Le premier Concile œcuménique du Vatican, par Karl Benzinger |
252. Pour que la
création se fit, il ne suffisait pas que Dieu eût la puissance de créer le
monde et qu'il en trouvât le plan en sa pensée, il était surtout nécessaire que
sa volonté se déterminât à le créer. Or, pour que Dieu prit celle
détermination, il fallait qu'il y fût porté par une raison et qu'il s'y décidât
pour une fin. Dieu est en effet souverainement intelligent; il n'agit donc
jamais d'une façon aveugle ; mais il fait toutes choses par une raison et pour
une fin.
Le concile du Vatican
(I) indique la raison qui a déterminé la volonté de Dieu. Cette raison, c'est
sa bonté, bonitate sua, qui le porte à faire du bien, et qui
pouvait seule le décider à nous créer.
En effet, comme le remarque encore notre
Concile, la création ne pouvait augmenter la béatitude de Dieu, ni lui donner
une plus grande perfection, non ad augendam suam beatitudinem, nec ad
acquirendam suam perfectionem ; (…)
Dieu est pleinement heureux par lui-même et (…) est infini en
perfection.
La création pouvait seulement manifester la perfection de Dieu,
dans les créatures, par les biens qu'elle mettrait en elles, en les produisant,
ad manifestandam perfectionem suam per bona quae creaturis impertitur. Or
cette fin ne pouvait décider la volonté de Dieu par elle seule, mais seulement
à cause de la bonté divine.
(…)
Sans doute la bonté de
Dieu est pour lui une raison de créer ; mais cette bonté existerait en Dieu
dans sa plénitude, alors même qu'elle ne se serait répandue sur aucune
créature. Soutenir le contraire, ce serait supposer que Dieu a besoin du monde
et des créatures, et qu'il ne se suffit pas à lui-même ; ce serait donc rejeter
l'infinie perfection de Dieu et admettre, avec le panthéisme, que le monde est
nécessaire comme Dieu lui-même. Du reste l'Écriture et la tradition ont
toujours affirmé la liberté de Dieu dans la création.
(…) le monde a été
fait pour la gloire de Dieu.
Cette vérité est le
corollaire des enseignements qui précèdent sur la fin que Dieu s'est proposée
dans la création. Pour la comprendre, il suffit de nous rendre compte de ce
qu'on entend ici par la gloire de Dieu.
On appelle gloire
objective, l'excellence qui fait que quelqu'un est digne d'éloge et
d'estime ; on appelle gloire formelle l'estime et les louanges qui lui
sont données à cause de cette excellence.
La gloire de Dieu est
interne et externe.
Sa gloire interne existe objectivement dans
sa propre excellence et formellement dans la connaissance qu'il en a et
l'estime qu'il en fait.
Sa gloire externe
existe objectivement dans l'excellence de Dieu, en tant qu'elle est
manifestée aux créatures et par les créatures ; elle existe formellement
dans l'amour, l'estime et les louanges que les créatures ont pour Dieu, à cause
de ce qu'elles connaissent de son excellence.
C'est
pour cette gloire externe de Dieu que le monde a été créé ; car Dieu l'a produit pour manifester sa
perfection, autrement dit son excellence, par les biens qu'il donne aux
créatures.
[Georg
Hermes, dit en français] Hermès
prétendait que c'était attribuer à Dieu, un égoïsme répréhensible, que de dire
que le monde a été produit pour la gloire de Dieu. Il se trompait ; car en
créant pour cette fin, Dieu n'a rien fait qui ne soit conforme à l’ordre. Si
c'est un désordre que les créatures, qui sont faites pour Dieu, se
recherchent exclusivement elles-mêmes, c'est au contraire l'ordre que Dieu ne
prenne point pour fin les créatures, qui lui sont infiniment inférieures.
Du
reste, en faisant le monde pour sa gloire, Dieu n'en a pas moins agi avec un
plein désintéressement ; car cette gloire extérieure n'apporte a Dieu aucun
avantage et la création n'est utile qu'aux créatures.
Disons un
mot de la manière dont le monde glorifie Dieu. Les créatures sans raison
le glorifient objectivement, en réalisant en elles-mêmes quelque chose
de ses perfections et en les manifestant aux créatures raisonnables.
Celles-ci
le glorifient objectivement par leur nature ; mais elles le glorifient aussi formellement,
car elles peuvent connaître ces perfections à l'aide des créatures, et lui
offrir les hommages dont ses perfections le rendent digne.
Les créatures
raisonnables qui ne glorifient point Dieu de celle manière, manquent à leur
devoir elles seront punies : ainsi au
lieu de glorifier la bonté de Dieu, elles glorifieront sa justice par leur
châtiment.
Comme
Dieu manifeste surtout ses perfections dans l’ordre surnaturel et dans la
vision intuitive qu'il nous donne de lui-même au ciel, c'est de ce monde
surnaturel qu'il tire sa plus grande gloire extérieure. (…)
Référence
Jean-Michel-Alfred Vacant, Études théologiques
sur les Constitutions du Concile du Vatican, tome I : la
Constitution Dei Filius, Delhomme et Briguet, Lyon et Paris, 1895, p.
268-271.