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lundi 25 mars 2024

Comment envisager et vivre la Messe catholique, selon Louis-Marie Chauvet (vision plutôt réformiste de la Liturgie sacrée)

 

Vous trouverez ci-dessous la retranscription, adaptée à l’écrit, de l’ensemble des interventions successives de M. l’abbé Louis-Marie Chauvet, lors de l'émission Au risque de la foi, animée par Régis Burnet et diffusée sur la chaîne de télévision KTO. M. l'abbé Chauvet est professeur émérite de théologie des Sacrements à l'Institut catholique de Paris et actuel Prêtre coopérateur au service du Groupement paroissial Notre-Dame 95  (paroisses d’Eaubonne, Saint-Prix, Montlignon et Margency), dans le diocèse de Pontoise.

On peut dire de M. l'abbé Chauvet, qu'il a eu beaucoup d'influence, en France, sur la façon, — nouvelle —, d'envisager et de vivre la Liturgie sacrée, façon qui s'est voulue en rupture avec celle qui avait cours avant 1964, année de la première Instruction Inter Œcumenici, publiée par le Conseil pour l’exécution de la Constitution sur la Liturgie, institué par le Pape Paul vi.


M. l'abbé Louis-Marie Chauvet, en septembre 2020

L'importance de l'accueil, c'est évident. Moi, je me réjouis de voir, dans ma paroisse, puis un peu partout aujourd'hui, qu’ il y a des hommes et des femmes qui sont là, qui distribuent une feuille de chants, qui font un sourire, qui, éventuellement, invitent à avancer un peu plus haut. Et, du coup, on a le sentiment qu’on est accueilli par une société de frères, par un groupe de frères et de sœurs, d'une certaine manière : on se sent chez soi. Je veux dire que chacun doit pouvoir se sentir chez lui. Cet accueil est, évidemment, primordial, puisque nous allons célébrer tous ensemble et que la première partie, justement, c'est, vraiment, de constituer l'acteur de la Liturgie, acteur qui va être cette assemblée, ce « nous » que nous allons constituer. Moi je suis très sensible à cela.

Ce besoin, d'un certain nombre, de pouvoir se recueillir, on le comprend tout à fait. Il faut l'honorer. Mais en même temps, on comprend aussi le souci de saluer les autres parce que, finalement, c'est ensemble qu'on va célébrer l’Eucharistie. Et on n’y vient pas de manière simplement individualiste. C’est une chose à laquelle, personnellement, je suis très sensible. Cela dépend des sensibilités. Mais quand des gens arrivent sans saluer qui que ce soit, sous prétexte qu’ils viennent rencontrer « Jésus ! Jésus ! Jésus ! », à mon avis, là, on peut on peut s'interroger. Ils en ont le droit. Mais on peut s'interroger. En revanche, sans faire de l'église un chant de foire — surtout pas — qu'il y ait, d'abord, le souci de rencontrer autrui. Parce que la Messe nous dit, finalement : « Tu rencontres Dieu à travers le visage d'autrui ; tu rencontres le Christ en faisant Église avec les autres. » C'est, évidemment, pour moi, important. Dans le contexte actuel qui est assez marqué — je ne suis pas du tout original en disant cela — par ce qu'on appelle l'individualisme, c'est quelque chose qui n'est pas évident.

Le début de la Messe, pour moi, si je viens aux fondamentaux, par-delà le Kyrie, le Gloria, l’oraison, etc., c'est vraiment de constituer l'acteur de la Liturgie, c'est-à-dire le « nous » : « nous Te célébrons », « nous Te supplions », « nous Te rendons grâce », « nous Te demandons », « nous », ces premières personnes du pluriel...On peut dire que la Liturgie, c’est du théâtre : il y aura une scène, des acteurs, un programme, des objets, etc. Tout est prévu. Donc, il n’y a plus qu'à suivre. À la différence du théâtre, l'acteur principal est dans la nef, dans la salle : c'est le « nous » de l'Assemblée. Si le Prêtre est là, c'est pour présider cette assemblée et pour la rendre « acteur ». Moi j'insiste beaucoup là-dessus. On connaît l'adage : « Un seul préside — au nom de l'ordination — tous célèbrent ». Je la complète en disant : « Un seul préside afin que tous célèbrent ». Quand on commence la Messe, on dit: « Le Seigneur soit avec vous » ou bien: « La grâce de Jésus, notre Seigneur... », c'est à dire qu’on dit : « C'est le Christ qui nous rassemble. » S'il est vrai que c'est le Christ qui nous rassemble, qui, ensuite, va parler à son peuple, comme le dit Vatican II [cf. la Constitution Sacrosanctum Concilium, sur la Liturgie sacrée, n. 7 et 33], qui va faire l’Eucharistie, tous ceux qui sont membres du Christ, tous les Chrétiens, sont acteurs, actifs, par Lui, avec Lui, en Lui. L'Église est à la fois le fruit de la Messe, et en même temps, elle en est la condition. Dès le début, c'est cette Église qui se constitue. Moi, je suis très sensible à cela. D’où l’importance du mot « accueil » : s’accueillir les uns les autres.

Lorsque le chant d'entrée, par exemple, est extrêmement joyeux, comme cela arrive assez souvent, moi, comme Prêtre, accueilli avec les servants et servantes d'autel, je peux enclencher sur lui : ce n’est pas la peine de dire qu'on est dans la joie, puisqu'on vient de le manifester. Le chant est tellement joyeux qu’on est déjà dans la Messe et que l'acteur est déjà constitué, parce que chacun a participé avec le meilleur de lui-même, sa voix qui est belle ou qui n’est pas belle, qu'importe. L'important, c'est de sentir ce mouvement. Moi, je suis très, très sensible à cela.

La prière pénitentielle, c’est le fait de se mettre en disposition. Cela n’est pas très difficile, à mon avis, à accueillir. Je pense que chacun peut vivre ce moment. D'ailleurs, je sens que les gens vivent très bien ce moment où on se recueille humblement devant Dieu. Moi, j'aime bien m'incliner, quand on dit, par exemple, le « Je confesse », à moins qu'il y ait des invocations qui soient enchaînées sur un « Seigneur, prend pitié ». Quant aux « Gloire à Dieu », ils sont maintenant souvent jubilants, etc. Mais l'important, au terme de cela, pour moi, c'est la prière. C'est l'horizon qui vient là : recueillons-nous pour la prière. Cette prière peut être belle et très intense. La difficulté de notre Liturgie romaine est qu'elle est très sobre. Dans ses prières, il n’y a pas de redondance, pas de redit. Du coup, les phrases sont courtes et les mots sont forts. Donc il m'arrive souvent de dire à mes frères et sœurs : « Vous avez entendu ce que je viens de demander en votre nom, ce que nous avons demandé, ce que vous avez demandé à travers moi ? » Parce que c'est « nous », encore une fois : les gens ne font pas que s'unir intérieurement à ce que dit le Prêtre. Bien sûr, c'est cela qu'ils font concrètement. Mais c'est plus que cela qu’ être acteur : cela veut dire que le Prêtre est le porteur de ce que nous prions. Répéter la prière que je viens de dire, éventuellement faire répéter une phrase ou deux de cette prière, cela donne quelque chose !… Ce n’est pas prévu dans les rubriques ! C’est là qu’il faut un minimum de liberté. Je trouve cela très bien.

La Liturgie, c'est du live ! Donc elle va dépendre beaucoup de la manière de faire. La même Prière Eucharistique, avec les mêmes mots, dites par tel Prêtre ou par tel autre, va être reçue de manière très différente. La question est toujours où situer le curseur : entre du « trop froid » et du « trop chaud ». Le « trop froid », c'est le fait que j'exécute strictement le code rubrical. C'est « l'étiquette de cours », etc. Pourquoi pas ? Le « trop chaud », c'est le fait de l'explosion, de la fête dionysiaque, etc., qu’on invente, etc. Nous sommes dans une culture où, notamment, les jeunes sont très en demande de cela ; ils vivent dans une culture du spectacle, etc. Alors, il ne faut pas trop en rajouter du côté du « trop chaud ». Mais, en même temps, je pense qu'il y a un minimum de liberté à prendre qui est, vraiment, au service de la Liturgie catholique, telle que la souhaite l'Église. Par exemple, pour les lectures, moi, j'aime bien faire une introduction, à condition, évidemment qu’elle ne soit pas plus longue que la lecture et qu'elle ne soit pas un cours de théologie, ni un cours d’exégèse. Mais, par exemple, le jour où on fête le Corps du Christ, par exemple le dimanche, et où il est question du « Pain descendu du Ciel », on va nous lire le livre de l'Exode. On a intérêt à dire aux gens : « Si vous voulez comprendre ce que veut dire Jésus, écoutez bien cette lecture, parce que c'est la clé d'intelligence. » Voilà l'introduction. Quelque chose comme cela. Personnellement, et je ne suis pas le seul —, je fais cela fréquemment. Et les retours sont là. Pour la Prière Eucharistique, par exemple : « Vraiment il est juste et bon, pour Ta gloire et notre salut », moi j'ajoute : « et pour » parce que cela rejoint les deux dimensions de la Messe. Et puis, on détache les choses en les prononçant. Cela devient autre chose. Mais je n’improvise pas une Prière Eucharistique. On a connu cela autrefois. Dans les années 1970, les prières qu'on a appelé, après coup, « sauvages ». C'était l'époque de Vatican II, c'était une autre époque. Je comprends très bien qu'il y ait eu une réaction, ensuite, contre cela. Cela s'était d'ailleurs bien apaisé à la fin des années 1990. Et puis, à nouveau, des querelles ont ressurgi, un peu, à mon avis inutiles. Voilà : c’est comme cela. La Liturgie est un lieu de communion, mais aussi de tension, on le sait bien, parce que il y est question de sensibilité, d'affect, puisque la participation se fait à travers le corps, à travers les sens.

À propos de formation, actuellement, je sens que, par rapport à la période antérieure, on est plutôt en déficit de formation sur la Liturgie et je le regrette. Les gens n'ont plus de repères ; ils ne savent plus où ils en sont. Le livre que j'ai écrit, si j'ai mis : Retour aux fondamentaux, c'est vraiment pour rappeler ces choses les plus fondamentales qui sont trop oubliées, qui sont méconnues. Comme Prêtre — je me mets dedans — on finit par prendre des habitudes qui deviennent de la routine . On ne se rend plus compte qu’on a des attitudes ou des tons de voix qui, finalement, ne conviennent pas. Le problème, c'est que nous, Prêtres, nous risquons toujours d'avoir tellement serré le rapport entre la fonction et la personne que les gens ne peuvent plus se permettre de critiquer la fonction sans que le Prêtre le ressentent comme une atteinte à sa personne. Et c'est dramatique. Le phénomène actuel — que je comprends — de sacralisation ou de sur-sacralisation, peut favorise cela. On n’est pas obligé de tomber dans une sorte de hiérarchie, de hiératisme rigide qui fait que toutes les Messes seraient absolument pareilles. C’est cela, la question du curseur.

Pour moi, ce qui est en jeu, avec le problème de la langue liturgique, c’est l’espace d'audibilité. Même, en français, dans les nouvelles traductions que l’on a faites, je trouve que certaines sont malheureuses — il y a des choses très heureuses ! —, parce que, par exemple, les oraisons d’ouverture qui étaient, la plupart d’entre elles, plus simples dans leur formulation antérieure sont devenues plus complexes parce qu’on a voulu calquer de plus près le latin. Du coup, cela rajoute de la difficulté à cet espace d’audibilité qui fait qu'un certain nombre de personnes — moi, je suis très sensible à cela —, ne s'y retrouvent plus. Leur problème ce n’est pas le latin ou même le français, c'est : « on ne comprend pas ce que cela veut dire parce que c'est un jargon tellement spécialisé. » C'est pour cela que notre rôle de Prêtre, — moi je le comprends beaucoup comme cela —, c'est de pouvoir dire les choses de telle manière que cela facilite l'audibilité de ce qui est dit. J'entends bien célébrer la Messe de l'Église : ce n’est pas ma propriété. Surtout pas. J’ai le Missel sous les yeux. Il est trop gros, d'ailleurs, actuellement, parce que, quand il trône sur un petit autel, on a l'impression qu'on vient de célébrer le Missel. C’est quand même embêtant ! On n'a pas besoin, non plus, d'une immense pierre sacrificielle, il ne faut pas exagérer. Je pense qu’une table bien faite suffit. On a ce qu'il faut dans les églises maintenant. Généralement, c'est pas mal quand même, de ce point de vue-là. Les aménagements qui ont été faits depuis Vatican II ont été généralement plutôt heureux. On en est plus à l'immense autel qui était une sorte de grande pierre sacrificielle.Le problème se situe là aujourd'hui. C’est un problème culturel. Dans mon petit livre, j’ai intitulé l’'introduction : « On n'a pas le choix, ça mute ! », parce qu’on est dans un phénomène qui n’est pas simplement d'évolution mais de mutation. Du coup, comment être en prise par rapport à cela ? Comment nourrir nos frères et sœurs chrétiens dans cette culture postmoderne ?

Je ne sais pas s’il faut instituer des lecteurs comme tel. Pourquoi pas ? Mais, pour moi, ce n’est pas l'urgence. Ce qui est sûr, c'est qu'il faut former les lecteurs. On ne demande pas à quelqu'un qu'on ne connaît pas, comme cela, de proclamer, — c'est le terme qui convient — la Parole de Dieu. Il y a une formation à faire et le déficit de formation liturgique dont je parlais porte aussi là-dessus. Ceci étant, au cœur de la Messe, il y a deux parties — d'ailleurs c'est ce que dit « le Concile » [=de Vatican II] — et elles forment un seul acte de culte. Moi, j'aime bien citer à ce propos Vatican II, Dei Verbum, n. 21 : l'Église qui prend le Pain de vie sur la table aussi bien de la Parole de Dieu que du Corps du Christ pour l'offrir au fidèle « L'Église a toujours vénéré les Divines Écritures tout comme le Corps lui-même du Seigneur, lorsque, surtout dans la Liturgie sacrée, elle ne cesse de prendre le pain de vie à la table tant de la parole de Dieu que du Corps du Christ, et de l’offrir aux fidèles. ». Déjà, faire réaliser à mes frères et sœurs chrétiens que ce qu'ils vont entendre, c'est une nourriture, c'est le Pain de vie : ce n’est pas moins que cela. Le texte, d'ailleurs, dit que l'Église a toujours vénéré les Écritures comme elle l'a toujours fait pour le Corps Lui-même du Seigneur. On voit bien qu'il y a une gradation avec le « Lui-même ». La locution pronominale insiste là-dessus. Mais au départ, c'est le Pain de vie, et c'est très important. Il va de soi, dans cette perspective, que communier au Corps eucharistique du Christ sans avoir d'abord communié à la Parole, cela frise le non-sens. C'est tout à fait évident. Deuxièmement, on voit bien qu'il y a une gradation qui va du même Pain de vie sous deux formes, la première conduisant à la seconde et jamais l'inverse. Pourquoi je dis cela ? Parce que cela nous dit ce que c'est un Sacrement, ce qu’est l'Eucharistie en l'occurrence. Mais cela vaut pour tout Sacrement : le geste sacramentel est toujours précédé d'une ou plusieurs lectures de la Parole de Dieu. Cela veut dire tout simplement que si j'observe ce que l'Église a fait toujours et dans toutes les traditions, — à savoir : pas de geste sacramentel sans annonce d'abord de la Parole de Dieu —, cela vaut même pour la Confession. Cela veut dire que le Sacrement n'est pas autre chose que le déploiement de de la Parole de Dieu. La Parole de Dieu est en demande de devenir Événement. Elle est, d'ailleurs, du point de vue biblique, d'autant plus Parole qu'elle devient Événement, ce qui permet au Prophète Amos de dire qu'il a vu la Parole de Dieu. Du coup, on comprend pourquoi, quand le Prêtre lève le livre — moi, je lève le livre — en disant : « Acclamons la Parole de Dieu ! », les gens ne répondent pas : « Louange à Toi ! » au beau livre — il est magnifique pourtant ! — mais : « à Toi, Seigneur Jésus ! ». Comment faire comprendre que c'est Lui, la Personne du Seigneur Jésus qui est Parole, parce que la Parole veut devenir Événement. Le Sacrement, c'est cela. J'expliquais cela l'autre jour à des mariés : ce que vous avez choisi comme texte que vous allez entendre lors de votre mariage, cela va se déployer sur vous en Événement avec la remise des alliances. Quand la Parole vient se déployer, dans un Baptême, sur le corps du petit bébé que je baptise, ou bien, plus encore, quand elle vous rentre dans le corps, — parce que la Communion, c'est ruminer la Parole en tant que parole d'Amour sauveur —, c’est indépassable. On comprend pourquoi il y a des Sacrements, c'est-à-dire que l'Écriture elle-même, en tant que Parole de Dieu est en demande de ce que l’on a appelé plus tard les Sacrements.

Quel est le cœur de la Messe ? Le cœur, c'est le récit de l'Institution : « La veille de sa Passion, Jésus prit le pain... », en tant qu'il est encadré par deux prières qui sont des prières d'épiclèse, de demande de l'Esprit Saint. Quel est le sommet ? Je dirais la Messe, c’est d'abord un mémorial, donc on pourrait dire que c’est : « Faisant mémoire... ». Mais le sommet, moi j'aime bien le voir dans la doxologie finale, quand le Prêtre lève le Pain et la Coupe et chante : « Par Lui, avec Lui, et en Lui... », et que l'Assemblée répond par un « Amen ! », pas « en petite culotte courte », mais un vrai, qui se déploie vraiment. C’est fantastique, ce moment-là, quand toute l’Assemblée fait vibrer les voûtes de l'église. L'Église, elle est là ! La prière eucharistique est une prière d'acclamation bien avant d'être une prière d'adoration : on acclame le Christ vivant et on en est témoins en faveur du monde et au milieu de ce monde. Être les témoins de cela et autant que possible, la vivante mémoire de Lui, de ce pourquoi Dieu, en Lui, a donné sa vie, quelle chose magnifique ! C'est le sommet.

Puis la finalité, c'est la communion. Donc je distinguerais ce qui est au cœur : le récit de l’Institution et les épiclèses ; le sommet, ce serait plutôt la doxologie ; mais la finalité, c’est la Communion, évidemment. La finalité, en effet, cela n’est pas rien.

La doxologie, c’est quand même quelque chose. J'ai été très frustré dans une Messe, récemment, où il y avait des jeunes, des orchestres, etc., des chants « Glorious », c'était super ! Et alors, on a eu droit à une toute petite doxologie de trois fois rien. Cela m'a frustré. L’intelligence de la Liturgie… La Liturgie ne s'adresse pas d'abord à l'intellect — on en est d'accord. Mais cela doit manifester que c'est objectivement intelligent et subjectivement intelligible. L'intelligence de la Liturgie, c'est quand même de manifester cela : il y a des moments qui sont particulièrement importants. La Prière Eucharistique aboutit à cet acclamation et elle dit ce qu'est l’Eucharistie, action de grâce et acclamation du Christ toujours vivant.

Je reviens à l'importance de la formation à la Liturgie. De ce point de vue-là, Desiderio desideravi du Pape est une chose absolument capitale, actuellement. En plus, dans sa finale, il le dit très bien — moi, je suis presque jaloux de ne pas avoir inventé la formule —, il s'agit de former à la Liturgie afin de pouvoir être formé par la Liturgie. Cela, c'est l’objectif.

C’est un paradoxe formidable : la Messe commence quand cela se termine ! La missa, c’était l’envoi, comme les missi dominici — j’ai appris cela à l’école primaire — les envoyés de Charlemagne. Mittere, la missa, l’envoi, il s’agissait de l’envoi des catéchumènes et des énergumènes, comme aurait ajouté Brassens… C’était cela, effectivement : ceux qui ne pouvaient pas participer, qui ne pouvait pas communier. Du coup, on les envoyait et l’Eucharistie commençait après. C’est-à-dire que la Messe commence au moment de l’envoi de certains. Il y a un paradoxe. C’est d’ailleurs, très étonnant, parce qu’il y a eu une époque où il y avait tant de gens qui ne communiaient pas qu’ils partaient après l’homélie de l’Évêque. Je vois que les Pères de l’Église ont dû se fâcher un peu. C’est allé très vite pour que les gens ne communient plus. Ambroise de Milan, qui a baptisé Augustin, dit à ses nouveaux baptisés : « Ne faites pas comme là-bas en Orient où personne ne communie, si ce n'est une fois par an. » Effectivement, les gens avaient pris l'habitude de partir. Donc il a fallu se réapproprier la Communion. Je n'oublie pas que, dans mon enfance, beaucoup de gens communiaient peu. Le sentiment que l'on était pécheur — et on en a peut-être trop rajouté de ce que de ce point de vue là — était tellement fort que, du coup, les gens se sentaient indignes de communier. Il y a un vieux fonds janséniste, mais pas seulement.

Maintenant, on a mieux que le « Allez dans la paix du Christ ! » Dans la nouvelle traduction en français du Missel romain, il y a cette possibilité qui est magnifique : « Allez en paix et glorifiez Dieu par votre vie ! » Cela, c'est capital. Je dis cela maintenant presque tout le temps parce que je trouve que c'est essentiel : c'est vraiment « l'envoi ». Ce n’est pas un rite de conclusion. Le mot « conclusion » est fonctionnel. Il s'agit, bien sûr, fonctionnellement de conclure, mais il s'agit d'un envoi parce que cela permet de rappeler à nos frères et sœurs chrétiens que, s'ils sont venus à la Messe, c'est bien — il faut qu'il continuent — mais c'est en vue d'autre chose. La Messe n'a pas sa finalité en elle-même. « Laus Dei, ipse cantator ». Je me permets de citer cette formule d'Augustin : c'est ta vie qui va être la louange de Dieu ; c'est le chanteur qui est la louange de Dieu. Ma grand-mère aurait ajouté — elle n’avait pas lu saint Paul en grec ou en latin — : c'est ta vie qui doit devenir sacrifice spirituel (Rm12, 1) « pour la gloire de Dieu et pour le salut du monde » ; et tout se joue là.


Référence : « La Messe », chaîne Youtube KTO TV, émission Au risque de la foi, 24 septembre 2023, disponible sur <https://www.youtube.com/watch?v=sleW7hSIp7Y>.

Bibliographie : Chauvet Louis-Marie, La Messe autrement dit : retour aux fondamentaux, Salvator, 2023.