prophétique.

Je sais bien qu'un moderne historien de notre révolution [Adolphe Thiers] s'est égayé aux dépens d'un des orateurs célèbres de la cause religieuse8 qui « déploya », dit-il, « en cette circonstance, sa faconde imperturbable », et voulut par des raisonnements bizarres et des déductions forcées « sonner l'alarme chez les propriétaires et les menacer d'un envahissement prochain9 ». Mais ce que je sais aussi, c'est que ce même historien, qui badinait agréablement sur l'effroi chimérique inspiré aux propriétaires à propos de la spoliation de l'Église, on l'a vu composer à son tour pour la défense de la propriété un honnête volume où je ne dirai pas sa faconde, mais ses arguments plus ou moins solides se déploient en quatre cent quarante pages, et où nous lisons aux premières lignes de la préface qu'il faut désormais, « si l'on ne veut pas que la société périsse, prouver ce que par respect pour la conscience humaine on n'aurait jamais autrefois entrepris de démontrer10 ». Voilà un de ces retours que la Providence se plaît à rendre nécessaires.

Que l'ébranlement de la propriété aujourd'hui ne soit pas sans rapport avec les coups portés au principe de la propriété parla négation des droits de l'Église ; c'est une vérité dont l'un de nos hommes d'État les plus éminents s'est fait l'interprète, il y a quarante ans bientôt, lorsqu'il disait dans la haute chambre :
Messieurs, j'ose vous le prédire, sous un gouvernement qui représente l'ordre, si vous n'arrêtez pas la vente de ces biens, aucun de vous ne peut être assuré que ses enfants jouiront paisiblement de leur héritage. Je sais que, dans ce siècle, on est peu frappé des raisons placées au-delà du terme de notre vie : le malheur journalier nous a appris à vivre au jour le jour. Nous vendons les bois de l'Église; nous voyons la conséquence physique et prochaine ; ...

qui est l'argent dans les caisses de l’État ;

quant à la conséquence morale et éloignée qui ne doit pas nous atteindre, peu nous importe. Messieurs, ne nous fions pas tant à la tombe ; le temps fuit rapidement dans ce pays : en France l'avenir est toujours prochain; il arrive souvent plus vite que la mort11.

Deux ou trois révolutions survenues depuis que ce discours fut prononcé, révolutions dont la dernière est plus sociale encore que politique, disent si la prévision de l'orateur était le fruit de cette logique à outrance que les faits ne justifient jamais. 

Aussi, Messieurs et chers Coopérateurs, ne cessons-nous de gémir sur les progrès toujours croissants de l'usurpation et de l'envahissement des droits de l'Église, parce que nous y voyons à la fois un crime envers Dieu et un malheur pour les nations. Nous n'exagérons rien en affirmant qu'aux plus mauvais jours du paganisme, le vieil empire romain, dans les intervalles qui séparaient les persécutions sanglantes, laissait à la communauté chrétienne plus d'autorité sur sa discipline extérieure et sur ses possessions temporelles que ne lui en reconnaissent la plupart des gouvernements modernes.

De là, à l'intérieur, la puissance publique et la propriété temporelle tenues en échec par le socialisme révolutionnaire, toujours prêt à rétorquer contre elles leurs propres arguments et leurs propres actes contre l'autorité et la propriété religieuse.

De là, dans le grand mouvement qui ébranle le monde à cette heure, le côté faible et défectueux de l'Europe ; et l'on dirait que le Ciel, après avoir armé les peuples occidentaux contre l'autocrate schismatique qui plane sur l'Orient, hésite à donner la victoire à ceux-là même dont il emploie le glaive pour sa cause, attendu que les provocations et les menaces de plusieurs d'entre eux contre Rome, leurs attentats contre la religion et l'Église, rivalisent avec les excès qu'ils avaient mission de réprimer.

Voilà ce qui nous arrête si longtemps, malgré nos prodiges de courage, sous les murailles ennemies ; voilà ce qui nous coûte tant d'argent, de sang et de larmes. Heureusement, la justice de l'entreprise, la foi et les prières de la France, l'héroïsme religieux de ses soldats, le prix de leur sang, de leurs souffrances, de leurs sacrifices, feront pencher de notre côté la balance divine.

Pour vous, Messieurs et chers Coopérateurs, dans l'intérêt de la société plus encore désormais que de la religion, nous vous recommandons de conserver avec soin les derniers débris tels quels de la propriété sacrée, et de ne pas laisser prévaloir au sein des peuples cette persuasion, trop généralement accréditée, que tout est licite contre les biens de l'Église, et qu'il n'est pas même besoin de son consentement formel pour la déposséder de son avoir. Sous l'empire de ce funeste préjugé, la chose ecclésiastique est atteinte journellement, tantôt sous une forme, tantôt sous une autre, et l'on peut dire que le combat est à la veille de finir, faute de champ de bataille.

Dans ces conjonctures, du moins, le monde ne nous accusera pas, comme il a pu le faire en d'autres temps, de cacher l'avarice ou l'ambition sous le voile des principes religieux. Certes, ces quelques parcelles de terre qui restent çà et là auprès des temples du Seigneur ou de la demeure de ses ministres, sont tellement disproportionnées avec nos be soins, que l'intérêt matériel qui s'y rattache est presque nul. S'il n'y avait donc là qu'un fait et non un principe, ce serait presque le cas de tout abandonner sans conteste ; et l'Église dépouillée de sa tunique et de tous ses vêtements, serait tentée peut-être d'offrir elle-même le dernier reste de son manteau aux spoliateurs.

Mais, précisément parce qu'aujourd'hui nos résistances sont évidemment désintéressées, elles ont acquis le droit d'être plus opiniâtres. Ne vous étonnez donc pas, Messieurs et chers Coopérateurs, lorsque nous opposons des obstacles à la facilité déplorable avec laquelle vos populations cherchent en toute circonstance à s'éviter un sacrifice quelconque moyennant l'aliénation d'une partie de votre demeure ou de votre modeste enclos.

Derrière ce coin de terre et ce pauvre toit de tuiles, nous défendons un principe qu'il ne nous est pas permis d'abandonner sans pécher en même temps contre la vertu de religion et contre la vertu de justice ; nous luttons contre une tendance que nos devanciers ont combattue au prix de leur vie ; et tout à la fois, nous repoussons un levier de démolition qui se retournerait bientôt contre toute propriété quelconque : car si Dieu est débouté de son droit de propriétaire ici-bas en ce qui concerne les nécessités de son culte, tous les titres sur lesquels se fonde la propriété humaine seront logiquement lacérés demain. Quand la cause de l'Église est méconnue, toute justice, toute subordination sont à la veille d'être violées.

C'est ce que Bossuet a dit avec son accent ordinaire, en parlant du roi d'Angleterre Henri II : Le monarque

se déclare l'ennemi de l'Église, il l'attaque au spirituel et au temporel ; il usurpe ouvertement sa puissance ; il met la main dans son trésor qui enferme la subsistance des pauvres ; il flétrit l'honneur de ses ministres par l'abrogation de leurs privilèges et opprime leur liberté par des lois qui lui sont contraires.
Prince téméraire et mal avisé, que ne peut-il découvrir de loin les renversements étranges que fera un jour dans son État le mépris de l'autorité ecclésiastique, et les excès inouïs où les peuples seront emportés !...

Et le grand évêque ajoute quelques autres paroles que je veux dire et qui seront pour nous, Messieurs, un sujet de consolation et d'espérance :

C'est, dit-il, une loi établie que l’Église ne peut jouir d'aucun avantage qui ne lui coûte la mort de ses enfants, et que pour affermir ses droits, il faut qu'elle répande du sang (...) Il paraît donc qu'elle devait du sang à l'affermissement de son autorité, comme elle en avait donné à l'établissement de sa doctrine ; et ainsi la discipline, aussi bien que la foi de l'Église, a dû avoir ses martyrs12 ».

Ce principe étant posé, Messieurs, s'il est vrai d'une part, comme l'a si bien démontré un de nos vieux maîtres dont la parole a quelquefois retenti dans ces réunions, que « l'hérésie constitutionnelle qui soumet l’Église au magistrat » est la grande hérésie de ce temps13 ; d'autre part, rien n'est rassurant comme de voir ce grand nombre d'apôtres que Dieu a suscités, en particulier depuis vingt ans [depuis 1835], pour la défense du droit méconnu. Jamais peut-être on n'a entendu, sur tant de points à la fois, les pontifes exilés, proscrits, dépouillés, emprisonnés, répondre à leurs persécuteurs par des accents plus apostoliques ; jamais la patience et la fermeté épiscopales n'ont brillé avec plus d'éclat chez un si grand nombre de nations. Or, la souffrance, dans le christianisme, c'est toujours le gage d'un prochain triomphe. L'autorité ecclésiastique renaîtra donc de ses ruines, et les mérites de tant d'illustres confesseurs de cet âge « opéreront dans la cause de la discipline les mêmes merveilles que le supplice de leurs devanciers a autrefois opérées lorsqu'il s'agissait de la croyance14 ».

La croyance, hélas ! plût à Dieu qu'elle fût en dehors de tous ces débats, et que le principe de la foi fût, du moins, respecté ! Nous n'avons parlé jusqu'ici que d'une faible partie de nos maux ; il nous reste à vous signaler, avec le chef de l'Église, « cette philosophie jalouse d'égaler ses droits à ceux « de la religion ».

V. Avant tout, Messieurs et chers Coopérateurs, rappelons ici quelques-uns des anathèmes prononcés par les Pères de la province de Bordeaux contre les principales erreurs de cette philosophie naturaliste et rationaliste qui avait envahi les écoles publiques et qui remplissait toutes les productions des écrivains les plus accrédités. Bientôt nous rapprocherons de ces condamnations le texte de plusieurs écrits très-récents et très-vantés ; vous jugerez s'ils ne tombent pas évidemment sous le coup de ces censures solennelles. Laissons la parole au vénérable concile :

Parce que la foi a toujours été et sera toujours le commencement du salut de l'homme, le fondement et la racine de toute justification, et que sans elle il est impossible de plaire à Dieu et de parvenir à la bienheureuse société de ses enfants, nous condamnons le système de ceux qui, égalant la raison et la foi, confondant le naturel et le surnaturel, représentent la philosophie humaine et la religion divine comme deux sœurs, appliquées au même titre et avec la même compétence au ministère des âmes, et capables de conduire les hommes avec un même succès, quoique par une voie différente, à leur fin dernière et à un résultat parfait15 .

Les Pères disent encore :

Nous croyons en un seul Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, consubstantiel au Père, qui pour nous et pour notre salut est descendu des cieux, et qui, nous ayant rétablis dans cette première dignité de l'état surnaturel et vraiment gratuit dont Adam était déchu par sa désobéissance, nous a donné tous les moyens nécessaires pour acquérir l'éternelle félicité. C'est pourquoi nous condamnons l'erreur de ceux qui considèrent à la vérité Notre Seigneur Jésus-Christ comme un homme plein de sagesse ou même comme un personnage divin, mais non pas comme un Dieu (...), et qui nient la nécessité et la vertu des sacrements institués par notre Sauveur et Rédempteur pour appliquer aux hommes les mérites de son sang et leur conférer la grâce qui conduit au salut16.

Le successeur de Pierre va nous dire, maintenant, si ces condamnations ne s'adressent plus aujourd'hui qu'à des ombres et à des fantômes :

En outre, vénérables Frères, il est certains hommes, distingués par leur érudition, qui avouent que la religion est le don le plus exquis que Dieu ait départi à sa créature, et qui néanmoins font un si grand cas de la raison et l'exaltent à un tel point qu'ils ont la folie de se figurer qu'elle doit être égalée à la religion elle-même. Par suite de cette vaine opinion, les sciences théologiques leur semblent devoir être traitées de la même manière que les sciences philosophiques ; tandis que les premières s'appuient sur les dogmes de la foi, fondement le plus ferme et le plus inébranlable, et que les autres, au contraire, sont le fruit de la raison humaine, si variable, si incertaine, sujette à tant d'illusions et de déceptions de tout genre. C'est pourquoi il faut montrer à ces hommes, qui élèvent plus qu'il ne convient les forces de la raison, que cela est très-contraire à cette maxime très-vraie du Docteur des nations : « Si quelqu'un pense qu'il est quelque chose, alors qu'il n'est rien, il se trompe lui-même » (Galates 6, 1). (...) Il faut les convaincre que la Providence n'a rien donné de plus excellent aux hommes que l'autorité de la foi divine ; qu'en elle ils trouveront un flambeau dans les ténèbres, un guide pour arriver à la vie, et qu'elle est absolument nécessaire pour le salut, puisque, sans la foi, « il est impossible de plaire à Dieu » (Hébreux 11, 6) et que « celui qui n'aura pas cru sera condamné » (Marc 16, 16)17.

Tel est, en effet, le point précis de la question. Hâtons-nous de le dire : il ne s'agit pas ici de débats domestiques et de querelles d'école à propos de quelques difficultés sur les attributions plus ou moins étendues de la raison, sur les limites plus ou moins reculées du domaine de la foi. Que d'autres engagent sur ce terrain, livré aux discussions, des combats plus ou moins opportuns ou intempestifs ; pour notre part, nous n'entendons point descendre dans cette arène, ni nous mêler à des luttes auxquelles nous n'apercevons aucune issue profitable pour personne. De grandes lignes ont été tracées par la main sûre et ferme de l'Église.

Par une permission de Dieu, l'autorité religieuse, en ce siècle de rationalisme, a été amenée à condamner ceux qui refusent à la raison ses lumières essentielles et ses attributs certains. Et d'autre part, depuis les siècles les plus reculés, la même autorité n'a cessé de condamner ceux qui proclament la suffisance de la raison et de la nature pour le salut. Ces points principaux, placés hors de toute controverse, nous suffisent.

Jamais l'esprit humain ne sera par nous « ni outrageusement attaqué ni petitement tracassé18 » ; nous attribuons formellement à la raison tout ce que l'Église lui attribue ; nous lui concédons largement et sans mesquine contestation tout ce que l'Église ne défend pas de lui concéder. Mais nous déclarons que le meilleur usage possible de la simple raison, que la pratique la plus parfaite de la morale et de la vertu purement naturelles ne peuvent conduire au salut, et qu'à part le cas d'ignorance invincible dont nous ne voulons pas nous occuper en ce moment19, l'honnête homme selon le monde, qui se tient à l'écart des enseignements et des pratiques de la religion révélée, ne saurait, non-seulement parvenir au bonheur du Ciel, mais encore éviter les peines de l'Enfer. C'est le dogme catholique.

Or, la prétention des philosophes de ce temps, quand ils veulent bien admettre l'existence de la foi, c'est que la raison et la foi offrent deux routes parallèles dont l'homme peut choisir l'une ou l'autre indifféremment, attendu que la voie exclusivement philosophique aboutit, tout aussi bien que la voie chrétienne, au terme final de la destinée humaine. Telle est la condition première du traité qu'ils rêvent entre le christianisme et la philosophie. Telle est la base de l'accord qu'ils prétendent nous faire accepter, et qu'ils supposent signé déjà de ceux qu'ils appellent « les sages ».

L'organe le plus célèbre du philosophisme moderne, dans la préface des éditions multipliées qu'il nous donne de ses premières œuvres, ne fait pas difficulté d'affirmer qu'il n'a rien désavoué de ses précédents écrits. Mais en même temps, il daigne se féliciter et féliciter les soldats de la cause religieuse du mouvement indubitable, bien que tardif, qui les ramène vers lui. Nous avons lu avec la plus sérieuse attention toutes les productions rajeunies de cet écrivain, nous nous sommes reporté à la plupart des publications vieillies auxquelles ses innombrables retours sur son propre passé renvoient à chaque instant le lecteur. Nous confessons bien volontiers que le Livre de ses Rétractations est encore à faire, car s'il a beaucoup retouché, il n'a rien rétracté. Nous reconnaissons hautement que, malgré mille précautions de langage, le philosophe d'aujourd'hui est bien celui auquel nos devanciers dans l'épiscopat, nos pères et nos modèles, ont fait une si longue et si énergique guerre, celui que le Saint-Siège a condamné, celui qui a donné le branle principal au panthéisme, au naturalisme, à l'éclectisme dont nos écoles ont été si tristement infectées, celui qui a outragé l'Être souverain en confondant son essence avec les êtres que sa libre volonté a tirés du néant, celui qui n'a jamais accordé à Notre Seigneur Jésus-Christ qu'un respect dérisoire, celui qui a élevé la raison humaine de chaque individu à la dignité de Verbe fait chair, celui qui n'a épargné sur son chemin aucune des vérités du dogme chrétien. Non, ce n'est pas une vaine forfanterie, ce champion de la cause rationaliste peut se glorifier avec fondement de n'avoir pas fait un pas en arrière, d'avoir ménagé à la philosophie des portes dérobées pour échapper à toutes les prises de la foi, d'avoir affaibli et ruiné toujours à la page suivante les vagues espérances que la précédente page aurait pu faire concevoir ; en un mot, il a droit à ce qu'on lui rende cette justice, qu'au milieu de mille autres variations sa doctrine n'a pas varié en ce qui concerne le christianisme.

Et ce qu'on peut ajouter, c'est que l'école dont il est le porte-étendard, sinon le chef, est demeurée aussi profondément ennemie que lui de tout l'ordre surnaturel et révélé, lequel, à leurs yeux, ou bien n'existe pas, n'est pas possible, ou, à tout le moins, n'est pas obligatoire et commandé.

VI. En effet, Messieurs et chers Coopérateurs, les principes essentiels et constitutifs du christianisme sont ceux-ci : l'élévation primitive de l'homme à une destinée surnaturelle ; sa chute, et, par suite, le vice de notre origine ; la nécessité d'une réparation et d'une réhabilitation ; l'Incarnation du Fils de Dieu, et la Rédemption par sa mort ; la croyance à tout un ensemble de moyens divinement institués pour communiquer aux âmes les fruits de la doctrine et les mérites du sang de Jésus-Christ ; l'existence d'une société gardienne et dépositaire de ces trésors ; la nécessité d'appartenir à cette société pour se sauver.

Nier ces grandes vérités, et particulièrement nier l’Incarnation, qui est le mystère central de toute l'économie religieuse, c'est nier le christianisme tout entier. Or, non-seulement aucun de ces points n'est encore admis par l'école philosophique moderne que nous avons en vue, mais il n'en est aucun qui ne soit ou formellement ou implicitement nié par elle. Prouvons-le en ce qui concerne la Révélation divine et l'Incarnation. C'est l'oracle de l'école qui va parler.

Le SEUL moyen qui nous soit donné de nous élever jusqu'à l'être des êtres, sans éprouver d'éblouissement ni de vertige, c'est de nous en rapprocher à l'aide du divin intermédiaire20.

Mais, quel est ce médiateur divin, ce médiateur unique ? Vous espérez ici peut-être le nom de Jésus-Christ. Erreur !

Entre un être fini tel que l' homme, et Dieu, substance absolue et infinie, il y a le double intermédiaire et de ce magnifique univers livré à nos regards, et de ces vérités merveilleuses que la raison conçoit, mais qu'elle n'a pas faites, pas plus que l'œil ne fait les beautés qu'il aperçoit21.

Vous l'entendez, Messieurs. Saint Paul a dit : « Il y a un seul médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus qui est homme lui-même22»

L'apôtre de la philosophie naturaliste dit à son tour :

Se rapprocher de Dieu à l'aide du divin intermédiaire, c'est-à-dire se consacrer à l'étude et à l'amour de la vérité, à la contemplation et à la reproduction du beau, surtout à la pratique du bien23 ...

tel est le SEUL moyen qui nous soit donné de nous élever jusqu'à l'être des êtres, sans éprouver d'éblouissement ni de vertige24.

Peut-on nier plus ouvertement l'existence et même la possibilité d'une révélation directe ? Peut-on combattre plus formellement la doctrine de l'Incarnation divine, et substituer plus clairement la médiation du Verbe humain, c'est-à-dire de la pure raison, à celle du Verbe fait chair ?

Or, ce n'est point un passage isolé, c'est le livre entier, ce sont plusieurs volumes fraîchement revus et corrigés qui, dans tout leur contexte, prêchent perpétuellement cet odieux naturalisme, et repoussent toutes les données les plus essentielles de la doctrine chrétienne, que, d'après une vieille tactique depuis longtemps dévoilée, on dissimule le plus souvent sous les noms de mysticisme, d'enthousiasme ou de spontanéité.

Par exemple, qu'est-ce que l'acte de foi pour le chrétien ? N'est-ce pas l'acte par lequel nous adhérons à une vérité, au mystère de la sainte Trinité, je suppose, à cause de la Révélation qui nous a été faite de cette vérité par Dieu lui-même, et non point à cause que notre raison, notre conscience, notre réflexion nous l'enseignent ? Et si la foi est une vertu théologale, n'est-ce pas précisément parce qu'elle implique un rapport direct avec Dieu, et qu'elle a Dieu lui-même pour motif et pour objet ? Telle est la doctrine élémentaire du catéchisme chrétien.

Voici celle du philosophe : 
 
Nous n'apercevons pas Dieu, mais nous le concevons sur la foi de ce monde admirable exposé à nos regards et sur celle de cet autre monde plus admirable encore que nous portons en nous-mêmes. C'est par ce double chemin que nous parvenons à Dieu. Cette marche naturelle est celle de tous les hommes : elle doit suffire à une saine philosophie. Mais il y a des esprits faibles et présomptueux qui ne savent pas aller jusque-là, ou ne savent pas s'y arrêter. (…) On n'avait pas osé admettre l'existence d'un Dieu invisible, et voilà maintenant qu'on aspire à entrer en communication immédiate avec Dieu, tout comme avec les objets sensibles et les objets de la conscience. C'est une faiblesse extrême pour un être raisonnable de douter ainsi de la raison, et c'est une témérité incroyable, dans ce désespoir de l'intelligence, de rêver une communication directe avec Dieu. Ce rêve désespéré et ambitieux, c'est le mysticisme25.

Et nous répondons, nous : ce rêve, tout ambitieux qu'elle paraisse, c'est celle de la foi et de l'espérance chrétiennes.

Sans doute, le chrétien, lui aussi, conçoit Dieu et croit à son existence sur le témoignage de sa propre raison, et sur celui de tout l'univers créé ; il arrive, ou, du moins, il peut arriver à lui par cette marche naturelle, qui est celle de tous les hommes : car le chrétien (nous le disons bien haut, vu que les adversaires du christianisme l'oublient sans cesse), le chrétien est avant tout un homme ; il n'a pas dit adieu à la raison le jour de son baptême, et tous les privilèges de sa race lui sont maintenus.

Mais ce premier pas fait vers Dieu ne suffit pas à la philosophie du chrétien. Après que sa raison lui a fait admettre l'existence d'un Dieu invisible, cette même raison, nullement présomptueuse en cela, lui enseigne que l'Être tout-puissant et tout bon peut se mettre en communication directe avec sa créature.

Et quand des témoignages certains, contrôlés et vérifiés à la lumière de la raison la plus exigeante, lui ont démontré qu'il en est véritablement ainsi, que « Dieu a daigné » réellement « parler aux hommes autrefois en plusieurs occasions », que « plus tard il leur a parlé en la personne de son Fils, descendu sur la terre »26, alors le philosophe chrétien ne sait plus s'arrêter à cette connaissance imparfaite de Dieu, qui résulte du témoignage de sa conscience.

Il n'y a point de désespoir ni de faiblesse pour son intelligence à reconnaître que Dieu en sait plus sur Sa propre nature que l'intelligence finie de l'homme n'en peut découvrir. Il entre dans le nouveau chemin que Dieu lui ordonne de suivre pour arriver à Lui. Car il sait désormais que « personne ne va au Père si ce n'est par le Fils27 » ; que « celui qui est incrédule au Fils encourt la colère de Dieu28 » ; que « personne n'a jamais vu Dieu, mais que le Fils qui est dans le sein du Père est venu lui-même nous raconter la nature divine29 »; enfin que « la vie éternelle consiste à connaître le seul vrai Dieu et Jésus-Christ, son envoyé30. »

Voulez-vous savoir, Messieurs et chers Coopérateurs, jusqu'à quel point la philosophie la plus récente, tout en portant des paroles de paix à toutes les écoles31, tout en se mettant en communion avec toutes les religions, et particulièrement avec la religion chrétienne32, se sépare criminellement du christianisme et le taxe de folie ?

Écoutez ce qui suit :
Il nous importe d'autant plus de rompre ouvertement avec le mysticisme, qu'il semble nous toucher de plus près, qu'il se donne pour le dernier mot de la philosophie, et que, par un air de candeur, il peut séduire plus d'une âme d'élite, particulièrement à l'une de ces époques de lassitude où, à la suite d'espérances excessives cruellement déçues, la raison humaine, ayant perdu la foi en sa propre puissance sans pouvoir perdre le besoin de Dieu, pour satisfaire ce besoin immortel, s'adresse à tout excepté à elle-même, et, faute de savoir aller à Dieu par la voie qui lui est ouverte, se jette hors du sens commun, et tente le nouveau, le chimérique, l'absurde même, pour atteindre l'impossible33.
Vous me demandez, Messieurs, quel est ce mysticisme si redoutable en ce moment, ce mysticisme vers lequel les âmes fatiguées de cruelles déceptions sont en danger de se porter au détriment de la philosophie ; vous le cherchez vainement autour de vous., et je vous réponds : ce mysticisme, qu'autrefois on n'a pas craint d'appeler tout haut par son nom, ce n'est autre chose que le christianisme lui-même. Car nous acceptons pour la foi chrétienne l'accusation que vous allez entendre ; s'il y a là un crime, c'est le crime de tout chrétien. Oui, « ce n'est point assez pour (…) [lui] de concevoir Dieu sous le voile transparent de l'univers et au-dessus des vérités les plus hautes. Il ne croit pas connaître Dieu34 », du moins il ne croit pas le connaître assez pour arriver au Ciel, « s'il ne le connaît que dans ses manifestations35 » naturelles « et par les signes de son existence : il veut l'apercevoir directement36 » par les lumières de la foi ici-bas, face à face dans la gloire ; « il veut s'unir à lui (…) par quelque procédé extraordinaire37 », oui, par le procédé de la vie surnaturelle, de la grâce sanctifiante, de la communion eucharistique. Sans cela, il ne serait pas chrétien, il n'aurait pas la foi et l'espérance chrétiennes, il ne vivrait pas de la vie de Jésus-Christ.

Enfin on lit plus loin :
L'erreur fondamentale du mysticisme, c'est qu'il fait de l'être infini l'objet direct de l'amour. Mais un tel amour ne se peut soutenir que par des efforts surhumains qui aboutissent à la folie38.
Vainement l'auteur se rejettera-t-il ensuite sur les excès de ce mysticisme intempérant condamné par l'Église dans le quiétisme ; la vérité est que l'accusation de folie porte ni plus ni moins sur l'acte de charité chrétienne, laquelle n'est une vertu théologale que parce qu'elle fait de Dieu « l'objet direct de l'amour ».

Qu'ajouterai-je encore, Messieurs et chers Coopérateurs ?

C'est un principe fondamental de l'Évangile que, pour arriver à la béatitude après cette vie, l'homme est tenu d'être saint ici-bas. Et la sainteté, c'est plus que la vertu humaine, c'est plus que le devoir naturel ; c'est l'observation de la loi révélée, c'est la pratique de la doctrine et de la morale évangéliques, c'est la vie de la foi et de la grâce, c'est la reproduction par chacun de nous de la vie de Jésus-Christ. « Soyez saints, parce que je suis saint, dit le Seigneur39. »

La philosophie contemporaine nous dit au contraire avec assurance :
La sainteté n'est pas plus accessible à l'homme dans cette vie que la béatitude. Nous pouvons aspirer à l'une et à l'autre par le désir et par l'espérance, mais notre objet immédiat ici-bas, c'est la vertu : là seulement réside l'obligation ; elle n'est point ailleurs. L'erreur du mysticisme est d'anticiper sur les droits de la mort (…)40.
La sainteté présuppose la vertu, et c'est la vertu qu'on doit recommander aux hommes. La sainteté ne leur manquera pas un jour des mains de la mort et de Dieu, si, vivants, ils n'ont pas manqué au devoir. La sainteté est un idéal auquel on peut aspirer ; la vertu est une loi qui nous est imposée et pour laquelle nul délai ne peut être ni demandé ni accordé41.
Ainsi, cela est clair, vivez en honnêtes philosophes, observez la vertu naturelle et le devoir humain ; mais ne rêvez pas une perfection surnaturelle qui n'est pas d'obligation et qui n'est pas compatible avec la vie présente. Renvoyez les prédications de Jésus-Christ et de son apôtre « à une autre fois42», et, pour le présent, contentez vous d'obéir aux préceptes de la raison : le surplus sera l'affaire de la mort et de Dieu.

Que dirai-je de tant d'autres assertions ? Que signifie ce Dieu de la philosophie qui est une personne comme la personne humaine, avec l'infinité de plus, et qui peut ainsi porter la Trinité chrétienne43 ? Que penser de cette énumération, si souvent renouvelée, qui met sur un même rang l'inspiration du poète, l'instinct du héros, l'enthousiasme du prophète44 ? Comment qualifier cette affectation d'assimiler les miracles du christianisme aux jongleries de la superstition45, et de faire dériver les extases et les visions de sainte Thérèse ou de la pieuse Madeleine de Saint-Joseph d'une imagination échauffée par le cœur46. Et cette accusation portée contre « la morale ascétique, qui étouffe la sensibilité au lieu de la régler, et pour sauver l'âme des passions lui commande un sacrifice de tous les instincts de la nature qui ressemble à un suicide47 »; comme aussi ce danger d' « abêtir les âmes à force de vouloir les épurer48 » ? Et ce reproche fait à
l'auteur de l'Imitation, à l'angélique habitant d'un cloître, d'appeler la mort comme une délivrance bienheureuse, et de la devancer, autant qu'il est en lui, par une continuelle pénitence et dans une adoration muette49,
comme si Notre-Seigneur Jésus-Christ n'avait pas prêché le renoncement à soi-même (Matthieu 16, 24), comme si le grand apôtre n'avait pas demandé « d'être séparé de ce corps de mort50 », et n'avait pas « désiré la dissolution de sa chair pour être avec le Christ51 » ?

VII. Vous le voyez, Messieurs, il y a là un renversement complet de tout le christianisme. Ni la Révélation, ni les miracles et les prophéties, ni l'Incarnation, ni les actes de foi, d'espérance et de charité, ni les sacrements et particulièrement l'Eucharistie, ni les préceptes et les conseils évangéliques, ni les exemples des saints, ne peuvent rester debout en présence de pareilles affirmations. Tout rapport entra Dieu et l'homme qui ne résulte pas uniquement de l'entremise de la raison et de la nature, est nié en principe et en fait. Jésus-Christ est supprimé.

Cependant, me direz-vous, le nom de Jésus-Christ se rencontre, au moins équivalemment, dans ces ouvrages philosophiques. On y parle du christianisme, du « sublime et doux crucifié », de la « folie de la croix ». Oui, cela est vrai, et je veux vous dire aussi comment saint Hilaire caractérise une des phrases de l'ancien arianisme :
La stratégie du moment, disait-il, consiste à s'abriter sous le voile spécieux de l'orthodoxie évangélique, de telle sorte que Jésus-Christ semble être annoncé alors même qu'il est nié52. (…) Ils ont introduit un nouveau Christ sous le couvert duquel l'Antéchrist pût se glisser. Car ce Christ de leur façon (hunc suum Christum), ils ne lui accordent pas la divinité ; c'est assez qu'il soit une créature plus excellente que les autres53. (…) De cette manière, ils ont réussi à tromper les simples, qui pensent que les mots renferment les croyances qu'ils expriment54,
et qui ne découvrent pas « la ruse de ces écritures composées en style d'Antéchrist : scripturam stylo antichristi compositam55 ».

Ainsi en est-il à cette heure. La religion chrétienne, on la proclame incomparablement la plus parfaite et la plus sainte de toutes les religions; mais on n'a garde de la proclamer la seule vraie ; on se glorifie au contraire d'être en communion avec toutes « les grandes philosophies » et avec « les religions qui couvrent la terre56 », comme si la religion chrétienne, qui condamne toutes les sectes dissidentes et qui se déclare divine, n'était pas réputée fausse par cela seul que d'autres religions peuvent revendiquer, même à un moindre degré, la perfection et la sainteté.

Ailleurs, on se prend à regretter que Platon n'ait pas trouvé sur la terre « la religion du sublime et doux crucifié », qu'il n'ait pas « eu affaire » à elle, lui « qui gardait déjà tant de ménagements envers la religion de son temps » ; et l'on se tient pour assuré que ce grand maître de la philosophie, ce type de l'humanité, « s'il était venu de nos jours, à défaut de la foi d'un Augustin, d'un Anselme, d'un Thomas, d'un Bossuet, aurait eu sans aucun doute les sentiments au moins d'un Montesquieu, d'un Turgot, d'un Franklin57 » ; ce qui veut dire que Platon, cette personnification suprême de la raison humaine, s'il eût vécu en des temps chrétiens, aurait pu être déiste ou protestant : voilà tout ce que l'Évangile et l'Église peuvent attendre de mieux de la philosophie.

Enfin, vous éprouvez un tressaillement de joie, parce que votre œil vient de découvrir sous la plume de l'écrivain un des mots les plus saints de l'idiome chrétien : la folie « de la croix58 » ; mais quel n'est pas votre mécompte en apprenant aussitôt que « cette folie-là », comme celle qui réside dans tout homme supérieur, c'est la partie divine de la raison, et en l'entendant comparer, soit à cette puissance mystérieuse que Socrate « appelait son démon », soit à ce que Voltaire « appelait le diable au corps », sans lequel une comédienne même ne saurait être « une comédienne de génie »59 !!!

Après de tels blasphèmes, Messieurs, qu'importent « les hommages sincères et affectueux dont la philosophie nouvelle couvre le christianisme60 » ? Qu'importe que le philosophe doive mesurer ses « progrès en philosophie par ceux de la tendre vénération » qu'il ressentira « pour la religion de l'Évangile »61 ? N'est-il pas mille fois évident que nous avons affaire à des naturalistes « qui peuvent considérer Jésus-Christ comme un homme plein de sagesse, ou même comme un personnage divin, mais qui ne confessent pas qu'il est un Dieu », et contre lesquels notre concile a prononcé sa rigoureuse condamnation62 ?

VIII. Non, le Christ de ces philosophes n'est pas le Seigneur Jésus-Christ que j'adore. C'est un Christ psychologique, conçu de l'esprit de l'homme, né de son intelligence ; celui que ma foi me révèle est conçu du Saint-Esprit, né de la bienheureuse Vierge Marie. Leur Christ est venu d'en bas, jailli des entrailles, de l'humanité ; mon Jésus est descendu d'en haut, il est sorti du sein du Père éternel. Leur Christ n'est que consubstantiel à l'homme, le mien est consubstantiel à Dieu. C'est leur propre raison qu'ils adorent en adorant le Verbe abstrait qu'ils ont fait ; et moi j'humilie ma raison devant celle de Dieu, en adorant le Verbe incarné qui m'est prêché.

Que parlez-vous de rapprochement et d'entente quand nous sommes toujours séparés par un abîme ? Prophète complaisant, comment osez-vous dire que, « malgré quelques apparences contraires, la paix est à la veille de se faire ? » Des apparences, grand Dieu ! comme si le point de litige entre eux et nous, entre l'Église et ce qu'ils appellent l'humanité, entre les défenseurs de la foi et les grands prêtres de la raison, ce n'était pas la question même de la divinité de Jésus-Christ et de sa doctrine ! Je le dirai hardiment avec saint Hilaire :
La cause qui nous force de parler aujourd'hui n'est rien moins que la cause de Jésus-Christ : Nunc non alia nobis ad dicendum causa quam Christi est (Contra Constantium imperatorem, chap. 3)
Nous croyons, nous, qu'en dehors de toutes les lois qui régissent la race humaine, en dehors de tous les perfectionnements naturels dont elle est susceptible, par un élan spontané de son amour, de son immense et excessif amour, propter nimiam charitatem suam (Éphésiens 2, 4), par un prodige qui appartient essentiellement à l'ordre surnaturel, le Verbe de Dieu, Dieu de Dieu, Lumière de Lumière, consubstantiel à son Père, est descendu des Cieux, qu'il a pris une chair, qu'il est né d'une Vierge, qu'il s'est fait homme, et qu'il a élevé tous les hommes ses frères à la qualité de fils adoptifs de Dieu et d'héritiers du Royaume céleste. Nous croyons ce dogme théologique de la venue du Verbe dans la chair, et à cause de cela, nous sommes assurés de posséder l'esprit de Dieu, d'être les enfants de Dieu : Omnis spiritus qui confitetur Jesum Christum in carne venisse, ex Deo est, dit saint Jean63. Mais, continue le disciple bien-aimé, tout esprit orgueilleux qui altère, qui dissout le dogme de Jésus, n'est pas de « Dieu : Et omnis spiritus qui solvit Jesum ex Deo non est64. Or, « un grand nombre de séducteurs ont paru dans le monde, qui ne confessent point que Jésus-Christ soit venu dans la chair »: Multi seductores exierunt in mundum, qui non confitentur Jesum Christum venisse in carnem (2 Jean 1, 7). Ils corrompent la notion surnaturelle de l'incarnation ; ils disent que le Verbe fait chair, c'est la raison suprême en tant qu'elle est communiquée à tout homme venant en ce monde ; ils ne voient dans le Christ et par le Christ que la nature humaine plus richement dotée de la raison divine ; Jésus-Christ est un homme qui a fait faire un grand pas à l'humanité, qui a déterminé un des progrès de sa marche toujours ascendante, qui a rassemblé sous forme de religion les meilleures traditions de la philosophie spiritualiste qui l'a précédé et qui devait se perfectionner encore après lui. Et ainsi la raison orgueilleuse se fait un trophée de ce qui est le plus grand, le plus impénétrable mystère de la grâce. Et ainsi la fausse sagesse réduit à des proportions humaines l'incommensurable chef-d'œuvre de la toute-puissance et de la charité divine. Or, dit encore saint Jean, « quiconque se retire et ne demeure pas dans la doctrine du Christ, celui-là est un séducteur et un antéchrist, et Dieu n'est pas en lui. Si quelqu'un vient à vous et ne vous apporte pas la doctrine révélée de Jésus-Christ, ne le recevez pas chez vous et ne le saluez pas ; car le saluer, c'est participer à ses œuvres mauvaises65 ».

Telle est, Messieurs et chers Coopérateurs, la règle sévère tracée par le disciple de la charité toutes les fois que la personne adorable de Jésus-Christ est en cause. C'est à cette recommandation du plus tendre des apôtres que nous obéissons en ce moment. Qu'importe la colère de ceux qui voudraient exploiter le silence ? Et qu'importent aussi les murmures et l'étonnement de certains hommes trop peu dociles, qui se font juges de ce qu'ils ignorent, et les plaintes de quelques esprits tournés à la paix « quand même », qui ne veulent pas qu'on trouble leurs illusions ni qu'on aborde les matières auxquelles il ne leur plaît pas de prêter leur attention ! La paix n'est possible que dans la vérité. Or, « qui donc est menteur, sinon celui qui nie que Jésus est le Christ » 66? Et qui donc est aveugle, sinon celui qui a lu les productions de ce temps [vers 1855], et qui ne voit pas que ce qui est toujours en cause, c'est Jésus-Christ ?

Oui, la question vivante qui agite le monde moderne, c'est de savoir si le Verbe de Dieu incarné, Jésus-Christ, demeurera sur les autels, ou si, sous une forme plus ou moins adoucie, la déesse Raison le supplantera au milieu de nous. Et la question ainsi posée ne comporte pour aucun chrétien l'abstention et la neutralité, n'est susceptible d'aucune transaction ni d'aucun atermoiement.

IX. Vainement voudrait-on alléguer ici que la philosophie a ses limites et qu'elle doit se garder de toute incursion, de tout empiétement sur le domaine de la révélation. Autre chose est de s'arrêter à la frontière du surnaturel, autre chose est d'en nier l'existence et les conséquences. Or, ce que nous reprochons à toute l'école moderne, ce n'est pas le soin qu'elle prend, ou du moins qu'elle pourrait prendre, d'établir et de développer par la lumière de la raison les doctrines et les préceptes de la religion naturelle. Nos théologiens, qui sont aussi des philosophes, n'ont pas négligé d'approfondir les vérités et les obligations qui peuvent jaillir de l'entendement humain et de la conscience, abstraction faite de toute loi positive et révélée.

Mais, d'une part, le philosophe, mis en présence des faits historiques et des monuments publics sur lesquels se fonde la Révélation, est obligé par sa raison et sa conscience même de se rendre à l'évidente crédibilité des témoignages qui démontrent l'existence de l'ordre surnaturel. D'autre part, l'existence de l'ordre surnaturel une fois établie, le philosophe peut sans doute, jusqu'à un certain point, s'abstenir de traiter des devoirs qui en découlent, car sa qualité de philosophe ne lui impose pas les devoirs de l'apostolat religieux, et le divin révélateur ne lui a pas confié le ministère spirituel des âmes ; mais à coup sûr, il ne peut, sans impiété et sans blasphème, soutenir que sa doctrine purement philosophique et naturelle donne aux hommes le dernier mot de leur destinée et de celle du genre humain ; il ne peut, sans sacrilège, égaler sa science, qui est la science bornée et trop souvent faillible de l'homme, à la Révélation divine, qui est une communication de la science infinie et toujours infaillible de Dieu ; enfin, il ne peut nier qu'en cas de divergence et de désaccord apparent, l'esprit humain doive s'humilier devant l'autorité de la foi, assuré d'ailleurs de rentrer ainsi dans la voie de la saine raison, attendu que, le Dieu de la Révélation étant le Dieu de la nature, sa parole surnaturelle ne saurait jamais être en contradiction avec la vérité qu'il a primitivement déposée en nous, mais que nous savons trop souvent obscurcir.

Or, Messieurs et chers Coopérateurs, c'est ici que nous avons à vous signaler la conjuration générale et permanente du philosophisme qui nous envahit de toutes parts. L'assertion la plus chère à toute l'école contemporaine, le point sur lequel toutes les divisions cessent et l'accord le plus unanime s'établit, c'est que l'esprit de l'homme n'a d'autre maître que lui-même.

L'indépendance, l'émancipation de la raison, telle est la maxime suprême : conquête tardive, on 1 l'avoue, puisque les uns ne la font dater que du XVIIe67 ou du XVIIIe68 siècle, et que les autres lui assignent tout au plus trois dates principales dans le passé : Abélard, Descartes, 1789, ou bien encore, la Renaissance, la Philosophie et la Révolution69 ; mais conquête sacrée et sublime qu'il faut garder et défendre à tout prix. « Ou la philosophie n'est pas », s'écrie-t-on, « ou elle est la dernière explication de toutes choses70 ». Et nous disons, nous : ou la religion révélée n'existe pas, ou elle est l'explication de mille choses que n'explique pas la philosophie ; ou le christianisme n'existe pas, ou il faut admettre qu'il enseigne à l'homme des vérités que sa raison n'avait pas découvertes, qu'il lui impose des devoirs positifs que sa conscience seule ne lui dictait pas, enfin qu'il lui assigne une destinée à laquelle sa nature ne pouvait prétendre et qu'il est impossible d'atteindre par les seules ressources de la morale humaine.

X. Un livre moderne a paru, intitulé : Du Devoir [en fait : Le Devoir] ; il peut se résumer ainsi : « Le devoir conduisant au bonheur après cette vie, sans Jésus-Christ, sans l'Évangile, sans la foi, sans l'Église, sans la Rédemption, sans la grâce, sans les sacrements ».

On admet, il est vrai, que le philosophe, en même temps qu'il est philosophe, peut appartenir à une Église, et l'on enseigne qu'alors il « observe suffisamment le devoir d'adorer Dieu en se conformant aux pratiques du culte71 » auquel il appartient : que ce culte soit vrai ou faux, c'est ce 'qu'on ne distingue pas.

On se demande ensuite comment le philosophe qui n'appartient à aucune religion positive remplira le devoir d'adorer Dieu par un culte, et l'on trouve apparemment le cas assez pratique pour qu'il doive être résolu. Le casuiste, en effet, se met à l'œuvre ; il trace en quelques lignes un programme de bonnes vie et mœurs, renfermant à peu près tous les préceptes que l'on peut faire découler des inductions philosophiques sur Dieu et la providence. Cela dit, il ajoute :
Reconnaissons que ces quelques préceptes ne sauraient constituer un culte. Ils ne suffisent à l'homme ni pour sa sanctification, ni pour sa consolation ; ou, pour parler plus exactement, ils suffisent aux âmes d’élite, qui savent aimer et penser, mais le reste de l'humanité a d'autres besoins72.
Ce langage n'a pas besoin de commentaire : « La religion, les cultes, peu importe d'ailleurs le choix, sont pour la foule, qui ne sait pas aimer et penser; la philosophie suffit aux âmes d'élite. »

Le maître, que l'on contredit quelquefois, mais à l'avis duquel on se range en définitive toujours, l'avait fortement insinué :
Sans la religion, disait-il, la philosophie, réduite à ce qu'elle peut tirer laborieusement de la raison naturelle perfectionnée, s'adresse à un bien petit nombre, et court risque de rester sans une grande efficacité sur les mœurs et sur la vie73.
Et ailleurs :
La philosophie ne croit point s'humilier en avançant qu'elle est faite pour quelques-uns et ne suffit pas au genre humain74.
Or, nous enseignons, et nous établirons tout à l'heure que, sans la religion, la philosophie ne suffit à personne, parce que tous sont appelés à la gloire surnaturelle, et que la pure philosophie n'y conduira jamais qui que ce soit.

À propos du livre Du Devoir, je dois, Messieurs et chers Coopérateurs, vous entretenir d'un incident particulier. Dès son apparition, cet ouvrage avait attiré notre attention. Il nous importe d'autant plus de surveiller le naturalisme religieux de certains écrits, qu'il semble, lui aussi, nous toucher de plus près, qu'il se donne pour le dernier mot de la religion, et que, par un air d'honnêteté, par l'avantage surtout qu'il offre d'être un culte très-commode, il peut séduire plus d'une âme, et faire prendre le change à de bons esprits qui, en ce temps de lassitude publique et à la suite d'espérances excessives cruellement déçues, sentent le besoin de Dieu, et s'achemineraient tout naturellement vers le christianisme pour satisfaire ce besoin immortel.

Une circonstance vint augmenter nos appréhensions. Une compagnie illustre, dont les jugements ont un grand poids, et qui semble revendiquer désormais, outre ses attributions littéraires, une part considérable dans la direction intellectuelle du pays, avait cru devoir couronner, en société d'un traité remarquable de philosophie chrétienne, le volume dangereux dont nous venons de vous indiquer la tendance et de vous citer, en les prenant au milieu de mille autres, quelques propositions qui résument tout l'esprit du livre. Le rapport, écrit par un homme très-distingué auquel on conçoit que les lettres sacrées soient encore plus familières que la doctrine exacte de la foi, confondait d'une façon étrange toutes les notions religieuses et s'écartait des règles rigoureuses du langage chrétien75.

Ce fait n'était pas le seul de son genre. Divers symptômes tout semblables s'étaient manifestés dans plusieurs corps savants. Or, on ne peut nier que tout appoint nouveau donné à l'éclectisme, à l'indifférentisme, prend une singulière gravité dans un siècle déjà si enclin à traiter toutes les religions, toutes les croyances sur un pied d'égalité, et à étaler l'une à côté de l'autre toutes les doctrines les plus contraires, comme on expose les produits les plus divers de l'industrie. De tels faits ont beaucoup plus de portée encore que les théories, et ils sont de nature à achever le renversement du sens chrétien, déjà si profondément altéré parmi nous.

Nous fûmes donc péniblement affecté de ce chaos d'éloges et de ce pêle-mêle de récompenses, qui consacraient le chaos et le pêle-mêle des principes, et notre sollicitude pour la pureté de la doctrine nous obligea de signaler, comme indigne de figurer à côté d'une théodicée orthodoxe, cette morale naturaliste qui n'aboutit qu'à « des vertus dont » Bossuet a dit que « l'enfer est rempli »76.

La parole austère du grand évêque, tombée de notre plume, excita de vives récriminations dans lesquelles se révéla toute la profondeur du mal auquel nous cherchions à remédier. Nous ne parlerons pas d'un écrivain recommandable qui, habitué à se porter pour modérateur de la presse religieuse, crut pouvoir opposer son jugement à celui qu'un évêque venait d'exprimer sur une question incontestablement doctrinale et théologique. La distraction d'un esprit préoccupé peut seule excuser les phrases incohérentes dans lesquelles ce publiciste, que nous ne saurions cesser d'estimer, s'est montré si étranger aux premiers principes de la science chrétienne, ou plutôt si tristement atteint de cette funeste disposition aux conciliations les plus impossibles, qui est un des grands périls religieux du moment77. Cet adversaire sur lequel nous ne devions naturellement pas compter, fut appuyé par d'autres contradicteurs qui ne pouvaient nous manquer; et nous avons trouvé dans une feuille qui occupe un rang considérable dans l'opinion publique les paroles qui suivent :
Bien des honnêtes gens de ma connaissance, qui n'ont que des vertus naturelles, se sont fort attristés dernièrement d'entendre une voix très-autorisée appeler les vertus naturelles « de fausses vertus dont l'enfer est plein »78.
L'on ajoutait :
D'où vient donc ce malentendu, et pourquoi persiste- t-il ? Car enfin, ce qui importe, c'est que l'homme fasse le bien; qu'il le fasse au nom de sa raison et de sa conscience, ou qu'il le fasse au nom de sa foi, n'est-ce pas toujours le bien ? Et pourvu que l'homme atteigne le but moral que la religion lui propose, la religion ne peut-elle lui pardonner d'y arriver par la route de la philosophie ?79
Ce même écrivain, quelque temps auparavant, établissait nettement l'existence de toute une classe d'hommes qui ont la prétention de se tenir entre le scepticisme et l'orthodoxie, dans un juste milieu philosophique et paisible, où ils croient trouver le repos de leur conscience et la règle de leur vie.

« Ces incrédules-là », disait-il, « sont honnêtes et convaincus » ; « ils croient trouver » dans la raison humaine « une lumière assez éclatante pour diriger leur conduite, une discipline assez forte pour suffire à tous leurs devoirs. » « Ils répètent souvent que, si on leur démontrait qu'ils se trompent, que leur lumière est une fausse lumière, que leur règle de conduite est une règle fragile, que leur morale n'a pas de sanction », « ils éprouveraient une reconnaissance singulière et n'opposeraient à cette démonstration aucun entêtement d'orgueil. » Ce qu'il faudrait donc pour les convertir, ajoutait-il, c'est « une démonstration bien nette et bien décisive que le dogme est absolument indispensable, et que sans lui la morale n'est rien ; une argumentation vigoureuse contre la raison pour lui prouver par des raisons péremptoires quelle ne peut rien sans la foi »80.

Ainsi, Messieurs et chers Coopérateurs, le siècle présent ne saurait nous taxer de calomnie, lorsque nous l'accusons de naturalisme. Les aveux que nous venons de recueillir sont aussi clairs que les raisonnements qui les accompagnent sont confus. Il appartient donc aux prédicateurs de la foi chrétienne de porter le flambeau de la vérité au milieu de ces ténèbres.

XI. Non, mille fois non, vous n'enseignerez jamais que « les vertus naturelles sont de fausses vertus, que la lumière naturelle est une fausse lumière » ; non, vous n'emploierez point « d'argumentation vigoureuse contre la raison pour lui prouver par des raisons péremptoires qu'elle ne peut rien sans là foi ». Si nous avions le malheur d'enseigner de pareilles propositions, nous tomberions sous le coup des censures de l'Église, dépositaire de toute vérité, et qui n'est pas moins attentive à maintenir les attributs certains de la nature et de la raison qu'à venger les droits de la foi et de la grâce.

L'argumentation vigoureuse contre la raison pour lui prouver péremptoirement qu'elle ne peut rien sans la foi, elle s'est trouvée, en ce siècle, sous la plume d'un prêtre célèbre et de quelques-uns de ses disciples. Les encycliques romaines sont venues leur apprendre qu'en démolissant la raison, ils détruisaient le sujet auquel la foi s'adresse et sans la libre adhésion duquel l'acte de foi n'existe pas ; qu'en niant tout principe humain de certitude, ils supprimaient les motifs de crédibilité qui sont les préliminaires nécessaires de toute révélation.

Et pour ce qui est des vertus naturelles, Baïus ayant osé soutenir que les vertus des philosophes sont des vices, et que toute distinction entre la rectitude naturelle d'un acte humain et sa valeur surnaturelle et méritoire du royaume céleste n'est qu'une chimère, ce novateur a été formellement condamné par le pape saint Pie V81.

Vous enseignerez donc, Messieurs, que la raison humaine a sa puissance propre et ses attributions essentielles ; vous enseignerez que la vertu philosophique possède une bonté morale et intrinsèque que Dieu ne dédaigne pas de rémunérer, dans les individus et dans les peuples, par certaines récompenses naturelles et temporelles, quelquefois même par des faveurs plus hautes.

Mais vous enseignerez aussi et vous prouverez, par des arguments inséparables de l'essence même du christianisme, que les vertus naturelles, que les lumières naturelles ne peuvent conduire l'homme à sa fin dernière, qui est la gloire céleste ; vous enseignerez que le dogme est indispensable, que l'ordre surnaturel dans lequel l'auteur même de notre nature nous a constitués par un acte formel de sa volonté et de son amour, est obligatoire et inévitable ; vous enseignerez que Jésus-Christ n'est pas facultatif, et qu'en dehors de sa loi révélée, il n'existe pas, il n'existera jamais de juste milieu philosophique et paisible où qui que ce soit, âme d'élite ou âme vulgaire, puisse trouver le repos de sa conscience et la règle de sa vie.

Vous enseignerez qu'il n'importe pas seulement que l'homme fasse le bien, mais qu'il importe qu'il le fasse au nom de la foi, par un mouvement surnaturel, sans quoi ses actes n'atteindront par le but final que Dieu lui a marqué, c'est-à-dire le bonheur éternel des cieux.

Cet enseignement, vous l'appuierez surtout ce que l'Évangile et la tradition ont de plus positif. Il ne m'appartient pas d'établir ici devant vous cette grande et solide thèse, que chacun de vous saura développer. Je veux seulement vous dire l'objection que j'ai recueillie plus d'une fois sur les lèvres des hommes du monde : elle me donnera lieu d'entrer au plus vif de la question.
À Dieu ne plaise, me disait l'un deux, que je m'attache jamais, de propos délibéré du moins, à cette vie grossière des sens qui assimile l'être intelligent à l'animal sans raison ! Cette vie ignoble est indigne d'un esprit cultivé, d'un cœur noble et bien fait : je repousse le matérialisme comme une honte pour l'espèce humaine. Je professe hautement les doctrines spiritualistes ; je veux, de toute l'énergie de ma volonté, vivre de la vie de l'esprit et observer les lois exactes du devoir.
Mais, ajoutait-il, vous me parlez d'une vie supérieure et surnaturelle ; vous développez tout un ordre surhumain, basé principalement sur le fait de l'Incarnation d'une personne divine ; vous me promettez, pour l'éternité, une gloire infinie, la vue de Dieu face à face, la connaissance et la possession de Dieu, tel qu'Il Se connaît et qu'Il Se possède Lui-même ; comme moyens proportionnés à cette fin, vous m'indiquez les éléments divers qui forment, en quelque sorte, l'appareil de la vie surnaturelle : foi en Jésus-Christ, préceptes et conseils évangéliques, vertus infuses et théologales, grâces actuelles, grâce sanctifiante, dons de l'Esprit-Saint, sacrifice, sacrements, obéissance à l'Église.
J'admire cette hauteur de vues et de spéculations. Mais, si je rougis de tout ce qui m'abaisserait au-dessous de ma nature, je n'ai non plus aucun attrait pour ce qui tend à m'élever au-dessus. « Ni si bas, ni si haut ». Je ne veux faire « ni la bête, ni l'ange » ; je veux rester homme. D'ailleurs, j'estime grandement ma nature ; réduite à ses éléments essentiels et telle que Dieu l'a faite, je la trouve suffisante. Je n'ai pas la prétention d'arriver après cette vie à une félicité si ineffable, à une gloire si transcendante, si supérieure à toutes les données de ma raison ; et, surtout, je n'ai pas le courage de me soumettre ici-bas à tout cet ensemble d'obligations et de vertus surhumaines. Je serai donc reconnaissant envers Dieu de ses généreuses intentions, mais je n'accepterai pas ce bienfait, qui serait pour moi un fardeau. Il est de l'essence de tout privilège de pouvoir être refusé. Et puisque tout cet ordre surnaturel, tout cet ensemble de la révélation est un don de Dieu, gratuitement surajouté par sa libéralité et sa bonté aux lois et aux destinées de ma nature, je m'en tiendrai à ma condition première ; je vivrai selon les lois de ma conscience, selon les règles de la raison et de la religion naturelle ; et Dieu ne me refusera pas, après une vie honnête, vertueuse, le seul bonheur éternel auquel j'aspire, la récompense naturelle des vertus naturelles.
Vous avez reconnu, Messieurs, le plus spécieux raisonnement du naturalisme. Personne ne nous accusera de l'avoir affaibli, car nous en avons plutôt augmenté la force. Or, ce raisonnement porte à faux, et il est de tout point inadmissible, puisqu'il méconnaît à la fois et le souverain domaine de Dieu sur sa créature, et les conséquences nécessaires de la venue de Jésus-Christ sur la terre, et le véritable état de la nature humaine dans sa condition actuelle.

XII. Il méconnaît le souverain domaine de Dieu. En effet, on ne prouvera jamais que Dieu, après avoir tiré l'homme du néant, après l'avoir doué d'une nature excellente, n'ait pas conservé le droit de perfectionner son ouvrage, de l'élever à une destinée plus excellente encore et plus noble que celle qui était inhérente à sa condition native. Au contraire, les mêmes faits qui établissent d'une façon irréfragable que Dieu s'est mis en rapport direct et immédiat avec l'homme par la Révélation, les mêmes faits qui nous obligent d'admettre la divinité des saintes Écritures et l'existence de l'ordre surnaturel, nous forcent aussi de reconnaître l'obligation où nous sommes d'entrer dans cet ordre de grâce et de gloire, sous peine des châtiments les plus justes et les plus sévères. En nous assignant une vocation surnaturelle, Dieu a fait acte d'amour, mais Il a fait aussi acte d'autorité. Il a donné, mais en donnant Il veut qu'on accepte. Son bienfait nous devient un devoir. Le souverain Maître n'entend pas être refusé. Si l'argile n'a pas le droit de dire au potier : « Pourquoi fais-tu de moi un vase d'ignominie ?82 », elle est infiniment moins autorisée encore à lui dire : « Pourquoi fais-tu de moi un vase d'honneur ? » Quoi donc l’ouvrage rebelle, vous vous plaignez de ce que Celui Qui vous a pétri de ses mains, Qui a tout droit sur vous, use de Son autorité suprême pour assigner à votre obscurité une place brillante au delà des astres ! Humble esclave de Celui qui vous a donné l'être, vous vous plaignez de ce qu'Il vous tire de la poussière pour vous ranger parmi les princes des Cieux! Le souverain domaine que Dieu peut exercer sur vous à son gré, vous trouvez mauvais qu'il l'exerce par la bonté ! Phénomène monstrueux de l'ordre moral, vous êtes indocile au bienfait, révolté contre l'amour !

Eh bien ! le domaine imprescriptible de Dieu s'exercera sur vous par la justice. Malheureux mendiant du chemin, le Roi vous avait invité aux noces de Son Fils, au banquet éternel de la gloire : c'était à vous de vous acheminer et de revêtir la robe nuptiale de la grâce pour être admis ; vous vous êtes présenté sans cet ornement prescrit ; il n'y aura point de place pour vous, même dans un coin de la salle, même à la seconde table ; vous serez chassé dehors, jeté dans les ténèbres extérieures, là où il y aura des pleurs et des désespoirs83. Le même Dieu qui, dans l'ordre de la nature, par une suite de transformations physiques, fait passer incessamment les êtres inférieurs d'un règne plus infime à un règne plus élevé, avait voulu, par une transformation surnaturelle, vous faire monter jusqu'à la participation, jusqu'à l'assimilation de votre être créé à sa nature infinie. Substance ingrate, vous vous êtes refusé à cette affinité glorieuse, vous serez relégué parmi les rebuts et les déjections du monde de la gloire ; portion résistante du métal placé dans le creuset, vous ne vous êtes pas laissé convertir en l'or pur des élus, vous serez jeté parmi les scories et les résidus impurs.

« Noblesse oblige » : c'est un axiome parmi les hommes. Ainsi en est-il de la noblesse surnaturelle que Dieu a daigné conférer à la créature. La qualité d'enfant de Dieu, le don de la grâce,-la vocation à la gloire, c'est là une noblesse qui oblige ; quiconque y forfait est coupable, coupable envers le souverain domaine de la paternité divine qui punira en esclave celui qui n'aura pas voulu être traité en fils.

XIII. Du reste, supposer que Dieu n'a pu et n'a voulu faire de l'ordre surnaturel, c'est-à-dire du christianisme, qu'une institution libre et facultative, ce n'est pas seulement méconnaître le droit et la volonté du Père, c'est outrager Son Fils, notre Seigneur Jésus-Christ. En effet, la seconde naissance de l'homme, sa régénération surnaturelle, son adoption divine ont coûté cher au Dieu Sauveur, elles ont été le prix de grands travaux. Celui qui était éternellement dans le sein du Père S'est incarné dans le sein d'une femme, Celui qui était Dieu S'est fait homme, afin de nous élever jusqu'à des hauteurs divines. Pour acheter nos âmes, ou plutôt, ainsi que nous le dirons tout à l'heure, pour les racheter, pour leur ouvrir les portes du ciel, Jésus-Christ a donné Sa vie ; pour les éclairer, il a laissé une doctrine, un symbole ; pour les guider, il a dicté des préceptes; pour les sanctifier, il a institué un sacrifice, des sacrements, un sacerdoce ; pour les régir, il a établi une Église, une hiérarchie. Trente-trois années ont été consacrées à ce grand œuvre, qui ne s'est achevé que sur l'arbre douloureux de la croix.

Or, quel est le thème du naturalisme ? C'est qu'il est permis à chacun d'accepter ou de refuser sa part dans les lumières de l'Évangile et dans les mérites de la croix. Pour lui, Jésus-Christ n'a été ni un révélateur divin qu'on est tenu de croire ni un législateur sérieux auquel on est tenu d'obéir, ni un rédempteur nécessaire sans lequel il n'y a pas de régénération et de salut. L'Évangile devient une théorie dont on peut faire impunément abstraction; la Croix est l'enseignement d’une école à laquelle on peut s'affilier ou se soustraire à son gré.

Or, que le Fils de Dieu ait été envoyé sur la terre, et que, dans la pratique de la vie, il puisse être considéré comme non avenu par ceux qu'il avait mission d'éclairer et de sauver, c'est là une supposition pleine d'injure pour la divinité, une assertion contre laquelle le bon sens réclame, une assertion que toutes les paroles de Jésus-Christ combattent, que toute la tradition chrétienne renverse. Entendez le Seigneur au moment solennel où il donne l'investiture aux apôtres de la religion:
Toute puissance m'a été donnée au Ciel et sur la terre ; allez donc et enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit ; enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit84. Allez dans le monde entier, enseignez l'Évangile à toute créature. Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira pas sera damné85.
Philosophe, vous voulez n'être jugé que par » le Père, par celui que vous appelez l'auteur de la nature ; et l'Évangile vous répond que le Père ne juge personne, mais qu'il a donné tout jugement au Fils, afin que tous honorent le Fils aussi bien que le Père ; car celui qui n'honore pas le Fils outrage le Père qui l'a envoyé86 ».

Vous permettez à quelques-uns de fléchir le genou au nom de Jésus-Christ, et vous stipulez pour d'autres le droit de rester debout ; et « Dieu a exalté Son Fils et Lui a donné un Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au Nom de Jésus, tout genou fléchisse au Ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu le Père87. »

Vous voulez qu'en dehors et en face de la science chrétienne puisse s'élever une autre science totalement indépendante; et Dieu nous a donné « des armes puissantes pour détruire cette forteresse philosophique où vous vous retranchez, pour renverser toute hauteur qui s'élève contre la science de Dieu, et pour captiver toute intelligence sous le joug de Jésus-Christ88. »

Vous voulez un Christ restreint, limité ; et il a plu à Dieu « de restaurer, de récapituler toutes choses en Jésus-Christ89 », et de « lui soumettre tellement la nature entière que rien n'échappe à son empire90 ».

Non, encore un coup, vous ne ferez pas un Christ qu'on puisse accepter ou refuser à sa guise, un christianisme abandonné au libre choix et au caprice personnel de chacun.

Cette pierre que vous voudriez pouvoir répudier, c'est « la pierre angulaire, hors de laquelle il n'y a pas de salut ; car il n'y a pas, sous le ciel, d'autre nom donné aux hommes dans lequel ils puissent être sauvés, si ce n'est le nom de Jésus91 ». Je vous le dis en vérité, quiconque ne voudra pas librement fléchir le genou au nom de Jésus sur la terre, et, par suite, dans le ciel, sera forcé de le fléchir dans les enfers, là où « les démons croient et rugissent92 ».

Sans doute, Messieurs et chers Coopérateurs, il est beaucoup d'hommes de ce siècle qui se récrieront contre « ce dur langage ». Dans une certaine sphère de la science mondaine, c'est un point qui semblait désormais acquis que la conscience peut s'endormir paisiblement sur l'oreiller commode d'un naturalisme honnête et religieux ; attendez-vous à de violentes récriminations, le jour où vous irez troubler cette sécurité. Mais à une erreur capitale, qui se flatte d'avoir déjà pour elle la sanction de plusieurs années de silence de notre part, qui s'autorise de quelques paroles mal interprétées, et qui se croit en droit d'invoquer bientôt la prescription, c'est un rigoureux devoir d'opposer la vérité, toute la vérité. Les docteurs les plus illustres des premiers siècles vous fourniront de magnifiques développements sur cette matière.

Vous ne sauriez surtout assez interroger saint Augustin.

XIV. Ce beau génie, que la philosophie actuelle daigne honorer de son estime particulière, vous sera d'un grand secours. Parmi les docteurs du christianisme, un trait distinctif caractérise saint Augustin, c'est qu'il est de tous le plus philosophe, nous dit un récent traducteur de la Cité de Dieu93. Je veux bien souscrire à cet éloge.

Voyons donc si le théologien philosophe se montrera plus accommodant que les autres pères de l'Église, quand il s'agit de la nécessité de la foi et de la grâce surnaturelle pour parvenir au bonheur de l'autre vie et pour échapper aux peines éternelles. Je tombe sur son commentaire du quinzième chapitre de saint Jean. On ne peut disconvenir que les paroles du divin Sauveur soient assez directes contre l'erreur que nous avons en vue, contre l'erreur de ceux qui accordent que le chrétien uni à Jésus-Christ par la foi et par la grâce peut produire des fruits plus abondants, plus exquis peut-être, mais qui prétendent que le sarment détaché du cep, la nature séparée de la grâce, peut produire des fruits à tout le moins convenables et suffisants.

Jésus leur dit : « Je suis la vigne et vous êtes les branches ; si le sarment adhère à la tige, il produira beaucoup ; sinon, rien ; on le mettra dehors, et il séchera, et on le jettera au feu, et il brûlera94. »

L'évêque d'Hippone, qu'on nous représente comme un fidèle disciple de Platon, va-t-il, dans sa tolérance philosophique, retrancher quelque chose de cette rigueur et de cette intolérance théologique? Écoutez-le :
De peur, dit-il, que le sarment ne crût pouvoir produire quelque petit fruit par lui-même, le Sauveur, après avoir dit que le rameau uni au cep produira de grands fruits, n'ajoute pas que sans cette union il en produira peu, mais qu'il ne produira rien. Ni peu, ni beaucoup, rien n'est possible à l'homme pour le salut qu'à la condition rigoureuse de son union avec le Christ, qui est la vigne ; (…) s'il n'est adhérent au cep, s'il ne puise sa sève dans la racine, il ne peut porter le moindre fruit par lui-même. (...) Et comme, sans cette vie qui procède de l'union avec le Christ, il n'est pas au pouvoir de l'homme de mourir ou de ne pas mourir, celui qui ne demeure pas dans le Christ sera mis dehors, et il séchera, et on le jettera au feu et il brûlera95.
Ici le saint docteur remarque, après le prophète Ézéchiel, que :
Le sarment a cela de particulier, qu'étant retranché de la vigne il n'est propre à aucun usage, ni pour les travaux de l'agriculture, ni pour les travaux de construction (Ézéchiel 15, 1-8). Autant ce bois, qui se serait couvert de pampres et de raisins, et qui aurait produit le vin généreux, c'est-à-dire la plus noble des substances, aurait acquis de gloire en demeurant dans la vigne, autant il devient méprisable s'il n'y demeure pas. L'alternative inévitable pour le sarment, c'est la vigne ou le feu. S'il n'est pas dans la vigne, il sera dans le feu : afin de n'être pas jeté au feu, qu'il reste donc uni à la vigne96. Entendez ce langage, vous qui vous complaisez en vous-mêmes, vous qui ne craignez pas de dire :
« C'est de Dieu que nous tenons notre nature, notre raison ; mais notre nature et notre raison nous étant données, c'est de notre propre fonds que nous pouvons tirer notre vertu et notre justice. » (...) Telle est votre vaine présomption; mais voyez ce qui vous attend, et s'il vous reste quelque sentiment, frémissez d'horreur ! Celui qui croit porter du fruit par lui-même, n'est pas dans la vigne, c'est-à-dire n'est pas dans le Christ ; s'il n'est pas dans le Christ, il n'est pas chrétien : voilà la profondeur de votre abîme97.
Or, autant la nature humaine enrichie de la sève surnaturelle qu'elle eût puisée dans la racine qui est le Christ, aurait été glorifiée, autant sa destinée devient humiliante quand elle s'isole de la grâce : Tanto contemptibiliora si in vite non manserint, quanto gloriosiora si manserint. Le Père céleste, qui est le grand laboureur et le grand architecte, n'en saura plus tirer aucun parti : Prœcisa, nullis agricolarum asibus prosunt, nullis fabrilibus operibus depu- tantur. Pour la nature humaine, dans sa condition présente, il n'y a pas de destinée intermédiaire : ou le Christ, ou le feu : Unum de duobus palmiti congruit, aut vitis aut ignis. Si elle ne veut pas puiser la vie et la gloire dans le Christ, elle trouvera l'opprobre et le supplice dans la flamme : Si in vite non est, in igne erit. Pour éviter la flamme, qu'elle demeure donc fidèlement unie au Christ : Ut ergo in igne non sit, in vite sit.

Ailleurs le même saint docteur explique une autre parabole, c'est celle où le Sauveur dit : « Je suis la porte : si quelqu'un entre par moi dans le bercail, il sera sauvé, et il aura ses entrées et ses sorties, et il trouvera d'abondants pâturages ; mais si quelqu'un n'entre pas par la porte, et veut escalader par ailleurs, c'est un ravisseur, qui ne vient que pour dérober, pour massacrer et pour détruire98. »
En effet, reprend saint Augustin, il est bon nombre de gens qui, d'après une certaine coutume de la vie humaine, sont appelés des gens de bien, des hommes de bien, des femmes de bien : secundum quamdam vitæ hujus consuetudinem, dicuntur boni homines, boni viri, bonœ feminœ, gens réguliers qui semblent observer ce qui est commandé dans la loi : rendant honneur à leurs parents, ne commettant ni la fornication, ni l'homicide, ni le vol ; ne portant de faux témoignage contre personne, et accomplissant à peu près les autres points de la loi ; mais ils ne sont pas chrétiens : Christiani non sunt. Or, comme tout ce qu'ils font ainsi, ils le font inutilement, ne sachant pas à quelle fin ils doivent le rapporter, c'est à leur sujet que le Seigneur propose la similitude de la porte par laquelle on entre dans le bercail. Que les païens disent donc : « Nous vivons bien. » S'ils n'entrent par la porte, à quoi leur sert ce dont ils se glorifient ? Car le motif de bien vivre pour chacun, c'est l'espérance de toujours vivre : Ad hoc enim debet unicuique prodesse bene vivere, ut detur illi semper vivere. À quoi bon en effet une vie régulière, si elle n'est le moyen d'obtenir une vie sans fin : Nam cui non datur semper vivere, quid prodest bene vivere ? On ne peut dire que ceux-là vivent bien, qui sont assez aveugles pour ignorer la raison qu'ils ont de bien vivre, ou assez orgueilleux pour la mépriser. Or, personne n'a une assurance vraie et certaine de vivre toujours, s'il ne connaît la véritable vie, qui est Jésus-Christ, et s'il n'entre dans le séjour de la vie par cette porte99.
Il y a donc certains philosophes qui dissertent avec subtilité sur les vices et les vertus ; ils divisent, ils définissent, ils raisonnent, ils concluent, ils emplissent les livres, ils enflent leurs joues pour vanter leur sagesse. Les hommes de cette trempe cherchent le plus souvent à persuader à leurs semblables de bien vivre sans pour cela devenir chrétiens. Mais ces hommes n'entrent pas par la porte qui est Jésus-Christ ; ils veulent monter par ailleurs; ils n'aboutiraient qu'à ravir, à ravager, à perdre les âmes100.
Vous le voyez, Messieurs et chers Coopérateurs, ce grand nomme et ce grand évêque, en qui l'on se complaît à célébrer « la fusion intime et complète des deux plus grandes forces de l'esprit humain, la raison et la foi101 », est loin de considérer comme indifférent que l'homme fasse le bien au nom de sa raison et de sa conscience, ou qu'il le fasse au nom de sa foi. Il ne conteste pas à l'honnêteté naturelle sa bonté morale : mais il ne reconnaît point dans la raison humaine une discipline assez forte pour suffire à tous les devoirs ; il n'admet pas de juste milieu philosophique et paisible entre le scepticisme et l'orthodoxie, où qui que ce soit puisse trouver le repos de sa conscience. Quiconque ne veut pas entrer par la porte chrétienne, il n'hésite pas à lui fermer le Ciel et à lui montrer l'abîme qui l'attend.

Puisse l'autorité de ce grand théologien et de ce grand philosophe ne rencontrer aucun entêtement d'orgueil, mais exciter plutôt une reconnaissance singulière chez ceux de nos frères en Jésus-Christ qui nous ont interpellés102 !

Il est écrit au Livre des Proverbes : « Celui qui veut instruire le railleur, se fait injure à lui-même ; ne raisonnez pas le moqueur, de peur qu'il ne vous haïsse103 ». Mais il est écrit aussi : « Répondez au sage, et il vous aimera104 ».

C'est le grand Augustin qui a répondu à notre interrogateur : il trouvera dans son âme docilité et amour. Du reste, quel autre docteur du christianisme a plus sainement parlé que saint Augustin de l'affaiblissement de la raison et de l'altération de la nature de l'homme par suite de la faute originelle ? Ce point très-important de la question, auquel la philosophie naturaliste ne veut pas songer, demande toute notre attention. Le souverain pontife va reprendre la parole ; prêtons l'oreille à ce passage de son Allocution :

XV.
On ne peut douter que cette classe de partisans, ou plutôt d'adorateurs de la raison humaine, qui s'en font comme une maîtresse sûre, et qui, sous sa conduite, se promettent toute espèce de bonheur, ait oublié de quelle grave et cruelle blessure la faute du premier père a frappé toute la nature humaine, puisque tout à la fois l'esprit a été enveloppé de ténèbres et la volonté inclinée vers le mal. C'est pour cela que les plus célèbres philosophes des âges anciens, quoiqu'ils aient écrit excellemment sur bien des points, ont cependant souillé leurs doctrines de très graves erreurs. De là encore ce combat continuel que nous éprouvons en nous, et dont parle l'apôtre : « Je sens dans mes membres une loi qui répugne à la loi de mon esprit105 ». Maintenant donc qu'il est constant que la tache originelle, propagée à tous les enfants d'Adam, a affaibli la lumière de la raison, et que le genre humain a fait une chute très-malheureuse de l'état primitif de justice et d'innocence, quel est celui qui pourra dire que la raison suffit pour arriver à la vérité ? Qui niera que, pour ne pas succomber et périr au milieu de si grands dangers et d'une telle infirmité, l'homme ait besoin des secours de la religion divine et de la grâce céleste106 ?
On doit donc l'affirmer, Messieurs : la prétention qu'a le naturalisme de vivre de la vie de la raison sans participer à la vie surnaturelle, est une prétention pratiquement chimérique et impossible. Car, depuis le péché du premier père, l'homme a été blessé dans sa nature ; il est malade et dans son esprit et dans sa volonté.

Sans doute, il lui reste assez de lumière pour connaître plusieurs vérités naturelles, assez de force pour pratiquer plusieurs vertus morales : le baïanisme, le jansénisme, le quesnellisme (et ce sont ces hérésies, pour le dire en passant, que la philosophie contemporaine, à laquelle aucune inconséquence ne coûte, honore de ses plus chaudes sympathies), ont été condamnés par l'Église, parce qu'ils attribuaient à la nature et au libre arbitre de l'homme déchu une impuissance complète.

Mais il est certain pareillement que, dans son état actuel, l'homme n'est capable par lui-même ni de connaître toute la vérité, ni de pratiquer toute la morale même naturelle, encore moins de surmonter toutes les tentations de la chair et du démon sans une lumière et une grâce d'en haut.

Je sais que Dieu ne refuse pas toujours ce secours à ceux qui ne sont pas encore régénérés en Jésus-Christ ; je sais que c'est une proposition condamnée de dire qu'il n'y a pas de grâce hors de l'Église107.

Mais je sais aussi que cette grâce, Dieu se lasse de l'offrir à ceux qui, soit avant, soit après le baptême, persistent à repousser et à méconnaître le principe même et la source de la grâce qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ.

D'ailleurs, le fait de la révélation divine et de la venue du Fils de Dieu sur la terre étant une fois établi par des preuves évidentes, auxquelles la raison ne peut rien opposer, c'est être infidèle à la raison elle-même et à la saine philosophie que de ne pas croire à la Révélation et à son auteur. Le péché contre la grâce devient un péché contre la religion de la nature, qui enseigne clairement que s'il plaît à Dieu de se révéler par des lumières mystérieuses et inattendues, c'est notre devoir d'ouvrir les yeux ; que s'il lui plaît d'épancher en nous des richesses surabondantes, c'est notre devoir d'ouvrir notre cœur.

Or, écoutez comment « la colère de Dieu se révèle du haut des cieux sur l'impiété des hommes qui retiennent la vérité captive dans l'injustice108 ». Saint Paul écrit au peuple le plus policé du monde, aux Romains, et il leur parle de leurs anciens philosophes : « Ils sont inexcusables, dit-il, car ayant connu Dieu, ils ne L'ont pas glorifié comme Dieu et ils ne Lui ont pas rendu grâces ; et, à cause de cela, Dieu les a livrés aux désirs de leurs cœurs, Il les a abandonnés aux passions d'ignominie, au sens réprouvé109 ».

Or, si telle est la vengeance exercée contre les anciens philosophes, qui ne pouvaient guère connaître Dieu que selon la nature et par le spectacle des choses visibles, comment sera poursuivie l'infidélité de ceux qui, ayant été régénérés par le baptême chrétien, étant investis de la lumière révélée, enfin connaissant Dieu par l'Évangile de son Fils Jésus-Christ, ne veulent pas le glorifier en conséquence ?

La justice divine se manifeste sur eux du haut des cieux ; croyant être sages, ils deviennent insensés : ces hautes intelligences se perdent dans des systèmes absurdes, dans des doctrines où personne ne veut les suivre. Puis trop souvent, des jouissances orgueilleuses d'une raison fière et indépendante, ils tombent jusqu'aux voluptés grossières. Ne voulant pas s'élancer jusqu'aux régions pures et sereines où la foi les conduirait, ils glissent sur la pente des sens. Et le prétendu sage cède aux passions d'ignominie ; et celui qui, en public, proclame les maximes les plus sévères de l'ordre moral, retombant sur lui-même, souille son corps par le péché, son âme par les mauvais désirs, quelquefois ses mains par l'iniquité.

Et ainsi s'accomplit la parole du Psalmiste : « L'homme ayant été constitué en gloire, n'a pas compris sa dignité » ; il est tombé, et, dans sa chute, il n'a pu s'arrêter à une région moyenne impossible à habiter ; « il est tombé jusqu'au niveau des bêtes sans raison, et il leur est devenu semblable110 » ; et ayant vécu de la vie des sens, il a été trouvé digne de mort, de la mort qui consiste à être éternellement privé de Dieu, et de la mort qui consiste aussi dans la peine éternelle du sens coupable : Quoniam qui talia agunt digni sunt morte111.

Volontiers, Messieurs, nous en appellerions ici aux hommes du monde eux-mêmes, à leur conscience, à leur expérience, et nous leur dirions :

« Vous qui vivez en dehors des pratiques de la religion positive, répondez : n’est-il pas vrai qu'avec la seule raison, avec la seule morale humaine, quelques beaux principes que l'on professe, quelque éducation savante et polie qu'on ait reçue, n'est-il pas vrai qu'on est impuissant à réprimer tous ses penchants coupables, à étouffer tous ses instincts mauvais ? Quand vous avez senti en vous ces deux hommes dont parle saint Paul, ne vous a-t-il pas été facile de reconnaître que l'homme selon la nature ne peut être entièrement régi et gouverné que par l'homme selon la grâce, et que l'homme selon la pure raison est un maître dont l'empire est bien fragile, l'autorité bien mobile et bien incertaine ? Ah! que de fois le maître s'est mis d'accord avec l'esclave ! Que de fois l'esprit s'est fait complice de la chair! Homme sérieux et presque austère le matin, homme d'études ou d'affaires dans le cabinet, le soir ce n'était plus qu'un homme léger et folâtre, un homme d'ambition et de plaisir. Philosophe drapé dans le manteau héréditaire de Socrate et de Platon quand il fallait poser devant le public, trop souvent, dans le secret, il ne restait qu'un disciple d'Épicure. Oui, mon frère, avouez-le, non pas à nous, mais à vous-même : votre vertu humaine, votre sainteté humaine s'est au moins quelquefois démentie ; juste devant les hommes, vous ne l'êtes pas à vos propres yeux ; vous connaissez dans votre vie plus d'une page humiliante ; vous avez mis le pied dans la fange ; vous n'êtes pas pur de cœur ; et si, tôt ou tard, vous ne recourez aux sources de la grâce, s'il ne descend pour vous un pardon du ciel, si une goutte du sang de Jésus-Christ, que vous repoussez, ne vient toucher votre âme et la guérir, vous avez mérité le châtiment des coupables : Quoniam qui talia agunt, digni sunt morte. »

La morale vraiment spiritualiste, ah! plût à Dieu qu'il nous fût donné de la retrouver quelque part en dehors du christianisme ! Vous n'êtes pas obligés au même titre que nous, Messieurs et chers Coopérateurs, de vous tenir au courant des diverses publications de ce temps ; et si vous y gagnez de pouvoir entretenir un commerce plus assidu avec les grands maîtres des siècles anciens, principalement avec les saints docteurs, je vous en félicite ; car c'est un triste spectacle de voir à quel point des hommes qui se font un mérite d'avoir ressuscité le spiritualisme dans les régions philosophiques, trahissent la cause de la morale et de la pudeur dans leurs œuvres historiques ou littéraires, trop souvent accueillies avec éloge par des chrétiens aussi peu précautionnés contre le mal que contre l'erreur. Le sensualisme y coule à pleins bords. Ce n'était pas la peine d'afficher le puritanisme doctrinaire, de se targuer d'une austérité demi-stoïcienne et demi-janséniste, pour en venir à ces- descriptions lascives, à ces raffinements d'un pinceau voluptueux. Certes, il n'y a là rien de platonique ; tout cela est né de la chair et du sang112.

Philosophe, je m'en aperçois à ce signe encore, vous n'êtes pas de l'école de Jésus-Christ : car la philosophie qui vient d'en haut, la sagesse que Jésus a apportée sur la terre, son premier caractère, c'est d'être chaste : Quæ desursum est sapientia, primum quidem pudica est113.

Il reste donc démontré, Messieurs et chers Coopérateurs, que ni le souverain domaine de Dieu sur sa créature, ni la doctrine de son Fils incarné, ni l'état d'affaiblissement de notre nature actuelle ne permettent à qui que ce soit de se tenir impunément en dehors de l'ordre surnaturel et révélé, et que tout manuel du devoir, tout code de morale qui prétendent conduire les hommes à une fin heureuse sans tenir compte de Jésus-Christ, doivent être rejetés. Mais il est un autre retranchement derrière lequel nous devons poursuivre le naturalisme.

XVI. Après tout, semblent-ils dire, il ne s'agit pas pour nous de la question du salut individuel et éternel des hommes : ceci est l'affaire de chacun. Il s'agit de pourvoir à la conservation et au salut de l'ordre social et moral, qui menace de s'engloutir. Et, « puisque c'en est fait de la foi naïve de nos pères114 », puisque la croyance religieuse n'existe à peu près plus, c'est à la philosophie qu'il appartient de sauver la France par l'enseignement d'une morale à la fois commune et supérieure à toutes les religions.
On comprendrait à la rigueur l'indifférence en matière de philosophie chez un peuple religieux, parce que toute religion contient une solution sur l'origine, la destinée et la fin de l'homme ; (...)115 .
Si nous vivions dans un de ces siècles où la foi religieuse exerçait un empire incontesté sur les âmes, il y aurait un motif plausible pour empêcher la raison de disputer à la religion sa souveraineté séculaire et légitime. Mais aujourd'hui que le mal est fait, aujourd'hui que l'on voit tant d'hommes éclairés, tant de consciences honnêtes gouverner leur vie par les seules lumières de la raison naturelle, quel intérêt y a-t-il à leur crier sur tous les tons que cette lumière les trompe et les égare? Tout ce qu'on y gagnera peut-être, ce sera de les pousser au désespoir, et du désespoir au scepticisme absolu116.
Voulez-vous, Messieurs, que je multiplie ces citations ? Je tiens en main un livre intitulé : Morale sociale, ou Devoir de l’État et des citoyens en ce qui concerne la propriété, la famille, l'éducation, la liberté, l'égalité, l'organisation du pouvoir, la sûreté intérieure et extérieure117. Le programme est long et étendu. Voyons quelle place la religion, dont on ne parle pas, y occupe cependant. Le chapitre second du livre troisième est intitulé : « L'Enseignement moral et religieux ». En voici quelques passages :
En réclamant pour l’État le droit de diriger l'éducation publique, nous lui imposons un devoir difficile. Nous avons vu que, depuis saint Louis, l'autorité laïque s'est peu à peu substituée à l'autorité ecclésiastique dans la direction de l'enseignement. La liberté de conscience, cette précieuse conquête de notre révolution, l'abolition d'une religion dominante, permettent, moins que jamais, de remettre les écoles de l'État entre les mains d'un ministre du culte, quel qu'il soit.
Mais il ne faut pas croire que parce qu'on n'appartient pas à l'Église, on n'ait pas qualité pour enseigner les bonnes mœurs et les vérités communes à toutes les religions118. (…) Il ne faut pas que l’État laisse périr l'enseignement de ces vérités de tous les temps et de tous les lieux ; il doit charger la philosophie de les maintenir et de les répandre. (…) Professer les vérités religieuses communes à toutes les diverses religions, c'est la religion la plus haute, la plus universelle ou la plus catholique dans le sens étymologique du mot119.
Dans ces lignes, Messieurs, il y a presque autant d'erreurs que de mots ; et je me suis aperçu au murmure improbateur qui accueillait chaque membre de phrase, qu'aucun des côtés faibles de cette doctrine du tolérantisme universel ne vous échappait.

Mais la pensée première de cette morale sociale est elle-même radicalement fausse et vicieuse. Qu'un gouvernement sage et même chrétien puisse et doive, dans certaines circonstances déterminées, maintenir le principe de la tolérance civile : ceci n'est nullement contesté. Mais, de là à l'existence d'une morale sociale et suréminemment catholique, qui se place au-dessus de toutes les religions, et qui prétend suffire aux besoins des États, il y a la distance qui sépare le possible de l'absurde. Non, jamais on ne sauvera les nations, jamais on ne rétablira l'ordre moral et social au moyen de l'impiété.

Or, depuis que Jésus-Christ est venu sur la terre, quiconque néglige ou refuse de le connaître et de lui obéir, est un impie. Il est en révolte non-seulement contre le Fils, mais contre son Père qui l'a envoyé ; il pèche nous l'avons dit, non-seulement contre la Révélation, mais contre la raison, qui ne permet point de mépriser la parole révélée de Dieu. On ne le répétera donc jamais assez : la morale qui pouvait suffire aux nations païennes, est insuffisante depuis les temps chrétiens.
Si je n'étais pas venu, et que je ne leur eusse pas parlé, dit le Sauveur, ils seraient excusables. Mais maintenant ils ne sauraient être excusés de leur péché. (…) Si je n'avais pas fait au milieu d'eux des œuvres que nul autre n'a faites, leur faute serait pardonnable; mais maintenant ils ont vu mes œuvres, et ils me haïssent, et en me haïssant, ils haïssent mon Père120.
Ainsi la morale qui s'en tient, de propos délibéré et de parti pris, aux lois de la simple nature, ne saurait procurer désormais le salut, même temporel, des individus ni des sociétés. Car cette morale est insuffisante et incomplète ; et, de plus, elle ne peut être observée dans tout son ensemble que par un secours surnaturel de la grâce. Or, Dieu ne versera point ses bénédictions sur les contempteurs de son Fils.

Philosophes qui proclamez la déchéance de Jésus-Christ, vous ne prendrez point sa place, et s'il était vrai qu'il n'existât plus sur la terre de société chrétienne, vous ne réussiriez pas davantage à y refaire une société d'honnêtes païens. Les passions humaines, après avoir secoué le joug de Jésus-Christ, ne s'arrêteront pas en si beau chemin. Si la philosophie se persuade qu'il n'y a plus de motifs plausibles pour l'empêcher de disputer à la religion sa souveraineté séculaire et légitime, comptez que la souveraineté récente et usurpée de la philosophie aura ses contradicteurs et ses contempteurs. Les multitudes que vos doctrines irréligieuses ont perverties, seront fort peu touchées de vos homélies platoniciennes. Et, puisque vous ne leur opposez d'autre barrière que celle des lois de la nature, vous apprendrez que la nature a des penchants contre lesquels cette barrière est impuissante. Le philosophisme a couvert le monde de sang, de larmes et de ruines depuis bientôt un siècle ; les révolutions qui ont si fortement ébranlé les sociétés sont son œuvre121 : il ne produira dans l'avenir que ce qu'il a produit dans le passé.

Heureusement, Messieurs et chers Coopérateurs, le christianisme continuera d'opposer sa vertu vivifiante à l'action délétère du naturalisme. C'en est fait, dit-on, de la foi naïve de nos pères. Combien d'augures trompeurs avaient ainsi annoncé la fin du christianisme, et dont le christianisme a bientôt écrit l'épitaphe, comme le vieillard de la fable sur le marbre des trois jouvenceaux ! « La foi naïve [de nos pères] est morte »122 , répètent-ils. Mais saint Augustin et Bossuet furent nos pères, et leur foi ne fut assurément ni plus « naïve », ni moins « réfléchie » que celle des chrétiens de notre âge ; et, durant le cours de dix-huit siècles, tous les chrétiens éclairés n'ont pas cessé d'être prêts à rendre compte du fondement de leur espérance à quiconque leur en demandait raison, ainsi que l'apôtre saint Pierre le leur avait recommandé123. Nous nous glorifions d'être toujours naïfs à la fois et réfléchis de cette façon. Le mal est fait, ajoute-t-on. Ne semblerait-il pas que le genre humain tout entier a suivi les philosophes dans leur apostasie du christianisme, et que l'Église de Jésus-Christ est désormais un royaume sans sujets? Par la grâce de Dieu, le christianisme est plein de vitalité, et son empire est immortel. De toutes parts, il se manifeste vers la religion chrétienne un mouvement marqué de retour; la philosophie sent bien qu'elle ne peut l'arrêter; aussi cherche-t-elle à le diriger et à le fausser. N'a-t-elle pas entrepris de nous faire reculer, sous prétexte de religion, jusqu'au paganisme ?

XVI. Oui, Messieurs, je n'exagère rien, la philosophie de ce temps a une prédilection marquée pour le paganisme, pour ses dogmes aussi bien que pour sa morale. Celui-ci n'hésite pas à regretter les vieilles divinités de la Gaule. Celui-là nous propose sérieusement d'abandonner un dogme qui, selon lui, n'appartient pas à l'essence de la révélation chrétienne, le dogme de l'éternité des peines et des récompenses, pour revenir, sous l'action de l'esprit progressif de la France, à la croyance des druides, c'est-à- dire à l'antique métempsycose, interprétée à l'aide de l'astronomie, de la géologie et de la philosophie moderne124. D'autres se plaignent que « l'esthétique manque à l'Évangile, le gracieux au Crucifié ». Le maître principal ne veut pas qu'on se hâte d'accuser l'anthropomorphisme ni l'idolâtrie qu'il a répandue : c'est la première conquête de la liberté et de l'intelligence, il a une immense supériorité sur tout ce qui l'a précédé125. Enfin un publiciste distingué nous assure que « là où règne le spiritualisme, on pourrait dire sans témérité qu'à ne considérer que les actes, il n'y a pas une grande différence entre un philosophe honnête et un honnête chrétien. » Et cette conclusion, il l'appuie sur une leçon récente d'un professeur renommé qui établit que : les philosophes anciens étaient d'excellents « directeurs spirituels de l'humanité » ; que leur morale ne manquait d'aucune des garanties désirables ; qu'elle était « presque aussi précise que celle des Pères de l'Église » ; qu'elle était populaire et pratique, et s'adressait à tout le monde; qu'elle possédait une sanction très-suffisante ; enfin qu'elle avait son mobile presque surnaturel et qu'on y trouve « la doctrine de la grâce dans toute sa sévérité »126. Aussi les saints du christianisme sont-ils mis tout naturellement en société des héros païens,: « Oh! — s'écrie-t-on —, si l'âme du dernier des Brutus, si l'âme de saint Louis s'étaient racontées elles-mêmes, quelle belle psychologie morale nous aurions »127.

Ainsi, Messieurs, Jésus-Christ, venu sur la terre « pour nous arracher à la puissance du démon et nous rendre à Dieu »128, « pour nous tirer du sein des ténèbres et nous introduire dans son admirable lumière »129, n'a eu rien ou à peu près rien à faire en ce monde. Les idoles qu'il a remplacées étaient fort respectables. Il n'a apporté ni vérité ni vertu que les païens ne connussent et ne pratiquassent d'avance. Une âme purifiée dans le sang de Jésus-Christ, régénérée par le baptême, nourrie de l'Eucharistie, n'a rien qui la distingue beaucoup de celle qui est plongée dans l'infidélité : Brutus ou saint Louis, ce sont des vertus qui vont de pair. Il est vrai, le premier n'a point connu la révélation chrétienne, et le second a pratiqué toutes les perfections de l'Évangile. Mais, on l'a dit ailleurs, « la philosophie et la religion ne diffèrent que par les formes qui les distinguent sans les séparer : un autre auditoire, d'autres formes, un autre langage »130.

Enfin, oserai-je vous dire, Messieurs, que ce n'est pas seulement la réhabilitation du paganisme, mais que c'est celle de l'enfer et du démon qui est entreprise ? Entendez ceci :
De tous les êtres autrefois maudits, que la tolérance de notre siècle a relevés de leur anathème, Satan est, sans contredit, celui qui a le plus gagné au progrès des lumières et de l'universelle civilisation. Le moyen-âge, qui n'entendait rien à la tolérance, le fit à plaisir méchant, laid, torturé . (…) Un siècle aussi fécond que le nôtre en réhabilitations de toutes sortes ne pouvait manquer de raisons pour excuser un révolutionnaire malheureux, que le besoin d'action jeta dans les entreprises hasardeuses. (...) Si nous sommes devenus indulgents pour Satan, c'est que Satan a dépouillé une partie de sa méchanceté, et n'est plus ce génie funeste, objet de tant de haines et de terreur. Le mal est évidemment de nos jours moins fort qu'il n'était autrefois. Permis au moyen âge, qui vivait continuellement en présence du mal fort, armé, crénelé, de lui porter cette haine implacable. Nous qui respectons l'étincelle divine partout où elle reluit, (…) nous hésitons à prononcer des arrêts exclusifs, de peur d'envelopper dans notre condamnation quelque atome de beauté.131
Serait-il vrai, Messieurs, que toutes ces débauches d'esprit, tous ces blasphèmes qui eussent fait frémir les chrétiens de l'ancienne marque, eussent perdu une partie de leur horreur pour je ne sais quels chrétiens énervés de ce temps ? Quoi qu'il en soit, voici de très-graves paroles tombées de haut, et qui ne doivent jamais être oubliées :

XVIII.

Nous avons appris avec douleur qu'une autre erreur funeste était répandue dans quelques parties du monde chrétien, et s'était emparée de l'esprit d'un assez grand nombre d'hommes, la plupart catholiques, lesquels s'imaginent qu'il faut bien espérer du salut éternel de ceux qui ne vivent point au sein de la véritable Église de Jésus-Christ. De là vient qu'ils posent fréquemment la question de savoir quels seront, après la mort, le sort et la condition de ceux qui n'ont fait aucune profession de la foi catholique, et ils appuient sur les raisons les plus vaines une réponse favorable à leur opinion erronée.
Loin de nous, vénérables Frères, que nous osions mettre des limites à la miséricorde divine, qui est infinie; loin de nous que nous voulions sonder les conseils et les jugements secrets de Dieu ; abîme profond où la pensée de l'homme ne peut pénétrer. Mais, selon le devoir de notre charge apostolique, nous voulons exciter votre sollicitude et votre vigilance épiscopale, afin que, de toute l'étendue de vos forces, vous chassiez de l'esprit des hommes cette opinion impie et funeste que le chemin du salut éternel peut se trouver dans toutes les religions. Démontrez à vos peuples, avec toute la doctrine et l'habileté qui brillent en vous, que les dogmes de la foi catholique ne sont nullement contraires à la miséricorde et à la justice de Dieu.
Il est en effet certain par la foi que, hors de l'Église apostolique romaine, personne ne peut être sauvé; qu'elle est l'unique arche du salut ; que celui qui n'y sera point entré périra par le déluge ; et d'autre part, il faut aussi tenir pour certain que ceux qui sont à l'égard de la vraie religion dans une ignorance invincible, n'en portent point la faute aux yeux du Seigneur. Or, maintenant, quel mortel serait assez téméraire pour vouloir déterminer les limites de cette ignorance, suivant le caractère et la diversité des peuples, des esprits et de tant d'autres circonstances ? Sans doute, lorsqu' affranchis de ces entraves corporelles, nous verrons Dieu tel qu'il est, nous comprendrons alors la beauté du lien qui unit étroitement en Dieu la miséricorde et la justice ; mais tant que nous sommes dans ce séjour terrestre, affaissés sous ce fardeau mortel qui écrase l'âme, nous croyons fermement, d'après la doctrine catholique, qu'il n'existe qu'un Dieu, une foi, un baptême ; aller plus loin dans ses recherches n'est pas licite. Au reste, suivant que la charité le demande, faisons des prières fréquentes pour que tous les peuples, quelles que soient les régions qu'ils habitent, se convertissent au Christ, et dévouons-nous de toutes nos forces au salut commun des hommes, car le bras du Seigneur n'est pas raccourci, et les dons de la grâce céleste ne sauraient nullement faire défaut à ceux qui désirent et demandent sincèrement d'être réjouis de cette lumière.
Ces sortes de vérités doivent être gravées très profondément dans les esprits des fidèles, afin qu'ils ne se laissent pas corrompre par de fausses doctrines, qui vont à entretenir cette indifférence que nous voyons se répandre de plus en plus et se fortifier au détriment mortel des âmes.132
Quelle sagesse de conseils, Messieurs et chers Coopérateurs ! Quelle connaissance de l'état le plus actuel des esprits, des périls les plus présents de la société chrétienne ! Quelle précision d'enseignement et de doctrine ! Quels ménagements fondés à la fois sur la vérité et sur la charité ! Mais en même temps, quelle sainte énergie pour la conservation du dogme, pour le maintien du dépôt ! Non, personne ne sera jugé d'après ce qu'il aura invinciblement ignoré133. Non, la lumière divine ne manquera jamais à qui que ce soit qui l'aura cherchée et l'aura sincèrement désirée. Car, bien que Dieu ne doive sa grâce à personne, nous avons appris de lui-même qu'il veut que tous les hommes se sauvent, et que, dans cette fin, ils arrivent à la connaissance de la vérité134. C'est pourquoi, à celui qui fait ce qu'il peut, Dieu ne refuse pas la grâce. Il existe dans les trésors de sa miséricorde et de son amour, des ressources et des inventions que nous ne connaîtrons qu'au ciel. Les théologiens les mieux notés enseignent à cet égard des doctrines très-consolantes. Mais il n'en reste pas moins incontestable qu'il n'y a « qu'un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême » (Éphésiens 4, 5), et qu'en dehors de l'Église il n'y a pas de salut135. Insistez donc souvent auprès de vos peuples, Messieurs, afin de leur faire sentir tout le prix, toute la dignité, tout l'avantage de la condition chrétienne. Sans doute, après le baptême, il demeure en nos âmes de tristes conséquences du péché d'origine, mais elles ne nous sont laissées que pour l'épreuve et le combat ; et l'Église, jalouse de la vertu infinie du sang de Jésus, dénonce anathème contre quiconque méconnaît la condition du chrétien régénéré, et l'abaisse au niveau de celle du païen ou même du catéchumène136. L'humilité nous sied à tous ; nos fautes personnelles nous la commanderont toujours assez. Toutefois, ne soyons pas humbles au détriment de Jésus-Christ; et quand il a relevé si magnifiquement l'édifice de notre âme, quand il en a cimenté la restauration avec son sang, quand il l'a orné de ses dons les plus choisis, n'appelons plus ce glorieux édifice un débris, et gardons-nous de l'assimiler aux ruines d'une nature non réparée.

Soyons d'ailleurs pleins de zèle pour communiquer nos privilèges, et tâchons de les étendre à toutes les âmes. Mais n'oublions jamais à quelles conditions nos clefs doivent ouvrir et fermer. Dieu a posé ses lois que nous ne saurions enfreindre. Malheur à moi si je négligeais l'injonction que l'Église adresse, par ma bouche, au jeune lévite qui aborde le sanctuaire ! Évêque, c'est bien le moins que je me souvienne du premier des ordres inférieurs qui m'ont été conférés, et que je n'ouvre pas la maison de Dieu aux infidèles : Domum Dei aperiatis fidelibus et semper claudatis infidelibus137.

Il est temps, Messieurs, de terminer ce long entretien, et il s'en faut beaucoup cependant que la matière soit épuisée. Je m'arrêterai après une ou deux observations finales.

XIX. Quand nous signalons ainsi les graves erreurs et les tendances antichrétiennes de la philosophie contemporaine, nous sommes loin, Messieurs, de vouloir déprécier la bonne philosophie, la vraie et saine philosophie, celle-là même qui, au moyen du doute méthodique138 et de l'abstraction spéculative, se place hypothétiquement, autant que le permet l'état actuel de l'humanité, en dehors du domaine de la foi et de la tradition surnaturelle pour étudier les choses qui sont du légitime domaine de la raison. Au contraire, nous ne cessons d'encourager cette étude et de recommander cet utile emploi, ce noble exercice de l'intelligence. À vrai dire, si quelque chose pouvait dégoûter de la philosophie humaine, ce sont les étranges abus qui en ont été faits, principalement depuis un siècle. Volontiers nous adopterions à cet égard le langage que tenait déjà [Pierre] Nicole, si nous ne le trouvions légèrement empreint de cette aversion excessive de sa secte contre la raison et la nature :
De quelque éloge qu'on relève la philosophie [de M. Descartes] — disait-il — il faut néanmoins reconnaître que ce qu'elle a de plus réel est qu'elle nous fait très-bien comprendre que tous les gens qui ont passé leur vie à philosopher sur la nature n'avaient entretenu le monde et ne s'étaient entretenus eux-mêmes que de chimères139. (…) [Je vous avoue, mon Révérend Père, que] j'ai vu tant de vanité et tant de présomption parmi ceux qui font métier de philosophie et qui soutiennent même la plus solide, que si j'avais à revivre, il me semble que j'éviterais de faire paraître de l'inclination pour aucun de ces partis [et que je ferais en sorte qu’on ne me mettrait pas au nombre des cartésiens non plus qu’en celui des autres]140.
Qu'eût dit le solitaire de Port-Royal s'il eût connu les élucubrations de ceux qui ont fait « métier de philosophie » de nos jours ? Du reste, jamais nos paroles les plus sévères n'égaleront la dureté de langage avec laquelle les maîtres les plus renommés de ce temps ont caractérisé eux-mêmes l'impuissance et la nullité de tous les modernes systèmes, les aberrations et les contradictions des nouveaux chefs d'école.

Pourquoi taire une vérité incontestable, Messieurs? J'aurai la franchise de dire ce que je pense, ce que vous pensez comme moi, ce qui est certain pour tout homme qui a étudié, observé les choses : Il n'existe plus guère de philosophie au dix-neuvième siècle, si ce n'est chez les corporations religieuses, dans les séminaires et dans les universités catholiques; et, si vous voulez trouver encore des hommes qui aient véritablement conservé foi dans la raison humaine, cherchez-les dans les rangs de ceux qui ont gardé la foi chrétienne en leurs cœurs141. Oui, il reste chez nous un enseignement philosophique sérieux. Et, comme la philosophie est assurément la première et la plus noble de toutes les connaissances naturelles, comme elle l'emporte sur l'industrie, sur les arts, sur les sciences exactes et sur les sciences physiques, celui-là ne serait que juste envers l'Église qui reconnaîtrait l'incontestable supériorité avec laquelle elle soutient, aujourd'hui comme autrefois, le flambeau de la science humaine.

Persévérez donc, Messieurs, dans cette grande et noble étude. Tout disciple de Jésus-Christ, qu'il soit simple baptisé ou qu'il soit prêtre, n'importe, est tenu de respecter toujours les lignes sévères de l'orthodoxie. Mais qu'on ne croie pas que l'esprit humain, dès l'instant qu'il a mis le pied sur le terrain de la révélation, y soit comme emprisonné et chargé d'entraves. « Je suis la porte, a dit Jésus-Christ : si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé. Et il entrera, et il sortira, et il trouvera d'abondants pâturages (Jean 10, 9). » Oui, la porte par laquelle il faut nécessairement entrer pour trouver la vérité complète qui conduit au salut, c'est Jésus-Christ, c'est la foi : « Ego sum ostium ; per me si quis introierit, salvabitur142». Mais le chrétien, une fois incorporé à la cité sainte avec la résolution d'y vivre et d'y mourir, jouit en quelque sorte de ses entrées et de ses sorties franches. La citadelle divine a des portes ouvertes sur toutes les régions environnantes, elle a des descentes sur toutes les plages, et la police de la ville, qui est une ville libre par excellence, autorise sans difficulté et sans ombrage les allées et les venues qui n'ont pas de caractère hostile. Le chrétien profite de cette bienheureuse facilité; « il entre et il sort », et, au delà comme en deçà des remparts, il rencontre de riches domaines, des prairies émaillées, des jardins fleuris où son esprit se délecte, où son génie trouve un aliment et une pâture : « et ingredietur et egredietur, et pascua inveniet143 ». Ainsi, le chrétien qui a fait l'acte de foi peut-il, quand il le veut, se replacer sur le terrain de la pure raison et de la simple nature, soit pour y étudier toutes les parties diverses de ce monde naturel « que Dieu a livré aux disputes des hommes » (Ecclésiaste 3, 11, Vulgate), soit pour y vérifier de nouveau les faits historiques et les motifs rationnels qui ont déterminé son assentiment religieux, et dont l'examen approfondi le rendra plus éloquent pour déterminer l'assentiment de ses frères. Puis, après cette excursion fructueuse, rentré dans la place, il y trouve des terres plus riches encore et plus fécondes. Acceptant la foi pour point de départ, sa raison se livre à de magnifiques investigations, à des spéculations sublimes. Le philosophe s'était fait chrétien; le chrétien redevient philosophe, et sa raison prenant son essor, comme l'aigle, du sommet des montagnes où l'a foi l'a portée, s'élance dans des régions inaccessibles pour le timide oiseau parti de la vallée. C'est ainsi que tout chrétien à qui Dieu a départi une étincelle de génie est un philosophe éminent, près duquel pâlissent les docteurs profanes; et je dirai aussi que le chrétien le plus illettré possède dans sa foi une dose de philosophie humaine qui n'existe point, en dehors du christianisme, chez ceux de sa condition. Pour conclure une alliance entre la raison et la foi, entre la science et la religion, le chrétien n'a pas à sortir de lui-même; il trouve dans son propre fonds les deux éléments combinés. Nos illustres devanciers ne commettaient donc aucune usurpation, ne faisaient aucune confusion, quand, aux premiers âges de l'Église, ils donnaient au christianisme le nom de philosophie.

Il ne sera jamais fait sous le soleil un assez noble usage de l'intelligence humaine par quiconque ne l'appliquera point à connaître Celui que le Père a envoyé, Celui qui n'est pas seulement l'auteur et le consommateur de la foi, mais encore le chef de la race humaine restaurée, perfectionnée; en un mot, Celui qui récapitule tout en lui : la nature et la grâce, la raison et la foi, la philosophie et la religion.

XX. Enfin, Messieurs, si nos attaques ne sont pas dirigées contre la philosophie, mais contre les erreurs qui se parent de son nom, avons-nous besoin de protester que nous confondons encore moins les personnes avec les erreurs ? Les personnes, Dieu nous en est témoin, nous demandons chaque jour l'amendement de leur esprit et de leur cœur ; nous donnerions notre vie pour les conquérir à la vérité et à la grâce, pour leur procurer le don de la foi et leur ouvrir la porte du ciel. S'il y a quelque chaleur, quelque vivacité dans notre langage, c'est qu'il est impossible d'être convaincu de la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et de ne pas flétrir avec une sainte indignation les doctrines qui combattent directement cette vérité fondamentale, ou qui l'annihilent dans la pratique. Quand on a le bonheur d'être chrétien, quand on a l'honneur d'être ministre de la sainte Église de Dieu, la tiédeur sur ce point serait un crime, et toute capitulation serait une apostasie et une trahison. Ce serait de plus une cruauté, soit envers tant d'esprits faibles et peu éclairés qui peuvent se laisser séduire par les dehors convenables de cette philosophie trompeuse, soit envers les philosophes eux-mêmes, dont plusieurs pèchent par ignorance plus encore que par impiété : « Ignorant et errant144 ». Qu'on ne nous reproche donc pas, comme un acte d'intolérance et d'hostilité, un cri d'alarme qui tend à préserver du supplice éternel des frères égarés, et, avec eux, ce grand nombre d'hommes qu'ils égarent. Nous ne connaissons point et il n'existe pas de moyen terme entre la béatitude surnaturelle qui est promise aux élus, et les tourments sans fin qui attendent les contempteurs de Jésus-Christ et de sa loi : voilà notre raison de parler, puisée dans un sentiment de zèle et dans un devoir de charité pastorale. Il en est une autre qui procède d'une pensée de foi, d'un devoir d'adoration et d'amour. Jésus-Christ est le Fils de Dieu fait homme, il est le roi de l'humanité par droit de naissance et par droit de conquête. La philosophie conteste à Jésus-Christ sa divinité, elle lui dispute son empire. En face de cette négation sacrilège, « malheur à moi si je n'évangélise pas » : « Væ mihi si non evangelizavero » (1 Corinthiens 9, 16).

Au fond des sanctuaires chrétiens de l'orient, parmi plusieurs autres peintures qui décorent l'abside, il est une représentation qu'on retrouve souvent145. C'est un évêque, saint Pierre d'Alexandrie, étonné et comme dans la stupeur. Devant lui, c'est Jésus-Christ, nu et transi de froid. L'évêque l'interroge de son regard plein d'émotion. Jésus lui répond : « C'est Arius, l'impie Arius qui m'a dépouillé de ma tunique ».

Ah ! mes vénérables Frères, le même Jésus, dépouillé du manteau de sa divinité et de sa royauté par la main glaciale du nouvel arianisme, est apparu à vos regards et aux miens. Et chacun de nous s'est écrié comme les prêtres à qui saint Pierre d'Alexandrie raconta sa vision : « Tant qu'il me restera un souffle de vie, j'élèverai la voix contre l'impie Arius ». Le secours d'en haut ne nous manquera pas dans l'accomplissement de cette tâche. Le père commun des fidèles nous en donne un présage certain dans ces consolantes et saintes paroles qui terminent l'allocution apostolique dont cet entretien synodal n'a été que le développement :
Telles sont les choses que nous avons jugé devoir vous faire entendre, Vénérables Frères, dans notre soin et notre sollicitude à remplir le ministère apostolique que la clémence et la bonté de Dieu ont imposé à notre faiblesse. Mais nous nous sentons relevé et fortifié par l'espérance de la protection céleste. Dieu protégera son Église, il favorisera nos vœux communs, surtout si nous avons pour nous l'intercession et les prières de la Très-Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu. En votre présence et au milieu de vos applaudissements qui nous remplissaient de joie, nous l'avons, avec l'aide du Saint-Esprit, proclamée exempte de la tache originelle. C'est un privilège assurément glorieux, et qui convenait pleinement à la Mère de Dieu, d'avoir échappé saine et sauve au désastre universel de notre race. Or, la grandeur de ce privilège servira puissamment à réfuter ceux qui nient que la nature humaine ait été détériorée par suite de la première faute, et qui exagèrent les forces de la raison pour méconnaître ou diminuer le bienfait de la religion révélée. Fasse enfin la bienheureuse Vierge qui a tué et détruit toutes les hérésies, que soit aussi entièrement déracinée et anéantie cette très pemicieuse erreur du rationalisme, qui, à notre malheureuse époque, tourmente si violemment la société civile et désole si profondément l'Église :
Faxit tandem Virgo Beatissima, quæ interemit ac perdidit universas hæreses, ut hic etiam evellatur stirpitus ac deleatur rationalismi error perniciosissimus [qui hac miserrima ætate non civilem modo societatem, sed vero etiam tantopere affligit et vexat Ecclesiam] !146

Ainsi soit-il !!!


Notes
1. Mandement de Mgr l’évêque d’Alger, pour le Carême 1855.
2. Allocution de N[otre]. S[aint]. P[ère]. le Pape dans le consistoire du IX décembre MDCCCLIV [9 décembre 1854].
3. Ibid.
4. Ibid.
5. Ibid.
6. Voir principalement le Journal des Débats, 1854, et 21 mars et 5 mai 1855 : articles signés « De Sacy ».
7. Aux législateurs propriétaires qui proposaient la spoliation de l'Église de France, le vénérable archevêque d'Aix disait, en 1789 : « Pensez-vous si jamais les non-propriétaires de bien-fonds dominent dans une Assemblée nationale, que les droits des propriétaires de terre ne puissent pas être violés ? » (Discours sur la propriété des biens ecclésiastiques, par Mgr l'archevêque d'Aix.)
8. L'abbé Maury.
9. Histoire de la Révolution, par M. A. Thiers, 3e édition, 1834, p. 207. [La citation exacte est : « L'abbé Maury déploya ici sa faconde imperturbable ; il sonna l'alarme chez les propriétaires, les menaça d'un envahissement prochain, et prétendit qu'on sacrifiait les provinces aux agioteurs de la capitale. » in Adolphe Thiers, Histoire de la Révolution, 12e édition, tome 1, Société typographique belge, Bruxelles, 1838, p. 54]
10. De la propriété, par M. A. Thiers, 1848. Préface, p. 3.
11. Chateaubriand, « Opinion sur la vente des forêts, prononcée à la Chambre des Pairs, le 21 mars 1817 », [in Œuvres complètes, tome 5e, A. Desrez, Lefèvre, Paris, 1837, p. 354.]
12. Bossuet, Panégyrique de S. Thomas de Cantorbéry.
13. Défense de l'Église catholique contre l'hérésie constitutionnelle qui soumet la religion an magistrat, renouvelée dans ces derniers temps, Paris, 1840. Par M. Boyer, directeur au séminaire de Saint-Sulpice.
14. Bossuet, op. cit.
15. « Quoniam vero fides semper fuit semperque erit humanæ salutis initium, fundamentum et radix omnis justificationis, sine qua impossibile est placere Deo, et ad filiorum ejus consortium pervenire, damnamus systema eorum qui, naturalem et supernaturalem ordinem confundentes, et fidei rationem coæquantes, religionem divinam et philosophiam humanam dicunt duas sorores, pari jure ministerio animarum allaborantes, parique exitu, licet non eadem via, suos asseclas ad finem perfectum perducturas. » (Concil. Burdig., 1850, p. 15)
16. Credimus in unum Dominum Jesum Christum, Filium Dei unigenitum, consubstantialem Patri ; qui, propter nos et propter nostram salutem, descendit de cœlis, ut nos vocaret in admirabile lumen suum, restituens nos in pristinam illam dignitatem status supernaturalis et indebiti, de qua exciderat Adam per inobedientiæ peccatum, dansque nobis omnia necessaria ut æternam assequamur felicitatem. Damnamus ergo errorem eorum qui Dominum nostrum Jesum Christum habent ut hominem, sapientissimum quidem, vel etiam divinum, sed non ut Deum (...) negantque necessitatem ac virtutem Sacramentorum, quæ salubriter instituit Salvator ac Redemptor noster, per quæ merita ejus hominibus applicantur, et gratia confertur ut salutem assequi possint. (Concil. Burdig., 1850, p. 13 et 14.)
17. Allocution de N[otre]. S[aint]. P[ère]. le Pape dans le consistoire du IX décembre MDCCCLIV [9 décembre 1854].
18. Premiers essais de philosophie, par M. V. Cousin. Avertissement de 3e édition, 1855, p. XIII.
19. Voyez plus loin le § XII.
20. Du Vrai, du Beau et du Bien, par M. Victor Cousin, 2e édition, 1854, p. 132.
21. Ibid.
22. « Unus mediator Dei et hominum homo Christus Jesus » : « un seul médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus fait homme » (1 Timothée 2, 5).
23. Du Vrai, du Beau et du Bien, par M. Victor Cousin, 2e édition, 1854, p. 132.
24. Ibid.
25. Ibid., p. 105-107.
26. « Multifariam multis modis olim Deus loquens patribus in prophetis, novissime diebus istis locutus est nobis in Filio » : « Après avoir, à plusieurs reprises et en diverses manières, parlé autrefois à nos pères par les prophètes, Dieu, dans ces derniers temps, nous a parlé par le Fils, qu'il a établi héritier de toutes choses, et par lequel il a aussi créé le monde. » (Hébreux 1, 1-2)
27. « Nemo venit ad Patrem nisi per me » : « Nul ne vient au Père que par moi » (Jean 14, 6).
28. « Qui credit in Filium, habet vitam æternam ; qui autem incredulus est Filio, non videbit vitam, sed ira Dei manet super eum » : « Qui croit dans le Fils a la vie éternelle ; mais qui celui qui ne croit pas au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur Lui » ( Jean 3, 36).
29. « Deum nemo vidit unquam : unigenitus Filius qui est in sinu Patris, ipse enarravit. » : « Dieu, personne ne le vit jamais: le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c'est lui qui l'a fait connaître. » (Jean 1, 18)
30. « Hæc est vita æterna ut cognoscant te, solum Deum verum, et quem misisti Jesum Christum » : « La vie éternelle, c'est qu'ils vous connaissent, vous, le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ. » (Jean 17, 3)
31. Du Vrai, du Beau et du Bien, par M. Victor Cousin, 2e édition, 1854, p. 10.
32. Ibid., p. 452.
33. Ibid., p. 107.
34. Ibid.
35. Ibid.
36. Ibid., p. 108.
37. Ibid.
38. Ibid., p. 116-117.
39. « Secundum eum qui vocavit vos, Sanctum, et ipsi in omni conversatione sancti sitis ; quoniam scriptum est : Sancti eritis, quoniam ego sanclus sum » : «  à l'imitation du Saint qui vous a appelés, vous-mêmes aussi soyez saints dans toute votre conduite, car il est écrit : ‘’Soyez saints, parce que je suis saint.’’ » (1 Pierre 1, 15-16)
40. Premiers essais de philosophie, par M. Victor Cousin; 3e édition, revue et corrigée, 1855, p. 307.
41. Ibid., p. 310.
42. « Audiemus te de hoc iterum. » : « Nous t'entendrons là-dessus une autre fois. » (Actes 17, 32)
43. Ibid., p. XIII.
44. Du Vrai, du Beau et du Bien, par M. Victor Cousin, 2e édition, 1854, p. 61.
45. Ibid., p. 123.
46. Madame de Longueville, par M. V. Cousin, 2e édit., 1853, p. 92.— Note, Ibid. et p. 438.
47. Du Vrai, du Beau et du Bien, par M. Victor Cousin, 2e édition, 1854, p. 277.
48. Ibid., p. 381.
49. Ibid., p. 277.
50. « Infelix ego homo, quis me liberabit de corpore mortis hujus ? » : « Malheureux que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort ? » (Romains 7, 24)
51. « Desiderium habens dissolvi et esse cum Christo. » : « [Ayant] le désir de partir et d'être avec le Christ. » (Philippiens 1, 23)
52. Hoc hunc sub opinione falsæ pietatis efficitur, hoc sub specie prædicationis evangelicæ laboratur, ut Dominus Jesus, dum prædicari creditur, denegetur (S. Hilaire de Poitiers, Contra Arianos vel Auxentium Mediolanensem, 2).
53. Nam ipsi nunc Christum novum, per quem antichristus subreperet, intulerunt. Volunt enim hunc suum Christum non ejus divinitatis esse cujus et Pater est, sed esse potentem et præstantem cæteris aliis creaturis (Ibid., 5-6)
54. Et hujus usque quidem adhuc impietatis fraude perficitur, ut jam sub antichristi sacerdotibus Christi populus non occidat, dum hoc putant illi tidei esse quod vocis est. (Ibid., 6.)
55. Ibid., 7.
56. Du Vrai, du Beau et du Bien, par M. Victor Cousin, 2e édition, 1854, p. 452.
57. Ibid., p. 426 et 428.
58. Ibid., p. 174.
59. Ibid. Dans une de ses compositions plus nouvelles, le même auteur reproduit avec complaisance le même parallèle entre le démon de Socrate et le bon ange de la mère Madeleine de Saint-Joseph. C'est toujours la même théorie rationaliste, la même négation des phénomènes surnaturels.
60. Premiers essais de philosophie, par M. Victor Cousin; 3e édition, revue et corrigée, 1855, p. XV.
61. Du Vrai, du Beau et du Bien, par M. Victor Cousin, 2e édition, 1854, p. VI.
62. Concilium Burdigalæ, 1850, p. 15.
63. « Tout esprit qui confesse Jésus-Christ venu en chair est de Dieu. » (1 Jean 4, 2)
64. « Et tout esprit qui ne confesse pas ce Jésus n'est pas de Dieu. » (1 Jean 4, 3)
65. « Hic est seductor et antichristus. Omnis qui recedit et non permanet in doctrina Christi, Deum non habet. (…) Si quis venit ad vos et hanc doctrinam non affert, nolite recipere eum in domum, nec ave ei dixeritis. Qui enim dicit illi ave, communicat operibus ejus malignis » : « Quiconque va au delà et ne demeure pas dans la doctrine du Christ, ne possède point Dieu. (…) Si quelqu'un vient à vous et n'apporte point cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison, et ne lui dites pas : “Salut !” Car celui qui lui dit : “Salut !” participe à ses œuvres mauvaises. » (2 Jean 1, 9-11)
66. « Qui est mendax, nisi is quis negat quoniam Jesus est Christus ? » (1 Jean 2, 22)
67. Descartes a été l'émancipateur de la raison. [Francisque] Bouillier, Histoire de la philosophie cartésienne, 1854.
68. « Combien de fois n'avons-nous pas répété sur tous les tons : gardons du dix-huitième notre indépendance ; voilà notre conquête ». V. Cousin, Premiers essais de philosophie, 1855. Avertissement de la 3e édit., p. XIV.
69. Du Devoir, p. III [cf. [Jules Simon, Le Devoir, 3e édition, L. Hachette, 1855, p. X] - Revue des Deux-Mondes, 1854.
70. Du Vrai, du Beau et du Bien, par M. Victor Cousin, 2e édition, 1854, p. 448.
71. Du Devoir, p. 483 [cf. Jules Simon, op. cit., p. 415]
72. Ibid., p. 487 [cf. Jules Simon, op. cit., p. 419]
73. Du Vrai, du Beau et du Bien, par M. Victor Cousin, 2e édition, 1854, p. 428-429.
74. Premiers essais de philosophie, par M. Victor Cousin; 3e édition, revue et corrigée, 1855, p. XIII.
75. M. Villemain. Voir le journal l'Institut, septembre 1854, p. 103.
76. Oraison funèbre d'Anne de Gonzague.
77. Le Correspondant, 25 novembre 1854, p. 303-305.
78. Le mot est de Bossuet, et il est dénaturé dans la citation. Nous ne disons pas de fausses vertus, mais des vertus qui ne conduisent pas au ciel par elles-mêmes, et qui, si elles ne sont pas complétées par d'autres, ne peuvent préserver de l'enfer.
79. H. Rigault, [« Variétés – La morale de l’Évangile comparée aux divers systèmes de morale, par M. l’abbé Bautain. Un volume in 8°. 1855. », in] Journal des Débats, 8 mars 1855, [p. 3].
80. Id. mai 1854. [En fait : H. Rigault, « Variétés – De quelques prédicateurs de carême », in Journal des débats, 20 avril 1854, p. 3.]
81. La vingt-cinquième et la soixante-deuxième proposition condamnées de Baïus sont celles-ci : Omnia opera infidelium sunt peccata, et philosophorum virtutes sunt vitia [« Toutes les actions des infidèles sont des péchés, et les vertus des philosophes sont des vices »]. — Illa quoque distinctio qua opus dicitur bifariam bonum, vel quia ex objecto et omnibus circumstantiis rectum est et bonum (quod naturaliter bonum appellare consueverunt) : vel quia est meritorium regni æterni, eo quod sit a vivo Christi membro per Spiritum caritatis, rejicienda est [« Il faut aussi rejeter cette distinction selon laquelle une action est dite bonne, d’une double manière : soit parce qu’elle est droite et bonne par son objet et par toutes les circonstances (ce qu’ils ont l’habitude d’appeler bonne naturellement) ; soit parce qu’elle est méritoire du Royaume éternel, faite par un membre vivant du Christ, [animé] par la charité de l’Esprit »].
82. Romains 9, 20.
83. Et ait illi : Amice, quomodo huc intrasti non habens vestem nuptialem ? At ille obmutuit. Tunc dixit rex ministris : Ligatis manibus et pedibus ejus, mittite eum in tenebras exteriores : ibi erit fletus et stridor dentium (« Il lui dit : “Mon ami, comment es-tu entré ici sans avoir une robe de noces?” Et cet homme resta muet. Alors le roi dit à ses serviteurs : “Liez-lui les mains et les pieds, et jetez-le dans les ténèbres extérieures : c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents” » ; Matthieu 22, 12-13).
84. Matthieu 28, 18-20.
85. Marc 16, 15-16.
86. « Neque enim Pater judicat quemquam, sed omne judicium dedit Filio ; ut omnes honorificent Filium, sicut honorificant Patrem : qui non honorificat Filium, non honorificat Patrem qui misit illum » : « Le Père même ne juge personne, mais il a donné au Fils le jugement tout entier, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Celui qui n'honore pas le Fils n'honore pas le Père qui l'a envoyé. » (Jean 5, 22-23)
87. « Deus exaltavit Eum, et donavit illi Nomen quod est super omne nomen, ut in Nomine Jesu omne genu flectatur, cœlestium, terrestrium et infernorum ; et omnis lingua confiteatur quia Dominus Jesus Christus in gloria est Dei Patris. » : « C'est pourquoi aussi Dieu l'a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse, à la gloire de Dieu le Père, que Jésus-Christ est Seigneur. »(Philippiens 2, 9-11)
88. « Nam arma militiæ nostræ non carnalia sunt, sed potentia Deo ad destructionem munitionum, consilia destruentes, et omnem altitudinem extollentem se adversus scientiam Dei, et in captivitatem redigentes omnem intellectum in obsequium Christi, et in promptu habentes ulcisci omnem inobedientiam. » : « Car les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas charnelles ; elles sont puissantes devant Dieu pour renverser des forteresses. Nous renversons les raisonnements et toute hauteur qui s'élève contre la science de Dieu, et nous assujettissons tout pensée à l'obéissance du Christ » (2 Corinthiens 10, 4-6).
89. « Instaurare omnia in Christo (...), et omnia subjecit sub pedibus ejus, et ipsum dedit caput. » : « Réunir toutes choses en Jésus-Christ (…), et il a tout mis sous ses pieds et il l'a donné pour chef suprême. »(Éphésiens 10b.22)
90. « In eo enim quod omnia ei subjecit, nihil dimisit non subjectum ei. » : « En effet, en lui soumettant toutes choses, Dieu n'a rien laissé en dehors de son empire. » (Hébreux 2, 8)
91. « Hic est lapis qui reprobatus est a vobis ædificantibus, qui factus est in caput anguli : et non est in alio aliquo salus. Nec enim aliud est nomen sub cœlo datum hominibus in quo oporteat nos salvos fieri. » : « Ce [Jésus] est la pierre rejetée par vous de l'édifice, et qui est devenue la pierre angulaire. Et le salut n'est en aucun autre ; car il n'y a pas sous le ciel un autre nom qui ait été donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés. » (Actes des Apôtres 4, 11-12)
92. « Dæmones credunt et contremiscunt. » : « Les démons croient aussi..., et ils tremblent ! » (Jacques 2, 19)
93. M. Saisset, [« La philosophie de Saint Augustin », in] Revue des Deux-Mondes, 15 mai 1855, p. 870.
94. « Manete in me, et ego in vobis. Sicut palmes non potest ferre fructum a semetipso nisi manserit in vite, sic nec vos nisi in me manseritis. Ego sum vitis, vos palmites : qui manet in me et ego in eo, hic fert fructum multum : quia sine me nihil potestis facere. Si quis in me non manserit, mittetur foras sicut palmes, et arescet, et colligent eum, et ignem mittent et ardet. » : « Demeurez en moi, et moi en vous. Comme le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s'il ne demeure uni à la vigne, ainsi vous ne le pouvez non plus, si vous ne demeurez en moi. Je suis la vigne, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi, et en qui je demeure, porte beaucoup de fruits : car, séparés de moi, vous ne pouvez rien faire. Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors, comme le sarment, et il sèche; puis on ramasse ces sarments, on les jette au feu, et ils brûlent. » (Jean 15, 4-6)
95. « Ne quisquam putaret saltem parvum aliquem fructum posse a semetipso palmitem ferre, cum dixisset, « hic fert fructum multum », non ait, quia sine me parum potestis facere ; sed, « nihil potestis facere ». Sive ergo parum sive multum, sine illo fieri non potest. (...) Nisi in vite manserit et vixerit de radice, quantumlibet fructum a semetipso non potest ferre (...) Verum quia ita sine ista gratia non potest vivi, ut et mors in potestale sit liberi arbitrii : « Si quis in me, inquit, non manserit, mittetur foras sicut palmes; et colligent eum, et in ignem mittent, et ardet. » (Tractatus 81, in Joannem, chap. 3)
96. « Ligna itaque vitis tanto sunt contemptibiliora si in vite non manserint, quanto gloriosiora si manserint: denique, sicut de his etiam per Ezechielem prophetam Dominus dicit, præcisa nullis agricolarum usibus prosunt, nullis fabrilibus operibus deputantur. Unum de duobus palmiti congruit, aut vitis, aut ignis ; si in vite non est, in igne erit : ut ergo in igne non sit, in vite sit. » (Tractatus 81, in Joannem, chap. 3).
97. A Deo habemus quod homines sumus ? A nobis ipsis autem quod justi sumus ? Quid dicitis, qui vos ipsos decipitis ? (…) Hæc sunt inania præsumptionis vestrae. Sed quid sequatur videte, et si est in vobis ullus sensus, horrete. Qui enim a semetipso se fructum existimat ferre, in vite non est, qui in vite non est, in Christo non est, christianus non est. Hæc sunt profunda submersionis vestræ (Tractatus 81, in Joannem, chap. 2).
98. « Ego sum ostium. Per me si quis introierit, salvabitur ; et ingredietur, et pascua inveniet » (Jean 10, 9). « Qui non intrat per ostium, sed ascendit aliunde, ille fur est et latro » (Jean 10, 1). « Fur non venit, nisi ut furetur, et mactet, et perdat. (Jean 10, 10) »
99. « Multi enim sunt qui secundum quamdam vitæ hujus consuetudinem dicuntur boni homines, boni viri, bonæ feminæ, innocentes, et quasi observantes ea quæ in lege præcepta sunt : deferentes honorem parentibus suis, non mœchantes, non homicidium perpetrantes, non furtum facientes, non falsum testimonium adversus quemquam perhibentes, et cætera quæ lege mandata sunt velut observantes, Christiani non sunt. Quia vero ista omnia quæ faciunt, et nesciunt ad quem finem referant, inaniter faciunt ; Dominus de grege suo, et de ostio quo intratur ad ovile, similitudinem proposuit in hodierna lectione. Dicant ergo pagani : Bene vivimus. Si per ostium non intrant, quid prodest eis unde gloriantur ? Ad hoc enim debet unicuique prodesse bene vivere, ut detur illi semper vivere ; nam cui non datur semper vivere, quid prodest bene vivere ? Quia nec bene vivere dicendi sunt, qui finem bene vivendi vel cæcitate nesciunt, vel inflatione contemnunt. Non est autem cuiquam spes vera et certa semper vivendi, nisi agnoscat vitam, quod est Christus ; et per januam intret in ovile. » (Tractatus 45, in Joannem, chap. 2).
100. « Quærunt ergo plerumque tales hommes etiam persuadere hominibus ut bene vivant, et christiani non sint. Fuerunt ergo quidam philosophi, de virtutibus et vitiis subtilia multa tractantes, dividentes, definientes, ratiocinationes acutissimas concludentes, libros implentes, suam sapientiam buccis crepantibus ventilantes ; qui etiam dicere auderent hominibus : Nos sequimini, sectam nostram tenete, si vultis beate vivere. Sed noa intrarant per ostium perdere volebant, mactare et occidere. » (Ibid., chap. 3).
101. Revue des cours publics, 24 juin 1855, p. 56.
102. H. Rigault, Journal des Débats, loc. cit.
103. « Qui erudit derisorem, sibi ipsi injuriam facit, et qui arguit impium, sibi maculam generat. Noli arguere derisorem, ne oderit te ; argue sapientem, et diliget te. » : « Celui qui reprend le moqueur s'attire la raillerie, et celui qui réprimande le méchant s'attire l'outrage. Ne reprends pas le moqueur, de peur qu'il ne te haïsse ; reprends le sage, et il t'aimera. . » (Proverbes 9, 7-8)
104. Ibid.
105. Romains 7, 23.
106. Allocution de N[otre]. S[aint]. P[ère]. le Pape dans le consistoire du IX décembre MDCCCLIV [9 décembre 1854].
107. Alexandre VIII a condamné cette proposition : « Pagani, Judæi, hæretici aliique hujus generis nullum omnino accipiunt a Jesu Christo influxum, [adeoque hinc rectè inferas in illis esse voluntatem nudam et inermem, sine omni gratia sufficiente.] » [ : « Les païens, les Juifs, les hérétiques et les autres gens de cette espèce ne reçoivent aucune influence de la part de Jésus-Christ, d’où, par conséquent, l’on conclut que, en eux, la volonté est nue et sans défense, dépouillée de toute grâce suffisante. »]. Et les 26e et 29e propositions condamnées de Quesnel sont celles-ci : « Nullæ dantur gratiæ nisi per fidem. » [ : « Nulles grâces ne sont données que par la foi. »] — « Extra Ecclesiam nulla conceditur gratia. » [ : « Nulle grâce n’est concédée en dehors de l’Église. »]
108. « Revelatur enim ira Dei de cœlo super omnem impietatem et injustitiam hominum eorum qui veritatem Dei in injustitia detinent. » : « En effet, la colère de Dieu éclate du haut du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes, qui, par leur injustice, retiennent la vérité captive. » (Romains 1, 18)
109. « (…) Ita ut sint inexcusabiles ; quia cum cognovissent Deum, non sicut Deum glorificaverunt, aut gratias egerunt (...). (…) Propter quod tradidit illos Deus in desideria cordis eorum (...). » : « (…) Ils sont donc inexcusables, puisque, ayant connu Dieu, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces ; (…). (…) Dieu les a livrés à leur sens pervers (…). » (Ibid., 20-21.28).
110. Psaume 49, 21.
111. « Dieu déclarant dignes de mort ceux qui commettent de telles choses. » (Romains 1, 32)
112. Voici comment une plume qui n'est pas suspecte apprécie quelques écrits célèbres de ces derniers temps : « Pour moi, je ne puis me faire à l'idée de voir le traducteur de Platon, le restaurateur de l'éclectisme devenu le Plutarque des dames et le continuateur amendé, perfectionné de Brantôme. Il me semble que, dans ces jours d'amères épreuves pour la philosophie, les philosophes devraient être les premiers sur la brèche et ne pas la quitter. Je souffre de les voir gaspiller dans l'archéologie des ruelles et des boudoirs, dans les détails de la chronique moitié galante, moitié dévote, les mâles qualités d'un talent qu'ils devraient consacrer à des travaux plus dignes d'eux. » [Louis Alloury, « Variétés – Histoire de la Philosophie cartésienne par Francisque Bouillier, correspondant de l'Institut, doyen de la Faculté des Lettres de Lyon. Deux vol. in-8°. Chez Durand, rue de Sorbonne, 3 », in] Journal des Débats, 4 novembre 1854, [p. 3-4]. — Et plus récemment, à propos des travaux de plusieurs écrivains éminents, le même publiciste a dit : « Décidément, notre maître en littérature et en philosophie, c'est Marivaux. » [Louis Alloury, « Variétés – Charles-Quint, chronique de sa vie intérieure et de sa vie politique, de son abdication et de. sa retraite dans le cloître de Yuste, par Amédée Pichot, auteur de l’Histoire de Charles-Édouard, du Dernier roi d'Arles etc. », in Ibid., 28 et 29 mars 1855, [p. 2-3]. — Ce qui n'empêche pas ces écrivains, « amis sincères de la philosophie », de convier les ministres de la religion à leur donner la main « pour travailler de concert à relever les âmes abattues et les caractères affaissés ». Du Vrai, du Beau et du Bien, par M. Victor Cousin, 2e édition, 1854, p. 430.
113. « Mais la sagesse d'en haut est premièrement pure. » (Jacques 3, 17)
114. Premiers essais de philosophie, par M. Victor Cousin; 3e édition, revue et corrigée, 1855, p. XIV.
115. Du Devoir, p. I [cf. [Jules Simon, Le Devoir, 3e édition, L. Hachette, 1855, p. VII].
116. [Louis Alloury,] Journal des débats, 6 avril 1855, [p. 1].
117. Par M. Ad. Garnier, professeur de philosophie à la Faculté des lettres de Paris, 1850.
118. Adolphe Garnier, Morale sociale, ou Devoir de l’État et des citoyens en ce qui concerne la propriété, la famille, l'éducation, la liberté, l'égalité, l'organisation du pouvoir, la sûreté intérieure et extérieure, L. Hachette et Cie, Paris, 1850, p. 143.
119. Ibid., p. 152-153.
120. « Si non venissem et locutus fuissem eis, excusationem haberent : nunc autem excusationem non habent de peccato suo. (…) Si opera non fecissem in eis quæ nemo alius fecit, peccatum non haberent : nunc autem et viderunt me, et oderunt et me et Patrem meum. » : « Si je n'étais pas venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils seraient sans péché; mais maintenant leur péché est sans excuse. (…) Si je n'avais pas fait au milieu d'eux des œuvres que nul autre n'a faites, ils seraient sans péché ; mais maintenant ils ont vu, et ils me haïssent, moi et mon Père. » (Jean 15, 22.24)
121. C'est merveille de voir comment le conservatorisme philosophique s'applique à nier l'existence et la portée de la révolution de 1848, qui fut bien assurément la plus inévitable et la plus logique des révolutions. « La révolution de 1848, nous disent-ils, n'avait ses causes que dans les fantaisies de la mauvaise littérature, dans les passions érigées en doctrines, dans les odieuses peintures que le roman faisait de la société : aussi n’a-t-elle point duré. —1848, dans notre histoire, ne mérite pas d'être autre chose qu'un accident fatal, sans cause et sans durée. » [L. Alloury, citant Saint-Marc Girardin, « Faculté des lettres – Ouverture du cours de poésie française », in] Journal des Débats, 30 janvier 1855, [p. 2-3]. — « En 1848, la monarchie vaincue par une émeute sans cause et sans raison. » [Saint-Marc Girardin, « De la guerre au XIXe siècle (Deuxième article) », in] Ibid., 10 février 1855 [p. 2] —  « La France, en 1848 surprise et dépouillée comme un homme en plein sommeil, etc. » [Cuvillier-Fleury, citant Louis de Carné, « Variétés – Études sur l'histoire du gouvernement représentatif en France, de 1789 à 1848, par M. le comte Louis de Carné. (Deux vol. in-8°. Paris, 1855.) », in] Ibid., 11 février [1855, p. 2-3]. Compte-rendu de l'histoire du Gouvernement représentatif par M. L. de Carné. — Nous pourrions faire cent citations semblables.
122. Du Vrai, du Beau et du Bien, par M. Victor Cousin, 2e édition, 1854, p. 251.
123. « Parati semper ad satisfactionem omni poscenti vos rationem de ea qua n vobis est spe » : « toujours prêts à vous justifier devant quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous. » (1 Pierre 3, 15).
124. Ciel et Terre, par M. Jean Reynaud, 1ère édition. - Voir l'excellent livre de M. [Thomas-Henri] Martin [1813-1883], doyen de la Faculté des lettres de Rennes : La vie future.[Histoire et apologie de la doctrine chrétienne sur l’autre vie, Dezobry, E. Magdeleine et Cie, Paris], 1855, p. 207.
125. Premiers essais de philosophie, par M. Victor Cousin; 3e édition, revue et corrigée, 1855, p. 324.
126. H. Rigault, [« Variétés – La morale de l’Évangile comparée aux divers systèmes de morale, par M. l’abbé Bautain. Un volume in 8°. 1855. », in] Journal des Débats, 8 mars 1855, [p. 2-3]. — Cours de M. A[dolphe] Garnier.
127. Premiers Essais de philosophie, par M. Victor Cousin; 3e édition, revue et corrigée, 1855, p. 263.
128. « Ut convertantur de potestate Satanae ad Deum » : « Pour qu’ils soient retournés, de la puissance de Satan, vers Dieu » (Actes 26, 18).
129. « Qui de tenebris vos vocavit in admirabile lumen suum » : « Qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. » (1 Pierre 2, 9).
130. Du Vrai, du Beau et du Bien, par M. Victor Cousin, 2e édition, 1854, p. 429.
131. [Ernest Renan, « Variétés – La Tentation du Christ, par M. Ary Scheffer », in] Journal des Débats, 25 avril 1855[, p. 3] — Lire l'article entier, où l'on verra que le peintre, auteur de La Tentation du Christ, « a su, le premier, dégager la vraie signification symbolique du passage de l'Évangile, et, en écartant les détails qui portent trop profondément l'empreinte de l'époque et du pays où se forma le récit, l'interpréter d'une façon accommodée aux idées religieuses de notre temps, etc., etc. »
132. Allocution pontificale du 9 décembre 1854.
133. La 68e proposition de Baïus, qui a été condamnée par saint Pie V, est celle-ci : « lnfidelitas pure negativa in his quibus Christus non est prædicatus, peccatum est. » : « L’infidélité proprement négative chez ceux auxquels le Christ n’a pas été prêché est un péché. »
134. « Qui omnes homines vult salvos fieri et ad agnitionem veritatis venire » : « Celui qui veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité » (1 Timothée 2, 4)
135. S. Augustin, Epistola L [En fait : Lettre 141, §. V : « Ainsi quiconque est séparé de cette Église catholique, quelque louable qu'il pense être dans sa conduite, par ce seul crime d'être séparé de l'unité du Christ, n'aura pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui. » ; Discours au peuple de Césarée, §. VI : « Puisque notre Dieu a voulu que nous venions vers vous, nous a ordonné de chercher Émérite, et l'a placé tout à coup sous nos yeux, il exaucera vos prières et nous donnera le chemin de son cœur, la grâce de nous réjouir de son retour à la paix, et de rendre grâces à Dieu de son salut qu'il ne peut retrouver que dans l'Église catholique. En dehors de l'Église catholique on peut posséder tous les biens, excepté le salut. On peut posséder les honneurs, posséder le sacrement, chanter l'Alléluia, répondre Amen, conserver l'Évangile, posséder et prêcher la foi du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Mais le salut ne peut se trouver nulle part que dans l'Église catholique. » ; Lettre aux catholiques contres les donatistes ou Traité de l’Unité de l’Église, chap. 2, §. 2 : «  La question posée est celle-ci : où est l'Église ? Est-ce chez nous, est-ce chez les donatistes ? Il n'y a qu'une Église, l'Église catholique, comme nos pères l'ont appelée, pour montrer par son nom même qu'elle est universelle. Tel est en effet le sens des mots grecs : kath’ olon. Or, l'Église est le corps du Christ, selon ces paroles de l'Apôtre : “Le Christ a souffert pour son corps, qui est l'Église (Colossiens 1, 24)”. Donc, pour prétendre au salut promis aux chrétiens, il faut compter parmi les membres du Christ. C'est par les liens de la charité que les membres du Christ sont unis ensemble et qu'ils se rattachent à leur chef, qui est Jésus-Christ. Une tête et un corps : ces deux mots résument tout ce que l'on peut dire au sujet de Jésus-Christ. La tête, c'est Jésus-Christ lui-même, le Fils unique du Dieu vivant, “le Sauveur de son corps” (Éphésiens 5, 23), ”Celui qui est mort pour nos péchés et qui est ressuscité pour notre justification (Romains 4, 25)”. Le corps de Jésus-Christ, c'est l'Église, dont il est dit : “Afin qu'il se formât à lui-même une Église glorieuse, sans tache, sans ride, sans défaut (Éphésiens 5, 27)”. » ; chap. 4, §. 7 : Ceux (…) qui se séparent de son corps qui est l'Église et ne demeurent point en communion avec ce corps répandu par tout l'univers, mais seulement avec quelque partie isolée, ceux-là non plus ne sont évidemment point dans l'Église catholique. » ; chap. 19, §. 49 : « Mais pour arriver au salut éternel, il faut avoir Jésus-Christ pour chef. Or, on ne peut avoir Jésus-Christ pour chef sans faire partie de son corps qui est l'Église, et cette Église, nous devons la reconnaître aussi bien que son Chef, d'après les Écritures canoniques, et non pas la chercher dans toutes sortes de rumeurs ou d'opinions, de faits, de paroles et de visions. »]
136. Concile de Trente, session V, décret de peccato originali [Sur le péché originel].
137. Pontifical Romain, partie I, De ordinatione ostiariorum [De l’ordination des portiers] : « Ouvrez aux fidèles la Maisons de Dieu et fermez-la aux infidèles. »
138. MM. les ecclésiastiques reconnaîtront aux expressions que renferme le reste de notre phrase, le sens restreint selon lequel nous acceptons ce mot, que nous ne consentirions pas à employer dans son acception générale, d'où pourraient naître des discussions qu'il importe d'écarter.
139. Pierre Nicole, « Lettre LXXXII [à Dom Bretagne] », in Essais de morale ou Lettres écrites par feu M. Nicole, 8e volume, Guillaume Desprez, Jean Dessartz, Paris, 1725, p. 151.
140. Pierre Nicole, « Lettre LXXXII [à Dom Bretagne] », in Essais de morale ou Lettres écrites par feu M. Nicole, 8e volume, Guillaume Desprez, Jean Dessartz, Paris, 1725, p. 153.
141. De toutes les injustices que la vénérable Compagnie de Jésus a endurées depuis deux siècles, la haine acharnée dont elle est poursuivie par les prétendus défenseurs de la philosophie, n'est assurément pas la moins gratuite. Il est de notoriété, en effet, que la société de Jésus n'a jamais cessé de donner la plus grande importance à l'étude de la philosophie, et qu'à toutes les époques ses membres les plus distingués ont figuré aux premiers rangs parmi les adversaires de toute école qui paraissait détruire ou affaiblir les droits de la raison humaine. Il ne faut rien moins que le privilège dont jouit particulièrement ce saint institut d'être traité comme le divin Maître, pour expliquer la persévérance d'une accusation si évidemment calomnieuse et le succès d'une contre-vérité si manifeste.
142. « Je suis la porte ; si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé. »
143. « Et il entrera et il sortira et il trouvera des pâturages. »
144. Hébreux 5, 2 : « Ceux qui ignorent et s’égarent. »
145. [Manuel d’iconographie chrétienne grecque et latine] traduit du manuscrit byzantin Le Guide de la peinture, par M. Paul Durand et publié par M. Didron, [Imprimerie royale], Paris, 1845, p. 317. — Voir la belle collection de dessins inédits de M. P[aul] Durand.
146. Allocution pontificale du 9 décembre 1854 : « Fasse enfin la bienheureuse Vierge, qui a vaincu et détruit toutes les hérésies, que soit aussi effacée et entièrement renversée cette pernicieuse erreur du rationalisme, qui, à notre malheureuse époque, ne tourmente pas seulement la société civile, mais qui afflige encore si profondément l’Église. »


Référence

Louis-Édouard Cardinal Pie, « Première instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent au clergé diocésain assemblé pour la retraite et le synode, 7 juillet 1855 »,

- in Abbé Jacques-Paul Migne (dir.), Collection intégrale et universelle des orateurs chrétiens, tome 83, 2e série, tome 16, J.-P. Migne, Petit-Montrouge, Paris, 1867, col. 191-244.

ou

- in Œuvres de Monseigneur l’évêque de Poitiers, 8e édition, tome II, H. Oudin et Cie, Paris, 1883, p. 340-417.