Ainsi se trahit, dès
l'origine, une sourde dissidence entre les onze hommes qui se chargent
de présider aux destinées de la France.
On peut distinguer parmi eux
trois groupes divers.
Le plus nombreux comprend les républicains modérés, ceux
qui considèrent la révolution comme accomplie, du moment que la
monarchie censitaire et la Chambre des Pairs ont été balayées par la
nation. Ce sont : Dupont de l'Eure, Arago, Crémieux, Garnier-Pagès,
Lamartine, Marie et Marrast.
Le plus avancé se compose des républicains
socialistes Albert et Louis Blanc, partisans déclarés d'une profonde
transformation économique.
Entre ces deux extrêmes se placent, poids
mobile oscillant de droite à gauche, des radicaux, des démocrates, Flocon,
Ledru-Rollin, qui veulent très sincèrement des réformes sociales sans
trop savoir lesquelles, mais qui n'entendent pas qu'on touche à la
constitution de la propriété et au régime du salariat.
Les premiers correspondent
à cette partie moyenne, instruite et aisée de la bourgeoisie, qui se
sent majeure et capable de diriger, sans roi, sans cour et sans nobles,
les affaires publiques ; les derniers résument en eux les velléités
frondeuses et vaguement humanitaires des petits bourgeois, des petits
boutiquiers, des petits artisans qui souffrent des impôts mal assis, des
inégalités consacrées par la loi et accrues par le développement du
grand commerce et de la grande industrie, mais sans être réduits à la
condition précaire des travailleurs contraints de louer leurs bras pour
vivre. Les autres, enfin, sont les porte-voix de la classe ouvrière
proprement dite et de ses aspirations imprécises, mais nettement
orientées vers un régime plus égalitaire qui doit s'établir par
l'association des hommes et la socialisation des choses. Tous,
d'ailleurs, reflètent les opinions et représentent les intérêts des
villes, non des campagnes.
Référence.
Georges Renard, Jean Jaurès (dir.), Histoire socialiste, 1789-1900, tome 9, « La République de 1848 (1848-1952) », Jules Rouff et Compagnie, 1901, p. 145.