GRAVE, Gravité
(qualité).
Le ton sérieux que répand sur son maintien, sur ses discours, sur ses actions, un homme habitué à se respecter lui-même et à apprécier la dignité, non de sa personne, mais de son être, s'appelle gravité.
Cette qualité est indispensable aux individus âgés et aux personnes exerçant certaines professions, c'est-à-dire les magistrats, les médecins, etc. ; mais autant elle est nécessaire chez eux, quand elle n'est pas affectée, autant elle devient ridicule dans les enfants, les sots et les gens avilis par des métiers infâmes.
Il est vrai que, chez eux, la gravité, loin d'être naturelle (elle l'est rarement chez les autres, et à plus forte raison chez l'enfant, le sot, etc.), ne se montre le plus souvent qu'avec affectation de la part du plus grand nombre, et généralement de la part de ceux-là même qui en ont le moins besoin. Aussi La Rochefoucauld a-t-il dit :
« Elle n'est que l’écorce de la sagesse, un mystère du corps inventé pour cacher les défauts de l'esprit. »
Néanmoins, m'est avis qu'il vaut mieux encore celle-là que d'en manquer, et a fortiori que d'avoir trop de laisser-aller. Je dis plus, comme la gravité sert de rempart à l'honnêteté publique, au lieu que le laisser-aller produit un effet contraire, ce serait mal que de préférer celui-ci.
Quelques auteurs ont confondu la gravité avec la décence et la dignité : c'est une erreur ; car, d'une part, la décence renferme les égards que l'on doit au public ; la dignité, ceux que l'on doit à sa place, et la gravité, ceux que l'on se doit à soi-même (Diderot) ; et, d'autre part, la gravité renferme la décence et la dignité, alors que l'on peut être décent et digne sans être grave.
La gravité est donc une qualité plus parfaite que la décence et la dignité, et c'est parce qu'il en est ainsi, que l'homme grave parle avec dignité, avec circonspection, avec sagesse ; or, cela devait être, attendu qu'on n'est réellement grave, qu'autant qu'on a de la maturité d'esprit et de la raison. N'oublions pas que cette sagesse et cette maturité d'esprit qui appartiennent à la gravité, sont les caractères qui servent à la distinguer du sérieux, qui ne provient que du tempérament et de l'humeur.
La gravité naît de l'amour de soi-même ; et, comme tout le monde sait qu'elle sert toujours à se faire honorer et estimer, tous les hommes se montrent jaloux et empressés d'affecter le ton et les manières des personnes graves. Qu'on le soit dans la jeunesse et l'âge mûr, à la bonne heure ; mais vouloir paraître grave alors qu'on est encore enfant ou très-jeune, c'est se couvrir de ridicule, la gravité, je le répète, n'étant pas convenable à tous les âges et à toutes les conditions.
Les auteurs admettent une autre sorte de gravité ; mais comme celle nouvelle espèce provient du tempérament et de l'humeur, nous la considérerons avec eux comme synonyme de Sérieux. (Voy. ce mot.)
Félix-André-Augustin Poujol, Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l'âme: ou l'on traite des passions, des vertus, des vices, des défauts, etc., J. P. Migne éditeur, 1857, col. 521.