Frères et sœurs,
Nous approchons de la fin de l’année liturgique : dimanche prochain, ce sera le Christ-Roi. Et il est normal que la liturgie nous oriente vers une méditation sur les fins dernières, sur le sens de notre vie ; en particulier sur le Retour glorieux que nous avons entendu évoquer dans la deuxième lecture, de Paul aux Thessaloniciens : nous attendons Son Retour dans la Gloire. Et il me semble que cette parabole nous dit : mais... comment l’attendre ? Comment devons-nous attendre Dieu.
Tout d’abord, pour bien comprendre cette parabole, il faut bien voir que le Seigneur confie quelque chose de très grand à chacun des trois serviteurs. Les spécialistes — les exégètes — disent qu’un talent, cela vaut une fortune colossale. Certains vont même jusqu’à préciser : vingt-cinq années de salaire — un seul talent. Donc un bien surabondant, signifiant, par là, que ce que le maître donne à chacun des serviteurs — et cinq et deux et un — est un bien qui dépasse infiniment les biens seulement matériels : il s’agit de biens beaucoup plus profonds, de biens indispensables à notre vie.
Et — détail important à relever dans la parabole — le maître confie ses biens : non pas des biens qui lui seraient extérieurs.
C’est, au fond — et vous le comprenez bien — de la participation à la Vie même de Dieu dont il s’agit, la participation à Sa Vie divine : celle qui nous est donnée dans le Christ par l’Esprit, au baptême, ce don ineffable.
Avec le don, déjà, de la vie que nous possédons, ce don que nous n’avons pas demandé d’avoir, ce don que nous recevons : le don de la vie ; pour certains d’entre nous, le don de la santé : en plus de la vie, c’est un don — Il suffit de perdre un peu la santé pour se rendre compte que c’est vraiment un don…
Et puis il y a ce Don par excellence qui est le Dessein divin de Dieu qui veut faire de nous Ses fils par la grâce du baptême : nous associer à Sa Vie divine.
Donc, comme ces trois serviteurs, nous sommes tous, tous — mais vraiment, tous — à la tête d’une fortune colossale : quelle chance, nous avons, d’avoir la Vie et d’avoir la possibilité de partager cette Vie reçue de Dieu !
Et cette Vie, nous la recevons, mais nous en avons aussi la gérance : nous en sommes responsables. Au moment où, au baptême, on confie au parrain — ou à la marraine — la lumière : « Recevez la Lumière du Christ : Elle vous est confiée ». C’est important ce geste. Mais il va falloir l’entretenir la flamme ! Il va falloir la protéger de tous les vents contraires, cette petite flamme — foi, espérance et charité — que nous avons en nous. Il va falloir la démultiplier en nous.
C’est toute l’œuvre de notre vie.
Alors, nous recevons ces Dons de Dieu, chacun, personnellement — le Don de la Grâce de l’Esprit Saint ; et puis chacun en vue de construire le Bien commun.
Ah oui ! Parce qu’il peut y avoir aussi un sentiment — première tentation — de croire que Dieu est injuste. Pourquoi Il donne cinq à l’un, à l’autre deux et simplement un seul talent au dernier ?
Cette répartition inégale des dons de Dieu est là, en fait, pour susciter la charité. C’est Catherine de Sienne qui fait cette révélation dans ses Dialogues avec Dieu. Dieu lui révèle ceci — je vous la cite : « J’ai voulu répartir les dons de manière inégale pour que nous ayons besoin les uns des autres et pour favoriser ainsi le désir de la charité mutuelle. »
Et là, nous apprenons quelque chose, c’est que les dons que nous avons reçus par [sic] Dieu, ne sont pas seulement des dons pour nous-mêmes ; mais c’est [sic] des dons aussi pour la Communauté.
Cela nous rappelle ce que nous vivons pendant tout ce mois, en particulier, de novembre : cette réalité fondamentale pour nous qui est la Communion des Saints. Dans la Communion des Saints, tout m’appartient, tout m’est destiné, y compris le bien des autres; si bien qu’il n’y a plus de jalousie ; il n’y a que de l’action de grâce, de la reconnaissance, de la gratitude. Nous ne sommes pas jaloux du fait que les autres ont des dons que je n’ai pas ; nous nous en réjouissons, parce que tout m’appartient, parce que je suis au Christ.
Par contre, ce qui m’est toujours demandé, c’est de faire fructifier ce que j’ai. À trop me préoccuper des dons des autres, je risque d’oublier de faire fructifier mes propres dons. À force de jalouser les dons qui sont dans la mesure des autres, je finis par ne pas m’occuper de mes propres dons. Et mon terrain, il est en friche ; et là, il y a toutes les mauvaises herbes qui poussent ; et cela étouffe les dons de Dieu en moi. Et cela entraîne quoi ? La tristesse. La jalousie entraîne la tristesse, là où la reconnaissance des dons de Dieu dans cette magnifique répartition divine de tous les charismes qui sont faits à l’Église, entraîne la joie et entraîne la charité.
Ah ! Un autre danger, subtil, celui-là — la jalousie, c’est un peu grossier pour vous — subtil, celui-là, c’est de croire que — fausse humilité — de croire que de faire fructifier mes biens, c’est de briller aux yeux des autres…
Est-ce bien chrétien que de vouloir déployer ses talents et ainsi briller ainsi aux yeux du monde ? Eh bien, oui ! Le Seigneur nous le dit. Dans l’Évangile de Jean, Il nous dit — c’est une très belle formule : « C’est la gloire de Mon Père que vous portiez beaucoup de fruits. » [Jean 15, 8] La fructification des dons, liée à la Présence du Christ en nous par la foi, par la charité, est une Volonté de Dieu.
Ce qui est l’orgueil, ce n’est pas de faire fructifier ses biens, ça serait de nous approprier les dons de Dieu et de faire croire aux autres que c’est simplement le fruit de mon intelligence ou de ma volonté.
« Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l’avais reçu ? » [1 Cor. 4, 7] Nous sommes vraiment dans la logique du don, le Don que Dieu nous fait.
Donc, voyez, cette tentation de la jalousie, cette tentation de la fausse humilité, de croire que les talents que j’ai reçus, je ne dois pas les faire fructifier pour ne pas faire de l’ombre aux autres ; tout cela, ce n’est pas ce que Dieu veut. Au contraire, la véritable humilité — chrétienne — ne nie pas la dignité de l’homme et la valeur de ses efforts ; mais elle oriente tout son agir vers la gratitude, l’offrande et la consécration…
Mais maintenant, concrètement, comment faire fructifier ces dons que Dieu m’a donnés ?
D’abord, demander la grâce à l’Esprit Saint d’en prendre conscience. Parfois, il faut du temps pour se dire : « Eh bien, oui, cela, c’est un don que j’ai reçu. » Vous pouvez en avoir pris conscience en lisant la Parole de Dieu, dans votre oraison personnelle, dans votre prière. Parfois, c’est aussi les gens autour de vous — pourquoi pas vos frères, pourquoi pas votre conjoint, vos enfants, qui vous disent : « Ah dis donc ! Là, vraiment, tu as un vrai don de Dieu! » Et vous en réjouir, l’accueillir — pas de fausse humilité, non plus — dire : « Oui, bien, c’est vrai, cela, je l’ai reçu et je peux en faire bénéficier les autres. »
Vous avez vu que celui qui n’a reçu qu’un seul talent, l’image qu’il a de Dieu vient paralyser en lui la fructification de son talent. Ce n’est pas le talent qu’il enterre, c’est sa propre vie. C’est un suicide spirituel, son attitude.
Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas connu la Révélation du Dieu de Jésus : [à savoir] que le Père est un Dieu qui est bon et miséricordieux, fidèle, pardonnant, nous aidant. Il n’a pas découvert le vrai visage de Dieu. Et, du coup, il vit sa vie dans l’ombre et la ténèbre de cette image mortifère d’un Dieu qui ne serait qu’un Maître et un Juge — et souvent un Juge impitoyable.
Ce n’est pas le Dieu de Jésus-Christ.
Qu’est-ce qu’il fait, ce mauvais serviteur, ce serviteur paresseux ? Il a peur. Intéressant ! Il a peur. « J’ai eu peur… » : il l’avoue devant le maître. « J’ai eu peur… »
Quelles sont nos peurs aujourd’hui ? N’ayons pas peur, là — justement — à la fin de cette année, de nommer nos propres peurs.
Est-ce que c’est la peur de Dieu, tout simplement ? La peur du Jugement de Dieu ?
Est-ce que c’est la peur de ce que Dieu va me demander — de ne pas être à la hauteur de ce qu’Il va me demander ?
Est-ce que c’est la peur de passer à côté de ma vie ? Parce que, entre l’idéal que je me suis fait de ma vie et le réel de ma vie, j’ai l’impression que je passe à côté de ma vie ?
Est-ce la peur de ne pas être fidèle à ce que Dieu me demande ? Le qualificatif qu’utilise [Jésus], c’est : « bon et fidèle serviteur ». C’est beau… : cette fidélité.
Quelles sont nos peurs ? Il faut les nommer. Et après cela, il faut demander à l’Esprit Saint de les exorciser, de les chasser de notre cœur, comme dit Saint-Paul, dans ce « jaillissement de l’Esprit Saint en nous » — « Laissez jaillir l’Esprit Saint » [Rom. 12, 11 : “τῷ πνεύματι ζέοντες”, “spiritu ferventes” » : « brûlants par l’Esprit »] : très belle expression — pour être au service les uns des autres, dans l’humilité et dans la joie.
Comment on prépare le Retour glorieux ? Comment on prépare notre propre mort ? Par une foi vivante, agissante, par la charité, dans le quotidien, dans le concret de notre vie. N’allons pas chercher midi à quatorze heures. Vivons cette charité là où nous sommes.
Ne vivez pas dans le passé. Ne vivez pas seulement dans la projection du futur. Vivez le présent, ce présent que Dieu nous donne.
Voyez, un des dangers, aujourd’hui, je pense — très humblement — qu’un des dangers de la pandémie, pour tous ceux qui seront privés de l’Eucharistie (…), le grand danger, c’est de nous cantonner dans la peur.
La peur est une arme de Satan.
Et je finirai cette homélie en vous citant Saint Jean, particulièrement dans ce chapitre 16, dernier verset du chapitre 16 de saint Jean, le verset 33 — très beau — où Jésus nous dit : Je vous ai dit tout cela — tout l’Évangile — pour que, en Moi, vous ayez la Paix… Dans le monde, vous connaîtrez la détresse, les épreuves, les difficultés. Mais Moi, J’ai vaincu le monde…
Amen !
Référence
Don Paul Préaux, Homélie du 33e dimanche du Temps ordinaire (année A), prononcée au cours de la Messe, le 15 novembre 2020 (2de lecture : 1 Th. 5, 1-6 ; Évangile : Mt. 25, 14-30). Disponible en ligne sur <https://www.youtube.com/watch?v=An897v2vK0s>, consultée le 18 novembre 2020.
Don Paul Préaux est le modérateur général de la Communauté S. Martin.
Cette homélie a été retranscrite par l'auteur de ce blogue.