[L'orthographe a été modernisée par les soins de l'auteur de ce blog.]
Si l'on accoutume les enfants à bien
faire dans l'espérance de recevoir quelque récompense, comme des
amusements, ou des friandises ; celles-ci les gâtent, les
autres sont bientôt méprisés et incapables de les exciter à bien
faire. Il faut toujours composer avec eux, et marchander, pour ainsi
dire, leur travail. Mais ils sont sensibles au point d'honneur et à
la louange, quand on ne les pas dégoûtés de leur devoir, en leur
imposant des choses au-dessus de leurs forces : car en ce cas le
dégoût l'emporte sur toute autre considération. L'honneur et
la satisfaction d'avoir bien
fait, doivent donc être les premiers moteurs de leur volonté. Si on
les flatte de quelque autre récompense, qu'elle tende, ou à
satisfaire une louable curiosité, ou à quelque délassement utile.
C'est
par ces deux premiers motifs que les hommes font leurs meilleures
actions ; et c'est par la crainte qu'ils font les moins bonnes.
Je m'explique. J'avoue que la crainte présente de la peine
a plus de force sur l'âme que l'espérance d'un bien à venir.
Celle-là peut faire agir avec
plus de diligence que celle-ci ; mais jamais avec tant d'ardeur
ni de persévérance : parce que la crainte du châtiment
diminue à mesure qu'il vient à être méprisé. L'ardeur de notre
volonté est un feu qui brûle toujours ; et c'est l'espérance
qui lui fournit les aliments. La crainte au contraire fait languir
l'âme ; ou l'avilit. Le châtiment est une tempête qu'on ne
(1) redoute pas longtemps ; parce que, dès qu'on l' essuyée
une fois, le mal paraît moins grand qu'on ne se l'était imaginé
d'abord, et on vient bientôt à s'y accoutumer. D'ailleurs l'âme
trouve presque toujours devant les hommes les moyens de se mettre à
l'abri des fougues de ce tyran ; et quand elle a sauvé les
dehors, elle demeure maîtresse du dedans. Un enfant qui n'est
conduit que par la crainte s'étudie plus à en imposer à cette
fâcheuse maîtresse qu'à se rendre attentif à ses instructions. En
un mot, quand nous faisons le bien par crainte, ce n'est jamais
qu'imparfaitement ; au lieu que nous nous livrons toujours à
l'espérance de toutes nos forces.
Mais,
direz-vous, unissons la crainte et l'espérance ; elles auront
plus de force. Oui : mais celui qu'elles gouverneront, sera
toujours un esclave la chaîne à un pied. Il est vrai que la crainte
et l'espérance sont inséparables : J'espère un
bien, et je crains en même temps d'en être privé. C'est
en ce sens qu'on doit les unir. Mais je puis espérer un bien positif
tel qu'une récompense, sans craindre un mal aussi réel que le
châtiment : et alors ma liberté est entière. C'est ainsi
qu'on doit faire naître dans les enfants l'amour de la vertu et du devoir :
c'est par là qu'on leur inspire la véritable grandeur d'âme.
N'employez tant qu'il sera possible que ces motifs exempts de toute
contrainte : s'il faut approcher d'autres machines, préférez
toujours les moins violentes.
Les
châtiments doivent donc être le dernier remède, et on ne doit
l'appliquer qu'à la malignité de l'action : il faut punir le
mal moral et non pas le physique. Si l'on inflige une peine
corporelle à un enfant, parce qu'il ne se souvient pas de ce qu'on
lui a dit, ou qu'il ne comprend pas ce qu'on veut lui mettre dans
l'esprit ; c'est une cruauté insupportable. C'est, dit-on, pour
le rendre attentif. Mais il ne sera attentif qu'à sa crainte ou à
sa douleur et à rien autre chose ; parce que l'esprit ne peut
opérer, si l'âme n'est dégagée de toute
passion. Une manière d'agir brutale et grossière jette le
découragement dans le cœur des enfants. La volonté se raidit
contre les mauvais traitements, de sorte qu'ils produisent
l'insensibilité à l'honneur, l'endurcissement, la mauvaise humeur,
la férocité. Un enfant élevé la verge à la main devient souvent
stupide ou un fort mauvais sujet pour la société ; jugeant des
autres par lui-même, il se persuade aisément qu'on n'en peut rien
obtenir que par violence.
Je ne
saurais voir sans indignation ces instruments de supplice d'esclaves,
dont use le pédantissime. Un Magister
le fouet à la main ressemble à un bourreau qui va fustiger une
troupe de criminels. Quel moyen de former d'honnêtes gens !
Comment voulez-vous, dira-t-on, conduire autrement un âge aussi peu
capable de se conduire par raison ? Mais sera-t-il mieux conduit
par la terreur ? Faites naître de bonne heure des sentiments
nobles dans le cœur des enfants, et n'employez jamais la verge que
pour des fautes morales et considérables : alors ils concevront
une telle horreur pour ce, honteux châtiment, qu'ils feront tous
leurs efforts pour l'éviter. Quant aux fautes légères, ou qui ne
partent point de la corruption du cœur, il suffira de les punir par
la honte ou par la privation de ce qui leur fait plaisir.
Note.
(1)
Timor non diuturnus Magister Officii. Cicéron,
Philippiques, 2, n°
90.
Référence.
Étienne-Gabriel MORELLY, Essai sur le coeur humain, ou Principes naturels de l'éducation, C.-J.-B. Delespine, Paris, 1745, p. 82-88.