À en croire certains, le petit enfant porte en lui le péché originel ; il s'agirait d'un véritable petit diablotin ne perdant aucune occasion de soumettre son entourage et de, perversement, lui gâcher la vie. Cette perception de la petite enfance est ancienne. Voici l'exemple d'un texte qui rend bien cette peur étonnante des adultes et qui explique bien des désarrois et des maltraitances...
L'enfant au berceau, tout inconscient qu'il semble de la plupart de ses actes, agit déjà comme s'il savait qu'il séduit par sa grâce, et commande par ses tons et ses mines. Il ne tarde pas à avoir le sentiment très net de sa désobéissance ; on le voit à l'air dont il regarde les personnes accoutumées à s'incliner devant ses caprices. Bientôt l'amabilité s'envole, l'obéissance n'est plus ni aussi cordiale ni aussi prompte. Il traite de maître à inférieur celui qui a eu la faiblesse de le traiter en égal. Instruit par ses victoires répétées sur l'autorité, il met un prix à chacune de ses apparentes défaites. Il n'est pas dupe des moyens détournés que l'on prend pour lui faire oublier ses caprices. Il les renouvelle et les exagère à plaisir, comme pour expérimenter jusqu'où va la faiblesse de ceux qui, pour avoir voulu vivre avec lui en camarades, en arrivent à lui servir de jouets.
Quel spectacle écœurant que celui d'un enfant à peine âgé de six mois, qui, par son regard, son sourire, ses pleurs, ses cris, ses trépignements, ses mouvements de tête, ses refus opiniâtres, ses désirs absolus, impose sa futile volonté à tous les membres d'une famille ! Ses besoins réels, ses fantaisies, toutes ses idées de choses possibles, deviennent matière à caprices tyranniques : il ne s'endort pas sans être bercé, il veut la montra de son père, l'agrafe à rubis de sa mère, le tableau accroché à la muraille, le bec de gaz ou le lustre qui éclaire la chambre ; si ses regards affolés, ses cris inarticulés, le geste indicateur de sa main, ne sont pas compris, ou si l'on tarde à se conformer aux ordres qu'ils expriment, les cris s'aiguisent en hurlements, et les gestes impératifs se transforment en gesticulation diabolique. Et qu'est-ce, alors que la parole fournit au petit maître un moyen plus facile de formuler ses caprices et de dicter ses ordres ?
Rien de plus triste ,à entendre que ce mot : non ! énergiquement accentué par une petite voix enfantine. Et ce mot revient à chaque instant, avec mille applications diverses, sur les lèvres de l'enfant indocile. Pour lui complaire, il faudra retirer les braises du feu avec la main, avaler sans sourciller le café dans lequel il aura jeté la dernière bouchée de son dessert ; il faudra se mettre au lit après le dîner pour qu'il se laisse mettre dans son berceau, que sais-je encore ? sacrifier de mille façons inattendues, gênantes, blessantes pour l'amour-propre, sa propre indépendance aux caprices désordonnés de l'idole de la maison. Ou il faudra se résigner à des scènes d'impatience et de fureur, à des rébellions lamentables ; ou si l'on perd soi-même patience à la fin, et qu'on essaie de lutter contre un entêtement sans bornes, si on veut imposer silence au despote en enflant la voix, en essayant de l'emporter, ou même en s'oubliant jusqu'à le frapper, quel affront joint à tant d'autres déplaisirs que d'être vaincu dans une lutte inégale, de céder à l'enfant, parce qu'on n'a pas pris l'habitude de lui résister, et que l'habitude de vous désobéir le rend assez fort pour vous dominer par une caresse ou une vaine marque de repentir, après vous avoir dominé par ses révoltes flagrantes ! Quand un enfant a été aussi mal élevé par les siens, il faut lui souhaiter d'avoir été mieux traité par la nature, et d'avoir de par elle une réserve de bonnes tendances, assez de franchise, de tendresse et de générosité, pour contrebalancer les pernicieux effets d'une éducation propre à favoriser tous les défauts de l'égoïsme.
Quel spectacle écœurant que celui d'un enfant à peine âgé de six mois, qui, par son regard, son sourire, ses pleurs, ses cris, ses trépignements, ses mouvements de tête, ses refus opiniâtres, ses désirs absolus, impose sa futile volonté à tous les membres d'une famille ! Ses besoins réels, ses fantaisies, toutes ses idées de choses possibles, deviennent matière à caprices tyranniques : il ne s'endort pas sans être bercé, il veut la montra de son père, l'agrafe à rubis de sa mère, le tableau accroché à la muraille, le bec de gaz ou le lustre qui éclaire la chambre ; si ses regards affolés, ses cris inarticulés, le geste indicateur de sa main, ne sont pas compris, ou si l'on tarde à se conformer aux ordres qu'ils expriment, les cris s'aiguisent en hurlements, et les gestes impératifs se transforment en gesticulation diabolique. Et qu'est-ce, alors que la parole fournit au petit maître un moyen plus facile de formuler ses caprices et de dicter ses ordres ?
Rien de plus triste ,à entendre que ce mot : non ! énergiquement accentué par une petite voix enfantine. Et ce mot revient à chaque instant, avec mille applications diverses, sur les lèvres de l'enfant indocile. Pour lui complaire, il faudra retirer les braises du feu avec la main, avaler sans sourciller le café dans lequel il aura jeté la dernière bouchée de son dessert ; il faudra se mettre au lit après le dîner pour qu'il se laisse mettre dans son berceau, que sais-je encore ? sacrifier de mille façons inattendues, gênantes, blessantes pour l'amour-propre, sa propre indépendance aux caprices désordonnés de l'idole de la maison. Ou il faudra se résigner à des scènes d'impatience et de fureur, à des rébellions lamentables ; ou si l'on perd soi-même patience à la fin, et qu'on essaie de lutter contre un entêtement sans bornes, si on veut imposer silence au despote en enflant la voix, en essayant de l'emporter, ou même en s'oubliant jusqu'à le frapper, quel affront joint à tant d'autres déplaisirs que d'être vaincu dans une lutte inégale, de céder à l'enfant, parce qu'on n'a pas pris l'habitude de lui résister, et que l'habitude de vous désobéir le rend assez fort pour vous dominer par une caresse ou une vaine marque de repentir, après vous avoir dominé par ses révoltes flagrantes ! Quand un enfant a été aussi mal élevé par les siens, il faut lui souhaiter d'avoir été mieux traité par la nature, et d'avoir de par elle une réserve de bonnes tendances, assez de franchise, de tendresse et de générosité, pour contrebalancer les pernicieux effets d'une éducation propre à favoriser tous les défauts de l'égoïsme.
Référence.
Bernard PEREZ, L'éducation morale dès le berceau : essai de psychologie appliquée, 2e édition, F. Alcan, Paris, 1888, p. 33-35.