M. Henry Houssaye qui présidait, hier, la distribution des prix du collège Stanislas, a prononcé, devant des enfants, la phrase suivante :
« Il y a cinq ans, nos soldats montraient en Chine leur vaillance accoutumée. Il y a cinq mois, ils montraient aux grèves de Limoges leur esprit de discipline. »
Nous ne relevons pas, aujourd'hui, ce qu'a d'extraordinaire cette allusion à cette campagne de Chine où furent commis par toutes les armées européennes tant d'actes scandaleux de pillage, tant d'actes atroces de cruauté et de destruction. Si c'est là la forme du courage recommandée aux jeunes gens, elle se confond avec la sauvagerie. Mais que dire de la phrase où M. Houssaye, ayant à citer un exemple de discipline, l'emprunte au détestable conflit de Limoges ?
Ainsi, il est entendu que la discipline consiste pour les soldats à tirer aveuglément sur leurs frères et sur leurs pères. Il est entendu que ce sont des leçons de guerre civile, de répression sanglante, que, sous le nom de discipline, on veut donner aux nouvelles générations.
Toute la brutalité de la pensée réactionnaire éclate, les hypocrisies des formules tombent et l'on aperçoit à plein ce que les classes dirigeantes entendent aujourd'hui par patriotisme. Voilà en vérité une belle matière à cette propagande antimilitariste dont M. Houssaye et ses amis dénoncent tous les jours le péril.
Aussi bien, les directeurs de la maison savaient ce qu'ils faisaient en confiant la présidence de la distribution des prix à l'écrivain-bonapartiste qui a glorifié les coups d'États césariens et qui, dans son zèle napoléonien, n'a que tendresse pour ceux des officiers qui, au retour de l'île d'Elbe, manquèrent à leur serment. M. Houssaye a consacré des livres à glorifier l'indiscipline, d'abord l'indiscipline essentielle de ce Bonaparte qui viola la Constitution et les lois, puis l'indiscipline de tous les officiers qui n'ayant pas eu la probité et le courage de refuser leurs services à la Restauration la trahissaient ensuite au profit.de l'aventurier. Et ce sont ces apologistes du Coup d’État, de la trahison, de l'indiscipline, qui osent recommander la discipline aux enfants de la République française et qui ne conçoivent cette discipline que sous la forme de l'obéissance passive, aveugle, à des ordres meurtriers tournés contre le peuple souffrant!
Lorsque désormais on aura l'impudence d'opposer aux internationalistes telle ou telle phrase outrancière ou sophistique, il leur sera facile de répondre par la citation du discours de M. Houssaye. Cet académicien est un furieux énergumène et nul révolutionnaire, nul libertaire n'aura aussi certainement déconsidéré la discipline militaire que celui qui, voulant la glorifier devant des enfants, lui donne une figure sinistre de guerre sociale et de féroce répression.
J. J.
Référence.
Jean JAURÈS, « Leur discipline », L'Humanité, n°467, vendredi 28 juillet 1905, p. 1.