[Le texte suivant présente une histoire de l'habit ecclésiastique, d'un point de vue anglais. L'évolution décrite est valable pour toute l'Europe, jusqu'au moment de la séparation, au XVIe siècle, de l'Église romaine et de l'Église anglicane. Le Continent auquel il est fait allusion dans le texte est l'Europe continentale, par opposition aux Îles Britanniques. La version français du texte anglais original est le fait de l'auteur de ce blog.]
L’habit quotidien du clergé a été le sujet d’une longue série d’actes juridiques, depuis la fin du VIe siècle, et notamment du canon 16 du IVe Concile du Latran en 1215 (qui est incorporé dans les Décrétales, III., i. 15), en Angleterre, des Constitutions d’Othon (1287) et d’Ottobon (1268), et des canons de 1460, 1463 et 1604 ; à cela s’ajoutent les statuts des Universités et des Collèges qui règlent l’habit universitaire, et toutes les règles qui gouvernent l’habit judiciaire anglais, statuts et règles qui sont des variétés du costume ecclésiastique traditionnel de l’Occident. Ces actes juridiques tendent à être plus négatifs que positifs, prohibant la gaieté, le luxe, la cherté et la conformité avec les modes séculières courantes ; elles supposent plutôt qu’elles ne décrivent explicitement ce qui devait être porté. Mais certains principes émergent ; en particulier, les vêtements doivent être longs (talaris), amples, fermés, c’est-à-dire non-ouverts sur le devant, d’une seule couleur, qui ne doit être ni le vert ni le rouge.
L’habit ecclésiastique provient du costume romain du IVe siècle, la tunica et la pænula, qui, à travers le changement des modes séculières et l’adoption d’un nouveau type de costume par les laïcs, est devenu le propre des ecclésiastiques, et s’est alors scindé et développé selon deux orientations, l’une étant celle des vêtements liturgiques [ornements], l’autre celle de l’habit ecclésiastique quotidien. Par conséquent, au IXe siècle, nous voyons le clergé porter ordinairement l’aube ou tunique et la cappa, la chasuble pleine, avec (plus tardivement, si ce n’est déjà à cette époque) des fentes latérales, au travers desquelles passaient les bras ; du IXe au XIe siècle, on exigea des prêtres qu’ils portassent toujours l’étole.
Au XIVe siècle, et sans doute un ou deux siècle auparavant, l’habit ecclésiastique complet consistait en une tunique du dessous (subtunica, la soutane), une tunique du dessus (supertunica, la robe), et un capuchon (caputium), c’est-à-dire une cape et une coiffe avec un « bec » allongé (liripipium, cornette).
Les bénéficiers, les dignités et les diplômés portaient une robe et un capuchon doublé de fourrure, et plus tard, en été, de soie ; entre la robe et le capuchon, ils portaient un « habit », soit une cappa, avec deux fentes latérales (chimæra, chamarre) ; ou une simple fente centrale pour y passer les bras ; ou un tabard, une tunique avec de courtes manches en pointe ; ou, surtout s’ils étaient juristes, un manteau (armilausa), attaché sur l’épaule droite ; les dignités et les docteurs ajoutaient un bonnet, qui, étant à l’origine, semble-t-il, une calotte lâche retournée sur le bord, prit une forme différente dans certains pays, évoluant comme un fez en France et en Italie, demeurant une calotte en Angleterre ; les plus grands parmi les juristes portaient une coiffe, un bonnet de lin attaché sous le menton. Les évêques portaient un rochet de lin sur la robe et sous la cappa.
Dans la seconde moitié du XVe siècle, des changements intervinrent. La tunique du dessus ou robe fut fendue sur le devant, et les manches furent souvent élargies ; le capuchon, au lieu d’être porté, fut soit jeté lâchement sur une épaule, soit mis à l’équerre [squared], comme on le dit encore à Cambridge, c’est-à-dire posée sur les épaules, la pointe tombant sur l’une, la cape sur l’autre ; ou bien, comme le capuchon séculier, il fut transformé en chaperon, avec une pointe flottante ; ainsi, la pointe fut détachée et devint la cornette ou écharpe ; la calotte développa quatre coins, sans aucun doute, de façon accidentelle, tout simplement parce qu’elle était faite de quatre pièces ; ce bonnet carré était porté par tous les ecclésiastiques vers le milieu du XVIe siècle. En outre, dans la première moitié du XVIe siècle, le tabard, et, sauf pour les juristes, le manteau disparut ; la cappa tomba en désuétude sauf à l’université et pour les évêques ; les évêques fendirent les deux formes de cappa par le devant ; de là viennent la chamarre ouverte et la « robe parlementaire ». Les évêques anglais retournèrent également les manches de leur robe fourrée pour en faire un revers sur les manches de leur rochet. De plus, l’ancienne variété des couleurs disparut, en général, sauf pour les diplômés de l’université et dans les circonstances officielles ; le noir les remplaça toutes. Cela était acquis en Angleterre, mais fut promu sur le Continent dans la seconde moitié du XVIe siècle. Ainsi, au milieu du XVIe siècle, l’habit ecclésiastique ordinaire est celui dépeint sur la page de titre de la Grande Bible de 1539 et sur le grand portrait de Cranmer de la National Portrait Gallery. Ce costume traditionnel est imposé par la XIIIe Ordonnance de 1559.
Pierre de la Ramée (1515-1572) porte la robe de Genève ou robe académique. Autour du cou, il porte la cornette noire. Gravure du Musée du Protestantisme. |
Un chapitre des Advertisements (cf.) de 1566 est consacré à ce thème ; le dernier acte juridique qui règle l’habit du clergé est le 74e Canon de 1604, qui exige que les évêques portent leur appareil habituel qui est le rochet, la chamarre, la cornette, et le bonnet [cap] ; que les dignités et bénéficiers portent la soutane, la robe, le chaperon ou la cornette et le bonnet ; de même que tous les autres clercs qui, eux, ne portent pas la cornette. Mais il y eut d’autres changement de forme. Le Canon 74 exige que les manches des robes soient soit « étroites » aux poignets, soit larges. La manche large est ordinairement en forme de cloche et attachée à l’épaule ; les manches « étroites » étaient soit des manches fermées ordinaires, un peu bouffantes aux épaules, à cet époque, soit de pleines manches « ballonantes » attachées aux épaules et de nouveau au poignet ; par conséquent les deux formes étaient bien trop longues, et c’est ainsi qu’une ouverture fut pratiquée au niveau du coude afin que le bras passât à travers l’ouverture, laissant la manche tomber à partir du coude ; c’est de là qu’est venue la manche moderne des Maîtres ès Arts [M.A.] des universités ; dans la seconde forme, la manchette fut relevée le long du bras [was pushed up the arm] et cela eut pour résultat la manche « pudding ».
Dans la seconde partie du XVIe siècle, le capuchon, quand il ne fut pas remplacé par la cornette, était encore « enfilé » et non pas jeté sur les épaules ; mais il était grandement élargi, et ainsi, tombait en bas du dos ; bien qu’il fût raccourci sur le devant, il resta ainsi tout au long du XVIIe siècle ; mais, avec l’apparition des perruques au XVIIIe siècle, il fut fendue sur le devant et on y inséra un ruban, de manière à ce qu’il pendît entièrement dans le dos. Après la Restauration [anglaise], on oublia la nature du capuchon et de la cornette, et l’on en vint à les utiliser toutes deux, sauf les docteurs en robe d’apparat et les évêques jusqu’à S. Wilberforce, qui initia la mode de porter le capuchon sur la chamarre noire. Mais le port du capuchon dans la vie quotidienne semble avoir été remplacé par celui de la cornette depuis la fin du XVIe siècle ; et vers la fin du XVIIIe siècle, la cornette elle-même semble être tombée en désuétude, sauf à l’église, pour tous, à l’exception des docteurs et des chapelains.
Linus Pauling porte le "motorboard" et la robe académique, 1922. |
Entre temps, le bonnet carré accentua son caractère quatrangulaire : vers 1640 environ, il était devenu, sur le Continent, la barrette moderne ; en Angleterre, il prit une forme plus souple et élégante. Mais ici, comme ailleurs, il était porté sur une calotte ; le « mortier [mortarboard] » de la fin du XVIIe siècle semble combiner en une seule pièce le bonnet carré et la calotte. Durant le règne d’Élisabeth [Ière], le clergé portait la fraise en vogue autour du cou et des poignets. Par conséquent un ruché apparut en dessous de la manchette blanche du rochet ; la manchette rouge portée maintenant avec la chamarre rouge, est une pure folie, à moins que le prélat ne soit un Docteur en Droit Civil [D.C.L.] d’Oxford, peut-être inventée par Wilberforce. La fraise laissa la place au col carré vers 1640, et celui-ci fut graduellement réduit jusqu’à ce qu’il devienne le « rabat » vers 1730 environ.
Les évêques abandonnèrent apparemment le port du rochet et de la chamarre en tant que costume ordinaire après la Grande Rébellion, et adoptèrent l’habit ecclésiastique ordinaire dont le port se poursuivit jusqu’au XVIIIe siècle tardif, lorsque les évêques et les hauts dignités adoptèrent la soutane courte (« tablier » [apron]) sous un manteau, tandis que le clergé adoptait, généralement, l’habit professionnel, commun avec celui des docteurs et des juristes, qui est noir avec une cravate [neckcloth] blanche, à laquelle, plus tard et en certains cas, fut ajouté le col « montant » [« stand-up »]. Vers le milieu du XIXe siècle, on en vint à porter le gilet uni [plain] M.B. [Mark of the Beast], et quelque temps plus tard, le col romain.
Concernant les cheveux et la pilosité du visage (sauf la tonsure qui était tombée en désuétude, en Angleterre, à partir du XVIe siècle), le clergé a suivi les modes séculières, bien que de façon quelque peu tardive par rapport au reste de la société. Ils gardèrent leurs cheveux longs après 1650 environ, et adoptèrent la perruque dans le premier XVIIIe siècle ; en Angleterre au moins, ils la conservèrent, dans certains cas, jusqu’après le milieu du XIXe siècle. Regardant la pilosité du visage, ils étaient, au Moyen Âge, généralement imberbes, mais parfois ils portaient la barbe et la moustache ; cela devint général vers 1530, et dura jusque vers 1620, lorsque la moustache et l’ « impériale » l’emportèrent et durèrent jusque vers 1700 ; de nouveau, ils redevinrent imberbes et ce, jusqu’au milieu du XIXe siècle, après quoi, en Angleterre, ils continuèrent à suivre la mode séculière, qui n’exige plus désormais d’uniformité ; ils font donc selon leur complaisance.
Référence.
F. E. BRIGHTMAN, « Dress of the Clergy [L’habit ecclésiastique] », dans S.L. OLLARD (dir.), Gordon CROSS, (dir.), A Dictionary of English Church History, A. R. Mowbray & Co., Londres, Oxford, Milwaukee, 1912, p. 181-183.