S. Bernard de Clervaux, place S. Bernard, Dijon |
3.
(…) L’homme sage bâtit sa maison sur le roc, parce que, là, il
ne craint ni les dommages [causés par] les vents, ni les inondations
(Matthieu 7, 24-25). [Y a-t-il] quelque chose [qui ne soit] bon dans
le roc ? Sur le roc, je me tiens bien élevé, sur le roc je me tiens
hors de danger, sur le roc je me tiens solidement. [Je suis] hors du
danger de l’ennemi, protégé de tout accident, et tout cela parce
que je suis élevé loin de la terre. En effet, tout ce qui est
terrestre est incertain et périssable.
Fréquentons les Cieux, et
n’ayons peur ni de tomber ni d’être mis à bas. Le roc est dans
les Cieux, en lui est la solidité et la sécurité. « Le
roc est le refuge des hérissons » (Psaumes 103, 18). Et, où, pour les faibles,
[se trouvent] effectivement une solidité et un repos fermes et sûrs,
si ce n’est dans les blessures du Sauveur ? Autant je m’y
tiens plus sûr, autant est-Il plus puissant pour [me]
sauver.
Le
monde gronde, le corps comprime, le diable tend ses pièges : je
ne tombe pas ; je suis, en effet, fermement établi sur un roc
solide.
J’ai commis un grand péché : ma conscience [en] sera
troublée,
mais non profondément bouleversée puisque je me souviendrai des
blessures du Seigneur.
N’a-t-Il
pas été « blessé à cause de nos iniquités » (Isaïe
53, 5) ?
Qu’y a-t-il de si mortifère que le Christ n’ait pas payé par Sa
mort ?
Si
donc je viens à connaître un
médicament si puissant et si efficace, je ne peux, dès lors,
être
épouvanté par le caractère malin d’aucune maladie.
4.
Et par conséquent, est-il évident qu’il [Caïn] se trompait
celui
qui affirme : « Mon
iniquité est trop grande pour que je mérite le pardon (Genèse 4,
1) ». Si ce n’est qu’il n’était pas l’un des membres
du Christ et que ce que le Christ a mérité
ne
s’étendait pas jusqu’à lui, de telle sorte qu’il l’aurait
présumé sien,
qu’il aurait dit sien
ce qui était à Lui, comme le membre vis-à-vis de ce qui appartient
à la Tête.
Mais
moi, pour ce qui me fait défaut à moi-même, je me sers avec
assurance de ce qui provient des entrailles du Seigneur, puisqu’elles
surabondent de miséricorde ; et les ouvertures par lesquelles
elles s’échappent ne manquent pas. Ils ont percé Ses mains et Ses
pieds, et ils ont perforé Son côté par une lance : et par ces
fentes, il m’est permis de sucer «
le miel du roc, et l’huile du rocher le plus dur »
(Deutéronome 32, 13) ; c’est-à-dire de goûter et de voir «
combien le Seigneur est doux »
(Psaumes 33, 9). Il cultivait dans Son Esprit « des pensées de paix
»
(Jérémie 29, 11), et moi je ne le savais pas. « Qui, en effet,
connaît la manière de penser du Seigneur ? Et qui a été son
conseiller (Romains 11, 34) ? »
Mais
le clou qui pénètre s’est révélé
[être]
pour moi une clé qui ouvre afin que je vois la volonté du Seigneur.
Pourquoi ne [la] verrais-je pas à travers le trou ? Le clou
crie, la blessure clame que
Dieu est vraiment, dans le Christ, en train de ramener
le
monde à Lui. Le fer a traversé Son âme, et s’est approché de
Son cœur, afin que désormais Il sache compatir à mes faiblesses.
Le secret du cœur est devenu visible à travers les trous ; ce
grand sacrement de la tendre fidélité
a
été révélé,
«les entrailles des miséricordes
de
Dieu »
sont mises à découvert, «
par
lesquelles
le Soleil levant nous a visité d’en haut
»
(Luc 1, 78). Pourquoi les entrailles ne seraient-elles
pas
devenues visibles au-travers des blessures ? Par quoi de plus
manifeste, en effet, que par Tes blessures aurais-Tu révélé que
Toi, Seigneur, tu es doux et agréable, et prodigue en miséricordes ?
Personne, en effet ne possède une plus grande compassion que celui
qui donne Sa vie pour les esclaves de la mort et les réprouvés.
5.
Ainsi donc, mon mérite, c’est la compassion du Seigneur. Je ne
serai pas complètement dépourvu de mérite, aussi longtemps qu’Il
ne le sera pas de ses compassions. Et moi, je ne suis pas moins riche
en mérites que les miséricordes du Seigneur sont multiples. Qu’en
est-il si j’ai conscience de nombreuses fautes ? « Là
où la faute a abondé, la grâce n’a-t-elle pas
surabondé » (Romains 5, 20) ? Et si « la
miséricorde du Seigneur est de toujours à toujours » (Psaumes
102, 17), moi aussi, « je chanterai pour toujours les
miséricordes du Seigneur » (Psaumes 88, 2). Est-ce qu’il
s’agira de ma [propre] justice ? « Seigneur, je me
souviendrai de ta seule justice » (Psaumes 70, 16). Elle-même,
en effet, est la mienne ; n’es-Tu pas devenu pour moi justice
[provenant] de Dieu ? Est-ce que je dois craindre qu’elle ne
suffise pas pour les deux ? Il ne s’agit pas de ce « court
manteau » qui, selon le prophète, ne peut couvrir deux
personnes (Isaïe 28, 20). « Ta justice, c’est une justice
qui dure pour toujours » (Psaumes 118, 42). Qu’y-a-t-il de
plus long que l’éternité ? Et la justice éternelle et
abondante [nous] couvrira Toi et moi pareillement. Et en moi, en
tout cas, elle couvre la multitude de [mes] péchés ; mais en Toi,
Seigneur, [que cache-t-elle] sinon des trésors de tendre fidélité,
des richesses de bonté ? Ce sont elles qui sont déposées dans
les ouvertures du roc. Qu’elle est grande, en celles-ci, l’excès
de ta douceur, cachée – il est vrai – à ceux qui sont perdus !
Pourquoi,
en effet, donner ce qui est saint aux chiens, et des perles aux
pourceaux
(Matthieu 7, 6) ?
Mais Dieu a dévoilé cela pour nous par l’Esprit Saint et même,
Il nous a introduit dans [ses] mystères par l’ouverture des trous.
Que ne trouve-t-on pas dans
l’excès de [Sa] douceur, dans la plénitude de [Sa] grâce, dans
la perfection de [Ses] vertus ?
Texte
original latin
3.
(…) Vir sapiens ædificat domum suam supra petram, quod ibi nec
ventorum formidet injurias, nec inundationum (Matthæus
7, 24-25).
Quid non boni in petra ? In petra
exaltatus, in petra securus, in petra firmiter sto. Securus ab hoste,
fortis a casu; et hoc quoniam exaltatus a terra. Anceps est enim et
caducum, terrenum omne.
Conversatio nostra in cœlis sit, et nec
cadere, nec dejici formidamus. In cœlis petra, in illa firmitas
atque securitas est. Petra refugium herinaciis (Psalmi
103,
18).
Et revera ubi tuta firmaque infirmis
securitas et requies, nisi in vulneribus Salvatoris ? Tanto illic
securior habito, quanto ille potentior est ad
salvandum.
Fremit
mundus, premit corpus, diabolus insidiatur : non cado ; fundatus enim
sum supra firmam petram. Peccavi peccatum grande: turbabitur
conscientia, sed non perturbabitur, quoniam vulnerum Domini
recordabor.
Nempe
vulneratus est propter iniquitates nostras (Isaias
53,
5). Quid
tam ad mortem, quod non Christi morte solvatur ?
Si
ergo in mentem venerit tam potens tamque efficax medicamentum, nulla
jam possum morbi malignitate terreri.
4.
Et ideo liquet errasse illum qui ait: Major
est iniquitas mea, quam ut veniam merear (Genesis 4,
13). Nisi quod non erat de membris Christi, nec pertinebat ad eum de
Christi merito, ut suum præsumeret, suum diceret quod illius esset ;
tanquam rem capitis membrum.
Ego
vero fidenter quod ex me mihi deest usurpo mihi ex visceribus Domini,
quoniam misericordia affluunt; nec desunt foramina, per quæ
effluant. Foderunt manus ejus et pedes, latusque lancea foraverunt :
et per has rimas licet mihi sugere mel de petra, oleumque de saxo
durissimo (Deuteronomium 32, 13) ; id est, gustare et videre
quoniam suavis est Dominus (Psalmi 33, 9). Cogitabat cogitationes
pacis (Ieremias 29, 11), et ego nesciebam. Quis enim cognovit
sensum Domini ? aut quis consiliarius ejus fuit (Romanos 11, 34) ?
At
clavis reserans, clavus penetrans factus est mihi, ut videam
voluntatem Domini. Quidni videam per foramen ? Clamat clavus, clamat
vulnus, quod vere Deus sit in Christo mundum reconcilians sibi.
Ferrum pertransiit animam ejus, et appropinquavit cor illius, ut non
jam non sciat compati infirmitatibus meis. Patet arcanum cordis per
foramina corporis ; patet magnum illud pietatis sacramentum, patent
viscera misericordiæ Dei nostri, in quibus visitavit nos oriens
ex alto (Lucas 1, 78). Quidni viscera per vulnera pateant ? In quo
enim clarius quam in vulneribus tuis eluxisset, quod tu, Domine,
suavis et mitis, et multæ misericordiæ? Majorem enim miserationem
nemo habet, quam ut animam suam ponat quis pro addictis morti et
damnatis.
5.
Meum proinde meritum, miseratio Domini. Non plane sum meriti inops,
quandiu ille miserationum non fuerit. Quod si misericordiæ Domini
multæ, multus nihilominus ego in meritis sum. Quid enim si multorum
sim mihi conscius delictorum? Nempe ubi abundavit delictum,
superabundavit et gratia (Romanos 5, 20). Et si misericordiæ
Domini ab æterno et usque in æternum (Psalmi 102, 17), ego
quoque misericordias Domini in æternum cantabo (Psalmi 88,
2). Nunquid justitias meas ? Domine, memorabor justitiæ tuæ
solius (Psalmi 70, 16). Ipsa est enim et mea ; nempe factus es
mihi tu justitia a Deo. Nunquid mihi verendum, ne non una ambobus
sufficiat ? Non est pallium breve, quod, secundum prophetam,
non possit operire duos (Isaias 28, 20). Justitia tua, justitia
in æternum (Psalmi 118, 142). Quid longius æternitate ? Et te
pariter et me operiet largiter larga et æterna justitia. Et in me
quidem operit multitudinem peccatorum; in te autem, Domine, quid nisi
pietatis thesauros, divitias bonitatis ? Hæ in foraminibus petræ
repositæ mihi. Quam magna multitudo dulcedinis tuæ in illis, opertæ
quidem, sed in his qui pereunt! Utquid enim sanctum detur canibus,
vel margaritæ porcis (Matthæus 7, 6) ? Nobis autem
revelavit Deus per Spiritum suum, etiam et apertis foraminibus
introduxit in sancta. Quanta in his multitudo dulcedinis, plenitudo
gratiæ, perfectioque virtutum !
Référence
:
S.
Bernard de Clervaux,
Sermones
in Cantica Canticorum, Sermo LXI, [Sermons
sur le Cantique des Cantiques, n° 61],
chap. 3-5.
La
traduction française est le fait de l’auteur de ce blogue.