Ces définitions datent du XIXe siècle et reflètent donc la façon dont les auteurs de cette époque conçoivent les caractères et les devoirs supposés des femmes.
AMOUR-PROPRE
(qualité bonne ou mauvaise).
Le célèbre professeur Baumes a défini l'amour-propre :
« une préoccupation de son propre mérite qui rend plein et bouffi de soi-même ; qui fait que de tout ce qui est de ce monde on n'estime que soi, et qui rend très attentif à faire sentir à autrui la supériorité que l'on croit avoir sur lui. »
D'après celte définition, l'amour-propre devrait être toujours pris en mauvaise part et toujours considéré comme un défaut ; et les moralistes auraient eu tort d'avancer qu'il fait tout les vices et toutes les vertus, selon qu'il est bien ou mal entendu. Cependant est-il rien de plus vrai que cette opinion ? N'est-ce pas que l'amour-propre ressort de nos mouvements, fait agir l'âme, et devient par là le plus puissant de tons les mobiles ? N'est-ce pas que sans l'amour-propre, l'homme ne mettrait aucun intérêt dans ses actions ? Que, principe moteur plein de force, son opération très-active suggère, presse, excite, pousse parfois et souvent à bien faire, à chercher le bonheur, et qu'il est d'autant plus fort que son objet est toujours plus présent ? Ou, pour parler plus clairement, n'est-ce pas que le défaut d'amour-propre ou besoin d'approbation engendre l'insouciance, la malpropreté et la paresse ; au lieu que son développement excessif produit la vanité et l'ambition avec toutes les nuances, depuis la passion de la parure et du luxe jusqu'à la soif immodérée de la célébrité, des honneurs et des conquêtes ? Cela est incontestable ; mais comme ce bonheur revêt toutes les formes que l'éducation, la coutume, les préjugés, lui donnent, il s'ensuit qu'ici l'humanité tend vers la nature angélique, et là descend au niveau de la bêle. (C. Bonnet.) L'amour-propre nous conduit donc au bien ou au mal.
Pour moi, qui ai vu l'amour-propre s'identifier tellement avec l'amour de la gloire qu'ils paraissaient ne former qu'un seul et même amour, dans ce cas toujours beau, toujours grand, toujours louable quand on arrive à la célébrité par la vertu, je crois pouvoir concilier les opinions diverses que l'on a émises touchant ses effets bons ou mauvais, en disant que, s'il nous aveugle sur nos talents, nos qualités, nos perfections, à ce point que nous devenons incapables de rendre justice au mérite des autres, l'amour-propre est alors le plus intolérable des défauts ; tandis que si, au contraire, il a pour but d'exciter l'émulation dans le cœur des hommes, si, semblable à un génie bienfaisant, il les conduit comme par la main à la véritable gloire, cet amour devra nécessairement prendre rang parmi les plus précieuses qualités dont on puisse désirer la possession.
Sans doute que c'est l'amour-propre dont chacun de nous est pétri qui donne tant de crédit aux flatteurs ; sans doute que nous sommes parfois, pour ne pas dire toujours, si prévenus en notre faveur, que nous prenons en nous pour des vertus ce qui n'est que des vices qui leur ressemblent, et que l'amour-propre déguise (La Rochefoucauld) ; sans doute que, plus nous approchons, par nos lumières, de la médiocrité, et plus l'amour-propre nous rend vains et ridicules : et malgré cela, n'est-ce pas que le désir d'être approuvé est un sentiment bien naturel ?
On ne l'a jamais contesté, et ce qu'on ne conteste pas non plus, c'est que les artistes médiocres, quand ils sont remplis d'amour-propre, et il y en a bien peu qui ne le soient pas, sont toujours si contents de ce qu'ils font, qu'ils concourent bien peu, s'ils y concourent parfois, à la perfection idéale vers laquelle ils ont rarement porté leur pensée. Et comment pourraient-ils jamais y concourir, lorsqu'ils sont toujours en admiration devant leurs productions, et que s'ils daignent comparer leurs ouvrages avec d'autres ouvrages, c'est d'ordinaire avec ceux des artistes leurs égaux, et plus souvent encore avec ceux des artistes beaucoup plus médiocres qu'eux, afin que la comparaison tourne toujours à leur profil. Aussi, un des caractères qui distinguent le mieux l'homme doué d'un véritable talent d'avec l'homme médiocre, c'est que l'un, juge pour lui trop sévère, n'est jamais content de ses propres œuvres, au lieu que l'autre, dans sa présomption, en est toujours très-satisfait.
Santeuil, l'ami de Boileau, était un de ces esprits médiocres qui s'admirent et se louent. Il écrivait en vers latins, avait la faiblesse de croire que ce talent d'écolier le mettait au rang des poètes, et disait avec une satisfaction véritable : « Pour moi, je suis toujours content de mon œuvre. » Ce à quoi Despréaux répliquait avec une maligne ambiguïté: « Vous êtes le premier des grands hommes à qui cela soit arrivé. » (.4. Smith.)
À ce caractère différentiel, tiré du jugement que l'homme de mérite et celui qui au contraire en manque, portent chacun en particulier de leurs propres œuvres, j'ajouterai le portrait d'un individu bouffi d'amour-propre, afin qu'il soit bien plus facile encore de le reconnaître.
L'homme plein de lui- même se tient droit, marche la tête haute et dressée, le front relevé et tendu. Ses sourcils, fortement arqués au milieu, entraînent la paupière supérieure, et découvrent un œil brillant et animé dont la prunelle dilatée se dirige en haut ; les narines présentent ce renflement, cette turgescence, si propres à l'orgueil ; les joues sont légèrement enflées et de forme globuleuse ; les lèvres sont jointes et un peu avancées ; quelquefois un sourire presque imperceptible les effleure ; c'est le sourire de la satisfaction.
Mais de quelque côté qu'on l'envisage, il est quelques points incontestables et incontestés touchant certains effets de l'amour-propre. Ainsi, non-seulement il sert merveilleusement à exciter l'émulation des enfants et de la jeunesse, il concourt en les stimulant à perfectionner leur éducation ; mais encore, mis en jeu avec beaucoup de ménagement et d'adresse, il peut contribuer à la guérison de certaines maladies sur lesquelles l'influence de l'imagination peut quelque chose.
Sous ce rapport, les effets de l'amour-propre sont directs et indirects. (…).
AMOUR DE SOI-MÊME
(passion innée).
La grande passion, l'origine et le principe de toutes les passions, une passion qui naît avec l'homme et ne le quitte jamais, c'est l'amour de soi-même ; passion innée, primitive, antérieure à toutes les autres, et dont toutes les autres ne sont, en un mot, que des modifications. (J.-J. Rousseau, Helvétius, etc.)
Ce qui la constitue, en morale, cette passion, c'est un sentiment ou plutôt un désir pour ainsi dire instinctif, mais passionné, de fuir le mal et de rechercher le bien. C'est pourquoi, quand il se trouve tempéré, éclairé, dirigé par la sagesse, il est, comme l'ont prouvé la plupart des philosophes, un sentiment légitime, louable, nécessaire, indispensable.
Qu'est-ce en effet qui porte les femmes à rester pures, honnêtes, ou tout au moins à vouloir paraître telles aux yeux du monde? N'est-ce pas l'amour de leur repos (La Rochefoucauld ), de la considération, l'amour d'elles-mêmes ?
Qu'est-ce qui fait que les hommes qui s'estiment ne se laissent jamais manquer impunément, et que, mus par le sentiment de leur dignité blessée, fidèles aux devoirs qu'il leur impose, ils repoussent avec courage et par tous les moyens licites tout ce qui peut porter atteinte à leur réputation et à leur honneur? N'est-ce pas l'amour d'eux-mêmes?
Pourquoi cette jeune fille résiste-t-elle aux séductions dont elle est entourée, et préfère t-elles a pauvreté, son obscurité, à des richesses ou à des parures qu'il lui faudrait acheter par le sacrifice de sa vertu ? N'est-ce pas l'amour d'elle-même ?
Ainsi, quand le malheureux faquir se tient tout nu au soleil, chargé de fers, mourant de faim, mangé de vermine et la mangeant, et que, bercé par l'espérance d'aller au dix-huitième ciel, il regarde en pitié celui qui ne sera reçu que dans le neuvième ; quand la Malabare se brûle sur le corps de son mari, avec la croyance qu'elle le retrouvera dans l'autre monde et y sera plus heureuse que dans celui-ci ; tous sont mus par le sentiment de l'amour d'eux-mêmes. Donc cet amour de soi-même, c'est l'amour de l'estime, de la considération qu'on veut mériter ou conserver, c'est le désir d'obtenir les récompenses qui seront accordées à ceux qui pratiquent la vertu.
Nous devons remarquer toutefois qu'il faut, pour que l'amour de soi-même conserve ce beau caractère, qu'il soit renfermé dans de sages limites ; car s'il pèche par excès, et nous aveugle sur la nature de tel ou tel de nos sentiments, il devient alors un vice monstrueux, il tombe dans l'ÉGOÏSME ( Voy. ce mot). C'est d'autant plus fâcheux pour celui qui ne saurait s'en défendre, qu'il ne peut plus parler ni s'occuper que de lui-même, il fait un dieu de sa personne, il lui sacrifie tout.
À ce propos, nous signalerons une erreur dans laquelle sont tombés et tombent encore bien des hommes fort instruits d'ailleurs, et qui n'ont pas assez réfléchi sur ce sujet. Pour eux, amour de soi-même et égoïsme sont parfaitement synonymes ; ils ne forment qu'un seul et même sentiment.
Bien certainement ils se trompent ; car il est facile de concevoir, d'après ce qui précède, que ces mots ne peuvent signifier une seule et même chose, avoir une seule et même acception.
Sans doute que dans l'un et l'autre cas les motifs qui dirigent l'être pensant sont essentiellement personnels ; mais comme celui qui le fait agir a, d'un côté, beaucoup de noblesse et de dignité ; et d'un autre côté, beaucoup de bassesse et d'immoralité, on devra conserver l'expression d'amour de soi-même, pour le premier, et celle d'égoïsme pour le second.
Est-il nécessaire de signaler quel est celui des deux qu'il convient de développer, et celui qu'on est obligé d'étouffer dans le cœur des hommes ?
Félix-André-Augustin Poujol, Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l'âme: ou l'on traite des passions, des vertus, des vices, des défauts, etc., J. P. Migne éditeur, 1857, col. 221 et 224.