Mgr Annibale Bugnini |
Pour
se faire une idée des présupposés qui ont guidé le travail des
réformateurs de la liturgie catholique latine, après le 2d
Concile du Vatican, on peut se pencher sur un article de Mgr
Annibale
Begnini, paru en 1974, « Restaurare la linea
“authentica” del Concilio ? »
[« Restaurer la ligne “authentique” du Concile »],
paru in Sacrée
Congragation pour le Culte divin, Notitiæ,
n°93-94, mai-juin 1974 (vol. 10, n°5-6), p. 217-221.
(Disponible
en italien, en ligne, sur
<http://paulorenaliturgia.com/wp-content/uploads/2019/02/93-94.pdf#page=71>.)
Mgr
Benigni y
répondait à ceux qui, critiquant négativement la réforme
liturgique, affirmaient que le Concilium
(voir
plus loin) avait outrepassé les principes définis par le Concile
concernant l’usage des langues vivantes dans la liturgie.
Auparavant,
il est bon de préciser qu'Annibale Bugnini (1912-1982) est un prêtre
religieux lazariste, ordonné le 26 juillet 1936 et sacré évêque
titulaire du diocèse
de Diocletiana, le 6 janvier 1972.
À
partir de 1946 il fut rédacteur en chef de la revue liturgique
Ephemerides liturgicæ et commença à intervenir dans le
domaine des études liturgiques spécialisées.
En
1948, le Vénérable Pie XII le nomma Secrétaire de la « Commission
pour la Réforme Liturgique », instaurée le 28 juin 1948.
De
1959 à 1962, en vue du 2d Concile du Vatican, le P.
Bugnini fut secrétaire de la Commission Préparatoire pour la
Liturgie, présidée par le Cardinal Cicogagni. Après l’adoption
du schéma préparatoire par le vote du 13 janvier 1962, quelques
semaines plus tard, S. Jean XXIII suspendit le P. Bugnini de ses
fonctions de Secrétaire de la Commission Préparatoire, sans le
reconduire à la Commission conciliaire équivalente. Le Saint Pape
lui retira également sa chaire à l’Université du Latran.
Mais
le 1er octobre 1963, ouvrant la seconde session du
Concile, S. Paul VI, après en avoir fait son théologien personnel,
nomma le P. Bugnini à la présidence de la Commission Spéciale pour
la Réforme de la Liturgie.
Le
P. Bugnini devint ensuite le secrétaire du Consilium ad
exsequendam Constitutionem de sacra Liturgia (Conseil
pour l'application de la constitution sur la Liturgie sacrée)
mis en place par S. Paul VI le 26 février 1964 et présidé, en
premier lieu, par le cardinal Lercaro. Ce Conseil était chargé de
mettre en œuvre les principes de la réforme liturgique définis par
le Concile.
De
1969 jusqu'à 1975, le P. Bugnini fut Secrétaire de la Sacrée
Congrégation pour le Culte Divin, dans laquelle le Consilium
fut
intégré comme « Commission spéciale pour l’application de
la réforme liturgique », jusqu'à ce que la
Sacrée Congrégation fût réunie, en 1975, à la Congrégation des
Sacrements. Le 6 janvier 1972, le P. Bugnini fut nommé évêque
titulaire de Diocletiana.
Après
1975, Mgr Bugnini se retira au couvent de San Silvestro.
Le 4 janvier 1976, il fut nommé pro-nonce apostolique en Iran.
Rentré en Italie pour une opération bénigne, il mourut à
l'hôpital, à Rome, le 3 juillet 1982.
Mgr
Benigni
cite, dans l'article en question, et dans un premier temps, l’article
54 de la Constitution sur la Sainte Liturgie Sacrosanctum
Concilium
qui
est le suivant :
54.
Linguae vernaculae in Missis cum populo celebratis congruus
locus tribui possit, praesertim in lectionibus et “oratione
communi”, ac, pro condicione locorum, etiam in partibus quae
ad populum spectant, ad normam art. 36 huius Constitutionis.
Provideatur
tamen ut christifideles etiam lingua latina partes
Ordinarii Missae quae ad ipsos spectant possint simul dicere vel
cantare.
Sicubi
tamen amplior usus linguae vernaculae in Missa opportunus
esse videatur, servetur praescriptum art. 40 huius
Constitutionis.
54.
Une place convenable
pourra être accordée à la langue vernaculaire dans
les Messes célébrées avec le concours du peuple,
surtout dans
les lectures et la «
prière commune »,
et, selon les conditions locales, aussi
dans les parties qui concernent
le peuple,
conformément à l’article 36 de la présente Constitution.
Cependant,
on veillera à ce que les fidèles chrétiens puissent dire ou
chanter ensemble, également en langue latine,
les parties de l’Ordinaire de la Messe qui concernent le peuple.
Toutefois,
si, quelque part, l’usage plus large de la langue vernaculaire dans
la Messe semble opportun, on observera ce qui est prescrit à
l’article 40 de la présente Constitution.
L’article
se réfère aux autres articles suivants :
36.
§1. Linguae latinae usus, salvo particulari iure, in
Ritibus latinis servetur.
§2.
Cum tamen, sive in Missa, sive in Sacramentorum administratione, sive
in aliis Liturgiae partibus, haud raro linguae vernaculae usurpatio
valde utilis apud populum exsistere possit, amplior locus ipsi tribui
valeat, imprimis autem in lectionibus et admonitionibus, in
nonnullis orationibus et cantibus, iuxta normas quae de hac re in
sequentibus capitibus singillatim statuuntur.
§3.
Huiusmodi normis servatis, est competentis auctoritatis
ecclesiasticae territorialis, de qua in art. 22 § 2, etiam, si casus
ferat, consilio habito cum Episcopis finitimarum regionum eiusdem
linguae, de usu et modo linguae vernaculae statuere, actis ab
Apostolica Sede probatis seu confirmatis.
§4.
Conversio textus latini in linguam vernaculam in Liturgia adhibenda,
a competenti auctoritate ecclesiastica territoriali, de qua supra,
approbari debet.
36.
§1. L’usage de la langue latine, sauf droit
particulier, sera conservé dans les Rites latins.
§2.
Cependant, étant donné que, soit dans la Messe, soit dans
l’administration des Sacrements, soit dans les autres parties de la
Liturgie, l’emploi de la langue vernaculaire peut se montrer
souvent grandement utile pour le peuple, une place plus large pourra
lui être accorder, surtout dans les lectures et les monitions,
dans quelques prières et chants, conformément aux
normes qui sont établies à ce sujet dans les chapitres suivants,
pour chaque cas.
§3.
Ces normes étant observées, il revient à l’autorité
ecclésiastique territoriale compétente, mentionnée à l’article
22, même, le cas échéant, après avoir délibéré avec les
Évêques des régions limitrophes de même langue, de statuer au
sujet de l’usage de la langue vernaculaire et de son étendue, en
faisant agréer ou confirmer ses actes par le Siège Apostolique.
§4.
La traduction du texte latin dans la langue vernaculaire, devant être
employée dans la Liturgie, doit être approuvée par l’autorité
ecclésiastique territoriale compétente dont il est question
ci-dessus.
40.
Cum tamen variis in locis et adiunctis, profundior Liturgiae aptatio
urgeat, et ideo difficilior evadat :
1)
A competenti auctoritate ecclesiastica territoriali, de qua in art.
22 § 2, sedulo et prudenter consideretur quid, hoc in negotio, ex
traditionibus ingenioque singulorum populorum opportune in cultum
divinum admitti possit. Aptationes, quae utiles vel necessariae
existimantur, Apostolicae Sedi proponantur, de ipsius consensu
introducendae.
2)
Ut autem aptatio cum necessaria circumspectione fiat, eidem
auctoritati ecclesiasticae territoriali ab Apostolica Sede facultas
tribuetur, si casus ferat, ut in quibusdam coetibus ad id aptis et
per determinatum tempus necessaria praevia experimenta
permittat et dirigat.
3)
Quia leges liturgicae difficultates speciales, quoad aptationem,
praesertim in Missionibus, secum ferre solent, in illis condendis
praesto sint viri, in re de qua agitur, periti.
40.
Cependant, étant donné que, en différents lieux et circonstances,
une adaptation plus profonde de la Liturgie est pressante, et que,
par conséquent, cela conduit à plus de difficulté :
1)
L’autorité ecclésiastique territoriale compétente, mentionnée à
l’article 22 §2, considérera avec application et prudence ce qui,
en ce domaine, peut être à propos d’admettre des traditions et
du génie de chaque peuple dans le culte divin. Les adaptations
jugées utiles ou nécessaires seront proposées au Siège
Apostolique pour être introduites avec son consentement.
2)
Mais pour que l’adaptation se fasse avec la circonspection
nécessaire, faculté sera accordée par le Siège Apostolique à
cette autorité ecclésiastique territoriale de permettre et de
diriger, le cas échéant, les expériences préalables
nécessaires dans certaines assemblées leur étant appropriées et
pendant un temps déterminés.
3)
Parce que les lois liturgiques présentent ordinairement des
difficultés spéciales en matière d’adaptation, surtout dans les
Missions, on devra, pour les établir, avoir à sa disposition des
hommes experts en
ce domaine.
Or,
Mgr Benigni affirme :
Sulla
filigrana dello spirito del Concilio più che
sulla lettera dell’articolo 54, lavorarono un anno dopo i Padri del
« Consilium », per determinare in concreto le parti della
Messa che potevano dirsi in volgare.
C’est
sur le filigrane de l’esprit du Concile plus que sur la
lettre de l’article 54 que les Pères du « Consilium »,
ont travaillé un an plus tard, pour déterminer concrètement les
parties de la Messe qui pourraient être dites en langue
vulgaire.
Il
précise, par la suite, ce qu’est, selon lui, cet « esprit du
Concile » en matière liturgique :
Aprire
i tesori della mensa della parola e della mensa eucaristica al popolo
di Dio. Ma che cosa non appartiene nell’azione liturgica
al popolo di Dio ? Tutto gli appartiene. Da nulla,
infatti, è esclusa la sua attenzione e la sua partecipazione. Nei
canti deve partecipare con l’intelligenza e con la voce ;
nelle letture con l’ascolto e la comprensione, perché chi parla
prima di tutto vuole essere capito ; nelle orazioni e nella
preghiera eucaristica deve comprendere, perché ha da ratificare con
l’ « Amen » quanto il sacerdote ha compiuto a nome
dell’assemblea, ed ha chiesto a Dio. Se perciò il principio della
lingua volgare nella liturgia è stato quello di mettere l’assemblea
nella condizione di parteciparvi coscientemente, attivamente e
fruttuosamente (« scienter,
actuose et fructuose », Cost. n. 11), nessuna
parte dell’azione sacra si giustifica in una lingua non compresa
dal popolo.
Ouvrir
les trésors de la table de la parole et de la table eucharistique au
peuple de Dieu. Mais qu'est-ce qui, dans l'action liturgique,
n'appartient pas au peuple de Dieu ? Tout lui appartient. En
effet, son attention et sa participation ne sont exclues de rien.
Dans les chants, il doit participer avec l’intelligence et la voix
; dans les lectures, avec l’écoute et la compréhension, car celui
qui parle veut avant tout être compris ; dans les prières et dans
la prière eucharistique, il doit comprendre, car il doit ratifier
avec l’ « Amen » ce que le prêtre a fait au nom
de l'assemblée, et ce qu’il a demandé à Dieu. Si donc le
principe de la langue vulgaire dans la liturgie était de mettre
l'assemblée en situation de participer consciemment, activement et
fructueusement (« scienter, actuose et fructuose »,
Const. n. 11), aucune partie de l'action sacrée
n'est justifiée dans une langue non comprise par le peuple.
Dans
la conclusion de l’article, Mgr Bugnini complète
d’ailleurs cette description de l’ « esprit du Concile »
ou de la « ligne “authentique” du Concile » en
matière liturgique :
La
liturgia non è più soltanto rubriche o ceremonie : è
pastorale, è arte, è teologia, è vita. Non è solo per
l’élite, ma per la moltitudine dei fedelo ;
non è per appagare l’esteta, ma per alimentare la vita
spirituale del popolo di Dio ; non è tanto per il
godimento intelletuale di pochi, quanto per edificare nei
« piccoli » e negli umili il regno di Dio.
Questa sembra l’ »autentica » linea del Concilio.
La
liturgie, [ce n’est] n'est plus seulement des rubriques ou des
cérémonies : c’est de la pastorale, c’est de l’art, c’est
de la théologie, c’est la vie. Ce n'est pas seulement pour
l'élite, mais pour la multitude des fidèles ; ce n'est pas
pour satisfaire l'esthète, mais pour nourrir la vie spirituelle
du peuple de Dieu ; ce n'est pas tant pour la jouissance
intellectuelle de quelques-uns que pour construire le royaume de
Dieu chez les « petits » et chez les humbles. [C’est] cela
[qui] semble être la ligne « authentique » du Concile.
On
voit bien que la conservation de l'usage de la langue latine dans les
Messes célébrées avec le concours du peuple n’était plus du
tout envisagée par les réformateurs de la liturgie latine.
Contrairement à la lettre de la Constitution sur la sainte Liturgie,
il s’agissait d’étendre l’usage de la langue vernaculaire à
toutes les parties de la Messe. Car il fallait absolument que le
peuple comprenne tout ce qui se déroule dans l’action sacrée, ce
qui semblait impossible aux réformateurs si l’on conservait
quelque peu l’usage du latin. Or la Constitution précisait bien
que l’on devait veiller « à ce que les fidèles chrétiens
puissent dire ou chanter
ensemble, également en langue latine, les parties de l’Ordinaire
de la Messe qui concernent le peuple. »
Enfin,
concernant le chant grégorien, après avoir souligné que « la
Constitution liturgique soutient et défend le chant grégorien »,
il ajoute :
Bisogna
per di riconoscere che quest’azione di conservazione non
può né deve impedire la creazione di nuove melodie, di altra musica
sul testo volgare. La nota della « universalità »,
enumerata da S. Pio X tra le carattristiche della musica sacra,
acquista in questo caso altre proporzioni e viene posta su basi
diverse da quando il latino era unica lingua della liturgia. Se ogni
popolo ha la propria lingua, ogni popolo non può non avere
la propria musica. La lingua esprime l’anima di un
popolo in suoni alfabetici ; la musica lo fa in note.
Il
faut reconnaître que cette action de conservation ne peut et ne
doit pas empêcher la création de nouvelles mélodies, d'autres
musiques [composées] sur le texte [en langue] vulgaire. La note
d’ « universalité », énumérée par saint Pie X parmi
les caractéristiques de la musique sacrée, acquiert, dans ce cas,
une autre dimension et se place sur des bases différentes puisque le
latin était la seule langue de la liturgie. Si chaque peuple a sa
propre langue, chaque peuple ne peut manquer d'avoir sa propre
musique. La langue exprime l'âme d'un peuple avec des sons
alphabétiques ; la musique le fait avec les notes.
On
pourra considérer, à tout le moins, que Mgr Benigni
n’avait pas pressenti l’immense uniformisation de la culture
mondiale qui commençait déjà à poindre dans les années 1960-1970
et qui rendrait sans effet ce souhait que chaque peuple invente une
musique sacrée qui convienne à son génie culturel.
De
plus, il n'envisageait pas, non plus, la possibilité qu'une autre
langue telle que l'anglais, devienne, peu à peu, la langue
universelle, et s'apprête à submerger — à
Dieu ne plaise — toutes
les langues nationales... L'anglais deviendra-t-elle alors, suivant
le principe d'adaptation, la
langue sacrée ?
Remarque: la version française des textes originaux latins et italiens a été
revue ou faite par l'auteur de ce blogue.