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vendredi 11 mai 2012

Les démocrates, gens d'extrême gauche, selon le baron de Beaujour, 1825.




La France est maintenant divisée en une infinité de partis, distingués les uns des autres par leurs intérêts ou par leurs opinions ; mais quelles que soient les nuances variées qui distinguent ces partis, on peut les réduire tous à quatre principaux, qui sont les monarchistes, les royalistes, les républicains et les démocrates. 

Les monarchistes veulent la monarchie pure ou absolue, telle qu'elle a existé sous Napoléon et sous Louis XIV. 
 
Les royalistes veulent une monarchie modérée, comme celle qui existe en Angleterre, et dont les principes ont été consacrés dans la charte française. 
 
Les républicains veulent une démocratie tempérée ou une république , telle qu'elle existe dans les États-Unis de l'Amérique. 
 
Enfin les démocrates veulent la démocratie pure ou l'égalité absolue, telle qu'elle n'a jamais existé dans aucune société civilisée, parce qu'il ne peut y avoir dans une société civilisée qu'une égalité proportionnelle, ou une égalité avec des conditions égales.

Le parti des monarchistes et celui des démocrates sont divisés par leurs intérêts. L'un veut que le pouvoir soit donné à un seul, pour que ceux qui l'entourent gouvernent en son nom ; c'est le parti des courtisans et des privilégiés. L'autre veut que le pouvoir soit donné à la multitude, pour ôter à la richesse, à la science et à la vertu leur supériorité naturelle et détruire toute émulation parmi les hommes ; c'est le parti des anarchistes et des niveleurs. Le premier veut le gouvernement d'un seul, pour profiter de ses faveurs ; le second veut celui de la multitude, pour gouverner dans le désordre.

Mais entre le parti des monarchistes et celui des démocrates, il en est deux autres qui ne sont divisés que par leurs opinions et qui veulent chacun faire triompher la théorie politique qui lui semble le mieux garantir le bonheur public, but ultérieur de toutes les sociétés humaines. 
 
L'un veut la royauté, parce que cette forme de gouvernement lui paraît la plus stable et la plus propre à allier dans un grand état les droits de la personne avec ceux de la propriété ; l'autre veut la république, parce que cette forme de gouvernement, tout en alliant les droits de la propriété avec ceux de la personne, lui paraît la plus favorable à la dignité de l'homme et à sa grandeur morale : le premier veut un roi et un roi héréditaire, parce qu'il regarde le trône comme le refuge le plus sûr pour tous les opprimés ; l'autre, en haine de l'arbitraire inhérent à la royauté, ne veut qu'un magistrat suprême, organe temporaire du pouvoir.

Les monarchistes et les démocrates sont presque partout en petit nombre, parce qu'ils ne tiennent qu'aux deux classes extrêmes de la société, les uns aux courtisans et aux privilégiés, les autres aux prolétaires et à la populace ; mais les royalistes et les républicains sont répandus dans toutes les classes de la société, et plus particulièrement dans les classes moyennes ; et si parmi les hommes qui sont appelés par leurs lumières ou par leurs vertus à exercer une juste influence sur les autres hommes, on trouve des partisans nombreux de la royauté, il faut avouer qu'on y trouve aussi des partisans de la république, soit que ceux-ci aient été séduits par l'étude de la belle antiquité ou par de spécieuses théories, soit qu'ils l'aient été par l'orgueil naturel à l'homme ou par le spectacle de la prospérité toujours croissante des États-Unis.

La république est sans douté en théorie la forme de gouvernement la plus parfaite, et l'exemple des États-Unis prouve que cette forme peut exister, dans les états même les plus grands ; mais les hommes réunis en masse et agités par leurs passions ne peuvent pas toujours être régis par les théories les plus belles, et dans la pratique, ils ne peuvent avoir les meilleures formes de gouvernement que lorsqu'ils en ont dans leurs mœurs tous les éléments.

Le bonheur de l'homme est la fin de la société, et la forme de gouvernement n'est que le moyen. Lors donc que la forme ne peut pas conduire à la fin, quelque parfaite que soit cette forme, il faut lui en substituer une autre, même moins parfaite , parce qu'on ne doit jamais sacrifier la fin au moyen.

(…)

Mais parmi ces partis il en est deux surtout qu'il faut réprimer, parce qu'ils sont inconciliables. Ce sont les deux partis extrêmes : le premier composé de ceux qui veulent rétablir l'ancien régime, tel qu'il existait avant la révolution, comme si la révolution n'avait pas existé et n'eût rien détruit ; l'autre composé de ceux qui veulent établir un régime tout nouveau, comme si la révolution avait détruit tout ce qui existait avant elle et n'eût rien laissé debout : l'un voulant recomposer le gouvernement ancien, comme si tous les éléments en existaient encore ; l'autre voulant composer un gouvernement tout nouveau, comme si aucun des éléments anciens n'existait plus : celui-ci voulant construire sur un plan neuf, sans avoir égard à nos vieilles opinions et à nos habitudes anciennes ; celui-là voulant reconstruire sur l'ancien plan, sans avoir égard à nos besoins nouveaux et à nos opinions nouvelles : tous les deux également aveuglés par leurs préjugés ou par leurs passions, et confondant tous les deux la fin de la révolution avec les moyens qu'elle a employés : l'un blâmant la fin, parce que les moyens furent mauvais ; l'autre louant les moyens, parce que la fin fut bonne : celui-ci voulant justifier tous les crimes de la révolution, parce que les résultats en furent heureux; celui-là repousser tous ses bienfaits, parce qu'on ne les obtint qu'avec des moyens honteux : l'un et l'autre également déraisonnables, parce qu'ils ferment les yeux à la lumière et ne veulent pas voir ce qui est.

La révolution a existé ; et tout en détestant ses crimes, il est impossible de méconnaître ses bienfaits.

- Nous avions un gouvernement absolu, et elle nous a donné un gouvernement modéré ;

- elle a affranchi les personnes, les propriétés, l'industrie, le commerce ;

- elle a consacré les formes du gouvernement représentatif et rendu au peuple tous ses droits, ou du moins lui a donné les moyens légaux de les reprendre.

Tant et de si grands bienfaits ne peuvent pas être méconnus, et en les reconnaissant on ne peut pas les repousser. Il faut donc conserver de la révolution ce qu'elle a produit de bon, et ne rejeter que les injustices qu'elles a faites, en cherchant à les réparer. Mais pour réparer d'anciennes injustices, il ne faut pas en commettre de nouvelles, et faire une contre-révolution pour réparer les maux d'une révolution déjà faite. Les révolutions n'arrivent dans les états que parce qu'il y a des abus dans les gouvernements. Quand donc les abus ont été détruits par des moyens violents, il faut répudier ces moyens et conserver le bien qui a été fait. Employer pour rétablir les abus d'autres moyens violents, ce serait faire le mal pour le mal même, ce qui est le dernier degré de la perversité humaine. 
 
Il faut donc réprimer et les factieux qui voudraient rendre à la France son ancien gouvernement avec les abus anciens , et ceux qui voudraient lui en composer un nouveau avec des éléments qui n'existent pas encore : les premiers, parce qu'ils sont aveuglés par leurs passions; les autres, parce qu'ils le sont par leurs illusions.


Référence.

Louis-Auguste-Félix de Beaujour (Baron), Tableau des révolutions de la France, depuis la conquête des Francs jusqu'à l'établissement de la Charte, Imprimerie Anthelme Boucher, Paris, 1825, p. 137 sq.