Le Pape François célèbre la messe de Paul VI ad orientem |
[O]n
fait grief au Missel de Paul VI des aberrations liturgiques que l'on
constate aujourd'hui en maintes paroisses, accompagnées souvent
d'aberrations doctrinales.
En
fait, cet état de choses est bien antérieur à la publication de
l'Ordo Missæ, même si, depuis, l'anarchie a fait tâche
d'huile ; c'est dans la mesure où l'on s'écarte indûment des
normes définies par cet Ordo que les aberrations se
produisent ; il est d'expérience que les prêtres qui font preuve
d'une créativité intempestive considèrent assez volontiers les
lois liturgiques comme inexistantes et certaines points essentiels du
Credo comme les croyances agonisantes d'un âge révolu.
L'Église
a maintes fois affirmé qu'elle entendait conserver la pleine
initiative des formules destinées à porter la prière publique du
peuple chrétien ; on ne peut mettre au compte de la liturgie de Paul
VI ce que lui-même a positivement désavoué ; il n'est que se
reporter à la IIIe
Instruction
sur
l'application correcte de la Constitution conciliaire de liturgie
(1), publiée par la Congrégation pour le culte divin :
[On aura garde d'oublier ensuite que la
reconstitution personnelle des rites sacrés blesse la dignité des
fidèles et ouvre la voie aux formes individuelles et privées dans
la célébration des actions liturgiques, qui relève directement de
toute l'Église.
Puisque le ministère du prêtre est
celui de toute l'Église, il ne peut être exercé que dans
l'obéissance et la communion à la hiérarchie, et dans le zèle au
service de Dieu et des frères. Il est clair que ce caractère
hiérarchique de la Liturgie, sa valeur sacramentelle et le respect
dû à la communauté des fidèles, exigent que le prêtre remplisse
sa fonction cultuelle comme un serviteur fidèle, un « intendant des
mystères de Dieu » (2), n'introduisant aucun rite qui ne soit
établi et approuvé dans les livres liturgiques.]
(…) Les textes liturgiques composés par
l’Église doivent [eux aussi] être traités avec le plus grand respect ;
il n’est permis à personne d’y apporter de son propre chef
quelque changement, substitution, suppression ou addition (3).
« Certaines
Prières eucharistiques composées à titre de schémas de discussion
entre les experts, ajoutait le commentaire officieux de
l’Instruction, ont été abusivement mises en service dans les
actions liturgiques. D’autres manquent parfois tellement de
précision et de contenu doctrinal qu’on peut douter de la validité
des célébrations eucharistiques où l’on en fait usage (6). »
Les
documents romains ne cessent de rappeler que la réglementation des
actions liturgiques ne regarde pas les personnes privées – pas
plus les prêtres que les autres – ; c’est une prérogative
de l’Église comme telle dont le célébrant est le ministre et le
serviteur ; le prêtre est au service de la liturgie et des
membres de l’Église.
Le
pape a sans doute été profondément déçu de constater que la
promulgation des livres liturgiques rénovés n’avait pas suffi à
faire cesser, dans l’Église, les initiatives anarchiques de
réforme ; en aucun cas, cependant, celles-ci ne doivent être
considérées comme la conséquence normale du nouvel Ordo Missæ :
[Cette] réforme, disait Paul VI, met fin
aux incertitudes, aux discussions, aux initiatives arbitraires et
abusives. De nouveau, elle requiert de nous cette uniformité de
rites et de sentiments qui est propre à l’Église catholique,
héritière et continuatrice de la première communauté chrétienne,
[laquelle ne faisait « qu'un cœur et qu'une âme » (Actes, 4,
32).] L'unanimité de la prière dans l’Église est l'un des
signes et l'une des forces de son unité et de sa catholicité. [Le
prochain changement ne doit ni rompre ni troubler cette unanimité.
Il doit, au contraire, la confirmer, l'affirmer avec un esprit
nouveau et jeune (5).]
La réforme, avait-il affirmé peu
auparavant, présente des dangers, en particulier celui de
l’arbitraire et donc de la désagrégation de l’unité
spirituelle de la société ecclésiale, de la qualité de la prière
et de la dignité de la liturgie. Les multiples changements
introduits dans la prière traditionnelle et commune ont pu donner
prétexte à cet arbitraire. Il serait cependant très regrettable
que la sollicitude dont a fait preuve l’Église conduise à penser
qu’il n’y a plus de règles communes, fixe et obligatoire dans la
prière de l’Église et que chacun peut prétendre l’organiser ou
la désorganiser à sa guise. Dans ce cas on ne devrait plus parler
de pluralisme dans le domaine de ce qui est permis, mais de
divergences, parfois non seulement liturgiques mais substantielles.
Ce désordre que malheureusement on doit constater çà et là porte
un préjudice grave à l’Église : il fait obstacle à la réforme
disciplinées et qualifiée que celle-ci autorise (6).
Il
est tout à fait injuste d’attribuer au nouvel Ordo Missæ
les
effets désastreux pour la foi que l’on ne peut que constater chez
ceux qui en font bon marché et s’en affranchissent avec une
légèreté qui n’a d’égale que leur inconscience. Si tous
consentaient à revenir à la véritable liturgie de l’Église
romaine, leur foi retrouverait son expression normale, son soutien,
sa garantie.
Pour
finir, on ne l’en voudra pas de risquer une hypothèse. Dans un
article véhément et spirituel paru dans le Figaro
du
24 janvier 1975, le Père Bruckberger s’indignait :
Alors que les initiatives liturgiques les
plus anarchiques, les plus profanes, pour ne pas dire les plus
profanatrices, se multiplient un peu partout dans nos églises et
jusque dans nos vénérables cathédrales avec l’assentiment et
parfois la participation de certains évêques, il se trouve qu’aux
yeux des évêques français un seul rit, une seule liturgie, une
seule manière de dire la Messe se trouvent formellement interdits et
pratiquement excommuniés, c’est la Messe traditionnelle dite de
saint Pie V (7).
Pourquoi cela ? Pourquoi n’a-t-on
pas admis la coexistence de deux rits dans l’Église et cette forme
particulière de pluralisme qui en vaut bien un autre ?
La
réponse n’est pas difficile à trouve : si les requêtes en
faveur de la Messe de saint Pie V n’avaient pas, dès l’origine,
revêtu la forme d’une condamnation doctrinale sans appel du nouvel
Ordo Missæ,
la situation aurait été tout autre, le climat de la discussion
transformé.
Dès lors que les demandes – pour ne
pas dire les mises en demeure – étaient liées de par la volonté
de leurs auteurs à une mise en question de l’orthodoxie de la
liturgie rénovée de l’Église romaine, rien ne pouvait aboutir ;
les tenants de la Messe de saint Pie V se sont placés dans une
position intenable ; ils ont, en quelque sorte, scié la branche
sur laquelle ils prenaient appui.
S’il
refusent l’Ordo Missæ, affirment-ils,
ce n’est pas « pour des motifs de convenances ou de
préférences personnelles, mais pour des motifs de foi (8) ».
Autrement dit, ils réclament la Messe de saint Pie V en récusant le
magistère de l’Église tel qu’il s’exprime aujourd’hui par
l’organe de Paul VI. Comment dans ces conditions faire droit à
leur requête ? (9)
Notes
(1)
En date du 5 septembre 1970.
(2)
Cf. 1 Corinthiens 4, 1.
(3)
Cf. Concile Vatican II, Constitution sur la Liturgie, Sacrosanctum
Concilium,
n. 22, 3 : « Quapropter
nemo omnino alius, etiamsi sit sacerdos, quidquam proprio marte in
Liturgia addat, demat, aut mutet (C’est
pourquoi absolument personne d’autre, même prêtre, ne peut, de
son propre chef, ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit dans la
liturgie). » Cf. Acta
Apostolicæ Sedis n°
56
, 1964, p. 106.
(4)
Sacrée Congrégation pour le Culte divin,
Notitiæ, tome
VIII, Cité du Vatican, 1971,
p. 17.
(6)
Documentation
catholique,
n°66, 1969, p. 804.
(7) P.
Bruckberger, « Ite
missa est »,
in Le
Figaro, Événements
et idées, 24 janvier 1975.
(8)
Georges Vinson, La
nouvelle Messe et la conscience catholique,
1971, p. 4.
(9)
Jusqu’en 1984, la célébration de la messe, selon les livres
liturgiques promulgués le 23 juin 1962 durant le pontificat de S.
Jean XXIII, sans avoir été formellement interdite, ne sera plus
permise. Le
3 octobre 1984,
la lettre circulaire Quattuor abhinc annos
de
la Congrégation pour le culte divin autorisera chaque évêque
diocésain à permettre aux prêtres et aux fidèles qui lui en feront
demande de célébrer la messe en utilisant l'édition 1962 du Missel
romain. Elle stipulera
notamment
que les célébrations
devront
avoir
lieu « dans les églises et les chapelles que l’évêque du
diocèse indiquera (et pas dans les églises paroissiales, à moins
que l’évêque ne le permette pour des cas extraordinaires) ».
Quatre ans plus tard, le 2 juillet 1988, après l’ordination par
Mgr
Marcel
Lefebvre de quatre évêques, Jean Paul II établira la commission
Ecclesia Dei,
par le Motu proprio
Ecclesia Dei adflicta,
afin de « faciliter la communion ecclésiale » à « tous les
fidèles catholiques qui se sentent attachés à certaines formes
liturgiques et disciplinaires antérieures de la tradition latine »,
« grâce à des mesures nécessaires pour garantir le respect
de leurs aspirations ». Toutefois, la célébration de la messe
de S. Jean XXIII
sera
toujours soumise à l’autorisation de l’ordinaire du lieu, donc
de l’évêque. Enfin, le 7 juillet 2007, le pape Benoît XVI
publiera le Motu Proprio
Summorum Pontificum,
libéralisant la célébration de la messe de S. Jean XXIII,
envisagée alors comme « une forme extraordinaire de l’unique
rite romain ». Ce Motu proprio
qui
concerne également les sacrements du baptême, du mariage, de la
confirmation et de l’onction des malades, ainsi que la célébration
des funérailles, met fin à l’exigence de requérir une dispense
de l’évêque diocésain en vue de pouvoir célébrer la messe
selon le rite de 1962. Tout groupe stable de fidèles
peut
ainsi
s’adresser directement au curé de paroisse. D’autre
part, tout prêtre de rite latin peut célébrer la messe « en
l'absence de peuple » et réciter l’Office divin selon les livres
liturgiques de 1962, sans qu'aucun indult ne soit plus nécessaire.
Référence
Dom
Guy Ory (moine de Solesmes), La
Messe de S. Pie V à Paul VI,
Solesmes, 1975, p. 46-49.
Les
notes ont été refondues par rapport au texte original. D'autres
part, certaines citations ont été complétées (texte ajouté entre
crochets).
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