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jeudi 26 avril 2018

Mon mérite, c'est la compassion du Seigneur, S. Bernard de Clervaux, XIIe siècle




S. Bernard de Clervaux, place S. Bernard, Dijon
3. (…) L’homme sage bâtit sa maison sur le roc, parce que, là, il ne craint ni les dommages [causés par] les vents, ni les inondations (Matthieu 7, 24-25). [Y a-t-il] quelque chose [qui ne soit] bon dans le roc ? Sur le roc, je me tiens bien élevé, sur le roc je me tiens hors de danger, sur le roc je me tiens solidement. [Je suis] hors du danger de l’ennemi, protégé de tout accident, et tout cela parce que je suis élevé loin de la terre. En effet, tout ce qui est terrestre est incertain et périssable. 

Fréquentons les Cieux, et n’ayons peur ni de tomber ni d’être mis à bas. Le roc est dans les Cieux, en lui est la solidité et la sécurité. « Le roc est le refuge des hérissons » (Psaumes 103, 18). Et, où, pour les faibles, [se trouvent] effectivement une solidité et un repos fermes et sûrs, si ce n’est dans les blessures du Sauveur ? Autant je m’y tiens plus sûr, autant est-Il plus puissant pour [me] sauver. 

Le monde gronde, le corps comprime, le diable tend ses pièges : je ne tombe pas ; je suis, en effet, fermement établi sur un roc solide. J’ai commis un grand péché : ma conscience [en] sera troublée, mais non profondément bouleversée puisque je me souviendrai des blessures du Seigneur. 

N’a-t-Il pas été « blessé à cause de nos iniquités » (Isaïe 53, 5) ? Qu’y a-t-il de si mortifère que le Christ n’ait pas payé par Sa mort ? 

Si donc je viens à connaître un médicament si puissant et si efficace, je ne peux, dès lors, être épouvanté par le caractère malin d’aucune maladie.

4. Et par conséquent, est-il évident qu’il [Caïn] se trompait celui qui affirme : « Mon iniquité est trop grande pour que je mérite le pardon (Genèse 4, 1) ». Si ce n’est qu’il n’était pas l’un des membres du Christ et que ce que le Christ a mérité ne s’étendait pas jusqu’à lui, de telle sorte qu’il l’aurait présumé sien, qu’il aurait dit sien ce qui était à Lui, comme le membre vis-à-vis de ce qui appartient à la Tête.

Mais moi, pour ce qui me fait défaut à moi-même, je me sers avec assurance de ce qui provient des entrailles du Seigneur, puisqu’elles surabondent de miséricorde ; et les ouvertures par lesquelles elles s’échappent ne manquent pas. Ils ont percé Ses mains et Ses pieds, et ils ont perforé Son côté par une lance : et par ces fentes, il m’est permis de sucer « le miel du roc, et l’huile du rocher le plus dur » (Deutéronome 32, 13) ; c’est-à-dire de goûter et de voir « combien le Seigneur est doux » (Psaumes 33, 9). Il cultivait dans Son Esprit « des pensées de paix » (Jérémie 29, 11), et moi je ne le savais pas. « Qui, en effet, connaît la manière de penser du Seigneur ? Et qui a été son conseiller (Romains 11, 34) ? »

Mais le clou qui pénètre s’est révélé [être] pour moi une clé qui ouvre afin que je vois la volonté du Seigneur. Pourquoi ne [la] verrais-je pas à travers le trou ? Le clou crie, la blessure clame que Dieu est vraiment, dans le Christ, en train de ramener le monde à Lui. Le fer a traversé Son âme, et s’est approché de Son cœur, afin que désormais Il sache compatir à mes faiblesses. Le secret du cœur est devenu visible à travers les trous ; ce grand sacrement de la tendre fidélité a été révélé, «les entrailles des miséricordes de Dieu » sont mises à découvert, « par lesquelles le Soleil levant nous a visité d’en haut » (Luc 1, 78). Pourquoi les entrailles ne seraient-elles pas devenues visibles au-travers des blessures ? Par quoi de plus manifeste, en effet, que par Tes blessures aurais-Tu révélé que Toi, Seigneur, tu es doux et agréable, et prodigue en miséricordes ? Personne, en effet ne possède une plus grande compassion que celui qui donne Sa vie pour les esclaves de la mort et les réprouvés.

5. Ainsi donc, mon mérite, c’est la compassion du Seigneur. Je ne serai pas complètement dépourvu de mérite, aussi longtemps qu’Il ne le sera pas de ses compassions. Et moi, je ne suis pas moins riche en mérites que les miséricordes du Seigneur sont multiples. Qu’en est-il si j’ai conscience de nombreuses fautes ? « Là où la faute a abondé, la grâce n’a-t-elle pas surabondé » (Romains 5, 20) ? Et si « la miséricorde du Seigneur est de toujours à toujours » (Psaumes 102, 17), moi aussi, « je chanterai pour toujours les miséricordes du Seigneur » (Psaumes 88, 2). Est-ce qu’il s’agira de ma [propre] justice ? « Seigneur, je me souviendrai de ta seule justice » (Psaumes 70, 16). Elle-même, en effet, est la mienne ; n’es-Tu pas devenu pour moi justice [provenant] de Dieu ? Est-ce que je dois craindre qu’elle ne suffise pas pour les deux ? Il ne s’agit pas de ce « court manteau » qui, selon le prophète, ne peut couvrir deux personnes (Isaïe 28, 20). « Ta justice, c’est une justice qui dure pour toujours » (Psaumes 118, 42). Qu’y-a-t-il de plus long que l’éternité ? Et la justice éternelle et abondante [nous] couvrira Toi et moi pareillement. Et en moi, en tout cas, elle couvre la multitude de [mes] péchés ; mais en Toi, Seigneur, [que cache-t-elle] sinon des trésors de tendre fidélité, des richesses de bonté ? Ce sont elles qui sont déposées dans les ouvertures du roc. Qu’elle est grande, en celles-ci, l’excès de ta douceur, cachée – il est vrai – à ceux qui sont perdus ! Pourquoi, en effet, donner ce qui est saint aux chiens, et des perles aux pourceaux (Matthieu 7, 6) ? Mais Dieu a dévoilé cela pour nous par l’Esprit Saint et même, Il nous a introduit dans [ses] mystères par l’ouverture des trous. Que ne trouve-t-on pas dans l’excès de [Sa] douceur, dans la plénitude de [Sa] grâce, dans la perfection de [Ses] vertus ?

Texte original latin

3. (…) Vir sapiens ædificat domum suam supra petram, quod ibi nec ventorum formidet injurias, nec inundationum (Matthæus 7, 24-25). Quid non boni in petra ? In petra exaltatus, in petra securus, in petra firmiter sto. Securus ab hoste, fortis a casu; et hoc quoniam exaltatus a terra. Anceps est enim et caducum, terrenum omne. 

Conversatio nostra in cœlis sit, et nec cadere, nec dejici formidamus. In cœlis petra, in illa firmitas atque securitas est. Petra refugium herinaciis (Psalmi 103, 18). Et revera ubi tuta firmaque infirmis securitas et requies, nisi in vulneribus Salvatoris ? Tanto illic securior habito, quanto ille potentior est ad salvandum. 

Fremit mundus, premit corpus, diabolus insidiatur : non cado ; fundatus enim sum supra firmam petram. Peccavi peccatum grande: turbabitur conscientia, sed non perturbabitur, quoniam vulnerum Domini recordabor. 

Nempe vulneratus est propter iniquitates nostras (Isaias 53, 5). Quid tam ad mortem, quod non Christi morte solvatur ? 

Si ergo in mentem venerit tam potens tamque efficax medicamentum, nulla jam possum morbi malignitate terreri.

4. Et ideo liquet errasse illum qui ait: Major est iniquitas mea, quam ut veniam merear (Genesis 4, 13). Nisi quod non erat de membris Christi, nec pertinebat ad eum de Christi merito, ut suum præsumeret, suum diceret quod illius esset ; tanquam rem capitis membrum.

Ego vero fidenter quod ex me mihi deest usurpo mihi ex visceribus Domini, quoniam misericordia affluunt; nec desunt foramina, per quæ effluant. Foderunt manus ejus et pedes, latusque lancea foraverunt : et per has rimas licet mihi sugere mel de petra, oleumque de saxo durissimo (Deuteronomium 32, 13) ; id est, gustare et videre quoniam suavis est Dominus (Psalmi 33, 9). Cogitabat cogitationes pacis (Ieremias 29, 11), et ego nesciebam. Quis enim cognovit sensum Domini ? aut quis consiliarius ejus fuit (Romanos 11, 34) ?

At clavis reserans, clavus penetrans factus est mihi, ut videam voluntatem Domini. Quidni videam per foramen ? Clamat clavus, clamat vulnus, quod vere Deus sit in Christo mundum reconcilians sibi. Ferrum pertransiit animam ejus, et appropinquavit cor illius, ut non jam non sciat compati infirmitatibus meis. Patet arcanum cordis per foramina corporis ; patet magnum illud pietatis sacramentum, patent viscera misericordiæ Dei nostri, in quibus visitavit nos oriens ex alto (Lucas 1, 78). Quidni viscera per vulnera pateant ? In quo enim clarius quam in vulneribus tuis eluxisset, quod tu, Domine, suavis et mitis, et multæ misericordiæ? Majorem enim miserationem nemo habet, quam ut animam suam ponat quis pro addictis morti et damnatis.

5. Meum proinde meritum, miseratio Domini. Non plane sum meriti inops, quandiu ille miserationum non fuerit. Quod si misericordiæ Domini multæ, multus nihilominus ego in meritis sum. Quid enim si multorum sim mihi conscius delictorum? Nempe ubi abundavit delictum, superabundavit et gratia (Romanos 5, 20). Et si misericordiæ Domini ab æterno et usque in æternum (Psalmi 102, 17), ego quoque misericordias Domini in æternum cantabo (Psalmi 88, 2). Nunquid justitias meas ? Domine, memorabor justitiæ tuæ solius (Psalmi 70, 16). Ipsa est enim et mea ; nempe factus es mihi tu justitia a Deo. Nunquid mihi verendum, ne non una ambobus sufficiat ? Non est pallium breve, quod, secundum prophetam, non possit operire duos (Isaias 28, 20). Justitia tua, justitia in æternum (Psalmi 118, 142). Quid longius æternitate ? Et te pariter et me operiet largiter larga et æterna justitia. Et in me quidem operit multitudinem peccatorum; in te autem, Domine, quid nisi pietatis thesauros, divitias bonitatis ? Hæ in foraminibus petræ repositæ mihi. Quam magna multitudo dulcedinis tuæ in illis, opertæ quidem, sed in his qui pereunt! Utquid enim sanctum detur canibus, vel margaritæ porcis (Matthæus 7, 6) ? Nobis autem revelavit Deus per Spiritum suum, etiam et apertis foraminibus introduxit in sancta. Quanta in his multitudo dulcedinis, plenitudo gratiæ, perfectioque virtutum !


Référence :

S. Bernard de Clervaux, Sermones in Cantica Canticorum, Sermo LXI, [Sermons sur le Cantique des Cantiques, n° 61], chap. 3-5.

La traduction française est le fait de l’auteur de ce blogue.

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