Un mari et sa femme, par M. J. van Mierevelt, 1609 |
L'on
appelle ainsi l'espèce [=le type] d'autorité qu'on a reconnue de
tout temps dans le [=au] mari à l'égard de la femme.
Il
est établi qu'outre l'obéissance générale, la femme en doit une
particulière aux volontés du mari ; mais comme il est
assujetti lui-même à deux espèces [=types] de lois, les lois
divines et les humaines, il ne peut ordonner ce qui leur est
contraire, et la femme, soumise à ces mêmes lois, se peut dispenser
de l'obéissance conjugale lorsque le mari lui ordonne de les
transgresser.
Je
parle ici de la femme véritable. Ce n'est pas assez pour lui donner
ce nom qu'elle soit liée simplement par les nœuds extérieurs du
mariage ; ce n'est pas assez qu'elle ait suivi le mari dans sa
maison. Il faut que la liaison la plus intime qui peut unir les
deux sexes, ait acquis au mari la supériorité [=autorité] qu'il
revendique : la femme alors a passé sous le joug.
Si,
cependant, il est lui-même sous la puissance d'autrui, comme
le fils de famille ou l'esclave, dans ce cas, les uns et les
autres, de même que leurs enfants, dépendent du chef de famille.
Cette
dépendance, néanmoins, n'est pas de la même nature :
l'autorité du père sur la femme de son fils, du seigneur sur celle
de son esclave, ne s'étend qu'aux choses relatives au
gouvernement de la maison et [=ainsi qu'à celles] qui sont de
bienséance [=caractère convenable, approprié de ce qui se dit, de ce qui se fait, selon les personnes, le sexe, l'âge, le temps, le lieu, etc.] ; elle n'est pas étroite comme celle qui
attache la femme aux ordres légitimes du mari ; c'est, pour
elle, le devoir le plus sacré. Tout autre lui cède, si l'on
excepte, comme je viens de le dire, celui qu'imposent les lois de la
religion et une grande partie de celles de l'État.
Tout
dicte à la femme l'obéissance qui lui est prescrite. Comme son
nom se perd dans celui du mari, sa volonté doit se perdre dans la
sienne. Il exerce ses actions ; il jouit de ses biens. Que
peut-il lui rester lorsqu'elle s'est livrée elle-même ?
De
pareilles lois ne sont pas, comme on pourrait se l'imaginer,
injuste, ni l'effet de la seule volonté des hommes. Elles sont
puisées dans la nature. Il est conforme à ses lumières que,
dans une société établie pour la sûreté [=sécurité] et la
tranquillité communes, on ne trouve pas deux volontés actives :
elles auraient le droit de se contredire.
Si
le bon ordre ne permet qu'une même famille reconnaisse deux maîtres
dont le sentiment contraire opérerait d'abord l'inaction et
ensuite, le trouble [=dissension] et le dérèglement
[=opposition aux règles de la morale], si la nécessité veut qu'une
volonté prédomine, il est tout naturel que le plus faible soit
soumis au plus fort. C'est la nature qui en a décidé par le
partage qu'elle a fait des forces : la femme peut bien lui
pardonner cette ombre de supériorité [=autorité] donné à l'homme. Le
dédommagement qu'elle en a reçu passe [=surpasse] l'équivalent.
Il
dérive encore de cet avantage des forces, un sentiment de justice en
faveur de l'autorité de l'homme. Une des premières règles
de toute société est de faire la comparaison de ce que chacun y
confère [=apporte], pour l'égaliser, autant qu'il est possible. La
société conjugale est si étroite, et en même temps si
universelle, qu'elle comprend toutes les espèces de sociétés
possibles. Les premières que les hommes ont contractés, ont eu pour
objet une défense mutuelle : c'est la suite naturelle
des premières liaisons. La femme porte [=apporte], à cet égard, beaucoup
moins que l'homme dans la société. Le mari est l'appui de sa
faiblesse ; les honneurs, les dignités [=charges, offices,
emplois considérables], la noblesse du mari rejaillissent sur elle. Il
est juste qu'elle récompense ces avantages par l'obéissance à
celui qui s'est chargé de la défendre.
Le
mari avait, autrefois sur la femme, le droit de vie et de mort :
il était juste dans l'origine. Lorsque l'on ne connaissait encore
que la loi naturelle, le chef de famille était souverain
[=indépendant, possédant l'autorité la plus élevé, jugeant en
dernier ressort] chez lui ; il était le seul juge. Il
avait, par conséquent, le droit de condamner à mort pour les causes
qui l'avaient méritée ; mais c'était seulement comme exerçant
la justice attachée à la souveraineté : quel autre que lui
aurait pu l'exercer ?
Mais
après que les corps politiques se furent formés, lorsque les hommes
se furent soumis à une autorité fixe et réglée, cet empire du
chef de famille aurait dû cesser. Ce fut un abus, quand il conserva,
en qualité de mari, un droit qu'il n'avait qu'en qualité de juge
souverain.
Cependant,
on en trouve partout les vestiges. Par la loi de Romulus, le mari
avait sur sa femme un pouvoir, à peu de choses près, sans limites.
Il pouvait la faire mourir dans forme judiciaire, dans quatre cas :
pour adultère, pour supposition d'enfant [=fait d'attribuer la
maternité d'un enfant à une femme qui, en fait, n'en a pas
accouché], pour avoir de fausses clés et pour abus de vin. Cette
puissance a été commune à la plus grande partie des peuples
connus. Les Gaulois, au rapport de César, avaient le pouvoir de vie
et de mort sur leurs femmes et leurs enfants. Les Lombards usaient
des mêmes lois. Ce droit était en usage par toute la Grèce, dans
le cas d'adultère.
Il
semble, par ces marques apparentes d'une aussi grande supériorité
[=autorité], que les hommes étaient convenus de se révolter contre
un ascendant [=autorité, pouvoir ; celui de la femme] dont ils
sentaient la force. Ils se flattaient de se déguiser à
eux-mêmes leurs maîtres, en lui donnant les dehors d'une dépendance
[=subordination] servile [=caractéristique de la condition de
l'esclave ou du valet]. Faibles efforts contre un sexe auquel il
est donné de régner jusque dans les lieux où il paraît le plus
esclave.
L'usage
modéra, peu à peu, la rigueur de la loi. La peine d'adultère fut
remise à la discrétion des parents de la femme. La répudiation
contentera les esprits les plus doux.
Cependant
les lois continuaient à retenir les femmes dans une tutelle [charge
dévolu à la personne chargée de défendre celui qui, par sa
faiblesse, est incapable de se défendre lui-même et de prendre
soins de ses affaires] éternelle. Elles passaient de celle du père
dans [=à] celle du mari. Si elles sortaient de celle-ci, c'était
pour rentrer sous celle d'un frère ou de quelque autre parent. Nous
voyons les mêmes lois chez les anciens Germains, avant qu'ils
eussent été connus des Romains.
La
loi Julia,
donné par Auguste [=Caius
Octavius Thurinus devenu Imperator
Caesar Divi Filius Augustus],
ôta aux maris cette autorité sans borne que l'usage avait déjà
modérée : il ne laissa le droit de mort qu'au père de la
femme, et dans le cas de flagrant délit. Mais, dans la suite,
l'impératrice Théodora, maîtresse absolue de l'esprit de
l'imbécile Justinien [empereur romain], nourrie de sentiments
conformes à la bassesse de sa naissance [fille d'Acacius, dresseur
d'ours attaché au cirque de Constantinople, danseuse
et courtisane] et respirant l'opprobre [=honte] dans lequel elle ne
cessa de croupir, fit faire des lois à l'avantage des femmes, aussi
favorables qu'un empereur pouvait les donner sans en rougir. Elle
changea la peine de mort encourue par l'adultère en une note
d'infamie [=flétrissure imposée à l'honneur et à la réputation
d'une personne par la loi et le magistrat] : était-ce une peine
d'ôter l'honneur à qui l'avait déjà livré ?
Pour
les fautes domestiques où le public est moins intéressé, on est
toujours demeuré d'accord que le mari a le droit de corriger
[=tenter de supprimer le défaut d'un subordonné en lui imposant la
peine qu'il aura méritée en commettant quelque faute, délit ou
crime. Le supérieur corrige l'inférieur ; le chef corrige le
subordonné ] la femme avec modération [=vertu
qui porte à conserver une certaine mesure en toute chose, sans se
laisser aller, en l’occurrence, à la colère ou à l'orgueil]. La
femme avait, autrefois, une action [=poursuite en justice] contre la
mari, lorsque le traitement qu'elle essuyait était trop rude
[=violent, impétueux], trop fréquent, ou sans cause.
Depuis Justinien, l'action d'injure [=mépris que l'on signifie à
quelqu'un en vue de l'offenser, de porter atteinte à l'estime qu'il
a de lui ou à sa réputation] n'est plus permise entre le mari et la
femme, si elles ne sont pas assez graves pour mériter la séparation.
Mais
si nous considérons le pouvoir marital relativement à
l'équité naturelle [=sentiment
de la justice avec lequel l'homme naît sans qu'il soit besoin que
les lois le lui rappelle], le mari n'a aucun pouvoir sur sa
femme. Car cette prétendue
supériorité [=autorité] du mari sur sa femme est contraire à
l'égalité naturelle [=fait
que tous les hommes ont en partage la même raison, les mêmes
capacités, le même but, la même ascendance, la même physiologie,
la même dépendance aux mêmes lois naturelles, la même fragilité,
la même nature mortelle ; d'où il résulte que tous les hommes
se doivent, les uns les aux autres, la même estime et le même
traitement et espèrent le même bonheur et les mêmes satisfactions
tirées de la même vie sociale] que ni la force, ni la majesté
[=caractère d'une personne qui attire l'admiration, et suscite le
respect et l'obéissance], ni le courage [vertu consistant à
entreprendre, repousser ou supporter quelque chose de difficile ou de
dangereux] ne peuvent détruire, outre
qu'il n'est pas toujours vrai que tous les hommes possèdent ce
qualités exclusivement aux femmes. Quant à la raison, je crois bien
difficile de prouver que la nature en ait mieux partagé les hommes
que les femmes.
Le
contrat de mariage que quelques-uns font valoir pour établir le
pouvoir marital, n'a pas lieu dans les mariage réguliers [=conforme
aux règles, lois et règlements], à moins que, par une loi
particulière, une nation ne l'exige, ou que les circonstances
particulières des contractants ne demandent nécessairement cette
condition. Dans tout autre cas, le contrat du mariage laisse dans une
parfaite égalité le mari et la femme, tels qu'ils étaient avant
que de se marier.
Référence
M.
ROBINET, Dictionnaire universel des sciences morale, économique,
politique et diplomatique ou Bibliothèque de l'homme d'État et du
citoyen, tome 26, Londres, chez les Libraires Associés, 1782, p.
667-669.
Les insertions entre crochets sont du fait de l'auteur de ce blog et veulent éclaircir le sens qui était celui de certains mots au XVIIIe siècle.