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samedi 1 octobre 2022

La question des migrations dans l'Église, selon Laurent Dandrieu, septembre 2022

L. Dandrieu, Salon du Livre, Paris, 2015




 Vous trouverez ci-dessous deux extraits de deux entretiens de l'auteur, transcrits et améliorés pour l'écrit par l'auteur de ce blogue.

 

« Ce que je commençais seulement à pressentir au moment où j’ai écrit mon livre Église et immigration [en janvier 2017], c’est le développement de cette théologie du migrant qui se rattache fondamentalement à la problématique du mondialisme. Ce qui se passe, c’est qu’à partir des années 1960, l’Église devient obsédée par l’idée de l’unité de la famille humaine. Et comme, par ailleurs, elle sent bien qu’elle commence un petit peu à perdre en crédibilité aux yeux du monde et que son grand sujet, à partir de cette époque, est [de savoir] comment continuer à parler à un monde qui ne l’écoute plus, se développe l’idée que, pour rester crédible, il faudrait non plus seulement parler de cette unité du genre humain comme une unité spirituelle – ce que l’Église a toujours fait – mais aussi travailler concrètement à l’établir ici-bas. Et donc, la question de l’unité du genre humain, à partir de ce moment là, dérive progressivement de l’eschatologie à la politique, de l’espérance à la militance, si je puis dire. Les positions de l’Église sur les migrations de masse sont une manifestation très concrète de cela. On voit se développer, dans un certain nombre de texte du Vatican, cette idée, parfois très clairement exprimée, que les migrations sont un phénomène formidable parce qu’en fait, elle va accélérer l’unité du genre humain ; c’est le moyen d’arriver à réaliser concrètement cette unité. De là, on arrive assez rapidement, finalement, non seulement à une canonisation de la migration en tant que phénomène qui devient positif – même si on reconnaît qu’il engendre des souffrances et des difficultés – parce qu’il permet d’avancer vers cette unité, mais aussi, du coup, à une canonisation du migrant en tant que migrant qui n’est pas sans rappeler celle du prolétaire par les marxistes. Parce que c’est le migrant qui va être l’instrument de cette rédemption du genre humain, de cet accouchement d’une nouvelle humanité qui sera enfin unifiée, sans frontière, où tous les hommes ne formeront plus qu’un seul peuple.

Il est assez fascinant de voir que, dans un certain clergé, on peut considérer des siècles, voire des millénaires, comme une simple parenthèse qu’il serait urgent de refermer. C’est vrai dans le domaine du mondialisme où certains voient ainsi la division des peuples en différentes Nations ; c’est vrai aussi en matière ecclésiale puisque, pour certains, Vatican II serait, enfin, l’avènement d’une nouvelle Église, d’une Église authentique, refermant la longue parenthèse de triomphalisme qui a été ouverte sous [l’empereur romain ] Constantin. »

Référence

Laurent Dandrieu, « Pour un christianisme universaliste enraciné », entretien mené par Jean-Marie Le Méné et Aude Dugast, in Libre journal de la vie, 27 septembre 2022, partie 1, Radio Courtoisie, cf. https://www.radiocourtoisie.fr/2022/09/27/libre-journal-de-la-vie-du-27-septembre-2022-pour-un-christianisme-universaliste-et-enracine-qui-est-giorgia-meloni/.


« Il y a eu pas mal de développement du discours ecclésial sur les migrations depuis 2017 pas forcément dans mon sens ; j’avoue que je n’ai pas réussi à inverser le cours des choses. Et notamment, il m’est apparu, avec beaucoup plus de netteté qu’au moment où j’avais écris mon livre, le développement d’une “théologie du migrant”. D’ailleurs, j’ai publié mon livre sur Église et immigration en janvier 2017 et je crois que c’est en septembre 2017 que le pape François publie un livre d’entretien avec le sociologue français Dominique Wolton [Politique et société, Les éditions de l'Observatoire, 6 septembre 2017] dont quasiment la première phrase est : « Notre théologie est une théologie du migrant [en fait : de migrants]. ». Quelques temps après, il y a eu deux choses symboliquement très fortes, deux gestes du pape François, très forts : l’inauguration sur la Place S. Pierre d’un gigantesque groupe sculpté en bronze à la gloire des migrants, ce qui est assez étonnant, sachant que, traditionnellement, dans les espaces catholiques, on élève plutôt des statues soit au Christ, soit au saints. Mais là, c’était les migrants. Et puis, par ailleurs, dans le grand escalier d’honneur du Vatican, le pape François a fait installer un gigantesque crucifix où la figure du Rédempteur est remplacé par un gilet de sauvetage de migrant. Je trouve cela extraordinairement fort comme symbole. Et je suis parti de là pour m’apercevoir finalement que, de manière parfois un peu subliminale et pas toujours exprimée clairement, il semble qu’il y ait aujourd’hui, dans l’Église, un certain nombre de gens qui considèrent un peu le migrant comme les marxistes d’autrefois considéraient le prolétaire, c’est-à-dire [comme] le rédempteur de l’humanité, l’instrument d’une espèce de révolution providentielle ; et en l’occurrence, le migrant serait l’instrument “par essence”, d’une tendance fondamentale, un signe des temps – comme on dit – qui conduit à l’unification de la famille humaine. Et donc le migrant est, en quelque sorte, canonisé comme celui qui va faire advenir un monde sans frontière, un monde unifié, un monde indifférencié. Et cela m’a paru très important de le rappeler en préambule de ce livre [Rome ou Babel : pour un christianisme universaliste et enraciné, Artège, 14 septembre 2022], parce que, en fait, on voit, à travers cela, à quel point les positions de l’Église majoritaire sur la question de l’immigration, aujourd’hui, sont issues d’une vision des choses qui n’est plus véritablement “universaliste”, mais qui est véritablement “mondialiste”. »

Référence

Laurent Dandrieu, « Qu’est ce que l’universalisme catholique », entretien mené par Charles de Meyer, in Libre journal des débats, 28 septembre 2022, Radio Courtoisie, cf. https://www.radiocourtoisie.fr/2022/09/28/libre-journal-des-debats-du-28-septembre-2022-quest-ce-que-luniversalisme-catholique/.


Cf. Stephen Fumio Cardinale HAMAO (pour le Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en Déplacement, Instruction Erga migrantes caritas Christi, 3 mai 2004, n. 9 et 103-104. Disponible sur <https://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/migrants/documents/rc_pc_migrants_doc_20040514_erga-migrantes-caritas-christi_fr.html>.

« Les migrations actuelles mettent par ailleurs les chrétiens face à de nouvelles tâches d’évangélisation et de solidarité. Elles les appellent à approfondir les valeurs – parfois partagées par d’autres groupes religieux ou laïcs – absolument indispensables pour une convivialité harmonieuse.

Le passage de sociétés mono-culturelles à des sociétés multiculturelles peut ainsi devenir un signe de la présence vivante de Dieu dans l’histoire et dans la communauté des hommes, car il donne une chance providentielle de réaliser le plan divin d’une communion universelle. Le nouveau contexte historique est caractérisé en réalité par le fait qu’autrui se présente sous de multiples visages et, à la différence d’autrefois, la diversité devient chose commune dans de nombreux pays.

Les chrétiens sont par conséquent appelés à prôner et à mettre en œuvre, non seulement un esprit de tolérance – qui est un acquis majeur non seulement du domaine religieux mais aussi du domaine politique et culturel – mais également le respect de l’identité d’autrui, en amorçant, partout où cela est possible et opportun, des démarches d’échanges avec des personnes d’origine et de culture différentes, en vue aussi d’une annonce respectueuse de leur foi.

Nous sommes donc tous conviés à une culture de la solidarité [Cf. Concile œcuménique Vatican II, Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, Préambule, nn. 22, 30-32 : AAS LVIII (1966), pp. 1025-1027, 1042-1044, 1049-1051 ; Constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium, nn. 1, 7 et 13: AAS LVII (1965), pp. 5, 9-11, 17-18 ; Décret sur l’Apostolat des Laïcs Apostolicam Actuositatem, n. 14: AAS LVIII (1966), pp. 850ss ; Jean XXIII, Encyclique Pacem in terris, 1ère partie : AAS LV (1963), pp. 259-269 ; Conseil pontifical Cor Unum et Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en Déplacement, Les réfugiés, un défi à la solidarité, EV 13, (1991-1993), pp. 1019-1037 ; Commission pontificale Justice et Paix, Self-reliance : compter sur soi : EV 6 (1977-1979), pp. 510-563 et Conseil pontifical Justice et Paix, L’Église face au racisme, 1988, EV 11 (1988-89), pp. 906-943.], si souvent souhaitée par le Magistère, afin de parvenir ensemble à une communion des personnes vraie et authentique. C’est ce chemin, il est vrai difficile, que l’Église invite à parcourir. »

(...)

« Même les migrants peuvent être des bâtisseurs cachés et providentiels d’une telle fraternité universelle, avec beaucoup d’autres frères et sœurs. Ils offrent à l’Église l’occasion de réaliser plus concrètement son identité de communion et sa vocation missionnaire, comme l’atteste le Vicaire du Christ : “Les migrations offrent aux Églises locales l’occasion de vérifier leur catholicité, qui consiste non seulement à accueillir les différentes ethnies, mais surtout à réaliser leur communion. Dans l’Église, le pluralisme ethnique et culturel ne constitue pas un état de choses à tolérer parce que transitoire, c’est au contraire une dimension structurelle qui lui est propre. L’unité de l’Église n’est pas le fait d’une origine et d’une langue communes, mais de l’Esprit de Pentecôte qui, en réunissant en un seul Peuple des personnes de langues et de nations différentes, confère à tous la foi en un même Seigneur et appelle tous les hommes à la même espérance” [S. Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale du migrant et du réfugié 1988, 3c: L'Osservatore Romano, 4 septembre 1987, p. 5.]. Que la Vierge Marie, qui, avec son Fils béni, a fait l’expérience de la douleur de l’émigration et de l’exil, nous aide à comprendre l’expérience, et souvent le drame de ceux qui sont contraints à vivre loin de leur Patrie. Qu’elle nous enseigne à nous mettre au service de leurs besoins, dans un accueil vraiment fraternel, afin que les migrations actuelles soient considérées comme l’annonce, même mystérieuse, du Règne de Dieu déjà présent en germe dans l’Église (cf. Lumen Gentium 9) et comme un instrument providentiel au service de l’unité de la famille humaine et de la paix [S. Jean-Paul II, Cf. Message pour la Journée mondiale du migrant et du réfugié 2004: L'Osservatore Romano, 24 décembre 2003, p. 5.] . »


cf. Pape François, Message pour la Journée mondiale du migrant et du réfugié 2017, 15 janvier 2017. Disponible sur <https://www.vatican.va/content/francesco/fr/messages/migration/documents/papa-francesco_20160908_world-migrants-day-2017.html>.

« [L]e phénomène migratoire n’est pas étranger à l’histoire du salut ; bien au contraire, il en fait partie. Un commandement de Dieu y est lié : “Tu n’exploiteras pas l’immigré, tu ne l’opprimeras pas, car vous étiez vous-mêmes des immigrés au pays d’Égypte” (Ex 22, 20) ; “Aimez donc l’immigré, car au pays d’Égypte vous étiez des immigrés” (Dt 10, 19).

Ce phénomène constitue un signe des temps, un signe qui parle de l’œuvre providentielle de Dieu dans l’histoire et dans la communauté humaine en vue de la communion universelle.

Sans sous-estimer, certes, les problématiques et, souvent, les drames et les tragédies des migrations, ainsi que les difficultés liées à l’accueil digne de ces personnes, l’Église encourage à reconnaître le dessein de Dieu dans ce phénomène également, avec la certitude que personne n’est étranger dans la communauté chrétienne, qui embrasse “toutes nations, tribus, peuples et langues” (Ap 7, 9). »

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