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vendredi 12 août 2011

Réserve, retenue ; décence, modestie, pudeur, selon P. B. de Lafaye, 1861.


Disposition à se contenir dans de certaines bornes.

La réserve et la retenue sont des principes d'action généraux, des qualités négatives, qui consistent à ne pas se donner trop de liberté, à s'abstenir, dans certains cas, de parler ou d'agir.
Ainsi l'économie est réserve ou retenue dans l'emploi de ses biens; la sobriété, réserve ou retenue dans l'usage des aliments; la discrétion, réserve ou retenue à l'égard des autres, etc.

Mais la décence, la modestie et la pudeur sont plus particulières : ce sont des espèces par rapport à la réserve et à la retenue. La réserve et la retenue nous empêchent de faire quoi que ce soit; la décence, la modestie et la pudeur nous empêchent chacune de faire une certaine sorte d'actions.
Ensuite, avec de la réserve, on se préserve, on se tient sur ses gardes, on est circonspect; avec de la retenue, on se gouverne, on réprime ses mouvements, on est maître de soi (voy. Discrétion, réserve, retenue, p. 529). C'est-à-dire que la réserve et la retenue sont des conditions du bien, mais non pas quelque chose d'essentiellement bon.

Au contraire, la décence, la modestie et la pudeur sont proprement des vertus, et non pas de simples qualités. On ne dit pas blesser la réserve et la retenue, comme on dit blesser la décence , la modestie et la pudeur ; on ne dit pas non plus passer les bornes de la réserve et de la retenue, comme on dit passer les bornes de la décence , de la modestie, de la pudeur. La réserve et la retenue peuvent être employées à dissimuler, par exemple: mais la décence, la modestie et la pudeur sont toujours recommandables.
Décence, modestie, pudeur. Vertus qui demandent de la réserve ou de la retenue, qui consistent dans une sorte de réserve ou de retenue.

La décence nous empêche de violer les lois de la bienséance : c'est une réserve ou une retenue en ce qui concerne les convenances sociales.
La modestie nous empêche de nous trop faire valoir: c'est une réserve ou une retenue en ce qui concerne l'opinion que nous avons et que nous voulons donner de nous aux autres.
La pudeur nous empêche d'offenser les mœurs : c'est une réserve ou une retenue en ce qui concerne l'honnêteté.

Décence implique l'idée de société : la décence regarde le maintien, et, avec de la décence, on observe le décorum, on se montre en public bien, comme il faut, avec dignité.
Modestie implique l'idée d'humilité : la modestie porte à se faire petit, à s'effacer par rapport aux autres, et,avec de la modestie, on est sûr de plaire, parce qu'on ne blesse aucun amour-propre. 
Pudeur implique l'idée d'une extrême délicatesse, d'une crainte candide relativement à tout ce qui peut altérer la pureté de l'âme, et, avec de la pudeur, on rougit de tout, même d'être vu.
Sans décence, on est ou on agit d'une manière malséante ou messéante; sans modestie, on est vain ; et sans pudeur, effronté.

La différence n'est pas aussi marquée entre ces mots, lorsqu'ils se disent tous les trois dans le sens plus particulièrement propre à pudeur. c'est-à-dire en parlant du soin que les hommes et surtout les femmes doivent avoir d'être ou de rester chastes, de respecter l'honnêteté.

Alors la décence regarde la manière dont on se montre en public ; la modestie, la manière dont on parle ou dont on agit ; et la pudeur, les sentiments qu'on a dans l’âme. On dit un habit indécent; des discours, des regards, des actions immodestes ; des désirs impudiques. Une femme a de la décence, quand elle a un extérieur, une mise, une tenue, un habillement convenables, quand elle ne fait rien dont le monde puisse se scandaliser. Elle a de la modestie, quand elle n'est pas trop libre, quand elle est modérée (modeste et modéré ont la même racine, modus, mesure) dans ses discours, son ton, ses gestes, ses mouvements, ses œillades. Elle a de la pudeur, quand elle est pénétrée d'un sentiment d'aversion pour tout ce qui peut effleurer son honneur, quand son innocence s'effraye de tout et fuit jusqu'à l'ombre du mal.

La décence est une modestie sociale, pour le monde ou le public. « Louis XIV fut toujours décent en public. » Volt. « Notre régularité n'est qu'une décence que nous donnons au monde. » Mass. Polixène en tombant sur la scène observe la décence (J. J.). La modestie est une manière de parler ou d'agir conforme à la pudeur ; la pudeur est le fond, le sentiment, l'amour naturel de ce qui est pur, chaste, honnête. * Une femme à pied dans un pareil équipage n'est pas trop en sûreté contre les insultes de la populace. Ces insultes sont le cri de la pudeur révoltée, et la brutalité du peuple, plus honnête que la bienséance des gens polis, retient peut-être ici cent mille femmes dans les bornes de la modestie. » J. J.

Référence.

Pierre Benjamin de Lafaye, Dictionnaire des synonymes de la langue française, deuxième édition revue et corrigée, L. Hachette et Compagnie, Paris, 1861, p. 921-922.