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samedi 28 novembre 2015

L'inexistence du libre arbitre et la Volonté cachée de Dieu, selon Martin Luther, 1525


M. Luther, par Lucas Cranach l'Ancien, 1526
 
Vous trouverez ci-dessous un petit florilège tiré du De servo arbitrio ou De l'arbitre esclave de Martin Luther (Eisleben, 1483-Eisleben, 1546).

Ce florilège veut illustrer les positions du célèbre docteur théologien protestant sur l'inexistence du libre arbitre humain et sur la Volonté cachée de Dieu qui dirige et prédestine en toutes choses quelques soient les dispositions connues de sa Parole révélée. Cette réflexion anticipe clairement celle d'un autre célèbre théologien protestant, Jean Calvin (Noyon, 1509-Genève 1564) bien connu pour sa théorie de la double prédestination...





1) Martin Luther, De servo arbitrio, in D. Martin Luthers Werke. Kritische Gesamtausgabe, volume 18, Weimar, 1883ff., p. 615.

Est itaque et hoc imprimis necessarium et salutare Christiano, nosse, quod Deus nihil præscit contingenter, sed quod omnia incommutabili et æterna, infallibilique uoluntate et præuidet et proponit et facit. Hoc fulmine sternitur et conteritur penitus liberum arbitrium.

C'est pourquoi, principalement, il est nécessaire et salutaire, pour le chrétien, de reconnaître ceci, à savoir que Dieu ne connaît pas d'avance de manière contingente mais il prévoit, dispose et fait toutes choses par une Volonté immuable, éternelle et infaillible. Par cette foudre, le libre arbitre est terrassé et broyé entièrement.


2) Martin Luther, De servo arbitrio, in D. Martin Luthers Werke. Kritische Gesamtausgabe, volume 18, Weimar, 1883ff., p. 615-616.

Ex quo sequitur irrefragabiliter: omnia quæ facimus, omnia quæ fiunt, etsi nobis uidentur mutabiliter et contingenter fieri, reuera tamen fiunt necessario et immutabiliter, si Dei uoluntatem spectes. Voluntas enim Dei efficax est, quæ impediri non potest, cum sit naturalis ipsa potentia Dei, deinde sapiens, ut falli non possit. Non autem impedita uoluntate, opus ipsum impediri non potest, quin fiat, loco, tempore, modo, mensura, quibus ipsa et præuidet et uult.

De cela, il s'en suit irréfutablement que toutes les choses que nous faisons, toutes les choses qui se produisent, même si elles nous semblent produites de façon inconstante et contingente, se produisent, cependant, en réalité, de façon nécessaire et immuable, si tu considères la Volonté de Dieu. En effet, la Volonté de Dieu est efficace, qui ne peut être empêchée, étant donné qu'elle est la Puissance naturelle même de Dieu ; ensuite Elle est intelligente, de telle manière qu'Elle ne peut être trompée. Or, la Volonté n'étant pas empêchée, l'action elle-même ne peut être empêchée sans qu'elle ne se produise en lieu, temps, mode et mesure selon lesquels Elle-même l'a prévue et voulue.


3) Martin Luther, De servo arbitrio, in D. Martin Luthers Werke. Kritische Gesamtausgabe, volume 18, Weimar, 1883ff., p. 633.

Sic ætemam suam clementiam et misericordiam abscondit sub æterna ira, Iustitiam sub iniquitate. Hic est fidei summus gradus, credere ilium esse clementem, qui tam paucos saluat, tam multos damnat, credere iustum, qui sua uoluntate nos necessario damnabiles facit, ut uideatur, referente Erasmo, delectari cruciatibus miserorum et odio potius quam amore dignus.

Ainsi [Dieu] cache sa clémence et sa miséricorde éternelle sous sa colère éternelle, la justice sous l'injustice. Là est le degré le plus haut de la foi : croire qu'Il est clément, Lui qui [en] sauve un si petit nombre, et [en] condamne de si nombreux ; croire qu'il est juste, Celui qui, par sa Volonté, nous rend nécessairement condamnables, si bien que l'on considère, comme le rapporte Érasme, qu'Il s'amuse des souffrances des malheureux et [qu'Il est] digne de haine plus que d'amour.


4) Martin Luther, De servo arbitrio, in D. Martin Luthers Werke. Kritische Gesamtausgabe, volume 18, Weimar, 1883ff., p. 684.

Cæterum, Cur alii lege tanguntur, alii non tanguntur, ut illi suscipiant et hi contemnant gratiam oblatam, alia quæstio est, nec hoc loco tractatur ab Ezechiele qui de prædicata et oblata misericordia Dei loquitur, non de occulta illa et metuenda uoluntate Dei, ordinantis suo consilio, quis et quales prædicatæ et oblatæ misericordiæ capaces et participes esse uelit.

D'ailleurs, pourquoi les uns sont touchés par la Loi et les autres n'[en] sont pas touchés, de telle sorte que ceux-là reçoivent la grâce offerte et ceux-ci [la] méprisent, c'est une autre question, et elle n'est pas traitée en cet endroit par Ézéchiel qui parle de la miséricorde prêchée et offerte de Dieu et non de cette Volonté de Dieu, cachée et qu'il faut craindre, [de ce Dieu] qui ordonne, par son dessein, qui et lesquels il veut rendre capables et participants de la miséricorde prêchée et offerte.


5) Martin Luther, De servo arbitrio, in D. Martin Luthers Werke. Kritische Gesamtausgabe, volume 18, Weimar, 1883ff., p. 685-686.

Aliter de Deo uel uoluntate Dei nobis prædicata, reuelata, oblata, culta, Et aliter de Deo non prædicato, non reuelato, non oblato, non culto disputandum est.
Quatenus igitur Deus sese abscondit et ignorari a nobis uult, nihil ad nos. Hic enim uere ualet illud: Quæ supra nos, nihil ad nos.
Et ne meam hanc esse distinctionem quis arbitretur, Paulum sequor, qui ad Thessalonicenses (2 Thes 2,4) de Antichristo scribit, quod sit exaltaturus sese super omnem Deum prædicatum et cultum, manifeste significans, aliquem posse extolli supra Deum, quatenus est prædicatus et cultus, id est, supra uerbum et cultum, quo Deus nobis cognitus est, et nobiscum habet commercium, sed supra Deum non cultum, nec prædicatum, ut est en sua natura et maiestate, nihil potest extolli, sed omnia sunt sub potenti manu eius.
Relinquendus est igitur Deus in maiestate et natura sua, sic enim nihil nos cum illo habemus agere, nec sic uoluit a nobis agi cum eo; Sed, quatenus indutus et proditus est uerbo suo, quo nobis sese obtulit, cum eo agimus, quod est decor et gloria eius, quo Psalmista eum celebrat indutum. (Ps. 21,6).
Sic dicimus: Deus pius non deplorat mortem populi, quam operatur in illo, Sed deplorat mortem, quam inuenit in populo et amouere studet. Hoc enim agit Deus prædicatus, ut ablato peccato et morte, salui simus.
Misit enim uerbum suum et sanauit eos. (Ps. 107,20) Cæterum Deus absconditus in maiestate, neque deplorat neque tollit mortem, sed operatur uitam, mortem, et omnia in omnibus. Neque enim tum uerbo suo definiuit sese, sed liberum sese reseruauit super omnia.
Illudit autem sese Diatribe ignorantia sua, dum nihil distinguit inter Deum prædicatum et absconditum, hoc est, inter uerbum Dei et Deum ipsum. 
Multa facit Deus, quæ uerbo suo non ostendit nobis, Multa quoque uult, quæ uerbo suo non ostendit sese uelle. Sic non uult mortem peccatoris, uerbo scilicet, Vult autem illam uoluntate illa imperscrutabili. . 
Nunc autem nobis spectandum est uerbum, relinquendaque illa uoluntas imperscrutabilis, Verbo enim nos dirigi, non uoluntate illa inscrutabili, oportet.
Atque adeo, quis sese dirigere queat ad uoluntatem prorsus imperscrutabilem et incognoscibilem? Satis est, nosse tantum, quod sit quædam in Deo uoluntas imperscrutabilis, Quid uero, Cur et quatenus illa uelit, hoc prorsus non licet quærere, optare, curare, aut tangere, sed tantum timere et adorare.
Igitur recte dicitur: Si Deus non uult mortem, nostræ uoluntati imputandum est, quod perimus. Recte, inquam, si de Deo prædicato dixeris; Nam ille uult omnes homines saluos fieri, dum uerbo salutis ad omnes uenit, uitiumque est uoluntatis, quæ non admittit eum, sicut dicit Matth. 23[,37]: Quoties uolui congregare filios tuos et noluisti ?

Il faut examiner d'une façon [le sujet] de Dieu et [de] la Volonté de Dieu [qui] nous est prêchée, révélée, offerte et [qui est] honorée ; et d'une autre façon [le sujet] de Dieu non prêché, non révélé, non offert, non honoré.
Puisque, donc, Dieu se cache et veut être ignoré de nous, cela ne nous concerne pas. En effet, cet [adage] [montre] vraiment sa valeur : « Ce qui est au-dessus de nous ne nous concerne pas. »
Et afin que personne ne croit que cette distinction soit la mienne, je suis [l'avis] de Paul qui écrit aux Thessaloniciens (Th 2, 4) au sujet de l'Antéchrist, qu'il s'élèvera au-dessus de tout Dieu prêché et honoré, signifiant manifestement que quelqu'un peut être élevé au-dessus de Dieu en tant qu'Il est prêché et honoré, c'est-à-dire, au-dessus de la Parole et du culte par lequel Dieu nous est connu et est en relation avec nous. Mais au-dessus de Dieu non honoré ni prêché, comme Il est en sa nature et [en sa] majesté, rien ne peut être élevé mais toutes choses sont sous sa main puissante.
Il faut donc laisser de côté Dieu en sa majesté et [en sa] nature ; ainsi, en effet, nous n'avons rien à faire avec Lui, et ainsi Il n'a pas voulu que nous traitions avec Lui. Mais, dans la mesure où Il est revêtu de sa Parole et révélé [par Elle], par laquelle Il s'est offert à nous, nous avons affaire à Lui parce qu'Elle est sa parure et sa gloire, Elle par laquelle le Psalmiste fait connaître qu'Elle en est revêtue (Ps. 21, 6).
Ainsi nous disons : Dieu bienveillant ne pleure pas la mort du peuple, [mort] qu'Il produit en lui ; mais il pleure la mort qu'Il trouve dans le peuple et s'applique à écarter. C'est, en effet, ce que fait Dieu prêché afin que nous soyons sauvés, le péché et la mort ayant été supprimés. En effet, Il a envoyé sa Parole et nous a guéris (Ps. 107,20). Du reste, Dieu caché en [sa] majesté ne pleure ni n'enlève la mort ; mais Il produit la vie, la mort et toutes choses en tous. Et, en effet, Il ne s'est pas limité par sa Parole, mais Il s'est gardé libre [de dominer] sur toutes choses. Le Diatribe [d'Érasme] a illustré son ignorance en ne faisant pas la distinction entre le Dieu prêché et le [Dieu] caché, c'est-à-dire entre la Parole de Dieu et Dieu lui-même. Dieu fait de nombreuses choses pour lesquelles Il ne nous montre pas par sa Parole qu'Il les veut Lui-même. Ainsi Il ne veut pas la mort du pêcheur par sa Parole, cela va sans dire ; mais Il la veut par cette Volonté insondable.
Maintenant donc, il nous faut considérer la Parole et cette Volonté insondable doit être laissée de côté. Il convient, en effet, que nous soyons dirigés par la Parole et non par cette Volonté insondable. Et bien plus, qui pourrait s'aligner tout à fait sur cette Volonté insondable et inconnaissable ? C'est assez de reconnaître seulement qu'il existe en Dieu une certaine Volonté insondable. Ce qu'elle veut vraiment, pourquoi et jusqu'où, cela n'est absolument pas permis de le chercher, de l'examiner, de s'en occuper ou d'y toucher, mais seulement de la craindre et de l'adorer.
Donc, il est juste de dire : si Dieu ne veut pas la mort, il faut imputer à notre volonté le fait que nous périssions. Juste, dis-je, si tu avais dit [cela] du Dieu prêché. En effet, Celui-ci veut que tous les hommes soient sauvés, lorsqu'Il vient vers tous par la Parole du salut, et c'est un vice de la volonté qui ne laisse pas venir, ainsi que le dit Matthieu 23[,37] : « Combien de fois ai-je voulu rassembler tes fils et tu n'as pas voulu ? »


6) Martin Luther, De servo arbitrio, in D. Martin Luthers Werke. Kritische Gesamtausgabe, volume 18, Weimar, 1883ff., p. 689-690.

Deus igitur incarnatus hic loquitur: Volui et tu noluisti, Deus, inquam, incarnatus in hoc missus est, ut uelit, loquatur, faciat, patiatur, offerat omnibus omnia, quæ sunt ad salutem necessaria, licet plurimos offendat, qui secreta illa uoluntate maiestatis uel relicti uel indurati non suscipiunt uolentem, loquentem, facientem, offerentem, sicut Iohan. dicit: Lux in tenebris lucet, et tenebræ eam non comprehendunt. Et iterum: In propria uenit, et sui non receperunt eum. Huius itidem Dei  incamati est flere, deplorare,  gemere super perditione impiorum, cum uoluntas maiestatis ex proposito aliquos relinquat et reprobet, ut pereant.

Dieu incarné dit donc ici : « J'ai voulu et tu n'as pas voulu ». Dieu incarné, dis-je, a été envoyé pour cela, [à savoir] afin qu'il veuille, parle, fasse, souffre, offre à tous toutes les choses qui sont nécessaires au salut, bien qu'il [en] blesse un très grand nombre qui, délaissés et endurcis par cette Volonté secrète de la majesté, ne Le reçoivent pas, [Lui] qui veut, parle, fait, offre, comme le dit Jean : « La lumière a brillé dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas reçue. » Et encore : « Il est venu chez lui et les siens ne l'ont pas reçu. » De même, [le propre] de ce Dieu incarné est de pleurer, se lamenter, gémir sur la perdition des impies, alors que la Volonté de la majesté, selon son dessein, abandonne et condamne les autres, afin qu'ils périssent.


7) Martin Luther, De servo arbitrio, in D. Martin Luthers Werke. Kritische Gesamtausgabe, volume 18, Weimar, 1883ff., p. 719.

Primo Deum esse omnipotentem non solum potentia, sed etiam actione (ut dixi), alioqui ridiculus foret Deus. Deinde ipsum omnia nosse et præscire, neque errare neque falli posse. Istis duobus omnium corde et sensu concessis, coguntur mox ineuitabili consequentia admittere, nos non fieri nostra uoluntate, sed necessitate, ita nos non facere quodlibet pro iure lib. arb., se prout Deus præsciuit et agit consilio et uirtute infallibili et immutabili. Quare simul in omnium cordibus scriptum inuenitur, liberum arbitrium nihil esse, (…).
Premièrement, [les hommes trouvent inscrit dans leurs cœurs] que Dieu est tout-puissant, non seulement en puissance mais en action (comme je l'ai dit), sans quoi Dieu serait risible ; ensuite, qu'il connaît et sait par avance toutes choses et qu'il ne peut errer ni se tromper. Ces deux choses admises par le cœur et l'intelligence de tous, [ces derniers] sont bientôt forcés, par une conséquence inévitable, d'admettre que nous ne sommes pas faits par notre volonté, mais par nécessité, de telle manière que nous ne faisons pas n'importe quoi, par l'autorité de notre bon plaisir mais selon ce que Dieu voit par avance et conduit avec un dessein et une force infaillible. C'est pourquoi, simultanément, dans tous les cœurs, on trouve écrit que le libre arbitre n'est rien (…).

Référence

Pour la source du texte latin : voyez : http://www.martinluther.dk/serv-arbit01.html. 

La version française du texte latin est le fait de l'auteur de ce blog.

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