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vendredi 21 septembre 2012

La surprotection parentale, selon D. Bailly, 2005


Plusieurs auteurs ont fait la constatation suivante : les parents des enfants inhibés et présentant des troubles anxieux ont eux-mêmes des taux significativement plus élevés de troubles anxieux, comparativement aux parents des enfants ne présentant qu'une inhibition comportementale et aux parents des enfants ne présentant ni inhibition comportementale, ni troubles anxieux.

Autrement dit, la présence chez les parents de troubles anxieux augmente le risque pour un enfant inhibé de développer lui-même des troubles anxieux. On sait maintenant que ce ne sont pas tant les troubles anxieux en eux-mêmes qui vont ici jouer un rôle, mais plutôt les attitudes de surprotection et d'hypercontrôle que l'on retrouve fréquemment chez les parents présentant des troubles anxieux.

Dans le cas du trouble anxiété de séparation, ces attitudes de surprotection et d'hypercontrôle semblent intervenir de façon à la fois directe et indirecte.

De façon indirecte, elles renforcent la stabilité de l'inhibition comportementale, ce qui augmente le risque chez les enfants inhibés de développer un trouble anxiété de séparation.

De façon directe, nous y reviendrons, elles interviennent elles-mêmes dans le développement du trouble anxiété de séparation en faisant obstacle au processus de « désensibilisation naturelle » que vivent habituellement les enfants vis-à-vis de la peur de séparation (…) (p.97-98).


Les attitudes de surprotection

Dans le même ordre d'idées, des attitudes parentales de surprotection, d'hypercontrôle et de critique exagérée peuvent aussi, directement ou en interaction avec d'autres facteur de risque, favoriser le développement de troubles anxieux chez l'enfant (22, 23).

- Les mises en garde, voire les interdictions répétées,
- le besoin constant d'avoir son enfant dans son champ visuel, de savoir où il est, ce qu'il fait, avec qui,
- les réactions inopportunes de précipitation dès qu'il lui arrive quelque chose,
- les pressions excessives concernant sa conduite

sont des attitudes fréquemment retrouvées chez les parents d'enfants présentant un trouble anxiété de séparation, en particulier chez les mères.

Comme on l'a vu, ces attitudes de surprotection et d'hypercontrôle sont susceptibles d'intervenir dans la genèse du trouble anxiété de séparation :

- soit directement,
- soit en favorisant le développement d'un style d'attachement anxieux,
- soit encore en interagissant avec le tempérament de l'enfant.

Plus globalement, les attitudes parentales de surprotection et d'hypercontrôle peuvent interférer avec les processus d'acquisition par l'enfant de compétences sociales et de stratégies de résolution de problèmes efficaces, entraînant ainsi chez lui des difficultés à faire face aux événements de la vie stressants.

Elles peuvent entraîner chez l'enfant des doutes sur sa valeur personnelle et un manque de confiance dans ses capacités de réussite (24).

- Acquérir l'estime de soi,
- apprendre à faire face aux événements de la vie,
- à résister aux pressions sociales,
- apprendre à s'affirmer,
- à négocier,
- à résoudre les problèmes interpersonnels,
- s'impliquer dans la vie communautaire,
- développer ses centres d'intérêts

sont autant de domaines au travers desquels l'enfant doit pouvoir appréhender ses propres limites mais aussi découvrir ses ressources personnelles pour y faire face.

Les enfants produisent spontanément des mécanismes d'adaptation. Ils sont inventifs pourvu qu'on les aide à mettre en mouvement leurs capacités créatrices ?

Au contraire, 

- en excluant la spontanéité des expériences vécues par l'enfant,
- en l'empêchant d'expérimenter ses propres capacités d'adaptation,
- en l'empêchant d'expérimenter son aptitude au compromis,

l'enfant va progressivement apprendre à faire ce qu'il pense qu'on attend de lui. Il va progressivement apprendre à ressembler à l'enfant imaginaire que les parents portent en eux, répondant à tout ce qu'ils attendent de lui. Ce faisant, l'enfant ne pourra fonctionner de manière adéquate qu'en référence au modèle de ses parents. Dans les situations requérant sa participation active, dans les relations de la vie quotidienne, à l'école ou ailleurs, il risque d'être mis en difficulté s'il ne trouve pas dans l'environnement les conditions nécessaires au maintien de son équilibre.

Les comportements de dépendance, d'agrippement et de recherche de proximité physique, qui se manifestent dans le trouble anxiété de séparation, peuvent ainsi être encouragés par les attitudes parentales. (…)

De telles attitudes de surprotection et d'hypercontrôle se rencontrent fréquemment chez les parents qui présentent eux-mêmes des troubles anxieux.

Mais elles peuvent aussi être induites par l'enfant : les réponses affectives et le style éducatif des parents dépendent en partie des caractéristiques individuelles de l'enfant. Elles peuvent ainsi être induites par les traits de tempérament que présente l'enfant. Avoir un enfant inhibé, timide et réservé peut conduire certains parents à le surprotéger en lui évitant toute confrontation aux situations qui le gênent et le mettent mal à l'aise, et ce d'autant plus que l'enfant est jeune.

De même, elles peuvent être induites par des événements tenant à l'histoire de l'enfant. Avoir un enfant fragile (ou pensé comme tel), prématuré, handicapé ou malade, ou un enfant « précieux », né après le décès d'un autre enfant, ou par insémination artificielle peut conduire certains parents à adopter envers lui des attitudes de surprotection anxieuse.

Mais vouloir toujours nourrir son enfant plutôt que de l'aider à apprendre à se nourrir c'est aussi risquer de e conduire à mourir de faim si l'on est plus là. (p. 128-130)


Référence

Daniel Bailly, La peur de la séparation. De l'enfance à l'âge adulte, Odile Jacob, Paris, mai 2005. La présentation du texte ici proposé est le fait de l'auteur de ce blog.

lundi 10 octobre 2011

L'ocytocine, le comportement pro-social et la structure hypothalamo-limbique du cerveau humain.



Un allèle commun du gène du récepteur de l’ocytocine (OXTR)
a un effet sur le tempérament pro-social,
ainsi que sur la structure humaine hypothalamo-limbique et sa fonction.


Auteurs :

- Heike Tosta, à qui toute correspondance peut être adressée (courriel : tosth@mail.nih.gov ou a.meyer-lindenberg@zi-mannheim.de) ;
- Bhaskar Kolachana, de la Branche clinique des troubles du cerveau, programme « Gènes, cognition et psychose », de l’Institut national de la santé mentale, Instituts nationaux de la santé, département de la santé et des services humains, de Bethesda au Maryland (20892) ;
- Shabnam Hakimi, id.
- Hervé Lemaitre, id.
- Beth A. Verchinski, id.
- Venkata S. Mattay, id.
- Daniel R. Weinberger, id.
- Andreas Meyer–Lindenberg, du Département de psychiatrie et de psychothérapie de l’Institut central de santé mentale, de Mannheim (68159), en Allemagne, à qui toute correspondance peut être adressée (courriel : tosth@mail.nih.gov ou a.meyer-lindenberg@zi-mannheim.de)

Article préparé pour la publication par Robert Desimone, de l’Institut de Technologie du Massachussets, de Cambridge, au Massachusetts, et approuvé le 25 juin 2010 (reçu pour évaluation le 12 mars 2010).


Résumé.

L’ocytocine, un neuropeptide favorablement conservé par l’évolution, est un médiateur clé du comportement social et émotionnel chez les mammifères, y compris les humains. Une variante commune (rs53576) du gène du récepteur de l’ocytocine a déjà été reliée à des phénotypes socio-comportementaux, tels que la sensibilité maternelle et l’empathie, ainsi qu’à des troubles neuropsychiatriques associés à des insuffisances sociales, mais les mécanismes neuraux intermédiaires reste inconnus. Ici, nous utilisons la neuro-imagerie multimodale pour un large échantillon de sujets humains en bonne santé, afin d’identifier les altérations structurelles et fonctionnelles chez les porteurs de l’allèle risque OXTR, et leur lien avec le tempérament. L’activation et le couplage de l’amygdale durant le traitement de signaux sociaux émotionnellement repérables furent significativement affectés par le génotype. En outre, il est ressorti la preuve d’altérations structurelles dans les régions clés ocytocinergiques, particulièrement dans l’hypothalamus. Ces caractéristiques neurales prédisent de plus bas niveaux de dépendance à la récompense, précisément chez les porteurs masculins de l’allèle risque. Nos résultats identifient des mécanismes dépendants du sexe et ayant un effet sur la structure et la fonction des circuits hypothalamo-limbiques qui sont potentiellement significatifs du point de vue clinique et translationnel.


Références.

- Version anglaise originelle du texte présenté ci-dessus.
- Article complet en anglais : "A common allele in the oxytocin receptor gene (OXTR) impacts prosocial temperament and human hypothalamic-limbic structure and function."

L'ocytocine et les ressources psychologiques.

 
Le gène (OXTR) du récepteur de l’ocytocine
est lié aux ressources psychologiques.


Auteurs :

- Shimon Saphire-Bernstein, département de psychologie de l’Université de Californie, à Los Angeles (CA 90095) ;
- Baldwin M. Way, département de psychologie de l’Université de l’État d’Ohio, à Columbus (OH 43210) ;
- Heejung S. Kim, département de psychologie de l’Université de Californie, à Santa Barbara (CA 93106) ;
- David K. Sherman, département de psychologie de l’Université de Californie, à Santa Barbara (CA 93106) ;
- Shelley E. Taylora, département de psychologie de l’Université de Californie, à Los Angeles (CA 90095), à qui toute correspondance doit être adressée (courriel : taylors@psych.ucla.edu).

Article signé par Shelley E. Taylor, le 10 août 2011 (envoyé pour évaluation le 9 mai 2011)

Résumé : 

Les ressources psychologiques — optimisme, maîtrise, et estime de soi — amortissent les effets délétère du stress et permettent de prédire les conséquences relatives à la santé, du point de vue neurophysiologique et psychologique. On a montré que ces ressources peuvent être grandement héritées, même si les fondements génétiques de cette héritabilité demeurent inconnus. Ici, nous rendons compte d’un lien existant entre le récepteur de l’ocytocine (OXTR) SNP rs53576 et les ressources psychologiques, lien tel que les porteurs de l’allèle « A » manifestent des niveaux plus bas d’optimisme, de maîtrise et d’estime de soi, par rapport à des homozygotes G/G. OXTR a été également associé à une symptomatologie dépressive. L’analyse de médiation indique que les effets de OXTR sur les symptômes dépressifs peuvent être largement attribués à l’influence de OXTR sur les ressources psychologiques.

Référence. 

- Version anglaise originelle du texte présenté ci-dessus.
- Article complet en anglais : "Oxytocin receptor gene (OXTR) is related to psychological resources"

lundi 29 août 2011

Les sentiments de malaise du psychisme, selon N.-V. de Latena, 1844.



SECTION III.

DES DIVERSES IMPRESSIONS PRODUITES SUR UNE ÂME FAIBLE PAR L'APPARENCE OU L'IMMINENCE D'UN DANGER.


Crainte, inquiétude causée par la prévision d'un événement fâcheux, ou gène de l'âme en présence d'un pouvoir qui impose.

La crainte se règle sur la conviction de la grandeur et de l'imminence du danger, ou sur la sévérité de la personne dont on subit l'ascendant.

Appréhension, idée d'un danger encore incertain.

L'intelligence qui a conçu des motifs d'appréhension, cherche les moyens d'en détourner la cause, et conserve ordinairement assez de calme pour les trouver.

Alarme, émotion excitée par l'approche subite d'un péril réel, ou par un péril imaginaire.

L'alarme, effet de la surprise, laisse peu d'empire à la réflexion, et s'abandonne à des démonstrations qui la propagent.

Peur, défaillance de l'âme, à l'aspect, ou à la seule pensée d'un danger, sentiment intime que l'amour-propre parvient souvent à cacher ; mais qui n'en fait pas moins battre le cœur et chanceler la raison.

La peur rend cruel. Elle exagère les périls, se croit toujours en état de légitime défense, et frappe, les yeux fermés.

On parle, avec plaisir, de ses dangers passés, soit pour exciter l'intérêt, soit pour faire croire à son courage. Plus on a eu peur, plus ce plaisir est grand.

Frayeur, peur pénétrante, intime, expansive. Les organisations sensibles et délicates en sont subitement atteintes, à la vue, ou seulement à l'apparence d'un péril inopiné. La frayeur se manifeste par des exclamations, par des gestes désordonnés, et même par la fuite. Quand on devient un peu plus calme, souvent on rit de sa frayeur.

La frayeur est si insensée, que, pour vous faire éviter un danger imaginaire, elle vous précipite dans un danger réel.

Terreur, profond abattement de l'âme devant un grand péril ou quelque événement mystérieux qui peut le faire craindre; sorte de paralysie de l'esprit et des sens qui empêche également de combattre et de fuir.

Effroi, sentiment qui étreint et glace le cœur, quand on est témoin d'une catastrophe imprévue, ou d'un attentat horrible dont soi-même on se croit menacé (1).

8° L'Épouvante succède à l'effroi, quand on est atteint par l'événement qui l'avait inspiré, et quand on n'entrevoit plus aucun moyen de salut.

Le danger qui a donné l'alarme peut aussi, en se réalisant, faire naître l'épouvante, et la rendre contagieuse.

SECTION IV.

DES DIVERSES SORTES DE MALAISE ET DE SOUFFRANCE INTIME DE L’ ÂME.


Ennui. L'ennui est, chez l'homme, le vide du cœur et de l'esprit, le regret d'une âme abattue, ou le désir indéterminé d'un égoïsme apathique. C'est aussi la prostration morale qui suit l'abus des jouissances physiques. C'est quelquefois enfin le sentiment amer que laissent les déceptions de l'orgueil.

L'ennui devient une maladie chronique dans les cœurs froids et sans ressort. Le mouvement des passions peut produire la souffrance et le désespoir, jamais l'ennui.

Plaignez l'homme qui n'a pas un but ; car l'incertitude de sa marche doit, tôt ou tard, produire en lui la fatigue et le dégoût de la vie. Nous avons vu quelle est la pernicieuse influence de l'ennui sur le cœur de la femme. Les âmes bienfaisantes, par nature, ne connaissent jamais cette atonie morale. Le désir d'être utiles, et le bonheur d'y parvenir remplissent leur existence. Les autres ne peuvent éviter l'ennui que par le travail, l'ambition, ou de dangereux plaisirs.

On résiste plus facilement à la douleur qu'à l'ennui. Quand on lutte contre les souffrances, on ajoute à la vie le prix des efforts qu'elle coûte; et l'on veut ensuite conserver ce qu'on a défendu. Mais quand l'ennui s'empare d'une âme, il en détruit l'activité, les penchants, les affections; et, s'il ne parvient seul à tuer le corps, il a quelquefois recours au suicide.

On doit plus compter sur la bonté que sur l'esprit d'une personne que tout amuse : mais il n'est pas facile de savoir ce qui l'emporte de la sécheresse du cœur, ou de la stérilité de l'esprit de celle que tout ennuie.

Souci, préoccupation causée par de tristes réflexions, par la gêne d'une position difficile, ou par la crainte de quelque événement fâcheux.

Trouble, désordre momentané qu'excite, dans l'esprit et dans les sens, l'impression vive et inattendue d'un fait ou d'un mot accusateur, d'une nouvelle qui déconcerte des projets et des espérances.

Embarras, incertitude de l'esprit, dans une circonstance qui exigerait une prompte décision. La lenteur ou la mobilité, et le défaut de netteté de l'esprit sont les principales causes de l'embarras. La faiblesse et la crainte y ajoutent l'irrésolution. L'embarras se trahit par l'hésitation de la parole, par la fixité d'un regard sans but, et par la nonchalance, ou l'activité maladroite du corps. Un événement imprévu peut causer quelque embarras ; mais un esprit vif et une âme forte l'ont bientôt surmonté.

Perplexité, irrésolution pénible d'un esprit obligé de faire un choix entre deux partis, entre deux sentiments, et qui ne trouve que le doute au bout de l'examen.

La perplexité est souvent une lutte entre le cœur et la raison.

Regret, retour pénible vers le passé, serrement de cœur produit par le souvenir d'une faute, par la privation d'un plaisir, par une espérance, une illusion détruites et par la perte des objets de nos affections ou de nos goûts.

Peine

Tribulations, peines diverses et multiples dont le poids accable les âmes débiles [fragiles], et fait chanceler les âmes fortes.

Certaines existences paraissent vouées aux tribulations, et ne peuvent trouver le courage de les supporter que dans une pieuse résignation.

Chagrin, continuité d'une peine profonde, sentiment qui absorbe toutes les pensées, émousse tous les goûts et altère l'humeur. Le chagrin est sombre et taciturne. Il fuit les regards, et se complaît dans la solitude.

10° Tourment, profonde angoisse de l'âme, torture que lui causent le remords, la jalousie, l'ambition déçue, l'amour contrarié, et toute inquiétude vive et prolongée.

Les âmes froides ou légères ne connaissent guère le tourment ; les âmes trop sensibles l'éprouvent souvent sans raison ; les âmes fortes le dominent quelquefois, au point de l'oublier, ou l'aggravent, en voulant le cacher.

11° Douleur morale. La douleur physique frappe le corps, et réagit sur l'âme ; la douleur morale frappe l'âme, et réagit sur le corps. Ces deux sortes de douleurs sont presque inséparables, et sont, l'une à l'égard de l'autre, tantôt la cause et tantôt l'effet.

La douleur physique est une sensation : nous l'avons expliquée. La douleur morale est un sentiment : nous devons en indiquer les principaux effets.

La douleur morale est le profond regret, le vide affreux que produisent, en nous, la perte de nos plus chères affections et les déceptions du cœur, ou même de l'amour-propre. Quand l'âme est vaincue par le chagrin, elle se replie sur elle-même, et s'abandonne à la douleur morale. L'empire de ce sentiment est subordonné à l'âge, à la santé et au caractère de chaque individu. L'enfance est trop insensible pour y être soumise ; la jeunesse y échappe par sa légèreté ; et si, dans la vieillesse, la personnalité tend à l'accroître, l'affaiblissement de la sensibilité le tempère. Mais c'est sur l'âge mûr que la douleur morale sévit avec toute sa cruauté. (…).

L'immobilité matérielle semble assoupir la douleur physique ; et, quand une main cruellement secourable cherche à donner au malade une position meilleure, chaque mouvement excite en lui une souffrance aiguë, et lui arrache un cri de détresse. De même l'isolement permet à la douleur morale de ronger le cœur par une action lente et presque insensible ; tandis que les empressements d'un intérêt irréfléchi en remuent les fibres engourdies, et lui causent un déchirement affreux. Les âmes vivement affectées s'irritent des consolations, comme d'un sacrilège, ou en souffrent, comme d'un coup porté sur une plaie saignante. Elles ne reçoivent, avec reconnaissance, que le délicat hommage du silence et des larmes.

Les consolations du monde ne sont bonnes qu'à mettre plus à l'aise le respect humain. La douleur qu'elles soulagent aurait bien pu s'en passer. (…).

La douleur dispose à la personnalité. Mais quand celui qui souffre a le courage de travailler au bien-être des autres, il sent aussitôt réagir sur son cœur le bien qu'il leur a fait.

Pourquoi les âmes s'unissent-elles plus étroitement dans la douleur que dans le plaisir? Parce qu'on se soulage, en faisant partager l'une, et que l'on craint de se priver, en faisant partager l'autre.

La douleur comble la distance entre le grand qui souffre et l'humble qui pleure avec lui. (…).

Pour les âmes faibles, la plainte est un soulagement ; car elle fait espérer un secours : pour les âmes fortes, c'est une douleur de plus ; car c'est un aveu d'impuissance. (…).

Le monde n'estime que les heureux ; et les rieurs sont toujours contre ceux qui se plaignent. Il est donc sage et digne de garder pour soi le secret de ses douleurs ; mais elles pèsent moins, quand un ami nous aide à les porter. (…).

Les souffrances imaginaires sont réelles, pour celui qui les sent. Il est cruel de s'en moquer. Les effets en sont d'autant plus redoutables qu'ils ne s'arrêtent pas au possible. On espère guérir d'un mal dont la cause est connue ; mais on se tue pour échapper à des tourments qu'on ne saurait expliquer. Quand le secours d'une raison bienveillante ne parvient pas à les calmer, l'ironie, en piquant l'amour-propre, peut quelquefois inspirer le courage de les vaincre. Ce remède est dangereux ; car, s'il ne guérit, il peut pousser au désespoir.

La jeunesse pleure amèrement la perte d'un ami, et s'en console, parce qu'elle en a, ou en trouvera un autre; qu'elle est distraite de sa douleur par l'attrait des plaisirs et la mobilité de ses impressions ; et que la mort lui semble, pour elle-même, un accident invraisemblable.

Le vieillard, qui voit tomber autour de lui les amis de son enfance, sait qu'il ne les remplacera pas, et que le terme de sa vie ne peut être éloigné. À cette pensée, un frisson parcourt ses veines, et la peur de mourir lui fait oublier ses regrets.(…). 

Une âme en proie à la douleur morale s'irrite de tout ce qui n'est point en harmonie avec ses sentiments. Un accent de joie, l'éclat d'un beau ciel, le calme d'une riante nature, l'épanouissement des fleurs, et le chant des oiseaux la blessent, comme une amère dérision. (…).

12° Malheur. Le malheur est un ensemble de maux qui pèsent sur l'âme. Il s'empare quelquefois de toute une existence, au point de faire croire à la fatalité ; et l'on meurt sans arriver aux chances favorables. C'est le sort d'un joueur dont la fortune s'est épuisée, avant la fin de sa mauvaise veine. S'il eût pu prolonger la partie, l'équilibre se serait peut-être rétabli. Cependant il est trop ordinaire de méconnaître l'influence que l'on exerce sur sa propre destinée, et d'en accuser des causes occultes. Que chacun juge froidement toutes ses actions, et il se convaincra souvent qu'il doit la plus grande partie de ses maux à ses erreurs ou à ses fautes. (…). 

Une prévoyance excessive gâte le bonheur présent et anticipe les peines éloignées, quand elle n'en crée pas d'imaginaires. Si la force d'âme nous fait supporter des maux irréparables, ne peut-elle renfermer les craintes de l'avenir dans le cercle des probabilités, et nous permettre ainsi de jouir du bien sans nous désarmer contre le mal ?

Quand le malheur est la suite d'une faute, il est bien cruel ; car la résignation vient difficilement à son aide, et il s'exaspère sans cesse par le regret ou le remords.

Le devoir est la force du malheureux, et l'espérance, sa consolation. (…).


SECTION V.

EFFETS VISIBLES DES SOUFFRANCES DE L’ÂME.


§. I. — Manifestations silencieuses.

Stupeur, engourdissement momentané de l'âme et des sens, espèce de syncope de l'esprit causée par l'étonnement ou la terreur.

Consternation, profond accablement de l'âme, à la vue d'une grande calamité, ou d'une catastrophe. Dans une même conjoncture, la première impression peut être la stupeur, et la seconde, la consternation.

Tristesse et mélancolie. La tristesse est le deuil de l'âme, le voile sombre dont la couvre un sentiment douloureux, ou bien une disposition naturelle à redouter la souffrance et à la trouver autant dans la crainte que dans la réalité.

Les signes apparents de la tristesse sont l'abattement, la morne expression du regard, le silence et l'amour de la solitude.

La tristesse énerve [affaiblit] l'âme, éteint l'esprit et donne du dégoût pour la plupart des objets qui ont coutume d'exciter le désir. Elle attiédit toutes les affections,... toutes, excepté l'amour.

La mélancolie est la sensibilité concentrée dans une tristesse habituelle, le découragement d'un cœur sans espérance et le reflet d'un passé douloureux sur le présent et sur l'avenir.

La tristesse se laisse distraire. Elle cède insensiblement à l'action du temps ; et, quand elle disparaît, un regret, ou un simple souvenir en marque le passage.

La mélancolie ne comprend pas le plaisir, et s'isole au milieu de la joie. Elle aime la rêverie, ne voit qu'un repos dans l'affaissement de l'âme, et ne veut pas guérir. Si un bonheur inespéré peut l'affaiblir, il ne peut l'effacer.

La tristesse est tantôt un mal accidentel, tantôt un mal constitutif dont l'excès peut inspirer le désir de la mort. La mélancolie est une douleur résignée où l'âme trouve quelquefois une sorte de douceur, mais qui, creusant toujours la même pensée, peut finir par y abîmer la raison.


§. II. — Manifestations vives ou violentes.

Contrariété, mécontentement et déplaisir de l'âme, à l'aspect des difficultés qui retardent, ou des obstacles qui rendent impossible l'accomplissement de ses désirs.

La force intelligente et digne supporte, sans murmure, les contrariétés; mais la faiblesse, stimulée par la personnalité, en témoigne une impatience puérile qui va jusqu'à l'irritation contre les objets inanimés et les lois de la nature.

L'âme s'indigne des petites contrariétés dont elle eût pu se préserver par un peu d'adresse ou de prévoyance. Mais elle se courbe sous le poids des grands malheurs où elle sent une cause supérieure à la puissance humaine.

Inquiétude, appréhension d'un danger déterminé, mais souvent imaginaire.

Les âmes tendres ne sont jamais sans inquiétude sur le bonheur de ceux qu'elles aiment, ni les âmes jalouses sur les sentiments qu'elles inspirent.

Anxiété, violente agitation d'une âme qui se croit menacée de quelque malheur prochain, sans s'expliquer par quel côté elle sera frappée. Quand, par hasard, un événement fâcheux vient justifier l'anxiété, on ne manque guère de l'appeler pressentiment.

Avec une grande sensibilité et une imagination mobile, on a toujours quelque motif d'anxiété; car on trouve probable tout ce qui est possible.

Affliction, état d'une âme tendre que le chagrin accable, et qui n'a plus la force de se relever. L'abattement que l'affliction produit est entretenu par le respect des souvenirs. La volonté n'y cherche point d'adoucissement; mais le temps, qui crée et détruit toutes choses, l'apporte, tôt ou tard, et sait le faire accepter.

Désolation, vive expansion des grandes souffrances de l'âme.

Lorsqu'une âme sensible et faible est frappée d'un malheur imprévu, toutes ses facultés s'exaltent, et font éclater, par la désolation, sa peine et ses regrets. La violence de cet état en fait pressentir le terme ; et bientôt, au milieu des larmes et des sanglots, la nature épuisée retombe dans un calme qu'elle aurait longtemps attendu de la seule raison.

Désespoir, état produit par le dernier degré de la souffrance, convulsion de l'âme, qui brise tous les liens de l'affection et du devoir, répugnance profonde pour toute espérance, excepté celle de la mort.


Note.

(1) Si nous sommes à l'abri du danger, nous n'éprouvons que de l'horreur.

Référence. 

Nicolas-Valentin de Latena, Étude de l'homme, Garnier Frères, Paris, 1854, p. 275-293.

jeudi 30 juin 2011

Propositions de thérapie cognitive et comportementale de la timidité, par Cl. Goth, 1914.



Moyens propres à enrayer et à guérir les maladies de l'aplomb.


L'impressionnabilité vaniteuse.

C'est, nous l'avons vu la conviction qu'ont la plupart des timides, de l'importance attachée à leurs faits et gestes, qui les rend si faciles à déconcerter.
Il est certain que le même timide qui se trouble à tout moment, et semble à peine capable de se conduire sans gaucherie, au milieu de ses camarades ou des gens qui forment le cercle de ses relations, retrouve tout son aplomb quand il se voit au milieu de gens inconnus et surtout quand il se croit sûr de n'être pour eux qu'un anonyme.
Cette impression est si profonde qu'on a vu maints écrivains obtenir de véritables succès sous des pseudonymes alors que sous leur nom, ils ne produisaient que des choses médiocres.
La raison de cette anomalie n'est autre qu'une vanité exagérée, greffée sur une grande faiblesse de caractère.
Le souci de leur amour-propre, la crainte des railleries et surtout l'appréhension de ne pas briller suffisamment, tous ces sentiments joints à la débilité morale qui ne permet point de réagir, amènent une nervosité que les timides connaissent bien et dont ils redoutent l'apparition, au point que cette crainte même finit par créer un état nerveux bien propice à provoquer l'apparition des inconvénients qui les mettent au supplice.

Le seul remède efficace contre cet état d'impressionnabilité est de rejeter le plus possible sa personnalité propre pour cultiver l'anonymat,

Par exemple, M. A. , se trouve atteint de la tare dont nous parlons et il en souffre d'autant plus qu'il se sait possesseur de certains moyens qu'il serait heureux de faire valoir ; mais la maladie de l'aplomb que nous décrivons ici le tient : en proie à tous les sentiments déjà cités, il ne peut maîtriser l'appréhension, la confusion, l'humiliation qui le paralysent complètement, dès qu'il se sent observé.

Que doit-il faire ?

Réfléchir et se dire que si M. A est prêt à mourir de dépit et de honte à l'idée d'un échec ou d'une exhibition ridicule, ce même M. A. verrait d'un œil indifférent M. B. subir ces humiliations.
De là à adopter dans la mesure du possible — le personnage de M. B. il ne doit pour lui se présenter aucune hésitation.
Il s'efforcera donc de se trouver dans un milieu où il est complètement inconnu, ou bien il adoptera un pseudonyme ; cela est très facile et tout à fait admis pour ceux qui veulent avoir un contact avec le public.
Ce n'est donc plus M. A qui sera en cause, mais M. B. un inconnu, dont les gaucheries n'atteindront pas le renom de M. A.
Fort de cette sorte d'anonymat, M. A. fera mouvoir M. B sans crainte ; il se verra débarrassé de l'appréhension et sa nervosité s'éteindra peu à peu.
Il commencera d'abord par fréquenter des milieux ou M. B. lui-même est un personnage sans importance et ce sentiment lui donnera confiance et lui permettra de conserver un maintien aisé.
Puis il s'enhardira en voyant combien M. B. est sympathique et comme il lui est facile de passer inaperçu ; aussi ne se sentant pas observé, il perdra l'habitude des attitudes gênées, il parlera sans contrainte, en se mêlant d'abord à la conversation, puis en entreprenant de se faire écouter à son tour.
Ensuite il se donnera pour tâche d'y briller et chacun des succès de M. B sera une victoire pour M. A qui est bien décidé à ne prendre à son actif que les succès de ce personnage.
Dans cet effort, il perdra tous les jours un peu de son infériorité passée et conquerra quelque chose sur la maîtrise à venir. Il en viendra bientôt à revêtir sa nouvelle personnalité qu'il confondra avec la sienne et de ce jour-là il pourra se déclarer guéri.
À ceux qui diraient que ce moyen ne peut être mis en pratique par tout le monde, nous objecterons que dès qu'il s'agit de la guérison, une supercherie bénigne peut toujours être mise en jeu ; quant à ceux auxquels leur situation interdit le port d'un pseudonyme, il leur sera toujours facile — même avec la complicité d'un ami averti, ou, mieux encore avec celle du médecin — de fréquenter des milieux où ils seront complètement inconnus, Cela équivaut à l'anonymat et présente les mêmes avantages, car il suffit que M. A. soit convaincu par l'attitude de M. B. qu'il est un homme comme les autres et même supérieur à bien d'autres sur certains points, pour qu'il retrouve immédiatement les moyens qu'une vaniteuse débilité lui avait fait perdre.
Il acquerra encore la conviction qu'il peut être compris et apprécié selon ses mérites et il s'efforcera de les augmenter, afin d'obtenir les suffrages de ceux dont il redouta si fort les railleries.
Arrivé à ce point, le vaniteux est bien près d'être guéri et s'il veut appeler à son aidé l'énergie qui maintient les résolutions, il est certain du prompt succès.


La fausse honte.

Le remède contre la fausse honte différera peu, car cette maladie est basée sur un motif analogue
S'il est possible de prouver au malade qu'il passe inaperçu et si on parvient à lui démontrer qu'il n'a pas attiré l'attention, on arrivera peu à peu à dompter son appréhension, concernant le jugement des autres.
En outre, il sera bon pour lui de s'imposer une tâche, concernant la répression de son défaut.
Il s'étudiera à entrer dans les endroits où se trouve réunie une nombreuse assemblée et il adoptera un maintien simple et assuré.
Pour cela il travaillera avec soin son personnage : d'abord le matin devant sa glace, puis il s'efforcera de garder cette attitude pendant toute la journée ; aussitôt que son assurance l'abandonnera il corrigera son maintien en s'appliquant à prendre l'air naturel et dégagé.
Pour commencer, il choisira les endroits où il n'est pas connu, en sorte que ses gaucheries étant anonymes, elles n'auront pas le pouvoir de l'impressionner. Il lui serait même loisible, dans le cas où il aurait commis une maladresse, de changer de milieu, afin de n'être pas poursuivi par l'appréhension d'une rechute, vis à vis des mêmes personnes.
Les réunions publiques, les théâtres, les conférences seront autant de lieux où il pourra exercer ses tentatives.
Lorsqu'il aura pris l'habitude d'entrer avec naturel, de prendre place sans se déconcerter et de s'asseoir sans avoir à se reprocher une gaucherie, il pourra prendre l'initiative de quelques phrases de conversation, au cours desquelles il s'étudiera à conserver de l'aisance, en évitant à la fois la gêne ou la trop grande désinvolture, qui, étant donné son peu d'habitude de la mesure, ne tarderait pas à passer pour de l'outrecuidance; et c'est ce qu'il faut évitera tout prix.
Ce dont il doit surtout se garder, c'est de se sentir en disparité de sentiments avec les gens auxquels on s'adresse, car cette constatation ferait immédiatement naître la crainte de n'être
point compris, ce qui serait provoquer l'apparition de l'embarras.
Dès que le timide aura perdu le sentiment de son isolement moral, il n'aura plus de raisons pour rechercher la solitude et verra tout sous un jour plus riant ; les choses ne lui sembleront plus immuablement sombres et il pourra plus aisément éviter la maladie connue sous le nom de :


Pessimisme des timides.

Cette nuance de tristesse permanente, causée par les états de conscience du timide est encore augmentée par la notion de son infirmité, qui, s'il ne réagit pas, ne tarde pas à prendre les proportions d'une tare physique et apparente.
Il résulte de cette constatation une tendance à trouver dans tout une partie des défauts que l'on possède. Cela détermine une habitude de dénigrement qui s'étend du particulier au général et on trouve que tout va mal dans le monde, pour s'excuser d'être aussi imparfait soi-même.
C'est à travers ses défauts que le timide pessimiste aperçoit l'univers, aussi y trouve-t-il tout mauvais et déplorable, et finit par travestir la joie la plus franche en un motif de désenchantement.
Arrivé à ce point, le pessimiste touche à la neurasthénie et l'intervention du médecin du moral devient nécessaire.
C'est une erreur de penser que les distractions sont un remède toujours efficace. La plupart du temps, au contraire, le malade les repousse et s'entête dans sa misanthropie en niant les joies qui lui sont attribuées.
C'est au médecin à savoir opérer la diversion voulue, en étudiant le caractère et la nature du sujet.
On cite le cas d'un timide, poussant le pessimisme jusqu'à la neurasthénie, qui se trouva guéri par l'annonce de sa ruine imminente.
Les démarches qu'il dût faire à ce sujet le tirèrent de son habituelle torpeur et cet homme qui niait le pouvoir et les avantages de la richesse, se trouva si fort désolé d'être menacé de les perdre, qu'il tenta tout ce qu'il était possible d'entreprendre pour enrayer ce désastre.
Pendant ce temps, la maladie pessimiste, s'était envolée et il se réveilla de cette crise avec une fortune diminuée, mais riche d'un pouvoir inconnu jusque là : celui d'en jouir.
Le meilleur parti à prendre pour dissiper cette tendance des timides au pessimisme est de leur créer une diversion : joie, amour, haine, travail, etc., etc...
Un profond observateur a guéri un de ces malades en lui inspirant la passion de la collection et en le mettant au défi de trouver tel ou tel objet, dont la valeur d'origine était considérable.
D'autres ont su inspirer un sentiment de crainte et les facultés du timide tendues vers une appréhension spéciale, ont fait dériver les autres au profit de celle-là.
La condition essentielle est de sortir le timide de son apathie en lui prouvant qu'il peut encore prendre de l'intérêt à la vie.
Il serait cependant maladroit de lui démontrer son évolution avant qu'elle n'ait été entièrement accomplie, car le malade ne manquerait de nier les progrès et de s'empresser de les enrayer, ne serait-ce que pour prouver qu'il a raison.
Cette cure doit être entreprise avec un grand sens de la délicatesse et une grande connaissance des aspirations de celui que l'on veut guérir.


L'attitude factice.

Nous avons dit quels sont les sentiments qui la produisent il s'agit donc de faire disparaître ces sentiments ou d'en montrer l'inanité.
La besogne n'est pas toujours simple, car l'isolement moral du timide lui a créé une mentalité spéciale et le manque de contrôle lui interdit de comprendre le ridicule de l'attitude qu'il a choisie.
Il est donc nécessaire de l'amener de lui-même à en voir les côtés ridicules ; cependant il faut bien se garder de les lui démontrer brutalement, car on n'obtiendrait de lui qu'une retraite, encore plus farouche, au cours de laquelle les idées déformatrices prendraient en lui des racines trop nombreuses et trop solides.
Le sentiment de la mesure devra être celui qu'il s'agira de faire naître en lui, avec celui du naturel et de la simplicité.
Pour y parvenir, la tactique employée sera complètement différente de celle dont on se servira vis-à-vis des timides par vanité.
Au lieu de paraître les ignorer, on s'appliquera au contraire à exalter leurs actes, mais leur actes simples seulement ; on affectera de passer sous silence les exagérations de sentiment et de ne pas remarquer l'artifice de leur attitude.
Peu à pou on les amènera à discuter et ils en arriveront ainsi à subir le contrôle des idées d'autrui ; au contact des idées saines, les leurs se modifieront sans qu'ils s'en aperçoivent et le soulagement qu'ils en ressentiront, les aidera à supprimer toute tendance exagérée vers un merveilleux, qui prend trop souvent la forme du ridicule.
Mais il est indispensable d'amener ce changement sans qu'ils s'en aperçoivent, car la vanité de la faiblesse aidant, ils ne manqueraient pas d'affirmer leur attitude défectueuse, ne serait-ce que pour ne pas convenir de leur tort.
Le meilleur moyen est donc de leur suggérer l'attitude de la simplicité et leur propension à l'artifice des attitudes sera le meilleur complice du médecin, qui parviendra ainsi à son but en produisant chez le sujet le minimum de résistance.


La haine de l'effort.

Cette maladie, si commune parmi les timides, provient souvent d'un pessimisme, niant toute efficacité de l'action.
Elle est encore la résultante de la veulerie, gisant au fond de l'âme de tous ceux qui souffrent des maladies de l'aplomb.
L'abstention, lorsqu'elle ne repose pas sur une résolution arrêtée, découle toujours d'une paresse d'agir ou de penser qui, lentement se transforme en une impossibilité ; il est plus simple de ne rien faire ou de ne faire que le minimum d'efforts et ainsi s'enliser dans une inaction que l'on vante volontiers, tout en en souffrant profondément, car l'atonie physique entraîne le néant des résultats.
Une sage répartition de quelques exercices physiques et mentaux sera donc nécessaire pour remédier à ce manque d'énergie ; quelques occasions devront être fournies au sujet de sortir de son apathie ordinaire, pour entrer dans la voie d'une activité, qui, pour commencer devra être très mesurée.
Peu à peu on augmentera la durée des exercices, on multipliera les occasions, on mettra le malade en face de quelque résolution, dépendant uniquement de lui-même et fournissant matière à réflexion et si ce régime est adroitement préparé, l'indolent ressentira bientôt un tel soulagement, il éprouvera un tel bien-être physique et moral que l'achèvement de la guérison ne sera plus qu'une question de temps.


La pusillanimité.

Rien n'est plus déprimant que cette perpétuelle crainte, qui range le timide parmi les êtres inférieurs.
Elle est faite d'émotion, d'appréhension, de scrupules, de honte et de peur.
Il s'agit de combattre tous ces sentiments à la fois et de prouver au malade que ces craintes sont vaines. Pour cela les discours sont superflus ; il est besoin d'un traitement physique et d'un entraînement moral à la fois.
Le traitement moral consistera donc à feindre de ne point voir son émotion et à agir comme si elle ne s'était point produite.
S'il paraît s'étonner de ce manque de clairvoyance, on lui objectera qu'en effet, on s'est bien aperçu de son embarras mais qu'on n'a pas en l'idée de l'attribuer à un sentiment qui ne pouvait pas exister. Et on le remettra en face de l'émotion qu'il vient de ressentir ; s'il est possible même, on la suscitera de nouveau, ne serait-ce que pour lui en démontrer l'inanité.
Il faut agir avec lui comme on le ferait avec ces enfants peureux que l'on rassure en leur faisant toucher du doigt l'oripeau qu'ils ont pris pour un fantôme.
Simultanément on entreprendra de faire suivre au malade un traitement physique destiné à fortifier ses muscles ; on lui fera faire de longues promenades, au cours desquelles on lui donnera souvent l'idée de prendre une décision, soit qu'il s'agisse d'un changement de direction, d'une halte ou du choix d'une route, lui donnant ainsi occasion de vaincre l'hésitation ordinaire à tous les timorés ; enfin on cherchera par tous les moyens à développer les qualités d'endurance qu'on désirerait lui voir posséder. 
 
(...).

Les impossibilités physiques.

Pour tout ce qui regarde les phobies qu'une timidité extrême apporte avec elle, aussi bien qu'en ce qui concerne tous les cas que nous venons de citer, il est essentiel de faite suivre au sujet deux traitements simultanés, l'un tout à fait physique, l'autre entièrement moral.

Nous allons les décrire tous deux dans leurs grandes lignes.

Traitement physique.

L'hygiène bien entendue doit être le point de départ de ce traitement.
Il s'agira d'abord de pratiquer la respiration bien comprise, C'est le meilleur moyen de donner au cœur une impulsion plus ferme en facilitant l'action des poumons.
On s'exercera donc à respirer fortement et lentement, jusqu'au moment où les poumons sont emplis d'air, puis on conservera cet air pendant quelques secondes et on le rejettera lentement, en ayant soin d'élargir la cage thoracique en creusant l'abdomen,
Une dizaine de respirations profondes amènent un calme passager et si cet exercice est souvent renouvelé la propension à l'essoufflement et l'accélération des battements du cœur qui sont des malaises si fréquents chez les timides, ne tarderont pas à s'atténuer, diminuant ainsi les chances d'accès.
On s'exercera encore à conquérir l'assurance du regard, Il s'agit de développer la puissance du nôtre, en évitant de subir celle du regard d'autrui.
Il s'agira donc de fixer, d'abord des objets quelconques, avec la volonté exprimée tout haut d'assurer la puissance de son regard.
Ensuite on s'étudiera à regarder les gens auxquels on parle, non dans les yeux, de crainte de subir l'influence de leur regard, mais entre les deux yeux, à la racine du nez, afin d'éviter l'attirance de leurs regards, tout en leur faisant sentir la puissance du sien.
On s'appliquera encore à garder les paupières ouvertes, sans clignement et pendant cet exercice, on se gardera bien de penser à autre chose qu'à cette phrase que l'on répétera à haute voix :

« JE VEUX CONQUÉRIR L'APLOMB »

En même temps on entreprendra une lutte contre la gaucherie dont la conscience apporte un trouble certain dans la conduite, cri causant un désarroi qui se traduit toujours par la confusion.
On écartera le souvenir des exhibitions où l'on s'est couvert de ridicule, ou si l'on veut y penser, ce sera avec la ferme résolution d'en éviter le retour.
On s'exercera d'abord, après quelques exercices respiratoires, à ouvrir largement la poitrine en rejetant la tête en arrière et en étendant les bras, non par brusques saccades mais dans un mouvement très large et très rythmé.
C'est le défaut des timides de ne point accomplir leurs gestes, mais de les briser après les avoir ébauchés seulement.
Ensuite on se placera devant une glace et on cambrera les reins, en se donnant une attitude fière et aisée.
On fera quelques pas en conservant cette attitude et en contrôlant dans la glace son maintien absolu, puis on choisira une phrase et on la répétera en l'accompagnant de gestes sobres, mais toujours larges et non étriqués.
En répétant cette phrase — qui doit être prise dans le répertoire de celles que l'on emploie couramment — on s'observera soigneusement, en évitant tout balbutiement et en assurant son regard, ainsi que la correction de son maintien.
En même temps, dans tous les actes qu'on accomplira, on s'étudiera à éviter les mouvements carrés, étroits, qui sont ceux des timides ; dès qu'on se surprendra à en esquisser, on se mettra devant la glace et on répétera le mouvement en cherchant à lui donner de l'ampleur.
On s'appliquera encore à conserver une attitude harmonieuse dans tous les mouvements que l'on exécute, si simples soient-ils : en se coiffant, en nouant sa cravate ou en accomplissant toutes les menues besognes de la toilette, on aura soin de chercher à développer la grâce et l'harmonie du geste,
Dans la rue, on maintiendra cette attitude en portant (sans exagération, toutefois,) la tête haute, en marchant résolument et en regardant bien droit devant soi.
Si, dans les premiers temps, cette attitude semble trop difficile à conserver, on s'assignera un temps donné pour la garder et ce temps devra tous les jours être augmenté de quelques minutes, jusqu'à ce que ce maintien devienne naturel.
On ne doit pas oublier que le sentiment de leur gaucherie apparente est pour beaucoup dans les maladies de l'aplomb. En supprimant cette gaucherie, on parviendra donc à supprimer une des causes principales de la timidité.


Exercice raisonné (ou mental).

Le premier de tous doit être l'examen journalier, fait avec une sincérité qui ne laisse aucune place à la dissimulation,
Chaque phrase malheureuse sera reprise, chaque attitude commentée et ainsi se tracera le plan d'étude pour le lendemain.
On prévoira les entrevues que l'on doit avoir et les mots qu'il faudra prononcer et on s'endormira en se disant : Demain je ferai ou je dirai telle chose et je me promets d'avoir de l’aplomb.
Les mots ont une force attractive indéniable et s'endormir sur une résolution de ce genre, c'est créer une association d'idées qui ne peut qu'être favorable au plus haut degré.
L'exercice mental doit surtout se résoudre en une sorte d'affirmation de la volonté d'acquérir l'aplomb et cette volonté, renforcée par l'application et par les exercices physiques que nous avons décrits, ainsi que par les divers traitements que nous avons mentionnés, aura très vite raison de ces infirmités dont on sourit parfois, mais qui n'en sont pas moins de sérieux obstacles au bonheur de la vie : celles qu'on nomme : Les maladies de l'aplomb.

Clément Goth, Comment guérir les maladies de l'aplomb ?, Éditions Nilsson , Paris, 1914, p. 31-57.