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mardi 4 juin 2013

La Réalité ultime selon les religions, par M. Momen, 2005


Dans la discussion qui suit, les positions ci-dessus sont appelées position 1 (théisme) et position 2 (monisme), la position 1 étant subdivisée en (1a) : strict théisme transcendant et (1b) : théisme immanent ou incarnationniste, c'est-à-dire qu'il considère que la Manifestation de Dieu est Dieu.

Cette question de la nature de la Réalité ultime est importante dans l'histoire des religions. Elle fut la cause de spéculations et de disputes entre communautés religieuse et à l'intérieur de chacune. On peut trouver dans la plupart des religions mondiales des exemples de fidèles qui adhèrent à l'une ou l'autre de ces positions.

Dans l'hindouisme,  il existe une différence entre ceux qui suivent la tradition Bhakti (position 1) et ceux qui adhèrent au Advaïta Vedanta (position 2). Si la tradition Bhakti représente plutôt la position (1b) puisque Krishna et Rama sont considérés comme des avatars (incarnation du dieu Vishnou, elle comprend néanmoins quelques éléments de la position (1a), notamment dans le Rig-Véda.

Dans le bouddhisme, la situation est plus complexe. Le concept de Réalité ultime est traduit soit par le terme Dharma (décrivant la Réalité ultime comme la loi universelle), soit par le terme Nirvana (décrivant la Réalité ultime comme un état).
Dans le bouddhisme Theravada, c'est le Nirvana qui domine, le Bouddha refusant de répondre à la question de savoir si l'être humain qui atteint le Nirvana devient alors un avec lui ou non, décrivant la réponse comme avyata (inexprimable).
Le bouddhisme Mahayana offre le concept du Trikaya (les trois corps possédés par tous les Bouddhas) : le dharmakaya (la Réalité transcendante ultime qui est identique avec la loi ; il est permanent, atemporel et sans caractéristique), le sambhogakaya (le corps des Bouddhas célestes) et le nirmanakaya (le corps terrestre dans lequel les Bouddhas apparaissent aux hommes).
Dans l'école de la Terre Pure, la tendance est très précisément vers la position 1, la dévotion et l'adoration d'Amida Bouddha deviennent la voie de l'illumination et de la libération.
Dans d'autres écoles, comme le Zen, on incline plus vers la position 2 : chaque réalité personnelle est bussho (nature de Bouddha) qui est à son tour identique à hossho (nature du Dharma) et à la Réalité ultime (shunyata ou ku, vide).

Dans le judaïsme, la majorité suit la position théiste (1a), mais on peut trouver la position 2 dans les écrits de certains mystiques juifs, tels les auteurs du Sefer Yasira (IIIe siècle) et du Zohar (XIIIe siècle).

Dans le christianisme, la majorité suit la position 1b qui affirme que Jésus-Christ est Dieu. Mais au cours de l'histoire, une forte minorité de chrétiens rejetèrent cette interprétation du Nouveau Testament et adhérèrent à la position (1a). On peur citer les Ariens du IVe siècle, les Sociniens du XVIe-XVIIe siècles et les Unitariens des XVIIIe-XXe siècles. Les Mystiques chrétiens, comme l'auteur du Nuage de l'Inconnaissable et Maître Eckhart tendaient vers la position 2.

En islam, l'orthodoxie, tant sunnite que chiite, adhèrent strictement au théisme transcendant (1a). Quelques sectes chiites qui furent toujours considérées comme hérétiques par la majorité, inclinent vers la position (1b). Comme dans le judaïsme et le christianisme, la position 2 se rencontre surtout chez les Mystiques : Al-Hallaj qu'on dit avoir été exécuté pour son affirmation qu'il était la Réalité ultime : «`aná al-Haqq » (« je suis la Réalité absolue »), et les disciples d'Ibn al-`Arabi qui développent la doctrine du wadat al-wujúd (unité de l'Être).

Référence

Moojan Momen, Au-delà du monothéisme : la religion Baha'ie, trad. par Pierre Spierckel, Collection Religions et Spiritualité, L'Harmattan, 2009, p. 17-19

Remarques

1) Selon le Petit Robert (1989), le théisme est la « doctrine indépendante de toute religion positive qui admet l'existence d'un Dieu unique, personnel, distinct du monde mais exerçant une action sur lui. » Il faut distinguer le théisme du déisme qui, selon le Petit Larousse Illustré (1905) est le « système de ceux qui, rejetant toute révélation, croient seulement à l'existence de Dieu et à la religion naturelle : (...) Le déisme se distingue du théisme, qui, se fondant sur une révélation, reconnaît en outre une Providence et admet parfois un culte. »

2) Selon le Littré, le monisme est  la « doctrine dans laquelle on admet qu'il n'y a dans l'univers qu'une seule forme de substance et d'activité, qu'un élément ou principe unique dont tout se développe. »Le monisme est soit matérialiste, soit spiritualiste.

jeudi 21 juillet 2011

La condition des femmes dans l'Islam, selon A. Nançon, 1899.


Une opinion très communément répandue est celle qui fait de la femme dans l'Islam, suivant les contrées et le rang social des maris, une sorte d'esclave, une machine à reproduire l'espèce, une bête de somme, le souffre-douleur de l'homme, etc., etc.

Cette opinion est parfaitement fausse.

Certes, si l'on se borne à constater ce qui se passe dans quelques pauvres douars d'Algérie, on trouvera que la femme y occupe une situation en apparence misérable. Mais encore faut-il distinguer entre l'apparence et la réalité ; et, de ce qu'on voit la femme porter des fardeaux et traîner la charrue, ne pas conclure nécessairement qu'elle n'est regardée que comme une domestique. En fait, que ce soit là ou ailleurs, quelles que soient ses occupations apparentes, la femme dans le monde musulman tient une place considérable au foyer familial, tant dans l'éducation des enfants que dans la direction du ménage.

On peut trouver des renseignements sur la condition de la femme musulmane dans un grand nombre d'ouvrages, sans compter le Koran, base sacrée de l'édifice islamique tout entier.

Dès le temps de Mahomet la femme musulmane a eu ses droits garantis, et de nombreux privilèges assurés. Il suffit pour s'en convaincre de lire les nombreuses Vies du Prophète. Qu'elles soient écrites d'après la simple tradition ou suivant les règles de l'Histoire, elles s'accordent sur ces points essentiels : chez les premiers Musulmans la femme, mère, sœur, épouse, jouissait de la considération et du respect de tous, et tenait, sous la tente ou dans les villes, une place que des peuples voisins, d'une civilisation pourtant plus ancienne, refusaient de lui accorder.

Ce n'est pas Mahomet qui eut dit à sa mère la célèbre parole attribuée, — peut-être du reste à tort, — à Jésus : « Femme, qu'y a-1-il de commun entre vous et moi ? »

À l’encontre de ces témoignages pourtant peu discutables, on pourra dire que la société musulmane a vieilli, a traversé des phases qui ont ont pu modifier ses institutions et altérer son esprit ; qu'elle a acquis ou perdu au contact des autres sociétés humaines, et qu'ainsi la condition de la femme y peut être changée.

Or il n'en est rien ; et ce sont des ouvrages tout modernes qui nous en fourniront la preuve. Nous ne la chercherons pas dans les travaux des orientalistes proprement dits : il s'agit de recueillir des faits vécus, des choses vues : à cet égard rien ne vaut l'observation des voyageurs, l'opinion des intéressés, le témoignage des Musulmanes elles-mêmes.

Et comme la liste serait infiniment trop longue, de tous livres où puiser, je me bornerai à en citer trois ou quatre, les premiers venus.

Voici donc quelques titres pris au hasard :

- Mémoires d'une princesse arabe, par Madame Emily Ruete (1) ;  
- Les Musulmanes contemporaines, par Alihé Hanoum (2) ;  
- Dans l'ombre du Harem (3) (anonyme) ;  
- le Voyage en Arabie, de lady Anne Blunt (4) ;
- la plupart des récits de voyages en Afrique et en Asie, si les auteurs ne sont pas aveuglés parla passion sectaire ; 
- enfin un livre tout récent, et le plus important de tous à ce point de vue : Respect aux droits de la femme dans l'Islamisme (par M. Kamal, Mohammed ben Mostfa, traduction de M. Arnaud) (5).

D'un autre côté on a parlé, dans cette revue, de l'intéressante tentative de Madame Hyacinthe Loyson qui se propose de faire entrer la civilisation européenne dans les harems. On ne peut savoir encore ce que produira cette œuvre qui fonctionne sous le patronage d'une grande dame égyptienne, la Princesse Nazli, et je ne la cite que pour pouvoir enregistrer cette constatation : qu'elle a été bien accueillie dans la classe dirigeante musulmane, parce que, ou quoique, elle tende à donner finalement aux femmes plus d'indépendance et de droits qu'elles n'en ont aujourd'hui.

Mais, je reviens aux livres que j'ai cités : un mot sur chacun fera comprendre pourquoi j'en recommande la lecture à ceux qui, encore mal renseignés, persistent à ne voir dans la femme musulmane qu'un être misérable et quasi-abject.

Les Mémoires d'une princesse arabe sont l’œuvre de Mme Emily Ruete, fille du sultan de Zanzibar Sejjid Saïd, et d'une esclave circassienne. Élevée dans le harem paternel, entre un nombre considérable de frères, de sœurs, de cousines, de cousins, elle a vécu pendant de longues années la grande vie féodale arabe, à une époque où nulle influence étrangère n'avait encore pénétré dans le palais, vaste et peuplé comme une ville, où le patriarche Saïd abritait son innombrable famille.

Personne donc n'est plus qualifié que Mme Ruete pour parler au nom de la femme musulmane. Elle était, selon toute vraisemblance, destinée à vivre dans la société musulmane ; elle serait probablement aujourd'hui la femme de quelque haut personnage en turban, si elle n'eût été, vers sa vingtième année, enlevée par un jeune négociant allemand qui la fit baptiser, l'épousa, et la fit éduquer et instruire à l'allemande, ce qui, du reste, paraît avoir fort bien réussi. Ce serait un roman trop long à raconter ici, mais que sans doute la Revue de l'Islam publiera quelque jour. Bref, la princesse arabe, amenée par diverses circonstances à écrire ses Mémoires, a dépeint avec beaucoup de charme et de couleur la vie que l'on menait chez son père. Il ne semble point que les femmes y fussent si malheureuses : au contraire, épouses ou concubines étaient traitées comme certainement elles ne l'auraient pas été dans la chrétienté, à égalité de condition originaire. Elles n'avaient pas ce que les occidentales appellent « la liberté », mais elles ignoraient en quoi cela consiste, — heureusement pour elles, — et ne souhaitaient point le savoir. Je ne puis résumer ici le livre si coloré et si vivant de Mme Ruete ; je n'ai d'ailleurs voulu qu'en tirer une constatation : les femmes musulmanes vivaient fort heureuses à Zanzibar. Et il serait téméraire, après avoir lu ces Mémoires, d'affirmer que l'auteur ne regrette pas sa condition passée, après avoir pourtant vécu dans notre civilisation de longues années, après être devenue « une des nôtres ».

Lad y Anne Blunt est certainement une des Européennes les plus au fait de la vie arabe ; c'est une grande dame : elle a toute l'instruction, tout le tact qu'on peut supposer. Elle a fait avec son mari de longs voyages en Arabie, mais particulièrement au Nedjed, où ils voyageaient dans les meilleures conditions, étant reçus fraternellement sous la tente et cérémonieusement chez les princes. Lady Blunt a vécu de la vie des nomades : elle a été reçue dans le harem de l'émir du Nedjed. Certes, elle n'a point trouvé là des dames telles que celles qu'elle voit à Londres ou à Paris, mais elle a trouvé les femmes du désert parfaitement conscientes de leur dignité, et fort soucieuses de leurs droits, prérogatives et privilèges.

On constate, en lisant son Voyage en Arabie, que, réserves faites sur la différence de latitude et de milieu, d'origine et d'éducation, les femmes ont, au cœur de l'Arabie, une vie que pourraient leur envier beaucoup d'Occidentales ; elles ont du moins quelque chose d'inappréciable : c'est qu'elles sonl satisfaites de leur sort.

Quant à la réclusion relative où elles vivent, il faut croire qu'elles n'en souffrent, pas beaucoup : en effet, les principales épouses de l'émir jouissent, dit l'auteur, « du privilège de ne jamais quitter la ville, privilège qu'elles considèrent comme fort important. » Elles ne sont pas plus esclaves au désert, au contraire.

Lady Anne Blunt raconte, entr'autres épisodes caractéristiques, les négociations relatives au mariage d'une fille de chef bédouin ; et il ressort de son récit que les filles et les femmes ont bel et bien, — quoique sous une forme différente, — des droits aussi étendus quo chez nous.

Alihé Hanoum, auteur des Musulmanes contemporaines, est une Turque, appartenant à la meilleure société de Constantinople, et qui fait de la littérature sa principale occupation. Dans ce livre, elle a voulu montrer que les musulmanes, en Turquie, reçoivent une instruction et une éducation toutes semblables à celle que l'on donne aux jeunes chrétiennes : elle a même voulu mettre en relief deux faces de ce qu'on pourrait appeler la question féministe en Turquie.

Une partie des femmes reste attachée aux vieilles mœurs, aux coutumes patriarcales des musulmanes, orthodoxes ; l'autre, sans rompre avec la religion et certaines de ses obligations, tend à secouer la tradition et à se lancer dans ce que nos parisiennes appelleraient « le mouvement », c'est-à-dire à imiter complètement les Occidentales dans la toilette, l'arrangement de la maison, les relations mondaines, etc. Celle double tendance a du reste été constatée et étudiée de près par Arminius Vambéry, dont on ne saurait mettre en doute ni la haute compétence ni la profondeur d'observation, dans un livre récent : Les Turcs aujourd'hui et il y a quarante ans (6).

Les musulmanes d'Alihé Hanoum seraient bien étonnées si on leur apprenait l'opinion que l'on se fait, en France, de leurs coreligionnaires en général. Elles sont parfaitement élevées, suffisamment instruites, possèdent tous nos arts d'agrément ; sont mondaines, frivoles, coquettes et caqueteuses comme de vraies Parisiennes. Et toutes celles que nous voyons défiler dans ce livre ne sont pas de la plus haute aristocratie : elles sont plutôt de la classe moyenne.

Dans l'ombre du harem nous initie à des mœurs, à des idées différentes. Du reste, ce livre se rapporte à une époque antérieure à celle que Alihé Hanoum a voulu dépeindre. Cette dernière a mis on scène les musulmanes citadines, tandis que c'est dans le palais impérial même que nous transporte l'auteur de l'autre livre. Il s'agit ici d'une jeune femme qui a appartenu au harem du Khédive et à celui du Sultan. Est-ce une autobiographie ? C'est probable. En tout cas, l'âme qui s'y révèle est bien une âme musulmane ; et les moindres détails de ce récit sont bien évidemment écrits par quelqu'un à qui est familière la vie privée des grands seigneurs ottomans. J'ajouterai incidemment que l'on y voit se dérouler de curieuses intrigues politiques. Mais, ce qui doit frapper le plus le lecteur, dans un récit tel que celui-là, c'est le genre de vie des femmes dans le harem où règne, il est vrai, une discipline sévère, mais où chacune est traitée suivant son rang, avec honneur, égards ou considération. Et si quelqu'une souffre des vexations, ce n'est jamais du maître qu'elles lui viennent, c'est toujours de ses propres compagnes.

Il y a là des scènes fort curieuses à lire : l'étiquette minutieuse qui régit les moindres détails de la vie, n'empêche nullement les femmes de sortir en ville, d'aller en visite, de recevoir leurs amies. Elles sont fort jalouses de leurs droits de mère et d'épouse, tels, bien entendu, que sont ces droits ; et souvent le maître fait appel à leurs conseils, même dans les circonstances délicates du gouvernement. Loin d'aspirer à ce que nous appelons l'émancipation complète, elles se gardent avec soin contre certaines de nos habitudes, de nos idées, importées chez elles par les institutrices, dames de compagnie ou visiteuses, ne voulant, avec raison, prendre de notre civilisation que ce qui se peut accommoder avec leur religion, leur éducation, le milieu où elles sont appelées à vivre.

Plusieurs voyageuses de qualité ont visité les harems de Constantinople : beaucoup y pénétraient avec des idées préconçues sur la vie que devaient y mener les « recluses » ; toutes en sont sorties avec cette conviction que le sort de la femme en Orient est fort supportable et meilleur, dans nombre de cas, qu'en Occident.

Dans les harems des princes comme chez les particuliers, la femme occupe réellement la place qui revient à son sexe et à son état ; ce qui fait que l'on croit cette place inférieure, c'est qu'on ne voit pas la femme chercher à augmenter sa prépondérance au détriment de celle du mari. Le respect qu'elle lui témoigne, l'attitude qu'elle garde en sa présence ne viennent nullement, comme on se le figure trop souvent, d'un manque de dignité : c'est au contraire la la preuve qu'elle sait rester à sa place.

Les détails sur le rôle de la femme musulmane dans la famille et dans la société, en Algérie et dans l'Afrique du Nord, sont répandus dans les ouvrages de tous les voyageurs.

Ceux qui ont réellement vu ce qu'ils ont décrit, et qui ont écrit de bonne foi, reconnaissent que partout, chez les gens de bien, la femme est respectée par son entourage, protégée par la loi.

Du reste, il est impossible que l'on ne retrouve pas dans les mœurs d'un peuple les tendances révélées par sa poésie. Or, la littérature poétique des Arabes de tous pays est peut-être celle qui fait à la femme la plus belle place ; et cela, non seulement chez les musulmans adonnés à la culture des belles-lettres, mais encore chez les peuplades barbares, telles que les Touareg.

Mais, on pourra dire que je viens d'écrire d'après des livres à la composition desquels l'imagination n'est pas tout à fait étrangère, quoique ce soient des mémoires ou des autobiographies: c'est pourquoi je veux prendre maintenant les arguments dans un ouvrage qui peut êtr regardé comme un commentaire juridique, et qui est rédigé par un lettré musulman de valeur. Je l'ai déjà cité, c'est : Respect aux droits de la femme dans l'Islamisme.

Pour quiconque s'est livré sérieusement à l'étude de l'islamisme, a cherché à en pénétrer l'esprit, il est irritant au delà de toute expression d'entendre répéter chez nous, par des gens, même de la classe relativement instruite, que la religion de Mahomet est une doctrine d'intolérance, d'ignorance et de fanatisme. Cette grossière erreur, semée et savamment exploitée par la papauté, dans le but de tenir toujours ouvert l'abîme qu'elle a creusé entre l'Islam et la Chrétienté, cette grossière erreur — entr'autres funestes résultats — est une des principales causes des difficultés que la France a eues à s'établir et à se faire accepter dans les pays musulmans où, malheureusement, elle n'a pas toujours, pu envoyer que des hommes éclairés et de bonne volonté. Mais, sans porter nos vues de ce côté, on peut du moins observer que l'ignorance, communément répandue chez nous, de la condition de la femme dans l'Islam, n'est qu'une des nombreuses conséquences de cette erreur.

Pourtant, puisque l'on dit la société islamique si attachée à ses traditions, si esclave de la lettre de ses écritures, on admettra bien qu'elle soit aussi fidèle observatrice des bons principes que des mauvais? — Ainsi on ne croira plus que l'ignorance soit considérée comme un devoir par les Musulmans, sachant que parmi les hadits qui servent de corollaire au Livre — sans parler des prescriptions du Livre lui-même — se trouvent ceux-ci :

« Il n'y a de gloire que pour les gens instruits, guides de ceux qui veulent marcher dans la voie droite. — L'homme n'a d'autre valeur que celle que lui crée son mérite. Les ignorants sont les ennemis des gens instruits. Acquiers la science, ne lui cherche pas d'équivalent. Morts sont les hommes ; vivants sont les gens instruits. »

Ce passage, tiré de Respect aux droits de la femme dans l'Islamisme, permet de supposer que les musulmanes reçoivent quelque chose de l'instruction qu'il est en ces termes recommandé aux musulmans d'acquérir.

En effet, beaucoup de musulmanes sont instruites, d'après bien entendu, le rang social et les moyens de leurs parents. Ce qui se passe pour elles dans la dernière classe est analogue à ce qui se voit chez les indigents de toutes les sociétés.

Si l'on admet qu'il n'y ait aucune culture dans les bas-fonds sociaux, chez nous, on ne voit pas pourquoi la populace, dans l'Islam, serait mieux partagée.

C'est surtout pendant les premiers siècles de l'hégire que des femmes musulmanes se sont illustrées par leur savoir et par leur talent : l'auteur de Respect aux droits de la femme... en cite une longue liste, et c!est pour déplorer — lui, musulman — que ses coreligionnaires contemporaines leur soient très inférieures en général sous le rapport de la culture intellectuelle. Cependant, l'auteur s'enorgueillit de penser qu'il y a tout de même, de notre temps, des femmes fort remarquables dans l'islamisme. Quand ce lettré musulman parle des choses de l'Islam, il en parle implicitement au nom d'une catégorie d'hommes qui pensent comme lui : on doit admettre que son opinion est le résumé de l'opinion d'un très grand nombre de ses coreligionnaires. Ils sont donc nombreux, à penser que la femme doit être instruite au moins jusqu'au degré nécessaire pour l'exercice de ses droits et l'accomplissement de ses devoirs les plus élevés : il faut que les femmes acquièrent des arts industriels, qu'elles possèdent sur toutes choses des notions sérieuses ; car leur principal rôle consiste à veiller à l'éducation de leurs enfants : « la mère n'est-elle pas pour ses enfants la première des écoles ? »

Ces quelques mots suffisent pour indiquer ce que pense l'auteur du rôle de la mère : voyons comment il comprend celui de l'épouse.

« Dieu a créé la femme pour aider l'homme à supporter les fatigues de sa traversée dans ce bas monde, et pour le consoler dans les épreuves et les malheurs qu'il doit y rencontrer. Il l'a mise de moitié avec l'homme dans toutes les prescriptions révélées à Mohammed. »

Sauf de très rares exceptions et qui portent sur des détails sans importance, en droit comme en fait, « l'homme et la femme sont, à l'égard l'un de l'autre, dans une égale condition ; mêmes droits, mêmes devoirs, au point de vue de l'ensemble des règles de la vie civile et des intérêts personnels. »

Cela n'est pas seulement l'effet d'une condescendance, d'une bienveillance réciproques, c'est prescrit absolument par le Koran :

« Les femmes ont droit, de la part de leur époux, et ceux-ci de la part de leurs femmes, à la même honnêteté de procédés. »

L'auteur insiste longuement sur la nécessité et la moralité du mariage, car « le mariage garantit la continuité de l'espèce humaine et protège contre le désordre. »

Musulman, il conseille la polygamie ou du moins il ne la proscrit pas :

« La polygamie s'inspire de la sagesse providentielle. Elle est un moyen de salut pour certains tempéraments, dont une seule femme n'éteindrait pas les ardeurs de chair ; elle favorise chez l'homme une abondante genèse, elle maintient rigoureusement la femme dans ses devoirs ou tout au moins elle met, chez elle, obstacle au délire d'impudicité. »

La polygamie d'ailleurs était dans les mœurs des Arabes et des autres peuples orientaux bien longtemps avant Mahomet. Le prophète ne fit que la limiter, dans le but de rendre les unions simultanées plus solides et plus morales : il imposa aux croyants de ne pas prendre plus de quatre épouses, mais il ne les obligea pas à en prendre plus d'une. Le nombre des femmes doit être en proportion des ressources du mari : l'on ne doit prendre une épouse que si l'on est en mesure de la faire vivre selon le rang de la famille à laquelle elle appartient. A fortiori cette prescription s'applique-t-elle au cas où l'on aurait plusieurs femmes. Il faut considérer du reste que les femmes musulmanes ne reçoivent point de dot de leurs parents et que c'est le mari au contraire qui leur en garantit une. Ce n'est pas précisément ce que l'on voit dans la chrétienté, où la femme le plus souvent achète son mari qui, non moins souvent, s'empresse de gaspiller la dot de sa femme et de la réduire h l'indigence.

« L'homme doit se conduire droitement avec ses épouses, leur donner part égale de ce dont il a la libre disposition : nourriture, habillement, logement, visites nocturnes pour le plaisir de leur société et de leur intimité. »

Voilà ce que dit le docteur musulman ; on pourrait ajouter ici que beaucoup d'Occidentaux, bien que n'ayant qu'une femme, ne lui donnent rien de tout cela.

Ainsi la pluralité des épouses est assujettie à la condition de les traiter avec égalité, impartialité. Et cette condition, telle qu'on doit la comprendre, est l'obstacle, plutôt que nos critiques et nos campagnes plus ou moins intelligentes en faveur de la monogamie, qui empêché la plupart des musulmans d'avoir plus d'une épouse. La voici, définie par l'auteur :

« La loi oblige l'homme qui prend plusieurs épouses à partager équitablement entre elles les vêtements et les parures ; à affecter à chacune d'elles, un logement distinct et d'un modèle unique, sans parler des ustensiles de ménage et des meubles » ; les serviteurs sont sous-entendus dans celle définition : il est bien évident que chaque épouse doit en avoir le même nombre. Or, comme en tous pays les logements, les meubles, les serviteurs, la parure se paient, — sans parler de la nourriture et de maintes autres choses, — il est certain que seuls les gens très riches peuvent se passer le luxe de plusieurs épouses ; et les gens très riches sont, où que l'on aille, en minorité. Du reste, disons-le incidemment, là où les musulmans sont le plus en contact avec notre civilisation, les unions polygamiques sont de plus en plus rares et tendent visiblement à disparaître. On peut dire que cela lient à l'évolution forcément survenue dans l'éducation des filles, qui sont les premières à mettre à leur mariage cette condition, qu'elles seront seules de leur sexe au logis. Il en est ainsi notamment en Algérie, en Tunisie, en Turquie, en Égypte. Mais on peut admettre aussi que cette tendance à la monogamie s'explique par la difficulté croissante de la lutte pour la vie, partout où la civilisation d'Occident a pénétré, apportant avec elle des besoins nouveaux, donnant à l'argent une valeur jusqu'alors inconnue, surexcitant les appétits, et en fin de compte semant la gène partout, au profit de quelques faiseurs d'affaires audacieux et sans scrupules. Car il ne faut pas se le dissimuler, dans la plupart des cas, l'invasion de notre civilisation chez des peuples si différents de nous, a pour première conséquence la disparition pour eux de tout bien-être matériel, et le règne d'un état de gène dont ils souffrent tant qu'ils ne se sont pas plus ou moins assimilés à nous, c'est-à-dire fort longtemps.

Voyons maintenant qui l'on doit épouser.

« Pour qu'il y ait félicité dans la vie conjugale, il importe de constater que la femme satisfait à diverses conditions appelées à rendre perpétuelle la durée du contrat de mariage et à en assurer l'exécution fidèle. » Ces conditions sont au nombre de huit ; nous nous bornerons à les énumérer, sans les faire suivre des commentaires dont les accompagne l'auteur de Respect aux droits de la femme..., non parce que ces commentaires manquent d'intérêt, mais parce qu'ils sont trop longs .pour le cadre de cet article.

Religion. La femme doit être pieuse, d'une foi intègre. C'est la première des qualités requises.

Douceur de caractère .. est pour l'esprit, un sûr garant de repos, une aide assurée pour l'exercice de la religion.

Beauté. La beauté physique est à rechercher, parce qu'elle est le gage de la fidélité de l'homme, et l'assurance de la satisfaction de ses sens.

Modicité de dot. Il est préférable que la dot soit modique, car le Prophète a dit : « La femme qui a le plus de bénédictions est celle qui a le moins de dot. »

Fécondité. Le Prophète recommande de prendre une femme féconde, ce qui peut se conjecturer d'après certains indices. Et l'auteur ajoute, parlant de l'âge de la femme que l'on recherche : « Par jeunesse, il faut entendre l'âge qui s'étend de la puberté à 40 ans. »

Virginité. Il y a trois avantages à s'unir à une personne vierge. Elle se fait à son mari. L'homme aime davantage la femme qu'il a eue vierge. La femme n'a de véritable tendresse que pour celui arrivé avant les autres et, le plus souvent, son âme reste fortement liée à son premier amour.

Bonne naissance. La femme que l'on recherche doit être issue d'une famille de sapience et de piété. Cette qualité annonce d'honnêtes mœurs et de grandes perfections. Le Prophète appelait « plante de fumier », la femme attrayante qui pousse sur un mauvais terrain.

Consanguinité non rapprochée. Cette condition a pour but de maintenir la pureté de la race, et elle est observée dans presque toutes les sociétés humaines.

Si l'on passe maintenant à la situation faite à la femme dans la société islamique par la loi et par la coutume, on voit que « Dieu l'a mise de moitié avec l'homme dans toutes les prescriptions révélées à Mohammed ». L'auteur ajoute :

« Il y a cependant certaines règles qui restent particulières à la femme. Ainsi,

- elle est préférée à l'homme pour les soins matériels à donner à l'enfance ;
- sa pension alimentaire est à prélever avant celle du mineur ;
- elle n'a pas à payer le prix du sang dans le cas d’homicide par imprudence ;
- elle n'est pas atteinte par la peine de l'exil ;
- fille et recluse, elle n'est apte à ester, ni à prêter serment judiciaire ;
- le cadi se rend chez elle ou lui dépêche son suppléant ;
- elle n'est point taxée en matière d'impôt.

C'est par ces points qu'en droit elle diffère de l'homme. Partout ailleurs l'homme et la femme sont, à l'égard l'un de l'autre, dans une égale condition : mêmes droits, mêmes devoirs, au point de vue de l'ensemble des règles de la vie civile et des intérêts personnels. »

Cette égalité de condition repose sur la réciprocité des services rendus : si la femme est chargée des soins du ménage, l'homme a le devoir d'assurer la prospérité de la maison ; elle repose aussi sur la réciprocité des égards : pour ne parler que de ceux qui sont imposés à l'homme, « il doit se montrer équitable dans son intérieur, servir les aliments nécessaires, avoir de la décence dans les propos, être affectueux dans les actes. »

Il y a des musulmans, sans doute, pour qui ces principes sont lettre morte : qu'est-ce que cela prouve ? Tout au plus que ce sont de mauvais musulmans.

Lors même que l'homme ressent de l'antipathie pour sa femme, lors même qu'il a conçu des soupçons sur sa conduite, il doit éviter de la froisser en lui témoignant brutalement son aversion ; de l'outrager en l'accusant sans preuves formelles.

« Le but essentiel du mariage n'est atteint que si chacun des époux ne perd de vue ni la rétribution de l'autre vie, ni la perfection de sa condition ici-bas. »

Il est recommandé à l'homme de ne pas envisager les défauts de sa femme sans peser en même temps ses qualités.

« Quand la femme est indemne de fautes, qu'elle est vertueuse, c'est à l'époux d'être bon pour elle, de s'accommoder à ses façons, à ses dehors même peu séduisants, à son caractère même mauvais. — A l'homme qui endure les manifestations déplaisantes de sa femme, a dit le prophète, Dieu accordera la même récompense qu'à Job. »

Ces prescriptions bienveillantes trouvent naturellement leur application dans toutes les circonstances de la vie. Il suffira de citer quelques-unes de celles où on les voit mettre en pratique.

La femme n'est pas séquestrée au logis de parti pris : elle peut sortir, dit l'auteur « soit pour la revendication d'un droit ou l'acquittement d'une obligation, ou pour visites à ses parents. » La coutume ne s'oppose nullement à ce que les femmes sortent pour visiter leurs amies, pour faire leurs emplettes, pour se promener. Il est bien évident que la sortie doit avoir un but avouable : mais il en est de même chez nous.

La femme peut se livrer avec l'assentiment de son mari, à un travail rémunérateur, si elle a besoin de se créer des ressources, pour se procurer les objets que son mari n'est pas tenu de lui acheter, et si d'ailleurs il ne le peut. Néanmoins, l'homme est tenu de subvenir aux besoins de sa femme, pauvre ou riche. Pour la satisfaction des besoins légitimes, le Cadi autorise la femme à contracter des dettes au nom du mari.

Les obligations et charges du mari sont minutieusement énumérés: ce qu'il doit fournir à son ou à ses épouses fait l'objet d'une nomenclature précise.

Tout ce qui est nécessaire, presque tout ce qui est superflu même, peut être exigé du mari.

L'épouse a droit à un logement séparé de celui de la famille de son mari : si le logement est vaste au point qu'elle y puisse concevoir des frayeurs : si le mari doit s'absenter la nuit : si elle n'a ni enfant, ni domestique pour lui tenir société, le mari doit placer ou tolérer auprès d'elle une compagne. Bien plus « si l'épouse refuse de faire la cuisine, le pain, parce qu'elle est de grande famille ou malade, le mari pourvoira sa maison de mets tout préparés. »

On ne peut exiger d'elle les labeurs d'intérieur trop répugnants. Elle n'est pas forcée de suivre son mari, quittant le pays pour se fixer dans une autre contrée.

Enfin, chez les hanéfites la fille nubile, même vierge, devient libre à l'égard du mariage, la tutelle naturelle cessant avec l'apparition de la nubilité. Et, où que ce soit, un père n'a pas le droit de marier sa fille, jeune, à un vieillard, à un difforme, à un homme sans mœurs et sans religion.

Le mariage est subordonné au consentement de la femme, lequel doit autant que possible être recueilli par la mère. Il faut qu'il y ait identité de condition entre les époux car « la loi ne veut pas que la femme devienne l'épouse d'un indigne. » Le juge peut annuler le mariage si l'époux est impuissant ; s'il n'a pas les ressources nécessaires pour entretenir sa femme. Dans le premier cas, le mari doit a la femme la totalité de la dot qu'il lui a reconnue.

D'après un hadit, le prophète assimilait au dol le fait de ne pas s'acquitter envers l'épouse de toutes les obligations matérielles prescrites.

Celle-ci de son côté a des devoir moraux stricts à remplir. Il serait bien long de les énumérer : ils sont du reste dans la société islamique à peu près ce qu'ils sont dans toutes les autres sociétés. L'homme peut et doit faire observer ces devoirs.

« Les hommes sont tenus de réprimander leurs femmes, de leur faire entendre des paroles d'exhortation. »

Lorsque avertissements et conseils sont restés inutiles l'homme peut éloigner la femme de sa couche, de sa présence ; enfin, la frapper

« mais sans brutalité, de façon à ne pas la meurtrir, la blesser, l'excorier. »

Le prophète recommande de ne pas frapper la femme comme le ferait « un être grossier », (c'est-à-dire avec un bâton, suivant la coutume trop suivie chez certains arabes algériens, dit l'auteur.) Mais Mahomet et les docteurs finissent par conclure que le pardon et la mansuétude sont encore préférables aux corrections corporelles.

« Il est beau de pardonner à ceux qui vous ont offensés, lorsqu'ils regrettent leur faute »

On sait que la répudiation est d'un usage fréquent : elle n'est pourtant, ni obligatoire ni recommandée. Elle doit être justifiée par les motifs les plus graves. Enfin, elle n'est jamais consommée immédiatement, mais après un délai « d'attente légale. »

Lorsqu'elle est prononcée sans retour, l'homme doit mettre la femme « en possession de toute somme dont elle est créancière, ne pas trahir ce qu'elle a intérêt à cacher, ne pas médire d'elle, ne rien faire pour l'empêcher de convoler, etc., etc. »

Ces citations sont succinctes, certainement, mais elles nous paraissent suffisamment suggestives. On ne peut guère persister à croire après les avoir lues, que la femme occupe dans l'islamisme une condition misérable : la loi, la coutume, ont au contraire entouré de garanties sa place au foyer et dans la société. Si beaucoup d'hommes méconnaissent ou rejettent les principes qu'ils devraient observer, la faute est imputable à leur tempérament, à leurs mauvais instincts, et nullement aux institutions islamiques. Personne n'a jamais songé à rendre la morale chrétienne responsable des sévices qu'un européen grossier peut faire subir à sa femme.

Il faut croire même que, malgré l'opinion trop répandue, beaucoup de femmes musulmanes « portent culotte » dans leur intérieur, puisque l'auteur dont nous citons l'ouvrage peut s'écrier :

(nos femmes) « montées sur un coursier aveugle, courent à l'assaut des droits de leurs époux ! »

Et il dit ailleurs, non sans tristesse :

« La plupart de nos femmes excèdent leurs maris ; elles les entraînent à de folles dépenses pour leur entretien, à la dissipation de leur avoir. Il en est dont le mari n'entend jamais les souhaits de bienvenue. »

Celles-là ne sont pas des martyres, des souffre-douleurs. Elles en prennent tellement à leur aise que l’auteur consacre de longues pages à les rappeler à l'observation de leurs devoirs ; et il leur trace la voie à suivre entre la religion et l'instruction, celle-ci fortifiant le cœur, celle-là élevant l'âme.

Ainsi, non seulement il n'est pas vrai que la femme, dans la société musulmane, soit tenue systématiquement par l'homme dans une condition inférieure, misérable, mais encore il se trouve des musulmans — et non des moindres par leur savoir — qui réclament le respect de tous les droits que la loi, la tradition et la coutume permettent de leur reconnaître ; et ces musulmans, loin de vouloir empêcher les femmes de s'élever moralement, insistent sur la nécessite de leur donner une instruction et une éducation plus complètes, plus larges, plus libérales que celles dont sont dotées les meilleures de leurs contemporaines.

Croira-t-on que ces tentatives d'émancipation puissent avoir tics résultats fâcheux pour nous dans les pays où nous dominons? On l'a bien cru pour ce qui concerne l'instruction supérieure des jeunes musulmans, puisque les jeunes Indigènes d'Algérie cl, de Tunisie n'obtiennent que très difficilement l'autorisation de venir fréquenter nos Facultés. Mais ce n'est toujours pas dans la pensée de l'auteur de Respect aux droits de la femme..., qu'on voit ce danger s'annoncer : Voici en effet comment il apprécie l'action civilisatrice de la France chez les tribus arriérées de l'Algérie.

« Ces mœurs tendent heureusement à disparaître chaque jour de ce pays, grâce à la direction sage et énergique de l'administration française- Depuis longtemps on n'entend plus parler de luttes fratricides entre tribus. La France a revêtu ces populations du manteau de la paix et de la concorde: elle a aplani les voies aux relations entre nomades et citadins. Nous la prions, cette France, que nous voyons si pleine de mansuétude et d'humanité, de ne pas perdre de vue qu'elle a la mission d'extirper les restes de ces coutumes sauvages qui font frissonner d'horreur. Il n'est pas difficile d'arriver à leur disparition totale, pour une nation, comme la France, parée des superbes emblèmes de la civilisation, qui étend au loin l'ombre bienfaisante de son esprit policé, dont la main droite lient avec fermeté l'étendard du progrès, dont la réputation d'équité et de droiture a parcouru le monde. Dieu ne laisse pas perdre la récompense de ceux qui font le bien. »

Ce n'est pas là, comme on le voit, le langage d'un auteur qui méditerait de former des sujets pour une révolte future (7).

ALFRED NANÇON.

Notes.

(1) Memoiren einer arabische Prinzessin, Berlin.1899 ; Luckhard, éditeur.
(2) Lemerro, éditeur.
(3) Édition de la Revue Blanche.
(4) Hachette, éditeur.
(5) Fontana, éditeur à Alger.
(6) Tresse et Stock, éditeurs.
(7) Rappelons que l'ouvrage auquel nous avons fait quelques emprunts a pour titre : Respect aux droits de la femme dans l'Islamisme, par M. Kamal, Mohammed ben Mostafa ben ol Khodja, rédacteur au Mubacher et profosseur à la Mosquée Safir. (Traduction do M. Arnaud, interprète militaire principal), à Alger, chez Fonlana, éditeur.


Source.

Alfred Nançon, « La condition des femmes dans l’Islam », Revue de l’Islam, 4e année, n° 44, p. 97-99, n°45, p. 113-117, 1899.

Une vision de l'islam au XIXe siècle, par E. Lamairesse, 1899.


 L'œuvre de Mahomet

L'institution principale de Mahomet, la guerre sainte, que les Musulmans font toutes les fois qu'elle a chance de succès, est la négation directe de la liberté de conscience et de la fraternité humaine, deux dogmes essentiellement communs aux religions altruistes. On peut donc s'étonner que quelques écrivains aient considéré la réforme de Mahomet comme le prélude et presque l'équivalent en Orient de la Réforme protestante en Occident ; et il paraît superflu d'établir une comparaison détaillée entre l'Islam, d'une part et de l'autre le Christianisme ou le Bouddhisme qui prêchent la charité ou compassion universelle.

Et cependant l'Islam est une religion puissante. Par une conception monothéiste très simple et tout à fait absolue, elle saisit l'esprit des individus et des masses et peut donner au sentiment religieux, limité à la piété envers Dieu, une satisfaction assez complète pour qu'on ne voie jamais un vrai croyant abjurer sa foi. Un bon Musulman est un adorateur fervent de Dieu et un guerrier intrépide ; il possède toutes les vertus sociales: la sincérité, la probité poussée jusqu'à l'abstention du prêt à intérêt, la tempérance à un degré que lui seul atteint, l'hospitalité, la libéralité la plus large envers les pauvres, l'horreur du jeu, la mansuétude envers les serviteurs et les animaux, la patience à l'égard de tous les maux, la résignation aux décrets d'Allah dans tous les malheurs publics et privés (1).

L’Islam, peut-être, a été un progrès pour une partie des peuples qui l'ont gardé définitivement. Mais pour juger s'il a fait proavancer l'humanité, et dans quelle mesure, il faut remonter à son point de départ, puis regarder la carrière parcourue et le point atteint.

Son point de départ a été la religion Juive, telle qu'elle était comprise et pratiquée du temps de Mahomet par ceux qui, sans appartenir au peuple Juif, en avaient la foi et la piété (2). Ils étaient très nombreux à la Mecque ; on en cite quatre particulièrement, Othman,Waraca, Obeïdallah, Zeid B. Amru, parents ou amis de Mahomet et ayant eu avec lui de fréquents rapports. La plupart des Koreish étaient au fond monothéistes, Mahomet était du nombre de ceux-ci. Sa conduite jusqu'à l'âge de 50 ans environ, où il rompit avec les Juifs de Médine est celle d'un dévot monothéiste. Comment expliquer autrement sa chasteté et les autres qualités presque religieuses dont on lui fait honneur jusqu'à 25 ans, âge de son mariage, puis sa constante fidélité à Kadidja (qu'on ne peut attribuer qu'en partie à l'ambition). Ce sont là essentiellement des vertus juives, telles qu'on les trouve recommandées ou prescrites par la Bible. Ses retraites continuelles à la grotte du Mont Hira, dans les années qui précèdent la déclaration de sa mission prophétique, et les essais poétiques qu'on lui attribue à cette époque révèlent un mysticisme inspiré par le précepte :

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes forces » (3).

Il suivait les pratiques juives pour la fête, pour les prières et jusque dans la manière de porter sa chevelure. Il fréquentait la Synagogue et avait pour intimes ou parents des Arabes judaïsants ou christianisants.

Seulement, comme il était illettré, il ne put faire des renseignements oraux qu'il recevait un corps de doctrine exactement fondé sur des textes, et son imagination dût suppléer à son instruction pour lier dans un ensemble les matériaux recueillis. Ce fût donc, en réalité, à la loi juive enseignée principalement par le Pentateuque et les Psaumes qu'il se crut mission d'appeler les Arabes, comme étant le dernier prophète.

Nous avons une notion exacte du Monothéisme juif à l'époque de David par le magnifique Psaume de l'Exode (CXIII), le chant national des Hébreux que les Catholiques chantent aux vêpres du dimanche: (In exitu Israël... «Nous n'en citerons que les versets essentiels :

3. Notre Dieu est dans les cieux ; il a tout créé, tout fait selon sa volonté (4).

4. Les idoles des nations sont d'or et d'argent, œuvres impuissantes de la main des hommes.

5. Que ceux qui les font deviennent semblables à elles, ainsi que tous ceux qui ont foi (5).

11. Ceux qui craignent le Seigneur ont espéré en lui ; il est leur aide et leur protecteur.

12. Le Seigneur s'est souvenu de nous et il nous a bénis.

13. Il a béni tous ceux qui le craignent ; les petits aussi bien que les grands.

14. Que Dieu vous comble de biens, vous et vos fils.

13-16. Il a fait le ciel et la terre et donné la terre aux humains.

17. Seigneur, les morts ne le loueront pas, ni ceux qui descendent dans la région inférieure (descendunt in infernum).

Dieu se trouve ainsi défini comme créateur tout puissant, comme maître unique qui maudit les idoles et les idolâtres ; il est l'aide et le protecteur des pieux (6) ; il les récompensera jusque dans leurs enfants ; il est donc providence et intervient dans les affaires humaines.

Dans ces versets il n'est point question des récompenses d'une autre vie ; le verset 17 semble même les exclure : puisque les morts ne loueront pas le Seigneur, il n'y aura pas de bienheureux après la mort ; cependant il pourra y avoir des hommes plongés dans les régions inférieures.

Le dogme de la vie future est très effacé dans la Bible ; elle se borne presque toujours à des menaces de maux terrestres, qui s'étendent jusque dans les générations à venir. La Géhenne est mentionnée, mais rarement cependant.

Mais, il est certain que la croyance au Paradis et (7) surtout à l'enfer, enseignée dans beaucoup d'écrits juifs en dehors de la Bible, était générale à la fois dans le judaïsme et dans le christianisme à l'époque de Mahomet. La résurrection est éloquemment expliquée par Saint Paul dans son épître aux Corinthiens, chapitre XV (8). En l'adoptant, il n'a fait que suivre l'opinion régnante de son temps.

Mais, pour des motifs politiques, il en a fait, un abus immodéré. Voyant que les peines et récompenses éternelles impressionnaient fortement des natures incultes, il a eu constamment à la bouche la menace de l'Enfer qui se liait si intimement à la guerre sainte, et il a imaginé les délices sensuels de son Paradis.

Tous les biographes européens de Mahomet s'accordent à dire qu'il n'a rien trouvé. Cependant on ne peut guère lui contester trois inventions à peu près originales : la guerre sainte, les délices matérielles du paradis, l'abstention du vin et du jeu de hasard. En ce qui concerne la première institution, on objecte qu'elle est empruntée à Moïse qui a prescrit l'extermination des peuples habitant la Terre promise. En donnant cet ordre, Moïse a obéi à une nécessité politique momentanée. Pour que les Hébreux restassent maîtres non troublés du pays à occuper, il fallait en faire disparaître les habitants ; tous les conquérants qui n'ont pas pris celle mesure radicale ont fini, l'histoire le prouve, par être évincés ou se fondre avec les vaincus, ce que ne pouvait admettre Moïse qui voulait préserver les juifs de l'idolâtrie. Mais ce législateur n'a point ordonne de faire la guerre aux idolâtres en dehors de la Palestine. C'est bien Mahomet qui a institué la guerre sainte universelle. Il y a été conduit évidemment par les circonstances ; mais il a pu emprunter aux juifs de sou temps les sentiments qui l'ont inspiré. D'après la Gemare de Babylone (Talmud) :

« Tout incirconcis mérite la mort ; il la reçoit si la politique ne le protège: Dans tous les cas, il est un ennemi, il n'a aucun droit et ne peut réclamer aucune justice ; le magistrat qui refuse de l'entendre fait son devoir. Dans les pays où les gentils sont au pouvoir, l'israélite qui les trompe, même par faux serment, n'engage pas sa conscience, il fait œuvre pie. »

Cette morale, trouvait à la rigueur son excuse dans de l'oppression où vivaient ceux qui la pratiquaient.

Quant aux autres vertus que le Coran a confirmées ou introduites chez les Arabes, elles se trouvent dans la Bible à un degré supérieur.

1° Part des pauvres et des humbles.

Le Coran a fait aux pauvres une part aussi large que possible par l'assistance privée et légale, mais il recommande de tenir dans l'aumône un juste milieu entre la prodigalité et la parcimonie. Il n'a donc en vue que la satisfaction d'un besoin politique et social auquel a pourvu plus ou moins complètement tout législateur, tout homme d'état. Au contraire Moïse non seulement fait de tout une part pour le pauvre, mais il le protège, il le défend dans son domicile, dans sa liberté, contre le créancier impitoyable ; il annule les dettes tous les sept ans ; il prescrit tous les 49 ans un jubilé, c'est-à-dire un nouveau partage des terres ; c'est un communisme intermittent. Enfin Dieu est l'ami du pauvre et de l'infirme et presque l'ennemi du puissant et du riche.

Esurientes implevit bonis et divites dimisit inanes. (Vulgate et Magnificat à Complies le dimanche).
Traduction littérale : Il a tout pris aux riches et tout donné aux meurt-de-faim.

« Dispersit superbos mente cordis sui: deposuit potentes de sede et exaltavit humiles. »
Traduction libre : Il a chassé les orgueilleux, abattu les aristocrates et fait régner les sans-culottes.

Pour tout cela le Coran est en arrière de la Bible.

2° Aide et fraternité entre coreligionnaires.

Ils sont également obligatoires dans les deux religions : Diliges proximum tuum sicut te ipsum. Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

Toute la question est dans la définition du mot prochain. Il parait avoir été entendu d'abord dans le sens de proche ou parent et ensuite, par extension, dans celui de coreligionnaire, en donnant le nom de frère à un coreligionnaire quelconque. Sans doute il y a exception pour les ennemis personnels : in odio habebis inimicos tuos. Peut-être en cela encore la Bible dépasse-t-elle le Coran : Exode, chap. XXIII :

4. Si tu rencontres le bœuf de ton ennemi ou son âne égarés, tu les lui ramèneras.

5. Si tu vois que l'âne de ton ennemi a failli sous le poids, tu l'aideras à se relever.

On trouve dans les deux religions des dispositions en faveur de la veuve, de l'orphelin et de l'étranger ou voyageur, plus encore dans le Pentateuque que dans le Coran (9).

3° Loi pénale : 
 
Elle est commune aux deux livres ; c'est la loi du talion. Moïse établit trois villes de refuge pour les homicides par imprudence. Moïse punit de mort la sodomie et la bestialité. Le Coran est muet à cet égard.

4° L'usure :

L'usure entre juifs est interdite par la Bible. Il n'est permis aux juifs de prêter à intérêt qu'aux étrangers et ils ne doivent pas leur emprunter. Si un juif a prêté à un autre juif, sans intérêt comme il est prescrit, il ne doit point le presser pour le remboursement. En fait, le musulman obéit à ce verset :

« Si votre débiteur éprouve de la gène, attendez qu'il soit plus aisé ; si vous lui remettez sa dette, ce sera plus méritoire pour vous. »

Le musulman ne prête pas à usure, mais il contracte des emprunts usuraires qu'il acquitte fidèlement. L'emprunt est une cause de ruine pour les musulmans et États musulmans, Moïse fut hautement prévoyant en l'interdisant aux juifs, et en leur permettant de prêter à l'étranger.

5° La mansuétude envers les serviteurs est l'objet de plusieurs prescriptions dans le Coran et dans la Bible. L'un et l'autre Livre restreignent et abrègent le plus possible la condition de servage appliquée aux coreligionnaires et adoucissent l'esclavage de l'étranger jusqu'à en faire une domesticité héréditaire. Le Décalogue (Lévitique, XXI) condamne comme un criminel celui qui frappe à mort un esclave ; V. 20. Il affranchit l'esclave à qui son maître a crevé un œil ou brisé une dent ; V. 76 et 27. Un juif esclave doit être affranchi au bout de sept ans.

La loi juive a des stipulations particulièrement favorables aux filles d'esclaves et surtout aux captives ; celles-ci ne peuvent être les épouses que de ceux qui les ont conquises. De même, la fille juive vendue comme esclave par son père obéré ne peut être que l'épouse de son maître. (Exode XXI. 7 à 11). En cette matière encore la Bible est plus libérale que le Coran.

Comme les musulmans prennent leurs captives pour concubines, il est intéressant de citer la loi juive à cet égard : Deutéron, chap. XXI.

11. S'il se trouve au nombre des captifs que Dieu a livrés à ton bras une belle femme et que tu l'aimes et veuilles l'avoir pour épouse,

12. Tu la conduiras à ta maison où elle fera sa toilette du corps,

13. — Elle quittera les vêlements qu'elle portait, lorsqu'elle a été prise et restera dans la maison occupée pendant un mois à pleurer son père et sa mère ; ensuite tu la posséderas et elle sera ton épouse ;
Si ensuite cette union le déplaît, tu la renverras libre, tu ne pourras ni la vendre ni la molester ; parce que tu l'as outragée.

Lorsqu'un esclave prend refuge chez un juif, celui-ci doit le garder. Deuteron, chap. XXIII.

15. Tu ne livreras, pas à son maître l'esclave qui s'est réfugié chez toi.

16. Il habitera avec toi le lieu qu'il voudra ou se retirera dans l'une des trois villes à l'abri de toute molestation.

Citons encore le Deutéronome :

XXII. — 6 et 7. Tu ne prendras pas la mère d'une couvée de petits oiseaux dans son nid.

10. Tu n'attelleras pas à la même charrue un âne et un bœuf.

XXV. — 10. Tu n'attacheras pas par la bouche le bœuf qui foule le blé sur ton aire.

6° La mansuétude à l'égard des animaux est également ordonnée par les deux Livres.

7° La patience dans toutes les tribulations est sémitique d'origine et de tempérament. C'est la vertu des prophètes. Les arabes et les juifs revendiquent également Job comme exemple et comme modèle.

Chez les uns et les autres elle n'est que trop souvent, à l'inverse de la vertu bouddhique et chrétienne du pardon des injures, que la dissimulation du ressentiment jusqu'à l'heure propice à la vengeance. C'est ainsi que David lègue à Salomon la punition non avouée de Joab meurtrier d'Absalon et de Gera fils de Semei.C'est ainsi queMahomet fait accepter pour arbitre du sort des Béni Koryttah Juifs, Sad qu'il savait implacable contre eux. C'est ainsi qu'il encourage les croyants de la Mecque qui sont dans l'impossibilité d'émigrer, à dissimuler leur foi tout en la gardant. Pour le Musulman, le martyre, c'est la mort dans les combats pour la foi ; ce n'est point la résistance aux tourments pour l'attester. Il n'imite point les Macchabées. En cela il diffère des juifs, des bouddhistes et des chrétiens qui ont fourni à l'histoire des religions ses plus belles pages, notamment la Passion de Jésus-Christ, par le père Didon, et les Martyrs de Lyon, par Renan.

8° La résignation aux malheurs publics et privés est propre presque exclusivement aux Musulmans ; ou du moins ils l'ont élevée à un degré tout nouveau. Ils l'empruntent à la notion de Dieu que Mahomet a adoptée et inculquée après qu'il eût inauguré la guerre sainte sans s'inquiéter ou s'apercevoir de son désaccord avec celle qu'il avait eue primitivement, la notion juive de Dieu-providence, de Dieu-justice, et qu'il conserve implicitement, puisqu'il admet que Dieu peut être fléchi par la prière, modifier ses décisions, et changer le cours naturel des choses. De sa prescience, il conclut le tableau réservé, la prédestination. Le guerrier est dans sa main. En vain il cherchera à éviter le péril, si son heure a sonné. Il distribue à son gré le bien et le mal, le vice et la vertu. Ce n'est plus la réunion et la coordination suprême de toutes les perfections. C'est la toute puissance irresponsable et insondable à laquelle il faut obéir aveuglément. L'idée de justice prédominante dans la Bible s'efface (10).

Le Coran dit III et 67. — Dieu accordera sa miséricorde à qui il voudra ; il est le suprême dispensateur des grâces, LXII (Médine). — 4. La foi est une faveur de Dieu ; il l'accorde à qui il veut et il est plein d'une immense bonté. — 6. Juifs, si vous imaginez être les alliés de Dieu à l'exclusion de tous les hommes, désirez la mort si vous dites la vérité (c'est-à-dire : offrez votre vie en témoignage).

De ces citations on peut rapprocher les suivantes : Quos vult perdere Jupiter dementat (Horace). — La grâce souffle où elle veut (Calvin et Jansénius) (11).

Le Dieu de la Bible est un Dieu jaloux. Il ne faut s'attacher qu'à lui, ne s'adresser qu'à lui. Si Qarum, au lieu de supplier soixante-dix fois Moïse, avait invoqué le Seigneur une seule fois, il aurait été pardonné. — Allah, dans le Coran, ne raisonne pas, ne discute pas, il ordonne, il impose, il promet et menace, il frappe ou récompense.

Tous les musulmans sont égaux devant lui, mais comme tous les sujets devant un despote : LL. 10e année de la mission. — 56. « Je n'ai créé les hommes et les génies qu'afin qu'ils m'adorent. — 57. Je ne demande point qu'ils me nourrissent. — 58. Dieu seul est le dispensateur de la nourriture, le Fort, l'Inébranlable. » — Puisque le despotisme trône au ciel, il doit aussi régner sur la terre, il est le régime obligé des populations musulmanes ; et celles-ci, ainsi que le professent les sectes intransigeantes dans leur logique inflexible doivent former une Théocratie sous un chef unique.

Dieu étant pour Mahomet l'être absolu, il a dû, à mesure qu'il avançait dans sa mission, accentuer l'adoration et le culte beaucoup plus que les juifs, au moins que ceux de son époque ; depuis la destruction du Temple où l'on immolait des victimes, bien que les derniers prophètes se fussent déclarés plutôt contraires aux sacrifices sanglants, très peu ou point de place est donnée au culte et aux cérémonies primitivement instituées ; les synagogues ne sont point des temples et il n'y règne point un recueillement religieux ; simples écoles elles ne servent qu'à l'instruction et quelque peu à la prière collective peut être, mais privée ; ce sont des salles de conférences religieuses.

Le titre de rabbin ne donne à celui qui le porte aucun caractère sacerdotal ; nommé à l'élection, pour l'instruction et la direction de la communauté juive, il n'a pas la mission de prier et d'officier pour elle. Les Juifs n'ont point d'oraisons d'invocation ou d'imploration de la faveur divine pour obtenir des grâces spirituelles ou temporelles.

Les Musulmans non plus ; d'où plusieurs écrivains ont conclu qu'ils ne croient pas à l'intervention de Dieu dans les affaires humaines. Cependant nous voyons le contraire dans beaucoup de leurs récits pieux et il faut reconnaître chez eux, au moins à titre d'exception, cette dérogation au dogme du fatalisme.

En général la prière musulmane se réduit à une exclamation adorative, comme le « mani pedma oum »des Thibétains, accompagnée d'une mimique qui en fait un exercice en quelque sorte hygiénique se répétant cinq fois par jour et dans toute occasion importante, ce qui n'a pas lieu chez les juifs. Elle est un rappel continuel à la soumission à Dieu et à ses préceptes. Des jeûnes fréquents et prolongés, imités des juifs il est vrai, concourent à l'effet de la prière. Mais ce sont là des pratiques tout extérieures. Il n'y entre ni le recueillement, ni l'examen de soi-même pour le perfectionnement, qui tiennent une si grande place dans les religions et même les Écoles philosophiques aryennes. Ce n'était point dans le tempérament des Sémites.

Quant au culte, le souvenir du temple de Jérusalem, l'exemple de la Kaaba et aussi sans doute celui des Églises chrétiennes, en avaient appris à Mahomet la nécessité pour rallier ensemble les fidèles et leur communiquer un sentiment commun. Le monument religieux était l'expression muette, mais permanente de ce sentiment. Aussi le premier acte de Mahomet à Médine fut-il la construction d'une Mosquée, consacrée à la prière et à l'instruction pieuse.

Au moment où Mahomet inspirait par le fatalisme un courage indomptable aux croyants, il ne pouvait apercevoir qu'une partie des conséquences de cette doctrine ; car son œil n'embrassait qu'un coin du monde et de l'avenir ; là elle était un mobile d'activité, elle devait devenir un principe d'inertie ; la résignation musulmane, à ce qui a été écrit, a été en partie la cause de l'arrêt, de la civilisation musulmane et de son irrémédiable défaite ; elle pourra cependant avoir un effet utile, celui de laisser cette civilisation s'imprégner d'une civilisation supérieure et par là relever son niveau moral. Mais la cause principale et essentielle de l'infériorité musulmane est la trop grande place faite au plaisir charnel et l'effacement de la femme dans la famille.

Législateur plutôt politique et du moment, qu'universel, Mahomet a voulu, comme les Brahmes, conduire les hommes (dont il ne connaissait guère qu'une faible partie, les Arabes), par leurs cotés faibles : la terreur, et la soif du plaisir et de la richesse. Il a inspiré la terreur par l'enfer ; il a donné la richesse par les dépouilles des infidèles et il a promis les voluptés du Paradis. La croyance à l'Enfer a contribué beaucoup à rendre impitoyables les musulmans comme tous ceux qui l'ont partagée, notamment les Espagnols à certaines époques. Quant au Paradis, la pensée des Houris célestes, hantant continuellement l'imagination des musulmans n'a pu que développer chez eux, outre mesure et aux dépens de l'intelligence, le sens génésique que l'état des mœurs et la religion leur permettaient de satisfaire.

En Égypte et en Syrie, et aussi jusqu'à un certain point en Afrique, on a remarqué dans les Écoles publiques, fréquentées par les Musulmans, le rapide développement intellectuel de l'enfant et de l'adolescent, et l'arrêt de l'adulte. Les employés Arabes des Européens sont excellents pour l'exécution des ordres donnés et la surveillance, nuls pour l'initiative et pour parer à l'imprévu.

On a plusieurs fois discuté cette question : Mahomet a-t-il amélioré la condition des femmes ?

La réponse doit selon moi être affirmative, en ce qui concerne l'Arabe, pour la majeure partie des femmes. Les femmes, libres comme les filles et les veuves, restent indépendantes et maîtresses de leurs actions et de leur main. Aucune femme ne peut être forcée de se marier contre sa volonté. Sans rien ôter aux droits et privilèges que les femmes pouvaient avoir, comme Kadidja, dans certaines situations de rang et de fortune (12), le Coran a assuré à toutes les épouses un traitement doux, l'entretien nécessaire, luxueux même quand il est possible, et un minimum de galanterie conjugale appelé la pari de Dieu. Il a aboli le droit du fils à prendre possession des femmes de son père comme héritier. Il a défendu l'infanticide des filles. — Cependant, on peut lui reprocher d'avoir diminué beaucoup la liberté des femmes par les règles sévères et la séquestration qui n'existaient point avant lui chez les Arabes.

Le régime nouveau, probablement alors moins rigoureux que plus tard, a pu suffire en Arabie, à l'époque de Mahomet ; mais il faut se demander :

l° si en ce qui concerne la famille, il est un progrès par rapport à la loi juive ;
2° si, au même point de vue, il satisfait aux conditions nécessaires d'existence de la société à d'autres époques.

1. Moyse a tout fait pour assurer la pureté des mœurs, l'inviolabilité de la famille. Il a été impitoyable contre tous ceux qui y ont porté atteinte. Citons encore le Deuteronome (13) :

XXII. — 13-14. Si un homme renvoie sa femme en l'accusant d'avoir perdit sa virginité avant le mariage,

15 à 19. Son père et sa mère la conduiront devant les anciens de la ville et leur montreront les preuves de sa virginité. Si ces preuves sont admises, l'accusateur sera condamné à être battu, à payer une très forte amende, à reprendre sa femme et à la garder toute sa vie ;

20 et 21. Si l'accusation est vraie, la femme coupable d'avoir forniqué dans la maison de son père sera lapidée ;

22. En cas d'adultère, les deux coupables seront punis de mort.

23 et 24. Si, en ville, un homme déflore une vierge fiancée, tous deux seront lapidés :

25. Si. c'est dans la campagne, l'homme seul mourra.

28 et 29. Celui qui aura défloré une une vierge non fiancée, paiera au père de la fille 50 sicles d'argent et l'aura toute sa vie pour épouse.

XXIII. — 1. L'eunuque dont les testicules sont coupés ou écrasés n'entrera point, dans l'assemblée du Seigneur (sera exclus de la communauté juive) ;

2. De même le bâtard jusqu'à la dixième génération.

17. Il n'y aura point de prostituée parmi les filles d'Israël, ni de proxénète parmi ses fils.

L'Incontinence et l'Onanisme sont stigmatisés dans d'autres passages.

La femme coupable est cruellement punie, mais le mari a des devoirs rigoureux envers sa femme presque toujours unique. Il ne peut s'y soustraire par des absences prolongées de plus de 8 jours. La première année de son mariage, il est- dispensé d'aller à la guerre. Il n'y a de restriction aux obligations conjugales que pour les docteurs de la. loi ; il peut leur être accordé jusqu'à un intervalle d'un mois. La femme juive doit se bien parer pour plaire à son époux. Il n'est point question de son infériorité ; elle s'acquitte des soins domestiques comme une compagne et non comme une servante. Elle élève ses enfants et est, honorée d'eux. « Tes père et mère honoreras afin de vivre longuement ». — Le père et la mère sont mis ait même rang.

Ce précepte avait une sanction terrible : Exode XXI.

15 et17. Celui qui frappera, ou maudira son père ou sa mère sera, puni de mort.

Le chap. XXI du Deuteronome assure l'obéissance dans la famille.

18. Si un mauvais fils méprise l’autorité de son père ou de sa mère,

19. Ceux-ci l'appréhenderont et l'amèneront devant les anciens de la. cité, à la porte du jugement ;

20. Et leur diront : notre fils est vicieux et et incorrigible, il méprise nos remontrances, s'adonne à la paresse, à la. luxure et à la gourmandise ;

21. Le peuple de la. ville le lapidera, et il mourra, pour que le méchant extirpé de votre sein serve d'exemple à tout Israël.

Dans le cas de deux épouses, les droits des enfants sont sauvegardés : « Si le mari aime l'une et déteste l'autre, et si le fils de celle-ci est l’aîné, le père ne pourra, le priver des droits attachés à ce titre, notamment celui d'une part double dans l'héritage. Deuteron. XXI, 15 à 11.

Voici les versets relatifs au divorce ; d'après ces textes il semble qu'il n'était pratiqué qu'en cas de répulsion motivée (14).

XXIV. — 1. Si un homme après avoir possédé une femme qu'il a épousée ne peut la garder à cause de quelque dégoût pour défaut physique, impureté (fœditatem), il écrira le libellé de la. répudiation, le lui remettra et la renverra de chez lui:

2 et 3. Et si celle-ci a un autre mari qui la prend aussi en aversion et la répudie ou bien vient à mourir,

4. Le premier mari ne pourra la reprendre, parce qu'elle a été polluée et est devenue abominable au Seigneur.

Le divorce n'était qu'une exception, le concubinage nul ; la famille était pleinement constituée. Et elle a continué à exister jusqu'aujourd'hui chez les Israélites.

Elle n'a jamais existé réellement chez les Musulmans, du moins telle que nous la comprenons, pour être la base de la société et de la première éducation. On cite des mères juives (celle des Machabés), des mères romaines, des mères chrétiennes ; on ne cite point de mères musulmanes. Pour les musulmans, d'une manière générale, la femme n'est qu'un être inférieur, un instrument de plaisir et de génération, dont tout le prix consiste dans la satisfaction qu'il procure à l'un ou à l'autre de ces points de vue. Il faut la bien traiter pour qu'elle remplisse bien son double office, mais uniquement pour cela (15).

La musulmane est habituée dès sa plus tendre enfance à la crudité des mots ; pour elle, aucune partie du corps humain ne renferme de secret. Dès l'âge de six ans, dans certaines parties de l'Orient, elle assiste aux dévergondages obscènes et aux extravagances ithyphalliques de l'illustre Karagheuz. Il n'existe chez elle qu'un sentiment de pudeur bien prononcé : celui qui la porte à cacher son visage devant un étranger, ne fût-elle vêtue que d'une simple chemise et dût-elle, pour arriver à se voiler, abandonner à la vue de l'indiscret toutes les autres parties de son corps.

On prétend que, par la séquestration et la peur, les musulmans assurent presque complètement la bonne conduite de leurs épouses ; c'est là un succès du même genre que celui obtenu en tenant les voleurs en prison. On attribue à la femme turque une chasteté relative consistant à n'aimer que le plaisir charnel avec l'homme.

Enfin on prétend que la femme musulmane est maintenue dans le devoir par le verset 35 de la S. XXXIII, une des dernières de Medine : « Les femmes vertueuses obtiendront de Dieu une récompense généreuse. » Il y a encore le verset 73 de la S. IX : « Dieu a promis aux croyants, hommes et femmes, les jardins baignés par des rivières ; ils y demeureront éternellement ; ils auront des habitations charmantes dans les jardins d’Éden. La satisfaction de Dieu est quelque chose de plus grand encore : c'est un Bonheur immense. »

Il en résulte que la condition matérielle de la femme musulmane, élevée pour cette condition, pourra la satisfaire, mais que son état moral sera toujours très inférieur. On ne lui donne aucune instruction. On lui enseigne que sa seule aspiration, sa seule ambition doit être de mettre au jour des fils. L'épouse peut être renvoyée sans allégation d'aucun motif, sans avis préalable, sans délai, même d'une heure (16). Mais elle doit rester enchaînée comme une esclave à son époux, contre son gré, négligée ou méprisée, si telle est la volonté de celui-ci. Le Coran ne stipule point pour la femme le droit au divorce (17). Les docteurs musulmans le reconnaissent dans des cas très exceptionnels En Algérie, le Cadi l'accorde assez facilement aux femmes notoirement maltraitées.

La femme divorcée peut réclamer son douaire, mais c'est là une faible garantie contre le caprice d'un maître (S. LXV, 2, 6 ; IV, 23 et aliud).

L'idée de la communauté de biens dans le mariage est étrangère aux musulmans. Chaque épouse a ses intérêts séparés, non seulement de ceux des autres femmes de son mari, mais encore des intérêts de celui-ci, au point qu'en cas de décès d'un fils le père et la mère partagent son héritage. Par conséquent, les frères de mères différentes n'ont aucun lien entre eux et sont plutôt rivaux qu'amis.

L'ignorance des femmes et la futilité de leurs goûts les rendent tout à fait impropres à exercer une direction ou influence bienfaisante sur l'éducation de leurs fils (et même de leurs filles), en sorte que les jeunes musulmans ne reçoivent que l'instruction très bornée, quoique assez répandue, des écoles publiques.

Les femmes esclaves sont traitées comme des êtres infimes. Aussi séquestrées que les épouses, elles sont expressément exclues de tous droits conjugaux ; elles sont la chose de leurs maîtres. Il n'y a en leur faveur qu'une seule disposition ou coutume : quand une esclave a donné un enfant à son maître, il ne peut plus la vendre et, à sa mort, elle devient libre (18).

Il n'existe pour aucun des fils un droit spécial à hériter soit des biens, soit des titres ou dignités ou emplois du père ou à recevoir une éducation supérieure. Comme un riche a toujours des fils nombreux, la part, d'héritage de chacun d'eux est faible et la richesse ne se transmet pas de génération en génération, pas plus que les titres et emplois. Il n'y a point de classe intermédiaire entre le souverain et le peuple, ce qui est un mal ; par contre : point de caste, ce qui est un bien. Les plus hauts dignitaires de l’État peuvent avoir l'origine la plus humble. De là le manque d'esprit de suite des gouvernements et la flagrante corruption des fonctionnaires avides de plaisir et de luxe.

En général, en pays musulman, toutes les femmes sont mariées, à l'exception des prostituées ; mais, comme un certain nombre d'hommes ont plusieurs femmes, un plus grand nombre d'autres n'en ont pas ; la proportion varie comme celle du nombre des pauvres par rapport aux riches ; d'après les dires des indigènes que j'ai recueillis, il y aurait parmi eux un tiers de célibataires en Algérie, deux cinquièmes en Égypte. La conséquence est un développement correspondant de la prostitution (19). Elle s'affiche en plein jour dans les grandes villes : à Constantinople, dans les allées de cyprès des cimetières ; au Caire et à Delhi aux balcons de certains quartiers.

Sauf l'architecture, aucun art libéral n'a fleuri chez les musulmans. La peinture et la sculpture auraient été considérées comme de l'idolâtrie ; la musique n'entrait point dans le culte et est restée barbare. — La poésie a été très cultivée, mais n'a enfanté aucune œuvre maîtresse, pas même dans l'Inde et en Perse où cependant beaucoup de sang arien s'est mêlé à celui des conquérants sémites ou mongols.

Tout le génie artistique des Arabes et des Persans s'est concentré dans l'architecture, surtout dans l'architecture religieuse. Notre art gothique a beaucoup du cachet de l'art arabe qui, originairement, s'est inspiré de l'art byzantin. L’Empire mongol de Delhi dans l'Inde nous a légué des merveilles comme le Tage d'Agra, les tours triomphales Jumelles du Kollub dans les jardins féeriques de Delhi, etc., œuvres des architectes persans. Mais la source de ces chefs-d’œuvre est tarie depuis plusieurs siècles.

La civilisation arabe a brillé d'un vif éclat à la suite de la conquête musulmane, grâce à la perception très juste et très haute qu'avait eue Mahomet des grandes qualités intellectuelles des Koreish. On compte un très grand nombre d'auteurs musulmans, principalement arabes avec mélange de juifs et de chrétiens, et même de parsis, qui ont produit une énorme quantité d'ouvrages presque tous très volumineux. Ce sont, outre des œuvres purement littéraires, des traductions ou des encyclopédies ou
des traités sur :

I. Le droit musulman, la tradition, l'histoire et la géographie ;

II. Les mathématiques, l'astronomie et l'astrologie ;

III. L'histoire naturelle et la médecine ;

IV. La grammaire, la logique, la philosophie.

C'est probablement ainsi que se groupaient les cours ou facultés dans les Universités arabes :

I. Dans les quatre subdivisions de la section I, les travaux historiques ayant trait aux musulmans sont les seuls qui aujourd'hui intéressent le monde non musulman ; ils sont recueillis et étudiés en Europe suivant leur valeur ;

II. On ne cite aucune découverte considérable des Arabes dans la section II ; mais seulement quelques constatations astronomiques ; Al Battari, classé par Lalande parmi les quarante deux astronomes les plus célèbres, a mesuré l'excentricité de l'orbite solaire avec une approximation qui n'a pas été dépassée ; mais c'est là un simple fait et non une loi  ;

III. Les Arabes eurent un grand nombre de savants médecins, mais les progrès que leur doit la science sont peu considérables.

IV. Les grammairiens musulmans se sont occupés exclusivement de la langue arabe. — Leurs logiciens ont adopté Aristote, comme notre moyen-âge, et n'ont point dépassé la scolastique. Leurs philosophes dont trois : Avicenne, Avempace et Averroès sont célèbres, sont avant tout des théologiens, souvent doublés de médecins. Ils ont exercé sur le inonde musulman une action heureuse et féconde pour l'avenir, mais n'ont laissé rien d'universel, rien de comparable à ce que nous ont légué les Descartes, les Leibnitz, etc. Comme toutes les langues sémitiques, l'arabe n'était point un instrument approprié à la philosophie, et, de plus, fixé invariablement par le Coran il ne pouvait se plier, se transformer et progresser comme l'ont l'ait les langues de l'Europe.

Les mêmes raisons d'insuffisance philologique et d'ultra-réalisme moral et religieux ont resserré la littérature musulmane dans un cercle très borné. En dehors des productions énervées du souffisme, elle appartient tout entière à ce que nous appelons le genre léger ; les poêles n'ont guère chanté que l'amour et — qui le croirait ? — le vin. Comme œuvres d'imagination les prosateurs ont composé presque exclusivement des contes semblables à ceux des Mille et une Nuits ; leur gros bagage se compose des « Nuits Arabes » qui comprennent les Mille et une, de Galland, et une série pareille, y faisant suite, et qui a été également traduite. Dans ces contes, l'imagination arabe ne se donne aucun frein ; pour pouvoir être' lu en France, Galland a dû transformer quantité d'amours contre nature et de détails érotiques, qui émaillent les récits pour des lecteurs musulmans des deux sexes.

Après avoir causé à la science religieuse et profane des perles irréparables par l'incendie des bibliothèques de l’Égypte et de la Syrie peu après Mahomet, et plus tard, par la destruction des bibliothèques et couvents bouddhistes de l'Inde, les musulmans ont fait fleurir une certaine civilisation ; mais celle-ci, presque entièrement enfermée en elle-même, n'a eu qu'une très courte et faible influence sur la civilisation générale. Au XVIIe siècle, la littérature et la science s'éteignent chez les Arabes, on pourrait dire chez les musulmans.

Une sorte de Renaissance a lieu aujourd'hui [en 1899] en Égypte, en Syrie, et dans l'Afrique du Nord, mais par la reproduction en arabe d'ouvrages de l'Europe, principalement sous les auspices des Européens. À Constantinople, au Caire, à Beyrouth et ailleurs, à part quelques anciens ouvrages arabes très estimés, on n'imprime guère que des traductions de livres européens. Bombay, qui possède plus de cinquante presses, expédie d'immenses quantités de livres arabes, pour la plupart hors de l'Inde ; ils traitent de religion, de poésie, d'histoire et de médecine, mais ce sont des ouvrages anciens qui ne propagent point la science moderne.

Depuis Averroès, l'Islam ne compte guère de nom illustre, tandis que du sein de la race juive se sont élevées des célébrités en tous genres :

En peinture et sculpture : Lévy, Lehman, Worms, Lieberman, Mosler, Israëls, Antokolsky ;
En musique : Mendelssohn, Halévy, Meyerbeer ;
Au théâtre : Rachel ;
En poésie : Heine ;
En mathématiques : Herschell, Wheer, Meyerbeer, Halphen ;
En philosophie : Spinosa, Franck, Weil ;
dans les sciences annexes : Lippman, Reinach, Germain Sée, Munk, Oppert, Bréal, Halévy, Darmesteter ;
En politique : Carvallo, lord Disraeli, Ricardo, Marx, Lasalle, — sans parler des grands financiers.

L'exclusivisme des juifs, autrefois exorbitant, diminue ; et aujourd'hui ils concourent largement au progrès moderne ; les musulmans, au contraire, sont fort distancés à cet égard et comme frappés de déchéance.

En instituant la guerre sainte, la polygamie avec séquestration des femmes, les délices du Paradis et le Fatalisme, Mahomet à modifié la loi juive dans un sens de recul pour l'adapter au tempérament des Arabes et tirer d'eux le parti qu'ils étaient susceptibles de rendre.

L'expérience a démontré qu'il n'avait accordé que l'indispensable aux nécessités politiques du moment, puisque, à sa mort, les tribus arabes se sont révoltées, trouvant trop lourd le joug de sa religion, et que pour étouffer leur mécontentement Abu-Backr, son successeur immédiat, a dû les lancer à la conquête de la. Syrie comme sur une proie. Et cette conquête n'a été qu'un prélude. Mahomet avait vu par la victoire de Bedr qu'un peuple de cavaliers nomades aguerris aux privations, pouvant se transporter à de grandes distances rapidement, sans impedimenta et sans les approvisionnements nécessaires à une armée nombreuse, frapperait partout des coups décisifs malgré une grande infériorité numérique.

Sa religion enflammait les guerriers en leur promettant, vivants ou morts, des femmes et des richesses. De là la soudaineté et l'immensité des conquêtes arabes. De là plus lard, les conquêtes des Mongols, autres cavaliers nomades dans les mêmes conditions que les Arabes. De là enfin celles des Turcs. La polygamie servait singulièrement les conquérants ; ils prenaient aux vaincus autant de femmes qu'ils pouvaient en entretenir avec les richesses dont ils s'étaient emparés, et multipliaient leur progéniture, si abondamment et si rapidement que, en Barbarie par exemple, il n'y avait plus guère que des musulmans après la seconde génération. J'ai constaté des résultats semblables dans l'Inde.

Nous avions montré que Mahomet a tenu constamment la conduite la plus habile pour arriver à la réalisation de ses plans, hautement conçus, en ce qui concerne l'Arabie. On doit lui rapporter aussi les succès obtenus après lui, et le considérer comme un très grand génie politique.

Mais ces succès n'ont point assuré le triomphe annoncé de sa religion dans le monde. Elle développait outre mesure l'amour du plaisir, et par conséquent de la richesse et l'ambition, et elle n'avait rien de ce qui les restreint : ni la croyance au libre arbitre et à la liberté humaine, ni l'examen de conscience et le retour sur soi-même pour le perfectionnement, ni le pardon des injures, ni même le scrupule dans l'emploi des moyens contre un ennemi, toutes choses dont Mahomet n'a point donné l'exemple.

Elle n'établissait entre les croyants qu'une fraternité d'armes, et on sait que cette fraternité n'exclut point les rivalités et ne réunit point par l'abnégation individuelle les volontés en un seul faisceau, comme une fraternité profondément morale (20). Mahomet n'avait songé à aucune transmission, aucun ralliement, aucune organisation religieuse. Il avait bien exhorté les Ansar et les Mohajjer à la concorde et avait désigné les Koréish pour la suprématie, pour être ce que nous appelons la classe dirigeante, mais il n'avait pas nommé expressément son successeur.

Comme sa vie avait été toute d'action, et comme il ne discutait pas, ni ne laissait discuter, il n'avait pas songé à établir une autorité religieuse, arbitre de difficultés qu'il ne prévoyait pas ; en sorte que l'Islam, comme nous l'avons dit ailleurs, est une anarchie au point de vue des croyances, quoique, politiquement, son essence soit le despotisme.

Il est résulté de là que les successeurs arabes de Mahomet se sont divisés et se sont combattus, principalement par ambition, et que les musulmans ont renoncé à un Empire unique et universel. Puis les Mongols et les Turcs ont pris successivement la place des Arabes. La fraternité musulmane a presque disparu. La polygamie, qui convenait si bien à des conquérants, a engendré pour la période de paix l'état social que nous avons signalé. Borné à l'horizon de son temps et de la Syrie, Mahomet avait cru embrasser tout le temps et tout l'espace, et la grande humanité lui avait échappé.

Comme législateur social, il est inférieur à Moïse et à Boudha. Ce sont les grands caractères et les grands cœurs qui impriment sur l'humanité des traits généraux et ineffaçables. Mahomet n'était ni tendre ni magnanime, et ses successeurs ne se sont jamais montrés tels. Leur histoire est pleine de meurtres et de cruautés. Les conquêtes musulmanes ne furent point fécondes comme celles d'Alexandre le Grand ; on peut appliquer aux Empires musulmans ce qui a été dit des anciens Empires d'Orient : « Ils ne peuvent exister qu'à l'état de conquérants ». Les invasions successives des Arabes, des Mongols et des Turcs rappellent celles des barbares, malgré l'éclat qu'ont jeté les deux premiers peuples, et la dernière est certainement un point de rebroussement dans la marche générale de la civilisation. Le plus grand bien qu'elles ont produit est d'avoir fait naître le mouvement des Croisades, qui a ruiné en Europe la féodalité.

Aujourd'hui, la religion musulmane compte cinquante millions d'adhérents dans l'Inde, cinquante millions au moins, et peut-être le double en Chine, cinquante millions environ dans le reste de l'ancien monde. Elle fait des prosélytes dans l'Inde, dans la Chine et dans l'Afrique centrale. Les musulmans sont dépendants dans l'Inde, en Chine, en Algérie, en Bulgarie, en Crimée, et dans quelques autres provinces de l'Empire russe. Ils sont maîtres dans l'Empire ottoman, où les chrétiens grecs sont en majorité, en Égypte, en Arabie, en Perse, à Tripoli et dans la Cyrénaïque, dans une partie de l'Afrique centrale et au Maroc. Là, ils ont la volonté de se maintenir, et même, à l'occasion, de s'agrandir par la force des armes... Mais l'intolérance contre les chrétiens n'y est plus qu'une exception. Le régime politique de tous ces pays est le despotisme absolu, sans frein ni contre-poids. Le souverain est le maître incontesté de la vie et des biens de ses sujets ; il en dispose sans aucune règle, soit pour ses jouissances, soit pour son ambition. La notion de l’État est à peu près nulle chez les musulmans, même chez les fonctionnaires. Un emploi est une situation personnelle. De là le gaspillage des ressources politiques. Le sultan actuel a eu toutes les peines du monde à faire réduire à cent millions la dépense annuelle du sérail. Les contributions sont arrachées par la violence, etc. Tous les États musulmans sont dans un état de décadence voisin de la chute. Ils ne tiennent debout que par l'effet de la rivalité des puissances européennes. Dans tous les pays où ils ne sont que sujets, les mahométans obéissent sans pensée de révolte, au moins actuelle, aux gouvernements qui les régissent.

Dans la dernière guerre entre les Russes et les Turcs, un grand nombre de musulmans servaient dans l'armée russe. Le prestige que le Tzar exerce sur les musulmans asiatiques prouve que l'idée de puissance étouffe chez eux les dissentiments religieux, car rien n'est plus opposé que l'Islam iconoclaste et l'Orthodoxie russe, religion des Icônes.

Partout les musulmans paraissent résignés à un état de choses qu'ils ne peuvent changer, et chaque gouvernement chrétien peut compter sur leur loyalisme.

S'ils nourrissent quelques idées de retour au passé, c'est plutôt par esprit d'indépendance et pour des motifs d'intérêt que par opposition religieuse. Partout, du reste, on est équitable envers eux et on assure l'exercice et le respect de leur religion et de leur loi.

Dans tous les pays musulmans dont les gouvernements sont chrétiens, l'état de paix et la suppression de l'esclavage ont diminué singulièrement la polygamie et par conséquent relevé la situation de l'épouse. Ce progrès ne peut que s'accélérer avec la diffusion de l'instruction, dans la population musulmane. Elle est générale parmi les hommes dans l'Inde et en Chine, et le gouvernement anglais fait, avec quelque succès, des efforts constants pour l'étendre aux femmes.

En Chine, les femmes, en général, savent lire et écrire, et les musulmans sont plus avancés que les autres Chinois, plus énergiques et plus sincères. En Algérie, on sera longtemps encore avant d'instruire les femmes arabes et même la plupart des Arabes. Ceux-ci vivent de la terre, soit comme propriétaires, soit comme locataires ou journaliers.

Ils ne forment que de petits groupes auxquels il est difficile de donner des écoles communes. Les femmes et les filles sont occupées à des soins domestiques. Mais elles ne sont point misérables ni surmenées, comme on se l'imagine en voyant la femme arabe cheminer à pied à côté de son mari monté. Cette coutume est plutôt pour affirmer la suprématie du sexe fort que pour lui éviter la fatigue.

De tout cela on peut conclure que, chez les Musulmans régis par des Chrétiens, la polygamie est généralement fort réduite et l'état familial très amélioré. Peut-être n'est-il pas pire de beaucoup que dans le nord de l'Allemagne où fleurissent, outre le divorce, la multiplicité des unions libres et temporaires et celle des naissances illégitimes (21).

Administrées honnêtement et habilement, résignées à leur situation, les populations musulmanes de l'Inde et de l'Algérie sont en progrès — lent, mais ostensible, et obéissent à l'impulsion humanitaire qu'elles reçoivent. Le bien est contagieux. Les ordres religieux transigeants de l'Islam exaltent et pratiquent la charité d'Isa ; leurs principes ne peuvent que prédominer parmi leurs coreligionnaires dans l'Inde et la Chine tout imprégnées de la compassion bouddhique.

On peut beaucoup espérer d'une religion qui a inspiré le trait suivant :

Dans une insurrection en Algérie, un marabout très vénéré avait réussi à empêcher le massacre de plusieurs français prisonniers des Arabes : l'autorité militaire voulut ensuite le décorer et il refusa par humilité. Rappelé comme témoin, il répondit aux félicitations du président du tribunal : « Je n'ai fait que mon devoir de bon musulman. »

Ce Marabout s'inspirait des versets 7 et 8 de la S. LX révélée à Médine dans la première année de l'Hégire :

7. Il se peut qu'un jour Dieu établisse entre vous et vos ennemis la. bienveillance réciproque. Dieu peut tout, il est indulgent et miséricordieux.

8. Dieu ne vous défend pas la bienveillance et l'équité envers ceux « qui n'ont point combattu contre vous pour cause de religion, et qui ne vous ont point banni de vos foyers. » Il aime ceux qui agissent avec équité.

Depuis les Croisades, on n'a plus combattu les Musulmans pour cause de religion ; ils peuvent donc en vertu des deux versets précédents être les amis des Chrétiens et ils le deviennent volontiers de ceux qui joignent la force et l'équité. Comme eux, ils invitent tous les hommes à adorer Dieu.

Les versets : Laudate dominum omnes genyes, etc., sont musulmans aussi bien que juifs et chrétiens.

Puissent tous les peuples s'unir dans un idéal commun, dans une même acclamalion : Gloire à Dieu et Paix aux hommes de bonne volonté !

E. LAMAIRESSE.


Notes.

(1) Le suicide est extrêmement rare chez les Musulmans ; la coutume du duel n'y existe point, cependant ils ne pardonnent point les injures et la compassion chez eux est toujours égoïste ; celui qui l'implore dit toujours : « Aie pitié de moi pour que Dieu ait pitié de toi le jour du jugement. »

(2) Le Deutéronome, en recommandant aux Juifs de bien traiter les étrangers qui viennent en résident parmi eux, édicte une faveur spéciale pour les Iduméens et les Égyptiens. Chapitre XXIII, verset 7 : Tu ne détesteras pas l'Iduméen parce qu'il est ton frère ; ni l’Égyptien, parce que tu as résidé chez lui comme étranger. Verset 8 : Leurs descendants à la troisième génération feront partie du peuple de Dieu.

(3) Diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo et ex totà animà tuà et ex tota fortitudine tuà. Deutoronom, VI, 5, qui fait partie du Pentateuque admis par Mahomet comme révélé.

(4) Deus noster in cælis ; omnia quæ voluit fecit. On ne peut donner une idée à la fois plus sublime et plus spirituelle de Dieu. Dante a dit en parlant de la demeure divine : Lià dove, si puote quel che si vuole.

(5) Le verset 5 est plutôt juif et surtout musulman que chrétien. À la rigueur en pourrait y voir la justification, sinon l'institution de la guerre Sainte. Les Catholiques qui le chantent ne se doutent guère de sa signification.

(6) Il a le caractère de providence et non celui de despote et de fatalité qu'il prend dans le Coran à partir de l’institution de la guerre sainte. Il est un point par lequel l'Islam paraît arriéré par rapport à la Bible. Celle-ci ne mentionne que très rarement les anges et Satan ; tandis que dans les livres musulmans ceux-ci, avec les démons et les diverses sectes de génies, jouent un rôle considérable et ces êtres ne sent que des restes de l'Animisme, dont les superstitions dans l’ordre chronologique et de genèse sent contemporaines ou tout au plus immédiatement postérieures à celles du fétichisme.

(7) On se rappelle que Abu Jahl, oncle de Mahomet, se sépara de lui à cause du dogme de l’Enfer. Tous les idolâtres sent voués à l'enfer ; mais les croyants peuvent racheter leurs péchés par l'aumône et la guerre sainte ou les expier en purgatoire.

(8) Son spiritualisme forme un contraste très curieux avec le réalisme de Mahomet.

(9) Deutéronome X. Aimez-donc les étrangers parce que vous-même avez été des étrangers dans la terre d'Égypte.

(10) Les psaumes nous disent : Dieu est puissant, clément et juste. Le Coran dit : Allah est grand et miséricordieux.

(11) L'opposition entre la prescience divine et le libre arbitra a disparu depuis que Kant a établi la non-objectivité du Temps et de l'Espace. S. Augustin avait certainement vu sinon démontré la solution.

(12) On sait qu'aujourd'hui encore, dans certaines tribus du désert, notamment chez une partie des Touaregs, les femmes ont une considération et une influence qui rappellent les temps de notre chevalerie.

(13) Nous rapportons à Moïse toute la législation du Pentateuque ; elle dérive de lui, bien qu'il puisse n'être pas l'auteur direct du tout.

(14) L’Évangile interdit le divorce, hors le cas d’adultère. Citons S. Mathieu, V :

31. Il a été dit : « que celui qui renvoie son épouse lui donne le certificat de répudiation » ;

32. Mais moi je dis : celui qui renvoie son épouse, hors du cas do fornication, en fait une pécheresse ; et quiconque épouse une divorcée commet l'adultère.

(15) Dans un article récemment publié ici, un de nos collaborateurs s'efforçait de prouver, d'après des docteurs de l'Islam que si la condition de la femme est misérable dans certaines parties du monde musulman, on ne saurait s'en prendre aux institutions musulmanes. Il nous semble que M. Lamairesse parle de cette question seulement d'après quelques exceptions, car, en général, la condition de la musulmane est meilleure qu'il ne le dit. N.D.L.R.

16) Une restriction au divorce est stipulée sinon par le Coran, au moins par la Sonna. Elle est imitée de celle que nous avons signalée un peu plus haut dans la loi juive, Deuteronom XXIV, 4. Après avoir renvoyé deux fois sa femme, un mari ne peut la reprendre une troisième fois qu'à la condition qu'auparavant elle ait vécu avec un autre époux qui lui aura donné le certificat du divorce, et qu'on nomme un mostahil, parce qu'il se fait payer pour jouer ce rôle considéré comme infamant. Il y a une exclamation féminine proverbiale : « Plutôt mille amants qu'un mostahil. »

(17) L'idée que Mahomet avait de la destination de la femme ne comportait pas ce droit ; il n'en est pas non plus question dans la Bible. Sans doute, Moyse n'a pas pensé qu'une femme mariée y pouvait songer, étant liée par l'amour de ses enfants et se trouvant dans l'impossibilité de prendre, divorcée, une situation quelconque, en raison de l'état des mœurs et de l'opinion.

(18) Cette disposition n'est point dans le Coran ; elle est conforme à la conduite qu'a tenue Mahomet envers la Cophte Marie. Les esclaves de cette classe sont appelées Om el ouled, mère d'un enfant.

(19) Le Coran combat ce résultat prévu a l'aide des prescriptions suivantes de la S. XXIV :

32. Mariez ceux qui ne sont pas encore mariés, vos serviteurs probes à vos servantes ; s'ils sont pauvres, Dieu les rendra riches ; car Dieu est immense, il sait tout.

33. Que ceux qui ne peuvent trouver un parti « à cause de leur pauvreté » vivent dans la continence jusqu'à ce que Dieu les ait enrichis de sa faveur. Si quoiqu'un de vos esclaves vous demande son affranchissement par écrit, donnez-le lui si vous t'en jugez digne. Donnez-leur quoique peu de ces biens que Dieu vous a accordés. Ne forcez point vos servantes à se prostituer, pour vous gagner les biens passagers de ce monde, si elles désirant garder leur pudicité. Si quoiqu'un les y forçait, Dieu leur pardonnerait à cause de la contrainte ; il est indulgent et compatissant.

(20) Les musulmans n'ont jamais mis en pratique le verset 9, de la S. XLIX, l’avant-dernière révélée :
« Lorsque deux nations des croyants se font la guerre, cherchez à les concilier. Si l'une d'entre elles agit avec iniquité envers l'autre, combattez celle qui a agi injustement, jusqu'elle ce qu'elle revienne aux préceptes de Dieu. Si elle reconnaît ses torts, réconciliez-la avec l'autre selon la justice ; soyez impartiaux, car Dieu aime ceux qui agissent avec impartialité. »

(21) À Berlin, en 1875, sur 14000 mariages,il n'y en a que 4000 religieux. Au Sleswig-Holstein, le nombre des enfants naturels égale à peu près celui des légitimes. L'émancipation féminine réclamée par Bebel existe de fait. À Dresde, capitale intellectuelle, 7000 protestants au plus sur 160000 suivent le culte du dimanche autrefois si rigoureusement pratiqué.

Source.

E. Lamairesse, « L’œuvre de Mahomet », Revue de l’islam, 4e année, n°46, p. 129-134, n°47, p. 145-147, n°48, p. 167-169, 1899.