La France est maintenant divisée en une infinité de partis, distingués
les uns des autres par leurs intérêts ou par leurs opinions ; mais
quelles que soient les nuances variées qui distinguent ces partis, on
peut les réduire tous à quatre principaux, qui sont les monarchistes,
les royalistes, les républicains et les démocrates.
Les royalistes
veulent une monarchie modérée, comme celle qui existe en
Angleterre, et dont les principes ont été consacrés dans la charte
française.
Les républicains
veulent une démocratie tempérée ou une république , telle qu'elle
existe dans les États-Unis de l'Amérique.
Enfin les démocrates
veulent la démocratie pure ou l'égalité absolue, telle qu'elle n'a
jamais existé dans aucune société civilisée, parce qu'il ne peut
y avoir dans une société civilisée qu'une égalité
proportionnelle, ou une égalité avec des conditions égales.
Le
parti des monarchistes et celui des démocrates sont divisés par
leurs intérêts. L'un veut que le pouvoir soit donné à un seul,
pour que ceux qui l'entourent gouvernent en son nom ; c'est le
parti des courtisans et des privilégiés. L'autre veut que le
pouvoir soit donné à la multitude, pour ôter à la richesse, à la
science et à la vertu leur supériorité naturelle et détruire
toute émulation parmi les hommes ; c'est le parti des
anarchistes et des niveleurs. Le premier veut le gouvernement d'un
seul, pour profiter de ses faveurs ; le second veut celui de
la multitude, pour gouverner dans le désordre.
Mais entre le parti des
monarchistes et celui des démocrates, il en est deux autres qui ne
sont divisés que par leurs opinions et qui veulent chacun faire
triompher la théorie politique qui lui semble le mieux garantir le
bonheur public, but ultérieur de toutes les sociétés humaines.
L'un veut la royauté,
parce que cette forme de gouvernement lui paraît la plus stable et
la plus propre à allier dans un grand état les droits de la
personne avec ceux de la propriété ; l'autre veut la république,
parce que cette forme de gouvernement, tout en alliant les droits de
la propriété avec ceux de la personne, lui paraît la plus
favorable à la dignité de l'homme et à sa grandeur morale : le
premier veut un roi et un roi héréditaire, parce qu'il regarde le
trône comme le refuge le plus sûr pour tous les opprimés ;
l'autre, en haine de l'arbitraire inhérent à la royauté, ne veut
qu'un magistrat suprême, organe temporaire du pouvoir.
Les monarchistes et les
démocrates sont presque partout en petit nombre, parce qu'ils ne
tiennent qu'aux deux classes extrêmes de la société, les uns
aux courtisans et aux privilégiés, les autres aux
prolétaires et à la populace ; mais les royalistes et les
républicains sont répandus dans toutes les classes de la société,
et plus particulièrement dans les classes moyennes ; et si
parmi les hommes qui sont appelés par leurs lumières ou par leurs
vertus à exercer une juste influence sur les autres hommes, on
trouve des partisans nombreux de la royauté, il faut avouer qu'on y
trouve aussi des partisans de la république, soit que ceux-ci aient
été séduits par l'étude de la belle antiquité ou par de
spécieuses théories, soit qu'ils l'aient été par l'orgueil
naturel à l'homme ou par le spectacle de la prospérité toujours
croissante des États-Unis.
La république est
sans douté en théorie la forme de gouvernement la plus parfaite,
et l'exemple des États-Unis prouve que cette forme peut exister,
dans les états même les plus grands ; mais les hommes réunis
en masse et agités par leurs passions ne peuvent pas toujours être
régis par les théories les plus belles, et dans la pratique, ils
ne peuvent avoir les meilleures formes de gouvernement que lorsqu'ils
en ont dans leurs mœurs tous les éléments.
Le
bonheur de l'homme est la fin de la société, et la forme de
gouvernement n'est que le moyen. Lors donc que la forme ne peut pas
conduire à la fin, quelque parfaite que soit cette forme, il faut
lui en substituer une autre, même moins parfaite , parce qu'on ne
doit jamais sacrifier la fin au moyen.
(…)
Mais parmi ces partis il
en est deux surtout qu'il
faut réprimer, parce qu'ils sont inconciliables. Ce sont les
deux partis extrêmes : le premier composé de ceux qui
veulent rétablir l'ancien régime, tel qu'il existait avant la
révolution, comme si la révolution n'avait pas existé et n'eût
rien détruit ; l'autre composé de ceux qui veulent établir un
régime tout nouveau, comme si la révolution avait détruit tout
ce qui existait avant elle et n'eût rien laissé debout : l'un
voulant recomposer le gouvernement ancien, comme si tous les éléments
en existaient encore ; l'autre voulant composer un
gouvernement tout nouveau, comme si aucun des éléments anciens
n'existait plus : celui-ci voulant construire sur un plan neuf, sans
avoir égard à nos vieilles opinions et à nos habitudes anciennes ;
celui-là voulant reconstruire sur l'ancien plan, sans avoir
égard à nos besoins nouveaux et à nos opinions nouvelles : tous
les deux également aveuglés par leurs préjugés ou par leurs
passions, et confondant tous les deux la fin de la révolution avec
les moyens qu'elle a employés : l'un blâmant la fin, parce que les
moyens furent mauvais ; l'autre louant les moyens, parce que
la fin fut bonne : celui-ci voulant justifier tous les crimes de la
révolution, parce que les résultats en furent heureux; celui-là
repousser tous ses bienfaits, parce qu'on ne les obtint qu'avec des
moyens honteux : l'un et l'autre également déraisonnables, parce
qu'ils ferment les yeux à la lumière et ne veulent pas voir ce qui
est.
La révolution a existé ; et tout en détestant ses crimes, il est impossible de méconnaître ses bienfaits.
- Nous avions un gouvernement absolu, et elle nous a donné un gouvernement modéré ;
- elle a affranchi les personnes, les propriétés, l'industrie, le commerce ;
- elle a consacré les formes du gouvernement représentatif et rendu au peuple tous ses droits, ou du moins lui a donné les moyens légaux de les reprendre.
Tant et de si grands bienfaits ne peuvent pas être méconnus, et en les reconnaissant on ne peut pas les repousser. Il faut donc conserver de la révolution ce qu'elle a produit de bon, et ne rejeter que les injustices qu'elles a faites, en cherchant à les réparer. Mais pour réparer d'anciennes injustices, il ne faut pas en commettre de nouvelles, et faire une contre-révolution pour réparer les maux d'une révolution déjà faite. Les révolutions n'arrivent dans les états que parce qu'il y a des abus dans les gouvernements. Quand donc les abus ont été détruits par des moyens violents, il faut répudier ces moyens et conserver le bien qui a été fait. Employer pour rétablir les abus d'autres moyens violents, ce serait faire le mal pour le mal même, ce qui est le dernier degré de la perversité humaine.
- Nous avions un gouvernement absolu, et elle nous a donné un gouvernement modéré ;
- elle a affranchi les personnes, les propriétés, l'industrie, le commerce ;
- elle a consacré les formes du gouvernement représentatif et rendu au peuple tous ses droits, ou du moins lui a donné les moyens légaux de les reprendre.
Tant et de si grands bienfaits ne peuvent pas être méconnus, et en les reconnaissant on ne peut pas les repousser. Il faut donc conserver de la révolution ce qu'elle a produit de bon, et ne rejeter que les injustices qu'elles a faites, en cherchant à les réparer. Mais pour réparer d'anciennes injustices, il ne faut pas en commettre de nouvelles, et faire une contre-révolution pour réparer les maux d'une révolution déjà faite. Les révolutions n'arrivent dans les états que parce qu'il y a des abus dans les gouvernements. Quand donc les abus ont été détruits par des moyens violents, il faut répudier ces moyens et conserver le bien qui a été fait. Employer pour rétablir les abus d'autres moyens violents, ce serait faire le mal pour le mal même, ce qui est le dernier degré de la perversité humaine.
Il faut donc réprimer et les factieux qui voudraient rendre à la France son ancien gouvernement avec les abus anciens , et ceux qui voudraient lui en composer un nouveau avec des éléments qui n'existent pas encore : les premiers, parce qu'ils sont aveuglés par leurs passions; les autres, parce qu'ils le sont par leurs illusions.
Référence.