Le
7 juillet 1833, le roi des Français, Louis-Philippe, nomme une Commission d’enquête au sujet de la présence française en Afrique du Nord.
Cette commission conclut au maintien de la présence française ; mais le rapport sur la colonisation de l'ex-Régence d'Alger
est accablant, quant à la façon dont les indigènes furent traités et quant à la spéculation effrénée qui prévalut.
Si l’on s’arrête un instant sur la manière dont l’occupation
a traité les indigènes, on voit que sa marche a été en
contradiction non seulement avec la justice, mais avec la raison.
C’est au mépris d’une capitulation solennelle, au mépris des droits les plus simples et les plus naturels des peuples, que nous avons méconnu tous les intérêts, froissé les mœurs et les existences, et nous avons ensuite demandé une soumission franche et entière a des populations qui ne se sont jamais complètement soumises à personne.
Nous avons réuni au Domaine les biens des fondations pieuses, nous avons séquestré ceux d’une classe d’habitants que nous avions promis de respecter, nous avons commencé l’exercice de notre puissance par une exaction ; nous nous sommes emparés des propriétés privées sans indemnité aucune ; et, de plus, nous avons été jusqu’à contraindre des propriétaires, expropriés de cette manière, à payer les frais de démolition de leurs maisons et même d’une mosquée. Nous avons loué des bâtiments du Domaine à des tier ; nous avons reçu d’avance le prix dû, et, le lendemain, nous avons fait démolir ces bâtiments, sans restitution ni dédommagements.
Nous avons profané les temples, les tombeaux, l’intérieur des maisons, asile sacré chez les musulmans.
On sait que les nécessités de la guerre sont parfois irrésistibles, mais on devrait trouver dans l’application des mesures extrêmes des formes de justice pour masquer tout ce qu’elles ont d’odieux.
Nous avons envoyé au supplice, sur un simple soupçon et sans procès, des gens dont la culpabilité est toujours restée plus que douteuse depuis ; leurs héritiers ont été dépouillés. Le gouvernement a fait restituer la fortune, il est vrai, mais il n’a pu rendre la vie à un père assassiné.
Nous avons massacré des gens porteurs de sauf-conduits ; égorgé, sur un soupçon, des populations entières qui se sont ensuite trouvées innocentes ; nous avons mis en jugement des hommes réputés saints du pays, des hommes vénérés, parce qu’ils avaient assez de courage pour venir s’exposer à nos fureurs, afin d’intercéder en faveur de leurs malheureux compatriotes (3) ; il s’est trouvé des juges pour les condamner et des hommes civilisés pour les faire exécuter.
Nous avons plongé dans les cachots des chefs de tribus, parce que ces tribus avaient donné asile à nos déserteurs ; nous avons décoré la trahison du nom de négociation, qualifié d’actes diplomatiques de honteux guets-apens ; en un mot, nous avons débordé en barbarie les barbares que venions civiliser, et nous nous plaignons de n'avoir réussi auprès d’eux ! Mais nous avons été nos plus cruels ennemis en Afrique, et après tous ces égaremens de la violence nous avons changé tout à coup de système pour nous lancer dans l'excès contraire ; nous avons tremblé devant un acte de rigueur mérité ; nous avons voulu ramener à nous, à force de condescendance, des gens qui n'ont alors cessé de nous craindre que pour nous mépriser.
Alger devint le théâtre de manœuvres frauduleuses
de tous genres qui achevèrent de déconsidérer le caractère français aux
yeux des naturels. Nous apportions à ces peuples barbares les bienfaits de la civilisation, disait-on, et de nos mains s'échappaient toutes les turpitudes d'un ordre social usé.
C’est au mépris d’une capitulation solennelle, au mépris des droits les plus simples et les plus naturels des peuples, que nous avons méconnu tous les intérêts, froissé les mœurs et les existences, et nous avons ensuite demandé une soumission franche et entière a des populations qui ne se sont jamais complètement soumises à personne.
Nous avons réuni au Domaine les biens des fondations pieuses, nous avons séquestré ceux d’une classe d’habitants que nous avions promis de respecter, nous avons commencé l’exercice de notre puissance par une exaction ; nous nous sommes emparés des propriétés privées sans indemnité aucune ; et, de plus, nous avons été jusqu’à contraindre des propriétaires, expropriés de cette manière, à payer les frais de démolition de leurs maisons et même d’une mosquée. Nous avons loué des bâtiments du Domaine à des tier ; nous avons reçu d’avance le prix dû, et, le lendemain, nous avons fait démolir ces bâtiments, sans restitution ni dédommagements.
Nous avons profané les temples, les tombeaux, l’intérieur des maisons, asile sacré chez les musulmans.
On sait que les nécessités de la guerre sont parfois irrésistibles, mais on devrait trouver dans l’application des mesures extrêmes des formes de justice pour masquer tout ce qu’elles ont d’odieux.
On
aurait pu soumettre l'administration des biens des fondations pieuses à
la haute surveillance de l'administration française et ne pas s'en
emparer ; il a pu être indispensable qu'une route traversât un cimetière,
puisqu'on ensevelit les morts à peu près partout ; mais il aurait fallu
que les ossemens fussent recueillis avec le respect des convenances et
non pas jetés au vent (le transport en France de ces ossemens pour faire
du noir animal est du reste une fable ridicule) ; il fallait indemniser
préalablement un propriétaire dont la propriété devenait utile à l’État,
et ne pas le chasser de chez lui ; il fallait ajouter 1ooooo
fr. de plus au 25 millions qu'on dépensait annuellement, si l'on en
avait besoin pour construire un magasin à blé, et ne pas se donner
l'odieux de l'exaction pour une pareille misère; il fallait respecter
tous les droits, et l'on n'aurait pas senti depuis la nécessité de
réparer avec de l'or et de la faiblesse
les fautes d'un système de violence (1) ; il fallait éviter, pour faire le
recensement, de forcer l'entrée des habitations ; on voulait prévenir
les crimes particuliers, couverts ordinairement par ce
mystère impénétrable de la sainteté du domicile, mais on a certainement
fait beaucoup plus de mal par cette mesure précipitée que tous les retards imaginables, toutes les
transactions possibles n'aurient pu en faire.
Jamais les peuples de
l'antiquité, depuis les plus éclairés jusqu'aux plus barbares, n'avaient
pensé que la violation des mœurs et de lois des nations vaincues pût
les leur attacher ; les Romains, loin de suivre une telle marche,
prenaient presque toujours une partie des coutumes des peuples qu'ils
avaient soumis, les hordes barbares du Nord firent de même. Il est vrai
que plus tard l'Europe substitua ses mœurs et ses croyances à
l'Amérique, mats elle fut obligée de détruire les populations, et l'on ne
pense pas que cela soit le résultat à rechercher aujourd'hui en
Afrique.
Après avoir appelé les naturels aux affaires
municipales, on les en a éloignés ; il aurait mieux valu les avoir
toujours laissés en dehors, et surtout ne pas vouloir créer à l'improviste cette réhabilitation de la population juive, réhabilitation
qui ne pouvait entier si subitement dans les mœurs et qui humilia les
autres classes.
Il y eut confusion dans
l'organisation de la justice, confusion dans les juridictions, confusion
dans l'administration, confusion partout, et certainement les naturels,
quand même ils auraient été portés de bonne volonté, n'auraient pu se
reconnaître dans ce cahos où nous ne nous retrouvions plus nous mêmes.
Les interprètes ignorans ou infidèles vinrent encore ajouter aux
difficultés de nos transactions avec les indigènes.
Une énorme quantité d'arrêtés pour la plupart
inexécutés et inexécutables, habituèrent à l'indifférence pour
l'autorité ; d'autres, évidemment inutiles ou inopportuns, excitèrent la
défiance et l'hostilité des Européens (2).
Nous avions entendu dire que la loi du sabre était
la meilleure chez les Orientaux; mais nous avions oublié que si la
justice des Turcs est prompte, sévère et quelquefois cruelle, elle est
toujours équitable et appliquée avec discernement.
Nous avons envoyé au supplice, sur un simple soupçon et sans procès, des gens dont la culpabilité est toujours restée plus que douteuse depuis ; leurs héritiers ont été dépouillés. Le gouvernement a fait restituer la fortune, il est vrai, mais il n’a pu rendre la vie à un père assassiné.
Nous avons massacré des gens porteurs de sauf-conduits ; égorgé, sur un soupçon, des populations entières qui se sont ensuite trouvées innocentes ; nous avons mis en jugement des hommes réputés saints du pays, des hommes vénérés, parce qu’ils avaient assez de courage pour venir s’exposer à nos fureurs, afin d’intercéder en faveur de leurs malheureux compatriotes (3) ; il s’est trouvé des juges pour les condamner et des hommes civilisés pour les faire exécuter.
Nous avons plongé dans les cachots des chefs de tribus, parce que ces tribus avaient donné asile à nos déserteurs ; nous avons décoré la trahison du nom de négociation, qualifié d’actes diplomatiques de honteux guets-apens ; en un mot, nous avons débordé en barbarie les barbares que venions civiliser, et nous nous plaignons de n'avoir réussi auprès d’eux ! Mais nous avons été nos plus cruels ennemis en Afrique, et après tous ces égaremens de la violence nous avons changé tout à coup de système pour nous lancer dans l'excès contraire ; nous avons tremblé devant un acte de rigueur mérité ; nous avons voulu ramener à nous, à force de condescendance, des gens qui n'ont alors cessé de nous craindre que pour nous mépriser.
On ne peut attacher le
blâme à tel administrateur plutôt qu'à tel autre ; les modifications
survenues successivement dans le personnel, l'absence de système
déterminé, l'incertitude de l'occupation, ont jeté la langueur partout.
Les faux erremens des uns, inaperçus par leurs successeurs, n'ont pas
été rectifiés ; des mesures favorables, à telle branche de l'aministration, ont été légèrement adoptées sans qu'on ait remarqué
qu'elles étaient nuisibles à d'autres. Enfin le sol a manqué sous les
pas de presque tous, parce que presque tous, en présence de difficultés
extrêmes, ont été inférieurs à leur position.
Etat moral de la colonie.
Deux conditions principales sont à observer chez les colons, celle de leur moralité et celle de leur utilité.
Sous le rapport de la moralité, le tableau de la
régence est fâcheux, et c'est ici que doit naturellement prendre place un
exposé des vives impressions que la commission a éprouvées lorsqu'elle a
jeté les yeux sur le passé, lorsqu'elle a reconnu l'état actuel de
cette colonisation, dont l'enfance a dû lutter contre de véritables
causes de destruction.
Un des événemens les plus graves qui aient pu
frapper la colonie à son origine a été, sans contredit, l'arrivée
subite, au milieu de gens honorables, de spéculateurs aventureux et sans
ressources réelles, qui, se jetant sur notre conquête comme sur une
proie facile à exploiter, ont envahi toutes les sources de richesse,
neutralisé tous les efforts honnêtes, exigé de lois naissantes, et
souvent à créer, un appui honteux, de honteuses transactions. Ce fut alors que
commencèrent ces spéculations dont quelques unes ne peuvent être trop
flétries ; ce fut alors que, sans moyens d'acquérir, on voulut devenir
propriétaire.
Tout paru convenable pour atteindre ce but ; il
fallait posséder, on posséda. La maladie gagna toutes les classes, et
l'on doit déplorer qu'elle soit parvenue jusqu'à celle qui s'est
toujours fait le plus remarquer par son désintéressement et ses généreux
sacrifices.
Les consciences pures se laissèrent égarer ; on crut
être utiles à la colonie en augmentant le nombre des colons, en
devenant aussi propriétaires, et quelquefois à des conditions si peu
onéreuses, que la délicatesse publique s'en effaroucha. Ceux-là furent
au moins coupables de donner un fâcheux exemple dont on a largement
profité depuis pour couvrir d'indignes spoliations.
Ces colons inutiles pour
la colonisation, puisqu'ils ne devaient jamais ni semer, ni planter, ni
exercer d'industrie ; ces colons qui accaparaient les terres quelque part
que ce fût, sans les voir, sans les connaître, portant d'avance leur
envahissement sur les points présumés de l'occupation militaire,
s'exposant à l'improbité connue des Maures, en achetant à Belida, par
exemple, des maisons renversées depuis six ans par un tremblement de
terre, dans la Métidja, dix fois plus d'étendue qu'elle n'en a, et
jusqu'à trente-six mille arpens à la fois d'un seul propriétaire ; ces
colons qui voulaient à tous prix compléter leurs spéculations en
revendant avec bénéfice des propriétés vraies ou supposées, des
propriétés dont ils avaient peut-être dépouillé le domaine, exigèrent à
grands cris de la France qu'elle versât pour eux son sang, qu'elle fit
en Afrique, et dans leur intérêt, ces grands travaux qu'elle ne peut
faire chez elle-même, et qu'en tous cas elle n'entreprend qu'avec les
deniers de ses contribuables ; il fallait que la France prodiguât ses
soldats et ses trésors pour assurer une immense fortune à des gens qui
ne lui promettaient même pas en échange le léger dédommagement de la
reconnaissance, dont quelques-uns avaient fui le contact mérité des lois
pénales, et qui cependant regardaient les efforts de leur patrie comme
une dette envers eux. Quel engagement avait donc pris la France pour
qu'elle dût s'imposer de pareils sacrifices ?
Tout fut paralysé dans la colonie, l'intrigue
s'empara de toutes les avenues, l'administration chancela sous un poids
énorme, elle succomba presque et ne se releva qu'à peine.
(...) et l'on est épouvanté de tous les efforts qu'un
système complet de colonisation exigera, lorsque l'on considère que dans
les parties qui devront être cultivées de préférence, il n'existe
pas un arbre, pas un abri, rien qui ressemble à un village et même à une
maison, qu'il faudra tout créer, et que les villes y sont si rares et
si peu importantes, qu'elles n'offrent aucunes ressources en dehors de
leurs murs.
Notes.
(1) On a restitué les 1000o0 fr. Le séquestre sera probablement levé, les indemnités vont être payées.
(2) Un de ces arrêtés vint frapper d'un droit l'industrie des voitures publiques, le jour où une espèce de chariot fut mis à la disposition des colons pour aller à une demi-lieue d'Alger.
(3) Les marabouts de la tribu des el-Ouffias.
Référence.
M. de la Pinsonnière, « Rapport sur la colonisation de l'ex-Régence d'Alger », p. 5-10, Procès-verbal de la commission envoyée en Afrique, A. Henry, Imprimeur de la Chambre des Députés, Paris, avril 1834.
M. de la Pinsonnière, « Rapport sur la colonisation de l'ex-Régence d'Alger », p. 5-10, Procès-verbal de la commission envoyée en Afrique, A. Henry, Imprimeur de la Chambre des Députés, Paris, avril 1834.
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