En
septembre 1933, deux Juifs roumains d’expression allemande portent
un regard clairement conflictuel sur la politique menée par l'État
national-socialiste à l’égard de la communauté juive allemande.
Manfred
Reifer est né le 1er
avril 1888, à Moldauisch Banilla (actuellement
Banyliw-Pidhirnyj en Ukraine), à environs
50
km de Czernowitz (actuellement Tchernivtsi en Ukraine)
en
Bucovine (Autriche-Hongrie). Juif, il résidait, avec sa famille, à
Cernauti en Roumanie (l’ancienne Czernowitz austro-hongroise et
l’actuelle Tchernivtsi). Il fut historien, journaliste,
propriétaire de journal et possédait le titre de docteur en
philosophie. Il travailla avec des figures dirigeantes du Mouvement Sioniste. Suite à l’incorporation de la ville de Czernowitz
à
la Roumanie après la 1ère
guerre
mondiale, il fut membre du parlement roumain. Pendant la 2e
guerre
mondiale, sa famille demeura à Cernauti où leur actifs furent
saisis par les forces allemandes, y compris le journal. Sa famille
fut arrêtée, préparée à la déportation en Transnistrie,
laquelle fut reportée suite à l’attaque cardiaque que subit
Manfred Reifer et à
laquelle il survécut. La famille Reifer resta à Cernauti pendant
toute la guerre. Enfin, elle émigra en Palestine en 1945. Manfred
Reifer mourut le 21 mars 1952 et son épouse en 1983, tous deux à
Tel Aviv, en Israël.
Url
sources des informations biographiques
:
https://www.crt-ii.org/_awards/_apdfs/Reifer_Manfred.pdf
et https://www.bukowina-portal.de/de/ct/148
Pour
la retranscription, par l’auteur de ce blogue, des articles
originaux en allemands, voyez le lien suivant :
https://pour-reflechir.blogspot.com/2024/03/septembre-1933-deux-regards-juifs_24.html
La
traduction a été réalisée par l’auteur de ce blogue.
Url
source de l’image :
http://kramerius.difmoe.eu/search/i.jsp?pid=uuid:d9dd4309-83de-470b-81d3-a9f89adba6fa
|
Dr Manfred Reifer
|
Dr
Manfred Reifer:
La
question de la destinée des juifs allemands
Le
problème de la diaspora — le naufrage
de l'assimilation
I.
Le
processus historique *)
*)
Nous publions volontiers le travail sus-mentionné remarquable de
notre estimé collaborateur, le Docteur Manfred Reifer, mais nous
devons ici constater que nous ne pouvons nous identifier à son
contenu.
La
situation actuelle des Juifs allemands est l'aboutissement d'un
processus historique. Il s'agit d'une évolution dont les débuts
remontent à l'époque de Bismarck.
Il devait en être ainsi si l'on interroge le sens historique profond
de ce mouvement antisémite, dont Adolf Hitler est l'un des plus
grands
représentants.
Celui qui ne l'a pas prévu,
a
été
frappé
de cécité, il n'a eut
ni
le sens, ni la compréhension nécessaire à une sérieuse
appréciation
de
la situation. On a cherché
à
ignorer les événements en appliquant le principe populaire : « Ce
que l'on ne veut pas, on n'y croit pas ». C'était une manière
facile d'éviter les questions profondes, de voir
le
monde à travers
des
lunettes roses. Une fois de plus, ce sont les vieux
assimilationnistes
qui ont cherché à masquer les choses et à jouer leur dernière
carte en faveur du
libéralisme,
depuis longtemps enterré.
Ils
n’ont pas
compris
le
cours de l'histoire et ont cru
passer
à travers
les
gouttes en se déclarant allemands de confession mosaïque, en niant
l'existence d'une nation juive, en rompant tous les fils qui les
reliaient au judaïsme, en supprimant le mot « Sion »
de leurs livres de prières et en instituant
l'office
dominical. Ils considéraient l'antisémitisme comme un phénomène
passager qui serait
éliminé
par un travail d'explication
intensif,
à travers
la
création d'une association pour le combattre. C'est ce que pensait
la grande majorité des Juifs allemands. D'où la déception, la
profonde résignation liée à la victoire d'Hitler, d'où le
désespoir sans
nom,
la psychose qui s'est répandue et qui a dégénéré en suicides, la
complète auto-désintégration.
Mais
celui qui juge la situation en Allemagne selon le principe de
causalité devra interpréter
le
mouvement nazi comme l'aboutissement d'une évolution naturelle ; il
comprendra également
que
l'histoire ne connaît pas de
hasard,
que chaque époque est conditionnée par la précédente. Et c'est là
que se trouve la clé nécessaire pour apprécier
la
situation actuelle. Le combat
contre
le judaïsme est mené en Allemagne depuis moins d'un demi-siècle de
manière intensive et avec une rigueur
toute
allemande. L'antisémitisme scientifique a pris racine sur le sol
allemand. C'est de là qu'ont été diffusées les idées
d’infériorité raciale juive et de haine raciale. Le bagage
antisémite créé en terre allemande a été repris par les
détracteurs des Juifs des autres pays à peu près dans la même
mesure que les Allemands ont reçu le droit romain. C'est à Berlin
que sont nés les cercles de discussion sur l'antisémitisme.
Les
Juifs allemands n’ont pas voulu voir tout cela. Ils se sont bercé
de faux espoirs, n’ont pas vu pas la réalité et ont rêvé de
cosmopolitisme, de l'époque de Dohm,
de Lessing et
de Mendelsohn.
Les Juifs déracinés se sont adonnés à des idées fantastiques et
ont poursuivi des rêves cosmopolites. Et cela s'est exprimé de deux
manières : soit ils ont jubilé avec le libéralisme général, soit
ils sont devenus les porte-drapeaux du socialisme. Ces deux domaines
d'activité n'ont cessé de nourrir l'antisémitisme.
II.
La
fatalité
Croyant
au mieux servir l'humanité et eux-mêmes, les Juifs ont commencé
à
s'impliquer activement dans la vie du peuple allemand. Ils se sont
lancé
avec
une passion véritablement juive dans tous les domaines du savoir, se
sont jetés
sur
la presse, ont organisé
les
masses ouvrières et se sont efforcés
d'influencer
toute la vie intellectuelle dans le sens du libéralisme et de la
démocratie. Bien entendu, cela devait provoquer une profonde
réaction au sein du peuple hôte. Lorsque les Juifs s’engageaient,
par exemple, dans les disciplines dites internationales, lorsqu'ils
faisaient des choses extraordinaires et exceptionnelles dans le
domaine des mathématiques, de la physique, de la chimie, de la
médecine, de l'astronomie et en partie aussi dans celui de la
philosophie, ils n’ont pu
tout
au plus susciter que la jalousie de leurs collègues aryens,
mais non la haine générale de toute la nation. On n'aimait pas que
des Juifs soient lauréats du prix Nobel, mais on l'acceptait en
silence. Il en va tout autrement dans les domaines des disciplines
nationales. Là, chaque peuple s'efforce de développer ses propres
forces et de transmettre aux générations présentes et futures les
fruits du travail ethnico-intellectuel. Il n'est pas indifférent
pour un peuple de savoir qui écrit ses articles de Noël dans la
presse, qui dit la messe, qui exhorte à aller à l'église. Chaque
peuple, et à plus forte raison le peuple allemand, souhaite que sa
jeunesse soit éduquée dans son esprit. Elle doit encourager la
musique allemande, lire des livres allemands, étudier les peintres
et les sculpteurs allemands, s'épanouir dans une façon d’être
purement
allemande. Et cela, personne ne peut le lui reprocher. Ainsi, tandis
qu'une grande partie du peuple allemand luttait pour la préservation
de sa façon d’être, nous, les Juifs, avons rempli
de
nos cris les rues de Germanie. Nous avons joué
à
refaire le monde
et
cherché
à
influencer la vie publique par nos idées. Nous faisions sonner les
cloches et appelions à la prière silencieuse, nous, les Juifs,
préparions la « Cène » et célébrions la résurrection.
Nous écrivions dans la presse des articles sur Noël et Pâques et
nous servions au peuple allemand sa religion dans notre
propre
vaisselle, de la vaisselle
juive.
Et contre cela, le peuple hôte s’est défendu
et
a lutté
contre
l'influence juive, contre la presse juive. Des compositeurs juifs se
sont introduits
dans
l'église, ont écrit de la musique d'église
(Mendelssohn-Bartholdy),
des peintres juifs ont guidé
la
jeunesse allemande vers l'art (Liebermann),
des poètes juifs se sont adressés
au
peuple allemand et ont essayé de rendre symboliquement
la
façon d’être
allemande,
mais
finalement,
sont restés
juifs,
tous sans exception : Heine,
Börne,
Wassermann,
Zweig,
Beer-Hoffmann,
Schnitzler,
Emil Ludwig...
Et
c'est contre cette judaïsation de la façon d’être aryenne,
de l'essence allemande, que la nation s'est défendue : que doivent
signifier les vers de Heine pour le peuple allemand !
„Und
alle die Tränen sie fließen in stillen Verein,
Sie
fließen und ergießen sich in den Jordan hinein“
[« Et
toutes les larmes coulent en une silencieuse convergence,
Elles
coulent et se déversent dans le Jourdain. »]
[« Zum
Rabbi von Bacharach 2 », in Nachgelesene
Gedichte 1812-1827.]
Par
exemple, que le Jourdain n’est pas le Rhin, le fleuve symbolique de
l’Allemagne ??
Nous
avons joué
avec
les biens les plus sacrés du peuple allemand et nous nous sommes
moqués,
de
temps à autre,
de
tout ce qui est sacré pour la nation. Nous nous sommes appuyés sur
les droits d'airain de la démocratie et avons eu le sentiment d’être
des
citoyens égaux en droits au sein de la communauté allemande. Nous
nous sommes faits
censeurs
des mœurs du peuple allemand et avons déversé
des
satyres à pleines coupes sur la tête de l’Allemand moyen. Le
graveur George Grosz a traîné
tout
le peuple allemand dans la boue avec son Ecce
Homo et
ne s'est même pas arrêté
face
au
Dieu
allemand. (Cf. le tableau Jésus
au masque à gaz,
qui a suscité l'agacement public et entraîné des suites
judiciaires). Nous avons voulu jouer les
prophètes
dans les païennes contrées de la Germanie et nous nous sommes
oubliés au point que cela nous devint
fatal.
Nous
avons fait des révolutions et couru devant les masses du peuple
allemand en éternels chercheurs de Dieu. Nous avons donné au
prolétariat international une nouvelle Bible, adaptée à son
époque, et nous avons remué les passions du Tiers-état. C’est
depuis l'Allemagne que Marx a déclaré la guerre au capitalisme et
c’est en Allemagne même que Lassalle
a organisé les masses du peuple allemand. Le Juif Eduard Bernstein a popularisé l'idéologie, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg ont lancé le mouvement spartakiste.
Le Juif Kurt Eisner a créé la République des conseils de Bavière et en a
été le premier et le dernier président. Et c'est contre cela que
la nation allemande s'est soulevée, s'est révoltée... Elle voulait
forger elle-même son destin et décider elle-même de son avenir, de
l'avenir de ses enfants. Et cela ne devrait pas lui être reproché.
Ce
contre quoi nous nous insurgeons, c'est en premier lieu le
cosmopolitisme qui a les Juifs pour champions. Ces déracinés
pensent avoir la force de transplanter les idées d'Isaïe
dans les rues de Germanie et de prendre d'assaut le Valhalla
avec Amos.
Ils y parviennent parfois ; seulement, ils
s'ensevelissent,
eux-mêmes et tout
le
peuple juif, sous les décombres
d'un
monde désintégré.
III.
Les
chercheurs de Dieu chez les Soviets
Il
faut aborder le combat
du
régime hitlérien sous un autre angle et apprendre à le
comprendre,
si l'on ne peut pas l'excuser et encore moins l'approuver. Nous, les
Juifs, ne nous sommes-nous pas révoltés contre tout ce qui était
étranger et n'avons-nous pas mené de sanglantes guerres ?
Qu'étaient donc les combats des Maccabées,
sinon la
protestation
contre une façon d’être
étrangère
et non juive ! Et en quoi a consisté
l’
éternel combat des prophètes ? Mais en rien d'autre qu'à bannir
l'essence
étrangère,
les dieux étrangers et à sanctifier
l'essence
originelle du judaïsme. Ne nous sommes-nous pas révoltés contre
les rois de la maison iduméenne
?
Et n'avons-nous pas exclu les Samaritains de notre communauté parce
qu'ils faisaient
des
mariages mixtes
?
Et pourquoi les nationalistes allemands ne feraient pas ainsi si un
Kurt Eisner s'approprie les prérogatives des Wittelsbach
? Nous devons apprendre à comprendre le cours de l'histoire, même
si ce chemin est éclaboussé par du
sang
juif. Nous devons apprendre à regarder la vérité en face et à en
tirer les conséquences ultimes.
Nous
ne voulons pas être faux prophètes, mais mettre
les
faits de côté
ne
résout pas le problème. Ce qui se passe aujourd'hui en Allemagne se
produira demain en Russie. Les Juifs de Russie soviétique devront un
jour payer pour tous les crimes que le système communiste a
entraînés. Le fait que Trotski,
Joffé,
Zinoviev
aient occupé des postes de direction en Russie soviétique nous
coûtera très cher. Là aussi, des Juifs, hommes et femmes, se sont
engagés
avec
une passion véritablement
juive
en
première
ligne du
soi-disant
combat
pour
la liberté et ont mis leur fierté à être les premières victimes
du combat sur les barricades. Et nous le paierons cher, car il s'agit
du même système qu'en Allemagne, mais sous l'uniforme rouge.
N’a-t-on pas plus péché en Russie soviétique contre les formes
démocratiques qu'en Allemagne ? Alors
qu'en
Allemagne, Hitler avait obtenu une majorité gouvernementale lors de
la campagne électorale et n'est
passé
qu'ensuite à ses actes honteux, il n'en a jamais été question en
Russie soviétique. Là, une petite minorité —
aujourd'hui,
après 15 ans, à peine 4 millions de gens organisés sur une
population d'environ 150 millions —
a
proclamé la dictature du prolétariat et a appliqué une maxime de
gouvernement dont Hitler s'est inspiré. Exécutions sommaires, camps
de concentration, exil, censure, Guépéou,
telles sont les méthodes connues du prolétariat russe, même s'il
faut reconnaître que les mêmes sont pratiquées au niveau
international et ne concernent pas seulement des Juifs. Après tout,
ces méthodes et pratiques « humaines », qui rejetaient résolument
l’antisémitisme, ont conduit à la catastrophe, à la ruine
complète du judaïsme russe. Malgré la soi-disant industrialisation
et colonisation [agricole]
des
Juifs en Russie soviétique, personne ne peut nier le fait que deux
millions de Juifs ont littéralement disparu, ou vont disparaître.
L'effondrement de l’économie
s'est
accompagné de celui de la culture judéo-hébraïque en Russie des
Soviets. La jeune génération, éduquée dans l'esprit de Lénine,
parle et écrit en russe, se fond dans la culture russe, pense et se
nourrit en russe. Un prodigieux
processus
d'assimilation est en cours, qui aura de fâcheuses conséquences.
Les Juifs essaient également, en Russie des Soviets, d'être les
messagers et les annonciateurs de vérités nouvelles et absolues,
ils s'efforcent d'interpréter la Bible bolchevique et d'influencer
la manière de penser du peuple russe. Un processus qui suscite les
plus vives oppositions et qui conduit déjà aujourd'hui à des
phénomène de dégénérescence antisémites. Que se passera-t-il
lorsque le gouvernement des Soviets sera tombé et que la démocratie
aura fait son entrée solennelle en Russie ? Le sort des Juifs
sera-t-il meilleur que celui qu'ils connaissent aujourd'hui en
Allemagne ? Ne découvrira-t-on pas, chez
les
Trotski, les Kamenev,
les Zinoviev, etc. leurs anciens noms juifs et ne fera-t-on pas
expier aux enfants les péchés de leurs pères ? Ou bien cela ne
durera-t-il même pas assez longtemps pour que vienne
le
tour des pères eux-mêmes ? Y a-t-il peu d'exemples à ce sujet ?
Des milliers de Juifs n'ont-ils pas perdu la vie en Hongrie parce que
Bela Kun a instauré une
République des Conseils sur le sol de Saint Étienne ? Les Juifs hongrois ont payé très cher son
prophétisme. Cette éternelle quête de Dieu, cette éternelle
recherche de rédemption est purement juive, typiquement juive, un
produit de la diaspora, né de l'éternelle impuissance à s'aider
soi-même en tant que
peuple
juif. Et c'est là que le cadre saute. Aide à la collectivité,
sauvetage de l'humanité et, par là même, du peuple juif.
L'internationalité
juive
est
née. Des gens
déracinés,
sans patrie, cherchent une patrie dans le monde entier — la patrie
de toute l'humanité. Pour l’international, les Juifs apparaissent
comme l'élément le plus radical. Les Allemands, les Français, les
Polonais, les Tchèques ont une patrie et leur internationalité
s'exprime en Allemagne, en France, en Pologne, en Tchéquie, leur
socialisme est enraciné, il a droit à une patrie. Cela se manifeste
également dans la vie pratique. En 1914, les Allemands ont brûlé
leurs drapeaux rouges dans le Tiergarten
de
Berlin et sont entrés en guerre en chantant le Deutschlandlied
;
le socialiste polonais Daszyński
était aux premiers rangs du combat
pour
la résurrection de la Pologne ; les socialistes tchèques ont
entonné avec enthousiasme leur Hatikvah
-
« Kdedomov muj » ;
seuls les Juifs ne voulaient rien savoir de leur patrie et sont
tombés aux
champs
de la liberté en tant que soi-disant
prophètes,
chercheurs de Dieu, bâtisseurs du bonheur humain : pour Karl
Liebknecht, Rosa Luxemburg, Kurt Eisner, Gustav Landbauer, on ne dira pas un Kaddich,
on ne dira pas une Messe...
Tous
ces apôtres, dans leur folie, ont creusé les fosses communes de
milliers de Juifs innocents en Allemagne, victimes, innocentes
victimes du régime hitlérien. Ce sont eux et, dans la même mesure,
ce sont les hérauts du libéralisme, tous ces poètes et écrivains,
artistes et journalistes, qui ont préparé l'époque actuelle, ont
nourri la haine des Juifs et ont fourni le support, le matériel à
l'ère du national-socialisme. Tous ont-ils certainement voulu le
meilleur, mais c’est le contraire qu’ils ont obtenu. Ils ont été
frappés de cécité et n'ont pas vu venir le malheur, n'ont pas
entendu la marche du temps, les pas lourds de la Némésis de
l'histoire. (Un article final suivra).
Référence
:
Czernowitzer
Allgemeine Zeitung: unabhängiges Tageblatt.
Cernăuți: Institut de Arte Grafice și Editură "Eminescu",
3 septembre 1933, 30
(n°
8532), p. 10. Disponible sur:
https://www.difmoe.eu/uuid/uuid:451edd83-973e-4ccc-9532-2624dc4fcbff.
Remarque
de la rédaction. Nous publions ci-dessous la suite de l'article de
notre estimé collaborateur, M. Manfred Reifer, et ne pouvons nous
empêcher de faire la remarque suivante : la première partie de
l'article, parue dans notre numéro dominical du 3 septembre [1933],
a suscité beaucoup d'opposition parmi nos lecteurs. Nous devons
seulement souligner que le contenu de l’exposé
du
Dr Reifer correspond à son point de vue personnel et que nous ne le
partageons en aucun cas, c'est pourquoi nous avons fait remarquer
dans une note de bas de page de cet article que nous ne nous
identifions pas à cet exposé.
C'est
pourquoi nous ferons place
à
une opinion contraire dans notre journal, d'autant plus que nous
partageons l'avis général selon lequel les opinions exprimées dans
la première partie de l'article du Dr Manfred Reifer ne peuvent rester sans contradiction.
IV.
La
conséquence ultime
Tout
cela devait être dit pour que nous évitions à l'avenir toutes ces
erreurs.
On
apprend l'histoire et on apprend
de
l'histoire. Il faut en tirer les conséquences et aménager notre vie
de manière à ne nous heurter à rien, tout en participant
activement. Comment cela doit-il se faire ? Il s'agit d'établir un
modus vivendi
entre
la nation majoritaire et la nation minoritaire. Nous avons acquis une
riche expérience dans ce domaine, notamment dans l'après-guerre.
Deux voies étaient ouvertes pour
l'homme
politique juif de la diaspora : [la collaboration]
avec
les gouvernements, en renonçant à de nombreux
postulats
nationaux, ou le combat
indépendant
pour les droits des Juifs, la présentation de listes exclusivement
juives lors des élections dans les organes législatifs. Les deux
voies ont été essayées, chacune ayant ses avantages et ses
inconvénients. Si l'on suit
le
gouvernement, si l'on collabore à tous les rouages de l’État, on
peut mendier ici et là une position ethniquement affirmée
[völkisch]
quelconque,
seulement le
caractère ethnique
du
peuple se corrompt.
Les Juifs s'habituent à suivre n'importe quel gouvernement,
s'inscrivent dans des partis étrangers, non-juifs, et apparaissent
avant les élections comme des courtiers politiques, des trafiquants
de l’honneur et de la dignité juive. Au lieu d'une politique de
minorité, d'une politique ethniquement affirmée, c'est l'ancien «
Stadtlonessystem »
qui passe au premier plan. Le peuple perd confiance en ses
dirigeants, en lui-même, et court après des fantômes. Il se
développe alors ce type d'homme juif méprisable, que la nation
majoritaire qualifie de juif de maison et de cour, et que la
minorité, la minorité présentant une conscience nationale
et
ethniquement affirmée,
qualifie
de traître. Cette manière
de
politique juive est la
plus
facile, la plus
confortable, mais elle
recèle
des forces centrifuges qui ébranlent l'existence même du judaïsme.
Et, par ailleurs, cette collaboration absolue avec la nation
majoritaire, cette navigation sous le drapeau d'un parti étranger,
cette reconnaissance absolue
d'un
peuple maître n'a pas non plus apporté le salut. L'élément de la
nation majoritaire ethniquement affirmé
ne
cesse de se rebeller contre la collaboration de la minorité juive,
contre son suivisme en politique, contre le fait qu’elle est à la
traîne dans
l'économie, dans la littérature artistique, dans la science. On se
passe volontiers de nous et de notre collaboration. Que l'on ne
vienne pas nous donner l'exemple de l'Angleterre, de l'Italie, de la
France, qui, si on les considère superficiellement, pourraient faire
mentir nos affirmations. Si l'on va au fond des choses, on peut
immédiatement constater que les exceptions ne tiennent pas tant au
caractère ethnique
de
la nation concernée qu'au fait que les Juifs ne constituent dans ces
pays qu'une minorité négligeable (il y a moins de Juifs dans toute
l'Italie qu'à Czernowitz,
par exemple) et qu'ils ne se distinguent particulièrement nulle
part. Néanmoins, les prémices d'un mouvement anti-juif
se
font déjà sentir dans ces pays. Il suivra le même rythme que
l'augmentation de la population juive et
l'immigration
de juifs étrangers —
maintenant
allemands !
Et
maintenant, la deuxième méthode : la politique ethnique
juive.
Elle a pris un essor insoupçonné juste après la conclusion de la
paix. Les « folkistes » et les « autonomistes »
juifs ont vu leur idéal se réaliser, leur but être atteint. Un
ministère de la
minorité
juif a été créé en Lituanie, 40 députés juifs ont fait leur
entrée à la Diète polonaise. Un programme grandiose d'autonomie
nationale et culturelle a été conçu. Le « Bund »
a vu naître une nouvelle Jérusalem à Vilnius. Le monde « féodal »
s'est effondré et un puissant édifice démocratique
a
été érigé sur ses ruines. Une fois de plus, les Juifs se sont
bercés d'espoirs messianiques. Mais la déception des masses juives
fut d'autant plus grande qu'en peu de temps, la liberté acquise fut
réduite à néant. Le ministère juif en Lituanie a été dissous,
les subventions pour l'œuvre scolaire juive ont été fortement
réduites, de nombreuses écoles ont été privées du droit
d'ouverture au public, le boycott contre la minorité juive a été
proclamé et une lutte à mort a commencé pour chasser les Juifs
hors
de
l'économie nationale. En un temps relativement court, la vie
économique
a
été anéantie
dans
les pays d'Europe de l'Est. Et pourtant, la politique de minorité
juive en Lituanie, en Lettonie, en Pologne et en Roumanie se
poursuit. Presque aucun postulat n'a été mis en œuvre : l'œuvre
scolaire juive n'est pas soutenue, les communautés juives sont
subventionnées avec des sommes
dérisoires,
l'accès aux fonctions de l’État est toujours interdit aux
intellectuels juifs. Malgré cela, on n'a pas changé de cap, parce
qu'on accorde plus d'importance à l'éducation des masses juives à
la conscience nationale qu'à la mise en œuvre
des
différents postulats juifs qu'un gouvernement peut donner et qu'un
autre peut reprendre. D'ailleurs, il n'existe aucune preuve que le
rattachement aux différents partis non-juifs ait entraîné la
réalisation d'une seule revendication. Certes, cette voie apportera
des avantages personnels à l'un ou l'autre Juif, mais l'ensemble
peut tirer profit de cette tactique.
V.
La
même chanson sioniste
Il
se peut que ce problème paraisse nouveau à beaucoup, mais nous, les
sionistes, avons déjà entonné cette même chanson de la situation
anormale du peuple juif en diaspora. Les idéologues sionistes ont
reconnu tout cela il y a plus de 30 ans et ont vu l’illustration de
ce phénomène dans le positionnement anormal de l'homme juif dans la
vie économique. Ils ont également tenté de donner une solution à
tous ces problèmes : La Palestine. Quelle tempête s'est levée dans
tous les pays où vivaient des Juifs ! Les uns criaient que le
sionisme voulait ramener les Juifs au ghetto, exactement comme le
font encore aujourd'hui certains cercles juifs assimilationnistes, en
qualifiant la politique ethnique nationale-juive, la présentation de
listes purement juives aux élections dans les corps législatifs, de
« retour au ghetto », d'une « politique
d'isolement » ; d'autres parlaient d'une mission du peuple
juif au sein des peuples du monde ; d'autres encore chantaient
les louanges du libéralisme, du cosmopolitisme, de la grande
internationale ouvrière et dénonçaient le sionisme qui annonçait
des vérités qu'on ne voulait pas entendre parce qu'elles étaient
désagréables. Aujourd'hui, la prise de conscience a eu lieu, mais
elle s’est déjà heurtée au tas de ruines de l'économie juive,
un véritable champ de cadavres...
Et
la Palestine peut-elle aujourd'hui donner une réponse complète à
la détresse des Juifs ? C'est la question essentielle à laquelle
nous pensons devoir répondre aujourd'hui par un « non ».
La Palestine n'est pas préparée à une immigration massive. Elle ne
peut absorber des centaines de milliers de Juifs en si peu de temps.
Répondre par l'affirmative à cette question reviendrait à mettre
délibérément les faits de côté. La question de savoir pourquoi
la Palestine ne peut pas être, dès aujourd'hui, la patrie de tous
les Juifs qui veulent ou doivent y aller est un autre problème. La
réponse est très simple : parce que les Juifs ne l’ont pas voulu
et ne le veulent
toujours pas, parce qu'ils ont considéré
et
considèrent toujours la Palestine comme l’affaire des
sionistes,
parce qu'ils n'ont pas mis de moyens à disposition pour la
reconstruction, parce qu'ils ont suivi des dieux étrangers, adoré
des idoles. Si nous avions agi comme le ferait un peuple sain et
normal, la réserve de terre du Keren Kayemeth
[=le
Fonds national juif]
serait
énorme, le Keren Hayessod [=l’Appel
unifié pour Israël] serait alors en mesure de permettre
l’implantation agricole
de
milliers de Juifs, d'en orienter des dizaines de milliers
vers
une nouvelle profession, de les ancrer économiquement en Palestine.
Et parce que le peuple juif a raté le coche, les émigrants
d'Allemagne se retrouvent devant les portes fermées de la Palestine.
En
dehors de ces faits, la grande majorité du peuple juif doit se
préparer à continuer à s’intégrer au sein de galouth
[=l’exil de la diaspora]. Il faut chercher des moyens pour
permettre une coopération avec les peuples hôtes. Il ne faut en
aucun cas prôner une émigration juive hors d'Allemagne. Il faut se
battre en Allemagne et en dehors de l'Allemagne pour l'amélioration
du statut des Juifs allemands. C'est un grand péril pour les Juifs
des autres pays que de propager l'idée de sauver les Juifs allemands
de l'enfer hitlérien par l'émigration. Il ne faut pas laisser les
autres pays utiliser la recette hitlérienne pour se débarrasser à
leur tour de leurs Juifs. Il semble que ce soit le sort des Juifs que
de fournir des martyrs au monde. Car il est dans la nature des choses
que des oppositions entre le peuple majoritaire et le peuple
minoritaire subsistent toujours. Des oppositions qui s'exacerbent
d'autant plus lorsqu'il s'agit d'éléments étrangers à la religion
ou à la race.
Il
est bien beau d'invoquer les droits des minorités, mais ils ne nous
ont pas fait avancer d'un pouce. Ce sont des coups d'épée dans
l'eau et des épouvantails qui ne font qu’effrayer encore les
enfants. La plupart des États s'efforcent d'être considérés comme
des États-nations et ne veulent pas tolérer le spectre de minorités
en leur sein.
(La
conclusion suit.)
Référence
:
Czernowitzer
Allgemeine Zeitung: unabhängiges Tageblatt.
Cernăuți: Institut de Arte Grafice și Editură "Eminescu",
6 septembre 1933, 30
(n°8534),
p. 6. Disponible sur:
https://www.difmoe.eu/uuid/uuid:fac6346e-6e4b-4333-8398-ec8b95ecc23e.
(Conclusion)
Nous apprenons que la plus grande
consternation règne dans les milieux sionistes et au sein du parti
juif du Reich en raison de la position adoptée par le Dr Reifer dans
cet article. Après le retour du Dr Reifer de l'étranger, les
exécutifs des deux partis se pencheront sur cette affaire.
Il faut donc continuer à lutter sans
relâche, ne pas perdre espoir. Nous sommes un vieux peuple et nous
avons appris à nous intégrer, à nous adapter à toutes les
situations. Nous, les Juifs, vivons aujourd'hui une période de très
forte réaction — nous y survivrons, nous persévererons. Nous
devons en toutes circonstances rechercher une coopération avec les
peuples hôtes, tout en conservant notre spécificité nationale, en
nous manifestant au niveau national, en ne poursuivant pas de faux
dieux, en nous préoccupant moins des autres et plus de nous-mêmes.
Lorsque cela sera fait, nous forgerons notre unité, nous enrichirons
notre littérature, nous ferons notre propre bilan et nous serons
considérés comme un peuple, nous serons un peuple. La Palestine
sera la patrie de toutes nos créations artistiques ! Le monde ne
s’attribuera plus nos mérites. Peut-être que, de la Palestine,
nous donnerons à nouveau au monde une Bible, que nous lui offrirons
des psaumes, peut-être que des prêtres et des prophètes, des
apôtres, des rénovateurs, des réformateurs, des reconstructeurs du
monde viendront à nouveau, non pas en ordre dispersé, mais à
partir d'un centre, de l'unité du peuple, de l'ensemble du peuple. .
. .
Et alors, la situation des Juifs dans le
reste du monde s'améliorera également. On les appréciera, on les
respectera, en tant que branches d'une grande communauté juive en
Palestine.
Ce n'est pas une promesse d'avenir, mais
une réalité. La vie nous oblige à nous impliquer activement dans
l’œuvre de la Palestine. Des milliers de Juifs sont aujourd'hui
confrontés au problème de l'émigration, des dizaines de milliers
devront prendre demain le bâton de l'émigration et des centaines de
milliers après-demain. Les portes du monde sont fermées et la
colonisation du Birobidjan s'est avérée être la plus grande
faillite des Soviétiques. Tout le monde frappera aux portes de la
Palestine et demandera à y entrer. C'est entre les mains du peuple
juif que se trouve la clé qui permettra d'ouvrir ces portes. Il
faut, outre la coopération avec les peuples hôtes, que les Juifs de
la diaspora réussissent à coopérer absolument avec ceux de
Palestine. Si cela se fait par des actes et non par des paroles,
alors, mais alors seulement, la Palestine pourra considérablement
améliorer la situation et contrôler la misère de masse des Juifs.
Ce processus déterminera alors également dans une large mesure le
destin des Juifs allemands.
D'ici là, il faut s'occuper des 50.000
réfugiés allemands qui se trouvent dans les divers pays. Une grande
partie d'entre eux ira en Palestine, principalement les Juifs qui ont
déjà coupé tous les ponts derrière eux. Mais il y aura aussi,
comme candidat à l’émigration, des juifs qui n'ont aucune
possibilité d'existence dans le troisième Reich d'Hitler. Il faudra
négocier avec les représentants d'Hitler en Allemagne et à
l'étranger afin de mettre en place une émigration partielle et
organisée. En effet, des négociations sont déjà en cours de
différents côtés. Nous venons d'apprendre que le gouvernement
hitlérien a débloqué 3 millions de marks pour les Juifs qui
veulent émigrer en Palestine. Toutes les tentatives doivent être
faites pour améliorer le sort des Juifs allemands sur place. La
situation des Juifs allemands est très mauvaise, mais elle ne peut
rester et ne restera pas ainsi à l'avenir. Toutes les révolutions
connaissent une période de tumulte massif, qui est suivie d'une
période plus calme. Et ainsi, les gouvernements vont et viennent et
ne sont pas destinés à durer éternellement. Le régime hitlérien
devra lui aussi se réformer et finir par disparaître de la scène.
Le règne des Jacobins n'a pas non plus duré éternellement. Les
révolutions apportent toujours des surprises. Le système change au
fil du temps. La Russie soviétique en est le meilleur exemple.
Combien n’a-t-on pas versé d'eau dans le vin communiste au fil du
temps ! Il en sera de même dans l'Allemagne hitlérienne. De
nombreux points du programme ont déjà été abandonnés.
VI.
Le
peuple d'une culture ancestrale
Avant de clore la question si délicate
et douloureuse de la privation des droits des Juifs allemands, nous
aimerions citer un passage d'un discours prononcé il y a cent ans
(le 17 avril 1833) à la Chambre des Communes par l'homme d'État et
grand érudit anglais, Thomas Babington Macaulay, alors qu'il
s'agissait de mettre en route l'émancipation des Juifs et de leur
permettre d'accéder aux fonctions de l'État. Ce discours n'est pas
un document d'histoire contemporaine, mais une grande apologie du
judaïsme, valable pour tous les temps et qui va bien au-delà du
temporaire. C'est avec la citation de ce discours qu’il faut
conclure le présent essai. Elle doit avoir pour but de nous offrir,
à nous Juifs, une consolation en ces temps difficiles.
Thomas Babington Macaulay déclara :
« L'honorable député d'Oldham
nous dit que les Juifs seraient par nature une race [Geschlecht]
abjecte, une race sale, une race avide d'argent — ils auraient une
aversion pour toute profession honorable. L'usure serait le seul
métier qui leur convienne.
C'est ainsi, Monsieur, qu’ont parlé
les fanatiques de tous les temps. Ils ne manquent jamais, pour
justifier la persécution, d'évoquer les vices qui l'ont provoquée.
L'Angleterre a été, pour les Juifs,
moins que la moitié d’une patrie et nous les réprimandons parce
qu'ils ne ressentent pas plus que la moitié d’un amour pour
l'Angleterre. Nous les traitons comme des esclaves et nous nous
étonnons qu'ils ne nous considèrent pas comme des frères.Nous les
poussons à de basses occupations et leur reprochons ensuite de ne
pas choisir une profession honorable. Longtemps nous leur interdisons
de posséder des terres, et nous nous plaignons qu'ils s'adonnent
surtout au commerce. Nous les excluons de tous les sentiers de
l'ambition et nous les méprisons de chercher refuge dans la
cupidité.
Pendant de nombreuses années, nous avons
abusé de notre immense supériorité de force dans tous nos rapports
avec les Juifs, et maintenant nous sommes dégoûtés de les voir
recourir à cette ruse qui est l'arme naturelle et commune du faible
contre la violence du fort.
Dans l'enfance de la civilisation, quand
notre île était aussi sauvage que la Nouvelle-Guinée, quand
Athènes ne connaissait ni les arts ni les sciences, quand, là où
Rome s'est plus tard étendue, s'élevait à peine une hutte au toit
de chaume, ce peuple méprisé des Juifs avait ses villes fortifiées
et ses palais de cèdre, ses temples raffinés et éclatants, sa
flotte de navires marchands, ses écoles de sainte érudition, ses
grands hommes d'État et ses guerriers, ses naturalistes, ses
historiens et ses poètes.
Quel peuple s'est battu plus virilement
contre des forces supérieures pour son indépendance et sa foi ?
Si, au cours de nombreux siècles, les
descendants opprimés des guerriers et des sages ont dégénéré en
prenant les caractéristiques de leurs pères, pouvons-nous leur en
faire le reproche ?
Ne devrions-nous pas ressentir plus de
honte et de remords à ce sujet ?
Laissez-nous leur rendre justice !
Ouvrons-leur la porte de la Chambre des communes ! Ouvrons-leur
toutes les carrières où l'on peut faire preuve d'adresse et
d'énergie !
Tant que nous n'aurons pas fait cela, ne
laissons pas dire qu'il n'y a pas de génie parmi les compatriotes
d’Isaïe, ni d'héroïsme parmi les descendants des Maccabées. »
Référence
:
Czernowitzer
Allgemeine Zeitung: unabhängiges Tageblatt.
Cernăuți: Institut de Arte Grafice și Editură "Eminescu",
7 septembre 1933, 30
(n°8535),
p. 6. Disponible sur:
https://www.difmoe.eu/uuid/uuid:146a6df5-36ce-43e2-9be1-0c0762594c85.
Dr Bernhard
Pistiner :
L'article
nazi du Dr Manfred Reifer
Avertissement
à un dirigeant
« juif »
Cher Monsieur le Rédacteur !
Je comprends tout à fait que vous n’ayez
pas censuré l’article de votre collaborateur de confiance et
ancien député juif, le Dr Manfred Reifer, qui a particulièrement
ému l'opinion publique. Il est certain qu'en tant que journal
objectif, vous n'avez pas le droit de sous-estimer les opinions
exprimées par des dirigeants juifs et de refuser la publicité à
des personnalités juives reconnues — M. Manfred Reifer a même été
élu au Grand Comité d'Action Sioniste —, d'autant plus que M.
Manfred Reifer est un collaborateur permanent de votre journal, qu'en
tant qu'homme politique, il se trouve au cœur de la vie publique
juive, qu’il bénéficie de la confiance d'un parti juif, et qu'il
doit assumer lui-même l'expression de ses opinions. Mais nous, qui
sommes d'un autre avis, vous demandons un droit de réponse. Si les
lignes qui suivent ont été un peu plus virulentes que celles
auxquelles je vous ai habitué, je vous prie de mettre cela au crédit
de mon émotion face aux accusations inconcevables et impossibles
contre le peuple juif, que je partage avec l'ensemble de la
population juive de Czernowitz. Je vous remercie encore une fois du
droit de réponse que vous m’avez accordé.
Respectueusement,
Dr Bernhard Pistiner.
Après la nouvelle soi-disant éruption
de la nation allemande, on a annoncé que le Meyer's
Konversationslexikon avait
lui aussi été mis au service sacré de la nation
nationale-socialiste. C'est là qu’avec une apparence de
scientificité, on a inscrit au canon de l’évangile nazi, toutes
les déclarations de haine et d'incitation à la haine d'antisémites
se déchaînant sans retenue, à commencer par le pamphlétaire et
homme d'honneur Wilhelm Marr — qui était d'ailleurs le fils d'un acteur juif — en
passant par l'antisémite bruyant et tapageur Stöcker,
Heinrich Treitschke, le détracteur maladif et passionné des Juifs Eugen Dühring, jusqu'à l'antisémite enragé du sang et de la race
Chamberlain.
Tout ce que la démagogie sauvage et la littérature antisémite
haineuse et fracassante ont encore concocté depuis lors, est devenu
le catéchisme d’État nazi. Et obéissante, comme l’est tout,
désormais, en Allemagne, cette pseudo-science trouve également sa
place dans la docile maison d'édition du Meyer’s
Lexikon. Cet anti-science,
avec sa philosophie de la renaissance de l'Allemagne — d'ailleurs
pas du tout nécessaire — qui consiste à éliminer les Juifs et à
infliger la plus grande souffrance possible aux hommes qu’on ne
sait mettre au pas, cherche à prouver que la persécution des Juifs
en Allemagne n'est pas un acte de haine personnelle, ni l'expression
d'un chauvinisme personnel, mais qu'il s'agit nécessairement et
simplement d'un ressourcement naturel de la nation allemande sur les
bases mêmes ayant donné naissance à la ville allemande, à la vie
juridique allemande, à l'art et à la science allemands.
Ce n'est que dans ce Meyer’s
Lexikon, désormais mis au
pas, que l’on peut trouver le point de départ des dénonciations
dominicales du Dr Manfred Reiser. Comme si le Dr Reifer avait mangé
des glands avec Arminius le Chérusque dans la forêt de Teutberg, il se tait sur ce qui
apporterait la preuve circonstancielle qu'Alfred Rosenberg, Julius
Streicher, Göring
et Goebbels,
avec leurs méthodes barbares et leur terreur sauvage, ne sont que
les exécutants d'une profonde fatalité historique. Selon la folie
rationaliste de Manfred Reifer, le terrifiant ébranlement de la foi
en l'humanité provenant de l'Allemagne hitlérienne, qui nous secoue
et nous agite, nous les Juifs, mais aussi toute l'humanité, n'est
rien d'autre que la conséquence raisonnable du fait que le Juif
allemand a rayé Sion de son livre de prières et institué l'office
dominical. Parce que les Juifs allemands n'ont pas compris le cours
de l'histoire (seuls des historiens comme M. Reifer peuvent le
faire), des milliers de porcs criminels juifs doivent être abattus
sans aucune raison pendant leur fuite et martyrisés à mort dans des
camps de concentration. Parce que les Juifs sont intervenus
activement dans la vie allemande, ils peuvent être tués par
milliers. Parce que les Juifs sont des lauréats du prix Nobel, ils
doivent être traités comme des sous-hommes dont il faut se
débarrasser par tous les moyens. Parce que les Juifs ont écrit des
articles de Noël dans la presse, les Juifs peuvent être chassés,
assassinés et humiliés en raison des plus bas instincts raciaux et
du désir de vengeance. C'est ce qu'approuve Monsieur M. Reifer. Mais
Érostrate
était un mauvais architecte. Et Monsieur M. Reifer, qui aime faire
étalage de son éclectisme, était mal éclairé (malgré les
illuminations diurnes de l'époque, dans certains villages de
montagne, en l'honneur de son activité de député) lorsqu'il a
produit ce document monstrueux d’épatante ignorance, de morale
d'esclave et de perfidie nationale. (Preuve de ce dernier point, les
cris de triomphe du Deutsche
Tagespost et l'invitation
faite à la rue allemande d'encadrer cet article). Son appréciation
de l'œuvre des Juifs allemands n'est pas seulement une tentative
folle, par une sorte de bricolage, de satisfaire son propre désir de
gloire, mais aussi un attentat lourd de conséquences contre le
judaïsme.
Monsieur M. Reifer se révèle être le
larbin des nazis lorsqu'il s'exclame pathétiquement : « Nous,
les Juifs, faisions sonner les cloches et appelions à la prière
silencieuse, nous, les Juifs, nous préparions la « Cène »
et célébrions la résurrection. Nous écrivions dans la presse des
articles sur Noël et Pâques et nous servions au peuple allemand sa
religion dans notre propre vaisselle, de la vaisselle juive. (Aïe !
à sa tête !) Monsieur M. Reifer ! Ne pourriez-vous pas nous dire
d’où vous tenez cela ? Quand et où les Juifs ont-ils fait cela ?
Bien que vous soyez, Monsieur Reifer, un fanatique et un adorateur de
l'idéologie nazie, vous ne pouvez pas, en tant que nationaliste
assassin, ignorer avec un mépris aussi brutal les réalisations des
Juifs en Allemagne.
Outre le fait que c'est une arrogance
exorbitante et une surestimation de votre personne que d’oser
écrire sur Heine, c'est une irrévérence mortellement honteuse
quand vous singez [les nazis] d'une manière idiote, [en répétant]
que Heine aurait judaïsé la façon d’être aryenne.
Écoutons un antisémite manifeste dont le rôle est de donner un
sens littéraire à la haine des Juifs, un certain Karl Bleibtreu, le chantre du réveil national-socialiste avant même
Heinz Ewers...
[Ce
« nous n’avons absolument pas besoin d’Empereur »]
l'a (Heine)
bien sûr rendu peu recommandable aux yeux de tous les patriotes « à
la hourra ». Mais il n'est pas question de suspecter pour
autant les sentiments allemands de celui qui frappe à mort
tous
les « Bratenbarden »
allemands avec un chant patriotique incomparable !
« L’Allemagne
est encore une petite enfant, mais le soleil est sa nourrice »,
aucun vrai Allemand ne devrait entendre cela sans avoir le cœur qui
bat. Nulle part la véritable fierté nationale allemande n’a été
calmement exprimée en de si belles paroles. Si celui qui chante
ainsi n'est pas un grand Allemand, qui le sera ? [Karl Bleibtreu, Die
Vertreter des Jahrhunderts,
t.
1, Berlin et Leipzig, Friedrich Luckhardt, p. 357.]
C'est ce qu'écrit un antisémite
officiel parce que, malgré tout, il ressent un profond frémissement
face à la nature divine de Heine, mais M. Manfred Reifer souille la
glorieuse mémoire de Heinrich Heine.
D'ailleurs, que sait M. Reifer de l'œuvre
de Liebermann,
que les nazis, d’habitude peu pudiques, n'osent aborder ni en
paroles ni en actes ? Mais M. Manfred Reifer écarte ce génie d'une
seule phrase. Monsieur M. Reifer érige, dans le même esprit nazi,
un mur de séparation entre judaïsme et germanisme. Il est vrai
qu’en Allemagne, les Juifs ont accédé à l’enseignement
supérieur en raison d’une opportunité économique. Mais si nous
admettons ce que M. Reifer fait valoir, à savoir que les Juifs
d’Allemagne ont porté préjudice au peuple allemand par la
servitude d’intérêts et autres, alors d’autres Juifs allemands
ont augmenté la richesse nationale allemande de cent fois le montant
du préjudice (Hertz,
Rathenau,
Wassermann,
les milliards du Salvarsan®
d’Ehrlich,
Fritz Haber,
etc.) Matériellement, les Juifs ont restitué au peuple hôte
plusieurs fois de ce qu'il avait grignoté dans sa substance (en
langage nazi).
M. Reifer s’enflamme pour
l'assimilation des Juifs allemands. (Nous ne voulons et ne pouvons,
dans un article de journal, faire des recherches approfondies sur la
nature de l’assimilation). Nous voulons bien admettre ici que la
supériorité de la culture allemande a naturellement attiré à elle
les Juifs allemands peu dotés en connaissances juives (pour des
raisons historiques et économiques) et les a imprégnés. En
réalité, c’est la culture qui détermine le caractère commun
d’une nation et non d’autres caractéristiques telles que la race
ou d’autres aspects conjoncturels. La supériorité de la culture
allemande a également marqué les Juifs d'Allemagne de son
empreinte. Leur reprocher d’être entrés dans cette culture et de
s’y être fondus, c’est précisément faire preuve d’une folie
nationale populiste effrontée, telle qu’elle se déchaîne
actuellement en Allemagne et trouve également des partisans et des
adorateurs en dehors des frontières allemandes. Le fait de trouver
parmi eux les chemises brunes de Juifs (nous y reviendrons une autre
fois) et des dirigeants
sionistes à la Reifer, prouve précisément le pouvoir suggestif de
la folie nationaliste partout répandue. Le grand nombre de lauréats
du prix Nobel prouve déjà que les Juifs ont fait de la vraie
science. Les Juifs sont accusés d'avoir contaminé le peuple
allemand par l’opérette et le cinéma. Mis à part le caractère
mensonger de cette affirmation, combien d’Allemands y ont-ils
trouvé leur compte ?
En outre, où et quand les Juifs ont-ils
été considérés comme des ennemis par les Allemands ?
Dévoués et fiers de leur patrie
allemande, ils ont contribué à accroître la richesse nationale des
Allemands ; à cet égard les nazis peuvent bien aboyer autant
qu’ ils veulent.
Certes, il y a des excès. Mais il faut
faire preuve de bêtise et d’étroitesse d’esprit nationalistes
pour rendre toute une partie de la population responsable de certains
individus.
Hitler et ses partisans claironnent que
le véritable Reich millénaire a désormais commencé en Allemagne.
Ce n'est pas vrai. L’hitlérisme est un événement conjoncturel de
la terrible dépression mondiale. Il n’est qu’une phase dans la
quête désespérée d’une solution par un monde capitaliste en
déroute. Une fois la solution procurée, et on la trouvera, alors la
barbarie des héros nazis aura elle aussi atteint sa dernière heure.
Et tout ce battage théâtral, cette magie inédite des feux
d’artifice et autres tapage ne seront plus qu’un souvenir
honteux.
M. Manfred Reifer crache dans la soupe
avec un empressement tout conjoncturel. Les motifs qui ont poussé ce
monsieur à écrire cet article honteux sont, pour moi,
incompréhensibles. Un ami et camarade de parti de ce monsieur, que
j'ai interpellé à ce sujet, m'a bien dit : « C’est en tant
que médecin que je comprendrai le mieux pourquoi Manfred Reifer a
écrit cet article. »
Car, pour l'instant, je ne veux pas
m’aventurer dans d'autres motivations, comme par exemple le fait
que Monsieur M. Reifer voudrait à l'avenir pouvoir présenter une
carte de visite de Juif non-juif ou quelque chose de ce genre.
Référence
:
Czernowitzer
Allgemeine Zeitung: unabhängiges Tageblatt.
Cernăuți: Institut de Arte Grafice și Editură "Eminescu",
7. 9. 1933, 30 (n°8535), p. 2. Disponible sur :
https://www.difmoe.eu/uuid/uuid:47b706aa-9588-4740-bade-8a8f7c565783.