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mercredi 6 juillet 2011

Définition de la foi selon un dictionnaire de Jurisprudence, 1782.


 [Orthographe modernisée.]


FOI, 
f. f. ( Droit naturel. Droit des gens. Droit civil.


Ce mot, dans sa véritable acception, signifie la promesse que l'on fait, ou la parole que l'en donne de faire quelque chose. Mais il a encore, en droit, d'autres significations.

On entend par foi, lorsque ce terme est joint à celui d'hommage, la fidélité que le vassal doit à son seigneur : nous en traiterons fous le mot particulier Foi Et Hommage. 

Foi signifie aussi croyance, par exemple, quand on dit, ajouter foi à un acte. C'est, dans le même sens qu'on appelle foi publique, la créance que la loi accorde à certaines personnes pour ce qui est de leur ministère : tels sont les juges, greffiers, notaires et huissiers : c'est à-dire que l'on ajoute foi tant en jugement que dehors, aux actes qui font émanés d'eux en leur qualité, et à tout ce qui est rapporté comme étant de leur fait, ou s étant passé sous leurs yeux. De là cette manière de parler, avoir foi en justice, pour signifier, avoir la confiance de la justice.

Foi signifie encore attestation ou preuve, comme lorsque l'on dit qu'un acte fait foi de telle chose. Cette foi est ou provisoire, ou pleine et entière. Elle est pleine et entière, lorsque l'acte est authentique, et qu'il fait preuve complète de ce qui y est contenu : on appelle foi provisoire, la croyance qu'on donne à un acte argué de faux, jusqu'à ce qu'il soit détruit.

On se sert quelquefois de l’expression,  foi du contrat, pour désigner l'obligation qui en résulte : suivre la foi du contrat, c'est se fier pour son exécution à la promesse des contractants, sans prendre d'autres sûretés, comme des gages ou des cautions. C'est dans ce sens que les jurisconsultes disent qu'un vendeur a suivi la foi de l'acquéreur, lorsqu'il lui accorde un terme pour payer le prix de la chose vendue et livrée, c'est-à-dire, qu'il est fié à sa promesse pour acquitter le prix qui fait une des parties essentielles du contrat de vente.

On distingue la foi en bonne et mauvaise. On appelle bonne foi, la conviction intérieure que l'on a de la justice de son droit ou de sa possession ; et mauvaise foi, lorsqu'on fait quelque chose malgré la connaissance que l'on a que le fait n'est pas légitime.
Les lois romaines distinguaient les contrats, en contrats de bonne-foi et contrats de droit étroit : mais parmi nous, tous les contrats sont de bonne foi. Voyez Contrat.
La bonne-foi est principalement requise par les lois civiles, dans l'administration des affaires d'autrui, dans la vente d'un gage, dans la prescription. Il est inutile de traiter ici de tout ce que la bonne foi exige dans les différents actes que les hommes font entre eux ; on le trouvera sous le mot particulier de chaque convention, contrat ou obligation. C'est pourquoi nous nous bornerons à donner quelques principes généraux du droit naturel et des gens, sur la foi donnée.

I. On peut demander si le serment ajoute quelque chose à l'obligation qui résulte d'une promesse. Les moralistes et les jurisconsultes conviennent unanimement que le serment ne constitue pas l'obligation de garder une promesse, d'accomplir un traité ; il lui prête feulement une nouvelle force en y faisant intervenir le nom de Dieu. Un honnête homme ne se croit pas moins lié par sa parole seule, par la foi donnée, que s'il y avait ajouté la foi du serment. Cicéron n'admet presque aucune différence entre le parjure et le mensonge.

« L'habitude de mentir, dit-il, est volontiers accompagnée de la facilité à se parjurer. Si on peut engager quelqu'un à manquer à sa parole, sera-t-il bien difficile d'obtenir de lui un parjure ? Dès qu'une fois on s'écarte de la vérité, la religion du serment n'est plus un frein suffisant. Quel est l'homme qui sera retenu par l'invocation des dieux, s'il ne respecte ni sa foi, ni sa conscience ? C'est pourquoi les dieux réservent la même peine au menteur et au parjure ; car il ne faut pas croire que ce soit en vertu de la formule du serment que les dieux immortels s'irritent contre le parjure : c'est plutôt à cause de la perfidie et de la malice de celui qui dresse un piège à la bonne foi d'autrui ».

Le serment ne produit donc point une obligation nouvelle ; il fortifie seulement celle que la promesse ou le traité impose, et il en suit entièrement le sort : réel et obligatoire par surabondance, quand le traité l'était, il devient nul avec le traité. Voyez Contrat.
Ce que nous venons de dire du serment, doit s'appliquer aux assévérations dont on use, en prenant des engagements, à ces formules d'expression destinées à donner plus de force aux promesses. Ainsi, lorsque les rois engagent leur parole royale, promettent saintement, solennellement, irrévocablement ; lorsqu'un homme promet sur sa parole d'honneur, un noble sur sa foi de gentilhomme, etc., ils ne sont pas plus strictement, plus nécessairement obligés que celui qui engage simplement sa parole avec réflexion et en connaissance de cause.
Cependant ces assévérations ne sont pas tout à fait inutiles ; elles servent à donner plus d'authenticité à la foi donnée ; elles rendent l'infidélité plus honteuse. Il faut tirer parti de tout parmi les hommes, dont la foi est si incertaine ; et puisque la honte agit plus fortement sur eux que le sentiment de leur devoir, il serait imprudent de négliger ce moyen. 

II. On peut engager sa foi tacitement, aussi bien qu'expressément ; il suffit qu'elle soit donnée, pour devenir obligatoire : la manière n'y peut mettre aucune différence. La foi Grotius, dans la nature de certains actes dont on est convenu, est tacitement compris dans la convention ; ou, en d'autres termes, toutes les choses, sans lesquelles ce dont on est convenu ne peut avoir lieu, sont accordées tacitement, et les parties doivent religieusement s'en garder la foi. 
 
III. Est-on dispensé de tenir la  foi donnée envers un ennemi ? Ce serait une erreur également funeste et grossière de s'imaginer que tout devoir cesse, que tout lien d'humanité soit rompu, entre deux nations qui se font la guerre. Réduits à la nécessité de prendre les armes pour leur défense et pour le maintien de leurs droits, les hommes ne cessent pas pour cela d'être hommes : les mêmes lois de la nature règnent encore sur eux. Si cela n'était pas, il n'y aurait point de loi de la guerre. Celui-là même qui nous fait une guerre injuste est homme encore ; nous lui devons tout ce qu'exige de nous cette qualité. Mais il s'élève un conflit entre nos devoirs envers nous-mêmes, et ceux qui nous lient aux autres hommes. Le droit de sûreté nous autorise à faire contre cet injuste ennemi tout ce qui est nécessaire pour le repousser, ou pour le mettre à la raison : cela est vrai, mais tous les devoirs, dont ce conflit ne suspend pas nécessairement l'exercice, subsistent dans leur entier ; ils nous obligent et envers l'ennemi, et envers tous les autres hommes. Or tant s'en faut que l'obligation de garder la foi puisse cesser pendant la guerre, en vertu de la préférence que méritent les devoirs envers soi-même, elle devient plus nécessaire que jamais. Il est mille occasions, dans le cours même de la guerre, où, pour mettre des bornes à ses fureurs, aux calamités qu'elle traîne a fa fuite, l'intérêt commun, le salut de deux ennemis exige .qu'ils puissent convenir ensemble de certaines chose. Que deviendraient les prisonniers de guerre, les garnisons qui capitulent, les villes qui se rendent, si l'on ne pouvait compter sur la parole d'un ennemi ? La guerre dégénérerait dans une licence effrénée et cruelle ; ses maux n'auraient plus de bornes. Et comment pourrait-on la terminer enfin et rétablir la paix ? S'il n'y a plus de foi entre ennemis, la guerre ne finira avec quelque sûreté que par la destruction entière de l'un des partis. Le plus léger différend, la moindre querelle produira une guerre semblable à celle qu'Hannibal fit aux Romains, dans laquelle on combattit, non pour quelque province, non pour l'empire, ou pour la gloire, mais pour le salut même de la nation. Il demeure donc constant que la foi des promesses et des traités doit être sacrée, en guerre comme en paix, entre ennemis aussi bien qu’entre nations amies.
Les conventions, les traités faits avec une nation, sont rompus ou annuités par la guerre qui s'élève entre les contractants, soit parce qu'ils supposent tacitement l'état de paix, soit parce que chacun pouvant dépouiller son ennemi de ce qui lui appartient, il lui ôte les droits qu'il lui avait donnés par des traités. Cependant il faut excepter les traités où l'on stipule certaines choses en cas de rupture : par exemple, le temps qui sera donné aux sujets de part et d'autre pour se retirer, la neutralité assurée d'un commun consentement à une ville, ou à une province, etc. Puisque, par des traités de cette nature, on peut pourvoir à ce qui devra s'observer en cas de rupture, on renonce au droit de les annuler par la déclaration de guerre.
Par la même raison, on est tenu à l'observation de tout ce qu'on promet à l'ennemi dans le cours de la guerre : car, dés que l'on traite avec lui, pendant que l'on a les armes à la main, on renonce tacitement, mais nécessairement, au pouvoir de rompre la convention, par forme de compensation et à raison de la guerre, comme on rompt les traités précédents ; autrement ce serait ne rien faire, et il serait absurde de traiter avec l'ennemi.
Mais il en est des conventions faites pendant la guerre, comme de tous autres pactes et traités, dont l'observation réciproque est une condition tacite, on n'est plus tenu à les observer envers un ennemi qui les a enfreints le premier ; et même, quand il s'agit de deux conventions séparées, qui n'ont point de liaisons entre elles, bien qu'il ne soit jamais permis d'être perfide, par la raison que l'on a affaire à un ennemi qui, dans une autre occasion, a manqué à sa parole, on peut néanmoins suspendre l'effet d'une promesse, pour l'obliger à réparer son manque de foi, et retenir ce qu'on lui a promis, par forme de gage, jusqu'à ce qu'il ait réparé sa perfidie. C'est ainsi qu'à la prise de Namur, en 1695, le roi d'Angleterre fit arrêter le maréchal de Boufflers, et le retint prisonnier malgré la capitulation, pour obliger la France à réparer les infractions faites aux capitulations de Dixmude et de Deinse.

IV. On a longtemps agité la question de savoir si un chrétien est obligé de garder la foi donnée aux ennemis de la religion. Plusieurs papes ont entrepris de rompre les traités des souverains, de les délier de leurs engagements, de les absoudre de leurs serments.
Césarini, légat du pape Eugène IV, rompit le traité conclu entre Vladislas, roi de Pologne et de Hongrie, et le sultan Amurath. Il força ce prince à reprendre les armes contre les Turcs ; mais il paya cher sa perfidie, ou plutôt sa crédulité superstitieuse, puisqu'il périt avec son armée auprès de Varna. Le pape osa bien publier contre la paix de Westphalie, une bulle dans laquelle il déclare certains articles « nuls, vains, invalides, iniques, injustes, condamnés, réprouvés, frivoles, sans force et effet, et que personne n'est tenu d'observer, encore qu'ils soient fortifiés d'un serment ; et de sa science, délibération et plénitude de puissance, il les condamne, réprouve, casse et annule ».
Qui ne sent pas que ces entreprises des papes, très-fréquentes autrefois, étaient des attentats contre le droit des gens, et tendaient directement à détruire tous les liens qui peuvent unir les peuples, à saper les fondements de leur tranquillité ? Qui n'est pas indigné de cet abus étrange d'une religion sainte qui défend si expressément le mensonge et le parjure ?
La loi naturelle seule régit les conventions et les traités des nations : la différence de religion y est absolument étrangère. Les peuples traitent ensemble en qualité d'hommes, et non en qualité de chrétiens ou de musulmans ; il s'agit de la vie, des biens qui n'ont rien à faire avec le pape ou le mufti, avec la messe ou le sermon. Le salut commun des hommes demande qu'ils puissent traiter entre eux, et traiter avec sûreté. Toute religion qui heurterait en ceci la loi naturelle, porterait un caractère de réprobation ; elle ne saurait venir de l'auteur de la nature, toujours constant, toujours fidèle à lui-même, et elle devrait être en horreur à tout le monde. Mais si les maximes d'une religion vont à s'établir par la violence, à opprimer tous ceux qui ne la reçoivent pas, la loi naturelle défend de favoriser cette religion, et de s'unir sans nécessité par des traités à ses inhumains sectateurs, et le salut commun des peuples les invite plutôt à se liguer contre des furieux, à réprimer des fanatiques, qui troublent le repos public et menacent toutes les nations.
La foi des traités, cette volonté ferme et sincère, cette constance invariable à remplir ses engagements, dont on fait la déclaration dans un traité, est sainte et sacrée entre les nations, dont elle assure le salut et le repos ; et si les peuples ne veulent pas se manquer à eux-mêmes, l’infamie doit être le partage de quiconque viole sa foi.
Celui qui viole ses traités viole en même temps le droit des gens ; car il méprise la foi des traités, cette foi que la loi des nations déclare sacrée ; et il la rend vaine, autant qu'il est en son pouvoir. Doublement coupable, il fait injure à son allié, il fait injure à toutes les nations et blesse le genre humain. 

« De l'observation et de l'exécution des traités, disait un souverain respectable, dépend toute la sûreté que les princes et les états ont les uns à l'égard des autres, et on ne pourrait plus compter sur des conventions à faire, si celles qui sont faites n'étaient point maintenues ».

Les partisans de l'opinion contraire conviennent bien avec nous que les alliances faites avec les ennemis de la religion, n'ont rien de contraire avec le droit naturel, mais qu'elles sont prohibées par la loi divine, qui nous ordonne de regarder comme nos ennemis, ceux qui sont hors de l'église.
Mais, outre que cette assertion est fausse, puisque Moïse n'ordonna pas aux Israélites d'avoir les Égyptiens en abomination ; qu'il leur était au contraire expressément permis de faire des traités avec les idolâtres, comme David et Salomon s'allièrent avec Hiram, roi de Tyr : cette décision est encore plus mal fondée, à considérer l'évangile, puisqu'il nous apprend que J. C. lui-même ne fit point de difficulté de recevoir de l'eau de la main d'une femme samaritaine.
Il est vrai que, dans les proverbes de Salomon, on trouve plusieurs sentences concernant le soin qu'on doit avoir d'éviter toute société avec les impies ; mais ce sont là de simples conseils, et non des commandements ; encore même ces conseils souffrent-ils plusieurs exceptions, comme l'indique l'exemple de Salomon même, contractant alliance avec le roi de Tyr. En un mot, l'évangile ne défend pas de vivre, même familièrement, avec ceux d'une autre religion ; nulle part il n'engage de rompre avec les idolâtres, ni même avec les apostats, infiniment plus inexcusables que les infidèles. Il nous est seulement ordonné de n'avoir pas avec eux des liaisons assez fortes pour participes à leur infidélité.

V. Rien n'est plus contraire à la foi donnée qu'une interprétation manifestement fausse d'une convention, d'une promesse, d'un traité. Celui qui en use, ou se joue impudemment de la foi sacrée qui doit régner parmi les hommes, ou il témoigne assez par ces prétextes spécieux, qu'il n'ignore pas combien il est honteux d'y manquer. Il rend hommage malgré lui à la bonne foi, puisqu'en agissant en malhonnête homme, il cherche à garder la réputation d'un homme de bien. Mais cette action n'en est pas moins condamnable, puisqu'elle joint à la perfidie un crime encore plus odieux, celui de l'hypocrisie. 

VI. La foi ne consiste pas seulement à tenir ses promesses, mais encore à ne pas tromper, dans les occasions où l'on se trouve obligé, de quelque manière que ce soit, à dire la vérité.
Nous touchons ici une question vivement agitée autrefois, et qui a paru embarrassante, tant que l'on a eu des notions peu justes ou peu distinctes du mensonge. Plusieurs, et surtout des théologiens, se sont représenté la vérité comme une espèce de divinité, à laquelle on doit je ne sais quel respect inviolable pour elle-même, et indépendamment de ses effets : ils ont condamné absolument tout discours contraire à la pensée de celui qui parle : ils ont prononcé qu'il faut en toute rencontre parler selon la vérité connue, si l'on ne peut se taire, et offrir comme en sacrifice à leur divinité, les intérêts les plus précieux, plutôt que de lui manquer de respect.
Mais des philosophes plus exacts et plus profonds ont débrouillé cette idée si confuse et si fausse dans ses conséquences. On a reconnu que la vérité doit être respectée en général ; parce qu'elle est l'âme de la société humaine, le fondement de la confiance dans le commerce mutuel des hommes ; et par conséquent qu'un homme ne doit pas mentir, même dans les choses indifférentes, crainte d'affaiblir le respect dû en général à la vérité, et de se nuire à soi-même, en rendant sa parole suspecte, lors même qu'il parle sérieusement.
Mais en fondant ainsi le respect qui est dû à la vérité sur ses effets, on est entré dans la vraie route, et dès lors il a été facile de distinguer entre les occasions où on est obligé de dire la vérité, ou de manifester sa pensée, et celles où on n'y est point tenu.
Nous ne sommes dans l'obligation de découvrir indistinctement tout ce que nous pensons, qu'autant que nous y sommes engagés, soit par une convention particulière, soit par une loi générale et inviolable du droit naturel, soit enfin par la nécessité qui nous est prescrite par la nature de l'affaire que nous traitons, ou de vive voix, ou par écrit.
Ainsi il n'est pas douteux que, si nous sommes chargés d'enseigner une science ou un art à quelqu'un, nous sommes obligés de ne lui rien cacher de ce qui les concerne : si nous sommes chargés de rendre compte à quelqu'un d'une affaire, nous devons ne lui rien taire de tout ce que nous avons pu découvrir de relatif à cette affaire : si nous écrivons un récit historique, nous ne devons y mêler aucune circonstance fausse : en un mot, dans tout ce que nous disons, dans tout ce que nous faisons, d'où il peut résulter, en vertu de notre propre consentement, ou de la loi civile ou naturelle, quelque droit, quelque obligation, c'est manquer essentiellement que de ne point parler avec sincérité, et de déguiser ce qui concerne la chose sur laquelle on traite. Si de telles dissimulations étaient permises, il ne serait plus possible de compter sur les hommes, ni sur aucun de leurs engagements.
Mais toutes les fois qu'aucun droit parfait ou imparfait ne nous oblige pas de découvrir notre pensée, c'est prudence que de la cacher à propos ; c'est même un devoir, lorsqu'on ne peut par aucun autre moyen procurer à soi-même ou à autrui quelque avantage, ou éviter un préjudice, un danger pressant, pourvu toutefois que par des signes ou des paroles trompeuses, on ne préjudicie pas aux droits de qui que ce puisse être.
D'après ces principes, il est aisé de sentir que tout discours contre la pensée n'est point un mensonge ; qu'on ne doit donner ce nom qu'aux paroles trompeuses, dites dans les occasions où on est obligé de parler conformément à l'exacte vérité, ou lorsqu'elles sont accompagnées de l’intention de nuire, soit à ceux à qui on les adresse, soit à d'autres. Dans le cas où les discours faux sont tenus à des gens qui n'ont aucun droit d'exiger qu'on leur dise la vérité, sans cependant pouvoir leur nuire ou à d'autres, ce n'est plus un mensonge ; c'est ce que les Latins appellent falsiloquium ; c'est dissimulation, si l'on veut, mais dissimulation prudente, et souvent nécessaire.
Il n'est plus difficile actuellement de marquer quel doit être, dans les occasions, le légitime usage de la vérité ou du discours faux. Par exemple, il est permis de tromper un ennemi, en semant de faux bruits pour l'épouvanter, et même pour lut causer du dommage ; mais cette permission ne doit jamais s'étendre jusqu'aux conventions que l'on tait avec lui, soit pour finir, soit pour suspendre les hostilités. Il est alors de toute nécessité de parler vrai, car il serait absurde de dire que l'on ne s'engage pas à ne pas tromper l'ennemi, sous couleur de traiter avec lui ; ce serait se jouer et ne rien faire.
Il est permis de déguiser à un insensé une vérité, dont il pourrait déduire des conséquences très nuisibles à lui-même ou aux autres ; de feindre, lorsque la feinte, loin d'être nuisible, est avantageuse à autrui : par exemple, lorsqu'il est question de mettre à couvert l’innocence de quelqu'un, d'apaiser une personne en colère, de relever par une ruse heureuse le courage abattu des soldats.
Au reste, il serait difficile de rapporter tous les exemples des cas où l'on peut innocemment dissimuler la vérité ; il suffit d'indiquer deux principes sur cette matière, dont on ne peut s'écarter sans se rendre criminel.

1°. Il faut, ainsi que nous l’avons déjà remarqué, que tout ce que l'on dit, l'on écrit, l'on marque par des caractères, ou que l'on donne à entendre par des signes, ne puisse être pris dans un sens différent de la pensée de celui qui s'exprime, lorsqu'on est tenu de dire vrai, soit par la nature de l'affaire que l'on traite, soit par la qualité de la personne avec qui l'on traite. 

2°. C'est un lâche artifice et un grand signe de fourberie, que d'avoir recours aux équivoques, lorsqu'il s'agit de contrats, ou de quelques affaires d'intérêt.
Une manière de tromper plus odieuse encore, et inventée par des fourbes insignes, est l'usage des restrictions mentales, par lesquelles, au moyen d'une pensée qu'on sous-entend, on ramène à un sens directement contraire les paroles les moins équivoques, en sorte qu'on nie précisément dans le fond de son âme, ce que l'on paraît affirmer expressément. Par exemple, si on me demande : avez-vous fait telle chose ? je réponds affirmativement : je ne l'ai pas fait, en sous-entendant une autre chose que celle dont on me parle.

On demande si une personne coupable d'un crime, dont elle est accusée en justice, peut innocemment le nier, et éluder les accusations par de fausses preuves. Il est certain qu'au tribunal de Dieu, tout criminel, quelle que puisse être la noirceur de ses forfaits, est obligé d'avouer sincèrement ses mauvaises actions, et de s'en repentir. Mais quant aux tribunaux humains, il est constant que nul homme n'est tenu de s'avouer coupable, ou de s'exposer lui-même à la peine qu'il a méritée : ne pouvant la regarder qu'avec horreur, surtout si elle doit aller jusqu'à la perte de la vie, il lui est permis de chercher à l'éviter par toutes sortes de moyens, surtout lorsque cette voie ne nuit à personne.
Il importe peu à l'État, qu'un crime qui n'est pas notoire, soit puni ou couvert, par des excuses spécieuses : au contraire il lui est avantageux qu'un homme ne périsse pas, et par conséquent qu’il ne se trahisse pas lui même. Si le juge peut interroger, et employer toute son adresse pour faire avouer le crime à l'accusé, celui-ci, par la même raison, peut user de la même adresse, et rien ne l'oblige en conscience de s'accuser. Ces deux droits ne sont pas opposés l'un à l'autre : le magistrat fait ce qu'il doit pour avoir connaissance du délit, et le coupable emploie une exception naturelle, licite et raisonnable, contre le droit qu'a son juge d'exiger qu'on lui dise la vérité.

Encyclopédie méthodique. Jurisprudence dédiée et présentée à Monseigneur Hue de Miromesnil, garde des sceaux de France, tome 4, Panckoucke, Paris ; Plomteux, Liège, 1782, p.550a-555a.