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lundi 7 mai 2012

L'homosexualité selon Serge Moscovici, 1972


Serge Moscovici est né le 14 juin 1925, à Brăila, en Roumanie. Ex-directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris, il est le directeur du Laboratoire Européen de Psychologie Sociale à la Maison des Sciences de l'Homme de Paris. 

La théorie des représentations sociales, celle de l’influence sociale minoritaire et celle des choix collectifs et du consensus social sont les trois contributions les plus importantes de Serge Moscovici à la psychologie sociale européenne. Elles sont à l’origine de nombreux programmes de recherche, qui rendent compte des conduites individuelles et de celles des foules. Pour Serge Moscovici l’explication psychosociale doit tenir compte des liens entre l’individuel et le collectif, entre le sujet et le système. Cette conceptualisation fait de la psychologie sociale européenne une alternative à la psychologie sociale américaine, tant du point de vue théorique que méthodologique.

Si son travail est dominant dans le domaine de la psychologie sociale, son œuvre anthropologique est tout aussi remarquable. Lié à la création du département d’ethnologie de l’université Paris VII dans les années 1970, il a marqué toute la génération de 1968, tant écologiste que féministe. En novembre 2003, Serge Moscovici s'est vu décerné le Prix Balzan pour l'ensemble de son œuvre en psychologie sociale. 

Il est le père de l'homme politique socialiste Pierre Moscovici. (Sources : Wikipedia et le site psychologie sociale.com)



« Les différentes formes de hiérarchie n’ont rien de gratuit, et les conséquences qu’elles entraînent pour ceux qui en bénéficient sont certaines. 

Les animaux qui occupent une place élevée sont aussi ceux qui ont une chance de survie, au sens strict comme au sens sélectif, puisqu’ils peuvent avoir des liens hétérosexuels et se reproduire. 

Par contre, les individus subordonnés, les jeunes mâles adultes ou sub-adultes en particulier, sont forcés de quitter le foyer du groupe. Sur eux s’exerce une pression à l’homosexualité, au sens littéral aussi bien que dans le sens d’une sorte d’initiation à une vie qui se déroule surtout avec leurs congénères du même sexe. Leur réunion avec des femelles est difficile et implique pour eux un risque d’agression. Même quand cette possibilité leur est offerte, la surveillance des animaux hégémoniques ne se relâche guère et il est hors de question de former un couple normal. » (p.67 de l'édition de la collection : « Les classiques des sciences sociales.)

 
« La lutte des sexes façonne non seulement l’hétérosexualité mais aussi l’homosexualité. 

Dans les sociétés de primates, celle-ci constitue une solution positive à la tension qui oppose les générations. 

Le jeune mâle, le subordonné recherche et obtient la protection de l’adulte ou du supérieur par des cérémonies où il adopte une posture féminine et subit de la part de ce dernier un assaut sexuel symbolique ou réel. 

Les congrégations masculines y vivent obligatoirement, ouvertement, dans un cadre homosexuel requis par l’état de non reproducteur. La reprise de la cohabitation avec les femelles a lieu dès que l’occasion s’en présente. 

L’initiation des garçons, dans les sociétés humaines, confère aux conduites homosexuelles une signification nouvelle en les dissimulant ou en les sublimant, moins aux yeux des hommes qu’à ceux des femmes

L’atmosphère d’une initiation est celle de la rupture, de la lutte, du passage. L’enfant est mis devant un choix, ou plutôt un choix lui est imposé entre deux groupes de parents, deux loyautés, deux modes d’existence. 

L’une des issues a probablement été la masculinité homosexuelle. Identification complète à la société des hommes, adhésion à ses contrats rigoureux et secrets, complicité dirigée contre les femmes, cet état idéal suppose la non-intelligence totale avec l’autre sexe. Il rejette le contact avec l’impur, l’inférieur, dispense du regret et de la culpabilité, introduit l’homme dans la compagnie de ses égaux. Le monde masculin se clôt sur lui-même ; il échappe à la dépendance, se soustrait au conflit, à l’interdit de l’inceste et à la raison qui l’a motivé. 

L’autre issue, l’homosexualité masculine, laisse les hommes vivre dans le monde féminin sans contrevenir aux règles en vigueur ni en compromettre l’application. Elle se constitue en-deçà de la rupture que représente l’initiation, dans le refus de la subir au prix d’une rupture, d’une sortie du groupe, d’un retournement contre les mères et les sœurs. L’individu déchiré par les sacrifices et les épreuves exigés de lui, haïssant le jeu de la ruse et de la mort qui fait de lui l’adversaire de celles pour et par lesquelles il est vivant, tend à un compromis, s’efforce d’unir les deux sexes en un seul

Complétant l’hétérosexualité ou s’y opposant, l’homosexualité est le résultat des interdits, des rituels et des antagonismes qui les entourent. Elle instaure en quelque sorte un troisième sexe, synthèse, au sens chimique, des deux autres. On peut y voir une réponse normale à des conditions psychiques et sociales concrètes ; elle n’a ni disparu, ni « guéri », au cours de l’histoire des sociétés et des individus, comme le ferait une malformation ou une maladie que l’on peut diagnostiquer et soigner.  

Elle fait néanmoins l’objet d’une surveillance dont la direction confirme l’importance relative de la place occupée par chaque sexe. Étant donné que les hommes sont au centre de la société et les femmes à la périphérie, l’homosexualité de ceux-là est plus localisée, et plus lourdement sanctionnée, le cas échéant, que l’homosexualité féminine, plus diffuse, et finalement tolérée. 

Pour l’homme, en effet, ne pas avoir de femme, c’est rompre les liens primordiaux avec les autres hommes, perturber la marche ordonnée du corps social, voir sa position dans la société abaissée. Les femmes, au contraire, ne sauraient, quels que soient leurs goûts et leurs conduites, troubler un ordre dont elles n’occupent que la partie domestique. 

L’hétérogénéité des sexes aboutit au contraste des sexualités. Ces diverses constellations ont dû être aménagées, travesties et embellies par les civilisations successives. Le mot amour les a couvertes de toute son ambiguïté, les images de la virilité et de la féminité ont forgé, sinon la réalité, à tout le moins les idéaux de l’espèce. » (note 9 de la 3e partie, p. 380-381 de l'édition de la collection : « Les classiques des sciences sociales.)

Références.

Serge Moscovici, La société contre-nature, Union générale d’édition, Collection 10/18, Paris, 1972.

mercredi 14 septembre 2011

L'homosexualité, dans le monde et dans l'histoire, selon E. Westermarck, 1908.

The origine and development of the moral ideas par Edouard WESTERMARCK, Ph. D., 2 vol. grand in-8, Macmillau & Cie, éditeurs, rue St-Martin, Londres, 1908, p . 456-489.
(Nous remercions bien sincèrement M. Westermarck et ses éditeurs qui ont bien voulu autoriser cette traduction et sa publication dans les Archives).
(CHAPITRE XLIII, traduit par le Dr ÉPAULARD, Médecin-Major de l'armée.)
Notre revue des idées morales concernant les relations sexuelles n'est pas encore terminée. La satisfaction de l' instinct sexuel prend des formes qui vont au delà des limites ordinaires tracées par la nature. Il en est une. parmi elles, qui, par suite du rôle qu'elle a joué dans l'histoire de l'humanité, ne peut être passée sous silence : il s'agit des relations entre gens du même sexe, ce qu'on nomme ordinairement, aujourd'hui, l'amour homosexuel.
On le rencontre fréquemment chez les animaux inférieurs (1). Il se retrouve probablement, au moins de façon sporadique, dans toute l'espèce humaine (2). Chez quelques peuples, il a pris de telles proportions qu'il constitue une véritable habitude nationale.
En Amérique, les coutumes homosexuelles ont été observées chez un grand nombre de tribus indigènes. Presque partout, sur ce continent, il semble avoir existé, depuis les temps anciens, des hommes qui s'habillaient avec des vêtements de femme, en remplissant le rôle et vivant avec d'autres hommes en manière de concubines ou d'épouses (3). Bien plus, entre jeunes gens camarades d'armes, on voyait des liaisons d'amitié qui, suivant Lafitau « ne laissent aucun soupçon de vice apparent, quoiqu'il y ait, ou qu'il puisse y avoir, beaucoup de vice réel (4) ».
Les pratiques homosexuelles sont, ou ont été. très en honneur chez les peuplades du voisinage de la mer de Behring (5). À Kadiak, c'était une coutume pour les parents qui avaient un fils d'allure féminine de l'habiller et l'élever comme une fille, l'occupant uniquement de soins domestiques, le conservant pour les ouvrages de femme et ne le laissant fréquenter que les femmes et les jeunes filles. A l'âge de dix ou quinze ans on le mariait à quelque homme riche et on l'appelait achnuchik ou schoopans (6).
Le Dr Bogoraz donne le renseignement suivant sur une pratique analogue des Chukchi : « Il arrive fréquemment que, sous l' influence surnaturelle d'un de leurs shamansou prêtres un Chukchi de l'âge de seize ans abandonne tout d'un coup son sexe et s'imagine qu'il est une femme. Il adopte les vêtements féminins, laisse croître ses cheveux et se consacre entièrement à des occupations féminines. De plus, ce renégat de son sexe prend un mari, fait tout le travail qui incombe à l'épouse et reste de bonne volonté dans la sujétion la moins naturelle. Il arrive fréquemment dans un Yurt que le mari est une femme et que l'épouse est un homme ! Ces interversions anormales de sexe impliquent l' immoralité la plus abjecte dans cette union et paraissent être fortement encouragées par les shamans qui interprètent de. pareils phénomènes comme une manifestation de la volonté divine dont ils sont détenteurs. » Le changement de sexe était ordinairement en relation avec la candidature à la dignité de shaman ; naturellement, presque tous les shamans étaient par la suite des pervertis sexuels (7). Chez les Chukchi, les shamans mâles qui sont habillés en femme et que l'on croit transformés physiquement en femme sont encore très communs. On peut trouver des traces de ce changement de sexe du shaman parmi beaucoup d'autres tribus sibériennes (8). Dans quelques cas, enfin, on ne peut douter que ces transformations soient rattachées à des pratiques homosexuelles. Dans sa description des Koriaks, Kraskeninnikoff fait mention des Ke'yev, c'est-à-dire d'hommes jouant le rôle de concubines ; il les compare aux koe’kčuč des Kamchadales, nom donné aux hommes qui se transforment en femme. Chaque koe’kčuč, dit-il, est considéré comme magicien et interprète des songes. Mais, d'après sa description confuse, M. Jochelson pense que l'on peut arriver à cette conclusion : ce n'est pas dans le pouvoir shamanistique que nous devons aller chercher le trait absolument caractéristique de cette institution du koe’kčuč, mais c'est dans la facilité qu'elle donne à la satisfaction des appétits hors nature des Kamchadales. Les koe’kčuč s'habillaient en femmes, travaillaient en femmes, et restaient dans la situation d'épouses ou de concubines (9).
Dans l'archipel malais l'amour homosexuel est commun (10), mais cependant pas dans toutes les îles (11). Il est extrêmement répandu chez les Bataks de Sumatra (12). À Bali, on le pratique ouvertement ; des gens en font leur profession (13). Les basir des Dyaks sont des hommes qui exploitent la sorcellerie et la débauche. « Ils sont habillés en femme, on les emploie aux fêtes idolâtres et dans des abominations sodomiques ; beaucoup d'entre eux sont dûment mariés à d'autres hommes (14). » Le Dr Haddon dit qu'il n'a jamais entendu parler d'aucune pratique hors nature dans le détroit de Terres (15), mais dans le district de Rigo de la Nouvelle-Guinée anglaise on a signalé plusieurs exemples de pédérastie (16). À. Mowat dans le Dandaï, on s'y adonne régulièrement (17). On rapporte que l'amour homosexuel est aussi commun dans les îles Marshall et à Hawaii. À Tahiti, nous savons qu'une catégorie d'hommes, appelés par les indigènes mahous, « prennent les vêtements, l'attitude et les manières des femmes, affectent l'originalité des fantaisies et les coquetteries des plus vaines d'entre elles. Ils vont de préférence avec les femmes qui recherchent leur compagnie. Ayant les allures des femmes, ils en adoptent les occupations particulières. La propagation de cette pratique honteuse est presque uniquement due aux chefs (20) ». M. Foley écrit au sujet des nouveaux Calédoniens : « La plus grande fraternité n'est pas chez eux la fraternité utérine, mais la fraternité des armes. Il en est ainsi surtout au village de Poepo. Il est vrai que cette fraternité des armes est compliquée de pédérastie (21). »
Chez les naturels du district de Kimberley dans l'Australie occidentale, si un jeune homme ne peut trouver de femme lorsqu'il atteint l'âge du mariage, on le met en rapport avec un choukadou, jeune garçon remplissant le rôle de femme. Dans ce cas également, les règles ordinaires du mariage exogamique sont observées et le « mari » doit éviter sa belle-mère, tout comme s'il avait épousé une femme. Le choukadou est un garçonnet de cinq à dix ans lorsqu'il est initié. « Les relations qui existent entre lui et son billalu protecteur, dit M. Hardman, sont assez douteuses. Il est certain qu'ils ont des rapports, mais les indigènes répudient avec horreur et dégoût l' idée de sodomie (22). » De tels mariages sont évidemment communs à l'excès. Comme les femmes sont en général monopolisées par les hommes les plus âgés et les plus influents de la tribu, il est rare de trouver un homme au-dessous de trente à quarante ans qui soit marié ; d'où vient cette règle que, lorsqu'un enfant atteint ses cinq ans, on le donne comme épouse (boy-wife) à quelque adolescent (23). D'après la description de M. Purcell concernant les indigènes du même district, « tout membre de la tribu sans emploi » a un enfant de cinq à sept ans ; et ces enfants qu'on appelle mullawongahs servent à un but sexuel (24). Chez les Chingalis de l'Australie du sud, territoire nord, on remarque souvent des hommes âgés qui n'ont pas d'épouses, mais qui sont accompagnés par un ou deux garçons qu'ils gardent jalousement et avec lesquels ils ont des relations sodomiques (25).
Ces pratiques homosexuelles ne sont pas inconnues parmi les autres tribus australiennes, On peut conclure, des observations de M. Howitt sur les indigènes de la région sud-est, que les actes contre nature sont défendus aux novices par les vieillards et les gardiens après avoir quitté le camp d'initiation (26). À Madagascar, il y a certains garçons qui vivent comme des femmes, et ont des rapports avec les hommes, en payant ceux qui leur plaisent Dans une vieille relation de voyage sur cette île, datant du XVIIe siècle, on dit : « Il y a... quelques hommes qu'ils appellent Isecats, qui sont hommes efféminés, et impuissans, qui recherchent les garçons et font mine d'en estre amoureux, en contrefaisans les filles et se vestans ainsi qu'elles, leur font des présens pour dormir avec eux et mesmes se donnent des noms de filles en faisant les honteuses et les modestes... Ils haïssent les femmes et ne les veulent point hanter (28). » Des hommes qui prennent les manières des femmes ont aussi été observés chez les Ondonga de l'Afrique sud occidentale allemande (29) et chez les Diatiké-Sarra-Colese au Soudan français (30), mais on manque de détails en ce qui concerne leurs coutumes sexuelles.
Les pratiques homosexuelles sont communes chez les Bakana et les Bapuku du Cameroun (31), mais en général chez les indigènes d'Afrique de tels actes semblent relativement rares (32), excepté parmi les peuplades parlant arabe et dans des régions comme Zanzibar (33) où l' influence arabe s'est fortement développée. Dans le nord de l'Afrique ils ne sont pas particuliers aux habitants des villes. Ils sont fréquents chez les paysans d'Égypte (34) et tous les Ibala, qui vivent dans les montagnes du nord du Maroc, s'y adonnent. D'un autre côté, ils sont bien moins fréquents et même rares chez les Berbères et les Bédouins nomades (35).
On dit que les Bédouins de l'Arabie les ignorent complètement (36). L'amour homosexuel est répandu en Asie Mineure et en Mésopotamie (37). Il a une très grande importance chez les Tartares et les Karatchaï du Caucase (38), les Perses (39), les Sikhs (40) et les Afghans ; à Kaboul, un bazar ou une rue y est réservé (41). D'anciens voyageurs rapportent son extrême fréquence chez les Mahométans de l' Inde (42) et, à cet égard, le temps ne paraît avoir produit aucun changement (43). En Chine, où il est aussi fort commun, il y a des maisons spéciales consacrées à la prostitution masculine, et les garçons y sont vendus par leurs parents vers l'âge de quatre ans pour être dressés à cet emploi (44). Au •Japon, quelques auteurs disent que la pédérastie a régné depuis les temps les plus anciens, tandis que d'autres expriment l'opinion qu'elle a été introduite par le Bouddhisme vers le VIe siècle de notre ère. Les moines vivaient habituellement avec de beaux jeunes gens auxquels ils étaient souvent passionnément dévoués ; et, à l'époque féodale, presque chaque chevalier avait pour favori un jeune homme avec lequel il entretenait les relations les plus intimes et pour lequel il était toujours prêt à se battre en, duel quand l'occasion se présentait. Les maisons de thé avec des geishas mâles existèrent au Japon jusqu'au milieu du XIXe siècle. De nos jours, la pédérastie semble plus en faveur dans les provinces du sud que dans celles du nord, mais il y a aussi des districts où elle est à peine connue (45).
Nous n'avons de renseignements sur la pédérastie ni dans les poèmes homériques, ni dans Hésiode, mais plus tard nous la rencontrons en Grèce presque comme institution nationale. On la connaissait à Rome et dans les autres parties de l' Italie à la période primitive (46) ; mais elle devint beaucoup plus fréquente avec le temps. A la fin du VIe siècle, Polybe nous dit que beaucoup de Romains payaient un talent la possession d'un beau jeune homme (47). Pendant l'Empire, « il était d'usage dans les familles patriciennes de donner au jeune homme pubère un esclave du même âge, comme compagnon de lit, afin qu'il pût satisfaire... ses premiers élans génésiques (48) », et les mariages réguliers entre hommes furent pratiqués avec toutes les solennités nuptiales ordinaires (49). Des pratiques homosexuelles avaient cours chez les Celtes (50), et n'étaient pas inconnues des anciens Scandinaves qui avaient à ce sujet une nomenclature complète (51).
Dans les dernières années, la littérature sur l'unisexualité, déjà volumineuse et qui s'accroît de jour en jour, nous révèle sa fréquence dans l'Europe moderne. Il n'y a pas de pays, il n'y a pas de classe de la société qui en soient exempts. Dans certaines régions de l'Albanie existe même une coutume populaire suivant laquelle les jeunes gens de plus de seize ans ont régulièrement comme favoris des garçons entre douze et dix-sept ans (52). Les observations ci-dessus se rapportent principalement à des pratiques homosexuelles entre hommes, mais des pratiques semblables se retrouvent également chez les femmes (53). Chez les indigènes d'Amérique, il n'y a pas que des hommes qui prennent les apparences de femmes, mais encore des femmes qui prennent l'apparence d'hommes. Ainsi, chez certaines tribus du Brésil, on voit les femmes s'abstenir de toute occupation de leur sexe et imiter les hommes en toute chose, portant les cheveux à la mode masculine, allant à la guerre avec un arc et des flèches, chassant avec des hommes et s'exposant à la mort plutôt que d'avoir des relations sexuelles avec des hommes.
« Chacune de ces femmes a une femme qui la sert et avec laquelle elle se dit mariée ; elles vivent ensemble comme mari et femme (54). » Ainsi, chez les Eskimaus de Test, il y a des femmes qui refusent d'accepter des maris, préfèrent adopter les manières masculines, suivent le daim dans les montagnes, chassent et pèchent pour vivre (55). On dit que les pratiques homosexuelles sont communes chez les Hottentotes (56) et les femmes Herreros (57). À Zanzibar, il y a des femmes qui portent des vêtements d'homme dans la vie privée, montrent une préférence pour les occupations masculines et cherchent une satisfaction sexuelle auprès de femmes qui ont les mêmes goûts, ou avec les normales qu'elles gagnent par des cadeaux et d'autres moyens (58). Dans les harems d’Égypte, on dit que chaque femme a une amie (59). À Bali, l'homosexualité est presque aussi commune parmi les femmes que chez les hommes, quoiqu'elle soit pratiquée plus secrètement (60) ; il paraît en être de même dans l' Inde (61). De l'antiquité grecque, nous gardons le souvenir de l'amour lesbien. Le fait que l'on a plus souvent noté l'homosexualité chez l'homme que chez la femme n'est pas attribuable à ce que cette dernière y soit moins portée. Pour des raisons variées, les anomalies sexuelles de la femme ont moins attiré l'attention (62), et l'opinion en a généralement fait peu de cas.
Les pratiques homosexuelles sont dues quelquefois à une instinctive préférence, quelquefois à des conditions extérieures défavorables au commerce sexuel normal (63). Une cause fréquente est l' inversion sexuelle congénitale, c'est-à-dire que « l' instinct sexuel est, par une anomalie constitutionnelle de naissance, dévoyé vers les personnes de même sexe (64). » II semble ainsi que les hommes féminins et les femmes masculines dont j'ai parlé sont surtout, au moins en maintes circonstances, des invertis sexuels ; toutefois, dans le cas des shamans, le changement de sexe résulte aussi de la croyance que des shamans ainsi transformés, analogues à leurs collègues féminins, sont particulièrement puissants (65). Le Dr Holder affirme l'existence de l' inversion congénitale chez les tribus du nord-ouest des États-Unis (66), le Dr Baumann a la même opinion sur les gens de Zanzibar (67) : et au Maroc aussi, je crois que cela est assez commun. Mais, en ce qui concerne la prédominance de l' inversion chez les peuples non européens, nous en sommes surtout réduits à de simples conjectures ; notre connaissance réelle de l' inversion congénitale découle des confessions volontaires des invertis. La grande majorité des explorateurs est tout à fait ignorante du côté psychologique du sujet et, même pour un expert, il doit souvent être impossible de décider si un certain cas d'inversion est congénital ou acquise (68). Même entre l' inversion et l' instinct normal, il semble y avoir toutes les nuances. Le professeur James pense que l' inversion est « une sorte d'appétit sexuel dont très vraisemblablement la plupart des hommes possèdent la possibilité en germe (69) ». Tel est certainement le cas dans les premiers temps de la puberté (70).
Une cause très importante des pratiques homosexuelles est l'absence de l'autre sexe. On en a maint exemple chez les animaux inférieurs (71). Voici longtemps que Buffon a observé que, si des oiseaux mâles ou femelles d'espèces diverses étaient renfermés ensemble, ils ne tardaient pas à avoir entre eux des relations sexuelles, et les mâles plus tôt que les femelles (72). Le mariage avec des garçons de l'Australie occidentale est une substitution au mariage ordinaire dans les cas où l'on ne peut trouver de femmes. Chez les Borro du Brésil, les rapports homosexuels arrivent, dit-on, dans des maisons où logent des hommes uniquement lorsque la rareté des filles accessibles est extraordinairement considérable (73). La faveur dont l'homosexualité jouit en Tahîti est peut-être en relation avec ce fait qu'il n'y a qu'une femme pour quatre ou cinq hommes, ce qui est dû à la coutume de l' infanticide féminin (74).
Chez les Chinois de certaines régions, entre autres à Java, le manque de femmes accessibles est la principale cause des pratiques homosexuelles (75). Suivant quelques écrivains, de telles pratiques sont le résultat de la polygamie (76). En pays musulman, il ne fait aucun doute qu'elles soient dues à la réclusion des femmes qui empêche les relations entre les sexes et oblige les célibataires à s'unir presque exclusivement à des gens de leur sexe. Chez les montagnards du nord du Maroc, l' indulgence excessive dont jouit la pédérastie est à rapprocher étroitement du grand isolement des femmes et de l'énorme valeur de la chasteté féminine, tandis que chez les Arabes des plaines, qui sont peu enclins à l'amour des garçons, les filles non mariées ont une liberté considérable.
Aussi bien en Asie (77) qu'en Europe (78), le célibat obligatoire .des moines et des prêtres a été la cause de pratiques homosexuelles, quoiqu'il ne faille pas oublier qu'une profession qui impose le célibat est propre à attirer comparativement un nombre élevé, d'invertis congénitaux. La séparation temporaire des sexes qu'implique la vie militaire explique sans doute l'extrême prédominance de l'amour homosexuel dans les races guerrières (79), comme les Sikhs, les Afghans, les Doriens, les Normands (80). En Perse (81), et au Maroc, il est particulièrement commun chez les soldats. Au Japon, c'était un épisode de la chevalerie, en Nouvelle-Calédonie et dans l'Amérique du Nord, un épisode de la fraternité d'armes. Du moins, chez quelques tribus de l'Amérique du nord, des hommes habillés en femmes accompagnaient les autres hommes à la guerre et à la chasse en qualité de domestiques (82). Chez les Banaka et les Bapuku au Cameroun, la pédérastie est pratiquée surtout par des hommes qui sont pour longtemps séparés de leurs épouses (83).
Au Maroc, j'ai entendu plaider la cause de la pédérastie au nom des commodités qu'elle a pour les gens qui voyagent.
Le Dr Havelock Ellis observe à juste titre que, lorsque l'attirance homosexuelle est simplement due à l'absence de l'autre sexe, elle n'a pas de lien avec l' inversion sexuelle, mais simplement avec une déviation de l' instinct sexuel vers une voie anormale : l' instinct est sollicité par une substitution approchée, ou même par une excitation émotive qui se propage en l'absence d'un objectif normal (85). Mais il me semble probable qu'en pareil cas, l'attraction homosexuelle, par la force du temps, se développe aisément, jusqu'à devenir une inversion tout à fait naturelle. Je suis forcé de croire que les gens les plus autorisés en la matière ont estimé au-dessous de sa valeur l' influence modificatrice que l'habitude peut exercer sur l' instinct sexuel.
Le professeur Krafft-Ebing (85) et le Dr Moll (86) nient l'existence de l' inversion acquise, sauf en des cas occasionnels ; le Dr Havelock Ellis entre dans les mêmes vues, il met à part ces cas d'un plus ou moins grand caractère morbide dans lesquels des vieillards à défaillance génitale ou des hommes plus jeunes excédés par la débauche hétérosexuelle, sont attirés vers les gens de leur propre sexe (87). Mais, comment y a-t-il, dans certaines régions du Maroc, une si forte proportion d'hommes qui sont des invertis sexuels réels, dans le sens donné à ce mot par le Dr Havelock Ellis (88), c'est-à-dire de gens qui, pour la satisfaction de leurs désirs sexuels, préfèrent leur propre sexe à l'autre ? Il peut se faire qu'au Maroc, et en général dans les pays d'Orient où presque tout le monde est marié, l' inversion congénitale, sous l' influence de l'hérédité, soit plus fréquente qu'en Europe, où les invertis s'abstiennent si aisément du mariage. Mais que ceci ne puisse être une explication adéquate du fait en question devient brusquement apparent lorsque nous considérons la distribution inégale à l'extrême des invertis, dans les différentes tribus voisines et de même race, dont les unes sont peu et les autres grandement adonnées à la pédérastie. Je considère les choses sous cet aspect : les pratiques homosexuelles dans la première jeunesse ont eu un effet durable sur l' instinct sexuel qui, sous sa première forme, est quelque chose de mal défini et se pervertit aisément dans une direction homosexuelle (89). Au Maroc, l' inversion est prédominante chez les scribes, dont l'enfance s'écoule dans une association d'étudiants très étroite. Naturellement, des influences de cette espèce « demandent une prédisposition organique favorable pour agir (90) » ; mais cette prédisposition n'est probablement pas du tout une anomalie., mais un simple trait de la constitution sexuelle ordinaire de l'homme (91). On remarquera que la forme la plus commune d'inversion, au moins dans les pays musulmans, est l'amour pour des petits garçons ou des jeunes gens qui n'ont pas encore atteint l'âge delà puberté, c'est-à-dire d'individus mâles qui sont physiquement très semblables à des filles. Voltaire observe : « Souvent, un jeune garçon, par la fraîcheur de son teint, par l'éclat de ses couleurs et par la douceur de ses yeux ressemble pendant deux ou trois ans à une belle fille ; si on l'aime, c'est que la nature se méprend (92). » De plus, dans les cas normaux, l'attraction sexuelle normale ne dépend pas seulement du sexe, mais aussi bien de l'apparence de la jeunesse ; il y a des gens constitués de telle sorte que,pour eux, ce dernier facteur est d'importance capitale, tandis que la question de sexe est presque chose indifférente.
Dans la Grèce antique, aussi, non seulement les relations homosexuelles mais l' inversion semblent avoir été très communes. Bien qu'il ait dû entrer là, comme dans toute forme d'amour, un élément congénital, on ne peut douter, je pense, que cela ressortissait en grande partie des conditions ambiantes du caractère social. On peut le faire remonter en premier lieu aux méthodes d'éducation de la jeunesse. À Sparte, il semble avoir été de tradition que chaque jeune homme de bon caractère eût son amoureux ou « inspirateur (93) » et que chaque homme de bonne éducation fût l'amoureux de quelque jeune homme (94). Les relations entre l’inspirateur et l'auditeur étaient extrêmement intimes : chez lui, le jeune homme était à tout instant sous les yeux de son ami, qui était censé être pour lui un modèle, un exemple dans la vie (95) ; au combat, ils se tenaient l'un près de l'autre ; leur fidélité, leur affection faisaient souvent leur preuve jusqu'à la mort (96) ; si les parents étaient absents, le jeune homme pouvait être représenté dans une assemblée publique par son ami (97) ; et, pour mainte faute, particulièrement pour le manque d'ambition, l'ami pouvait être puni au lieu de l’auditeur (98). Cette ancienne coutume s'est perpétuée avec une force encore plus grande en Crête, d'où beaucoup de gens l'ont crue originaire (99). Peut-être chastes à l'origine, on ne peut mettre en doute que, plus tard, les relations entre un jeune homme et son ami ont impliqué des rapprochements immoraux (100). Dans les autres États de la Grèce, l'éducation de la jeunesse entraîna de semblables conséquences. Dès la petite enfance, on séparait le fils de sa mère pour qu'il passât dorénavant tout son temps en compagnie des hommes jusqu'à ce qu'il eût atteint l'âge où le mariage devenait pour lui un devoir civique (101). Suivant Platon, le gymnase et les repas en commun chez les jeunes gens « semblent toujours avoir eu une tendance à dégrader les anciennes coutumes naturelles de l'amour, et à les mettre non seulement au-dessous du niveau des hommes, mais même au-dessous du niveau des animaux (102). » Platon mentionne aussi l'effet de ces habitudes sur les instincts sexuels des hommes : quand ils atteignaient l'âge viril, ils étaient amoureux des jeunes gens et n'étaient pas naturellement enclins au mariage ou à procréer des enfants ; ils ne s'y résolvaient en fin de compte que par obéissance à la loi (103). N'est-ce point, suivant toute probabilité, une preuve d'inversion acquise ? Mais, à côté de l' influence de l'éducation, il y avait un autre facteur qui, coopérant avec elle, favorisait le développement des tendances homosexuelles, c'était le profond abîme qui séparait mentalement les sexes. Il n'a nulle part ailleurs existé une si immense différence de culture entre les hommes et les femmes qu'à l'apogée de la civilisation grecque. Le sort de l'épouse grecque fut l' isolement et l' ignorance. Elle vivait dans une réclusion presque absolue, dans une partie retirée de la maison, avec ses femmes esclaves, privée de l' influence éducatrice de la société masculine et n'ayant pas sa place à ces spectacles publics qui étaient un des principaux procédés d'instruction (104).
Dans de telles circonstances, il n'est pas difficile de comprendre que des hommes, si hautement intellectuels que ceux d'Athènes, regardaient L'amour de la femme comme l'enfant de cette Aphrodite vulgaire « qui tient plus au corps qu'à l'âme (105) ». Ils avaient atteint une phase de culture mentale à laquelle l' instinct sexuel a normalement un désir ardent de raffinement, à laquelle la satisfaction de la simple concupiscence physique paraît brutale. Aux yeux des plus raffinés d'entre eux, ceux qui étaient inspirés par l'Aphrodite céleste n'aimaient ni les femmes ni les garçons, mais les êtres intelligents dont la raison commençait à se développer, vers l'époque où la barbe commence à leur pousser (106). Dans la Chine moderne, nous nous trouvons en présence d'un phénomène parallèle. Le Dr Matignon observe : « Il y a tout lieu de supposer que certains Chinois raffinés au point de vue intellectuel recherchent, dans la pédérastie, la satisfaction des sens et de l'esprit. La femme chinoise est peu cultivée, ignorante même, quelle que soit sa condition, honnête femme ou prostituée. Or, le Chinois a souvent l'âme poétique : il aime les vers, la musique, les belles sentences des philosophes, autant de choses qu'il ne peut trouver chez le beau sexe de l'Empire du Milieu (107). » Il semble également que l' ignorance et l' insignifiance des Musulmanes, qui est le résultat de leur manque total d'éducation et de leur vie confinée, est la cause des pratiques homosexuelles. On entend parfois les Maures défendre la pédérastie en alléguant que la compagnie de garçons, qui ont toujours des nouvelles à raconter, est bien plus divertissante que la compagnie des femmes.

Nous avons jusqu'ici étudié l'amour homosexuel comme un fait établi ; nous passerons maintenant à l'évaluation morale qu'on peut en déterminer. Lorsqu'il se présente comme une coutume nationale, nous pouvons supposer qu'il n'entraîne aucune censure ou aucune censure sévère. Chez les Bataks de Sumatra, on ne punit pas pour cela (108). Le Dr Schwaner dit des bazirs chez les Ngajous de Poula-Patak à Bornéo que, « en dépit de leur profession répugnante, ils échappent à un mépris bien mérité (109) ». Les indigènes des îles de la Société avaient pour leurs pratiques homosexuelles « non seulement la sanction de leurs prêtres, mais l'exemple direct de leurs propres dieux (110) ». Les Tsekats de Madagascar affirmaient qu'ils servaient leur dieu en menant une vie féminine (111), mais on nous a rapporté qu'à Aukisimane et à Nossi-Bé, les pédérastes étaient l'objet du mépris public (112). Le Père Veniaminof dit des Atkha Aleuts « que la sodomie et la cohabitation précoce avec une fiancée étaient regardées chez eux comme un grave péché (113) » ; mais, en dehors du fait que cette relation sur ces indigènes donne en général l' impression d'être quelque chose comme un panégyrique, les détails qu'il fournit montrent seulement que les actes en question étaient considérés comme exigeant une simple cérémonie de purification (114). Il n'y a point trace que les aborigènes de l'Amérique du Nord aient attaché aucun opprobre aux hommes qui avaient commerce avec les gens de leur propre sexe revêtus de vêtements féminins et adonnés aux habitudes des femmes. À Kadiak, un tel compagnon était au contraire regardé comme une importante acquisition ; les hommes efféminés eux-mêmes, loin d'être méprisés, étaient tenus en considération par le peuple, la plupart d'entre eux étant des magiciens (115). Nous avons noté précédemment la connexion entre les pratiques homosexuelles et le shamanisme chez différentes peuplades sibériennes ; on dit que ces shamans, qui avaient changé de sexe, étaient la terreur des populations qui les considéraient comme très puissants (116). Chez les Illinois et les Naudowessies, les hommes efféminés assistent à toutes les jongleries et les danses solennelles en l'honneur du calumet ou pipe bourrée de tabac sacré, pour laquelle les Indiens ont une telle déférence que l'on a pu la nommer « le dieu de la paix ou de la guerre et l'arbitre de la vie ou de la mort » ; mais il ne leur est permis ni de danser, ni de chanter. On les appelle dans les conseils des indiens et rien ne peut être décidé sans leur avis ; car, par suite de leur extraordinaire manière de vivre, on les regarde comme des manitous, ou êtres surnaturels et personnes de conséquence (117).
Les Sioux, les Sax et les Indiens-Renards donnent une fois par an, ou plus souvent s'ils le décident, une fête au Berdashe ou Aï-cou-cou-é, qui est un homme habillé avec des vêtements de femme comme il l'a été toute sa vie. « Pour les privilèges extraordinaires qu'on sait qu'il possède, il est contraint aux obligations les plus serviles, les plus dégradantes, auxquelles il ne lui est pas permis d'échapper ; comme il est le seul de la tribu soumis à cette misérable dégradation, on le regarde comme un homme médecine et sacré et on lui donne une fête par an ; une danse d'initiation est dansée par les rares jeunes hommes de la tribu qui peuvent... danser librement et présenter leurs prouesses au public (118) ». Chez quelques tribus américaines cependant, on dit que ces hommes efféminés sont méprisés, en particulier par les femmes (119). Dans l'ancien Pérou aussi les pratiques homosexuelles semblent être entrées dans le culte. Dans quelques endroits, dit Cieza de Léon, des garçons étaient pris comme prêtres dans les temples, et le bruit courait que les seigneurs leur tenaient compagnie aux jours de fête. Ils n'avaient pas, ajoute-t-il, l' intention de commettre un pareil péché, mais seulement d'offrir un sacrifice au démon. Si les Incas, par hasard, avaient quelque connaissance d'agissements de cette sorte dans le temple, ils pouvaient faire comme s'ils les ignoraient par tolérance religieuse (120). Mais les Incas eux-mêmes n'étaient pas seulement exempts de telles pratiques, ils n'auraient même permis à aucun des leurs qui se serait rendu coupable de rester dans les maisons royales ou dans les palais. Et Cieza a entendu dire que, s'il venait à leur connaissance que quelqu'un eût commis une aberration de cette espèce, ils le punissaient avec une telle sévérité que tout le monde en était informé (121). Las Cases nous dit que, dans plusieurs des provinces les plus reculées du Mexique, la sodomie était tolérée, sinon actuellement permise, car le peuple croyait que les dieux mêmes s'y adonnaient ; il n'est pas improbable que, dans les temps anciens, il en était ainsi dans tout l'empire (122). Mais, plus tard, les législateurs adoptèrent de sévères mesures pour supprimer ces pratiques. À Mexico, les gens reconnus coupables de cela étaient exécutés (123). Au Nicaragua, ils subissaient la peine capitale par lapidation (124) et pas une des nations Maya ne manquait de loi stricte à l'encontre de ce crime (125). Chez les Chibchas de Bogota, la punition était la peine de mort avec supplices (126). Cependant, on se souviendra que les anciennes peuplades d'Amérique étaient en général extravagantes dans leur pénalité et que leur Code pénal, en premier lieu, exprimait plutôt la volonté de leurs législateurs que les sentiments du peuple en général (127). On dit que, même quelques peuples non civilisés, qui ne s'adonnent point aux pratiques homosexuelles, n'y attachent que peu d'importance. Aux îles Pelew, où de tels agissements ne s'observent qu'à l'état sporadique, ils ne sont pas punis, bien que, si j'en crois M. Kubary, les personnes qui les connaissent puissent en subir la honte (128). Les Ossètes du Caucase, chez qui la pédérastie est très rare, n'exercent en général aucune poursuite contre les gens qui s'y livrent (129). Les Masaï de l'Afrique orientale ne punissent pas la sodomie (130). Mais nous trouvons aussi des récits contraires. Dans une tribu Kafir, M. Warner a entendu parler d'un cas — le seul au cours d'une résidence de trente-cinq ans — qui fut puni d'une amende de bétail versée au chef (131). Chez les Ondouga, les pédérastes sont en abomination et les hommes qui s'attifent en femme sont détestés, beaucoup d'eux sont des sorciers (132). Les Washambala considèrent la pédérastie comme une grave aberration morale et lui appliquent une punition sévère (133). Chez les Wangada, les pratiques homosexuelles, qui ont été introduites par les Arabes et sont une rareté, « sont violemment abhorrées » et punies par le bûcher (134). Les nègres d'Accra, qui n'ont pas de tendance à cette sorte de perversion, la détestent, paraît-il (135). En Nubie, on tient la pédérastie en horreur, sauf chez les Kasdefs et leurs parents, qui s'efforcent d'imiter les Mameluks en toute chose (136).
Mahomet interdit la sodomie (137) et, suivant l'opinion de ses adeptes, elle devrait être punie comme la fornication dont, théoriquement, la punition est assez sévère (138), à moins que les coupables fassent pénitence publique. Pour que la conviction de culpabilité soit établie, la loi exige cependant que quatre personnes de confiance prêtent le serment d'avoir été témoins oculaires (139), cela suffirait à ce que la loi restât lettre morte, même si cette loi s'appuyait sur les sentiments populaires ; et cet appui lui manque certainement. Au Maroc, on regarde la pédérastie active avec une indifférence quasi totale, tandis qu'on parle avec mépris du sodomiste passif, si c'est une grande personne. Le Dr Polak en dit autant des Persans (140). À Zanzibar, on établit nettement une distinction entre les invertis-nés et les prostitués masculins ; ces derniers sont regardés avec mépris, tandis qu'on tolère les premiers parce que leur vice découle de la volonté de Dieu (141). Les Musulmans de l' Inde et des autres contrées d'Asie considèrent au plus la pédérastie comme une simple peccadille (142). On dit que chez les Indous elle est tenue en horreur (143), mais leurs livres sacrés en parlent avec indulgence. D'après les lois de Manou, un homme deux fois né qui commet un péché contre nature avec un homme ou qui a commerce avec une femme dans une charrette traînée par des bœufs, dans l'eau ou pendant le jour, doit se baigner avec ses vêtements ; ces choses-là comptent comme petits délits (144).
La loi chinoise fait une légère distinction entre les délits contre nature et les autres délits sexuels. Un délit contre nature est diversement envisagé suivant l'âge du sujet et sa participation consentie ou non. Si le sujet est adulte, ou si c'est un garçon de plus de douze ans, et s'il a consenti, on envisage la chose comme une forme de fornication légèrement aggravée : les deux délinquants sont punis de cent coups de bâton et d'un mois de cangue, taudis que la fornication banale entraîne quatre-vingts coups de bâton. Si l'adulte, si le garçon de plus de douze ans résistent, le délit est considéré comme un viol ; si le garçon n'a pas douze ans, cela devient un viol sans égard au consentement ou à la résistance, à moins que l'enfant ne soit déjà dévoyé (145).
Mais, en fait, les pratiques contre nature sont regardées comme moins nuisibles à la communauté que l' immoralité ordinaire (146), et la pédérastie n'est pas méprisée, « L'opinion publique reste tout à fait indifférente à ce genre de distraction et la morale ne s'en émeut en rien : puisque cela plaît à l'opérateur et que l'opéré est consentant, tout est pour le mieux ; la loi chinoise n'aime .guère à s'occuper des affaires trop intimes. La pédérastie est même considérée comme une chose de bon ton, une fantaisie dispendieuse et partant un plaisir élégant... La pédérastie a une consécration officielle en Chine. Il existe, en effet, des pédérés pour l'Empereur(147). » Même, le seul reproche que le Dr Matignon ait entendu faire à la pédérastie par l'opinion publique chinoise est qu'elle aurait une influence nuisible sur la vue (148). Au Japon, il n'y avait pas de loi contre les rapports homosexuels jusqu'à la révolution de 1868 (149). Dans la période de la chevalerie japonaise, on considérait comme plus héroïque pour un homme d'aimer une personne de son sexe que d'aimer une femme, et, de nos jours, on entend des gens dire que, dans les provinces où la pédérastie est largement répandue, les hommes sont plus virils et plus robustes que dans les provinces où elle ne règne pas (150).
Les lois des anciens Scandinaves passaient sous silence les pratiques homosexuelles ; mais ces populations méprisaient beaucoup les pédérastes passifs. On les identifiait à des lâches et on les estimait sorciers. Les épithètes qu'on leur appliquait — argr, ragr, blandr et autres, — avaient le sens de poltron, en général, et l'on a des exemples du mot arg employé dans le sens de pratiquant la sorcellerie. Cette connexion entre la pédérastie et la sorcellerie, comme le montre très justement un érudit norvégien, nous aide à comprendre le récit de Tacite : d'après lui, chez les anciens Teutons, des gens qu'il décrit comme corpore infames, étaient ensevelis vivants dans un marécage (151). Si nous réfléchissons que la noyade était la punition habituelle de la sorcellerie, il semble probable que ce châtiment leur était infligé non point tant pour leurs pratiques sexuelles que pour leur influence magique. Il est certain que l'opprobre que les Scandinaves païens attachaient à l'amour homosexuel était surtout réservé à celui qui jouait le rôle de la femme. Dans un de leurs poèmes, le héros se vante d'être le père d'un enfant mis au monde par un autre homme (152).
En Grèce, la pédérastie dans ses formes viles était critiquée bien que sans sévérité, à ce qu'il semble. Dans quelques États elle était légalement prohibée (153). D'après une loi athénienne, un jeune homme qui se prostituait pour de l'argent perdait ses droits de citoyen libre et pouvait être puni de mort s'il prenait part à une fête publique ou s'il venait sur l’Agora (151). À Sparte, il était nécessaire que l'« auditeur » acceptât son « inspirateur » par réelle affection ; celui qui l'acceptait pour des considérations pécuniaires était puni par les éphores (155). On nous dit même que chez les Spartiates les relations entre ces amis étaient sincèrement innocentes et que, s'il survenait quelque incident contraire à la loi, ils devaient perdre tous deux leur patrie ou leur vie (156). Mais la règle générale en Grèce paraît avoir été la suivante : lorsque le décorum était observé dans une amitié entre un homme et un adolescent, on ne faisait point d'enquête sur la nature détaillée de leurs relations (157). Cet attachement était regardé non seulement comme permis, mais était prisé comme la plus haute et la plus pure forme d'amour, comme le fruit de l'Aphrodite céleste, comme le chemin menant à la vertu, comme une arme contre la tyrannie, une sauvegarde de la liberté civique, une source de grandeur et de gloire nationales. Phèdre dit qu'il ne savait pas de plus grande bénédiction pour un jeune homme qui commence sa vie qu'un vertueux, ami, ou, pour l'ami, qu'un jeune homme aimé ; car aucun autre sentiment que l'amour ne peut donner à un homme qui désire mener une noble vie les principes qui doivent le guider (158). Pausanias, le platonicien, prétendait que, si l'amour des jeunes gens était tenu en mauvaise réputation, c'était seulement parce qu'il était hostile à la tyrannie : « les intérêts des gouvernants exigent que leurs sujets soient pauvres d'esprit, et qu'il n'y ait pas de fort lien d'amitié ou d'association entre eux que l'amour est propre à inspirer au premier chef (159). » Le pouvoir des tyrans d'Athènes fut brisé par l'amour d'Aristogiton et la fidélité d'Harmodius ; à Agrigente, en Sicile, l'amour mutuel de Chariton et de Melanippe produisirent un résultat semblable ; Thèbes dut sa grandeur au Bataillon sacré fondé par Epaminondas. Car « en présence de son ami, un homme aimerait mieux faire n'importe quoi que de passer pour un lâche (160) ».
On a montré que les plus grands héros et les nations les plus guerrières furent le plus portés à l'amour des adolescents (161) ; on a dit qu'une armée composée d'amis se battant côte à côte, bien que n'étant qu'une poignée, conquerrait le monde entier (162).
Hérodote affirme que l'amour des garçons fut importé de Grèce en Perse (133). Que cette, assertion soit exacte ou non, cet amour ne pourrait sûrement avoir été une habitude des adorateurs de Mazda (164). Dans les livres de Zoroastre, le « péché contre nature » est traité avec une sévérité qui n'a de comparable que celle du judaïsme et celle du christianisme. Suivant le Vendîdâd, il n'y a pas d'expiation possible (165). Ce péché, puni par des tourments dans l'autre monde est capital ici-bas (166). Celui même qui le commet involontairement, par force, est passible de peines corporelles (167). C'est un plus abominable péché que le meurtre d'un juste (168). « Il n'y a pas de pire péché dans la vraie religion, et il est naturel de dire que ceux qui l'ont commis ont mérité la mort réellement. Si quelqu'un les surprend en flagrant délit et porte une hache, il faut qu'il leur tranche la tête ou qu'il leur ouvre le ventre à tous deux, ce n'est pas un péché pour lui. Il est injuste de tuer qui que ce soit sans l'ordre des grands prêtres et des rois, sauf pour punir ceux qui ont commis ou permis un rapprochement contre nature (169). »
Il n'était pas non plus toléré que des péchés hors nature souillassent la terre du Seigneur. Quiconque commettra pareille abomination, qu'il soit israéliste, qu'il soit étranger, habitant chez les Israélites, sera mené à la mort, c'est une âme à retrancher du peuple d'Israël. Les gens de Canaan ont pollué leur terre par la luxure de leurs péchés contre nature, si bien que Dieu a vu leur crime, et que la terre rejeta avec horreur ses habitants hors de son sein (170).
Cette horreur des pratiques homosexuelles a été partagée par le christianisme. D'après saint Paul, elles constituent le suprême degré de la corruption morale à laquelle Dieu abandonna les païens à cause de leur apostasie (171). Tertullien dit qu'elles étaient bannies « non seulement du seuil, mais de l'ombre protectrice de l'église, parce qu'elles n'étaient pas des péchés, mais des monstruosités (172) ». Saint Basile est d'avis qu'elles méritent la même punition que le meurtre, l' idolâtrie et la sorcellerie (173). Suivant un décret du Concile d'Elvire, ceux qui abusent de garçons pour assouvir leur luxure seront privés de communion, même à leur dernière heure (174). Le contraste entre les enseignements du christianisme et les coutumes et les opinions du monde dans lequel il se propagea ne fut jamais plus radical que sur ce point des mœurs. À Rome, il existait une vieille loi de date ignorée, nommée loi Scantinia ou Scatinia, qui imposait une amende à celui qui commettait un acte de pédérastie avec une personne libre (175), mais cette loi. très peu connue, était restée dans l'oubli pendant des siècles et le sujet des rapports homosexuels ordinaires n'avait, par la suite, jamais attiré l'attention des législateurs païens (176). Mais quand le christianisme devint la religion de l'Empire romain, on entreprit contre la pédérastie une véritable croisade. Constantin et Constance en firent un crime capital, punissable du glaive (177). Valentinien alla plus loin encore et ordonna que les gens qui en seraient reconnus coupables seraient brûlés vivants devant tout le peuple (178). Justinien, terrifié par des famines, des tremblements de terre, des pertes, fit paraître un édit qui, de nouveau, condamnait les gens coupables de crimes contre nature à mourir sous le glaive « de peur que, comme résultat de ces actes impies, les villes entières ne vinssent à périr avec leurs habitants », comme nous l'apprenons de l’Écriture Sainte où nous voyons que des villes et les hommes qui les habitaient ont péri pour de tels actes (179). « Le témoignage le plus léger, le plus suspect d'un enfant ou d'un domestique, dit Gibbon, motiva une sentence de mort et d'infamie... et la pédérastie devint le crime de ceux auxquels on n'en pouvait reprocher aucun (180). »
Cette attitude envers les pratiques homosexuelles a eu sur la législation européenne une profonde et durable influence. Dans tout le cours du moyen âge et plus tard, les législateurs chrétiens pensèrent que rien, sinon une mort cruelle dans les flammes, ne pouvait expier ce grand péché (181).
Fleta dit qu'en Angleterre les délinquants étaient enterrés vivants (182) ; on nous dit, ailleurs, que le feu était la peine normale (133). Comme un rapprochement contre nature, cependant, tombait sous l'autorité ecclésiastique, la peine capitale ne pouvait être infligée au criminel que si l’Église l'abandonnait au bras séculier, il semble très douteux qu'elle l'abandonnât. Sir Frédéric Pollock et le professeur Maitland considèrent que l'ordonnance de 1533, qui assimile la sodomie à une félonie, fournit une preuve presque suffisante que les cours temporelles ne la punissaient pas et que personne n'avait été condamné à mort pour cela depuis bien longtemps (184). On disait que la punition de ce crime — dont la loi anglaise, dans son Code pénal, parle comme d'un crime qu'il n'est pas convenable de nommer (185) — devait être capitale de par « la voix de la nature et de la raison et les commandements formels de Dieu (186) ; » il en a été ainsi jusqu'en 168 1 (187), bien qu'en pratique le châtiment suprême ne fût point infligé (188). En France, des gens furent réellement brûlés pour ce crime dans le milieu et la seconde moitié du XVIIIe siècle (189). Mais, en cela, comme en tant d'autres choses, le mouvement rationaliste de cette époque apporta un changement. Punir la sodomie de mort, prétendit-on, était atroce ; quand il n'y avait pas de violence, la loi devait l' ignorer complètement. Elle ne viole en rien le droit d'autrui, son influence sur la société est simplement indirecte, comme celle de l' ivrognerie ou de l'amour libre ; c'est un vice malpropre, mais sa punition réelle est le mépris (190). Ces vues furent adoptées par le Code pénal français, aux termes duquel les pratiques homosexuelles dans le privé, entre deux adultes consentants, qu'ils soient hommes ou femmes, n'entraînent absolument aucune pénalité. Les actes homosexuels ne sont considérés comme crimes que lorsqu'ils impliquent l'outrage public à la pudeur, lorsqu'il y a violence ou défaut de consentement, lorsqu'un des coupables est trop jeune ou incapable de donner un consentement valable (191). Cette façon d'agir vis-à-vis de l'homosexualité a été suivie par les législateurs des divers pays d'Europe (192), et, dans ceux où la loi traite encore l'acte en question comme un outrage soumis per se au Code pénal, notamment en Allemagne, une propagande en faveur de l'abrogation de cette mesure est menée avec l'appui de plusieurs hommes de grande réputation scientifique. Cette transformation de l'attitude de la loi envers les rapports homosexuels indique indubitablement un changement dans les opinions morales. Quoiqu'il soit impossible de mesurer exactement le degré de la condamnation morale que de tels actes entraînent, je suppose que peu de personnes, de nos jours, y attachent la même valeur que nos aïeux qui en faisaient un crime monstrueux. On a même posé la question de savoir si la moralité a quelque chose à dire sur un acte sexuel commis par le consentement mutuel de deux adultes, qui n'engendre point de descendance et qui n'intéresse, en somme, le bien-être de personne, sinon celui des parties en cause elles-mêmes (193).
De cette revue des idées morales sur ce sujet, quelqu'incomplète qu'elle soit, il ressort que les pratiques homosexuelles sont très souvent soumises à un certain degré de réprobation, quoique ce degré soit extrêmement variable. Cette réprobation est sans doute due, en premier lieu, au sentiment d'aversion ou de dégoût que l' idée d'un rapprochement homosexuel tend à faire naître chez les individus adultes normalement constitués dont l' instinct génital s'est développé dans des conditions normales. Je présume que personne ne niera la généralité de cette tendance. Elle correspond à l' instinctive répugnance pour les relations sexuelles avec des femmes que l'on trouve si souvent chez les invertis congénitaux ; tandis que cette forme particulière dont les législateurs se sont surtout occupés évoque, en outre, un dégoût physique pour elle-même. Dans une société où la grande majorité des gens est douée d'appétits sexuels normaux, l'aversion contre l'homosexualité se traduit aisément par une censure morale et trouve une expression durable dans la coutume, la loi ou les dogmes religieux. D'un autre côté, partout où des circonstances spéciales ont motivé une large expansion des pratiques homosexuelles, il n'existera pas de sentiment général de dégoût même chez les adultes et l'opinion morale de la société en sera modifiée en conséquence. L'acte peut encore être condamné par suite d'une doctrine morale due à différentes conditions, soit à de vains efforts des législateurs pour réprimer des irrégularités sexuelles, soit à des considérations utilitaristes : mais une condamnation de cette sorte serait pour beaucoup de gens plus théorique que naturelle. En même temps les formes inférieures de l'amour homosexuel peuvent être vivement désapprouvées pour les raisons qui font désapprouver les formes inférieures des rapports entre hommes et femmes. Le pédéraste passif peut être un objet de mépris en raison des pratiques féminines auxquelles il est amené comme aussi un objet de haine en raison de sa réputation de sorcellerie. Nous avons vu que les hommes efféminés ont fréquemment le renom d'être versés dans la magie (194) ; leurs anomalies suggèrent aisément qu'ils sont doués d'un pouvoir surnaturel, et qu'ils peuvent avoir recours à la sorcellerie en compensation de leur manque de virilité et de force physique. Mais les qualités surnaturelles ou l'habileté dans la magie des hommes qui se comportent en femmes peuvent également, au contraire d'engendrer la haine, les faire honorer ou révérer.
On a émis l' idée que l'attitude populaire envers l'homosexualité était, originellement, un aspect de la vie économique, une question de manque de population ou de surpopulation, et que, d'après cela, elle était interdite ou permise. Le Dr Havelock Ellis pense probable qu'il y ait une certaine relation entre la réaction sociale contre l'homosexualité et celle contre l' infanticide : « Quand on regarde l'une avec indulgence, avec faveur, on regarde généralement l'autre du même œil ; quand l'une est réprouvée l'autre l'est habituellement (195). » Mais notre connaissance imparfaite de l'opinion des différentes races sauvages sur l'homosexualité justifie difficilement une telle conclusion ; s'il existe réellement une connexion entre les pratiques homosexuelles et l' infanticide, cela peut être simplement dû à une disproportion numérique entre sexes, résultant d'une multitude d'infanticides de filles (196). D'autre part, nous connaissons de nombreux faits en désaccord avec les vues du Dr Ellis. Dans plusieurs castes hindoues, l' infanticide des filles a été pendant longtemps une véritable coutume (197), et la pédérastie est pourtant remarquablement rare chez les Hindous. Les anciens Arabes étaient coutumiers de l' infanticide (198), mais non de l'amour homosexuel(199), tandis que chez les Arabes modernes, c'est exactement l' inverse qui se produit. Si les premiers chrétiens jugeaient que l' infanticide et la pédérastie étaient des péchés également haïssables, ce n'est certainement pas qu'ils aient été préoccupés de l'augmentation de leur population ; si telle en avait été la raison, ils eussent difficilement glorifié le célibat. Il est vrai que, dans quelques cas, la stérilité de l'amour homosexuel a été donné, par les écrivains locaux, comme la raison de sa propagation ou de sa prohibition. On dit que la loi Crétoise sur ce sujet avait pour but de mettre obstacle à l'accroissement de la population ; mais, comme Döllinger (200), je ne crois pas que cette assertion soit bien réellement fondée. On peut attacher plus d'importance au passage suivant de l'un des textes Pahlavi : « Celui qui gaspille sa semence se livre à une pratique qui cause la mort de la descendance ; quand la coutume est tout à fait enracinée au point de produire un arrêt néfaste du progrès de la race, les créatures sont réduites à rien. Cette chose, qui, si elle se répand universellement, doit entraîner la dépopulation du monde, est venue pour satisfaire au plus grand des désirs d'Aharman (201). » J'ai cependant l'opinion que des considérations de cette espèce n'ont en général joué qu'un rôle secondaire (si tant est qu'elles en aient joué un) dans la formation des idées morales concernant les pratiques homosexuelles. On ne peut certainement admettre que la sévère loi juive contre la sodomie était simplement due au fait que l'accroissement de la population était une nécessité sociale fortement ressentie chez les Juifs (202). Ils condamnaient le célibat sans le mettre sur la même ligne que les abominations de Sodome. L' idée d'extrême péché qui fut liée à l'amour homosexuel par les sectateurs de Zoroastre, les Hébreux et la Chrétienté a un fondement tout à fait spécial.
Elle ne peut être expliquée suffisamment ni par des considérations utilitaires, ni par un dégoût instinctif. L'horreur de l' inceste est généralement un sentiment plus fort que l'aversion contre l'homosexualité. Encore lisons-nous précisément dans le même chapitre de la Genèse qui décrit la destruction de Sodome et Gomorrhe, l' inceste commis par les filles de Loth avec leur père (203) ; suivant la doctrine catholique romaine, les rapports contre nature sont un péché même plus haïssable que l' inceste et l'adultère (204). Le fait est que les pratiques homosexuelles ont été intimement associées aux plus graves de tous les péchés : l' incrédulité, l' idolâtrie ou l'hérésie.
Suivant les disciples de Zoroastre, le péché contre nature aurait été créé par Agra Mainvou (205). « Aharman, le méchant, créa les démons et les esprits malins, comme aussi tous les autres gens corrompus, et cela par son commerce contre nature (206). » On reproche des rapports contre nature à Afrâsiyâb roi touranien qui subjugua les Iraniens pendant douze ans (207) ; à Dahak, roi ou dynastie qui avait conquis, à ce qu'on raconte, Yiur et régna mille ans (208) ; à Tûr-i Bràdar vakhsh, sorcier hétérodoxe qui fit périr les meilleurs des hommes (209). Quiconque commet un péché contre nature est « par tout son être un Déva (210) » ; et un adorateur de Déva n'est pas un mauvais zorastien, mais un homme qui n'appartient point à la religion de Zoroastre, un étranger, un non-aryen (211).
Dans le Vendidad, après avoir établi que commettre un péché contre nature est une offense pour laquelle il n'y a pas d'expiation possible dans l'éternité, on pose cette question : « Quand doit-il en être ainsi ? » Et l'on donne la réponse : « Quand le pécheur appartient à la religion de Mazda ou qu'il y a été initié. Dans le cas contraire, il est relevé de son péché s'il se confesse dans la religion de Mazda et se résout à ne jamais commettre désormais d'actes ainsi défendus (212). Cela revient à dire que le péché est inexpiable s'il implique un défi avéré vis-à-vis des vérités de la religion, mais qu'il est pardonné s'il est commis dans l' ignorance et suivi de soumission. II ressort de tout cela que les zoroastriens stigmatisaient le commerce homosexuel en tant que pratique des infidèles et signe d'incrédulité. Je pense que certains faits rapportés ci-dessus nous aident à comprendre pourquoi il en était ainsi. Non seulement les pratiques homosexuelles ont été communément associées avec la sorcellerie, mais cette association a constitué et constitue encore en partie une particularité du système shamanistique qui prévaut parmi les tribus asiatiques du groupe touranien. Il en était déjà ainsi dans une antiquité éloignée, c'est extrêmement probable d'après les citations des textes zoroastriques ci-dessus. Or, le zoroastrisme était naturellement très fort opposé à ce système shamanistique et le « changement de sexe » apparaissait dès lors à l'adorateur de Mazda comme une abomination diabolique.
Ainsi l'horreur des Hébreux envers la sodomie fut en grande partie due à leur haine pour un culte étranger. Suivant la Genèse, le vice contre nature était le péché d'un peuple qui n'était pas le peuple du Seigneur, et la législation du Lévitique représente les abominations des Cananéens comme la principale raison qui les fit exterminer (213). Or, nous savons que la sodomie entrait comme élément dans leur religion. En outre des qēdēshōth ou prostituées, il y avait des qedēshīm ou prostitués attachés à leurs temples (214). Le mot qādēsh, traduit par Sodomite, désigne à proprement parler un homme consacré à une déité (215) : il semble que de tels hommes étaient consacrés à la mère des dieux, la fameuse Dea Syria, dont on les considérait comme prêtres ou fidèles (216). Les fidèles masculins de cette déesse et d'autres déesses étaient probablement dans une situation analogue à celle qu'occupaient les femmes fidèles de certains dieux, qui, nous l'avons vu, se sont aussi dévoyées vers le. libertinage (217). Les actes sodomiques commis avec ces prostitués du temple, comme les rapports avec les prêtresses ont pu être commis en vue de transmettre la bénédiction des dieux aux croyants (218). Au Maroc, on attend des bénéfices surnaturels de rapports non seulement hétérosexuels, mais aussi homosexuels avec une personne sacrée. On fait fréquemment allusion aux qedēshīm dans l'Ancien Testament, surtout à la période de la monarchie quand des rites d'origine étrangère se propageaient à la fois en Israël et en Juda (219). Il est naturel que les adorateurs de Jéhovah regardassent leurs pratiques avec la dernière horreur, comme venant d'un culte idolâtre.
La conception hébraïque de l'amour homosexuel a touché l' Islam à un certain degré et a passé dans le christianisme. La notion qu'il s'agissait d'un sacrilège fut, chez les chrétiens, fortifiée par les habitudes des gentils. Saint Paul a trouvé que les abominations de Sodome. régnaient chez les nations qui avaient « changé la vérité de Dieu contre le mensonge, adoré et servi la créature plus que le Créateur (220). » Pendant le moyen âge, on accusa les hérétiques du vice contre nature (221). En effet, on associa si intimement la sodomie avec l'hérésie qu'on leur donna le même nom à tous deux. Dans « la Coutume de Touraine-Anjou » le mot hérite qui est l'ancienne forme d'hérétique (222) semble employé dans le sens de sodomite (523) ; le mot bougre (du latin Bulgarus, bulgare) tout comme son synonyme anglais, fut, dans l'origine, un nom donné à une secte d'hérétiques qui vint de Bulgarie au XIe siècle ; ce nom fut ensuite appliqué aux autres hérétiques, mais en même temps il devint une expression régulière pour les gens coupables de rapports contre nature (224). Dans les lois du moyen âge, on fait à tout instant mention de la sodomie aux côtés de l'hérésie, et la punition était la même pour l'une et l'autre (225). Elle était ainsi restée une offense religieuse du premier ordre. Ce n'était pas seulement « vitium nefandum et super omnia detestandum (226) », mais c'était un des quatre « clamantia peccata » (227), un « Crime de majestie vers le Roy céleste (228). » Tout naturellement, et par voie de conséquence, elle en est venue à être envisagée avec une indulgence quelque peu plus grande par la loi et l'opinion publique proportionnellement à l'émancipation de celles- ci vis-à-vis des doctrines théologiques. La lumière récente que les études scientifiques sur l' impulsion sexuelle viennent de jeter sur l'homosexualité, doit fatalement influencer les idées morales qui la concernent. À tel point qu'il n'est plus de juge consciencieux qui puisse manquer de prendre en considération la pression qu'un désir impérieux et non volitionnel exerce sur la volonté de celui qui agit.

Notes et bibliographie.

Voyez l’URL source en ligne.


Référence.

Archives d’anthropologie criminelle, de médecine légale, et de psychologie normale et pathologique, tome 25, A. Rey et Cie, Lyon ; Masson et Cie, Paris, 1910, p. 295-305 ; p. 353-366.

vendredi 26 août 2011

Péches capitaux et péchés de luxure consommée, selon Mgr. Th.-M. Gousset, 1844


[La traduction française des passages en latin sont le fait de l'auteur de ce blog. Veuillez donc excuser les imperfections et  maladresses de cette version.]


p. 99-104.

CHAPITRE V.

Des Péchés capitaux.

269. On compte sept péchés capitaux : l'orgueil, l'avarice, l'envie, la luxure, la gourmandise, la colère et la paresse. On les appelle capitaux, non qu'ils soient toujours mortels, mais parce que chaque péché capital est la source de plusieurs autres péchés.

L'orgueil est un amour déréglé de soi-même et de tout ce qui peut nous faire valoir aux yeux des hommes.

« Superbia est inordinatus appetitus propriæ excellentiæ (1). »
[« L’orgueil est le désir désordonné de sa propre supériorité. »]

Il est comme le principe de tous les autres péchés :

« Initium omnis peccati est superbia (2). »
[« L’orgueil est à l’origine de tout péché. »]

Aussi, est-il odieux devant Dieu et devant les hommes :

« Odibilis coram Deo et hominibus superbia (3). »
[« L’orgueil est haïssable devant Dieu et les hommes. »}

Le péché d'orgueil peut être mortel, mais il ne l'est pas toujours ; sa malice varie suivant les degrés dont elle est susceptible.

270. Quoiqu'on puisse regarder l'orgueil comme l'origine de tous les autres péchés, il en est néanmoins qui en découlent plus directement, et qu'on appelle pour cela les enfants de l'orgueil, filiæ superbiæ. Les principaux sont la vaine gloire, la jactance, le faste, la hauteur, l'ambition, l'hypocrisie, la présomption, l'opiniâtreté.

La vaine gloire est cette complaisance qu'on a en soi-même, à cause des avantages qu'on a, ou qu'on se flatte d'avoir, au-dessus des autres : de là ce désir désordonné d'être estimé, loué et honoré ; cette attention à se montrer et à faire connaître plus ou moins adroitement tout ce qui peut nous attirer la considération des hommes.

La jactance est le péché de ceux qui se donnent à eux-mêmes des louanges par vanité, font valoir leur mérite, leur crédit, leurs succès, leurs bonnes œuvres (4). Toutefois, ce n'est pas toujours un péché de faire connaître le bien qu'on a fait ; on peut en parler, non pour en tirer une vaine gloire, mais pour se justifier de quelque reproche injuste, ou pour l'instruction et l'édification du prochain (5).

Il y a faste, quand on cherche à s'élever au-dessus des autres, au-dessus de sa condition, par la magnificence de la tenue, des ameublements, des équipages. Ce luxe est encore de la vanité, de l'orgueil.

La hauteur s'annonce par la manière impérieuse avec laquelle on traite le prochain, la fierté avec laquelle on lui parle, l'air dédaigneux dont on le regarde, le ton méprisant qu'on tient à son égard.

L'ambition est le désir déréglé de s'élever aux dignités de l'Église ou de l'État, qu'on recherche principalement en vue de la considération et des honneurs qui y sont attachés

L'hypocrisie est un vice par lequel on cherche à s'attirer l'estime des hommes en empruntant les dehors de la vertu, en cherchant à paraître homme de bien sans l’être effectivement. Ce vice est aussi dangereux qu'il est odieux.

271. Il y a présomption à se confier trop en soi-même, à ses propres lumières. On se persuade qu'on est capable de mieux remplir que tout autre certaines fonctions, certains emplois qui surpassent nos forces et notre capacité. Ce péché est bien commun ; d'autant plus commun que ceux qui y sont sujets ne veulent point le reconnaître, se faussant facilement l'esprit et le jugement sur leur peu d'aptitude. Mais le Seigneur humilie les présomptueux.

L'opiniâtreté consiste dans l'attachement à son propre sentiment, malgré les observations fondées de ceux qui ne pensent pas comme nous. Il en coûte à l'amour-propre de convenir qu'on s'est trompé.

La notion que nous venons de donner de l'orgueil et de ses principaux effets suffit pour nous faire connaître combien ce vice est général, et combien il est difficile de s'en défendre. Nous trouvons le remède contre l'orgueil dans l'humilité chrétienne. L'humilité est pour le bien ce que l'orgueil est pour le mal. Aussi le Seigneur accorde sa grâce aux humbles et résiste aux orgueilleux  :

« Deus superbis resistit, humilibus autem dat gratiam (6). »
[Dieu résiste aux orgueilleux, et donne la grâce aux humbles.]

272. L'avarice, qui est le second péché capital, est un amour immodéré de l'argent, des biens de la terre :

« Avaritia est immoderatus amor habendi (7). »
[La cupidité est l’amour sans mesure de la possession. »]

Ce vice nous éloigne de Dieu, l'homme ne pouvant servir deux maîtres (8) ; il nous rend insensibles à la misère du prochain, et nous porte à la fraude, à l'injustice, au parjure, à la trahison :

« Avaro nihil scelestius (9). »
[«Rien n’est plus fautif [envers les autres] que l’homme cupide. »]

273. L'envie est la tristesse qu'on éprouve du bien qui arrive au prochain, en considérant ce bien comme diminuant notre propre gloire, notre mérite. Ce vice est contraire à la charité (10). Nous renvoyons au cinquième et au sixième précepte ce que nous avons à dire de la colère et de la luxure.

[p. 275. ]

La colère, qui est un des sept péchés capitaux, est une émotion de l'âme contre la personne dont on croit avoir reçu quelque injure, qui nous porte à rejeter avec violence ce qui nous déplaît, et à nous venger de ceux qui nous ont offensés. C'est pourquoi saint Augustin appelle la colère le désir passionné de la vengeance, libido vindictæ (11). Mais il ne faut pas confondre la colère proprement dite avec l'émotion, l'indignation qu'on éprouve à la vue d'un désordre. C'est de cette émotion, qui est excitée par le zèle pour l'ordre, la justice ou la religion, que parle le Roi Prophète, quand il dit : Mettez-vous en colère, et ne péchez point ; « Irascimini, et nolite peccare (12). »

6l5. La colère est un péché mortel en son genre :

« Ex genere suo ira est peccatum mortale, quia contrariatur charitati et justitia (13). »
[la colère est un péché mortel en son genre, parce qu’il est contredit par la charité et la justice. »]

Quiconque, dit le Sauveur, se met en colère contre son frère, mérite d'être condamné par le jugement :

« Omnis qui irascitur fratri suo, reus erit judicio (14). »
[«  Tout homme qui est en colère contre son frère sera mis en cause lors du jugement. »]

Cependant la colère n'est qu'un péché véniel, lorsqu'elle n'est ni contre la justice, ni contre la charité, mais qu'elle détruit seulement la douceur ; lorsque le mal qu'on souhaite au prochain est si peu considérable, que quand même on le lui ferait, il n'y aurait pas péché mortel ; enfin, lorsque l'émotion est légère ou passagère, ou qu'elle n'est pas pleinement volontaire (15).

La colère est mortelle, lorsque l'émotion est si violente qu'elle éteint en nous l'amour de Dieu ou du prochain, comme il arrive quand elle se manifeste par des blasphèmes contre Dieu, ou des injures atroces contre le prochain, par de mauvais traitements (16).

[Pour la luxure voir infra.]

274. La gourmandise est un désir déréglé de boire et de manger, un usage immodéré des aliments nécessaires à la vie :

« Appetitus edendi vel bibendi inordinatus (17). »
[Un désir désordonné de manger et de boire]

Ce n'est ni le plaisir ni le goût qu'on trouve dans la nourriture qui caractérise le péché de gourmandise, c'est l'excès ou le défaut de modération qui en fait la malice.

« Licitum est uti delectatione ad cibum percipiendum pro corporis salute (18). »
[« Il est permis d’user du plaisir de la nourriture qui doit être prise pour la santé du corps. »]

Mais il n'est pas permis de boire et de manger jusqu'à satiété uniquement à cause du plaisir. Le pape Innocent XI a censuré la proposition contraire, ainsi conçue :

« Comedere et bibere usque ad satietatem ob solam voluptatem, non est peccatum, modo non obsit valetudini, quia licite potest appetitus naturalis suis actibus frui (19). »
[«Ce n’est pas un péché de manger et de boire jusqu’à satiété à cause du plaisir seul, d’une façon qui ne soit pas nuisible à la santé, parce que l’appétit naturel peut, en toute permission, jouir de son activité même »].

On se rend coupable de gourmandise en cinq manières : 1° en mangeant avant le temps convenable, surtout les jours de jeûne ; 2° en recherchant des mets trop somptueux, d'un trop grand prix, eu égard à la condition de celui qui se fait servir ; 3° en mangeant ou buvant avec excès ; 4° en se jetant sur la nourriture avec voracité, ce qui ne convient qu'à la brute ; 5° en exigeant trop d'apprêt pour les aliments, comme font ceux qui cherchent plutôt à satisfaire leur goût que le besoin qu'éprouve la nature.

275. Le péché de gourmandise est mortel : 1° quand on s'abandonne habituellement aux plaisirs de la table, qu'on met en quelque sorte sa fin dernière à boire ou à manger ; 2° quand on boit ou qu'on mange jusqu'à nuire notablement à sa santé ; 3° lorsqu'on viole les lois du jeûne ou de l'abstinence ; 4° lorsqu'on se rend incapable de remplir une fonction qu'on est obligé de remplir sous peine de péché mortel ; 5° quand l'excès dans le boire va jusqu'à l'ivresse, et prive l'homme de l'usage de la raison ; 6° quand on s'excite au vomissement, afin de pouvoir continuer de boire ou de manger (20).

Mais y a-t-il péché mortel à boire ou à manger jusqu'au vomissement ? Cela n'est pas certain ; il est même probable que, dans le cas dont il s'agit, le péché n'est que véniel, à moins qu'il n'y ait scandale, ou que la santé n'en souffre notablement :

« Comedere vel bibere usque ad vomitium probabile est peccatum esse tantum veniale ex genere suo, nisi adsit scandalum, vel notabile nocumentum valetudinis (21). »
[« Quant au fait de manger et de boire jusqu’au vomissement, il est probable que c’est un péché seulement véniel, en son genre, s’il ne s’y ajoute pas un scandale ou un dommage évident pour la santé. »]

Il y aurait certainement scandale et faute grave, si cela arrivait à un ecclésiastique, à un prêtre, à un pasteur, à moins qu'on ne pût attribuer cet accident à une indisposition.

276. Celui qui s'enivre volontairement, sans avoir été surpris par la force du vin, pèche certainement ; saint Paul met l'ivresse au nombre des péchés qui excluent du royaume des cieux :

« Neque ebriosi regnum Dei possidebunt (22). »
[« Et les alcooliques ne posséderont pas le royaume de Dieu. »]

Mais pour qu'il y ait péché mortel, il est nécessaire, suivant le sentiment certainement probable de plusieurs docteurs, que l'ivresse prive entièrement de l'usage de la raison :

« Ad hoc ut ebrietas sit peccatum mortale, requiritur ut sit perfecta, nempe quæ omnino privet usu rationis. Unde non peccat mortaliter qui ex potu vini non amittit usum rationis (23). »
[«Quant à cela, que l’ivresse soit un péché mortel, il est requis, pour qu’elle soit achevée, comme chacun sait, qu’elle prive totalement de l’usage de la raison. Par là donc, celui qui ne perd pas l’usage de la raison en buvant du vin, ne pèche pas mortellement. »]

On reconnaît qu'un homme n'a pas entièrement perdu l'usage de la raison, lorsqu'il peut encore discerner entre le bien et le mal.

Il n'est jamais permis de s'enivrer, quand même il s'agirait de la vie. C'est le sentiment de saint Alphonse de Ligori ; il le soutient comme plus probable que le sentiment contraire (24).

Il n'est pas permis non plus d'enivrer qui que ce soit, pas même celui qui est incapable de pêcher formellement. Si l’ivresse n'est point imputable à un enfant, à un insensé, elle le serait pour celui qui en serait l'auteur.

277. On ne doit pas engager un convive à boire, lorsqu'on a lieu de craindre que cette invitation n'aboutisse à l'ivresse. Ce serait également une imprudence blâmable de faire boire ceux qui ont déjà pris trop de vin, ou qui ne peuvent en prendre davantage sans danger de s'enivrer.

Mais on doit excuser celui qui sert du vin à ceux qui en abusent ou qui en abuseront, lorsqu'il ne peut le leur refuser sans de graves inconvénients ; lorsque, par exemple, ce refus serait une occasion d'emportement, de blasphème ; car servir du vin est en soi une chose indifférente, et l'abus qu'en font ceux qui l'exigent leur est personnel.

278. Ne peut-on pas enivrer quelqu'un, pour l'empêcher de faire un plus grand mal ; de commettre, par exemple, un homicide, un sacrilège ? Nous ne le pensons pas, quoique le sentiment contraire paraisse assez probable à saint Alphonse de Ligori (25). Il nous semble que ce serait coopérer directement à une chose mauvaise de sa nature ; ce qui n'est point permis. Cependant il ne faudrait pas inquiéter ceux qui le feraient ; car on peut facilement les supposer de bonne foi sur une question de cette nature. Nous n'oserions pas non plus, pour la même raison, empêcher un malade de suivre l'avis de son médecin, qui, à tort ou à raison, lui prescrirait, comme remède nécessaire à sa guérison, de prendre du vin ou d'une liqueur enivrante, en assez grande quantité pour lui procurer par l'ivresse une crise qui peut être salutaire (26).

279. Si l'ivresse arrive par surprise, ce qui peut avoir lieu pour les personnes qui éprouvent quelque indisposition, ou qui ne connaissent pas la force du vin, des liqueurs qu'on leur sert, alors elle n'est point imputable, parce qu'elle n'est point volontaire. Si elle est volontaire, on est coupable, non seulement à raison de l'ivresse, mais encore à raison du mal qu'on a fait durant l'état d'ivresse ; des blasphèmes, par exemple, qu'on a proférés, de l'homicide qu'on a commis ; pourvu toutefois que cet homicide, ces blasphèmes aient été prévus, d'une manière au moins confuse, par celui qui s'est enivré volontairement.

280. La paresse, que quelques auteurs anciens confondent avec la tristesse, est une espèce de langueur de l'âme, un dégoût pour la vertu, qui tend à nous empêcher d'accomplir les devoirs communs à tout chrétien, ou propres à chaque état. La paresse devient péché mortel, toutes les fois qu'elle nous fait manquer à une obligation grave.

« Langor animi quo bonum vel omittitur, vel negligenter fit, est mortalis, si bonum sit graviter præceptum ; et semper valde periculosus est, disponitque ad mortale (27). »
[« L’abbatement de l’âme par laquelle une chose bonne est soit omise soit accomplie sans soin, est mortel, si la chose bonne est un commandement important  ; mais il est toujours fort dangereux, et dispose à devenir mortel. »]


p. 122-125.

CHAPITRE VI.

De la Chasteté, de la Continence, de la Pudeur, et de la Modestie.

516. La chasteté est une vertu morale qui modère et restreint dans les bornes du devoir le penchant naturel pour les plaisirs de la chair. On distingue la chasteté des vierges, la chasteté des personnes veuves, et la chasteté des personnes mariées. La première consiste dans une perpétuelle continence. Elle paraît avec éclat dans les vierges chrétiennes qui ont généreusement renoncé au mariage, et se sont dévouées à la garder toute leur vie. La chasteté des personnes veuves consiste à garder la continence le reste de leur vie. Cette chasteté est moins parfaite que la première. La chasteté des personnes mariées consiste à garder la fidélité conjugale, et à n'user du mariage que suivant les règles de la sainteté évangélique. Elle inspire une espèce d'horreur pour tout ce qui est contraire à la fin du mariage. La chasteté des époux, quelque sainte qu'elle soit, est moins parfaite que la chasteté des vierges et des personnes qui restent dans l'état de viduité par principe de religion.

La chasteté est nécessaire au salut, tous doivent être chastes dans leur état ; rien de souillé n'entrera dans la nouvelle Jérusalem :

« Non intrabit in eam aliquod coinquinatum (28). »
[« Rien de souillé n’entrera pas chez elle. »]

Pour garder cette vertu, il faut veiller constamment sur soi-même, vivre autant que possible dans la retraite et la prière, fréquenter les sacrements, pratiquer la mortification, et fuir avec soin les occasions du péché.

Les péchés contraires à la chasteté sont la fornication, l'inceste, l’adultère, et, en un mot, tous les péchés qui appartiennent à la luxure.

317. La continence est à peu près la même chose que la chasteté. Saint Thomas la fait consister dans la fermeté nécessaire pour ne pas se laisser entraîner par les mouvements de la concupiscence :

« Continentia habet aliquid de ratione virtutis inquantum ratio firmata est contra passiones, ne eis deducatur (29). »
[«La maîtrise des sens possède quelque chose de la notion de la vertu, dans la mesure où la raison est affermie contre les passions, afin de ne pas être menée par elles. »]

La pudeur, pudicitia, verecundia, est cette honte vertueuse qui donne de l’éloignement, de l'horreur pour toutes les actions capables d'offenser la chasteté. Rien de plus important pour les mœurs que de maintenir cette honte salutaire ; c'est un frein puissant contre le vice, contre le libertinage ; la vertu est bien en danger, si déjà elle n'a fait naufrage, dans les jeunes gens qui ne sont plus retenus par le sentiment de la pudeur.

318. La modestie est une vertu qui maintient dans l'ordre les mouvements intérieurs et extérieurs de l'homme.

« Modestia, dit saint Thomas, se habet non solum circa exteriores actiones, sed etiam circa interiores (30). »
[« Le sentiment de la mesure, dit saint Thomas, n’encadre pas seulement les actions extérieures, mais également les [actions] internes. »]

Elle règle notre intérieur parla douceur et l'humilité, et notre extérieur par la décence et l'honnêteté. On blesse la modestie par des discours, par des gestes, des actes contraires à la bienséance. Ainsi l’on doit, par exemple, regarder comme immodestes certaines parures, certaines modes capables d'alarmer la vertu.

Mais n'est-il pas permis à une femme de se parer pour plaire, et relever les grâces qu'elle a reçues de la nature ? Nous répondrons, d'après saint Thomas, en distinguant les femmes mariées et celles qui ne le sont pas. La femme qui se pare pour plaire à son mari ne pèche pas, si d'ailleurs sa parure n'a rien qui puisse scandaliser le prochain. Ce motif est honnête et quelquefois nécessaire pour prévenir le dégoût du mari, et empêcher qu'il ne se laisse séduire par une beauté étrangère.

« Si mulier conjugata ad hoc se ornet ut viro suo placeat, potest hoc facere absque peccato (31). »
[« Si une femme mariée s’embellit de façon à plaire à son mari, elle peut le faire sans péché. »]

Mais les femmes qui ne sont pas mariées, et qui ne pensent point au mariage, ne peuvent, sans péché, chercher à plaire aux hommes pour se faire désirer, parce que ce serait leur donner une occasion de pécher ; et si elles se parent dans l'intention de provoquer les autres à la concupiscence, elles pèchent mortellement. Si elles ne le font que par légèreté ou par vanité, leur péché n'est pas toujours mortel, il est quelquefois véniel.

« Si hac intentione se ornent ut alios provocent ad concupiscentiam, mortaliter peccant. Si autem quadam levitate, vel etiam ex quadam vanitate propter jactantiam quamdam, non semper est peccatum mortale, sed quandoque veniale (32). »
[« Si elle s’embellissent avec l’intention d’exciter le désir des sens, elles pèchent mortellement. Mais si, [elles le font] par quelque légèreté ou par quelque vanité pour attirer le regard, le péché n’est pas toujours mortel, mais quelquefois véniel. »]

319. Quant à celles qui, n'étant pas mariées, pensent sérieusement au mariage, elles peuvent certainement chercher à plaire par leur parure, pourvu toutefois qu'elles ne se permettent rien qui soit contraire à la décence, à la modestie chrétienne.

« On permet plus d'affiquets aux filles, dit saint François de Sales, parce qu'elles peuvent loisiblement désirer d'agréer à plusieurs, quoique ce ne soit qu'afin d'en gagner un par un légitime mariage (33). »

Mais quelles sont les parures qui blessent essentiellement la modestie ?

Num verbi gratia, peccent graviter mulieres ad sui ornatum ubera denudantes?
[Est-ce que, par exemple, les femmes pèchent gravement en découvrant leurs seins, pour s’embellir ?]

Laissons répondre saint Alphonse de Ligori. Voici ce qu'il dit :

« Non nego, 1° quod illæ feminæ quæ hunc morem alicubi introducerent, sane graviter peccarent. Non nego, 2° quod denudatio pectoris posset esse ita immoderata, ut per se non posset excusari a scandalo gravi, tanquam valde ad lasciviam provocans, uti bene ait Sporer. Dico, 3° quod si denudatio non esset taliter immoderata, et alicubi adesset consuetudo ut mulieres sic incederent, esset quidem exprobranda, sed non omnino damnanda de peccato mortali. Id tenent communissime Navarrus, Cajetanus, Lessius, Laymann, Bonacina, Salmanticenses et alii plurimi (34). »

[« Je ne nie pas, 1° que les femmes qui ont introduit cet usage en quelque endroit, pèchent vraiment gravement. Je ne nie pas, 2° que le découvrement de la poitrine peut être si excessif qu’on ne puisse l’exempter d’[être], par lui-même, un grave scandale, excitant, pour ainsi dire, grandement le libertinage, comme le dit bien Sporer. Je dis, 3° que si le découvrement n’est pas tellement excessif, et s’il participe en quelque endroit de la coutume qu’ont les femmes, de se présenter ainsi, il doit être blâmé, certes, mais pas du être condamné comme péché mortel. C’est ce que tiennent Navarre, Cajetan, Lessius, Laymann, Bonacina, les docteurs de Salamanque et plusieurs autres. »]

Mais, suivant le même docteur,

« Mulier aliquantulum ubera detegens non peccat graviter, per se loquendo etiam si forte inde in generali alii scandalizentur (35). »  
[« Un femme découvrant tant soit peu ses seins ne pèche pas gravement, à proprement parler, même si, par hasard, les autres en viennent à être scandalisés en l’espèce. »]

320. Les curés et les confesseurs feront tout ce que la prudence leur permettra, soit pour empêcher les modes indécentes de s'établir, soit pour les faire tomber. Sur quoi saint Antonin s'exprime ainsi :

« Si de usu patriæ est, ut mulieres deferant vestes versus collum scissas usque ad ostentationem mamillarum, valde turpis et impudicus est talis usus, et ideo non servandus... Si mulier ornet se secundum decentiam sui status et morem patriæ, et non sit ibi multus excessus, et ex hoc aspicientes rapiantur ad concupiscentiam ejus, erit ibi occasio potius accepta quam data ; unde non mulieri, sed ei soli qui ruit, imputabitur ad mortale... Igitur videtur dicendum quod ubi in hujusmodi ornatibus confessor invenit clare, et indubitanter mortale, talem non absolvat, nisi proponat abstinere a tali crimine. Si vero non potest clare percipere utrum sit mortale, non videtur tunc præcipitanda sententia, scilicet, ut deneget propter hoc absolutionem, vel illi faciat conscientiam de mortali, quia faciendo postea contra illud, etiam si illud non esset mortale, ei erit mortale, quia omne quod est contra conscientiam ædificat ad gehennam... Fateor tamen quod et prædicatores in prædicando, et confessores, in audientia confessionum debent talia detestari, et persuadere ad dimittendum, cum sint nimia et excessiva, non tamen ita indistincte asserere esse mortalia (36). »

[« Si tu sais qu’il est d’usage dans le pays que les femmes rabattent leurs vêtements sur la gorge jusqu’à montrer leurs seins, un tel usage est grandement honteux et impudique, et par conséquent, il ne doit pas être observé... Si une femme s’embellit en gardant la décence lié à son état et [en respectant] la coutume du pays, s’il n’y a pas là grand excès, et que, en cette circonstance, ceux qui [la] regarderaient seraient emportés par leur désir, il y aura là une occasion bien accueillie plutôt que donnée ; en ce lieu, ce n’est pas à la femme que sera imputé le péché mortel mais à celui-là seul qui se précipite [sur elle]... Donc il semble qu’il faut dire que, là où le confesseur découvre clairement et indubitablement, en des parures de ce genre, un péché mortel, il ne doit pas l’absoudre, s’il ne propose de s’abstenir d’un tel crime. Si vraiment, il ne peut discerner clairement qu’il s’agit d’un péché mortel, il semble alors qu’il ne faille pas précipiter le jugement, c’est-à-dire, soit en refusant pour cela l’absolution, soit en faisant prendre conscience de ce péché mortel, parce que, [pour la femme] qui agirait par la suite [dans le sens] contraire à ce péché, même si [ce péché] n’est pas mortel, il le sera pour elle, parce que tout ce qui va contre la conscience conduit vers la géhenne... Je reconnais cependant, que les prêcheurs, en prêchant et les confesseurs, en recevant les confessions, doivent repousser de telles choses, et convaincre de les abandonner, dès lors qu’elles sont exagérées et excessives, mais pourtant, ne pas affirmer qu’elles sont indistinctement mortelles. »]

321. Quant à l'usage du fard, il est si commun, et ses effets sont si peu sensibles, qu'on le tolère, à moins qu'on ne s'en serve dans des vues lascives, ou au mépris de l'œuvre de Dieu. Il est même permis, dit saint Thomas, quand on y a recours pour cacher une laideur qui provient de la maladie ou de quelque autre accident:

« Non semper fucatio est cum peccato mortali, sed solum quando fit propter lasciviam, vel in Dei contemptum. Sciendum tamen quod aliud est fingere pulchritudinem non habitam, et aliud occultare turpitudinem ex aliquo casu provenientem, puta ex ægritudine vel aliquo hujusmodi ; hoc enim est licitum (37). »
[« Le maquillage n’est pas toujours accompagné de péché mortel, mais seulement quand il est fait en vue du libertinage, ou [à cause] du mépris de Dieu. Cependant, il faut savoir qu’une chose est de façonner une beauté que l’on a pas, mais qu’une autre est de cacher la laideur provenant de quelque accident, par exemple, du pur malaise physique ou de quelque chose de ce genre  : ceci est en effet permis. »]

Du reste, en condamnant les parures et les modes indécentes, un curé, un prédicateur, un confesseur doit éviter avec soin de comprendre dans sa censure ou ses réprimandes les modes qui, n'ayant rien de contraire à la modestie, n'ont pas d'autre inconvénient que d'être nouvelles. C'est un écueil contre lequel les prêtres encore jeunes ou peu instruits ne se tiennent pas toujours suffisamment en garde.


p. 296-304.

CHAPITRE II.

Des Péchés d'Impureté consommée.

652. Les péchés de luxure ou d'impureté consommée sont de sept espèces : la simple fornication, le stupre [stuprum], le rapt, l'inceste, le sacrilège, l'adultère, et le péché contre nature. Le vice contre nature comprend la pollution volontaire, la sodomie et la bestialité.

De fornicatione simplici. Fornicatio simplex est concubitus soluti cum soluta ex mutuo consensu. Soluti vero dicuntur qui sunt liberi non solum a vinculo matrimonii, sed etiam a mutua cognatione vel affmitate in gradibus prohibitis, a voto continentiæ, ab ordine sacro et violentia. Ad fornicationem reducitur concubinatus inter solutos, quippe qui non est aliud quam continuata fornicatio.

[De la fornication simple. La fornication simple est le coït d’un célibataire avec une célibataire, en tout accord mutuel. De fait, on appelle célibataires ceux qui sont libres, non seulement de tout lien de mariage, mais aussi des degrés prohibés de parenté ou d’alliance mutuelle, du vœu de continence, de l’ordre sacré, et de la violence. Le concubinage entre célibataires est assimilé à la fornication, du fait qu’il ne s’agit pas d’autre chose qu’une fornication ininterrompue.]

653. Fornicatio est vetita jure naturali ; proindeque non solum est mala quia prohibita, sed prohibita quia mala. Barbari tamen, sylvestres, agrestes et rudes quibus deest instructio, possunt ignorare, etiam invincibiliter, malitiam fornicationis, « quia, ut ait S. Thomas, hujusmodi inordinatio, cum non manifeste contineat injuriam proximi, non est omnibus manifesta, sed solum sapientibus per quos débet ad aliorum notitiam derivari (38). « 

[La fornication est interdite par le droit naturel ; et par conséquent elle n’est pas mauvaise parce qu’elle est prohibée, mais elle est prohibée parce qu’elle est mauvaise. Cependant, les Barbares des forêts, des champs, grossiers, à qui il manque l’instruction, peuvent ignorer, et même invinciblement, le caractère mauvais de la fornication, « parce que, comme le dit S. Thomas, un désordre de ce genre, lorsqu’il ne renferme pas manifestement un dommage pour le prochain, n’est pas manifeste pour tous, mais seulement pour les sages, au travers desquels il doit être porté à la connaissance des autres. »]

Communiter non est absolvendus concubinarius, etiamsi det signa magni doloris, nisi dimiserit concubinam, aut nisi postquam (concubina extra domum degente), per aliquod tempus notabile ad eam non accesserit (39). De hoc autem fusius, ubi de pœnitentia.

[Communément, on ne doit pas absoudre le concubin, même s’il donne des signes de douleurs, s’il ne renvoie pas sa concubine, ou si, par la suite, (la concubine vivant hors de sa maison), il l’a fréquenté, pendant une longueur de temps notable. Ce [sujet] [est traité] plus abondamment au chapitre de la pénitence. ]

654. De stupro. Stuprum est defloratio virginis, ipsa invita (40), vel etiam juxta plures, illa consentiente (41). Virginis autem nomine non intelligitur, ea quæ virtutem virginitatis sic servavit ut nullo peccato luxuriæ fuerit maculata, sed illa quæ virginitatis signaculum retinet integrum, quamvis delectationibus venereis aut mollitie polluta fuerit. Itaque virginitas hic sumitur non pro virtute, sed pro statu integritatis.

[Du stupre. Le stupre est la défloration d’une femme vierge, contre son gré ou également d’après plusieurs, avec son consentement. Or, par le nom de vierge, on n’entend pas celle qui a ainsi conservé la vertu de virginité afin de n’être souillée d’aucun péché de luxure, mais celle qui a maintenu intact le sceau de la virginité, quoiqu’elle eut été salie par les plaisirs vénériens ou par la mollesse [masturbation]. C’est pourquoi virginité, ici, n’est pas prise au sens de vertu, mais au sens d’ état d’intégrité.]

Num virgo tenetur potius permittere se occidi quam violari, quando nempe invasor ei minatur mortem, si copulæ non acquiescat ?

[Est-ce que la femme vierge est, de préférence, tenue de permettre qu’on la tue ou qu’on la viole, quand, comme chacun sait, celui qui se jette sur elle la menace de mort, si elle ne consent pas à l’union ?]

Duplex est sententia. Prima, quam tenent Navarrus, Sotus, Toletus et alii, docet feminam non teneri mortem pati potius quam violari ; sed posse tunc permissive se habere, dum accidit copula ; modo voluntate positive resistat, et consensus periculum absit ; quia, ut aiunt, illa permissio non est tunc cooperatio moralis, sed tantum materialis : et ideo ob periculum mortis satis excusatur. Secunda sententia quam tenent de Lugo, Salmanticenses et alii, docet hoc omnino illicitum esse, quia, cum femina se agitando possit impedire congressum, si non impediat propter metum mortis, immobilitas ejus haberi potest ut cooperatio voluntaria et vere moralis. Hæc secunda sententia suadenda est in praxi, saltem ob periculum consensus, quod in illa permissione vel quiete facile adesse potest (42).

[Il y a deux avis. Le premier que défendent Navarre, Sotus, Toletus et d’autres, enseigne que la femme n’est pas tenue de subir la mort plutôt que d’être violée  ; mais qu’elle peut alors s’abandonner, pendant qu’a lieu l’union ; elle résiste au positif selon le mode de la volonté, et le risque de consentement est éloigné ; parce que, comme ils disent, cette permission n’est pas alors une coopération morale, mais seulement matérielle  : et par conséquent elle est suffisamment excusée à cause du risque de mort. Le deuxième avis que défendent de Lugo, les docteurs de Salamanque et d’autres, enseigne que cela n’est pas permis du tout, parce que, en s’agitant, la femme peut empêcher la rencontre sexuelle, [et] si elle ne l’empêche pas par crainte de la mort, son immobilité peut être prise pour une coopération volontaire et vraiment morale. Ce second avis doit être conseillé dans la pratique, à tout le moins à cause du risque de consentement parce qu’ il peut prendre une part tranquille et facile à cette permission.]

655. De raptu. Non agitur hic de raptu quatenus matrimonium reddit invalidum, sed quatenus est una species luxuriæ : sub hoc autem respectu sumptus definiri potest : vis illata cuicumque personæ, aut iis quorum potestati rapta subest, explendæ libidinis causa.

Du rapt. Il ne s’agit pas ici du rapt, en tant qu’il rend le mariage invalide, mais en tant qu’il est un genre particulier de luxure  : et pris sous cet aspect, il peut être défini : une force infligée à quelque personne que ce soit et à ceux sous la puissance de laquelle se trouve celle [qui est], enlevée, ayant pour cause la satisfaction d’un désir débridé.

Dicitur 1° vis illata ; seu violentia physice et proprie dicta, vel etiam metus qui censeatur gravis respective ad personam quæ rapitur. Si quæ persona consentiat rapere volenti et sponte discedat, etiam insciis parentibus, non est proprie raptus, sed fuga, non addens malitiam specie distinctam fornicationi (43).

[Il est dit 1° force infligée ; soit une violence physique proprement dite, mais aussi la crainte perçue comme importante du point de vue de la personne enlevée. Si la personne est en accord avec celui qui veut l’enlever et s’en va volontairement, même si ses parents ne le savent pas, ce n’est pas à proprement parler un rapt, mais une fugue, qui n’ajoute pas un mal, distinct par l’espèce, à la fornication.]

Dicitur 2°, cuicumque personæ ; nam quæcumque persona, sive masculus, sive femina, sive virgo, sive corrupta, sive soluta, sive conjugata, est materia raptus ; qui est eo gravior quo persona rapta graviores induit qualitates : ita ut si sit conjugata, peccatum luxuriæ sit raptus et adulterium ; si Deo dicata, raptus et sacrilegium ; et sic de cæteris.

[Il est dit 2°, à quelque personne que ce soit ; en effet, toute personne est matière à rapt, soit un homme, soit une femme, soit une personne vierge, soit une personne corrompue, soit une personne célibataire, soit une personne mariée ; [le rapt] selon lequel la personne ravie revêt des qualités de plus de poids est plus grave : ainsi si elle est mariée, le péché de luxure est un rapt et un adultère ; si elle est consacré à Dieu, c’est un rapt et un sacrilège ; et ainsi de suite.]

Dicitur 3°, aut iis quorum potestati rapta subest, nempe parentibus, tutoribus aut custodibus ab iis constitutis, sub quorum cura existit persona quæ rapitur ; quia tunc habetur violentia. Qualitercumque autem adsit violentia, salvatur ratio raptus, prout est luxuriæ species : sive ergo rapta raptori consentiat reluctantibus parentibus, sive consentiant parentes reluctante rapta raptus est. Abductio autem puellæ sponte consentientis, reluctantibus etiam parentibus, non est raptus qui sufficiat ad impedimentum matrimonii dirimens.

[Il est dit 3°, et à ceux sous la puissance de laquelle se trouve celle [qui est] enlevée, comme chacun sait, aux parents, aux tuteurs et aux surveillants établis par eux, aux soin desquels se trouve la personne qui est enlevée ; parce qu’alors, il y a violence. Or, de quelque manière qu’ait lieu la violence, la notion de rapt est maintenue dans le genre luxure : il y a rapt soit, donc, si la personne enlevée est d’accord avec celui qui l’enlève, et que les parents s’y opposent, soit si les parents sont d’accord et que la personne enlevée s’y oppose. Or le fait d’emmener une jeune fille spontanément consentante, même si les parents s’y opposent, n’est pas un rapt qui soit suffisant pour un empêchement dirimant du mariage.]

Dicitur 4°, explendæ libidinis causa ; quia si raptus fiat ex alia causa, nempe ut persona rapta venundetur, aut adhibeatur ut servus aut ancilla, raptus ille non est species luxuriæ. Quamvis autem raptus de quo loquimur non habeat suum complementum nisi per expletionem libidinis, verus tamen raptus erit ex sola intentione, copula non secuta. De pœnis ab Ecclesia latis in raptores alibi dicemus (44).

[Il est dit 4°, ayant pour cause la satisfaction d’un désir débridé ; parce que si le rapt est fait pour une autre raison, comme chacun sait, afin que la personne enlevée soit vendue ou employée comme esclave ou servante, ce rapt n’appartient pas à luxure. Or quel que soit le degré de complément que le rapt dont nous parlons trouve dans la satisfaction d’un désir débridé, ce sera pourtant un vrai rapt, de par la seule intention, [même si] l’union sexuelle ne suit pas. Au sujet des peines attachées par l’Église aux kidnappeurs, nous en parlerons autre part]

656. De incestu. Incestus est congressus inter cognatos aut affines in gradibus ab Ecclesia prohibitis. Gradus autem prohibiti sunt in consanguinitate et affînitate ex matrimonio sive rato sive consummato, usque ad quartum inclusive ; in affînitate orta ex copula illicita usque ad secundum inclusive.

[De l’inceste. L’inceste est la rencontre sexuelle entre parents ou alliés aux degrés prohibés par l’Église. Or les degrés de consanguinité et d’alliance provenant d’un mariage soit décidé, soit consommé, sont prohibés jusqu’au quatrième inclu ; [les degrés d’] alliance née d’une union sexuelle non permise [sont prohibés] jusqu’au deuxième inclus.

Licet incestus cum consanguinea sit gravior quam incestus cum affine in eodem gradu, uterque tamen probabiliter est ejusdem speciei. «Persona affinis, inquit S. Thomas, conjungitur alicui propter personam consanguinitate conjunctam ; et ideo quia unum est propter alterum, ejusdem rationis inconvenientiam facit consanguinitas, et affinitas (45). » Idem dicendum videtur de incestibus in variis gradibus consanguinitatis et affinitatis. Omnes enim incestus quoad gradus sunt probabiliter ejusdem speciei, excepte tamen primo gradu consanguinitatis in linea recta (46).

[Bien qu’un inceste avec une personne consanguine soit plus grave qu’un inceste avec une personne alliée au même degré, chacun des deux est cependant, vraisemblablement, du même genre. « Une personne alliée, dit S. Thomas, est liée à quelqu’un à cause d’une [autre] personne [qui lui est] liée par consanguinité, et donc, parce l’un est la cause de l’autre, la consanguinité, et l’affinité, sont inconvenants pour la même raison. »Il semble qu’il faille dire la même chose des incestes concernant les divers degrés de consanguinité et d’alliance. En effet, tous les incestes quelque soit le degré, sont vraisemblablement du même genre, excepté cependant celui du premier degré de consanguinité en ligne directe.]

Hæc de cognatione carnali : incestus enim inter cognatos spirituales, ratione scilicet cognationis quæ oritur ex baptismo et confirmatione, specie differt ab incestu, qui fit inter consanguineos et affines. « Si enim, ait Doctor angelicus, aliquis abutatur persona conjuncta sibi secundum spiritualem cognationem, committit sacrilegium ad modum incestus (47). » An autem sit explicandus in confessione gradus cognationis spiritualis, affirmant plures ; sed probabilius alii negant. Pariter incestus inter cognatos legales, nempe ratione adoptionis, diversæ est speciei ab aliis incestibus enunciatis.

[Voilà pour la connaissance charnelle : en effet l’inceste entre parents spirituels, à savoir pour une raison de parenté née du baptême et de la confirmation, diffère par le genre de l’inceste qui a lieu entre consanguins et alliés. « Si, en effet, dit le Docteur angélique, quelqu’un abuse d’une personne qui lui est liée parla parenté spirituelle, il commet un sacrilège par mode d’inceste. ». Or faut-il préciser en confession le degré de parenté spirituelle, plusieurs l’affirme ; mais d’autres le nie avec plus de vraisemblance. l’inceste entre parents selon le droit, au même degré, comme chacun sait, en raison de l’adoption, est d’un genre tout autre que les autres incestes déjà mentionnés.]

657. De sacrilegio. Sacrilegium est in materia luxuriæ, cum violantur sacra per actum venereum. Potest autem sacrilegium commiti circa personam, locum, et rem.

[Du sacrilège. Le sacrilège, en matière de luxure, a lieu lorsque des choses consacrées sont profanées par un acte vénérien. Or un sacrilège peut être commis contre une personne, un lieu ou une chose.

Circa personam ; ut si quis peccat habens votum castitatis, sive solemne, sive simplex, aut peccat scienter cum eo qui habet illud votum. Hinc sacerdos aut religiosus peccans cum alia persona sacrata duplex committit sacrilegium.

[1° Contre une personne ; c’est-à-dire si pèche quelqu’un qui a prononcé un vœu de chasteté, soit solennel soit simple, ou s’il pèche sciemment avec quelqu’un qui a prononcé ce vœu. Par là, un prêtre ou un religieux qui pèche avec une autre personne consacré commet un double sacrilège.

Circa locum. Sacrilegium committitur per copulam carnalem aut quamcumque voluntariam seminis humani effusionem in loco sacro. Per locum autem sacrum comprehenditur omnis locus ab Episcopo benedictus et officio divino deputatus, a tecto interiori usque ad pavimentum : comprehenduntur etiam cœmeteria. Sed non reputatur locus sacer tectum exterius ecclesiæ, nec parietes exteriores, nisi inserviant pro muro cœmeterii ; neque caveæ fabricatæ sub pavimento, nisi sit locus sepulturæ aut ibidem divina celebrentur officia ; neque sacristia, atrium, turris seu campanile ; neque tandem oratoria privata, nisi sint erecta auctoritate Episcopi, ut fieri solent in hospitalibus, aut seminariis, collegiis ; quia tunc veræ sunt ecclesiæ. Ut oratorium sit sacrum, non sufficit ut Episcopus det licentiam in eo sacra faciendi ; quia, hoc non obstante, potest ad nutum domini ad usus profanos converti.

[2° Contre un lieu. [Il s’agit d’] un sacrilège [qui] est commis par union charnelle ou quelque éjaculation volontaire de sperme humain dans un lieu consacré. Or, par lieu sacré, on entend tout lieu béni par un évêque et voué à l’office divin, depuis le toit intérieur jusqu’au plancher : y sont compris également les cimetières. Mais le toit extérieur de l’église n’est pas réputé être un lieu sacré, ni les murs extérieurs, s’ils ne servent de mur de cimetière ; ni les cryptes sous le plancher, s’il ne s’agit d’un lieu de sépulture ou [d’un lieu] de célébration des offices divins ; ni la sacristie, ni le portique, ni le clocher ou campanile ; Et, enfin, ni les chapelles privées, si elles ne sont érigées par l’autorité de l’évêque, comme elles ont coutume de l’être dans les hôpitaux, les séminaires, ou les collèges ; parce qu’alors, elles sont de vrais églises. Pour qu’une chapelle soit consacrée, il ne suffit pas que l’évêque donne la permission d’y célébrer les mystère sacrés ; parce que, cela n’empêche pas, selon la volonté du propriétaire, de rendre [le lieu], à un usage profane.]

Copula maritalis, etiam occulta quæ habetur in ecclesia, sacrilegium est (48).

Alii negant tactus etiam graviter turpes, in ecclesia habitos, esse sacrilegia. Alii vero damnant ut sacrilegia quoslibet actus externos graviter turpes, necnon aspectus impudicos, et verba graviter obscœna, si habeantur in ecclesia. Cogitationes autem et desideria non sunt sacrilegia, nisi versentur circa luxuriæ peccatum in loco sacro externe patrandum.

[Une union sexuelle conjugale, même cachée, qui a lieu dans une église, est un sacrilège.

D’autres nient que des attouchements même gravement honteux, qui ont lieu dans une église soient des sacrilèges. D’autres condamnent en vérité comme sacrilèges n’importe quels actes extérieurs gravement honteux et également les regards impudiques et les paroles gravement obscènes si elles ont lieu dans une église. Mais les pensées et les désirs ne sont pas des sacrilèges, si elles ne se transforment pas en péché de luxure extérieurement consommé dans un lieu consacré.]

658. 3° Circa rem. Committit sacrilegium qui rebus sacris utitur ad turpia. Idem dicendum de sacerdote qui turpiter peccat indutus ad missam aut gestando eucharistiam, aut statim post sacram communionem, verbi gratia, infra mediam horam. Non autem sacrilegus est qui turpiter peccat gestando reliquias ; neque si illos daret amasiæ titulo donationis. Secus vero, si daret in pretium peccati, nam tunc simonia esset simul et sacrilegium.

An autem sit sacrilegium peccatum carnale commissum in diebus festis ? Affirmant aliqui ; sed multo plures et probabilius negant. Finis enim præcepti non cadit sub præceptum (49).

[3° Contre une chose. Commet un sacrilège celui qui use de choses consacrées à des fins honteuses. Il faut dire la même chose du prêtre qui pèche honteusement en étant revêtu pour la messe, ou en portant l’eucharistie, ou par la parole, aussitôt après la sainte communion, en moins d’une demi-heure. Mais il n’est pas sacrilège celui qui pèche honteusement en portant des reliques ; ni s’il les donne à son amante à titre gratuit . [Il en est] autrement, en vérité, s’il les donne, pour prix du péché, en effet, ce serait alors en même temps simonie et sacrilège.

Mais, le péché de chair commis pendant les jours de fête, est-il un sacrilège ? Quelques uns l’affirment ; mais de nombreux autres le nient avec vraisemblance. En effet, la fin du commandement ne tombe pas sous le commandement.]

659. De adulterio. Adulteriun est tori alieni violatio. Tres autem sunt gradus in adulterio : primus est conjugati cum soluta ; secundus, conjugatæ cum soluto ; tertius, conjugati cum conjugata, quorum est diversa gravitas. Secundus est gravior primo ; tum quia ex commixtione unius mulieris cum pluribus viris plerumque impeditur generatio ; tum quia, si non impediatur, incertum fit cujus nata proles, utrum nempe sit mariti, an adulterantis ; tum denique quia fit singularis injuria marito, cui supponitur aliana proles, necnon filiis legitimis, dum extraneus immittitur in partem hæreditatis ; saltem his periculis se subjicit mulier adultéra : quia omnia non consequuntur ex adulterio conjugati cum soluta. Tertius autem gradus est omnium gravissimus, quia ultra prædicta duplicem continet infidelitatem duplicemque înjustitiam, in confessione exprimendam.

[De l’adultère. L’adultère est la violation de la couche d’un autre. Or, il y a trois degrés dans l’adultère : le premier [degré] est [l’adultère] d’un homme marié avec une femme célibataire ; le deuxième [degré] est [l’adultère] d’une femme mariée avec un homme célibataire ; le troisième [degré] est [l’adultère] d’un homme marié avec une femme mariée. La gravité de ces [degrés] varie. Le deuxième [degré] est plus grave que le premier ; car, alors, la reproduction est généralement entravée par l’union d’une femme avec plusieurs hommes ; car, alors, si elle n’est pas entravée, on n’est pas certain de la paternité des enfants qui naissent, s’ils sont du mari ou de l’homme adultère ; car alors, enfin, il s’agit d’un outrage singulier pour le mari, sous [la responsabilité] duquel sont placés les enfants d’un autre, et non pas ses enfants légitimes, cependant qu’un [élément] étranger est mis en possession d’une partie de l’héritage ; tout du moins, [c’est] la femme adultère [qui] est soumise à ces risques : parce que toutes ces chose ne font pas suite à l’adultère d’un homme mariée avec une femme célibataire. Mais, le troisième degré est de tous le plus grave, parce que, outre les choses qui ont été dites, il renferme une double infidélité et une double injustice, que l’on doit exprimer en confession.]

Etiam si conjux adulteret de consensu comparis, verum est adulterium ; quia tunc fit injuria, si non conjugi sponte consentienti, saltem statui et juri conjugali cui cedere non possunt conjuges, quodque ideo cum maneat integrum, non obstante eorum cessione, violatur per adulterium (50). Ad quid teneantur adulter et adultéra, dicemus ubi de restitutione.

[Même si le conjoint commet un adultère avec l’accord de son partenaire, cela constitue vraiment un adultère ; parce qu’alors, il s’agit d’un outrage, sinon pour celui qui y consent volontairement, tout du moins pour l’état et le droit conjugal que les conjoints ne peuvent abandonner, et parce que [ce droit] demeure par conséquent inentamé, il est violé par l’adultère, [et] sa cession ne peut s’y opposer,. Nous parlerons de ce à quoi sont tenus l’homme et le femme adultères quand [il sera question] de la réparation.]

660. De sodomia. Disputatur inter doctores in quo consistat : alii volunt eam consistere in concubitu ad indebitum vas ; alii vero communius et probabilius in concubitu ad indebitum sexum : « Concubitus ad indebitum sexum, puta masculi ad masculum, vel feminæ ad feminam, dicitur vitium sodomiticum : » ita S. Thomas (51). Hinc infertur non esse sodomiam perfectam seu proprie dictam nisi in coitu feminæ cum femina, aut masculi cum masculo. Verum adest sodomia, in quacumque parte corporis fiat congressus ; quia ordinarie tunc adest affectus ad indebitum sexum ; et ideo non est opus explicare, in confessione an pollutio fuerit intra vel extra vas. At probabiliter necesse non est ut sodomita declaret an fuerit agens aut patiens, nam ista circumstantia non mutât speciem peccati sodomitici. Explicandum autem si habita sit sodomia cum consanguinea vel conjugata ; aut habente votum castitatis.

[De la sodomie. On discute entre docteurs pour [savoir] en quoi elle consiste : les uns veulent qu’elle consiste dans le coït dans le vase indu ; les autres, vraiment plus communément et avec plus de vraisemblance, dans le coït avec le sexe indu : Le coït avec le sexe indu, c’est-à-dire d’un homme avec un homme, ou d’une femme avec une femme, est appelé vice de sodomie : », ainsi [le dit] S. Thomas. De là on infère qu’il n’existe pas de sodomie parfaite et proprement dite, si ce n’est dans le coït d’une femme avec une femme, ou d’un homme avec un homme. Il y a vraiment sodomie, dans quelque partie du corps qu’ait lieu la rencontre sexuelle ; parce que, alors, selon l’ordre, il y a disposition envers le sexe indu ; et par conséquent il n’est pas à préciser en confession, si l’éjaculation a eu lieu dans le vase ou en dehors. Mais, selon toute vraisemblance, il n’est pas nécessaire, que le sodomite déclare s’il a été actif ou passif, car, en effet, cette circonstance ne change pas le genre du péché de sodomie. Mais il faut préciser si la sodomie a eu lieu avec une personne consanguine ou mariée ; ou avec quelqu’un ayant fait vœu de chasteté.]

Coitus viri in vase indebito mulieris est sodomia imperfecta, specie distincta a perfecta. Verum si confessarius intelligat mulierem cognitam fuisse extra vas naturale aut præposterum, non debet quærere in quo loco vel quo modo (52).

[Le coït d’un homme avec le vase indu d’une femme est de la sodomie imparfaite, distincte par le genre de la [sodomie] parfaite. En vérité, si le confesseur comprend qu’une femme a été connue hors du vase naturel ou par l’arrière, il ne doit pas chercher [à savoir] dans quel endroit et de quelle façon.]

De bestialitate. Bestialitas, quæ gravissimum est peccatum, crimenque nefandum, est congressus hominis cum bestia. Non autem opus est explicare in confessione cujus speciei fuerit bestia, neque utrum illa fuerit mas aut femella. Ita communiter (53).

[De la bestialité. La bestialité, qui est le plus grave des péchés, et un crime impie, est la rencontre sexuelle d’un homme avec un animal. Or, il n’est pas besoin de préciser en confession de quelle espèce était l’animal, ni s’il était mâle ou femelle. [Cela est tenu] communément.]

661. De pollutione. Pollutio seu mollities est voluntaria seminis humani effusio extra congressum cum alio. Dicitur voluntaria ; quia hic agitur de pollutione quatenus est peccatum. Quapropter quæcumque pollutio sive in somnis sive in vigilia, quæ non est voluntaria, nec directe, nec indirecte, non imputatur ad peccatum.

[De la pollution (masturbation). La pollution ou mollesse, est une éjaculation volontaire de sperme humain, en dehors d’une rencontre sexuelle avec une autre personne. Elle est dite volontaire ; parce qu’il s’agit d’une pollution en tant que péché. C’est pourquoi une quelconque pollution soit durant le sommeil, soit durant la veille, qui n’est pas volontaire, ni directe, ni indirecte, ne peut être attribué au péché.]

Mollities seu pollutio est intrinsece mala, naturali nempe jure verita : unde, nullo casu licitum est intendere vel procurare directe pollutionem, ne causa quidem sanitatis ; ac vitandæ alias certæ mortis (54).

[La mollesse ou pollution est intrinsèquement mauvaise et redoutée, bien sûr, par le droit naturel : par conséquent, en aucun cas, il n’est permis d’avoir l’intention ou de procurer directement une pollution, sinon, certes, pour cause de santé ; et d’autres [causes] ayant pour but d’éviter une mort certaine.]

662. Pollutio per se est peccatum gravius quam fornicatio, cum illa sit contra naturam. Pollutioni autem additur malitia sacrilegii, si sit a quocunque habente votum castitatis, adulterii, si a conjugato ; fornicationis, si quis polluendo delectatur tanquam de coitu cum femina ; sodomiæ, si cogitet coire cum persona ejusdem sexus.

[La pollution est par elle-même un péché plus grave que la fornication, étant donné qu’ elle est contre nature. Et à la pollution est ajouté le mal de sacrilège, si elle est le fait d’un homme ayant fait vœu de chasteté, d’adultère, si [elle est le fait d’un homme] marié ; de fornication, si, en se polluant, quelqu’un prend du plaisir comme [s’il s’agissait] d’un coït avec une femme ; de sodomie, s’il a la pensée de coïter avec une personne de son propre sexe.]

Distillatio, quæ est fluxus humoris quasi medii inter urinam et semen, si voluntarie contingat cum notabili commotione spirituum generationi inservientium, procul dubio est peccatum mortale, quia notabilis commotio carnalis est pollutio inchoata. Idem dicendum, si distillatio sit in magna quantitate, quia talis notabilis distillatio non potest esse sine notabili carnis rebellione ; unde sicut graviter peccat qui notabilem commotionem procurat ; ita etiam qui magnam procurat distillationem. Hinc tenemur sub gravi non solum hujusmodi distillationem directe evitare, sed etiam indirecte, vitando nempe omnes causas proxime in eam influentes (55).

[Le liquide pré-séminal, qui est un écoulement de liquide pour ainsi dire intermédiaire entre l’urine et le sperme, s’il se produit volontairement avec l’excitation remarquable des mouvements servant la reproduction, est sans aucun doute un péché mortel, parce que l’excitation remarquable de la chair est le commencement de la pollution. Il faut dire la même chose si l’écoulement pré-séminal est grand en quantité, parce qu’un écoulement pré-séminal si remarquable ne peut avoir lieu sans un soulèvement remarquable de la chair ; par conséquent, il pèche de même gravement celui qui provoque une excitation remarquable ; ainsi également celui qui provoque un écoulement pré-séminal. De là nous sommes tenus sub gravi [sous peine de péché mortel ] d’éviter un écoulement pré-séminal, non seulement directement, mais aussi indirectement, en évitant, bien sûr, toute causes l’influençant le plus immédiatement.]

Si vero distillatio sit in modica quantitate, et sine delectatione, et commotione, tunc sine peccato possumus illam permittere ; quia de tali fluxu non est magis curandum quam de emissione cujuscumque alterius excrementi, de quo natura se exonerare solet. Imo plures, inter quos Holzmann, Sporer et Elbel, dicunt id posse permitti etiam cum levi commotione carnis. Verum directe et data opera procurare quamcumque distillationem, etiam levem, nullo modo potest excusari a peccato mortali, quia revera quæcumque distillatio semper, vel ut plurimum, secum fert aliquam commotionem et aliquantuli seminis effusionem (56).

[Si l’écoulement pré-séminal est vraiment en quantité mesurée, et sans plaisir et excitation, alors, nous pouvons le permettre comme étant sans péché, parce que il ne faut pas plus se soucier d’un tel écoulement que de l’émission de quelque autre excrément, dont la nature a coutume de se soulager. Mais au contraire, plusieurs dont Holzmann, Sporer et Elbel, disent que cela peut également être permis avec une légère excitation de la chair. En vérité, provoquer directement et en y faisant quelque chose quelque écoulement pré-séminal, même léger, ne peut, en aucune façon, être exempt de péché mortel, parce que, en effet, un quelconque écoulement pré-séminal, apporte toujours avec lui, et en grande quantité, quelque excitation et une éjaculation en assez grande quantité.]

663. Si judicio medicorum semen sit certo corruptum et sanitati nocivum, licitum est illud expellere medicamentis, etsi præter intentionem sequatur aliqua seminis effusio. Ita Sanchez, Sporer et alii. Nunquam tamen est licitum tactu semen corruptum expellere, etiamsi absit periculum consensus (57).

[Si, suivant le jugement des médecins, le sperme est certainement gâté et nocif pour la santé, il est permis de l’expulser par des médicaments, bien que cela soit suivi de quelque éjaculation, exception faite de toute intention. Ainsi [disent] Sanchez, Sporer et d’autres. Cependant il n’est jamais permis d’expulser par attouchement le sperme gâté, même si le risque de consentement est éloigné.]

Pollutio quæ fit in somno non imputatur ad peccatum, nisi sit voluntaria in causa. Quando pollutio incipit in somno, et emissio contingit in vigilia semiplena, tum, si homo aliquam experitur delectationem non plene deliberatam, peccat quidem, sed venialiter tantum. Quando vero emissio incipit in somno et continuatur in plena vigilia, qui patitur eam non tenetur, secluso tamen consensus in delectationem periculo, cohibere fluxum actualem ; nisi possit illum interrumpere absque gravi detrimento sanitatis. Ita plerique. Idem dicendum de quacumque pollutione involuotaria, sive in somno sive in vigilia eveniat, cum eadem sit ratio in utroque casu (58).

[La pollution qui a lieu durant le sommeil ne sera pas attribué au péché, si elle ne trouve pas [sa] cause dans la volonté. Quand la pollution débute durant le sommeil, et que l’éjaculation a lieu en demi-veille, alors, si l’homme éprouve quelque plaisir non pleinement délibéré, il pèche certes, mais de façon seulement vénielle. Quand, en vérité, l’éjaculation commence dans le sommeil et se poursuit en pleine veille, celui qui la subit, le risque de consentir au plaisir étant pourtant évité, n’est pas tenu de retenir le flux en train de se faire ; s’il ne peut l’interrompre sans un grave dommage pour la santé. C’est ainsi [que pensent] le plus grand nombre. Il faut dire la même chose de quelque pollution involontaire qui se produirait soit dans le sommeil soit dans l’état de veille, avec la même raison, dans l’un et l’autre cas.]

664. Quando actio ex qua prævidetur secutura pollutio, est secundum se licita, simul et necessaria vel utilis, conveniens animæ aut corpori, non est illicitum actionem ponere, nec ipsa pollutio prævisa est culpabilis, modo absit consensus aut proximum periculum consensus in eam (59).

[ Quand une action, dont il est prévu que suive une pollution, est en elle[-même], permise, à la fois nécessaire et utile, convenant à l’âme et au corps, il n’est pas interdit de la mettre en oeuvre, et la pollution envisagée elle-même n’est pas coupable, pourvu que soit éloigné le consentement ou le risque de consentement avec celle-ci.]

Hinc etiam prævisa pollutione licet, 1° parochis et aliis confessariis audire confessiones mulierum ; studere rebus venereis discendi causa vel docendi ; medicis et chirurgis aspicere et tangere pudenda mulieris ægrotantis ; 2° cum feminis honeste et utiliter conversari, illas amplexari aut osculari juxta morem patriæ ; servire in balneis et similia ; 3° ei qui valde molestum pruritum patitur in verendis, illum tactu abigere, etiamsi pollutio sequatur ; 4° equitare causa utilitatis, et etiam recreationis ; 5° cibum aut potum calidum sed salutarem moderate sumere, et honestas choreas ducere ; 6° demum, quodam situ cubare in lecto ad quiescendum commodius (60).

[De là également, pour ce qui concerne la pollution à prévoir, il est permis, 1° aux curés et autres confesseurs d’entendre les confessions des dames ; de s’intéresser aux choses vénériennes par souci de s’instruire ou d’enseigner ; aux médecins et aux chirurgiens d’examiner et de toucher les parties honteuses d’une femme malade ; 2° de discuter honnêtement et utilement avec les dames, d’embrasser les femmes ou de leur faire un baiser, en suivant la coutume du pays ; d’être serviteur dans les bains et autres choses similaires ; 3° à celui qui souffre grandement d’une démangeaison pénible dans les parties génitales, de la faire cesser par contact, même si une pollution s’en suit ; 4° de galoper à cheval à titre d’utilité mais aussi [à titre] récréatif ; 5° de prendre modérément de la nourriture ou une boisson chaude, mais salutaire, et de mener d’honnêtes danses collectives; 6° enfin, de se coucher dans un lit, en quelque position qui permette de se reposer plus confortablement.]

665. Diximus, quando actio est necessaria vel utilis, conveniens etc. : quia, si in præfatis casibus nulla sit ratio utilitatis, actio quamvis de se licita, non posset fieri absque peccato veniali vel mortali, prout magis minusve influeret in prævisam pollutionem. Sic incedere equo cum æque commode posses curru, certo situ cubare cum possis altero æque commodo, talibus cibis uti cum possis aliis æque sanis, est peccatum veniale ab bis non abstinere, ratione prævisæ inde pollutionis.

Diximus, modo absit consensus aut proximum periculum consensus in ipsam pollutionem. De proximo autem periculo consentiendi constabit, si quis ex simili occasione sæpius mortaliter lapsus fuerit ; secus vero, si aliquoties tantum.

[Nous avons dit, quand l’action est nécessaire ou utile, convenable, etc. : parce, dans les cas cités ci-dessus, s’il n’y a aucune raison d’utilité, une action, je l’accorde, permise en soi, ne peut être mise en œuvre sans péché véniel ou mortel, selon qu’elle influencerait plus ou moins une pollution prévisible. Ainsi lorsque tu peux circuler à cheval avec un attelage aussi commode, étant donné qu’assurément, tu peux te coucher dans une autre position aussi confortable, étant donné que tu peux user de tels autres aliments également sains, c’est un péché véniel de ne pas s’en abstenir, pour la raison, qu’à partir de là, la pollution est prévisible

Nous avons dit, pourvu que soit absent le consentement ou le risque de consentement avec la pollution elle-même. Or concernant le risque prochain, on considérera qu’il doit consentir, celui qui a très souvent fauté mortellement en pareille occasion ; en vérité, il en sera autrement, s’[il a fauté] seulement quelquefois.]

666. Quando actio, ex qua prævidetur secutura pollutio, est venialiter mala in genere luxuriæ vel in alio, si leviter tantum et remote influât in pollutionem, ipsa pollutio inde secuta est tantum veniale peccatum ; nec proinde est obligatio abstinendi ab illa actione, nisi sub veniali. Ita communius et probabilius(61).

[Quand une action, dont on prévoit qu’elle sera suivie de pollution, est mauvaise véniellement selon le genre de la luxure ou selon un autre [genre], dans l’hypothèse qu’elle influence la pollution seulement légèrement et de façon éloignée, la pollution elle-même qui la suit est seulement un péché véniel ; et par conséquent, ce n’est pas obligatoire de s’abstenir de cette action si ce n’est sub veniali [sous peine de péché véniel]. Ainsi [est-il tenu] le plus communément et le plus vraisemblablement.]

Hinc infertur non esse nisi peccatum veniale pollutionem quæ oritur ex colloquio non diuturno cum puella, vel levi aspectu, aut curiosa lectione leviter turpi. Pariter tactus, amplexus, oscula quæ venialia sunt in materia luxuriæ, sive ex imperfectione actus, sive quia fiunt ex levitate, joco, curiositate, aliove motivo non libidinoso, etsi ex his prævideatur secutura pollutio, venialiter tantum influunt in pollutionem, ipsamque non nisi venialiter malam efficiunt, modo tamen, ut semper supponitur, absit proximum periculum consensus in illam. Idem plures admittunt de pollutione involuntarie orta ex lectione etiam notabiliter turpi, si fiat ob solam delectationem, absque pravo animo et proximo periculo delectandi de ipsis rebus obscœnis ; verum id in praxi vix unquam concedi potest(62).

[De là, on infère que n’est autre chose qu’un péché veniel, la pollution qui naît d’une conversation non durable avec une jeune fille, ou d’un léger regard, ou encore d’une lecture curieuse et honteuse [faite] par légèreté. Pareillement, l’attouchement, l’embrassade, le baiser qui sont [péchés] véniels en matière de luxure, soit qu’ils aient été faits par imperfection ou parce qu’ils se sont produits par légèreté, jeu, curiosité, ou pour un autre motif non lié au désir débridé, même s’il a été prévu qu’une pollution s’en suivrait, n’influencent que véniellement la pollution, quoiqu’ils ne rendent pas véniellement mauvaise la pollution elle-même, dans la mesure, pourtant, comme on le suppose toujours, où est éloigné le risque prochain de consentement à cette [même pollution]. Plusieurs admettent la même chose concernant la pollution involontaire née d’une lecture, même honteuse, [et] remarquablement, si elle s’est produite à cause du plaisir seul, sans mauvais esprit et sans risque prochain de jouir de choses obscènes elles-mêmes ; en vérité, dans la pratique, cela ne peut presque jamais, être admis.]

667. Quando actio, ex qua prævidetur saltem in confuso, secutura pollutio, est de se mortaliter mala in genere luxuriæ, ipsa pollutio fit peccatum mortale : ideoque tenemur sub gravi abstinere ab illa actione, non solum ratione sui, sed etiam ratione futuræ pollutionis. Hinc diuturnæ et morosæ cogitationes, et delectationes impudicæ, aspectus, tactus, amplexus, oscula, turpiloquia, quæ sunt peccata mortalia in genere luxuriæ, sive ex objecto secundum se obscœno, sive ex affectu libidinoso ; si ex illis secutura prævideatur pollutio, licet non intendatur, peccata sunt mortalia, non solum in se, sed etiam ut causa pollutionis ; ideoque pollutiones inde secutæ sunt mortales. Pariter non excusatur a malitia pollutionis, qui polluitur ex diuturno colloquio cum puella a se inordinate dilecta, saltem ob periculum consensus (63).

[Quand une action, dont on peut prévoir, du moins confusément, qu’une pollution s’en suivra, est par elle-même mauvaise mortellement dans le genre de la luxure, la pollution elle-même devient un péché mortel : et par conséquent nous sommes tenus, sub gravi, de nous abstenir de cette action, non seulement de par son caractère même mais également en raison de la pollution à venir. De là les pensées durables et moroses, et les plaisirs impudiques, le regard, le toucher, l’embrassade, le baiser, les conversations obscènes, qui sont des péchés mortels dans le genre de la luxure, soit par leur objet en soi obscène, soit par la disposition d’un désir débridé ; si on prévoit qu’une pollution s’en suivra, il n’est pas permis d’en avoir l’intention, ce sont des péchés mortels, non seulement en eux-mêmes, mais aussi à cause de la pollution ; et par conséquent les pollutions qui suivent sont mortelles. Pareillement ne peut être exempt du mal de pollution, celui qui est pollué à la suite d’une conversation durable avec une jeune fille qu’il aime de façon désordonnée, au moins, à cause du risque de consentement.]

668. Verum non est mortalis pollutio quæ præter intentionem accidit ex causis etiam mortaliter illicitis in alio genere quam luxuriæ, puta ex ebrietate aut usu cibi vel potus nimis immoderato ; nisi tamen prævideatur inde secutura pollutio. Licitum est gaudere de bono effectu pollutionis, puta de sanitate, aut cessatione tentationis. Ita S. Thomas, qui hæc habet : « Si pollutio placeat ut naturæ exoneratio vel alleviatio, peccatum non creditur [64]. »

[En vérité, n’est pas mortelle, la pollution qui se produit contre l’intention, même pour des causes mortellement interdites dans un autre genre que celui de la luxure, par exemple, l’ébriété ou par l’usage de nourriture ou de boisson par trop immodéré ; si, cependant, on ne prévoyait pas qu’une pollution s’en suivrait. Il est permis de se réjouir de l’effet positif d’une pollution, par exemple pour la santé, ou pour la cessation d’une tentation. Ainsi, S. Thomas, qui dit cela : « Si la pollution est plaisante en tant que soulagement et allègement de la nature, le péché n’est pas tenu pour établi. »]


Notes.

(1) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie 2, question 162, article 8. S. Augustin d’Hippone, de Civitatis Dei, livre XIV, chapitre 13.
(2) Livre du Siracide, chapitre 10, verset 15.
(4) Livre du Siracide, chapitre 10, verset 7.
(4) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie 2, question 112, article 1.
(5) Épître aux Galates, chapitre V, verset 26.
(6) Épître de S. Jacques, chapitre 4, verset 6
(7) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie 1, question 18, article 1.
(8) Évangile selon S. Matthieu, . chapitre 6, verset 24.
(9) Livre du Siracide, chapitre 10, verset 9.
(10) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie 2, question 36, article 1.
(11) S. Augustin d’Hippone, Sermon 58.
(12) Livre des Psaumes, Psaume 4.
(13) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie 2, question 58, article 3.
(14) Évangile selon S. Matthieu, chapitre 5, verset 22.
(15) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie 2, question 58, article (16) S. Thomas d’Aquin, ibidem.
(17) Ibid., question 148, article 1
(18) S. Alphonse de Ligori, de Peccatis, n° 73.
(19)) Décret de l'an 1679.
(20) S. Alphonse de Ligori, de Peccatis.
(21) Ibidem.
(22) Première épître de S. Paul aux Corinthiens, chapitre 10, verset 10.
(23) S. Alphonse de Ligori, de Peccatis. n° 75. Voyez aussi S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie 2, question 150, article 2 ; le P. Antoine, de Peccatis, chap. 7, article 3.
(24) Voyez S. Alphonse de Ligori, de Peccatis, n° 75.
(25) S. Alphonse de Ligori, de Peccatis, n°77  ;
(26) Voyez S. Alphonse de Ligori, ibidem.
(27) Le P. Antoine, de Peccatis, chapitre 7, article 7.
(28) Livre de l’Apocalypse, chapitre 21, verset 27.
(29) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie deux, question 155.
(30) Ibidem, question 160, article 1.
(31) S. Thomas d’Aquin Summa Theologica, deuxième partie, partie deux, question 169, article 2.
(32) Ibidem.
(33) S. François de Sales, Introduction à la vie dévote, partie III, chapitre 25.
(34) S. Alphonse de Ligori, De Præcepto charitatis, n° 55.
(35) S. Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, n°425.
(36) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, titre 5, chapitre 5.
(37) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie deux, question 169, article 2.
(38) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie deux, question 15 de Malo, article 2, 3° ; Billuart, de Temperantia, dissertation C. art. 11. appendix l ; Solo, Sylvius, etc.
(39) S. Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, livre III, n° 436.
(40) Ibidem. n° 443.
(41) Navarrus, Azor, Billuart, etc.
(42) . Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, livre III, n° 368.
(43) Ibidem. n°444.
(44) Tome II. n° 934.
(45) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie deux, question 154, article 10. Voyez aussi Billuart, de Temperantia, dissertation 6, article 6 ; Cajetan, Soto, Sylvius, etc.
(46) S. Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, livre III, n°449.
(47) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie deux, question 154, article 10.
(48) S. Alphonse de Ligurori, Suarez, Billuart, Sanchez, Lessius, etc.
(49) S. Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, livre III, n°463.
(50) Décret d'Innocent XI, de 1679.
(51) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie deux, question 154, article 11.
(52) S. Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, livre III, n°466.
(53) S. Alphonse de Ligori, ibidem, n° 474.
(54) Décret d'Innocent XI, de 1679.
(55) S. Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, livre III, n°477.
(56) S. Alphonse de Ligori, ibidem ; Sanchez, etc.
(57) S. Alphonse de Ligori, ibidem, n° 478.
(58) Billuart, etc.
(59) S. Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, livre III, n°43 ; S. Thomas, S. Antonin, Sanchez, Sylvius, Billuart, etc.
(60) S. Alphonse de Ligori, Billuart, etc.
(61) S. Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, livre III, n°484 ; Billuart, Cajétan, Sylvius, Lessius, Sanchez, Sporer, etc., etc.
(62) S. Alphonse de Ligori, ibidem ; Billuart.
(63) S. Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, livre III, n°482.
(64) S. Thomas d’Aquin, Scriptum super Sententiis, livre IV, Distinction 9, question 1, article 4. — Voyez Traité des Péchés.


Référence.

Mgr Thomas-Marie-Joseph Gousset (archevêque de Reims), Théologie morale à l'usage des curés et des confesseurs, tome 1, Waille, Paris, 1844.